Dialogue social avec les plateformes (Procédure accélérée)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, ratifiant l'ordonnance du 21 avril 2021 relative aux modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant pour leur activité aux plateformes et aux conditions d'exercice de cette représentation et portant habilitation du Gouvernement à compléter par ordonnance les règles organisant le dialogue social avec les plateformes.
Discussion générale
Mme Élisabeth Borne, ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion . - Le développement des plateformes numériques est une source d'opportunités pour les travailleurs en même temps que de défis pour notre modèle social.
Pour les travailleurs, les plateformes représentent une voie d'accès rapide vers l'emploi. Mais elles ne garantissent pas toujours leur indépendance réelle. C'est en ce sens que le législateur est intervenu à plusieurs reprises.
Nous défendons une position d'équilibre pour accompagner le développement des plateformes tout en améliorant la protection des travailleurs. Nous avons opté, avec le ministre délégué aux transports Jean-Baptiste Djebbari, pour la construction d'un dialogue social structuré, destiné à donner des droits sociaux aux travailleurs concernés. La responsabilité sociale des plateformes s'affirme ainsi.
Les droits de ces travailleurs étaient insuffisamment définis. Le législateur a posé les premiers jalons avec la loi El Khomri en 2016, qui a, pour la première fois, reconnu la responsabilité des plateformes. Les travailleurs ont acquis le droit de se syndiquer. La loi d'orientation des mobilités (LOM) a apporté de nouvelles garanties pour les travailleurs des plateformes relevant de la mobilité, telles que la communication par la plateforme du prix minimal garanti pour une course. Avec le présent projet de loi, nous voulons renforcer les droits des travailleurs en structurant le dialogue social.
Le Gouvernement croit en la démocratie sociale et la compatibilité entre protection des droits des travailleurs et efficacité économique.
Le projet de loi enrichit le droit du travail pour inclure tous les travailleurs. Jean-Yves Frouin a été chargé en janvier 2020 de formuler des propositions sur la construction du dialogue social. Sur cette base, Bruno Mettling a ensuite bâti, dans la concertation, une feuille de route pour structurer ce dialogue. La première brique a été posée par l'ordonnance du 21 avril dernier, qu'il vous est proposé de ratifier ici.
Voter ce projet de loi prévoit la représentation des chauffeurs de VTC et des livreurs à vélo, avec une élection début 2022. Les organisations recueillant au moins 5 % des suffrages exprimés seront reconnues comme représentatives ; les représentants élus bénéficieront de garanties particulières.
L'ordonnance du 21 avril prévoit la création de l'Autorité des relations sociales des plateformes d'emploi (ARPE), établissement public destiné à organiser les élections et la concertation. Le premier décret d'application a été publié mercredi. C'est un pas historique vers l'amélioration des droits des travailleurs des plateformes. Les deux parties pourront mieux se comprendre. Nous avançons une meilleure protection sociale de l'ensemble des travailleurs, quel que soit leur statut.
Nous voulons aller jusqu'au bout des préconisations de la mission Mettling, définir les règles de la négociation collective au niveau le plus pertinent.
L'article 2 du projet de loi définit les règles d'organisation de la négociation collective - conditions de validité des accords, définition de leur contenu, de leur format et de leur durée. Nous proposons notamment de confier à l'ARPE un rôle de médiation entre les plateformes et leurs travailleurs.
Nous voulons mieux informer les travailleurs recevant des propositions de prestations, afin de préserver leur liberté de choisir l'organisation de leur travail.
Le recours aux ordonnances répond à un impératif d'efficacité, pour tenir l'échéance du printemps 2022, date prévue pour les premières élections.
Il faut quelques mois pour que les plateformes formulent leurs propositions. Le Gouvernement proposera donc de rétablir le délai de douze mois qui avait été prévu. Je m'engage à ce que la préparation des ordonnances donne lieu à un dialogue véritable, et suis prête à en rendre compte aux deux assemblées.
Ce projet de loi est une nouvelle étape dans le sens la protection des travailleurs, deux mois avant le début de la présidence française de l'Union européenne qui sera l'occasion pour la France de défendre la convergence sociale par le haut en Europe.
Ce projet de loi est la première brique d'un nouveau droit. Cette protection sociale nouvelle et équilibrée répond aux préoccupations de près de cent mille travailleurs de plateformes.
Mme Frédérique Puissat, rapporteur de la commission des affaires sociales . - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC) L'émergence des plateformes numériques de mise en relation a offert à de nombreuses personnes, notamment peu qualifiées, des opportunités d'emploi.
Cependant, ces plateformes peuvent entraîner de la précarité, car les rapports avec les travailleurs sont déséquilibrés. De plus, ces derniers ne sont pas assurés contre les risques de chômage.
Les travailleurs de plateformes représentent une part modeste de l'ensemble des actifs occupés mais leur exposition médiatique a donné une acuité nouvelle à la question de la frontière entre salariat et travail indépendant. La Cour de cassation a parfois reconnu un lien de subordination.
En 2020, la commission des affaires sociales du Sénat a estimé nécessaire de développer les droits de ces travailleurs, de manière pragmatique, au-delà du débat sur leur statut, et ce, notamment par la voie du dialogue social.
La loi El Khomri du 8 août 2016 a posé le principe selon lequel les plateformes ont une responsabilité sociale à l'égard des travailleurs et a créé une ébauche de droit de grève ainsi que le droit de constituer une organisation syndicale.
La LOM a prévu que les plateformes de livraison et de VTC adoptent une charte de responsabilité sociale. Sur son fondement, le Gouvernement a publié l'ordonnance du 21 avril 2021, qui définit les modalités de représentation par des syndicats et des associations professionnelles. La représentativité des organisations sera conditionnée à plusieurs critères dont leur audience, mesurée par des élections. Les représentants élus seront protégés, formés et indemnisés. Le premier scrutin doit avoir lieu avant fin 2022.
La commission approuve ces modalités, sous réserve de préciser les conditions du vote, pour éviter les doubles votes de travailleurs opérant dans les deux secteurs concernés.
On peut toutefois s'interroger sur le calendrier choisi par le Gouvernement, qui devra tenir compte des travaux actuellement menés par la Commission européenne.
Le coût de fonctionnement de l'ARPE sera de 1,5 à 2 millions d'euros. La commission a souhaité circonscrire sa mission à l'organisation du dialogue social, sans en faire une autorité de régulation. Par ailleurs, elle a supprimé la participation d'un sénateur et d'un député à cette instance pour ne pas multiplier les structures où des parlementaires siègent ès qualité.
Le Gouvernement a souhaité légiférer par ordonnance pour préciser le dialogue social et les obligations incombant aux plateformes pour sécuriser la relation contractuelle. La commission a restreint cette habilitation au plus urgent et au plus technique. Elle a supprimé les éléments relatifs à l'organisation du dialogue social au niveau de la plateforme et réduit à six mois le délai d'habilitation. Elle a aussi supprimé, à l'article premier, le rôle d'expertise et de médiation de l'ARPE.
La commission a considéré que certains principes régissant la négociation de secteur devaient être débattus au Parlement et inscrits directement dans la loi. Elle a donc imposé, dans un nouvel article 3, une négociation, au moins tous les quatre ans, sur trois thèmes structurants : la fixation du prix des prestations, le développement des compétences et la prévention des risques. Sous cette réserve, chaque secteur pourra déterminer les domaines et la périodicité de la négociation collective. En effet, les travailleurs des VTC et de la livraison ont des problématiques différentes.
Au total, au-delà de la forme discutable du projet de loi, les orientations du Gouvernement vont dans le bon sens, même si les mesures se limitent à deux secteurs. Je vous propose d'adopter le texte dans la rédaction de la commission. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP)
Exception d'irrecevabilité
M. le président. - Motion n°13, présentée par M. Savoldelli et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
En application de l'article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi ratifiant l'ordonnance n°2021-484 du 21 avril 2021 relative aux modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant pour leur activité aux plateformes et aux conditions d'exercice de cette représentation et portant habilitation du Gouvernement à compléter par ordonnance les règles organisant le dialogue social avec les plateformes (n°141, 2021-2022).
M. Pascal Savoldelli . - Le Gouvernement souhaite légiférer par ordonnance, de manière discrétionnaire, sur un sujet qui relève par essence de l'écoute et du collectif : le dialogue social. Le droit à la contradiction n'a jamais existé pour les travailleurs de plateformes. Tout leur a été imposé : les prix, les prestations, et maintenant la négociation ! Ce ne sera qu'un service organisé avec des marges de manoeuvre limitées pour les travailleurs.
Ce texte porte atteinte non seulement à l'autonomie des travailleurs, mais aussi à nos principes constitutionnels, en l'espèce au préambule de la Constitution de 1946. Le Gouvernement n'a pas non plus respecté l'article L. 1 du code du travail qui prévoit une concertation préalable obligatoire des syndicats et du patronat. Il n'a pas davantage respecté la décision du 26 janvier 2017 du Conseil constitutionnel, qui a rappelé les termes de l'article 38 de la Constitution sur le recours aux ordonnances. Enfin, il n'a pas rattaché la demande d'habilitation à son programme, en contradiction avec l'esprit du Constituant de 1958.
