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Table des matières
Mises au point au sujet d'un vote
Gel des matchs de football le 5 mai
Mme Nadia Hai, ministre déléguée, chargée de la ville
M. Thomas Dossus, rapporteur de la commission de la culture
Discussion de l'article unique
Mme Nadia Hai, ministre déléguée
Maintenir les barrages hydroélectriques dans le domaine public
M. Guillaume Gontard, auteur de la proposition de loi
M. Patrick Chauvet, rapporteur de la commission des affaires économiques
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État, chargée de la biodiversité
Maintenir des barrages hydroélectriques dans le domaine public (Suite)
Recours des parlementaires pour excès de pouvoir
M. Jean-Claude Requier, auteur de la proposition de loi
Mme Maryse Carrère, rapporteure de la commission des lois
Discussion de l'article unique
INTITULÉ DE LA PROPOSITION DE LOI
Encourager les dons et adhésions aux associations
M. Éric Gold, auteur de la proposition de loi
M. Arnaud Bazin, rapporteur de la commission des finances
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État, chargée de la jeunesse et de l'engagement
ARTICLES ADDITIONNELS avant l'article unique
Protéger la rémunération des agriculteurs (Conclusions de la CMP)
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure pour le Sénat de la commission mixte paritaire
M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation
Discussion du texte élaboré par la CMP
Ordre du jour du lundi 18 octobre 2021
SÉANCE
du jeudi 14 octobre 2021
6e séance de la session ordinaire 2021-2022
présidence de M. Pierre Laurent, vice-président
Secrétaires : Mme Esther Benbassa, M. Pierre Cuypers.
La séance est ouverte à 10 h 30.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Mises au point au sujet d'un vote
M. Jean-Jacques Lozach. - Au scrutin public n°8 sur l'article unique de la proposition de loi sur l'obligation vaccinale, M. Yan Chantrel ne souhaitait pas prendre part au vote.
M. Claude Kern. - Lors du même scrutin, M. Gérard Poadja souhaitait voter pour.
M. le président. - Acte vous est donné de ces mises au point. Elles seront publiées au Journal officiel et figureront dans l'analyse politique du scrutin.
Délégation (Nominations)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la désignation de dix membres supplémentaires pour siéger au sein de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation.
Ces candidatures ont été publiées et seront ratifiées si la Présidence n'a pas reçu d'opposition dans le délai d'une heure prévu par notre Règlement.
Gel des matchs de football le 5 mai
Discussion générale
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant au gel des matchs de football le 5 mai.
Mme Nadia Hai, ministre déléguée, chargée de la ville . - Souvenons-nous du drame de Furiani. Dix-neuf décès, 2 357 blessés, tant de familles endeuillées - je salue celles qui sont présentes en tribune, et le député qui les accompagne. Souvenons-nous de ce mardi 5 mai 1992, qui devait être synonyme de liesse pour les amoureux du football venus assister, au stade Armand-Cesari, à la demi-finale de Coupe de France entre le Sporting Club de Bastia et l'Olympique de Marseille.
Je salue la mémoire de Bernard Tapie, mon prédécesseur au ministère de la Ville, présent ce soir-là à Furiani.
Ce qui s'est passé à Furiani a été un drame pour l'ensemble du sport français. Nous devons aux proches des victimes de le commémorer dignement. La ministre des sports, Roxana Maracineanu - dont je tiens à excuser l'absence - l'a redit à l'Assemblée nationale.
Dès 1992, François Mitterrand avait affirmé qu'aucun match de football ne se tiendrait désormais le 5 mai. Le 13 juillet 1992, la loi créait une procédure d'homologation des enceintes sportives par l'autorité administrative. Depuis, le préfet fixe le nombre maximal de spectateurs admis et les conditions d'aménagement de tribunes provisoires.
De nombreuses propositions de loi visant à sacraliser la date du 5 mai ont été déposées, mais jamais inscrites à l'ordre du jour.
Le 22 juillet 2015, un accord a été trouvé entre le ministère des Sports, la Fédération française et la Ligue professionnelle de football pour qu'un hommage soit rendu chaque 5 mai - minute de silence, port d'un brassard ou lecture d'un message - et que les matchs tombant un samedi 5 mai soient reportés.
Une plaque commémorative a également été dévoilée au ministère des Sports en 2016.
Mais le collectif des victimes juge ces mesures insuffisantes. Il réclame qu'aucun match n'ait lieu le 5 mai. Roxana Maracineanu a donc mobilisé les instances du football pour répondre à cette attente. Parallèlement, le Parlement s'est saisi du sujet avec cette proposition de loi de Michel Castellani. Je salue le travail du rapporteur Thomas Dossus et l'implication du sénateur Paul Toussaint Parigi.
Nous respectons ce travail et soutenons cette proposition de loi. Elle ne prévoit aucune sanction, le but étant que tous s'accordent à respecter le principe du gel.
Sur la nature de l'hommage, le choix vous appartient.
Le football est plus qu'un sport, c'est une culture universelle partagée, un vecteur de transmission. Nous ne devons pas oublier ce qui s'est passé à Furiani. En hommage aux victimes et à l'ensemble du sport français, nous soutenons cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du GEST et du RDPI)
M. Thomas Dossus, rapporteur de la commission de la culture . - (Applaudissements sur les travées du GEST) La catastrophe de Furiani a causé la mort de 19 personnes et en a blessé plus de 2 300. La justice a mis en évidence la responsabilité des autorités administratives et sportives ainsi que des entreprises en charge de l'installation et du contrôle de la tribune.
Certes, les pouvoirs publics ont réagi afin qu'un tel drame ne se reproduise pas, et une loi a été votée dès juillet 1992. Mais cela a renforcé l'impression que le drame était évitable. De fait, il n'était pas imputable à la fatalité, mais à l'appât du gain...
La question de la commémoration a mis du temps à émerger. Ce n'est qu'en 2012 qu'un groupe de travail mis en place par la Fédération française de football a fait des propositions - qui n'ont pas satisfait le collectif des victimes, lequel souhaite un gel de tous les matchs le 5 mai, comme l'avait promis le président Mitterrand à Bastia.
L'État a cherché un compromis, matérialisé par l'accord du 22 juillet 2015. Force est de reconnaître que les engagements pris alors par le secrétaire d'État Thierry Braillard, n'ont pas été suivis d'effet.
Trente ans après le drame, l'incompréhension entre le collectif des victimes et les instances nationales du football demeure entière. Les membres du collectif considèrent que le foot est une fête et qu'il n'est pas possible de commémorer Furiani et de faire la fête en même temps.
Cette proposition de loi donne satisfaction à leur revendication : aucun match des championnats de France professionnels de première et deuxième divisions, de la Coupe de France et du Trophée des champions ne sera joué un 5 mai.
Le 5 mai 2022 marquera le trentième anniversaire du drame ; les victimes attendent une reconnaissance nationale. Le temps est compté. Si le Sénat n'adopte pas conforme ce texte, nous risquons de manquer ce rendez-vous symbolique.
Pourquoi une loi ? Les faits sont trop graves et le Parlement demeure le seul recours possible, l'accord étant impossible entre la Fédération et le collectif. Le gel prévu ne concerne ni les matchs amateurs ni les matchs internationaux. Il n'y a aucun obstacle technique ou économique à ce gel.
L'impact de ce drame sur l'évolution des normes renforce son caractère national.
L'attente des Corses comme du peuple du football nous invite à adopter cette proposition de loi, comme la commission de la culture l'a fait, sans modification. (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe Les Républicains ; MM. Claude Kern et Pierre Ouzoulias applaudissent également.)
M. Didier Rambaud . - Le 5 mai 1992, comme beaucoup, j'étais devant ma télévision. Ce devait être un match de haut niveau ; ce fut une catastrophe terrible.
J'adresse mes pensées aux familles des victimes de cette tragédie. Le collectif qui les rassemble réclame un gel des matchs le 5 mai.
Ce texte le limite aux championnats professionnels de ligue 1, de ligue 2, aux matchs de la Coupe de France et du Trophée des champions. Les matchs amateurs et internationaux ne sont pas concernés.
Nous voterons cette proposition de loi dans un esprit de consensus, malgré quelques réserves, personnelles ou partagées.
Pourquoi une telle proposition de loi, près de trente ans après le drame ?
À l'époque, le législateur avait réagi en votant, dès le 13 juillet 1992, une procédure d'homologation des installations sportives. La démarche de reconnaissance engagée en 2015 sous l'autorité de Thierry Braillard a abouti à un accord entre le ministère des Sports, la Fédération française et la Ligue professionnelle, signé le 22 juillet 2015 - mais insuffisant aux yeux du collectif des victimes.
Le football véhicule de nombreuses valeurs, et notamment celles de solidarité et de respect. Nous devons être solidaires de nos compatriotes corses et respecter le souvenir des victimes. Mais faut-il geler les matchs professionnels pour commémorer ? Je n'en suis pas sûr.
Je m'interroge sur la postérité du dispositif plutôt que sur sa portée juridique - discutable compte tenu de l'absence de sanctions. Je crois que la minute de silence, le port d'un brassard noir ou des hommages avant les matchs auraient été préférables.
Mes interrogations portent sur les modalités de la commémoration, non sur la commémoration elle-même.
Par respect pour les familles, mon groupe votera la proposition de loi.
M. Dany Wattebled . - Les palmarès sportifs font apparaître, en creux, les événements tragiques qui marquent l'Histoire. La liste des vainqueurs de la Coupe du monde s'interrompt en 1938 pour ne reprendre qu'en 1950. Le vainqueur de l'Euro 2020 a été connu le 11 juillet 2021, pour cause de pandémie. En 1992, le palmarès de la Coupe de France ne donne aucun vainqueur, souvenir en creux du drame du 5 mai à Furiani.
La compétition s'y était arrêtée en demi-finale. Les images restent et nous sidèrent toujours. Le groupe Les Indépendants salue la mémoire des victimes et adresse une pensée aux milliers de blessés. Par son ampleur, ce drame a marqué toutes les familles de Corse. Et tout ce qui concerne la Corse concerne la France.
Un collectif s'est constitué, adressant ses premières demandes au début des années 2010. La Fédération française de football a mis en place un groupe de travail, mais aucune des solutions proposées - gel des matchs en Corse, les samedis 5 mai, pas de finale un 5 mai - n'a trouvé grâce aux yeux du collectif.
Il faut se souvenir, mais doit-on pour autant légiférer pour interdire les matchs le 5 mai ? Ne peut-on remplir autrement le devoir de mémoire ?
Doit-on interdire les matchs de Coupe d'Europe les 6 février, en mémoire du crash aérien du 6 février 1958 à Munich qui décima l'équipe de Manchester United ? Ou les 29 mai, en mémoire du drame du Heysel, en 1985, qui fit 39 morts lors de l'effondrement d'une tribune ?
La pratique du football ne fera jamais insulte à la mémoire des supporteurs. Ce sport place le respect au centre du jeu. Je considère qu'on commémorera mieux le drame de Furiani en jouant au football, plutôt qu'en empêchant le sport.
Je soutiens en revanche le principe d'une minute de silence en début de match, pour surtout ne pas oublier.
Le groupe Les Indépendants votera majoritairement contre le texte.
M. Jean-Jacques Panunzi . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Nous sommes là pour commémorer le drame survenu le mardi 5 mai 1992 à Furiani. Ce devait être une journée de fête, sur l'île de Beauté. Le stade est comble, mais la fête s'arrête à 20 h 23, quand la tribune provisoire s'effondre.
Pendant toute la nuit, un pont aérien médical qui évacue les blessés vers le continent.
Le drame marque la Corse dans sa chair. Dix-neuf morts et 2 300 blessés, certains paralysés à vie, c'est presque 1 % de la population de l'île de l'époque !
Depuis, familles et survivants se sont battus pour que l'on n'oublie pas. Je salue le collectif présent dans les tribunes, ainsi que les députés de Corse, la présidente de l'Assemblée de Corse et la conseillère en charge du sport.
Le 10 mars 2016, une plaque commémorative a été dévoilée au secrétariat d'État au sport.
Ce texte, qui répond à une demande juste, équilibrée et légitime, doit pouvoir être adopté en l'état. J'appelle chacun à le voter conforme, pour une promulgation rapide.
Nous allons commémorer le trentième anniversaire de la catastrophe. Le président Mitterrand avait assuré, en 1992, qu'aucun match n'aurait lieu le 5 mai. Que la route fut longue !
S'il faut en passer par la loi, c'est que les autorités sportives nationales n'ont pas été au rendez-vous.
Cette proposition de loi rend hommage aux victimes et aux familles et envoie un message à la Corse, lui signifiant que si ces spécificités en font une région à part, elle n'en demeure pas moins une région française à part entière.
M. Max Brisson. - Très bien !
M. Jean-Jacques Panunzi. - Le drame de Furiani a touché la Nation entière. Cette proposition de loi répond au devoir de mémoire. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et du GEST ; M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)
M. Paul Toussaint Parigi . - (Applaudissements sur les travées du GEST) Le soleil déclinait, l'ambiance montait. C'était un mardi. Chacun était venu, dans un élan de solidarité, pour la demi-finale de la Coupe de France entre le Sporting club de Bastia et l'Olympique de Marseille. Le rêve de victoire était encore permis.
Trois minutes avant le coup d'envoi, l'inouï, l'inconcevable est arrivé. La tribune Nord du stade Armand-Cesari s'effondre, happant 3 000 âmes dans le vide. L'effroi, la stupéfaction, l'horreur d'une tragédie née du choix de maximiser le profit au détriment de la sécurité, du choix de l'argent au détriment de la vie.
Pour les victimes et leurs familles, le 5 mai, c'était hier !
Le président Mitterrand avait déclaré qu'aucun match officiel ne devait plus se jouer le 5 mai.
Cette proposition de loi est le fruit d'un long combat, celui des familles de victimes, malgré les déceptions, les promesses non tenues, les hésitations des instances du football.
C'est la volonté de réconciliation du peuple du football avec sa mémoire, l'histoire d'une réparation.
Car Furiani porte le sceau d'une trahison, celle de fautes irréparables commises par cupidité.
De tels manquements obligent le service public, l'État et la représentation nationale à agir quand les ligues et les fédérations ne prennent pas leurs responsabilités.
Certains d'entre vous s'interrogent encore. Il n'est plus temps. L'indifférence a été trop loin pour que nous reculions.
La contrainte, dérisoire, ne porte que sur cinq journées sur les vingt prochaines années.
Honorons dignement la mémoire des victimes, accompagnons ceux qui les pleurent. Cette proposition de loi ne supprimera pas la peine et la douleur mais évitera la souffrance d'un nouveau désaveu.
Après le vote unanime de l'Assemblée nationale, c'est avec gravité et solennité que je vous demande de voter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du GEST, des groupes CRCE, UC et Les Républicains)
Mme Céline Brulin . - La catastrophe de Furiani est d'abord un drame humain qui a frappé de nombreux Corses. À mon tour de rendre hommage aux victimes, aux 19 morts, aux plus de 2 300 blessés, aux familles affectées.
Les tragédies sont parfois inévitables. Ce n'était pas le cas à Furiani. Il y a eu une série de manquements, de défaillances des organisateurs.
La commission de sécurité avait émis des réserves sur la conformité des installations ; une double billetterie a faussé le nombre de spectateurs accueillis dans la tribune provisoire, érigée à la va-vite. On a fait primer des intérêts mercantiles sur la sécurité.
Il est essentiel de rendre hommage aux victimes mais aussi de dire « plus jamais ça ».
Nous nous réjouissons que les normes et les contrôles aient été renforcés, et que l'émission des billets par les clubs soit mieux contrôlée.
Les familles de victimes souhaitaient un gel des matchs le 5 mai, mais les mêmes intérêts mercantiles qui ont mené au drame ont jusque-là empêché qu'on aboutisse.
L'État a essayé de trouver un compromis et un accord a été noué le 22 juillet 2015. Il demeure partiel et a déjà trouvé ses limites. Les familles de victimes estiment que la Fédération française de football et la Ligue de football professionnel n'en ont pas pleinement pris la mesure des attentes mémorielles.
Notre groupe votera cette proposition de loi, qui y répond.
Saisissons cette dernière chance de poser cet acte fort, à l'aube du trentième anniversaire du drame. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et du GEST ; M. Claude Kern applaudit également.)
M. Claude Kern . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Il est des moments de fureur, de sidération qui ne peuvent s'éteindre. Depuis trente ans, Furiani se rappelle à nous tous, tous les 5 mai. Ce sera encore plus vrai l'année prochaine.
Rien de ce qui s'est passé ce 5 mai ne ressemble à une anecdote. Ce n'est pas une histoire de fracas et de fatalité, mais d'irresponsabilité et d'inconséquence.
Justice a été rendue - mais le drame doit rester gravé dans les mémoires, au-delà des mots. La France doit se souvenir de ce funeste soir par un recueillement digne, loin de la coupable indifférence qui s'ensuivit. Ce qui doit désormais caractériser le 5 mai, c'est le respect. Celui qu'on doit aux morts, aux accidentés de la vie, et le respect de la parole donnée.
Il y a eu des insuffisances, des failles, des manquements, des trahisons - et cela nous oblige, en tant que Nation.
Le gel des matchs le 5 mai, c'est tenir une promesse faite au lendemain de l'incurable incurie. C'est respecter le silence des morts et les souffrances des victimes.
Il n'est pas soutenable qu'un terrain de jeu soit devenu un jardin effroyable. Ce jour-là, il n'est pas supportable qu'on s'amuse, comme si de rien n'était, à faire du sport-business sur un rectangle vert, devant un public oublieux.
L'incompréhension demeure vive entre les victimes et les instances nationales du football.
Donnons à l'échéance du 5 mai 2022 la force d'une reconnaissance nationale. Ce drame épouvantable, profondément injuste, était évitable.
Cette proposition de loi est équilibrée. Aucun obstacle technique ni juridique ne se dresse.
La commission de la culture prend acte du compromis enfin trouvé, certes tardivement.
L'État a pris ses responsabilités avec l'accord de 2015. Il est regrettable que les instances du football n'aient pas suivi. Le législateur est donc contraint d'intervenir sur un terrain glissant.
Gardons-nous de faire jouer complaisamment le mauvais rôle aux sénateurs. Ce vote n'est pas purement technique. La dimension humaine nous invite à la cohérence intellectuelle mais aussi à l'ouverture du coeur.
Le groupe UC, dans sa majorité, ne participera pas au vote, afin de ne pas faire obstacle à ce texte. Personnellement, je voterai pour. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, GEST et Les Républicains ; M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)
M. Jean-Claude Requier . - Le 5 mai 1992, la tribune Nord du stade Armand-Cesari de Furiani s'effondrait, faisant 19 morts et plus de 2 300 blessés. Je rends hommage aux victimes, et rappelle la bravoure de Bernard Tapie lors de cette catastrophe, en saluant sa mémoire.
Cette proposition de loi traite de mémoire, de commémoration, de résilience. Nous sommes en accord avec le fond, mais avec mes collègues du RDSE, nous nous interrogeons sur la pertinence de recourir à la loi. L'organisation des matchs relève de la Fédération française de football et de la Ligue de football professionnel, qui se disent prêtes à renforcer les commémorations. Le gel des matchs est-il la meilleure solution ?
Nos voisins anglais commémorent la catastrophe du stade d'Hillsborough, qui a tué 96 personnes en 1989, en observant une minute de silence. D'autres solutions sont aussi intéressantes, comme le port d'un brassard noir. Lors d'un match joué le 5 mai 2019, l'AS Saint-Étienne arborait un maillot portant la mention « L'ASSE n'oubliera jamais, 5 mai 1992. »
La Grèce, la Belgique, touchées par des drames similaires, les commémorent sans pour autant annuler de match.
La mémoire ne résonne pas dans le silence. Honorons les victimes en laissant s'épanouir ce ciment social qu'est le football. Après le confinement des stades et des supporteurs, après les tristes matchs à huis clos, rendons hommage aux victimes en entretenant la flamme de leur passion.
Pourquoi légiférer trente ans après le drame ? Ne commémorons pas nos victimes dans le silence, mais ensemble !
À l'exception de Jean-Noël Guérini, qui votera le texte par solidarité corse, les membres du RDSE ne prendront pas part au vote.
M. Jean-Jacques Lozach . - Le 5 mai 1992, le Sporting Club de Bastia recevait l'Olympique de Marseille pour une place en finale de la Coupe de France de football. Les autorités du club décidèrent de maximiser le nombre de spectateurs en portant la capacité du stade Armand-Cesari de 6 800 à 18 000 places.
Faute de temps et de main-d'oeuvre, l'entreprise niçoise Sud-Tribune, responsable du chantier, utilise en partie des éléments d'ordinaire réservés aux échafaudages. La Socotec, en charge du contrôle technique, rend un avis favorable sur la solidité du sol d'assise. La commission départementale de sécurité, sous la présidence du directeur de cabinet du préfet, autorise la rencontre.
L'enquête révélera la falsification de plusieurs procès-verbaux et la mise en place d'une billetterie parallèle, par appât du gain.
Quatre mille des dix mille places créées à la hâte s'effondrèrent quelques minutes avant le coup d'envoi, devant les caméras de télévision. Bilan, 19 morts et 2 357 blessés.
Le président Mitterrand, accouru à Bastia le lendemain, déclara que plus aucun match ne sera joué un 5 mai.
Le jugement des différents responsables fut mal reçu dans l'opinion, donnant l'impression que l'autorité judiciaire faisait preuve des mêmes défaillances.
Depuis, les acteurs et les pouvoirs publics tentent de s'entendre sur la forme que doit prendre l'hommage aux victimes, mais les conceptions s'opposent.
La Fédération française de football et la Ligue de football professionnel défendent une vision active du souvenir et prônent des gestes symboliques lors des matchs ; le collectif des victimes, lui, souhaite une trêve d'une journée dédiée au recueillement.
Une avancée mémorielle importante est réalisée sous l'égide de Thierry Braillard avec l'accord du 22 juillet 2015 - mais les actions instaurées à cette occasion restent largement négligées.
Cette proposition de loi prévoit une dérogation aux modalités actuelles d'organisation des matchs de football professionnels. Ce faisant, elle remet en cause l'autonomie du mouvement sportif, d'où une forme d'ingérence.
Nous nous interrogeons sur l'opportunité d'une loi.
Pourquoi ne pas geler aussi d'autres rencontres sportives, au nom de la solidarité interdisciplinaire ? Quid de la commémoration d'autres catastrophes qui pourraient survenir ?
Plus fondamentalement, nous revient-il de légiférer sur le calendrier des manifestations sportives ?
M. Stéphane Piednoir. - Eh non !
M. Jean-Jacques Lozach. - Seulement voilà : ce texte a valeur de rattrapage, voire de réparation, pour panser les plaies d'un traumatisme profond.
Le drame de Furiani a révélé la cupidité de certains acteurs. Du choc est née une prise de conscience collective, qui a conduit à l'évolution des règles. Le même phénomène s'était produit une génération plus tôt, après le plus grand drame du sport français - 84 morts en 1955 sur les 24 heures du Mans.
Nombre de nos équipements sportifs sont vétustes ou inadaptés, ce qui dessert la pratique. En 2019, la Cour des comptes a évalué à 21 milliards d'euros les investissements nécessaires à la rénovation du patrimoine sportif.
De fait, 42 % de nos équipements ont plus de 36 ans et 70 % d'entre eux n'ont jamais été rénovés, selon l'Association nationale des élus en charge du sport. Nos complexes aquatiques sont encore plus vétustes que la moyenne. Nous aurions besoin d'une loi de programmation à hauteur de 1 milliard d'euros sur cinq ans.
Au cours de la cérémonie en l'honneur des médaillés des Jeux olympiques de Tokyo, le Président de la République a annoncé un plan massif en faveur des équipements sportifs de proximité. Pouvez-vous nous en dire plus sur l'accompagnement des collectivités territoriales, propriétaires de la grande majorité des équipements ?
Malgré les réserves que j'ai exprimées, le groupe SER, solidaire du large consensus manifesté à l'Assemblée nationale et saluant la mémoire des victimes, votera la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST ; MM. Pierre Ouzoulias, Claude Kern et Max Brisson applaudissent également.)
M. Michel Savin . - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP) Le 5 mai 1992, l'effondrement d'une tribune du stade de Furiani faisait 19 morts et 2 357 blessés - l'un des drames les plus meurtriers de l'histoire du sport.
Les responsabilités directes ont été définies et de nouvelles règles de sécurité établies, notamment par la loi du 13 juillet 1992, qui ont fait la preuve de leur efficacité en prévenant de nouveaux drames.
Mais depuis trente ans, ce drame hante la Corse. Aucune initiative de commémoration n'a abouti, malgré les engagements pris par la quasi-totalité des Présidents de la République. À nous de régler une question mémorielle qui ne relève pas forcément du niveau de la loi.
Le dispositif proposé est avant tout symbolique : un gel qui ne concernera que quelques journées d'ici à 2040, des brassards noirs. L'ambition aurait pu être plus grande.
En particulier, je regrette que le texte ne reprenne pas deux des cinq points de l'accord du 22 juillet 2015, restés sans suite : une réflexion sur la promotion des valeurs du sport dans les écoles et un prix des valeurs citoyennes du sport, qui aurait pu être décerné chaque 5 mai. Il est possible d'honorer la mémoire des victimes tout en dépassant le drame de Furiani pour promouvoir les valeurs du sport.
Je constate avec regret l'inertie du ministère des Sports.
En outre, la proposition de loi n'implique pas les supporters, alors qu'un hommage aurait pu se concevoir en présence du public. Le devoir de mémoire ne peut passer uniquement par un gel des rencontres : il faut transmettre aux jeunes générations la mémoire de l'événement.
On peut donc s'interroger sur l'opportunité d'adopter ce texte. Pour ma part, je vous appelle à l'adopter sans modification, afin que le dispositif s'applique le 5 mai prochain, mais j'espère que les hommages ne se limiteront pas aux mesures prévues. Le rapporteur l'a dit fort justement : il s'agit de reconnaître le caractère national du drame de Furiani.
Il est dommage que, compte tenu de l'inertie des instances du sport, la loi soit devenue l'ultime espoir pour les familles des victimes d'être entendues. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Jean-Raymond Hugonet . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Permettez-moi d'avoir une pensée pour ceux qui sont tombés, comme l'on dit en Corse, ce maudit 5 mai 1992. Le football, c'est la vie ; la mort n'aurait jamais dû s'inviter, ce soir-là, au stade Armand-Cesari de Furiani.
L'heure n'est plus à la recherche des responsabilités ; la justice est passée.
L'heure n'est pas non plus à la récupération politique, qui consisterait à faire maladroitement de ce drame un symbole du sport-business, alors qu'il ne s'agissait que de bêtise, d'irresponsabilité et de cupidité.
Il est toujours délicat pour le législateur d'intervenir dans le domaine mémoriel. Il faut résister à la tentation de légiférer par émotion, comme nous en avons pris la triste habitude depuis trente ans.
Pour ma part, je pense que le plus beau, le plus puisant des hommages consisterait, justement, à jouer au football le 5 mai. (M. Stéphane Piednoir acquiesce.) Dans le Sud, on ne se tait pas lors des minutes de silence : on applaudit.
Néanmoins, après mûre réflexion, je voterai cette proposition de loi.
D'abord, parce que, en Corse, on se souvient - chose heureuse dans notre société du zapping. C'est même une passion insulaire : à quoi servirait-il de vivre, demandent les Corses, si personne ne se souvenait de vous après votre mort ?
Ensuite, parce que, depuis trente ans, l'État, la fédération et la ligue ont été incapables de dégager une solution consensuelle.
Je comprends les réticences de certains d'entre nous. Pour tenter d'emporter leur conviction, qu'il me soit permis de citer le grand Albert Camus : « Ce que je sais de la morale, c'est au football que je le dois. » Cette morale, rappelons aux représentants de ce merveilleux sport combien il est périlleux de s'en écarter. Pace e salute ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du GEST ; M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)
Mme Nadia Hai, ministre déléguée. - De nombreux arguments ont été avancés en faveur d'un vote conforme. C'est l'issue que le Gouvernement souhaite pour nos débats.
M. Savin a regretté le manque d'action de l'État. Je rappelle que, dans la loi confortant les principes de la République, nous avons renforcé l'engagement des fédérations et ligues sportives sur les enjeux de société, dont le devoir de mémoire. Cette proposition de loi s'inscrit donc dans la continuité de ce qui a été voté il y a trois mois.
La discussion générale est close.
Discussion de l'article unique
M. Stéphane Piednoir . - Je suis traversé à cet instant par des sentiments mêlés.
Je me souviens de mon émotion de jeune adulte devant mon poste de télévision, le 5 mai 1992 à 20 h 23.
M. Hugonet a souligné l'échec des négociations menées depuis trente ans. Il est regrettable que la position des instances sportives n'ait pas pu être infléchie.
Le législateur avait à renforcer les règles de sécurité et d'accueil, pour éviter tout nouveau drame, ce qu'il a fait. En revanche, je considère que cette proposition de loi n'est pas d'ordre législatif.
Par ailleurs, un hommage muet et punitif risque de faire tomber cette date dans l'oubli. Il y a de nombreuses autres façons de commémorer - en applaudissant, par exemple.
Compte tenu de ces réserves, je ne pourrai pas voter ce texte.
M. Jacques Grosperrin . - Il est regrettable que la ministre des sports ne soit pas au banc du Gouvernement ce matin.
Je me suis abstenu en commission, car j'avais de nombreux doutes. Mon collègue Jean-Jacques Panunzi m'a convaincu. Songez que ce drame a touché 1 % de la population corse : en Île-de-France, cela aurait représenté 120 000 personnes !
De nombreuses promesses ont été faites par le passé. Puisse notre vote conforme contribuer à cicatriser les souffrances des familles. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP et sur quelques travées du GEST)
M. Ronan Dantec . - Un acte fort doit être posé. Ne pas jouer peut permettre de consacrer cette journée à une réflexion, y compris avec les joueurs, sur les difficultés du football professionnel. Depuis Furiani, il y a eu d'autres drames - des supporteurs morts dans des violences, notamment. Cette journée de commémoration pourra devenir aussi une journée de réflexion pour tous les acteurs du football.
M. Max Brisson . - Pourquoi les instances du football n'ont-elles pas été capables de répondre aux attentes des familles ? Pourquoi la justice n'a-t-elle pas pu apaiser les souffrances ? Pourquoi la ministre des sports n'est-elle pas présente ce matin ?
Le Parlement de la République s'honore lorsqu'il marque de son sceau l'unanimité de la Nation.
J'ai été sensible à l'appel de Jean-Jacques Panunzi et Paul Toussaint Parigi. La Corse, dans sa pluralité, nous demande un vote conforme. Faisons-le aujourd'hui, pour être au rendez-vous du 5 mai 2022 ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du GEST)
M. Michel Savin . - Les engagements pris en 2015 n'ont pas été tenus. Je ne parle pas des fédérations, madame la ministre déléguée : il s'agissait d'une réflexion conjointe entre les ministères des sports et de l'éducation nationale.
Je regrette d'autant plus cette inertie que geler des matchs ne suffit pas : il faut un travail de sensibilisation et de mobilisation.
M. Jean-Jacques Lozach . - Malgré les réserves dont j'ai fait part, le groupe SER est attaché à l'adoption conforme de cette proposition de loi. C'est la dernière occasion, au vu du calendrier parlementaire, pour rendre hommage aux victimes. C'est maintenant ou jamais.
L'absence de rencontre ne signifie pas l'absence d'événement.
M. Michel Savin. - Tout à fait !
M. Jean-Jacques Lozach. - Les clubs professionnels auront toute liberté pour organiser des manifestations, dans un esprit de responsabilité sociale, comme l'on dit pour les entreprises.
Mme Nadia Hai, ministre déléguée . - La ministre des sports est avec le Président de la République et le Premier ministre en Seine-Saint-Denis pour annoncer un plan d'investissement ambitieux...
M. Michel Savin. - De 250 millions d'euros...
Mme Nadia Hai, ministre déléguée. - ... en faveur des équipements sportifs. (Murmures sur diverses travées)
M. Max Brisson. - Elle devait être ici !
M. Jacques Grosperrin. - Et les familles ?
Mme Nadia Hai, ministre déléguée. - J'avais 12 ans quand le drame de Furiani est arrivé ; ce que je regrette, monsieur Savin, c'est que rien n'ait été fait avant 2015 !
Depuis 2015, des décisions ont été prises pour que les valeurs du sport et la commémoration de ce drame qui a touché la Nation tout entière soient rappelées dans l'éducation nationale.
M. Max Brisson. - Ce n'est pas le sujet !
M. Pierre Ouzoulias. - En effet !
Mme Nadia Hai, ministre déléguée. - Les ministères de la ville et des sports ont été rapprochés.
M. Philippe Folliot. - Le 5 mai 1992, j'étais, moi aussi, devant mon écran de télévision, lorsque la fête s'est transformée en terrible drame pour Bastia, la Corse et le pays tout entier. De très nombreuses personnes ont été touchées dans leur chair.
Prenons garde, toutefois, à ne pas créer un précédent. D'autres demandes pourraient nous être faites, parfois moins légitimes, parfois tout autant.
Je trouverais préférable que cette journée serve, dans tous les stades - bien au-delà du football -, à rappeler le drame de Furiani et la fonction inclusive du sport.
Bref, je crains que, en voulant bien faire, on aboutisse à une fausse bonne solution.
Définir des formules mémorielles, est-ce le rôle de la loi ? Demain, on pourrait proposer, peut-être à juste titre, d'interdire les spectacles tous les 13 novembre, en souvenir du Bataclan. Pour ma part, je préfère ne pas y mettre les doigts.
M. le président. - Amendement n°2, présenté par M. Folliot.
Alinéa 4
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Art. L. 334-1. - En hommage aux victimes du drame national survenu en marge de la rencontre de Coupe de France disputée au stade Armand-Cesari de Furiani le 5 mai 1992, lors de toutes les rencontres ou manifestations sportives entre clubs amateurs et professionnels organisées par la Fédération française de football, une minute de silence est observée.
M. Philippe Folliot. - Ayant pu exposer ma position, je retire mes deux amendements.
Les amendements nos1 et 2 sont retirés.
Interventions sur l'ensemble
M. Guy Benarroche . - Je remercie M. Folliot pour le retrait de ses amendements.
Je comprends les réserves exprimées sur le chemin choisi pour ce devoir de mémoire, mais rien n'a été fait pendant trente ans. Ne pas voter cette proposition de loi, ce serait continuer à ne rien faire pour une durée indéterminée.
Ce soir-là, j'étais devant ma télévision, mais plusieurs de mes amis marseillais étaient à Furiani - l'un d'eux a été blessé. Les supporteurs marseillais soutiennent cette initiative et le collectif bastiais. Si vous avez encore un doute, écoutez-les !
M. Paul Toussaint Parigi . - Je suis reconnaissant au GEST d'avoir permis l'inscription de ce texte à l'ordre du jour et je remercie chaleureusement l'ensemble des groupes, qui se sont exprimés avec bienveillance. Je remercie aussi la ministre des sports pour son soutien indéfectible. Merci à tous pour ce vote historique qui fait honneur à nos valeurs ! (Applaudissements)
M. Max Brisson . - J'ai eu avec Mme la ministre déléguée un échange quelque peu musclé ; je n'y reviendrai pas.
Je souhaite que ce moment d'émotion et d'hommage ne fasse l'objet d'aucune instrumentalisation politique.
La Corse, fortement représentée en tribunes et dont les deux sénateurs ont parlé d'une seule voix, attend que l'on se souvienne. C'est une terre où l'on n'oublie pas les morts.
Soyons à la hauteur de l'enjeu ! Notre groupe, à une large majorité, votera la proposition de loi.
M. le président. - Au nom de la présidence et du Sénat tout entier, je m'associe à la sympathie exprimée vis-à-vis des familles des victimes.
L'article unique constituant la proposition de loi est adopté.
(Applaudissements)
La séance est suspendue quelques instants.
Commission (Nomination)
M. le président. - J'informe le Sénat qu'une candidature pour siéger au sein de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication a été publiée. Cette candidature sera ratifiée si la présidence n'a pas reçu d'opposition dans le délai d'une heure prévu par notre règlement.
Maintenir les barrages hydroélectriques dans le domaine public
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à maintenir les barrages hydroélectriques dans le domaine public et à créer un service public des énergies renouvelables, présentée par M. Guillaume Gontard et plusieurs de ses collègues, à la demande du GEST.
Discussion générale
M. Guillaume Gontard, auteur de la proposition de loi . - Cette proposition de loi du GEST a été cosignée par des collègues de plusieurs groupes, que je remercie chaleureusement. L'avenir de nos grands barrages est un sujet crucial, qui transcende les clivages politiques. Il y va de notre souveraineté énergétique et de la gestion de la ressource en eau.
Le pilotage du développement des énergies non renouvelables dans notre pays est erratique ; il faut le revoir de fond en comble.
Sénateur alpin, je suis ému de vous présenter ce texte : ce combat, hélas perdu quant à la fabrication des turbines à Grenoble, est au coeur de mon engagement depuis le premier jour.
Nos 420 plus grands barrages hydroélectriques - de plus de 4,5 mégawatts - doivent demeurer au sein du domaine public. Or alors que plus d'une centaine de contrats de concession arriveront à échéance d'ici à la fin 2022, les règles européennes de mise en concurrence risquent de s'appliquer.
Notre dispositif ne vise pas les barrages de moins de 4,5 mégawatts, qui pourront éventuellement être exploités par des opérateurs privés.
Nous proposons la création d'une quasi-régie, seule solution qui respecte le droit européen. Les services de la Commission européenne, sollicités notamment par Yannick Jadot et Michèle Ravasi, l'ont confirmé. La quasi-régie ne sera mise en place qu'à l'expiration des concessions en cours.
Il est surprenant que nous ne nous retrouvions pas tous sur ce dispositif, alors que nous affirmons tous être contre la mise en concurrence des barrages. Ce que nous proposons est une étape indispensable, même pour ceux qui ne souhaitent pas un service totalement public.
Je voudrais bien qu'on m'explique quelles seraient les autres solutions possibles.
Mme Pompili a évoqué un « plan B » en cas d'échec du contesté projet Hercule. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Cette proposition de loi ne liera pas les mains du prochain Président de la République.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. - Ou de la prochaine Présidente de la République...
M. Guillaume Gontard, auteur de la proposition de loi. - Il s'agit d'affirmer un principe clair et intangible : les barrages doivent demeurer dans le giron public.
L'absence actuelle de visibilité pénalise les acteurs et entraîne une gestion dégradée des barrages, qui compromet la sécurité. Mettons un terme à cette incertitude.
Cette proposition de loi offre une vision du pilotage de la transition énergétique à quelques mois d'élections capitales pour l'avenir énergétique du pays. Lutte contre le changement climatique, souveraineté, accès abordable à l'énergie, nucléaire en fin de vie : la question énergétique sera au coeur des prochaines échéances.