Nous en avons discuté lors de l'examen de la proposition de loi constitutionnelle de Jean-Pierre Sueur sur le recours aux ordonnances. (M. Olivier Jacquin approuve.)
Le Gouvernement veut en réalité s'assurer du plein contrôle d'un dialogue social creux. Ce texte maintient les travailleurs dans une fausse indépendance. Le mot « social » ne suffit pas à le rendre vertueux alors que de nombreux travailleurs sont sans papiers ou précaires, et peu armés pour négocier. Comment s'assurer de leur expression ?
Alors que le travail dissimulé est un délit, le texte conforte la pleine domination des plateformes.
Voilà les travailleurs appelés à se satisfaire de mieux que rien... La Gouvernement choisit d'ignorer les conclusions de la mission Mettling qu'il a lui-même commandée, en déposant en catimini un amendement créant l'article 50 bis du PLFSS.
Un nouvel aveu de complicité ? Malgré les décisions de la Cour de cassation reconnaissant un lien de subordination, la LOM a permis aux plateformes de rédiger unilatéralement des chartes relatives aux conditions de travail - qui ne peuvent être invoquées devant les juges comme indice de subordination. Disposition d'ailleurs en partie censurée, au motif que ces règles relèvent de la loi. Puis le rapport Frouin, qui écarte d'emblée l'hypothèse du salariat. Le rapport de Sylvie Brunet, eurodéputée En Marche, va dans le même sens en prônant une présomption réfragable de relation de travail.
Cour de cassation, Conseil constitutionnel, Parlement européen, missions et rapports : le Gouvernement aurait-il raison contre tous ?
La LOM vous a déjà permis de légiférer par ordonnance ; vous demandez une nouvelle habilitation. Cet enchaînement d'ordonnances est une usine à gaz.
Où est l'urgence ? Cela fait quatre ans que les travailleurs attendent !
Aucun objet de négociation n'est défini : ni prix, ni caractéristiques des prestations, ni modalités d'organisation. Belle conception du dialogue social !
Vous faites fi d'un rapport d'information du Sénat adopté à l'unanimité. Nous proposions pourtant des solutions concrètes, comme une rémunération minimale et la régulation du management algorithmique - mot absent du texte.
Ces travailleurs sont en situation de dépendance économique. La négociation collective doit s'emparer du sujet.
Vous tentez d'éviter l'inévitable alors que la plateformisation n'a jamais fait preuve de son efficacité.
Les travailleurs ne sont pas en mesure de négocier. Les objectifs du dialogue social ne sont pas définis. Vous méconnaissez la convention n°154 de l'Organisation internationale du travail (OIT) qui définit la négociation collective.
En résumé, votre ordonnance ordonne mais ne règle rien. Opposons l'irrecevabilité à ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et du GEST)
Mme Frédérique Puissat, rapporteur. - Aucun obstacle juridique ne s'oppose à l'examen de ce texte. D'abord, il met en place un dialogue social : nous ne sommes pas dans le champ de l'article L. 1 du code du travail. Quoi qu'on pense du recours aux ordonnances, le Conseil constitutionnel n'a jamais exigé un lien entre l'ordonnance et la déclaration de politique générale. Enfin, le projet de loi donne corps à certains principes constitutionnels, dont ceux du Préambule de 1946.
La commission appelle au rejet de la motion.
Mme Élisabeth Borne, ministre. - J'entends beaucoup de caricatures. Cette ordonnance a fait l'objet d'une large concertation, cela restera notre méthode.
Le Gouvernement recourt aux ordonnances parce qu'il y a urgence à agir. (Protestations sur les travées du groupe CRCE) Revenu minimal, formation, risques professionnels et santé au travail : plus vite le dialogue social sera mis en place, plus vite les droits des travailleurs seront renforcés. (Marques d'ironie sur les travées du groupe CRCE)
Avis défavorable à cette motion.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Ce projet de loi contrevient à l'article L. 1 du code du travail, car il n'y a pas eu concertation préalable. Le Gouvernement doit communiquer en amont un document d'orientation. Ce texte méconnaît les règles de la démocratie sociale.
La recherche d'un tiers statut fait l'unanimité contre elle. Pourquoi le Gouvernement s'obstine-t-il à sécuriser les plateformes contre le risque de requalification ?
En outre, les ordonnances n'ont pas été rattachées par le Gouvernement à son programme.
Nous voterons cette motion, ainsi que celle qui oppose la question préalable.
M. Pascal Savoldelli. - J'attends de Mme la ministre le calendrier de la concertation prévue avec les organisations syndicales et patronales... (La ministre fait signe qu'il sera transmis.)
Vous dites qu'il est urgent d'agir, mais qu'avez-vous fait depuis quatre ans ? Et nous caricaturerions ? Vous versez des larmes de crocodile, mais l'ordonnance ne contient rien sur l'objet de la négociation... Ce n'est pas honnête.
La motion n°13 n'est pas adoptée.
Question préalable
M. le président. - Motion n°1, présentée par Mme Lubin et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi ratifiant l'ordonnance n 2021-484 du 21 avril 2021 relative aux modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant pour leur activité aux plateformes et aux conditions d'exercice de cette représentation et portant habilitation du Gouvernement à compléter par ordonnance les règles organisant le dialogue social avec les plateformes (n°141, 2020-2021).
Mme Monique Lubin . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Alors que le management algorithmique s'impose à la sphère du travail, citons le philosophe Gilbert Simondon : « La machine peut se dérégler et présenter alors les caractéristiques de fonctionnement analogues à la conduite folle chez un être vivant. Mais elle ne peut se révolter. »
Le conformisme et la soumission menacent de s'ajouter à la recherche de l'efficacité à tout prix.
Dominique Méda a souligné, devant notre mission d'information sur I'ubérisation, que le profil des livreurs avait changé, passant de l'étudiant au sans-papier exploité. Les plateformes offrent de l'emploi mais de faible qualité, et contournent les obligations de financement de la justice sociale. Elles créent de la précarité en exploitant les angles morts de notre système juridique.
On assiste à une privatisation des bénéfices et à une socialisation des pertes...
Le Gouvernement nous propose aujourd'hui de valider un dispositif de dialogue social mal ficelé. Il faudrait un projet de loi ambitieux, plutôt que ce bricolage qui banalise une situation de fait, celle d'un cartel.
Nous ne voulons pas de cette dérive à bas bruit vers un tiers statut, explicitement mentionné dans le projet de loi discuté par l'Assemblée nationale en juillet 2021.
Pas un mot sur les travailleurs des plateformes dans le projet de loi en faveur de l'activité professionnelle indépendante débattu en octobre 2021. Ils sont pourtant censés être indépendants, même si l'écrasante majorité sont économiquement dépendants.
Le PLFSS pour 2022 prévoit que ceux qui gagnent moins de 1 500 euros par an au titre de cette activité pourront opter pour un rattachement au régime général, et l'article 22 du projet de loi de finances pour 2022 crée une taxe affectée à l'ARPE.
Cette urgence à avancer tient sans doute à l'agenda européen du Gouvernement.
La majorité sénatoriale entérine les orientations du Gouvernement, qui vont à rebours de la modernité démocratique qui progresse ailleurs dans le monde, face au rouleau compresseur de l'ubérisation. En Espagne ou au Portugal, les droits des travailleurs progressent. C'est le cas aussi en Angleterre, en Italie, aux Pays-Bas et en Californie.
Les juridictions françaises se prononcent dans le sens de la requalification.
La multiplication des coopératives de livraison montre le refus des professionnels de se soumettre à un modèle qui ne leur convient pas.
Le Parlement européen s'est lui aussi prononcé contre un tiers statut.
Pourquoi aller contre la reprise en main par les travailleurs de leurs destinées sociales et professionnelles ?
Madame la ministre, vous dites vouloir encourager une activité créatrice d'emplois, qui favorise une insertion professionnelle rapide tout en garantissant un socle de droits sociaux. Mais vous donnez des privilèges exorbitants à des plateformes qui fragilisent notre modèle social en échange d'un droit de survie pour des travailleurs économiquement dépendants !
Cette validation d'un état de fait est nocive à court, moyen et long termes. La tactique des petits pas est pernicieuse. Nous refusons ce tiers statut qui est antinomique de l'indépendance et fragilise aussi le salariat.
La menace est grave. Nous avons identifié dès 2018 l'intérêt des coopératives ; c'est une piste à explorer, soutenue également par le rapport Frouin.
Nous soutenons la procédure de requalification par action de groupe et la transparence des algorithmes.