Le développement des énergies renouvelables est insuffisant dans notre pays ; nous sommes très loin de l'Allemagne en puissance installée et n'avons pas réussi à bâtir une industrie souveraine.
Ainsi, le solaire produit seulement 11,6 térawattheures par an, soit 2,2 % de notre consommation d'électricité. Pour rattraper ce retard, le Gouvernement a annoncé un appel d'offres de 18 milliards d'euros, mais nous achetons en Chine des panneaux d'entrée de gamme produits dans de mauvaises conditions sociales. EDF achète en Chine mais veut se séparer de Photowatt, en Isère !
L'incohérence est totale et la stratégie industrielle fait défaut. Or il nous reste à peine dix ans pour réussir la transition énergétique.
Un grand acteur public pourrait planifier et réguler, assurer la souveraineté de notre pays, développer les filières, renforcer la recherche, accompagner les porteurs de projet, favoriser l'acceptation par les populations et garantir un prix de l'électricité égal en tout point du territoire. Aucune entreprise privée ne le pourrait - sans parler de l'objectif de sobriété.
En outre, une coordination publique résoudrait le problème du développement anarchique des éoliennes, régulièrement dénoncé par nombre d'entre vous.
Si la puissance publique ne joue pas son rôle de locomotive, nous ne réussirons pas la transition énergétique ! Mes chers collègues, nous devrions tous nous retrouver sur ces grands enjeux. (Applaudissements sur les travées du GEST)
M. Patrick Chauvet, rapporteur de la commission des affaires économiques . - (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains) Aux côtés du nucléaire, les énergies renouvelables sont un ressort essentiel de la décarbonation de notre économie. Elles représentent déjà 25 % de notre mix électrique.
L'hydroélectricité est une énergie ancienne, puisqu'elle a été mise en place en France dans les années 1920 et complétée dans les années 1950, mais aussi très actuelle, car porteuse d'externalités positives.
Le renouvellement des concessions a engendré un important contentieux avec la Commission européenne, marqué par les mises en demeure de 2015 et 2019. Sur nos 400 concessions, 300 sont exploitées par EDF. Quarante concessions échues ont été placées sous le régime du délai glissant.
La commission des affaires économiques est très attentive à cette situation : un groupe de travail sur la réforme du marché de l'électricité a été formé. Nous avons fait adopter une proposition de loi sur l'hydroélectricité, dont le contenu s'est retrouvé, par voie d'amendements, dans le projet de loi Climat et résilience.
Nous avons ainsi fait adopter l'obligation de maintenir notre souveraineté énergétique ; l'information des maires et présidents de communautés de communes, en amont de l'échéance des concessions, grâce à un comité de suivi ; enfin, la simplification de la création de sociétés d'économie mixte (SEM) hydroélectriques.
Une proposition de résolution a également été déposée pour demander au Gouvernement de préserver notre modèle concessif.
C'est donc avec intérêt que nous avons examiné ce texte qui pose néanmoins plusieurs difficultés. D'abord, sur le principe, toute solution pérenne sur les concessions nécessiterait un accord avec la Commission européenne dans le cadre d'un projet global qui traiterait également du nucléaire. Adopter ce dispositif n'éteindrait pas le contentieux en cours.
La deuxième difficulté est de méthode : presque tous les acteurs du secteur que nous avons entendus s'y opposent.
Enfin, sur le fond, l'article premier est peu opérant. Il abroge la distinction légale entre le régime de la concession et celui de l'autorisation, ce qui introduit un flou sur le régime des 2 100 installations autorisées et des 400 installations concédées. La deuxième abrogation du texte est prématurée, car les collectivités territoriales n'ont pas été consultées.
Quant à l'extension de la quasi-régie à l'ensemble des concessions, qu'elles soient gérées par EDF ou par la concurrence, ni la loi de 1919 ni celle de 1946 n'avaient ainsi placé l'ensemble des concessions dans le cadre public.
Les modalités juridiques de ce régime de quasi-régie sont imprécises dans le texte : nous ne pouvons en apprécier ni la constitutionnalité, ni la conventionalité.
Du jour au lendemain, l'adoption de ce texte rendrait caduques les 360 concessions non échues.
Enfin, le coût complet du dispositif pour l'État serait de plusieurs milliards d'euros de compensations capitalistiques pour les concessionnaires et de reclassement des salariés des anciennes concessions.
L'article 2 est, quant à lui, satisfait. Le code de l'énergie consacre un service public de l'électricité et du gaz qui englobe les énergies renouvelables. Les énergies renouvelables font l'objet d'objectifs dans la programmation pluriannuelle de l'énergie, ainsi que de dispositifs de soutien. L'obligation de rachat et le complément de rémunération représentent un effort de 180 milliards d'euros d'ici à 2028.
Le champ de l'article, très général, laisse de côté l'énergie décarbonée qu'est le nucléaire.
Pour toutes ces raisons, notre commission a rejeté cette proposition de loi. Elle pose cependant une question cruciale : celle des négociations sur les concessions. Que ses auteurs en soient remerciés.
Madame la ministre, la quasi-régie est-elle toujours envisagée ? Quand le Sénat en sera-t-il saisi ? Il y a eu trop de changements de pied, de pertes de temps. Nous ne pouvons nous satisfaire d'une politique de l'énergie à vue.
Dès juin 2020, notre commission avait alerté le Gouvernement sur un risque de flambée des prix après la crise sanitaire. Nous avons besoin d'anticipation, de constance, de rigueur. Une énergie peu chère et peu émissive est une condition de la reprise de notre économie et de sa décarbonation. (Mme la présidente de la commission des affaires économiques, applaudit.)
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État, chargée de la biodiversité . - L'hydroélectricité est essentielle à la diversité de notre mix électrique et à l'atteinte de notre objectif de neutralité carbone en 2050. L'objectif du Gouvernement, comme celui du GEST, est de faciliter son déploiement : merci, donc, de nous donner l'occasion d'en débattre.
L'hydroélectricité est une fierté nationale, qui représente 20 % de notre puissance installée et 12 % de notre production électrique. Grâce à ce pari fait il y a plus d'un siècle, la France a le deuxième parc hydroélectrique européen après la Norvège. Le savoir-faire français est reconnu internationalement.
Le Gouvernement est très attaché à la défense de cette énergie. Par la réglementation, en garantissant un niveau minimum des cours d'eau ; et en agissant pour la continuité écologique. J'étais vendredi dernier dans le Bas-Rhin, où 80 millions d'euros ont été engagés, au titre du plan de relance, pour lever les obstacles à la continuité sur le Rhin.
Malgré son ancienneté, l'hydroélectricité vit avec son temps. C'est une énergie largement pilotable, régulière, essentielle à notre souveraineté énergétique et à la flexibilité de notre système électrique. C'est aussi un enjeu pour le développement local : elle emploie plus de 12 000 personnes et génère 15 000 emplois indirects.
L'enjeu crucial de l'eau justifie que les installations hydroélectriques soient clairement identifiées comme relevant du domaine public. La situation des concessions échues ne satisfait pas davantage le Gouvernement que vous : le contentieux européen pendant, l'absence de visibilité compromettent les investissements nécessaires à la pérennité de ces installations.
Ce texte applique à l'ensemble des concessions le régime de la quasi-régie. Cela a été envisagé pour les concessions relevant d'EDF, mais n'a pas vocation à toucher l'ensemble des installations - je songe notamment à celles concédées à la Compagnie nationale du Rhône (CNR).
Le régime en vigueur est satisfaisant. Aucune concession française n'est exploitée à 100 % par une entité publique. Cela n'empêche pas un encadrement strict du partage de la ressource en eau. Le régime des concessions permet de maintenir ces installations dans le domaine public, tout en confiant l'exploitation à un tiers. Le ministre de la transition écologique peut fixer les conditions d'entretien et d'investissement.
La proposition de loi crée, en son article 2, un service public de l'énergie renouvelable. Or le code de l'énergie consacre déjà les services publics de l'électricité et du gaz, qui englobent les énergies renouvelables. La programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) organise une planification coordonnée, préparée par les services du ministère de la transition écologique et l'Ademe. Des objectifs sont fixés dans le code de l'énergie, la PPE et la stratégie nationale bas carbone.
La France défendra auprès de la Commission européenne les regroupements de concessions par vallée.
Nous n'avons pas pu aboutir dans le calendrier imparti à la réorganisation d'EDF, mais notre objectif est de conserver la gestion de ces concessions sans mise en concurrence. Cela se fera dans le cadre d'un accord d'ensemble avec la Commission européenne.
Pour toutes ces raisons, je suis défavorable à votre proposition de loi.
M. Yves Bouloux . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur le banc de la commission) L'hydroélectricité est la deuxième source de production d'électricité derrière le nucléaire ; c'est la première énergie non renouvelable.
Rappelons que les installations hydroélectriques de plus de 4,5 mégawatts sont soumises au régime de la concession. On dénombre en France 400 concessions, représentant 90 % du total de la puissance hydroélectrique installée. Quelque 300 sont exploitées par EDF et 100 par des concurrents.
Avec cette proposition de loi, vous ambitionnez de conserver les installations dans le domaine public, en plaçant en quasi-régie celles qui ont une puissance de plus de 4,5 mégawatts.
Ce n'est ni réaliste ni approprié ; le projet Hercule ne prévoyait ce régime que pour les concessions gérées par EDF. Le texte ne prévoit pas de conditions de résiliation, ni de transition. Quant au financement, rien n'est précisé.
Le contentieux relatif au renouvellement des concessions ne sera résolu que sur la base d'un accord avec Bruxelles, en concertation avec les concessionnaires.
L'article 2 propose lui aussi des solutions inadaptées. La commission des affaires économiques a commencé à travailler sur la réforme du marché électrique et entame une série d'auditions sur la souveraineté énergétique. Je salue l'initiative du GEST sur un sujet crucial, mais le groupe Les Républicains ne votera pas ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Daniel Salmon . - (Applaudissements sur les travées du GEST) En créant un service public des énergies renouvelables, cette proposition de loi apporte une réponse concrète à l'ouverture à la concurrence des grands barrages, imposée par une directive européenne. Beaucoup d'entre nous sont conscients du risque que pose, à terme, l'ouverture de 150 concessions à la concurrence. C'est un enjeu de souveraineté industrielle et de transition écologique.
L'hydroélectricité est une composante essentielle, car pilotable, du mix énergétique, mais pas seulement. Ainsi, depuis plusieurs décennies, l'hydroélectricité structure l'économie d'un grand nombre de vallées.
La France va connaître un nombre croissant de pénuries ; l'eau est un bien commun crucial pour l'irrigation, le refroidissement des centrales nucléaires notamment. L'utilisation des retenues d'eau doit donc répondre à des objectifs d'intérêt général et non de rentabilité. Aujourd'hui, les concessions relèvent de trois entités différentes ; ce n'est pas optimal, notamment quand les barrages d'amont et d'aval sont gérés par des compagnies différentes.
La Commission européenne elle-même a identifié l'exploitation en régie ou en quasi-régie comme la seule solution eurocompatible pour nous débarrasser de cette épée de Damoclès qu'est l'échéance des concessions. C'est pourquoi le GEST s'étonne de votre position, madame la ministre. Notre solution est assez proche de ce que le Gouvernement prévoyait dans son projet EDF Azur, et vous ne nous avez pas exposé de plan B pour conserver ces concessions dans le domaine public.
L'article 2 de la proposition de loi, qui crée un grand service public des énergies non renouvelables, pallie l'absence totale de politique publique efficace pour harmoniser le développement des énergies renouvelables.
Je m'étonne aussi des positions des autres groupes et du rapporteur : plutôt que de pinailler sur les arguties juridiques, nous aurions attendu de vraies propositions alternatives.
L'exemple de la méthanisation est criant : sur le terrain, de vives inquiétudes se font jour et elles sont légitimes : c'est que l'État n'a pas joué son rôle de régulation, d'accompagnement et de planification territoriale.
Je vous demande donc de voter pour ce texte, seule solution crédible et efficace pour sauver nos barrages et assurer un pilotage harmonieux de notre production renouvelable. (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mme la présidente de la commission applaudit également.)
M. Fabien Gay . - Protéger les barrages de la mise en concurrence, empêcher que certains groupes étrangers ou nationaux comme Total ne mettent la main sur la houille blanche n'est plus une option, c'est un impératif.
Ce n'est pas un hasard si un large consensus s'est fait contre une libéralisation dangereuse et irrationnelle de l''hydroélectricité qui, avec ses capacités de stockage et sa réactivité en période de pointe, est la clé de voûte de notre énergie. De plus, elle est produite à un prix stable et accessible, une qualité que le marché ne supporte pas !
Ce n'est pas par dogmatisme que ce secteur bénéficie depuis 1919 d'une régulation protectrice qui concilie l'essor industriel avec la préservation de l'environnement et de la ressource en eau.
Le système mis en place en 1946 a consacré une gestion publique de l'énergie autour d'un monopole public intégré. Il a nationalisé la force hydroélectrique dans tous les cours d'eau.
Or depuis qu'EDF a perdu son statut d'établissement public en 2004, la Commission européenne fait pression sur la France pour l'ouverture à la concurrence des concessions arrivées à échéance. Mais peut-on laisser les clés de la ressource en eau à des acteurs ayant pour seul horizon le profit court-termiste ? Non !
Nous saluons par conséquent l'intention des auteurs de la proposition de loi, mais elle ne nous convainc pas. (Marques de déception sur les travées du GEST) En effet, la quasi-régie est une dérogation au droit de la concurrence : c'est donc qu'elle reconnaît en creux un régime qui ne fonctionne pas. (La déception redouble.) C'est un mécanisme très proche de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh), que nous récusons car il oblige l'opérateur à revendre une partie de sa production aux fournisseurs alternatifs.
Surtout, ce texte reste muet sur les opérateurs, et donc sur le risque de filialisation, prélude à un rachat par l'État ou à une transformation en établissement public. Rappelons-nous que la filialisation d'EDF Azur, à laquelle nous nous étions fermement opposés, figurait dans le projet Hercule. Certes, la relation de quasi-régie avec l'État sort la grande hydroélectricité du domaine de la concurrence, mais elle reste dans une logique de désintégration d'EDF.
Toute solution pérenne doit s'inscrire dans un projet global qui ne ferait pas l'impasse sur le statut d'EDF, la régulation du nucléaire, l'Arenh et les tarifs réglementés.
Enfin, qu'adviendra-t-il du personnel des sociétés concessionnaires comme la Compagnie nationale du Rhône ou la Société hydroélectrique du Midi (SHEM) ? Nous défendons une renationalisation d'EDF et la production, le transport et la production d'électricité dans un groupe intégré.
Rappel au Règlement
M. le président. - Le port de la cravate pour les hommes dans l'hémicycle est une obligation réaffirmée solennellement le 29 juin 2017 par la Conférence des présidents, à l'initiative du président du groupe socialiste d'alors. L'un de nos collègues s'en est dispensé au cours de cette séance ; je le lui ai fait observer par les huissiers. L'incident est clos, mais je veillerai à ce qu'il ne se reproduise pas.
La séance est suspendue à 13 heures.
présidence de M. Pierre Laurent, vice-président
La séance reprend à 14 h 30.
Maintenir des barrages hydroélectriques dans le domaine public (Suite)
M. le président. - Nous reprenons la discussion de la proposition de loi visant à maintenir les barrages hydroélectriques dans le domaine public et à créer un service public des énergies renouvelables.
Discussion générale (Suite)
M. Jean-Pierre Moga . - Cette question est majeure : quel cadre pour la future régulation de l'hydroélectricité française ?
La proposition de loi Gremillet visait déjà à inscrire l'hydroélectricité au coeur de la transition énergétique et de la relance économique. Elle a été reprise par la loi Climat et résilience. Une proposition de résolution pour lever les freins réglementaires et administratifs au développement de l'hydroélectricité avait également été déposée. Elle tendait à la préservation de notre modèle de concessions au niveau européen.
L'hydroélectricité est la première énergie renouvelable de France. C'est une force française, la houille blanche, grâce à laquelle des vallées ont été industrialisées et la compétitivité maintenue.
La question de l'ouverture à la concurrence se pose avec toujours plus d'acuité. En l'absence de visibilité, la filière n'investit plus. Les quarante premières installations sont sous régime transitoire depuis 2016.
La baisse de la part du nucléaire doit être compensée par une augmentation équivalente des énergies renouvelables. Seule l'hydroélectricité est à même de relever un tel défi, car elle est à la fois décarbonée, stockable et décentralisée.
Nous pouvons partager le constat des auteurs de la proposition de loi mais leur texte est inabouti. Le problème est pris par le petit bout de la lorgnette.
Des négociations sont en cours avec la Commission européenne.
Toutes les questions énergétiques - concessions hydroélectriques, statut d'EDF, Arenh, financement du nucléaire - sont étroitement liées et doivent s'inscrire dans un projet global.
Le Gouvernement a suspendu le renouvellement des concessions et l'a conditionné à un accord avec l'exécutif européen.
La proposition de loi n'apporte pas de réponse complète et pragmatique. En généralisant la quasi-régie, elle supprime la distinction entre régimes d'autorisation et de concession. Cela va bien au-delà du projet Hercule, devenu Grand EDF. Les sociétés d'économie mixte (SEM) hydroélectriques sont supprimées, alors que les collectivités territoriales doivent être associées à la gestion des usages de l'eau.
L'article 2 créant un grand service public des énergies renouvelables est largement satisfait par l'existant et son champ est imprécis.
Cette proposition de loi d'appel aurait pu être remplacée par un débat.
Quelles suites donner au projet de Grand EDF ? À quelques mois de la présidence française de l'Union européenne, comment ne pas avancer concrètement et sérieusement ? Des choix complets devront être faits par le Président de la République qui sera issu des urnes au printemps prochain.
Le groupe UC votera contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
M. Christian Bilhac . - Les tensions actuelles montrent qu'il est primordial pour un État de rester maître de sa production d'énergie et de ses approvisionnements. Les difficultés ne pourront que s'accroître faute d'une transition énergétique volontariste.
L'hydroélectricité représente 13 % de notre production d'électricité. Elle est un rempart contre l'intermittence. L'installation de barrages successifs sur certains cours d'eau impose de la coordination.
Les barrages hydroélectriques jouent d'autres rôles que la production d'énergie. Ils sont des écrêteurs de crues, servent à l'irrigation agricole, régulent l'approvisionnement de la population. Ils participent de l'attractivité touristique du territoire. Je m'inquiète d'une éventuelle logique de rentabilité court-termiste qui serait adoptée par de nouveaux acteurs.
J'ai cosigné ce texte même si je ne me berce pas d'illusions...
Il faudrait être particulièrement vigilant dans la rédaction des cahiers des charges pour les prochaines concessions. La régie évite la mise en concurrence, mais les collectivités y perdraient des ressources non négligeables. Il serait utile pour poursuivre la réflexion de s'appuyer sur le rapport d'information rendu en 2013 par les députés Marie-Noëlle Battistel et Éric Strautmann.
La mise en régie des concessions d'EDF coûterait 1,15 milliard d'euros nets. C'est un coût acceptable.
La France a préservé les barrages de la concurrence jusqu'à présent, mais pas sans difficulté. Les investissements sont bloqués. Il est temps de tracer une nouvelle voie. D'autres États membres ont du reste été épinglés par la Commission européenne pour non mise en concurrence.
Je voterai cette proposition de loi mais ce ne sera pas le cas de tous les membres du RDSE, qui voteront en leur âme et conscience. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du GEST)
M. Serge Mérillou . - (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe SER) Cette proposition de loi vise à maintenir les barrages hydroélectriques dans le giron public. Nous partageons le constat : face à la pression de Bruxelles, nous devons sauver nos ouvrages.