Alors que le métavers se profile, brouillant la frontière entre réel et virtuel, le Gouvernement ne mesure pas l'ampleur de sa responsabilité historique pour préserver notre modèle social et politique. Avancer en catimini sur ce sujet essentiel n'est pas acceptable. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)
Mme Frédérique Puissat, rapporteur. - Le recours aux ordonnances pose certes problème. Des discussions européennes sont en cours, ce qui pose aussi la question du calendrier. Mais la commission a considéré que les plateformes étaient une opportunité économique - c'est là une divergence entre nous.
Le dialogue sectoriel nous paraît une bonne orientation.
Monsieur Savoldelli, le prix est mentionné à l'article 3, introduit par la commission.
La requalification ne correspond pas à notre vision. C'est pourquoi nous avons choisi d'amender le texte du Gouvernement. Avis défavorable à la motion.
Mme Élisabeth Borne, ministre. - Nous tenons une position d'équilibre. Nous accompagnons le développement des plateformes de mise en relation tout en améliorant la protection des droits des travailleurs.
Le dialogue social, ce n'est pas un tiers statut : c'est le moyen de construire des droits pour des travailleurs tout en respectant leur volonté, car ils restent massivement attachés à l'indépendance.
Je crois au dialogue social pour avancer vers un mieux-disant. Nous le structurons pour qu'il soit exigeant. Il existe aussi un enjeu d'attractivité et de réputation pour les plateformes.
Les prérogatives du juge resteront inchangées ; il pourra toujours requalifier un travailleur indépendant en salarié.
Le recours aux ordonnances se justifie par la nécessité d'agir vite, pour que le dispositif soit prêt pour les élections de 2022.
Le projet de loi de ratification de la nouvelle ordonnance sera l'occasion pour le Parlement de débattre à nouveau.
Mme Nathalie Delattre. - Le RDSE votera contre cette motion, même si nous déplorons le recours aux ordonnances. Nous préférons faire vivre le débat parlementaire.
M. Olivier Jacquin. - Madame la rapporteure, vous vous apprêtez à valider un tiers statut après avoir dit que vous n'en vouliez pas.
La ministre est championne du « en même temps ». Comment peut-on affirmer que le projet de loi n'interdit pas la requalification alors que l'étude d'impact évoque la sécurisation juridique du modèle économique des plateformes ? La rapporteure de l'Assemblée nationale a clairement dit qu'il s'agissait de réduire le faisceau d'indices d'une subordination et, la ministre ne l'a pas contredite. Cessez cette mascarade !
M. Pascal Savoldelli. - Nous voterons cette motion.
Les plateformes sont-elles sources d'opportunités ? Cela reste à démontrer. Elles ne sont pas sources d'emplois. Sont-elles rentables ? Aucune ne l'a prouvé - on en a même vu disparaître du jour au lendemain.
Nos acteurs économiques, qu'ils soient artisans ou petits commerçants, sont soumis à des contraintes dont les plateformes s'exonèrent. (Marques d'approbation sur les travées des groupes CRCE et SER) Chers collègues de droite, attention à cette concurrence faussée...
Nous ne sommes pas écoutés. Le Gouvernement ne bougera pas. La mission d'information sénatoriale s'est prononcée à l'unanimité contre le tiers statut. Qu'en fait-on ?
Qui définira le prix ? Ce Gouvernement, un autre ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE ; Mme Emilienne Poumirol et M. Olivier Jacquin applaudissent également.)
La motion n°1 n'est pas adoptée.
Discussion générale (Suite)
Mme Brigitte Devésa . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Stéphane Le Rudulier applaudit également.) Je félicite Mme Puissat pour sa clarté et sa lucidité. L'idéologie et les principes sont derrière tout choix politique, madame la ministre. Défendre la dignité et l'épanouissement au travail et par le travail traduit des convictions.
Le recours aux plateformes s'accompagne d'une précarité et d'un déséquilibre de la relation contractuelle. C'est le choix du moindre mal : tout plutôt que le chômage.
Ce modèle économique aura facilité l'accès à l'emploi pour des jeunes sans formation ou éloignés de l'emploi ; tout porte à croire qu'il s'étendra à d'autres secteurs.
En 2008 déjà, Hervé Novelli vantait l'autoentreprise comme qu'ascenseur social, ne nécessitant ni moyens, ni diplômes.
Mais le ministre Emmanuel Macron voyait dans le succès des plateformes un signe de notre échec à lutter contre le chômage : les quartiers où Uber embauche sont ceux auxquels nous n'avons rien à offrir. Si la lutte contre le chômage passe par le dumping social, les Français ont du souci à se faire.
La loi appelle désormais les plateformes à la responsabilité sociale. En 2018 et 2020, la Cour de Cassation a reconnu à des travailleurs de plateformes le statut de salariés, faisant écho à des décisions similaires en Californie, en Italie et au Royaume-Uni. Des pays libéraux comme les Pays-Bas ou la Suisse protègent davantage ces travailleurs que nous...
Par son ordonnance, le Gouvernement ajoute une pierre à l'édifice en posant les bases d'un dialogue social, en organisant des élections professionnelles et en finançant la formation des représentants.
La création de l'ARPE pour réguler ce dialogue permettra, espérons-le, aux travailleurs indépendants de défendre et d'améliorer leur statut.
Mais le rapport de force demeure ; si les plateformes ont salué votre ordonnance, c'est que le dialogue reste déséquilibré. Il faudra imposer un socle de thèmes de négociation obligatoires.
Ce projet de loi est discutable sur la forme et incomplet sur le fond. Le groupe UC le votera néanmoins dans sa version issue des travaux de la commission. (Mme Frédérique Puissat, rapporteur, applaudit.)
Mme Nathalie Delattre . - La numérisation de notre société introduit une forme d'urgence ; l'importance croissante des plateformes numériques modifie la structure même de notre économie. Le législateur doit intervenir.
Comment garantir la protection sociale de ces indépendants? Comment appréhender la relation contractuelle entre les plateformes et les travailleurs ? Comment poser les bases d'un dialogue social ?
Depuis la loi El Khomri, les plateformes ont des responsabilités sociales ; elles assurent le risque d'accident du travail et participent au financement de la formation des travailleurs.
La LOM de 2019 a permis aux travailleurs de gérer eux-mêmes leur planning et de se déconnecter. Ce texte s'inscrit dans cette continuité, avec la création de l'ARPE et des règles rapprochant du droit commun les travailleurs du secteur en visant à corriger l'asymétrie du rapport de force avec les plateformes.
Des questions subsistent toutefois sur son efficacité. Le dialogue aurait lieu en deux temps, d'abord au niveau du secteur, puis au niveau de la plateforme. Comment assumer la cohérence entre les deux ? Ne risque-t-on pas de miter les droits sociaux ?
L'objectif du texte est légitime ; dommage de passer par des ordonnances... Un vrai débat parlementaire aurait permis de trouver des solutions plus larges.
Les membres du RDSE se partageront majoritairement entre le vote pour et l'abstention ; certains voteront contre un texte qu'ils jugent trop fragile.
M. Olivier Jacquin . - Monique Lubin a parfaitement exposé la position du groupe SER. Pour ma part, je veux mettre en évidence le piège tendu par ces ordonnances croisées qui créent un tiers statut tout en prétendant l'inverse.
Madame la ministre, pourquoi la gauche, dans les deux chambres, est-elle opposée à un texte qui prétend pourtant organiser le dialogue social ? C'est qu'il y a un loup !
Vous écrasez les droits du Parlement par une double ordonnance. Qu'en penserait Jean-Pierre Sueur, qui a fait adopter par le Sénat une proposition de loi limitant l'usage des ordonnances ?
Le rapport de Pascal Savoldelli, adopté à l'unanimité, a montré que, derrière les VTC, qui sont l'arbre qui cache la forêt, la gangrène de la plateformisation s'étend grâce au dévoiement du statut d'autoentrepreneur. Il convient de lui opposer une puissante autorité indépendante, et pas cette ARPE aux moyens réduits... J'ai signé une tribune dans Le Monde de ce soir en ce sens, cosignée par des chercheurs et avocats, dont l'un est présent en tribune.
La rapporteure du texte à l'Assemblée nationale l'a dit explicitement : l'objectif est de réduire le faisceau d'indices susceptible de révéler l'existence d'un lien de subordination tel que défini par la jurisprudence entre les plateformes et les travailleurs, de sorte que le risque de requalification du contrat soit aussi réduit que possible.
Tout est dit !
Dans ces conditions, il est perfide de parler de dialogue social et d'octroyer quelques menus droits pour s'assurer qu'on n'aille pas y regarder de plus près. Monique Lubin l'a dit : les articles 50 bis et 50 ter du projet de loi de financement de la sécurité sociale ont exactement le même objet.
En 2018 et 2020, la Cour de cassation et la Cour d'appel de Paris ont parlé d'indépendance fictive, donc d'illégalité ! Vous, vous défendez le modèle économique des plateformes...
Madame la ministre, vous introduisez insidieusement, patiemment, ce tiers statut auquel vous prétendez être opposée. Tous ceux qui voteront l'amendement ne pourront plus dire qu'ils y sont opposés.
Madame Puissat, il y a dix-huit mois, vous vous y disiez également opposée, dans un rapport. Maintenant, vous constatez « qu'il se fait... » Il se fait pour les VTC et les livreurs, mais, vous le savez bien, la jurisprudence aura tôt fait de l'étendre aux autres travailleurs. Madame le rapporteur, vous vous êtes convertie au « en même temps » : vous n'êtes plus opposée au troisième statut et vous le prouverez par votre vote.
Madame la ministre, je vous interroge régulièrement sur le respect du droit. Que faites-vous pour rétablir l'égalité de traitement entre les petites entreprises qui paient leurs cotisations et sont régulièrement contrôlées par l'inspection du travail et les plateformes qui s'affranchissent du code du travail ? Que faites-vous contre le travail dissimulé qui ne se cache même plus, avec les locations de comptes en cascade ?
La deuxième ordonnance promet d'être des plus baroques : les travailleurs auraient le droit d'élire des représentants, mais sans connaître l'objet des négociations ? Comment justifier cet état de fait s'ils sont des entreprises ? Le Conseil d'État a raison de parler d'une « applicabilité incertaine », il y aura des contestations au regard du droit de la concurrence et de l'article 101 du traité de fonctionnement de l'Union européenne.
Qu'en est-il des conditions de représentation au sein des plateformes ? Leur poids respectif sera-t-il fonction de leur chiffre d'affaires, ou du nombre de travailleurs ? Les plateformes ne seront-elles pas tentées, quelques jours avant l'élection, de déconnecter leurs travailleurs les plus remuants ?
Chers collègues, ne faites pas le choix de la précarité contre un peu d'activité ! D'autres solutions existent : les plateformes Take Eat Easy et Gorillas embauchent en CDI ; l'Espagne a fait le choix de la présomption de salariat, comme nous l'avions proposé dans notre proposition de loi rejetée en mai dernier ; le Parlement européen a voté une proposition de résolution sur le rapport de Sylvie Brunet, députée européenne En Marche, qui inverse la charge de la preuve. Je me réjouis que le commissaire Nicolas Schmit reprenne cette idée dans le projet de directive sur les travailleurs des plateformes qui sera présenté le 8 décembre.
Le groupe SER a donc présenté des amendements de suppression des trois articles.
S'ils ne sont pas adoptés, nous voterons contre ce texte, dangereux cheval de Troie contre nos valeurs de solidarité et de justice. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
M. Dominique Théophile . - (M. Martin Lévrier applaudit.) Ces derniers mois, le Sénat a examiné plusieurs propositions de loi relatives aux travailleurs des plateformes. En mai, la dernière du groupe SER facilitait notamment les actions de groupe et supprimait la présomption de non salariat en cas de management algorithmique. Le RDPI s'était opposé à une solution uniforme : il y a autant de modèles que de plateformes.
Il est abusif de croire que la requalification en salariat soit unanimement souhaitée : au contraire, une majorité des travailleurs indépendants souhaite conserver l'agilité de ce statut.
Pour autant, il est urgent de faire évoluer le cadre juridique. Le développement exponentiel des plateformes de VTC et de livraison nécessite une réponse rapide du législateur pour protéger les travailleurs et promouvoir le dialogue social, seul moyen pour concilier protection et agilité.
La loi Travail et la LOM ont introduit de nombreuses garanties ; dans la continuité du rapport de Jean-Yves Frouin, le Gouvernement instaure par son ordonnance du 21 avril 2021 un dialogue social entre les plateformes et les travailleurs dans les secteurs des VTC et de la livraison.
L'article 2 du texte habilite le Gouvernement à prendre des ordonnances pour finaliser le nouveau cadre de dialogue social. La commission a réduit de douze à six mois l'habilitation ; elle a supprimé le rôle de médiation entre plateformes et travailleurs de l'ARPE, inscrivant directement dans la loi le champ et la périodicité de la négociation collective. Nous le regrettons, car cela occasionnera un retard alors que le temps est compté. Les missions de médiation et d'expertise de l'ARPE sont les conditions indispensables d'un dialogue social équilibré.
Le RDPI votera donc les amendements de rétablissement du Gouvernement, et, même s'ils n'étaient pas adoptés, ce projet de loi indispensable à la clarification du cadre juridique. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Pierre-Jean Verzelen . - Depuis quelques années, nous assistons au développement exponentiel des plateformes de mise en relation - c'est le phénomène de l'ubérisation, mot qui est même entré dans le dictionnaire.
La crise sanitaire a accéléré le phénomène, surtout dans les domaines de la restauration à domicile et des transports. Le législateur et le Gouvernement ont été quelque peu pris de court.
Les situations sont très hétérogènes entre emploi et activité, comme le disait M. Savoldelli. Un chauffeur Uber s'endette pour acquérir son véhicule et organise sa vie autour de son activité : on peut peut-être parler d'emploi. Pour un livreur Uber Eats qui prend son vélo quelques heures par semaine, il est préférable de parler d'activité.
Malgré une protection sociale faible, des salaires bas et des horaires compliqués, c'est néanmoins un secteur qui se développe et crée de l'activité. Pourquoi ? Je crois, pour en avoir parlé avec certains d'entre eux, que la clé est la souplesse pour le travailleur. Mais en contrepartie, il doit y avoir un cadre protecteur. Depuis 2016, les plateformes doivent prendre en charge l'assurance contre les accidents du travail et participer au financement de la formation des travailleurs ; ceux-ci ont le droit de se constituer en organisations syndicales.
La LOM a autorisé le Gouvernement à prendre, par ordonnance, les mesures relatives à la représentation des travailleurs indépendants.
Madame la ministre, si l'émergence de nouvelles formes de travail ouvre des perspectives économiques nouvelles, elle pose aussi de nouveaux défis sociaux.
Le groupe Les indépendants partage l'objectif du texte et le votera.
Mme Chantal Deseyne . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le groupe Les Républicains partage le constat du rapporteur : le développement des plateformes répond aux besoins des consommateurs, mais aussi à la demande d'indépendance des travailleurs concernés. Néanmoins, ces derniers ne sont en réalité ni de vrais indépendants ni des salariés.
Ils n'ont donc qu'une protection sociale lacunaire. Le Sénat a plusieurs fois recherché une solution juridique, comme l'illustre le rapport de 2020 de Frédérique Puissat, Catherine Fournier et Michel Forissier, qui appelait à dépasser la question du statut pour apporter des réponses pragmatiques.
Nous saluons les concrétisations apportées par ce texte, même si le calendrier du texte interfère avec les travaux européens.
Nous déplorons l'habilitation demandée à l'article 2, heureusement resserrée par la commission des affaires sociales. Dans la lignée de la LOM, ce texte constitue une première étape de l'organisation du dialogue social, dans les deux secteurs des VTC et de la livraison, qui comportent des risques particuliers et sont marqués par la précarité.
Fixation des tarifs, développement des compétences et définition des risques : le rapport de mai 2021 prévoyait des sujets de négociation obligatoires. Je salue le travail de la rapporteure qui reprend ces thèmes à l'article 3. Nous nous opposerons à l'organisation par ordonnance du dialogue social au niveau des plateformes, prématurée, ainsi qu'au rôle de médiateur de l'ARPE.
Il ne faut pas perdre de temps sur le dialogue social par secteur, d'où la réduction du délai d'habilitation à six mois.
Le groupe Les Républicains votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Raymonde Poncet Monge . - (Applaudissements sur les travées du GEST ; M. Olivier Jacquin applaudit également.) Le texte semble de prime abord un progrès pour les travailleurs des plateformes. Mais qu'est-ce qu'un dialogue social sans droit à négocier ? De fait, les travailleurs n'ont toujours pas de salaire minimum, ni de protection contre le licenciement par déconnexion, ni de congés payés. L'ordonnance est volontairement vide, sans protection pour les travailleurs ni correction de la subordination entre plateforme et travailleurs.
Je parle à dessein de subordination, car telle est la réalité.
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Exactement !
Mme Raymonde Poncet Monge. - Il faut respecter l'aspiration à l'autonomie de certains travailleurs, mais si les plateformes ne veulent pas entendre parler du salariat, c'est que leur développement n'est pas assis sur la rentabilité mais sur la manne versée par des fonds d'investissement pour garantir une entrée rapide en bourse et les dividendes qui suivent. C'est une bulle qui risque d'éclater un jour, comme la bulle internet dans les années 2000.
Comme le dit Naomi Klein, dans la société libérale, il faut produire des marques avant de produire des marchandises.
Jacques Ellul le disait bien : le solutionnisme technologique est un « bluff technologique » ; en 1988, il dénonçait déjà les risques pour la classe ouvrière de glisser dans la précarisation - nous y sommes ! La gig economy rétablit le travail à la pièce du XIXe siècle, dans lequel Marx voyait la forme optimale du capitalisme, qui propose des prix toujours plus bas au travailleur pour des profits toujours plus élevés.