La mise en concurrence a été actée par le Gouvernement français en 2006, pour faire basculer les entreprises publiques dans une logique de marché. En 2010, François Fillon, Premier ministre, s'était engagé à la mettre en oeuvre. Nous nous y étions opposés. En 2013, le rapport de Mme Battistel et M. Strautmann dégageait un nouveau consensus, remettant en cause le choix de 2006, en raison des effets sur la politique énergétique française.
La logique libérale de la Commission aura à maintes reprises démontré son caractère destructif pour l'emploi et l'intérêt des consommateurs.
Mais nous ne pouvons réduire les barrages hydroélectriques à leur rôle de production d'énergie. Ils assurent la sécurité des réseaux car ils sont capables de démarrer en quelques minutes pour les approvisionner ; ils peuvent seuls assurer le renvoi de tension nécessaire aux centrales nucléaires pour restaurer le réseau électrique.
Il est essentiel qu'ils restent sous le contrôle de l'État.
La proposition de loi emploie-t-elle la méthode la plus opportune ? Nous ne le croyons pas. Malgré des objectifs louables, elle nous rappelle le projet Hercule. La voter, c'est acter le démantèlement d'EDF, de la Société hydroélectrique du Midi (SHEM) et de la Compagnie nationale du Rhône (CNR).
La voter, c'est instaurer un service unique.
M. Guillaume Gontard. - .... Public !
Je ne peux que regretter la non-consultation des élus locaux. Quel serait le sort des salariés ? Le statut des nouveaux agents ? Les syndicats ont des craintes.
Il est plus pertinent de réfléchir à la création d'un grand service public de l'énergie, à penser dans sa globalité. La désorganisation du marché est regrettable.
L'eau et l'électricité, biens communs, doivent rester publiques. Il faut lutter contre la précarité énergétique.
Le groupe SER ne votera pas cette proposition de loi : les intentions sont louables mais les solutions ne sont pas bonnes. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
M. Bernard Buis . - Cette proposition de loi a ce précieux mérite de poser une bonne question : quid de nos concessions hydroélectriques ?
La France a le plus important parc européen après la Norvège. Au Sénat, c'est le deuxième texte que nous examinons en peu de temps sur ce sujet majeur. Le patrimoine parfois monumental de nos barrages conjugue intelligence technique de nos ingénieurs, esthétisme et force motrice de nos rivières. La gigantesque centrale inaugurée il y a un an en Isère montre l'intérêt de cette énergie.
Mais la loi peut-elle tout résoudre ? Non !
L'hydroélectricité est régie par la loi de 1919. Le parc hydroélectrique français s'est construit avant 1936 et après 1945. La plupart des concessions seront échues en 2025.
La Commission européenne a mis en demeure la France en 2015 et 2019 d'ouvrir les concessions à la concurrence.
La CNR gère depuis 1948 de nombreuses installations avec succès, assurant des missions de service public. En mai dernier, la concession a été prolongée jusqu'en 2041, avec l'approbation de la Commission européenne.
Cette proposition de loi crée une quasi-régie, ce qui est simple, radical, mais contre-productif. Nous nous exposerions à de lourds contentieux. Quid des concessions non échues ? Quel sort pour les salariés ?
Le projet Hercule prévoyait une quasi-régie mais il est désormais caduc. (Marques d'ironie sur les travées du GEST) Tout reste à écrire...
M. Ronan Dantec. - On ne vous le fait pas dire !
M. Guillaume Gontard. - Précisément !
M. Bernard Buis. - L'article 2 est satisfait par le droit existant. L'Ademe et la direction générale de l'énergie et du climat sont pleinement conscientes de la situation. Restons-en au débat.
Le groupe RDPI ne pourra pas voter en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Michel Savin . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La commission des affaires économiques a rejeté cette proposition de loi mal calibrée et sur laquelle la concertation a manqué. Je connais l'engagement de mes collègues sur l'avenir de l'hydroélectricité. MM. Gremillet, Chauvet et Tissot ont travaillé dans le cadre de leur groupe de travail. La loi Climat et résilience a largement repris la proposition de loi Gremillet sur les barrages.
Il faut trouver une voie de sortie avec la Commission européenne pour éviter la mise en concurrence. La ministre indiquait dès le 11 décembre 2019 que des négociations étaient en cours avec Bruxelles. Quant à la Cour des comptes, elle a souligné en septembre 2013 qu'il était impossible d'en rester au statu quo sur les concessions, car la prolongation des concessions n'entraîne pas celle des redevances...
Je suis d'un territoire alpin comprenant dix centrales hydroélectriques. Cette électricité est propre.
En 2015 et 2019, la Commission européenne a mis la France en demeure d'organiser dans le respect du droit européen les marchés publics sur l'hydroélectricité.
Le Gouvernement a étudié différents scénarios pour EDF. Il semble que le projet Hercule ait été abandonné au printemps.
Des risques planent : conditions de sécurité si des acteurs opportunistes entrent sur le marché, conflits sur l'eau, difficultés pour les acteurs du tourisme, difficultés à faire fonctionner correctement le réseau d'électricité.
Offrons une réponse à la hauteur des enjeux, madame la ministre ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Jean-Jacques Michau . - Je remercie le GEST pour cette proposition de loi, occasion d'un débat sur l'hydroélectricité. Dans un département avec vingt barrages, je suis sensible à leur avenir.
Ces installations sont un enjeu fondamental pour nos territoires, un levier essentiel pour le développement économique.
Stockable et modulable, l'hydroélectricité accélère aussi la décarbonation de l'économie. Les barrages sont les acteurs de la gestion de l'eau sur les territoires.
Cette proposition de loi ouvre le débat alors que les projets de réforme d'EDF sont au point mort, et que la Commission européenne nous demande une mise en concurrence.
Pourtant la quasi-régie n'est pas adaptée. EDF est gros producteur avec 80 % de la production contre 14 % pour la CNR et 3 % pour la SHEM. Nous refusons de séparer la branche hydroélectrique de l'ensemble EDF et craignons la disparition des deux autres groupes. Quelle place pour les collectivités territoriales dans ce schéma ? Quel sort réservé aux salariés des concessions supprimées ?
Il faut réaffirmer l'importance d'un service public de l'énergie. EDF doit rester un grand groupe intégré, avec la maîtrise de la transition énergétique.
L'ouverture à la concurrence n'a pas favorisé les producteurs alternatifs ni profité aux consommateurs, au contraire. L'énergie, bien public, doit rester au service de l'intérêt général.
M. Guillaume Chevrollier . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La transition énergétique ne saurait être atteinte qu'avec un mix équilibré combinant les différentes énergies.
L'hydroélectricité, deuxième source d'électricité en France et première énergie non renouvelable, a connu une production en hausse de 8 %, et couvre 13 % des consommations. Pilotable et flexible, elle répond au mieux aux besoins de consommation. Source d'énergie la plus décarbonée, elle a une forte utilité dans la lutte contre le changement climatique. En Chine, une sécheresse a fait baisser le niveau d'eau des barrages, provoquant une hausse de consommation de gaz.
L'article premier instaure une quasi-régie. L'article 2 organise un service public des énergies non renouvelables. Il y va de l'avenir de la transition et de la souveraineté énergétique.
La Commission européenne a mis en demeure par deux fois la France, pour l'obliger à recourir à des appels d'offres. Quelque 150 concessions sur 400 en 2023 seraient concernées, dont 80% gérées par EDF.
Le Gouvernement a étudié différents scénarios. Le projet Hercule a été abandonné au printemps.
Cette proposition de loi pose plusieurs difficultés. Je suivrai l'avis du rapporteur et de la commission des affaires économiques, espérant une réponse à la hauteur de l'enjeu, afin que l'hydroélectricité soit au coeur de la transition écologique française. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Daniel Chasseing . - En France, l'électricité que nous produisons et consommons est essentiellement nucléaire. Nous avons fait le choix de décarboner avec un mix électricité stable et garantissant notre souveraineté.
Il faut, alors que nous fermons quatre centrales à charbon, augmenter la part du nucléaire. Elle doit être complétée par des énergies non renouvelables, afin d'assurer la réindustrialisation du pays et développer l'électromobilité. Cela assurera plus d'emplois, plus de cotisations retraite, plus de ressources pour la sécurité sociale.
L'eau est une énergie vieille comme le monde ; son exploitation passe par des barrages, des centrales, et à présent par les stations de transfert d'énergie par pompage (STEP). Cela fonde notre force hydroélectrique : l'eau nous fournit 12 % de notre énergie.
Malheureusement, plusieurs projets de STEP sont paralysés - notamment en Corrèze - parce que la Commission refuse la prorogation de la concession. Il faudrait internationaliser les marchés ! C'est scandaleux ! Les barrages sur la Dordogne ou sur la Truyère seront-ils, demain, pilotés depuis Shanghai ou Pékin ?
Ces barrages hydroélectriques participent à notre souveraineté, assurant de l'emploi. Plaçons le secteur sous un régime protecteur. Ce sujet est essentiel pour nos centrales et nos territoires. L'arrivée à terme de nombreuses concessions interroge. L'hydroélectricité est un enjeu de souveraineté, de sécurité et de sûreté.
La quasi-régie pour les installations de moins de 4,5 mégawatts présente des avantages mais aussi des inconvénients. La mesure proposée ici est juridiquement fragile et n'a pas les faveurs des acteurs concernés. Il faut une réflexion globale à l'échelle européenne.
À l'article 2, il faut un service public des énergies non renouvelables. Nous devons protéger l'hydroélectricité et réussir à l'obtenir dans la présidence française à l'Union européenne.
La discussion générale est close.
Discussion des articles
ARTICLE PREMIER
M. le président. - Amendement n°1, présenté par MM. Gontard, Salmon, Benarroche et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Labbé et Parigi et Mmes Poncet Monge, Taillé-Polian et M. Vogel.
I. - Alinéa 3
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Cette obligation entre en application au terme du contrat de concession de chaque installation.
II. - Après l'alinéa 3
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
« Les autres installations sont placées sous le régime de l'autorisation selon les modalités définies à l'article L. 531-1.
« La puissance d'une installation hydraulique, ou puissance maximale brute, au sens du présent livre est définie comme le produit de la hauteur de chute par le débit maximum de la dérivation par l'intensité de la pesanteur. » ;
M. Daniel Salmon. - Cet amendement apporte plusieurs précisions juridiques.
Il précise d'abord que la mise en place du régime de quasi-régie entre en application au terme du contrat de concession de chaque installation. Cela évite des indemnités de changement de régime.
Ensuite, il explicite le maintien du régime d'autorisation des installations de moins de 4,5 mégawatts, ce qui exclut les SEM de l'application.
Ces deux écueils étant levés, rien ne devrait empêcher un vote consensuel !
M. Patrick Chauvet, rapporteur. - Malgré la volonté de corriger deux effets de bord, cet amendement ne suffit pas à rendre le mécanisme de la quasi-régie opérant. Le périmètre retenu est trop large et n'exclurait pas les concessions transfrontalières. De plus, aucune condition financière n'est prévue. Avis défavorable.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - Cet amendement rétablit l'autorisation à l'article premier pour les installations de moins de 4,5 mégawatts mais ferait entrer les concessions dans la quasi-régie à des dates différentes, selon la date d'échéance. Or certaines concessions courent jusqu'en 2050.
Nous voulons créer une quasi-régie intégrée pour toutes les concessions EDF, en même temps, pour que l'entité soit cohérente.
Il manque également les conditions de gouvernance. Avis défavorable.
M. Guillaume Gontard. - Nous évacuons le sujet des SEM en ne visant que les concessions supérieures à 4,5 mégawatts. La proposition de loi Grémillet concerne celles qui sont en deçà de ce seuil.
Madame la ministre, vous dites que les concessions seront toutes reprises d'un coup ? Je m'en réjouis. Vous savez donc certainement financer cette opération et avez le budget nécessaire !
Nous préférons reprendre ces concessions au fur et à mesure qu'elles arrivent à échéance, pour mieux intégrer les salariés. Dans une quasi-régie, on peut aussi retrouver des EPIC, EDF, la SHEM et la CNR.
L'amendement n°1 n'est pas adopté.
L'article premier n'est pas adopté.
ARTICLE 2
M. le président. - Si l'article 2 n'est pas adopté, il n'y aura plus lieu de voter sur la proposition de loi. C'est donc le moment de prendre la parole en explication de vote.
M. Guillaume Gontard . - Quelle alternative proposez-vous pour répondre à la question que nous avons posée ? Un grand service intégré ? Je le souhaite vivement ! Mais ceux qui le prônent sont les mêmes qui, avec un autre Gouvernement, ont désintégré ce service auparavant intégré ! (M. Fabien Gay proteste et demande à s'inscrire pour prendre la parole.) Surtout, on le sait, ce système n'est pas compatible avec le droit européen. Or il y a urgence : 140 concessions sont arrivées à terme. Il faudra rapidement une solution, pour des questions de sécurité et d'investissement.
La quasi-régie est un premier pas. Comment mettre en oeuvre rapidement un service intégré ? La quasi-régie est la seule solution. Ne tournons pas autour du pot !
M. Fabien Gay . - Faut-il rappeler que les écologistes ont été membres du gouvernement Hollande, quand M. Valls négociait la question des barrages à Bruxelles ? (Marques d'amusement et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC) Que les écologistes et d'autres ont voté tous les paquets énergétiques au niveau européen ?
La quasi-régie, c'est la proposition du Gouvernement et de la Commission européenne ; cela ne sort pas les barrages hydroélectriques du marché, ce que nous proposons, nous. C'est un combat politique que nous assumons.
Les consommateurs et les salariés paient les accords de Barcelone de 2002. (M. Gérard Longuet le confirme.)
Combattons le projet Grand EDF et sortons l'hydroélectricité du marché. Qui dirigera ce grand service public du renouvelable ? EDF ? Sera-t-il 100 % public, ou bien vendu au privé ?
M. Daniel Salmon . - Il faut protéger nos barrages de la concurrence. Il ne s'agit pas que d'électricité mais aussi de l'irrigation, du tourisme, du refroidissement des centrales... L'entité barrages électriques est à prendre dans son ensemble, et peut tout à fait être séparée du grand service de l'énergie.
La quasi-régie est 100 % publique, et ce ne serait pas assez public à vos yeux ? Il faudrait atteindre 150 % public ? Soyons sérieux !
L'hydrogène n'est pas une source d'énergie mais un vecteur. Le nucléaire n'est pas renouvelable : l'uranium n'est pas renouvelable et n'est pas produit en France.
Notre proposition de loi est cohérente. Je regrette que l'on remette le débat à plus tard, car il n'y a pas de plan B. Il est encore temps de changer d'avis !
M. Franck Montaugé . - M. Gontard est provocateur. Il n'y a que dans les partis totalitaires que tout le monde est toujours d'accord !
Hier, la commission des affaires économiques a auditionné un professeur d'université plutôt libéral qui a appelé de ses voeux une réorganisation verticale, intégrée, du marché de l'électricité. Notre groupe partage cette approche.
Bruno Le Maire lui-même constate l'inefficacité du marché de l'électricité tel qu'il a été construit. Depuis vingt ans, tout le monde y a gagné, sauf le consommateur !
Ce n'est pas en saucissonnant l'électricité entre production et vente qu'on résoudra le problème. Prenons le sujet dans sa globalité.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission. - Merci au GEST pour ce débat qui a été l'occasion d'une ode à l'hydroélectricité. Chacun loue les retenues d'eau, je m'en félicite.
Madame la ministre, l'avenir d'EDF, sa capacité à être leader, n'est pas un sujet médiocre. L'absence de débat sur ce point avant l'élection présidentielle, alors qu'un accord aurait été trouvé avec la Commission européenne, est frustrante pour le Parlement et dommageable pour EDF - même si je sais que ce n'est pas dans l'agenda de communication du Président de la République.
Deuxième regret : l'absence de vision globale sur la stratégie énergétique de la France. La commission des affaires économiques s'en est donc saisie, avec le groupe de travail confié à Daniel Gremillet, car c'est un élément essentiel de compétitivité et de souveraineté.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - Verte, flexible, décentralisée : nous avons besoin de garder l'hydroélectricité dans le domaine public, car l'eau est un bien commun. La quasi-régie pour les barrages d'EDF, solution que nous privilégions, doit être discutée avec la Commission européenne et avec le Parlement - qui sera saisi d'un projet de loi. (M. Fabien Gay proteste.) Nous devons également nous concerter avec les élus locaux.
Même si nous n'avons pas encore d'accord global, le plan B se dessine ; nous avons beaucoup avancé sur la régulation et la réorganisation d'EDF. Il reste encore plusieurs mois de travail. Nous travaillons à la conclusion de l'accord avec la Commission, échangeons avec les syndicats et préparons un véhicule législatif. Le débat parlementaire aura bien lieu, que ce soit à votre initiative ou à la nôtre.
À la demande du GEST, l'article 2 est mis aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°10 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 335 |
Pour l'adoption | 14 |
Contre | 321 |
Le Sénat n'a pas adopté.
M. le président. - Je constate qu'un vote sur l'ensemble n'est pas nécessaire puisqu'il n'y a plus de texte. En conséquence, la proposition de loi n'est pas adoptée.
La séance est suspendue à 15 h 40.
présidence de M. Georges Patient, vice-président
La séance reprend à 16 heures.
Recours des parlementaires pour excès de pouvoir
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi tendant à reconnaître aux membres de l'Assemblée nationale et du Sénat un intérêt à agir en matière de recours pour excès de pouvoir, présentée par M. Jean-Claude Requier et plusieurs de ses collègues.
Discussion générale
M. Jean-Claude Requier, auteur de la proposition de loi . - (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe UC) Il n'est pas nécessaire d'espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer, comme disait Guillaume d'Orange. Le 23 novembre 2010, Yvon Collin déposait, au nom du RDSE, une proposition de loi tendant à reconnaître la présomption d'intérêt à agir des parlementaires en matière de recours pour excès de pouvoir, dans trois cas : contre une mesure réglementaire relevant du domaine de la loi ; contre une mesure réglementaire contraire à une loi ; contre le refus du Premier ministre de prendre dans un délai raisonnable une mesure réglementaire d'application d'une loi.
Malheureusement, nous n'avions pu convaincre l'hémicycle.
Certes, depuis, le Sénat a progressé - la richesse de notre débat annuel sur l'application des lois le montre. Mais le constat d'Yvon Collin demeure : trop souvent, la mise en oeuvre de la loi est paralysée, voire annihilée, par les retards d'édiction des actes réglementaires, qu'ils soient involontaires ou délibérés.
Lors de son discours du 1er octobre 2020, le président Larcher invitait à réfléchir à une procédure permettant au Parlement de saisir le juge administratif lorsqu'un décret d'application manque à l'appel.
D'où ce nouveau texte, qui affine nos travaux antérieurs mais est plus contenu juridiquement, sans pour autant perdre de sa force politique.
Il crée un recours sui generis permettant au Parlement d'assurer sa mission constitutionnelle, en application de l'article 24 de la Constitution, de contrôle de l'action du Gouvernement.
Il pourra être engagé dans trois cas : contre l'absence de mesure d'application de la loi prise dans un délai raisonnable ; contre une ordonnance qui violerait le champ de l'habilitation ; contre un acte réglementaire autorisant la ratification ou l'approbation d'un traité lorsque cette autorisation aurait dû relever de la compétence du législateur.
La jurisprudence du Conseil d'État ne permet pas à ce jour à un parlementaire d'exercer un recours juridictionnel ès qualités.