C'est le sort des 250 000 travailleurs indépendants de France, liés à bien d'autres plateformes que celles visées par ce texte.
La République du Printemps des peuples, en 1848, avait interdit ce travail à la pièce ; voici qu'il revient au XXIe, en se présentant comme une nouveauté ! Mais la plateformisation n'est pas le futur.
Il n'y a pas de négociation sans protection ni d'encadrement du dialogue social sans débat au Parlement.
Le GEST votera contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du GEST et des groupes SER et CRCE)
Mme Cathy Apourceau-Poly . - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE) Le Sénat a achevé samedi dernier l'examen du PLFSS, dont l'article 50 bis traitait du sujet qui nous occupe cet après-midi.
À mon tour, je regrette le recours aux ordonnances. Outre ce nouveau dessaisissement du Parlement, le projet de loi n'aborde pas le statut des travailleurs et ne traite que des plateformes de mobilité. Les 50 000 travailleurs concernés, dénués de toute garantie, pourront donc élire des représentants ; mais pour négocier quoi ?
Le texte vise à éviter les requalifications en salariat, en opposition avec les arrêts de la Cour de cassation qui a reconnu la qualité de salarié à des travailleurs de plateforme Take it Easy et d'Uber.
Comme l'a dit mon collègue Savoldelli, ce texte traduit le manque d'ambition du Gouvernement. Le rapport Frouin de 2020 développait pourtant plusieurs pistes, dont la reconnaissance du statut de salarié : ce texte n'apporte aucune garantie minimale de protection aux travailleurs des plateformes.
Comme l'a pointé la mission d'information de Pascal Savoldelli sur l'ubérisation, ces plateformes ont révolutionné nos manières de consommer et de travailler. Il avait beaucoup travaillé sur la question ; mais à quoi bon, puisque le travail du Parlement passe systématiquement à la trappe ?
Les plateformes cherchent à profiter d'un coût du travail bien moindre que le salariat. Leur représentant l'a avoué en audition devant l'Assemblée nationale : « nous ne sommes pas profitables, mais à la recherche d'un modèle économique. » Triste aveu !
La priorité est donc la reconnaissance légale d'un statut de salarié pour ces travailleurs, comme l'a fait l'Espagne à l'été 2021. Cela clarifierait leur statut, améliorerait leurs conditions de travail et reconnaîtrait le lien de dépendance économique.
Le CRCE votera contre ce projet de loi de ratification et d'habilitation. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER)
Mme Élisabeth Borne, ministre. - La volonté du Gouvernement est de permettre le développement des plateformes, car celles-ci offrent des services et créent des emplois...
M. Fabien Gay et M. Pascal Savoldelli. - Non !
Mme Élisabeth Borne, ministre. - ... tout en garantissant un socle de droits. Nous pensons que cela ne passe pas par un débat sur le statut, mais par un dialogue social équilibré.
Le travail des plateformes n'est naturellement pas l'alpha et l'oméga de notre politique...
M. Fabien Gay. - Encore heureux !
Mme Élisabeth Borne, ministre. - Réjouissons-nous donc des 800 000 emplois salariés créés depuis le début du quinquennat, des 200 000 emplois salariés créés depuis la crise. (Mme Cathy Apourceau-Poly proteste.) Je rappelle le plan d'investissement dans les compétences, le plan « Un jeune, une solution » ou les contrats d'engagement jeune.
Je suis surprise qu'on fasse l'éloge de la situation en Espagne. Des plateformes ont quitté ce pays.
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Lesquelles ?
Mme Élisabeth Borne, ministre. - Quant au statut britannique des workers, il n'est pas le salariat. (Protestations sur les travées du groupe CRCE)
Monsieur Jacquin, je devrais m'interroger sur le fait que la partie gauche de l'hémicycle soit opposée au dialogue social ? (Vives protestations à gauche)
Mme Monique Lubin. - Caricature.
M. Pascal Savoldelli. - Ayez un peu de mémoire ! Souvenez-vous de vos fonctions antérieures !
Mme Élisabeth Borne, ministre. - Dans ce projet de loi, qu'est-ce qui empêche au juge de requalifier un emploi ?
Nous n'acceptons pas la sous-location des comptes. Nous avons réuni les plateformes...
M. Olivier Jacquin. - Pour les gronder ?
Mme Élisabeth Borne, ministre. - Nous leur avons demandé de prendre des mesures et attendons des engagements pour la fin de l'année.
Madame le rapporteur, nous avons besoin de temps pour préciser, via la concertation, le contenu des négociations. Mon amendement n°17 encadre cependant davantage l'habilitation en précisant les thèmes.
Discussion des articles
ARTICLE PREMIER
M. Olivier Jacquin . - L'une des propositions de la mission d'information sénatoriale, votée à l'unanimité, était de disposer de chiffres plus précis concernant la plateformisation.
On parle d'une étude selon laquelle 80 % des travailleurs rejetteraient le salariat, mais c'est une étude d'Uber ! L'Intersyndicale nationale VTC (INV) n'a pas les mêmes éléments...
Tandis que nous constatons des déconnexions sans explication, qui aura le droit de vote pour l'élection des représentants ?
Quand Mme la ministre prétend que la gauche serait contre le dialogue social, je ne peux le prendre que comme de l'humour...
Madame la ministre, vous n'êtes pas Waldeck-Rousseau qui a permis aux syndicats d'exister en 1884. Il aura fallu cinquante ans pour les congés payés. Pas par le dialogue social, mais par la lutte. Je vous invite à relire Robert Castel sur la métamorphose du travail.
Enfin, madame Puissat, ce texte empêche la présomption de salariat qui, je l'espère, reviendra par la directive européenne.
M. le président. - Amendement n°3, présenté par Mme Lubin et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Supprimer cet article.
Mme Monique Lubin. - Que vous le vouliez ou non, cet article instaure de fait un tiers statut, dont nous ne voulons pas.
Plus vous inscrirez dans le marbre de la loi des conditions de dialogue social, plus le statut existera. De quoi parlons-nous ? Des VTC et des livreurs de repas. Je ne veux pas être désagréable avec les travailleurs en question, mais livrer un repas, est-ce de la création de richesses et d'emploi ? L'emploi ne doit pas asservir, mais permettre à chacun de se réaliser.
Vous le savez bien, lorsqu'on s'inscrit sur ces plateformes, c'est qu'on ne peut pas faire autrement. N'inscrivons pas dans la loi cet esclavage moderne ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Cathy Apourceau-Poly applaudit également.)
M. le président. - Amendement identique n°8, présenté par Mme Apourceau-Poly et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
M. Fabien Gay. - Par le fameux dialogue social, pensez-vous vraiment que les problèmes de la santé, de la juste rémunération, de la protection sociale et de l'accès aux algorithmes seront résolus, madame la ministre ?
Je n'aime d'ailleurs guère ce terme de dialogue ; je lui préfère celui de négociation, qui rend mieux compte de la nécessité de la lutte pour équilibrer le rapport de force. C'est comme le « plan de sauvegarde de l'emploi », qui n'a jamais été autre chose qu'un plan de licenciement ! Pensez à ces jeunes, souvent des sans-papiers ; pourront-ils s'asseoir autour d'une table avec les interlocuteurs des grandes plateformes et régler toutes les questions que vous vous refusez à traiter par la loi ? Vous savez bien que non !
M. le président. - Amendement identique n°21, présenté par Mme Poncet Monge, MM. Benarroche et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé, Parigi et Salmon et Mmes Taillé-Polian et M. Vogel.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Si le dialogue social est une nécessité, les dispositions de l'ordonnance maintiennent les représentants des travailleurs dans leur fragilité et renoncent à la transposition de certains droits sociaux. Le rapport de force est de fait inégal.
Nous sommes destitués de notre rôle par les ordonnances. À défaut d'une présomption de salariat - quoique -la loi devrait définir des droits pour ces travailleurs ; en attendant, supprimons cet article.
Mme Frédérique Puissat, rapporteur. - Avis défavorable à cette suppression. Monsieur Théophile, nous avons adopté trois modifications, mais sans dénaturer l'ordonnance.
Chers collègues, il faut savoir raison garder. Le sujet passionne et constitue un marqueur politique à gauche, je l'ai bien compris. De notre côté, nous sommes constants dans l'idée que les plateformes sont une opportunité pour compléter ses revenus et créer des secteurs d'activité - certains n'existeraient pas sans elles. Le rapport de la mission d'information était opposé à la requalification salariale comme au tiers statut et favorable au dialogue social (Mme Cathy Apourceau-Poly ironise.)
Monsieur Jacquin, le dialogue social n'est pas réservé à la gauche.
M. Olivier Jacquin. - Nous n'avons jamais dit cela, c'est la ministre...
Mme Frédérique Puissat, rapporteur. - Nous y tenons tous. Nous considérons qu'un tel dialogue peut être mis en place et peut seul rééquilibrer les rapports de force. Ces caricatures ne sont pas respectueuses des travailleurs des plateformes, madame Lubin. Avis défavorable.
Mme Élisabeth Borne, ministre. - Avis défavorable à la suppression de l'article premier, cela va de soi.
Monsieur Gay, nous nous sommes opposés à la sous-location de comptes, qui peuvent conduire à du travail dissimulé.
M. Fabien Gay. - Il existe !
Mme Élisabeth Borne, ministre. - Je l'ai dit à deux reprises aux plateformes et nous attendons la suppression de ces sous-locations avant la fin de l'année.
Monsieur Jacquin, vous ne semblez pas croire au dialogue social. Pour ma part, je crois au dialogue, à la négociation, ils sont créateurs de droits pour les travailleurs.
Mme Monique Lubin. - Madame le rapporteur a parlé de création d'activités qui n'existaient pas auparavant. Par flemme d'aller chercher soi-même sa pizza, on la fait venir, sous une pluie battante, par une personne payée 3 euros : est-ce vraiment une activité ? Cela me heurte terriblement. Ce serait différent si le livreur était recruté pour 35 heures, avec une rémunération au moins égale au SMIC. Mais ce texte ne leur garantira pas une protection suffisante.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Que Mme le rapporteur nous dise en quoi ce texte rééquilibrerait la relation entre les plateformes et les travailleurs. En quoi l'asymétrie est-elle corrigée par cette ordonnance ou celle à venir - puisque c'est une forme de mise en abîme, ou de ripolinage...
M. Pascal Savoldelli. - Êtes-vous au courant des décisions de justice sur le travail dissimulé ? Chez Deliveroo, deux ans de travail dissimulé pour des centaines voire des milliers de jeunes ! Et vous n'avez pas l'air de savoir de quoi je parle, madame la ministre. Ce n'est pas une histoire de marqueurs politiques !
J'indique à notre rapporteur que l'un des cinq candidats à la primaire Les Républicains a parlé il y a deux ans de « canuts du XXe siècle ». Et on ne peut l'accuser d'être de gauche !
Un jeune livreur payé 3,80 euros la course, croyez-vous qu'il va recourir à une juridiction, penser à sa protection sociale ? C'est insolent.
M. Fabien Gay. - « Les plateformes numériques créent de l'emploi », avez-vous affirmé, madame la ministre. Mais qu'appelez-vous un emploi ? Ces entreprises n'ont que quelques dizaines de salariés, pour faire tourner les services juridiques et la grande maison. Pour le reste, il ne s'agit pas d'emplois, mais d'activité. Pas de salaires, pas de cotisations...
M. le président. - Il me semblait avoir entendu « activité »...
Mme Élisabeth Borne, ministre. - Le travail indépendant, ce n'est pas de l'activité ?
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Pas celui-là !
M. Olivier Jacquin. - Le travail dissimulé, ce sont des actes délictueux. La droite ne supporte généralement pas que les règles de la concurrence soient faussées. Je m'étonne qu'elle ne réagisse pas à ces insupportables distorsions.
La petite plateforme Mediflash propose à l'hôpital, en profitant de la pénurie, des infirmiers et des aides-soignants, en autoentrepreneurs. Madame la ministre, je vous donnerai ses coordonnées, si vous entendez vraiment faire des contrôles... Les agences d'intérim, pendant ce temps, paient des cotisations et des impôts.
J'aurais aimé entendre le rapporteur sur le tiers statut, auquel elle était auparavant à demi opposée.
Les amendements identiques nos3, 8 et 21 ne sont pas adoptés.
M. le président. - Amendement n°15, présenté par le Gouvernement.
Alinéas 2 à 7
Supprimer ces alinéas.
Mme Élisabeth Borne, ministre. - Il s'agit de rétablir la version de l'ordonnance du 21 avril 2021, concernant la désignation des organisations qui représentent les travailleurs des plateformes, et concernant le champ d'intervention et l'organisation de l'ARPE.
Je ne vois pas pourquoi les travailleurs concernés ne pourraient pas être des représentants dans les deux champs.
Par ailleurs, il n'est pas opportun de réduire le champ d'action de l'ARPE et de supprimer la présence des parlementaires à son conseil d'administration.
Monsieur Jacquin, il y a et il y aura des contrôles de l'inspection du travail pour lutter contre le faux travail indépendant.
M. Olivier Jacquin. - Le travail dissimulé !
Mme Frédérique Puissat, rapporteur. - En cas de dialogue intersectoriel, il faut éviter qu'un même travailleur vote deux fois. En outre, l'ARPE aura déjà fort à faire avec le dialogue social, et ne doit pas grossir de façon démesurée car il y aurait là un risque financier.
Enfin, le Sénat ne souhaite pas que les parlementaires siègent dans de trop nombreuses entités extérieures. Avis défavorable.
L'amendement n°15 n'est pas adopté.
L'article premier est adopté.
APRÈS L'ARTICLE PREMIER
M. le président. - Amendement n°4, présenté par Mme Lubin et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Après l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le II de l'article 2 de l'ordonnance n°2021-484 du 21 avril 2021 relative aux modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant pour leur activité aux plateformes et aux conditions d'exercice de cette représentation est abrogé.
Mme Monique Lubin. - Cet amendement supprime les dispositions de l'ordonnance du 21 avril 2021 prévoyant des mesures dérogatoires en matière de représentativité des organisations, notamment un seuil de 5 % de suffrages exprimés pour le premier scrutin.
Nous refusons ce sur-mesure pour les plateformes.
Mme Frédérique Puissat, rapporteur. - Nous souhaitons ce dialogue. Il est vrai que le seuil de 5 % a été inventé pour la circonstance, mais il s'agit de mesures transitoires susceptibles de développer l'appétence pour ces élections.
Mme Élisabeth Borne, ministre. - Le seuil de 5 % est issu de la concertation avec le secteur. Avis défavorable.
L'amendement n°4 n'est pas adopté.
ARTICLE 2
M. le président. - Amendement n°2, présenté par Mme Lubin et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Supprimer cet article.
Mme Monique Lubin. - Petit à petit, on élabore un tiers statut que nous refusons.
M. le président. - Amendement identique n°5, présenté par Mme Apourceau-Poly et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
M. Pascal Savoldelli. - On va laisser aux plateformes le pouvoir de définir les minima ? Aucune contrainte n'est prévue, alors que les travailleurs sont précaires et isolés. Gouvernement et législateur se doivent de poser le cadre.
M. le président. - Amendement identique n°22, présenté par Mme Poncet Monge, MM. Benarroche et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé, Parigi et Salmon et Mmes Taillé-Polian et M. Vogel.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Ce n'est pas par la voie d'ordonnances qu'un tel sujet doit être abordé.
L'ARPE n'aura qu'un rôle réduit, sans pouvoir intervenir en cas d'abus. Le Parlement est dessaisi et le dispositif proposé est une coquille vide. Quant aux 200 000 travailleurs concernés, ils resteront démunis.
On ne peut faire l'économie d'un projet de loi sur leurs droits sociaux !
Mme Frédérique Puissat, rapporteur. - Nous avons modifié l'ordonnance, pour porter le dialogue social au niveau sectoriel, en introduisant des champs obligatoires et en précisant le rôle de l'ARPE. Avis défavorable.
Mme Élisabeth Borne, ministre. - Avis défavorable. Les habilitations sont importantes pour structurer le dialogue social. La concertation se poursuit, c'est pourquoi nous demandons à procéder par ordonnance.
Cependant, certains thèmes de négociation seront incontournables, comme le revenu minimal d'activité, la sécurisation des parcours professionnels et l'amélioration des conditions de travail.
Je suis à la disposition du Parlement pour vous informer de l'avancée de la préparation des ordonnances. La ratification nous donnera à nouveau l'occasion de débattre.
M. Pascal Savoldelli. - Deux groupes ont déposé deux propositions de loi. Une mission sénatoriale a travaillé sur le sujet. Or jamais nous n'avons été contactés, ni sollicités par votre cabinet pour fournir notre avis et nos analyses.
Après cela, vous clamez que vous êtes à la disposition du Parlement...
Mme Monique Lubin. - Voilà quatre ans que nous menons un travail de fond. Le Gouvernement n'en fait aucun cas. Encore et toujours des ordonnances !
Les amendements identiques nos2, 5 et 22 ne sont pas adoptés.
M. le président. - Amendement n°16, présenté par le Gouvernement.
Alinéa 1
Remplacer le mot :
six
par le mot :
douze
Mme Élisabeth Borne, ministre. - La priorité, c'est le dialogue au niveau du secteur. Mais il faut aussi organiser un dialogue au niveau des plateformes. D'où le délai de douze mois.
M. le président. - Amendement n°17, présenté par le Gouvernement.
Alinéa 4
Compléter cet alinéa par les mots :
, ainsi que la périodicité des négociations obligatoires et les domaines concernés qui pourront notamment couvrir les modalités de détermination des revenus des travailleurs, les modalités du développement des compétences professionnelles et de la sécurisation des parcours professionnels des travailleurs et les mesures visant à améliorer les conditions de travail et à prévenir les risques professionnels auxquels les travailleurs peuvent être exposés en raison de leur activité
Mme Élisabeth Borne, ministre. - Il s'agit de rétablir l'habilitation à fixer par ordonnance les domaines et la périodicité de la négociation obligatoire au niveau du secteur d'activité.