Or qui plus que les parlementaires est intéressé par le respect du domaine de la loi ? Étrangement, jamais la justice administrative n'a évolué dans ce sens, alors que les lois sont soumises au respect de nos principes fondamentaux et expriment la volonté générale.
Depuis Rousseau, Locke et Montesquieu, c'est au Parlement d'écrire la loi et au Gouvernement de l'exécuter. La Constitution de 1791 précise d'ailleurs que « le pouvoir exécutif est chargé de faire promulguer et exécuter les actes du corps législatif ». C'est sa mission originelle, qui a été dénaturée. À force de rationalisation du parlementarisme, on en arrive à confondre programme gouvernemental et volonté générale...
Le Parlement doit reprendre ses prérogatives constitutionnelles. Débattre une fois par an de l'application des lois ne suffit pas à garantir un véritable droit de suivi.
Introduire un droit de recours ouvert aux parlementaires n'a rien d'atypique, au contraire : cela rappelle au pouvoir exécutif sa fonction.
Reste la question du titulaire du recours. Notre proposition initiale était maximaliste.
M. Jean-Pierre Sueur. - Et excellente !
M. Jean-Claude Requier. - Elle ouvrait ce droit à tous les parlementaires. La commission des lois a restreint cette possibilité aux présidents des commissions permanentes.
M. Jean-Pierre Sueur. - Hélas !
M. Jean-Claude Requier. - Je comprends qu'il faille éviter l'engorgement de nos juridictions, et donc limiter le droit de recours. Reste à trouver la mesure. Ne faudrait-il pas étendre ce droit aux présidents de groupe ?
Mme Nathalie Goulet. - Oui !
M. Jean-Claude Requier. - Je vous invite à adopter ce texte, en espérant que la navette aboutira. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe UC ; M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)
Mme Maryse Carrère, rapporteure de la commission des lois . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Combien d'entre nous se sont désespérés d'attendre la publication de décrets nécessaires à l'entrée en vigueur d'un amendement ?
Si, en vertu de l'article 24 de la Constitution, le Parlement contrôle l'action du Gouvernement, aucun texte ne permet d'obtenir la publication de textes d'application manquants, aucune règle ne fixe le délai maximum dont dispose le Gouvernement pour prendre ces décrets.
Le Sénat publie un bilan annuel sur l'application des lois depuis 1972 et organise des débats dédiés en séance publique.
Reconnaissons que le taux d'application est globalement satisfaisant, grâce au Secrétariat général du Gouvernement : le Gouvernement n'utilise pas son véto implicite et s'efforce de respecter le délai indicatif de six mois qu'il s'est fixé par circulaire.
Toutefois, les parlementaires sont désarmés pour réclamer la publication des décrets manquants. C'est d'autant plus frustrant que le Conseil d'État considère, depuis l'arrêt « Dame veuve Renard » de 1964, que l'absence de publication de mesures d'application dans un délai raisonnable engage la responsabilité de l'État et que le justiciable dispose d'un intérêt à agir. Il a jugé illégal le refus du Premier ministre de prendre un décret d'application nécessaire à l'entrée en vigueur d'une loi - mais refuse de reconnaître au parlementaire un intérêt à agir. Cette jurisprudence a été confirmée par le Conseil d'État en 2011, à l'occasion d'une saisine par notre collègue Jean Louis Masson.
La présente proposition de loi reprend la rédaction proposée par Jean-René Lecerf, rapporteur de la proposition de loi du RDSE de 2011.
L'article unique modifie l'ordonnance du 17 novembre 1958 pour créer une présomption irréfragable d'intérêt à agir au bénéfice des parlementaires pour introduire un recours en excès de pouvoir.
La commission des lois a vérifié la constitutionnalité du dispositif. La séparation des pouvoirs est respectée ; la loi ordinaire peut prévoir des mécanismes de contrôle de l'action du Gouvernement.
La proposition de loi se contente en outre d'aménager un recours existant, déjà largement ouvert par le juge.
Des présomptions légales d'intérêt à agir en faveur de membres du Gouvernement existent déjà.
Le recours pour excès de pouvoir est, en lui-même, un instrument de régulation des relations entre pouvoirs exécutif et législatif puisqu'il fait respecter la hiérarchie des normes.
Enfin, la loi du 8 février 1995 a donné au juge administratif un droit d'injonction à l'encontre le pouvoir réglementaire, sans que sa constitutionnalité ait été remise en cause.
La commission des lois a limité le champ de l'intérêt à agir aux présidents des assemblées et des commissions permanentes. C'est cohérent avec le Règlement du Sénat qui confie aux commissions permanentes le suivi de l'application de lois.
Elle a ouvert le champ du recours au refus de prendre des arrêtés ministériels et élargi le champ des moyens pouvant motiver la saisine contre une ordonnance.
Le texte s'en trouve enrichi et fera bouger les choses. Adoptons-le largement. (Applaudissements sur les travées du RDSE ; Mme Nathalie Goulet, M. Jean-Pierre Sueur et Mme Éliane Assassi applaudissent également.)
M. Marc Fesneau, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne . - La proposition de loi du président Requier est l'occasion de débattre de la bonne application des lois. Le Sénat effectue un travail minutieux et utile avec son bilan annuel, qui concerne désormais aussi les ordonnances. J'en suis témoin : cela accélère la publication.
Cette proposition de loi s'inscrit dans la continuité des débats de 2011, avec Yvon Collin et Patrick Ollier, qui avaient été de qualité, et conduit au rejet du texte.
Le Gouvernement salue la volonté du Sénat de s'assurer de la bonne application des lois et du respect de notre Constitution, mais met en garde contre la judiciarisation des rapports entre les pouvoirs qu'une application systématique entraînerait.
Les rapports entre Parlement et Gouvernement sont définis au titre V de la Constitution, qui prévoit la saisine du Conseil constitutionnel. L'intervention du juge administratif, jusqu'alors absent des rapports entre Gouvernement et Parlement, vient modifier cet équilibre des pouvoirs - ce que soulignent les professeurs Thierry Rambaud et Agnès Roblot-Troizier : si le requérant se prévaut de sa qualité de parlementaire, ce n'est pas l'autorité administrative qui est sanctionnée mais le pouvoir exécutif. La juridiction apparaît dès lors comme exerçant une fonction politique.
Au demeurant, il est étonnant que le Parlement se dote d'une telle prérogative au travers d'une loi ordinaire.
Le Conseil constitutionnel censure régulièrement des dispositions législatives injonctives.
La proposition de loi complexifierait un processus qui gagnerait, au contraire, à s'appuyer sur le dialogue.
Je salue la limitation de son champ en commission, mais crains tout de même une judiciarisation systématique de l'application de la loi et une multiplication des recours contentieux.
Je rappelle que le taux d'application des lois est de 88 %, malgré le contexte difficile des dix-huit derniers mois. Le temps juridictionnel ne doit pas se substituer au temps politique.
Au-delà, la proposition de loi vise à mieux contrôler le respect des habilitations à légiférer par ordonnance. Je comprends l'intention, mais pas la méthode proposée. Le Parlement peut déjà ratifier et, le cas échéant, modifier tout ou partie d'une ordonnance. La dernière révision du Règlement du Sénat améliore le suivi des ordonnances et conduira à des débats réguliers. L'intervention du juge administratif fait concurrence au dialogue et aux outils dont les sénateurs disposent déjà. Enfin, un requérant ayant intérêt à agir peut déjà saisir le juge.
S'agissant des conventions internationales, l'équilibre institutionnel selon lequel le Gouvernement décide seul de l'opportunité de soumettre un traité au Parlement est remis en cause.
Nous partageons vos intentions mais les mécanismes proposés nous semblent contraires à l'esprit de nos institutions. Je me réjouis malgré tout du dialogue constructif avec la Haute Assemblée, dans le souhait commun de voir les lois votées pleinement appliquées. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Mme Agnès Canayer . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Pourquoi ouvrir aux parlementaires une voie d'accès spécifique au juge? L'intervention du juge administratif est parfois nécessaire pour susciter la mise en oeuvre de certaines mesures votées dans la loi.
Le contrôle du Parlement sur le Gouvernement est essentiellement politique, en accord avec le principe de séparation des pouvoirs, mais dans un régime semi-présidentiel marqué par le fait majoritaire, cela ne suffit pas toujours.
La publication des décrets d'applications constitue un goulot d'étranglement dans la mise en oeuvre des lois votées. C'est un problème démocratique.
La justice administrative reste circonspecte face aux recours formulés par un parlementaire ès qualités : le Conseil d'État l'a écarté du prétoire en 2011.
On répondra que le Parlement peut saisir le juge constitutionnel.
Il ne s'agit aujourd'hui que de prévoir un nouvel accès, limité, à un type de recours déjà existant - point sur lequel avaient achoppé les précédentes propositions de loi.
Le présent texte est plus robuste et a été amélioré par la commission des lois. La proposition de loi initiale risquait de remettre en cause l'indivisibilité de la représentation nationale : limiter l'intérêt à agir aux présidents des assemblées et des commissions est sage et n'empêche pas l'opposition d'agir puisqu'elle préside la commission des finances.
La commission des lois a élargi le spectre des actes pouvant faire l'objet de recours et proposé que les recours contre les ordonnances ne soient pas limités à un moyen unique fondé sur la méconnaissance du périmètre d'habilitation.
La jurisprudence du Conseil constitutionnel sur l'article 38 a accru l'incertitude pour le législateur.
M. Jean-Pierre Sueur. - Absolument !
Mme Agnès Canayer. - Ce texte renforce ainsi utilement le rôle du Parlement. Le groupe Les Républicains le votera dans la rédaction de la commission des lois. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE ; M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)
Mme Mélanie Vogel . - Les difficultés et lenteurs du Gouvernement dans l'application des textes sont connues, et le Parlement se trouve démuni pour le rappeler à l'ordre dans le cadre de sa fonction de contrôle de l'action du Gouvernement.
Aussi le GEST a-t-il accueilli cette proposition de loi avec un grand intérêt.
Une circulaire de 2008 fixe un délai maximum de six mois pour la prise des textes réglementaires d'application, mais elle n'a pas de valeur contraignante. La secrétaire générale du Gouvernement confirme que dans la majorité des cas, ce délai est respecté, mais l'incapacité du Parlement à agir en cas de manquement reste problématique.
Parfois, le juge administratif a pu reconnaître un intérêt à agir à des parlementaires, mais à titre personnel et sans lien avec cette qualité.
Faire bénéficier l'ensemble des parlementaires de la présomption d'intérêt irréfragable à agir n'est pas viable, pour des raisons pratiques mais aussi philosophiques, car cela individualise à l'excès la représentation nationale.
Toutefois, toutes les sensibilités politiques, qui ne sont pas représentées par les seuls présidents des commissions permanentes, doivent bénéficier de la présomption d'intérêt à agir. Nous avons déposé un amendement en ce sens, dont l'adoption conditionnera notre vote. (Applaudissements sur les travées du GEST ; M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)
Mme Éliane Assassi . - La semaine dernière, nous dénoncions la méthode du Gouvernement qui consiste à faire passer des mesures d'ampleur par ordonnances. Ce texte nous invite, lui aussi, à dénoncer ces empiétements.
Si l'article 24 de notre Constitution confie au Parlement le contrôle de l'action du Gouvernement, la Ve République ne lui donne pas les moyens d'assumer son rôle. Il est fréquent que le Gouvernement ne respecte pas l'intention du législateur ; face à cela, le fait majoritaire rend le seul instrument contraignant disponible, la motion de censure, quasi inapplicable.
Ainsi, en 2020, le taux d'application des lois a baissé de 72 à 62 %, et la proportion est encore plus faible pour les propositions de loi. Le Gouvernement use à foison de la procédure accélérée et des ordonnances non ratifiées, et le délai d'application des lois augmente.
Le pouvoir d'injonction ne peut être mis en oeuvre que si l'intérêt à agir est reconnu, or le juge administratif ne le reconnaît pas au parlementaire en tant que tel, d'où des jugements incongrus où il a été considéré que le parlementaire pouvait agir au titre de consommateur de produits pétroliers, d'actionnaire d'une société d'autoroutes ou de téléspectateur...
Écoutons le professeur Olivier Renaudie, qui juge dépassée la réserve du Conseil d'État sur le sujet. Ce texte ne fait qu'aménager une voie de recours existante.
La commission des lois a amélioré le texte sous certains aspects, mais nous regrettons la restriction de l'intérêt à agir aux présidents des assemblées et des commissions permanentes, à l'exclusion des groupes minoritaires. (Mme Nathalie Goulet approuve.)
Le groupe CRCE défend un changement de régime constitutionnel bien plus global. Si notre amendement élargissant la présomption irréfragable d'intérêt à agir aux présidents de groupe est adopté, nous voterons cette proposition de loi. Dans le cas contraire, nous nous abstiendrons. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE ; MM. Jean-Pierre Sueur et Jean-Claude Requier applaudissent également.)
Mme Nathalie Goulet . - Quelle bonne idée, président Requier, que de nous présenter ce texte, mais quel dommage qu'il soit examiné un jeudi après-midi devant des rangs clairsemés...
Votre texte donne de nouveaux pouvoirs au Parlement à un moment où celui-ci se sent démuni, découragé face aux ordonnances et aux procédures accélérées. Monsieur le ministre, vous avez soutenu qu'une procédure accélérée prenait six à huit mois, mais c'est une lecture unique ! Nous manquons de temps, noyés que nous sommes dans une diarrhée législative qui aboutit à des catastrophes : voyez la suppression du renouvellement des juges consulaires, causée par l'accumulation des textes...
Qu'est-ce que le contrôle sans moyens d'action ni sanctions ? Le recours pour excès de pouvoir sera une arme efficace. Les Pandora Papers nous rappellent qu'en matière de finances, le Parlement arrive à la fumée des cierges : les conventions fiscales internationales sont passées, que nous le voulions ou non. Je songe notamment à la convention avec Panama.
Voici quelques exemples des retards pris : la loi relative à la régulation des naissances, votée en 1967 et appliquée en 1970, la loi ALUR - deux ans de délai, la loi Littoral, votée en 1986, appliquée dix-huit ans plus tard ! Heureusement, les délais s'améliorent, si l'on fait exception de la loi ELAN.
Autre exemple : le répertoire national commun de la protection sociale, qui devait nous aider à gérer 137 organismes de sécurité sociale contre 292 risques. Il a été créé par la LFSS pour 2007. Malgré des relances, un nouvel amendement adopté dans la LFSS pour 2015, ce répertoire ne fonctionne toujours pas. La Cour des comptes nous a récemment assuré qu'il serait « bientôt » mis en place. Et, en août 2021, un rapport conjoint des inspections générales des affaires sociales et des services annonce une réflexion sur l'organisation d'un tel répertoire... Les amendements, le texte voté, les questions écrites, les questions orales n'y ont rien changé.
C'est pourquoi je suis extrêmement favorable à la proposition de loi. J'ai déposé un amendement pour étendre la possibilité d'agir aux présidents de groupes. Pourquoi les groupes minoritaires seraient-ils écartés ?
Dans le cadre du PLF et du PLFSS, les rapporteurs ont trois minutes pour s'exprimer. À force de travailler dans ces conditions décourageantes, nous perdons la foi dans notre capacité à faire valoir nos arguments.
Le groupe UC votera résolument cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE, du GEST et sur plusieurs travées des groupes SER et Les Républicains)
M. Stéphane Artano . - Cette proposition de loi répond au souhait exprimé par le président de notre assemblée que les parlementaires se voient reconnaître une présomption d'intérêt à agir en recours pour excès de pouvoir. Elle s'inscrit dans la continuité du texte déposé par notre ancien collègue Yvon Collin le 23 décembre 2010.
La notion d'intérêt à agir permet d'exclure les demandeurs dont la situation n'a aucun lien avec l'excès de pouvoir qu'ils dénoncent. Qu'en est-il, dans ce cadre, des parlementaires ? Le Conseil d'État est resté très longtemps évasif, avant d'estimer récemment que la seule qualité de parlementaire ne suffisait pas.
À ce jour, les parlementaires ne disposent d'aucun mécanisme institutionnel pour exiger une application des lois dans un délai raisonnable. Il faut un outil de contrôle de pleine application, au-delà de la seule information.
Nous voulons garantir le respect de l'intention du législateur. À qui réserver le droit d'agir ? La commission l'a confié aux présidents des assemblées et des commissions permanentes, mais on pourrait envisager un élargissement aux présidents de groupes. Le RDSE votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur quelques travées du groupe CRCE)
M. Jean-Pierre Sueur . - C'est une heureuse initiative que celle du président Requier. Les parlementaires doivent pouvoir saisir le Conseil d'État pour excès de pouvoir.
Le ministre accueille la proposition avec des arguments mitigés, sans atteindre les sommets de sa collègue qui, la semaine dernière, s'est montrée glaciale vis-à-vis de notre initiative contre vl'ordonnance réformant profondément la haute fonction publique.
Il faut que les choses changent. J'espère que le 4 novembre, le Gouvernement sera moins glacial avec notre proposition de loi soumettant les ordonnances à une ratification expresse par le Parlement.
Moi qui suis un socialiste réformateur, j'estime que tous les pas dans le bon sens sont appréciables. Cette proposition de loi en est un.
En 2004, je suis allé devant le Conseil d'État au nom de soixante sénateurs, estimant que l'ordonnance sur les partenariats public-privé n'était pas conforme à l'intention du législateur.
Le Conseil d'État a botté en touche de façon très élégante : puisqu'un amendement adopté par le Parlement citait un alinéa de cette ordonnance, il l'a considérée comme implicitement ratifiée - alors même que ni le Gouvernement, ni le Parlement ne s'en étaient aperçus !
M. Didier Migaud, ancien membre éminent de l'Assemblée nationale, a vu son intérêt à agir devant le Conseil d'État reconnu, en tant que consommateur de produits pétroliers. M. François Bayrou a, lui, été entendu comme actionnaire de société d'autoroute. Enfin, notre ancienne collègue Nicole Borvo s'est vu reconnaître la qualité de téléspectatrice ! Vous le voyez bien, tout cela est quelque peu pitoyable. Les parlementaires doivent voir leur intérêt à agir reconnu ès qualités.
Monsieur Requier, le premier mouvement est souvent le bon ! Votre proposition de loi était parfaite, mais, pris de scrupule, vous avez ensuite limité en commission la présomption d'intérêt à agir aux présidents des assemblées et des commissions permanentes. Votez notre amendement ouvrant la saisine du Conseil d'État à tous les parlementaires, ou au moins aux présidents de groupes. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, RDSE, CRCE, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains)
M. Bernard Buis . - Cette proposition de loi, au-delà de sa dimension technique, relève d'un débat vivant, ouvert en 2011 dans cette assemblée, et nourri depuis par une jurisprudence évolutive.
La jurisprudence du Conseil d'État sur l'intérêt à agir a évolué. Jusqu'en 2014, il louvoyait entre contournement et évitement. Depuis, il rejette l'intérêt à agir des parlementaires en tant que tels. Les lignes de la séparation des pouvoirs ont bougé, et la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) ou le rôle de conseil du Conseil d'État auprès des parlementaires ont créé un droit administratif des assemblées parlementaires.
Plus que la typologie des personnes, c'est le type d'actes concernés par la présomption irréfragable de l'intérêt à agir qui doit être examiné. L'approche matérielle retenue me semble répondre à la crainte légitime du ministre d'une dénaturation du recours pour excès de pouvoir, utilisé comme un moyen de poursuivre le combat politique.