M. le président. - Amendement n°18, présenté par le Gouvernement.
I. - Alinéa 6
Compléter cet alinéa par les mots :
ainsi qu'avec les accords de plateforme, en déterminant pour quels thèmes de négociation et dans quelles conditions les accords de secteur peuvent primer sur les accords de plateforme, et inversement
II. - Alinéa 10
Rétablir le 2° dans la rédaction suivante :
2° De fixer les règles organisant, au niveau de chacune des plateformes mentionnées à l'article L. 7342-1 du code du travail relevant des secteurs d'activité mentionnés à l'article L. 7343-1 du même code, le dialogue social avec les travailleurs indépendants mentionnés à l'article L. 7341-1 dudit code qui y recourent pour leur activité, en définissant :
a) Les modalités de représentation des travailleurs indépendants ainsi que les conditions d'exercice de cette représentation, en particulier, le cas échéant, les garanties offertes aux représentants en termes de protection contre la rupture du contrat ;
b) L'objet et le contenu des accords de plateforme, notamment leur champ d'application, leur forme et leur durée, ainsi que, le cas échéant, les domaines et la périodicité de la négociation obligatoire ;
c) Les conditions de négociation, de conclusion et de validité des accords de plateforme ;
d) L'articulation des accords de plateforme avec les dispositions légales et réglementaires, les contrats conclus entre travailleurs indépendants et plateformes et les chartes établies en application de l'article L. 7342-9 du même code ;
e) Les conditions d'application des accords de plateforme ainsi que les modalités d'information des travailleurs indépendants sur ces accords ;
f) Les modalités selon lesquelles les plateformes assurent l'information et la consultation des travailleurs indépendants sur les conditions d'exercice de leur activité ;
Mme Élisabeth Borne, ministre. - Il faut également structurer le dialogue au niveau des plateformes, en particulier préciser les thèmes qui pourront être traités.
Mme Frédérique Puissat, rapporteur. - Nous avons raccourci le délai d'habilitation de douze à six mois en considérant que l'urgence est à développer le dialogue au niveau du secteur ; et que celui au niveau des plateformes ne sera pas forcément nécessaire - tout dépendra de l'approche retenue au niveau du secteur. Avis défavorable aux amendements nos16 et 18.
Quant aux items sur le revenu, les compétences et les conditions de travail, nous préférons les inscrire dans la loi, c'est ce que nous avons fait à l'article 3 et préférons notre rédaction à celle de l'amendement n°17, pas suffisamment précise. Avis défavorable.
Les amendements nos16, 17 et 18 ne sont pas adoptés.
M. le président. - Amendement n°19, présenté par le Gouvernement.
Alinéa 14
Rétablir les c et d dans la rédaction suivante :
c) D'exercer un rôle de médiation entre les plateformes et les travailleurs indépendants, notamment en cas de suspension provisoire ou de rupture du contrat commercial à l'initiative de la plateforme ;
d) D'exercer un rôle d'expertise, d'analyse et de proposition concernant l'activité des plateformes et de leurs travailleurs.
Mme Élisabeth Borne, ministre. - Nous souhaitons confier à l'ARPE un rôle d'expertise et de proposition et un rôle de médiation en cas de différend entre un travailleur et une plateforme.
Mme Frédérique Puissat, rapporteur. - Le rôle de médiation ne va pas être facile...
L'ARPE doit se cantonner au dialogue social.
L'amendement n°19 n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°7, présenté par Mme Apourceau-Poly et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Alinéas 15 à 17
Supprimer ces alinéas.
M. Pascal Savoldelli. - On nous parle d'améliorer l'autonomie, mais c'est la présomption d'indépendance de ces travailleurs que vous voulez renforcer, en contournant la jurisprudence de la Cour de cassation et l'arrêt Hubert du 4 mars 2020 ! Ce faisant, vous sécurisez le modèle économique des plateformes. C'est un choix politique...
Ce tiers statut moins-disant serait source de désordre social.
Mme Frédérique Puissat, rapporteur. - Défavorable, car la disposition que vous supprimez répond à une aspiration des travailleurs indépendants, pour rééquilibrer leurs relations avec les plateformes.
Mme Élisabeth Borne, ministre. - Il s'agit de préserver l'autonomie des travailleurs - par exemple sur le choix d'un itinéraire. Nous n'allons pas à l'encontre de la jurisprudence de la Cour, nous en tirons les conséquences. Avis défavorable.
M. Pascal Savoldelli. - C'est du service commandé !
L'amendement n°7 n'est pas adopté.
L'article 2 est adopté.
APRÈS L'ARTICLE 2
M. le président. - Amendement n°12, présenté par Mme Apourceau-Poly et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Après l'article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l'article L. 7343-4 du code du travail, il est inséré un article L. 7343-... ainsi rédigé :
« Art. L. 7343 - .... - La négociation au niveau des secteurs porte sur les thèmes suivants :
« 1° Les modalités de détermination des revenus des travailleurs, y compris le prix de leur prestation de services ;
« 2° Les modalités de détermination des revenus des travailleurs lors de la négociation au niveau des secteurs prévues au 1° doivent s'organiser sur base d'un minimum légal de rémunération sur la base du salaire minimum interprofessionnel de croissance horaire ;
« 3° Le minimum légal de rémunération sur la base d'un salaire minimum interprofessionnel de croissance horaire prévues au 2° s'appuie sur un temps de travail temps de mise à disposition et de connexion du travailleur sur l'application ou le site Internet par lequel la plateformes numérique de travail organise l'activité économique qu'elles créent ;
« 4° Les conditions d'exercice de l'activité professionnelle des travailleurs ou sur tout changement les affectant, ce qui inclut la transparence, la lisibilité et l'évolution des algorithmes ;
« 5° Les modalités de partage d'informations et de dialogue entre les plateformes et les travailleurs sur les conditions d'exercice de leur activité professionnelle ;
« 6° Une négociation peut également être engagée au niveau du secteur sur tout autre thème relatif aux conditions d'exercice de l'activité, à l'exception de la protection sociale obligatoire et complémentaire. »
M. Fabien Gay. - Au regard des mouvements sociaux - grèves, blocages, accidents graves - et des difficultés de dialogue entre les plateformes et les collectifs existants, il convient de bien délimiter les objets du dialogue social entre plateformes et travailleurs indépendants : prix de la prestation, conditions d'exercice de l'activité, dont le fonctionnement des algorithmes.
Le prix des prestations constitue l'élément central de la négociation attendue : en découle, pour les travailleurs, la capacité de percevoir un revenu décent et de financer, via leurs cotisations, leur protection sociale.
La protection sociale obligatoire et complémentaire doit donc être exclue du champ du dialogue social, a? l'échelle de la plateforme comme du secteur. Sinon, cela reviendrait a? créer un tiers statut, avec des droits inférieurs a? ceux des salariés mais supérieurs a? ceux des autres indépendants ; ce serait cause d'une dépendance sociale inacceptable pour des travailleurs dits indépendants, et d'inégalités de traitement entre travailleurs. Enfin, cela nuirait a? la capacité? des travailleurs indépendants a? négocier le prix de leur prestation.
Mme Frédérique Puissat, rapporteur. - Cet amendement rejoint notre travail sur l'article 3, consistant à fixer dans la loi les thèmes de négociation. Nous allons plus loin que l'ordonnance initiale, tout en laissant sa place au dialogue social. Avis défavorable.
Mme Élisabeth Borne, ministre. - Même avis.
L'amendement n°12 n'est pas adopté.
ARTICLE 3
M. le président. - Amendement n°14, présenté par Mme Lubin et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Supprimer cet article.
Mme Monique Lubin. - Cet article 3 participe de la logique de création d'un tiers statut.
Le groupe SER soutient depuis plusieurs années la reconnaissance du salariat pour ces travailleurs et souhaite instaurer une présomption réfragable de relation de travail pour les travailleurs ayant recours à des plateformes. Hélas notre amendement a été déclaré irrecevable.
M. le président. - Amendement identique n°20, présenté par le Gouvernement.
Mme Élisabeth Borne, ministre. - Même amendement mais dans une logique toute différente : nous souhaitons en rester aux termes de l'habilitation.
Mme Frédérique Puissat, rapporteur. - La commission estime au contraire qu'il faut inscrire dans la loi les thèmes de la négociation. Avis défavorable.
À la demande du groupe Les Républicains, les amendements identiques nos14 et 20 sont mis aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°38 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 328 |
Pour l'adoption | 115 |
Contre | 213 |
Le Sénat n'a pas adopté.
M. le président. - Amendement n°25, présenté par Mme Poncet Monge, MM. Benarroche et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé, Parigi et Salmon et Mmes Taillé-Polian et M. Vogel.