En revanche, le groupe RDPI a quelques réserves sur la reconnaissance de l'intérêt à agir contre une ordonnance prise au titre de l'article 38 de la Constitution, dès lors qu'un des moyens soulevés porte sur le non-respect du champ de l'habilitation, et non lorsqu'il s'agit de l'unique moyen soulevé. Nous proposerons un amendement de rétablissement du texte initial.
Toutefois, le groupe RDPI votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Jean-Pierre Sueur et Mme Éliane Assassi applaudissent également)
M. Joël Guerriau . - Une fois la loi adoptée, le législateur doit encore contrôler l'action du Gouvernement. L'article 24 de la Constitution introduit par la révision de 2008 fait du contrôle de l'application des lois une des missions primordiales du Parlement.
Il serait inadmissible que les lois restent lettre morte ; sinon, à quoi bon les voter ? Veiller à leur mise en oeuvre, c'est garantir la crédibilité du Parlement et l'efficacité de notre démocratie.
Cette proposition de loi renforce le contrôle du Gouvernement par le Parlement, en ouvrant un droit de recours contre le refus de prendre des décrets d'application, contre une ordonnance qui outrepasse son champ d'habilitation, ou contre un décret ratifiant un accord international alors que la loi devrait le faire.
Elle est pertinente et opportune ; elle ne crée pas de nouvelle catégorie de recours mais adapte les voies de recours existantes.
La commission des lois a limité le champ des parlementaires pouvant exercer des recours aux présidents des deux chambres et à ceux des commissions permanentes, puisque celles-ci assurent le suivi de l'application des lois. Elle a aussi précisé l'objet du recours, étendu au refus de prendre tout arrêté ministériel.
Je remercie le RDSE d'avoir ainsi renforcé le rôle du Parlement. Le groupe INDEP votera ce texte avec enthousiasme. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe UC ; MM. Marc Laménie et Jean-Pierre Sueur applaudissent également.)
M. Édouard Courtial . - Le 20 octobre 2020, le président Larcher défendait la mise en place d'une procédure de saisine du juge administratif en cas de refus de prendre un décret d'application.
Ce texte décline cette volonté, et je remercie la rapporteure d'en avoir renforcé l'effectivité en en circonscrivant le champ. Cette proposition de loi, telle que la commission l'a votée, crée ainsi une présomption irréfragable d'intérêt à agir pour les présidents des assemblées et des commissions permanentes.
Alors que le texte initial ne concernait que le refus du Premier ministre de prendre des mesures réglementaires d'application, l'élargissement aux arrêtés ministériels est bienvenu. Le texte crée aussi un recours contre tout élargissement indu du champ d'une ordonnance.
L'évolution du contrôle institutionnel a modifié notre regard sur ces questions. Cette proposition de loi renforce le pouvoir de contrôle du Parlement dans l'application des lois, alors que l'impossibilité de le mettre en oeuvre créait un droit de veto implicite sur les textes votés.
La possibilité d'une inconstitutionnalité liée à l'absence de respect de la séparation des pouvoirs semble écartée : le texte ne fait qu'aménager un recours existant, qui est un instrument de régulation des relations entre l'exécutif et le législatif.
Cette proposition de loi contribuera aussi à la lutte contre l'inflation normative galopante.
Si les récents bilans d'application sont globalement satisfaisants, certains textes réglementaires manquent à l'appel, et beaucoup de parlementaires attendent toujours de voir mis en oeuvre un amendement qu'ils ont fait adopter...
Ce texte répond aux craintes de dépossession du Parlement de ses prérogatives. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du RDSE)
La discussion générale est close.
Discussion de l'article unique
M. Pierre Ouzoulias . - Cette proposition de loi importante réaffirme les pouvoirs du Parlement, notamment sa mission de contrôle du Gouvernement qui découle de l'article 24 de la Constitution.
Il est difficile pour un sénateur de l'exercer. À plusieurs reprises, j'ai demandé communication de pièces administratives à un ministère et à des universités. Devant leur refus, j'ai saisi la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA). Un refus de communication lui a semblé injustifié, mais elle a estimé que ma recherche relevait plutôt des relations institutionnelles entre le Parlement et le Gouvernement, et qu'elle n'était donc pas compétente. Officieusement, on m'a dit qu'il aurait été fait droit à cette demande si elle avait émané de ma femme... (Sourires)
Autrement dit, un parlementaire, dans l'exercice de ses missions institutionnelles, a moins de pouvoir que n'importe quel citoyen !
Cette proposition de loi est un pied dans la porte, mais il faudra aller plus loin.
M. le président. - Amendement n°4, présenté par M. Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Alinéa 2
Remplacer les mots :
présidents des assemblées parlementaires et les présidents de leurs commissions permanentes ont chacun
par les mots :
membres de l'Assemblée nationale et du Sénat ont
M. Jean-Pierre Sueur. - Revenons à l'esprit initial de la proposition de loi et étendons la présomption d'intérêt à agir à tous les parlementaires, comme le défendait Alain Richard devant la commission des lois. (M. Bernard Buis approuve.) Dès lors que tous les Français peuvent saisir la justice administrative, il n'y a pas d'inconvénient à ce que les parlementaires le fassent.
Nous défendons ardemment l'esprit et la lettre de la proposition de loi.
M. le président. - Amendement n°3, présenté par Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Alinéa 2
Après le mot :
parlementaires
insérer les mots :
, les présidents de groupe politique de ces assemblées
Mme Éliane Assassi. - Nous souhaitons que les présidents des groupes politiques bénéficient de la présomption d'intérêt à agir, pour ne pas léser les groupes d'opposition et minoritaires. Adopter cet amendement serait un geste fort.
Dans ce même esprit, le Sénat avait adopté en 2008 un amendement du groupe CRCE élargissant à tous les groupes parlementaires la possibilité de saisir le Conseil constitutionnel.
M. le président. - Amendement n°5, présenté par M. Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Alinéa 2
Remplacer les mots :
et les présidents de leurs commissions permanentes
par les mots :
, les présidents de leurs commissions permanentes et les présidents des groupes politiques
M. Jean-Pierre Sueur. - Cet amendement de repli étend la présomption d'intérêt à agir aux présidents des groupes politiques.
Il nous a été opposé que le président de la commission des finances est issu de l'opposition, mais cette pratique n'est inscrite dans aucun texte. De plus, il y a d'autres groupes minoritaires dans nos assemblées que celui auquel appartient ledit président.
M. le président. - Amendement n°2, présenté par Mme N. Goulet.
Alinéa 2
Après le mot :
permanentes
insérer les mots :
et les présidents des groupes politiques
Mme Nathalie Goulet. - C'est un amendement similaire, qui procède du respect républicain. La majorité et l'opposition, ça va, ça vient...
M. le président. - Amendement identique n°6, présenté par M. Benarroche, Mme M. Vogel, M. Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian.
Mme Mélanie Vogel. - Il n'est pas neutre de limiter le droit au recours pour excès de pouvoir aux présidents des assemblées et des commissions permanentes. Il serait plus sage de l'ouvrir à tous les groupes.
Mme Maryse Carrère, rapporteure. - Notre choix de restreindre le périmètre s'explique par la volonté de privilégier un droit d'agir institutionnel. Il est également cohérent avec le Règlement du Sénat, qui confie le contrôle de l'application des lois aux commissions permanentes.
Vos amendements déplaceraient le recours pour excès de pouvoir du terrain juridique vers le terrain politique. Le recours ne doit pas être un faire-valoir au service d'un parlementaire.
Il est cependant important que le débat ait lieu en séance, puisqu'il concerne toute notre assemblée.
L'adoption de ces amendements ne modifierait pas, à mes yeux, le sens de la proposition de loi.
M. Marc Fesneau, ministre délégué. - Avis défavorable à l'amendement n°4 qui revient au texte initial.
Sagesse sur les amendements nos3 et 5 et sur les amendements identiques nos2 et 6 : il faut garantir une expression pluraliste, comme l'ont dit Mmes Vogel, Assassi et Goulet.
M. Jean-Pierre Sueur. - Madame la rapporteure, avec un excès de pudeur qui vous honore, vous avez évoqué un risque politique. Oui, les présidents de groupe font de la politique, mais les présidents de commission aussi, et même les présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat ! Votre argument est inopérant.
Voudriez-vous priver M. Requier, auteur de ce texte, dont vous êtes signataire, de la possibilité de faire un recours ? (Sourires)
Je salue la sagesse préconisée par le ministre : après les déclarations glaciales, nous progressons.
Mme Nathalie Goulet. - Très souvent, le retard à l'allumage des mesures d'application est dû à des problèmes politiques : dix-huit ans pour la loi Littoral, c'est qu'il y avait des intérêts à ménager...
Ce serait l'honneur du Sénat que d'associer les présidents de groupe à ce droit de recours. Voyez les procédures de levée d'immunité parlementaire : elles se règlent politiquement, les arbitrages rendus ne sont pas toujours ceux que l'on attend.
M. Jean-Claude Requier. - Il est vrai que notre proposition de loi visait initialement l'ensemble des parlementaires, mais j'ai craint des excès analogues à ceux que l'on peut constater dans la production d'amendements...
Je ne suis cependant pas hostile à l'élargissement aux présidents de groupe. C'est déjà un filtre suffisant, et je conviens que le président de la commission des finances ne représente pas tous les groupes d'opposition. (Mme Éliane Assassi approuve.)
Mme Maryse Carrère, rapporteure. - Pour la bonne application de la loi, il n'y a pas de clivage politique qui tienne. Je suis sûre, monsieur Sueur, qu'en tant que président de la commission des lois, vous n'auriez jamais refusé un tel recours à M. Requier.
Ouvrir ce droit à tous les parlementaires, soit un millier de requérants potentiels, risque de faire de cette possibilité de recours en excès de pouvoir une tribune politique, ce qui porterait atteinte à la crédibilité du Parlement.
L'amendement n°4 n'est pas adopté.
L'amendement n°3 est adopté.
L'amendement n°5 et les amendements identiques nos2 et 6 n'ont plus d'objet.
L'article unique, modifié, est adopté.
INTITULÉ DE LA PROPOSITION DE LOI
M. le président. - Amendement n°1, présenté par MM. Requier, Artano, Bilhac, Cabanel et Corbisez, Mme N. Delattre, MM. Fialaire, Gold et Guérini, Mme Guillotin, M. Guiol, Mme Pantel et M. Roux.
Rédiger ainsi cet intitulé :
Proposition de loi visant à renforcer le contrôle par le Parlement de l'application des lois
M. Jean-Claude Requier. - Au regard des amendements adoptés, il est désormais plus juste d'intituler ainsi cette proposition de loi : « Proposition de loi visant à renforcer le contrôle par le Parlement de l'application des lois ».
Mme Maryse Carrère, rapporteure. - Avis favorable.
M. Marc Fesneau, ministre délégué. - Sagesse.
L'amendement n°1 est adopté et la proposition de loi est ainsi intitulée.
La proposition de loi, modifiée, est adoptée.
(Applaudissements)
La séance est suspendue quelques instants.
Encourager les dons et adhésions aux associations
Discussion générale
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à encourager les dons et adhésions aux associations à vocation sportive, culturelle et récréative dans le contexte de l'épidémie de covid-19, présentée par M. Éric Gold et plusieurs de ses collègues.
M. Éric Gold, auteur de la proposition de loi . - La vie associative fait partie de notre quotidien. Son importance se mesure par les chiffres : 1,5 million d'associations, 13 millions de bénévoles, 132 000 collaborateurs en service civique et 1,8 million d'emplois, en majorité féminins.
On ne prend conscience du prix des choses que quand on en est privé : ce fut le cas pour les associations durant la phase la plus dure de la pandémie.
Les associations sont le creuset de la vie citoyenne, démocratique, sociale et culturelle. Chacun peut y agir de façon solidaire et désintéressée, dans un cadre collectif. Les associations sont l'endroit où l'on fait ensemble.
De nombreux besoins sociétaux non satisfaits par les services publics le sont par les associations.
Dans une société de plus en plus individualisée, le fait associatif n'appartient pas au passé, au contraire : il est nécessaire à la construction d'un avenir plus juste, plus humain.
Mais la vitalité de la vie associative n'est pas un acquis, comme la pandémie nous l'a rappelé : 90 % des associations fonctionnent uniquement grâce aux bénévoles. Leur moral est en baisse, selon une étude de Recherche & Solidarité d'avril 2021 ; 76 % d'entre elles ont subi des pertes financières. Une grande partie ont été mises à l'arrêt, avec la fermeture des lieux de rencontre.
Pour les associations sportives, la suspension des compétitions, la fermeture des lieux d'entraînement ont entraîné des reports et des résiliations de licences.
C'est ainsi qu'entre fin 2019 et fin 2020, les associations sportives ont perdu 14 % de leurs salariés ; les associations de loisirs, 13 % ; les associations culturelles, 7 %. Or l'emploi associatif représente 9 % de l'emploi du secteur privé.
L'État a joué son rôle d'amortisseur, avec près de 600 millions d'euros d'aides ciblées. Un fonds de solidarité spécifique a été créé pour soutenir les plus fragiles. Les collectivités territoriales n'ont pas été en reste, maintenant leurs subventions aux associations rendues inactives par la crise sanitaire.
Cette proposition de loi vient compléter ces mesures de soutien en portant de 66 à 75 % la réduction d'impôt au titre des dons effectués par les particuliers et rend l'adhésion à une association éligible à un crédit d'impôt de 50 % de son montant, dans la limite de 100 euros.
Madame la ministre, je sais que le Gouvernement est conscient de la situation, mais vos mesures sont insuffisantes, notamment pour les petites associations en milieu rural, si essentielles dans nos communes, et si dépourvues des ressources nécessaires pour s'informer des aides et les demander.
Le Pass'Sport, qui nécessitait la création d'un compte associatif, n'a pas trouvé son public. Il est probable que les 100 millions d'euros prévus pour son budget ne seront pas consommés.
Un coup de pouce supplémentaire est donc indispensable, alors que les recettes des associations dépendent souvent de manifestations qui n'ont pu se tenir avec le confinement.
Je trouve le rapport de la commission sévère, et j'ai l'impression que nous n'avons pas rencontré les mêmes responsables d'associations... Néanmoins, entendant vos observations, j'ai déposé huit amendements à mon texte, notamment pour limiter la réduction d'impôt aux revenus perçus en 2021, restreindre le champ des associations bénéficiaires, et mettre en place la gratuité de l'adhésion pour les enfants de moins de 12 ans, grâce à une contribution des fédérations excédentaires.
J'ai la conviction que nous pouvons arriver à un accord.
Sur le terrain, l'immense majorité des associations, sans moyens d'ingénierie, ne tiennent que par quelques bénévoles fatigués. Ne les décevons pas. (Applaudissements sur les travées du RDSE ; Mme Nadine Bellurot applaudit également.)
M. Arnaud Bazin, rapporteur de la commission des finances . - Cette proposition de loi porte de 66 à 75 % la réduction d'impôt sur les dons aux associations sportives, culturelles et récréatives : c'est une extension du dispositif Coluche. Elle crée également un crédit d'impôt temporaire de 50 % sur les adhésions, dans la limite de 100 euros.
La commission des finances a déjà examiné ces mesures, proposées par amendement au projet de loi de finances rectificative de juillet 2021. Plusieurs dispositifs similaires avaient été proposés au cours de la crise sanitaire.
La commission partage votre constat préoccupant, mais nous ne sommes pas d'accord sur le remède. Nous nous sommes posé deux questions : quels sont la situation et les besoins des associations ? Le dispositif proposé y répond-il ?
Concernant le premier point, le pire a été évité pendant la crise, grâce à l'État et aux collectivités territoriales, qui ont maintenu les subventions. Les associations sportives, culturelles et récréatives ont reçu 600 millions d'euros d'aides, ce qui n'est pas négligeable. Moins de 10 % des associations éligibles ont sollicité le fonds de solidarité.
Avec la fin de la crise sanitaire, il ne s'agit plus de survivre, mais de retrouver des bénévoles et des adhérents. Les associations sont unanimes sur ce point.
Par conséquent, ce texte ne répond pas à leurs besoins. Les dons ne représentent que 4,6 % des financements associatifs, contre 20 % pour les concours publics et 66 % pour les recettes d'activités.
Cette mesure n'aura donc que peu d'impact sur la situation économique des associations, et ne répond pas à leur problématique, qui est le recrutement.
De plus, le crédit d'impôt à la souscription est d'une efficacité douteuse, car son impact est différé : il ne serait versé qu'en 2023, si le dispositif entrait en vigueur avant la fin de l'année. Il n'aurait donc aucun effet sur la période de souscription des licences sportives, entre juin et septembre prochains.
Ce sont des solutions de court terme, budgétaires et non fiscales, qu'il nous faut. Le Pass'Sport en fait partie. Le levier fiscal n'a été actionné pour les associations cultuelles que parce que l'État ne peut pas les subventionner.
Enfin, le dispositif est trop large : les associations sportives, culturelles et récréatives représentent 64 % des associations en France, soit 892 603 structures. Ce nombre dilue l'intérêt du taux majoré. En outre, celui-ci bénéficierait surtout aux grosses structures, qui peuvent organiser des collectes.
La proposition de loi part d'une bonne intention mais elle n'est donc pas le bon instrument pour relancer la vie associative.
Plus grave, les associations culturelles, sportives, de loisirs seraient traitées de la même façon que les associations caritatives, qui perdraient leur avantage comparatif, faisant peser sur elles un risque d'éviction.
Dans une crise qui a fait croître la précarité, pouvons-nous prendre ce risque ? Les associations sportives, culturelles, récréatives auraient même un avantage comparatif par rapport à certaines fondations, comme Emmaüs, qui resteraient au taux de 66 %. Des personnes auditionnées nous ont mis en garde contre un risque de dissensions au sein du milieu associatif.
Je vous invite donc à ne pas adopter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État, chargée de la jeunesse et de l'engagement . - (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Joël Guerriau applaudit également.) Je partage le constat que font le sénateur Gold et le rapporteur Bazin.
La crise nous a contraints à nous confiner. Elle a eu des conséquences psychologiques pour les bénévoles ; les liens sociaux ont été menacés. Pour les associations, ce fut la double peine : moins de bénévoles et des activités mises entre parenthèse, des événements annulés, tandis que les frais fixes continuaient de courir.
Nous l'avons vu à la rentrée, les bénévoles hésitaient à revenir, les affiliés à reprendre une adhésion. Ainsi, 54 % des associations culturelles, 73 % des associations sportives et 65 % des associations de loisirs déclaraient une baisse de leurs cotisations en 2020.
Le Gouvernement n'est pas resté inactif. Il a soutenu - les collectivités locales également - les associations. Mais celles-ci, en juillet 2020, n'étaient encore que 15 000 à recourir aux aides. Un an après, 23 000 ont bénéficié au total d'un demi-milliard d'euros. Certes tout n'a pas été parfait : cela ne représente encore qu'une association sur deux, nombre d'entre elles n'ont pas fait de demande, parfois par manque d'information.
Un fonds d'urgence a été créé pour l'économie sociale et solidaire et les associations de un à dix salariés, avec 30 millions d'euros décaissés et 16 000 emplois sauvegardés au sein de 5 000 structures - les trois quarts ont moins de trois salariés. Des mesures sectorielles ont été prises par les ministres des Sports et de la Culture, avec des fonds spécialisés.
Les associations ont d'autant plus fortement subi cette crise qu'elles sont structurellement plus vulnérables que les acteurs économiques. Vous proposez une incitation fiscale : je crois qu'il nous faut actionner des leviers économiques plus profonds, et oeuvrer au renforcement de leur trésorerie et de leurs fonds propres.
En mai, j'étais ici pour l'adoption définitive et unanime de la loi d'aide aux associations promulguée dès le 1er juillet 2021.
Ma collègue Olivia Grégoire vient d'annoncer un plan en faveur de l'investissement dans les structures associatives employeuses, reposant sur les titres associatifs : les Français pourront inclure ceux-ci dans leurs assurances-vie dès mars 2022 ; des instruments clés en main seront fournis aux associations pour qu'elles puissent émettre ces titres ; enfin, nous augmenterons leur plafond de rendement pour les rendre plus attractifs.
Je vous rejoins, les associations ont besoin de fonds mais plus encore d'adhérents. Nous avons co-construit une campagne de communication autour du slogan : « mon asso, je l'adore, j'y adhère ». Elle a été saluée par le monde associatif.
Le Pass'Sport fera l'objet d'un bilan le 30 novembre ; s'il faut l'étendre, nous le ferons. Le pass Culture offre un crédit de 300 euros aux jeunes de dix-huit ans, y compris pour des cours de danse ou de chant en association. Il faut communiquer là-dessus.
Bien qu'en désaccord avec la proposition pour des raisons techniques, je vous fais confiance pour porter ces sujets lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2022.
Nous devons défendre nos associations, pour maintenir notre lien social. (Applaudissements sur les travées du RDPI, ainsi que sur les travées du groupe INDEP)
M. Paul Toussaint Parigi . - Ce texte a un objectif louable : soutenir les associations essoufflées après la crise covid.
La valeur de l'engagement associatif est précieuse. Ne laissons pas ce secteur formidable au bord de la route. Il symbolise la liberté de se construire en oeuvrant et en donnant du temps pour les autres.
C'est l'un des nobles moyens d'agir en citoyen.
Cependant, la réduction d'impôt prévue ne correspond que peu aux attentes des associations. Si 20 % d'entre elles ont besoin de trésorerie, la plupart ont une autre priorité. Pour 68 % d'entre elles, il s'agit avant tout de renouer avec les adhérents et pour 38 % de mobiliser des bénévoles.
Seuls 43 % des foyers fiscaux paient l'impôt sur le revenu, les autres ne seraient pas concernés par la proposition de loi, qui profiterait donc aux associations soutenues par des ménages aisés.
L'État doit réunir les conditions de l'implication en association. La remobilisation des bénévoles dépend avant tout de la conjoncture économique et de la situation sanitaire. Il faut améliorer la situation financière des ménages et dissiper l'inquiétude. Le spectre de la réforme des retraites, la réforme de l'assurance chômage sont des coups de poignard.
Le GEST s'abstiendra car ce texte ne répond pas aux questions de fond qu'il soulève.
M. Pascal Savoldelli . - Nous avons pu, en commission de la culture, dresser un état des lieux. Malgré l'engagement des collectivités territoriales, le maintien des dons, l'intervention de l'État, il y a trop de trous dans la raquette : 30 000 associations sont en péril et 55 000 ont déjà perdu des emplois. Nous devons donc nous interroger sur le modèle de soutien : les crédits sont vampirisés à 80 % par le service civique et le service national universel, pour un bénéfice social limité. Quant au revenu d'engagement, on a appris hier qu'il était enterré. De plus, le soutien de l'État est biaisé, car il repose sur la défiscalisation.
Nous redoutons que la proposition de loi crée une concurrence entre les associations bénéficiant de taux de défiscalisation des dons à 66 % et celles bénéficiant de taux à 75 %. Cela dit, la course aux dons existe déjà...
La suppression de la réserve parlementaire et son remplacement par le fonds de développement de la vie associative (FDVA) est un moins-disant pour les associations. La territorialisation du soutien aux associations, on l'a vu depuis plusieurs années, a atteint ses limites, 44 % des demandes de soutien sont déboutées et les montants attribués largement sont inférieurs aux demandes.
Le RDSE propose de jouer sur le taux de défiscalisation. Mais la proposition de loi pose des problèmes.
Tout d'abord, le taux de 75 % existe déjà, il est réservé aux associations luttant contre la pauvreté et les violences. Les associations sportives ou culturelles sont importantes, mais nous ne sommes pas dans le même registre...
Et pour les associations caritatives et humanitaires qui resteraient à 66%, ce serait une fuite en avant dans la dépendance aux dons. Le FDVA, le Pass'Sport et le pass Culture devraient être réorientés et davantage utilisés. Le CRCE s'abstiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)
M. Vincent Delahaye . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Le groupe UC remercie le RDSE pour ce débat mais il est sensible aux arguments du rapporteur Arnaud Bazin et de sa prédécesseure Mme Nadine Bellurot.
Le levier budgétaire et les aides directes ciblées sont plus efficaces que des dépenses fiscales souvent mal calibrées. Le soutien de l'État s'est élevé à 600 millions d'euros d'aides aux associations : ce n'est pas négligeable.
À l'inverse, la partie incitative de la proposition de loi apparaît aléatoire et de nature à créer un effet d'aubaine, pour des contribuables qui auraient adhéré sans ce coup de pouce.
Surtout, nous risquons des disparités entre associations comme l'a soulevé M. Bernard Delcros en commission.
Je suis défavorable à la multiplication des niches fiscales. Selon moi, la loi fiscale doit être la même pour tous. Les dépenses fiscales font certes des heureux, mais elles échouent souvent à atteindre leurs objectifs. Il faut donc en limiter le nombre et la portée. Ainsi, l'abrogation des niches par le Gouvernement, année après année, est parfaitement justifiée et devrait être amplifiée.
Les niches, coûteuses, créent un système fiscal d'une abyssale complexité : on en compte 471. Cela oblige en compensation à augmenter les taux de prélèvement ou à creuser le déficit.
Je crois aux vertus de l'équilibre et voterai, comme l'ensemble du groupe UC, contre la proposition de loi, malgré les bonnes intentions de ses auteurs. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains)
M. Christian Bilhac . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Je remercie Éric Gold pour son initiative. L'État a versé 600 millions d'euros d'aides pendant la crise, mais pas aux associations qui en ont le plus besoin, en particulier en milieu rural.
La répartition géographique des aides semble profiter à l'Ile-de-France et aux métropoles. De plus, les associations n'employant que des bénévoles n'ont pas pu bénéficier du chômage partiel. Enfin, les grosses associations peuvent plus facilement chercher des subventions.
Pourtant, dans ma commune, les associations font vivre le tissu social. Et ce sont souvent les bénévoles qui contribuent au financement ! Les mesures présentées sont donc bienvenues.
J'ai interrogé le Gouvernement dès février dernier à propos des associations rurales : la ministre a évoqué les 600 millions d'euros. Mais aucune des six associations de ma commune n'en a bénéficié. Le monde rural est oublié.
Les caisses des associations sont vides, les bénévoles et adhérents sont partis. La puissance publique ne parvient pas à atteindre toute la cible. C'est pourquoi le RDSE soutiendra la proposition de loi, dont nous proposerons d'amender la rédaction. (M. Jean-Claude Requier applaudit.)
M. Jacques Grosperrin . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je comprends le rejet de la proposition de loi par la commission des finances. Je partage cependant les préoccupations du RDSE.
En février dernier, j'avais posé une question orale à la ministre sur la situation très difficile des clubs sportifs. Le secteur fait face encore aujourd'hui à de graves problèmes - malgré la reprise des activités, qui nous réjouit.
Il faudrait pouvoir convertir les cotisations et adhésions en dons. Je le répète : l'amélioration du contexte ne change pas l'équation. La ministre m'avait alors répondu prudemment. Je n'ignore pas les aides versées : fonds d'urgence de la culture, allocation de rentrée scolaire et sportive de 50 euros par enfant, par exemple. Le sport est un outil pédagogique essentiel, porteur de valeurs. Il doit disposer de moyens ambitieux.
Je souligne aussi l'insuffisance des efforts : le Président de la République, accueillant les athlètes de retour des Jeux Olympiques de Tokyo, affirmait que le nombre de médailles était décevant et que l'État soutiendrait le monde sportif pour faire mieux en 2024.
L'objectif d'une France sportive pour les prochains Jeux Olympiques est-il atteignable ? Pas sûr, pas aussi simple. Les retards se sont accumulés.
Les sportifs méritent plus de considération. Veillons à prévenir la disparition des clubs, car il y a un lien direct entre la base et la haute performance. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Didier Rambaud . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Le RDPI ne votera pas la proposition de loi, malgré ses intentions louables.
Ce dispositif ne nous est pas inconnu, il avait déjà été soumis par amendement lors du projet de loi de finances rectificative en juillet.
Longtemps élu local, je suis attaché comme vous aux associations mais celles-ci ne sont pas égales devant les mesures fiscales - dont l'effet, en outre, n'est pas suffisamment rapide.
De plus, la proposition de loi ne concerne que les sommes versées en 2021. Voilà qui restreint son effet incitatif.
La chute des adhésions a été exceptionnelle, celle des activités également, mais la situation est à nuancer. Comme le rappelle Mme Bellurot dans son rapport, 79 000 associations ont bénéficié du soutien à l'activité partielle. Quelque 220 millions d'euros ont été consacrés au sport et 2 milliards d'euros à la culture, dans le plan de relance.
Pas moins de 2 000 postes ont été créés en 2021 et 2022 pour aider les associations à pérenniser leurs actions. Le dispositif Sésame a été doublé et le Pass'Sport, doté de 200 millions d'euros, est ambitieux. Mais y ajouter le crédit d'impôt créerait une prise en charge de plus de 100 % par l'État !
Les mesures étant inadaptées et à contretemps, et le Gouvernement soutenant massivement le monde associatif, le RDPI votera contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Franck Menonville . - La pandémie et la distanciation sociale ont été éprouvantes, mais nous auront rappelé le besoin de lien social.
Le tissu associatif s'est révélé essentiel mais fragile car il vit de l'engagement des bénévoles. Je salue donc l'initiative d'Éric Gold.
Depuis le début de la crise, beaucoup a été fait. Madame la ministre, vous avez rappelé les initiatives du Gouvernement. Cette proposition de loi permettrait d'agir de façon complémentaire.
Le levier fiscal ne serait pas pertinent : mais on oppose alors le problème et la solution! Il faut encourager les souscriptions et le soutien non public.
Bien sûr, le dispositif n'est pas parfait et il faut trouver le bon calendrier. Nous continuons à soutenir les mesures existantes telles que le Pass'Sport. Mais je soutiendrai cette initiative perfectible, car il faut envoyer un signal positif. (Applaudissements sur les travées du RDSE)
M. Éric Jeansannetas . - En 2021, 27 % des associations estiment que leur situation est bonne, contre 44 % en 2019, selon l'enquête sur le Covid-19.
Je remercie donc Éric Gold pour sa proposition de loi. Beaucoup de structures ont été mises à l'arrêt par la crise. En 2021, 40 % n'avaient pas repris leur activité. Le chômage partiel a certes bien fonctionné mais les situations sont variées.
Seulement 10 % des associations éligibles ont fait appel au fonds de solidarité selon la Cour des comptes.
Le fonds de soutien à l'économie sociale et solidaire, certes plus tardif, a été plus efficace.
Finalement, 40 % des associations ont enregistré une perte de revenu d'activité significative en 2021. La proposition de loi prévoit d'activer le levier fiscal, relevant le taux de défiscalisation de 66 à 75 %. Il est louable d'encourager les dons mais je doute de l'efficacité réelle. Il n'y a eu aucune étude sur les dispositifs Coluche ou Notre-Dame de Paris. Or le coût du premier est de 80 à 100 millions d'euros, celui du second sera de 48 millions d'euros pour l'État, pour le seul impôt sur le revenu.
Le champ de la mesure ne comprendrait pas toutes les associations, les petites en seraient exclues. Plutôt que de complexifier encore le régime fiscal des dons aux associations, nous devrions opérer une refonte globale.
Le maintien du lien avec les adhérents est la principale source d'inquiétude. Le mouvement associatif souhaite travailler avec le ministère et le Parlement sur le crédit d'impôt.
J'ajoute que la limite de 100 euros s'entend par association : un contribuable pourrait cumuler les avantages s'il adhère à plusieurs ! L'incitation financière ne serait pas non plus immédiate, avec un effet en 2023 seulement. Enfin, les familles qui ne paient pas d'impôt ne seraient pas concernées.
Je rends hommage aux collectivités territoriales qui n'ont jamais cessé d'accompagner les associations, et à ces dernières, qui relèvent le défi de l'après-crise.
Le groupe SER s'abstiendra sur cette proposition de loi, qui constitue toutefois une piste de réflexion. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Marc Laménie applaudit également.)
M. Marc Laménie . - Je salue cette initiative du groupe RDSE et d'Éric Gold.
La crise sanitaire, depuis mars 2020, a eu un terrible impact sur le monde économique et associatif avec une forte baisse des activités.
L'État a soutenu financièrement les associations culturelles, sportives et récréatives, soit 892 603 structures.
Elles ne pouvaient plus se réunir ni mener leurs activités. La pandémie a posé de très gros problèmes, tant aux bénévoles qu'aux salariés des plus grandes structures.
Il n'y avait presque plus de cérémonies commémoratives, qui sont animées par des associations défendant les valeurs de la République et assurant le devoir de mémoire.
Les pouvoirs publics ont soutenu au maximum les associations. Les subventions de l'État comme des collectivités territoriales ont été maintenues. Près de 600 millions d'euros d'aides spécifiques ont été versés, dont 141 millions d'euros pour toutes les associations avec une augmentation des missions de service civique, 200 millions d'euros pour le Pass'Sport, 301 millions d'euros pour les festivals, 53 millions d'euros pour le spectacle vivant.
Les Ardennes ont pu organiser en août et septembre le Cabaret vert et le festival international de marionnettes.
Pour toutes les raisons développées par le rapporteur, puisqu'il convient de retravailler le dispositif, le groupe Les Républicains ne votera pas en faveur de cette proposition de loi, tout en saluant l'initiative du RDSE. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Jean-Pierre Moga applaudit également.)
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État. - Chacun salue le travail des associations. Notre mission est de faciliter leur vie et de faire revenir les adhérents.
On reverra le Pass'Sport pour l'élargir si nécessaire, par exemple à la danse, qui est entre deux catégories.
Nous avons veillé à un accompagnement au quotidien. Lorsque des associations demandaient une aide mais ne poursuivaient pas leurs démarches, France Active les a rappelées, car en effet, il y a un manque d'ingénierie.
Les associations patriotiques assurent un lien entre les générations. Elles sont essentielles, car le pays a besoin d'unité. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
La discussion générale est close.
Discussion des articles
ARTICLES ADDITIONNELS avant l'article unique
M. le président. - Amendement n°7 rectifié bis, présenté par MM. Gold, Requier, Bilhac, Artano et Cabanel, Mme M. Carrère, MM. Fialaire et Guérini, Mme Guillotin et MM. Roux, Guiol et Corbisez.
Avant l'article unique
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article L. 131-7 du code du sport est complété par une phrase ainsi rédigée : « Elles peuvent également prendre en charge tout ou partie du financement des inscriptions des enfants de moins de douze ans au sein des associations sportives. »
M. Jean-Claude Requier. - Cet amendement et le suivant visent à offrir des financements supplémentaires aux associations sportives. Sur 36 000 clubs, le manque est de 376 millions d'euros.
L'amendement n°7 rectifié bis instaure la gratuité des inscriptions des enfants de moins de 12 ans dans une association sportive.
M. le président. - Amendement n°8 rectifié bis, présenté par MM. Gold, Requier, Bilhac, Artano et Cabanel, Mme M. Carrère, MM. Fialaire et Guérini, Mme Guillotin et MM. Roux, Guiol et Corbisez.
Avant l'article unique
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le deuxième alinéa de l'article L. 333-3 du code du sport est complété par une phrase ainsi rédigée : « La convention prévoit également de reverser une part significative de ces produits aux associations non professionnelles. »
M. Jean-Claude Requier. - La chute de la pratique sportive a été qualifiée de bombe sanitaire à retardement. Favorisons la pratique sportive des plus jeunes !
Cet amendement rééquilibre les moyens financiers entre les associations sportives de professionnels et d'amateurs.
Pour cela, les fédérations sportives et les ligues professionnelles devront reverser une part significative des produits issus des droits d'exploitation audiovisuelle aux clubs amateurs.
M. Arnaud Bazin, rapporteur. - L'amendement n°7 rectifié bis rend obligatoire la gratuité pour les moins de 12 ans, qui serait prise en charge par les fédérations. La commission y est défavorable. Les fédérations peuvent déjà ajuster leurs tarifs. L'amendement n'est ni opérationnel ni réaliste. Trois fédérations sportives sont déjà dans une situation financière fragile, cinq en situation dégradée.
L'amendement est en outre redondant avec le Pass'Sport qui bénéficiera à 5,4 millions d'enfants, à hauteur de 50 euros chacun.
L'amendement n°8 rectifié bis soulève plusieurs difficultés. La notion de « part significative » est imprécise et sujette à interprétation. Un équilibre sur ce sujet épineux existe entre professionnels et amateurs. Ne le remettons pas en cause : avis défavorable également.
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État. - Le Pass'Sport a vocation à s'élargir : avis défavorable à l'amendement n°7 rectifié bis.
Le partage redistributif entre professionnels et amateurs existe déjà : avis défavorable à l'amendement n°8 rectifié bis.
L'amendement n°7 rectifié bis n'est pas adopté, non plus que l'amendement n°8 rectifié bis.
ARTICLE UNIQUE
M. le président. - Amendement n°4 rectifié, présenté par MM. Gold, Requier, Bilhac, Artano et Cabanel, Mmes M. Carrère et N. Delattre, MM. Fialaire et Guérini, Mme Guillotin et MM. Roux, Guiol et Corbisez.
Alinéa 2
Rédiger ainsi cet alinéa :
1° À titre dérogatoire pour les revenus perçus en 2021, le 20° est ainsi modifié :
M. Éric Gold. - En réponse à une observation faite en commission, cet amendement n'étend la réduction d'impôt de 75 % qu'aux revenus perçus au cours de l'année 2021, pour apporter un soutien ponctuel au monde associatif, confronté à la crise sanitaire. On optimise ainsi l'incidence budgétaire de la mesure.
M. Arnaud Bazin, rapporteur. - Cet amendement va dans le bon sens mais n'exclut pas l'application du plafond de 1 000 euros en 2020. Il pose aussi un problème légistique : avis défavorable.
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État. - Le Gouvernement est extrêmement attaché au monopole de la loi de finances. Attention à la concurrence entre associations. Avis défavorable.
L'amendement n°4 rectifié n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°3 rectifié, présenté par MM. Gold, Requier, Bilhac, Artano et Cabanel, Mme M. Carrère, MM. Fialaire et Guérini, Mme Guillotin et MM. Roux, Guiol et Corbisez.
Alinéas 4, 6 et 7
Remplacer les mots :
sportif, culturel ou récréatif
par les mots :
sportif ou culturel
M. Éric Gold. - Cet amendement répond à une observation faite en commission en restreignant le champ aux associations à caractère sportif ou culturel.
M. le président. - Amendement n°2 rectifié, présenté par MM. Gold, Requier, Bilhac, Artano et Cabanel, Mmes M. Carrère et N. Delattre, MM. Fialaire et Guérini, Mme Guillotin et MM. Roux, Guiol et Corbisez.
Alinéas 4, 6 et 7
Remplacer le mot :
récréatif
par les mots :
de loisirs
M. Éric Gold. - Le terme « association à vocation récréative » est imprécis ; parlons plutôt d'associations de loisirs pour viser ces associations qui assurent le maintien du lien social, notamment pour les retraités.