I. - Alinéa 11
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Ce prix ne peut être inférieur au salaire minimum interprofessionnel de croissance horaire en vigueur, majorations et suppléments inclus.
II. - Alinéa 27
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Ce prix ne peut être inférieur au salaire minimum interprofessionnel de croissance horaire en vigueur, majorations et suppléments inclus.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Selon l'Organisation internationale du travail, dans le monde, le revenu horaire moyen des personnes travaillant sur des plateformes ne dépasse pas les 3,4 dollars par heure, et la moitié gagne moins de 2,1 dollars.
Pour dégager un salaire minimum, un livreur doit travailler 14 à 15 heures par jour.
Sous couvert d'autonomie, on leur impose une tarification arbitraire ; la fluctuation des rémunérations conduit à leur paupérisation.
Nous proposons un tarif minimum égal au SMIC horaire : c'est l'une des recommandations du rapport Frouin. Qu'attendons-nous ?
Mme Frédérique Puissat, rapporteur. - La référence au SMIC horaire n'est pas appropriée dans le cadre d'une tarification à la prestation. Avis défavorable.
Mme Élisabeth Borne, ministre. - Même avis.
L'amendement n°25 n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°27, présenté par Mme Poncet Monge, MM. Benarroche et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé, Parigi et Salmon et Mmes Taillé-Polian et M. Vogel.
I. - Alinéa 13
Compléter cet alinéa par les mots :
en tenant compte des dispositions de l'article L. 4624-1
II. - Alinéa 30
Compléter cet alinéa par les mots :
en tenant compte pour cela des dispositions de l'article L. 4624-1
Mme Raymonde Poncet Monge. - Le 20 mars 2021, un livreur mourait dans le Rhône, percuté par une voiture. Il y a eu six morts depuis 2019 selon le Collectif des livreurs autonomes de Paris (CLAP). L'activité de livreur chez Deliveroo est quinze fois plus accidentogène qu'une activité classique de livraison. Les plateformes imposent des cadences infernales mais ne sont responsables de rien.
Certains travaillent jusqu'à 80 heures par semaine, avec 30 à 60 secondes pour accepter une course...
Cet amendement renforce la protection contre les risques professionnels en référence aux dispositions du code du travail.
Mme Frédérique Puissat, rapporteur. - Nous partageons votre préoccupation mais l'amendement me semble satisfait par la loi du 2 août 2021, qui renvoie au décret. Retrait ou avis défavorable.
Mme Élisabeth Borne, ministre. - En effet, la loi du 2 août 2021 relative à la santé au travail prévoit que les travailleurs indépendants peuvent s'affilier au service de santé au travail interentreprises de leur choix.
La prévention des risques professionnels a vocation à faire partie des thèmes du dialogue social. Retrait ou avis défavorable.
L'amendement n°27 n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°26, présenté par Mme Poncet Monge, MM. Benarroche et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé, Parigi et Salmon et Mmes Taillé-Polian et M. Vogel.
Compléter cet article par quatre alinéas ainsi rédigés :
« ...° Le tarif minimal de prestation ;
« ...° Les modalités visant à instaurer une durée maximale d'activité quotidienne et hebdomadaire ainsi que les temps de pause, de repos et de congés en référence aux dispositions des articles L. 3121-18, L. 3121-20, L. 3121-16, L. 3131-1, L. 3132-2, L. 3132-3, L. 3132-1, L. 3141-1 et suivant ;
« ...° Les modalités de déconnexion d'un travailleur par la plateforme, le temps de préavis, ainsi que le montant et le versement d'indemnités compensatrices ;
« ...° Les modalités garantissant l'effectivité des droits établis à l'article L. 4131-1 et L. 4131-2. »
Mme Raymonde Poncet Monge. - Un dialogue social sans droits sociaux, c'est une coquille vide.
Sur quoi discuter, si l'on ne fait pas référence aux droits sociaux inscrits dans le code du travail - tarif minimum, temps de travail maximal, indemnités de licenciement, congés payés, droit de retrait ?
Cet amendement donne du contenu à la négociation.
Pour Emmanuel Kant, l'autonomie de l'individu ne se conçoit que pour autant qu'il se réfère à des règles universelles. Ces règles, en l'espèce, ce sont les droits sociaux définis par le code du travail !
Mme Frédérique Puissat, rapporteur. - La commission a prévu que les organisations représentatives négocient chaque année sur le prix, et tous les deux ans sur la définition des compétences et la prévention des risques professionnels. N'allongeons pas la liste, sous peine de rendre le dialogue social purement formel. Avis défavorable.
Mme Élisabeth Borne, ministre. - Même avis.
L'amendement n°26 n'est pas adopté.
L'article 3 est adopté.
Interventions sur l'ensemble
Mme Monique Lubin . - Cette séquence me laisse un goût amer. Je devrais me réjouir que ce texte offre un début de bribe de protection sociale à des travailleurs précaires.
Un siècle d'avancées sociales ont abouti à ce que les travailleurs, dans ce pays, bénéficient de conditions décentes, d'une protection sociale et d'un salaire minimum. Et voilà que ce texte crée une nouvelle catégorie de travailleurs qui ne seront ni salariés, ni indépendants, mais totalement précaires.
On vise aujourd'hui les VTC et les livreurs de repas, mais on ouvre une boîte de Pandore !
M. Olivier Jacquin . - Je regrette que Mme la rapporteure ne m'ait pas répondu sur la création d'un tiers statut.
Nous atteignons, Jean-Pierre Sueur et Philippe Bas l'ont montré, un record en matière d'ordonnances. Le présent texte contient à la fois une ratification et une nouvelle habilitation : une ordonnance sur une ordonnance ! Sachant que seules 21 % d'entre elles seront ratifiées...
C'est une attaque contre les droits du Parlement, un dangereux précédent. Raison suffisante pour rejeter le texte !
M. Pascal Savoldelli . - Nous aurions pu, dans notre diversité, obtenir du Gouvernement qu'il impose un cadre de négociation. Les travailleurs des plateformes le méritent. J'ai évoqué devant M. Taquet ce jeune livreur éventré, que la plateforme n'a pas assuré, le torse n'étant pas considéré comme une partie vitale du corps... Ou encore cette provision de 15 000 euros prévue en cas de décès.
Nous espérions que le Sénat trouverait des compromis pour ouvrir un cadre de négociation collective plus substantiel que ce dialogue social.
Aucun des intéressés ne m'a dit avoir été saisi d'éléments de concertation ; aucun travail interministériel n'a été engagé. (Mme la ministre le conteste.) Les ministères des transports et de la santé auraient pourtant dû être associés !
Cette ordonnance de dialogue social manque de social. Les travailleurs sont livrés pieds et poings liés aux plateformes, qui éludent leur responsabilité sociale et fiscale...
Mme Raymonde Poncet Monge . - Travailleur indépendant ou salarié ? Le travail pour les plateformes de mise en relation mériterait un chapitre entier du code du travail, prenant en compte le management algorithmique.
Le Gouvernement postule la présomption d'indépendance, alors qu'il aurait fallu renverser la charge de la preuve, compte tenu du rapport de force existant.
Le GEST regrette que plusieurs de ses amendements aient été jugés irrecevables.
Le projet de loi est adopté
Mme Élisabeth Borne, ministre. - Merci à la commission pour son travail. Nos positions n'ont pas toujours convergé mais nous avons montré notre volonté collective de faire progresser les droits des travailleurs des plateformes en privilégiant un dialogue social structuré et équilibré.
Monsieur Savoldelli, le ministère des transports a bien été associé, et la santé au travail est une prérogative du ministère du travail.
Nul doute que le projet de loi de ratification de l'ordonnance prévue sera l'occasion d'un nouveau débat parlementaire de qualité.
Prochaine séance, mardi 16 novembre 2021, à 14 h 30.
La séance est levée à 19 h 55.
Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,
Rosalie Delpech
Chef de publication
Ordre du jour du mardi 16 novembre 2021
Séance publique
À 14 h 30 et, éventuellement, le soir
Présidence : M. Gérard Larcher, président, Mme Valérie Létard, vice-présidente, M. Vincent Delahaye, vice-président, M. Pierre Laurent, vice-président
Secrétaires : M. Jean-Claude Tissot - Mme Marie Mercier
1. Explications de vote des groupes puis scrutin public solennel sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale, adopté par l'Assemblée nationale, pour 2022 (n°118, 2021-2022)
2. Débat sur l'action du Gouvernement en faveur de la souveraineté énergétique française (demande du groupe Les Républicains)
3. Débat sur les priorités de la Présidence française du Conseil de l'Union européenne (demande de la commission des affaires européennes)
4. Projet de loi ratifiant les ordonnances prises sur le fondement de l'article 13 de la loi n°2019-816 du 2 août 2019 relative aux compétences de la Collectivité européenne d'Alsace (texte de la commission, n°128, 2021-2022) (demande du Gouvernement)