M. Arnaud Bazin, rapporteur. - Ces amendements répondent en partie aux remarques de la commission des finances, néanmoins avis défavorable, par cohérence avec notre position sur le texte.
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État. - Vous avez le mérite de rentrer dans la nomenclature Insee, mais je préfère vous demander le retrait de votre amendement.
Les amendements nos3 rectifié et 2 rectifié sont retirés.
M. le président. - Amendement n°5 rectifié, présenté par MM. Gold, Requier, Bilhac, Artano et Cabanel, Mmes M. Carrère et N. Delattre, MM. Fialaire et Guérini, Mme Guillotin et MM. Roux, Guiol et Corbisez.
I. - Après l'alinéa 4
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
...) La dernière phrase du premier alinéa du 1 ter du même article 200 est complétée par les mots : « , et pour les oeuvres ou organismes d'intérêt général à caractère sportif ou culturel, pour l'imposition des revenus de l'année 2021, dans la limite de 20 % du revenu imposable » ;
II. - Pour compenser la perte de recettes résultant du I, compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
.... - La perte de recettes résultant pour l'État du présent article est compensée, à due concurrence, par la création d'une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
M. Éric Gold. - Cet amendement limite la réduction à 20 % du revenu imposable. Le seuil forfaitaire de 552 euros, plus vite atteint, pourrait paradoxalement désinciter les contribuables à soutenir les associations qu'ils soutiennent en temps normal.
M. Arnaud Bazin, rapporteur. - Avis défavorable. Cet amendement va plus loin que la proposition de loi initiale en relevant le plafond de la réduction d'impôt de 1 000 euros à 20 % du revenu imposable.
Ce serait potentiellement fort coûteux pour les finances publiques et les associations concernées seraient très nettement avantagées par rapport aux associations éligibles au Coluche !
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État. - Avis défavorable car nous tenons au monopole de la loi fiscale.
L'amendement n°5 rectifié n'est pas adopté.
L'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi n'est pas adopté.
Les amendements nos6 et 9 n'ont plus objet.
La séance est suspendue quelques instants.
Protéger la rémunération des agriculteurs (Conclusions de la CMP)
M. le président. - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à protéger la rémunération des agriculteurs.
Discussion générale
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure pour le Sénat de la commission mixte paritaire . - Le 4 octobre, la CMP est arrivée, après de vifs débats, à un consensus sur un sujet crucial : assurer une meilleure rémunération à nos agriculteurs et garantir notre souveraineté alimentaire. Je salue l'esprit d'écoute qui a prévalu et remercie mon homologue de l'Assemblée nationale, ainsi que la présidente Primas. Cet accord est le fruit d'un dialogue nourri et respectueux entre nos deux chambres, ainsi qu'avec vous et vos services, monsieur le ministre.
Le Sénat a toujours quelques réserves sur la portée de cette loi qui ne s'intéresse qu'au prix et non aux charges, qui fait l'impasse sur la PAC et la stratégie Farm to Fork.
Nous craignons que cette proposition de loi ne soit pas à la hauteur des espoirs. Mais l'essentiel de nos apports a été préservé. Sur l'affichage de la part des matières premières agricoles, les trois options seront désormais mises sur le même plan, comme l'a souhaité le Sénat.
Dans un souci de réalisme et de lisibilité, celui-ci a aussi simplifié les mécanismes comme la non-négociabilité des matières premières agricoles qui s'appliquera à tous les produits alimentaires. Un décret exclura certains produits très spécifiques.
La CMP a conservé la clause générale de renégociation des prix en fonction des prix des intrants, comme le transport, l'énergie ou les emballages.
L'encadrement des produits sous marques de distributeur demeure dans le texte, tout comme les pénalités logistiques. Désormais, la clause de révision sera automatique en fonction de l'évolution du coût des matières premières agricoles.
Un arrêté ministériel pourra exempter certains fruits et légumes du relèvement du seuil de revente à perte (SRP).
Sur le comité de règlement des différends, les parties pourront toujours saisir le juge des référés, ce qui incite à un règlement à l'amiable.
Sur l'affichage, nous avons accepté que l'ordre pondéral décroissant de l'origine des miels ne figure pas dans la loi, le ministre s'étant engagé à proposer un décret. Nous faisons le choix de la confiance, espérant le déblocage d'une situation qui a trop duré.
Je vous invite à adopter les conclusions de la CMP qui comportent des avancées, certes partielles mais néanmoins attendues. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation . - Cette nouvelle loi va permettre à l'agriculture de redevenir ce qu'elle n'aurait jamais dû cesser d'être : un métier d'avenir.
Elle permettra une marche en avant des prix, et fera passer de la défiance à la confiance.
Je vous remercie pour le travail collégialement mené, depuis la loi EGalim, au service de l'intérêt général. Quel bel exemple de démocratie que ces débats, parfois âpres, aboutissant à un vote unanime en CMP !
Les principales dispositions du texte sur la transparence, la contractualisation, l'équité dans les rapports de force sont conservées.
La CMP a finalement maintenu le comité de règlement des différends et a accepté qu'un décret vienne restreindre, le cas échéant, le champ de l'article 2 sur le seuil de revente à perte, pour tenir compte de la demande de l'interprofession. Nous responsabilisons les acteurs - agriculteurs, industriels et souvent distributeurs.
Les dispositions sur l'étiquetage permettront enfin d'appliquer des dispositions votées en juin 2020 comme l'obligation d'indiquer l'origine des viandes dans les cantines ou au restaurant. C'est un de mes combats. Nous avons étendu cette obligation aux plats préparés, car un nugget français n'a rien à voir avec un nugget ukrainien.
L'article sur le miel me permettra aussi de publier rapidement le texte d'application. Je m'engage solennellement à porter ce sujet au niveau européen. L'an prochain, nous reparlerons de l'étiquetage à Bruxelles. En la matière, les règles sont incompréhensibles !
Il faut désormais aller vite pour mettre en oeuvre, avant les prochaines négociations commerciales, un texte qui régule.
Je réunirai prochainement les parties prenantes et prendrai rapidement les projets de décrets nécessaires, notamment sur les filières exemptées de l'article 2.
Avec Agnès Pannier-Runacher, nous réunirons le comité de suivi des négociations commerciales et veillerons à l'application des contrôles.
Je remercie les sénateurs, à commencer par votre rapporteur, ainsi que le député Besson-Moreau, auteur de la proposition de loi.
Cette proposition de loi va au-delà de la loi Galland ; elle n'épuise pas tous les sujets mais constitue une étape importante. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, RDSE et Les Républicains)
La discussion générale est close.
Discussion du texte élaboré par la CMP
ARTICLE 2
M. le président. - Amendement n°3, présenté par le Gouvernement.
Alinéa 17
Compléter cet alinéa par les mots :
, en raison des spécificités de leur filière de production
M. Julien Denormandie, ministre. - Il s'agit d'amendements rédactionnels et de mise en cohérence juridique.
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure. - Avis favorable.
M. le président. - Amendement n°4, présenté par le Gouvernement.
Alinéa 26, deuxième et dernière phrases
Remplacer la référence :
L. 631-24-1
par la référence :
L. 631-24
M. Julien Denormandie, ministre. - Défendu.
M. le président. - Amendement n°5, présenté par le Gouvernement.
I. - Alinéas 37 et 38
Supprimer ces alinéas.
II. - Après l'alinéa 42
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
3° bis La vingt-septième ligne est remplacée par deux lignes ainsi rédigées :
«
Article L. 441-8 |
la loi n° du visant à protéger la rémunération des agriculteurs |
Articles L. 441-9 et L. 441-10 |
l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 |
» ;
M. Julien Denormandie, ministre. - Défendu.
ARTICLE 2 BIS AA
M. le président. - Amendement n°2, présenté par le Gouvernement.
Après l'alinéa 3
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
I bis. - À l'article L. 954-3-5 du code de commerce, les mots : « figurant sur une liste fixée » sont remplacés par les mots : « agricoles et alimentaires » et les mots : « dont la liste est fixée » sont supprimés.
M. Julien Denormandie, ministre. - Défendu.
ARTICLE 2 BIS D
M. le président. - Amendement n°1, présenté par le Gouvernement.
Alinéa 2
Remplacer le mot :
domestiques
par les mots :
de compagnie
M. Julien Denormandie, ministre. - Défendu.
Explications de vote
M. Fabien Gay . - Malgré les efforts du législateur, les rapports, les témoignages des acteurs, la rémunération des agriculteurs demeure très insuffisante. Pire, le revenu paysan sera encore fragilisé par la hausse mondiale du prix des céréales et de l'énergie.
Malgré des mesures intéressantes - tunnel des prix, création d'un comité de règlement des différends commerciaux agricoles, sortie des prix des matières premières agricoles du cadre de la négociation tarifaire - ce texte ne suffira pas à changer la donne.
Cela n'empêchera pas les industriels d'imposer des prix bas afin d'accroitre leurs marges.
Mieux prendre en compte les indicateurs de coût de production dans la construction du prix justifiait de confier un rôle à l'Observatoire de la formation des prix ou à France Agrimer, mais vous renvoyez une fois de plus aux interprofessions.
La grande distribution pourra contourner la réglementation française en s'approvisionnant auprès de centrales d'achat étrangères.
Sans remise en cause la loi de modernisation de l'économie (LME), impossible de rééquilibrer le face-à-face entre le cartel des centrales d'achat, des transformateurs en situation de quasi-monopole dans les secteurs du lait et de la viande, et 300 à 400 000 producteurs mal organisés.
Vous refusez de reconnaitre une exception agricole sur le modèle de l'exception culturelle.
Le marché ne fonctionne pas. Agriculture et concurrence sont antinomiques. Sécurité des approvisionnements, prix raisonnables pour les consommateurs, revenus équitables pour les agriculteurs sont des objectifs qui devraient prédominer sur le droit de la concurrence.
Rien sur la régulation des volumes de production et la lutte contre la concurrence déloyale. Refus d'étendre la notion de prix abusivement bas aux produits importés et de renoncer aux accords de libre-échange, mortifères...
Il ne peut y avoir de rééquilibrage des relations commerciales sans intervention forte de la puissance publique. Le CRCE ne votera pas ce texte, une nouvelle fois.
M. Jean-Pierre Moga . - (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP) Je me félicite que la CMP ait abouti à un accord et maintenu de nombreux apports du Sénat, visant à étendre le champ d'application, à simplifier les dispositifs, et à rééquilibrer les rapports de force entre agriculteurs, industriels et grande distribution.
Non-négociabilité, sanctuarisation des matières premières agricoles dans les négociations, étiquetage : le Sénat a été force de propositions bienvenues. Nous avons exclu certaines filières du relèvement du seuil de revente à perte (SRP) et prévu une clause de renégociation des prix en fonction de l'évolution des coûts.
Je salue l'engagement de la rapporteure, ainsi que les travaux de notre commission relatifs au suivi de la loi EGalim.
Il ne peut cependant s'agir d'un blanc-seing. Quelle sera l'efficacité de ce texte, quand EGalim 1 n'a pas tenu ses promesses ?
Le problème est multidimensionnel : endettement des agriculteurs, volatilité des prix de l'énergie grevant les charges, pilotage de la valeur ajoutée face à la concentration des grandes enseignes...
Les 1,2 milliard d'euros du plan de relance fléchés vers le secteur agricole suffiront-ils à retrouver notre souveraineté alimentaire ?
Le groupe UC votera ce texte et restera force de propositions. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains)
M. Henri Cabanel . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) La CMP est parvenue à un accord intégrant une grande partie des apports du Sénat. Nous pouvons en être fiers. Critiquer, c'est facile ; améliorer, c'est mieux.
Parmi les avancées du Sénat, citons notamment l'élargissement de la non-négociabilité de certains produits. Tous les produits seront concernés, notamment les produits sous marque de distributeur.
Mais ce texte, malgré son bel intitulé, ne règle toujours pas le problème du partage de la valeur.
J'étais hier à Foulayronnes, dans le Lot-et-Garonne, invité par Patrick Maurin, le marcheur de Marmande. Un éleveur témoignait que sa viande lui était achetée au même prix qu'à son père il y a vingt ans ! Quelques centimes d'euros de plus par litre de lait lui ferait de gagner plusieurs milliers d'euros, un peu d'oxygène face aux charges qui s'envolent.
Même constat pour les maraîchers du marché d'intérêt national de Montpellier.
Le partage de la valeur n'existe toujours pas, et ce texte n'y changera rien.
La LME de 2008 a déséquilibré toute la chaîne. Je regrette que la CMP ait refusé la demande du Sénat d'un rapport sur ses effets. Nous continuons à faire l'autruche, alors que c'est par cette loi qu'est née la guerre des prix. À quand l'égalité entre tous les maillons de la chaîne ? L'agriculteur prend tous les risques mais in fine, il subit un prix imposé, au risque sinon d'être déréférencé.
Quand oserons-nous redonner le pouvoir aux paysans ? Les enjeux sont connus : économie, santé publique, aménagement du territoire, environnement... Comment donner envie aux jeunes de s'installer ? Quand on voit le e-commerce envahir le secteur alimentaire et notamment le bio, nous craignons encore plus de méthodes agressives pour faire baisser les prix.
Face aux colosses d'argent, le paysan d'argile se brise. Malgré ses faiblesses, le RDSE votera ce texte. (Applaudissements)
M. Franck Montaugé . - Je déplore le manque d'ambition de ce texte. Les contournements sont déjà à l'oeuvre. Notre enthousiasme est donc mesuré. Le texte n'est pas à la hauteur des enjeux. Il faut une remise à plat complète des rapports de force entre les acteurs et non une politique des petits pas.
La définition et la mise en place d'une exception agriculturelle sont indispensables.
Nous voulons dès 2022 une évaluation complète des deux lois EGalim. La commission des affaires économiques y travaillera.
La réforme de la PAC, en cours de finalisation, aura elle aussi un impact sur le revenu des agriculteurs. Je regrette la baisse de 10 % des crédits pour la France mais le plan stratégique national doit aussi aider la Ferme France, dans toute sa diversité.
Lors de la discussion de la loi Climat et Résilience, vous aviez accepté de reconnaître les externalités positives de l'agriculture.
Acceptez-vous de payer, sur le budget de l'État, des prestations pour services environnementaux aux agriculteurs ? Les députés se sont saisis de cette question dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2022, je m'en réjouis.
Certains agriculteurs ont été injustement exclus du règlement des zones défavorisées à handicaps naturels. Le Gers est douloureusement concerné. Nous avons besoin de vous, monsieur le ministre !
Il nous faudra aussi des réponses concrètes sur les outils de gestion des risques. Je regrette qu'il ne soit nulle part question de garantie et de stabilisation du revenu agricole.
Le règlement UE 1305 de 2013 pourrait servir de base à un fonds de stabilisation européen. En 2016, le Sénat avait voté unanimement une proposition de loi que j'avais cosignée avec Henri Cabanel en ce sens. Vous pourriez vous en saisir.
Nous voterons sans illusions ce texte éminemment perfectible. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du RDSE ; M. Marc Laménie applaudit également.)
M. Bernard Buis . - Le 4 octobre, après deux heures de cordiale discussion, nous nous sommes accordés en CMP.
Merci, Madame la rapporteure pour votre travail en faveur du consensus.
Ce texte co-construit avec les acteurs de la chaîne alimentaire comporte des avancées notables et rééquilibre les rapports de force.
Il traduit la vision stratégique de la majorité présidentielle visant à remettre de la valeur dans l'agriculture. Dès 2017, Emmanuel Macron avait l'ambition que nos agriculteurs puissent vivre de leur travail. La loi EGalim a posé la première pierre ; elle a permis un changement de paradigme.
Deux ans plus tard, ce texte, à l'initiative du député Besson-Moreau, consolide ces avancées. Nous sécurisons le revenu des producteurs en améliorant la transparence du coût d'achat de la matière première agricole, avec la possibilité d'ajustement par décret.
L'encadrement plus strict des marques de distributeur évitera qu'elles soient un moyen de faire pression sur les prix à la baisse.
Nous renforçons la transparence de l'information sur les produits agricoles et alimentaires, pour mettre en valeur la qualité.
Chacun a pu faire un pas sur l'exclusion des fruits et légumes du relèvement du SRP. Cette expérimentation pourrait avoir des effets indésirables pour les circuits courts, nous serons vigilants.
Avec l'appui de notre ministre volontariste et opiniâtre, continuons à accompagner ceux qui nourrissent les Français.
Merci, monsieur le ministre, de publier rapidement les décrets d'application. (Applaudissements sur le banc de la commission et sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Franck Menonville . - (Applaudissements sur le banc de la commission et sur les travées du RDSE et du groupe Les Républicains) Compléter et corriger la loi EGalim était une nécessité.
Nous saluons l'accord trouvé entre les deux assemblées. Les apports du Sénat ont été conservés : extension du champ d'application, simplification, rééquilibrage des rapports de force. Une fois de plus, la chambre des territoires a oeuvré pour plus de réalisme et de praticité, j'en remercie la rapporteure.
Nous devons désormais nous attaquer à la LME, qui a été un accélérateur de la guerre des prix.
L'encadrement des ventes sous marque de distributeur est encourageant pour la chaîne agricole. Même chose pour la clause générale de renégociation en fonction du prix du transport et de l'électricité, ou encore l'article 3 bis, issu de nos travaux, sur l'affichage de l'origine des produits.
Ce texte représente une étape importante vers une meilleure rémunération des agriculteurs tout en stabilisant le système agroalimentaire. Mais d'autres composantes du revenu, comme les charges et les distorsions de concurrence, devront aussi être traitées.
La présidente Primas l'a dit, nous poursuivons nos travaux sur EGalim, notamment au sein du groupe de travail.
Le groupe Les Indépendants votera ce compromis satisfaisant. Merci pour votre détermination, monsieur le ministre. (Applaudissements sur le banc de la commission et sur les travées du RDSE et du groupe Les Républicains)
Mme Micheline Jacques . - La loi EGalim 1 avait suscité un immense espoir, mais le ruissellement de la valeur n'a pas eu lieu. Pis, les revenus des agriculteurs n'ont cessé de diminuer.
Le Sénat avait très tôt dénoncé les malentendus de cette loi qui n'agissait que sur les prix, soit un cinquième des revenus, et, paradoxalement augmentait les charges pesant sur les agriculteurs.
Lorsque ce texte est arrivé sur le Bureau du Sénat, notre groupe a été sceptique face à sa complexité et au risque de contentieux. Mais la commission lui a donné plus d'ambition en le modifiant substantiellement.
La sanctuarisation par contrat écrit du prix des matières premières agricoles tout au long de la chaîne des valeurs, en amont comme en aval, est une bonne chose, tout comme l'encadrement des marques de distributeur ou l'expérimentation de l'exclusion des fruits et légumes du relèvement du SRP, la renégociation des prix en fonction des coûts des intrants, l'encadrement des pénalités logistiques, la possibilité de saisir le juge en la forme des référés en cas d'échec de la médiation.
Le groupe Les Républicains votera donc ce texte.
La commission des affaires économiques sera très vigilante sur son application, dans le cadre de sa mission de suivi sur EGalim 1. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
M. Joël Labbé . - Ce texte ne règlera pas à lui seul la problématique cruciale du revenu agricole. Certes, il comprend des avancées, notamment grâce au Sénat : rémunérascore, tunnel des prix, lutte contre les abus du made in France, encadrement des marques de distributeur, étiquetage des miels, entre autres.
Mais tant que nous continuons à soumettre notre agriculture à la course au moins-disant social et environnemental, rien ne sera réglé.
Le rapport de force restera favorable à une grande distribution toujours plus concentrée et engagée dans la guerre des prix.
Les leviers qui pourraient protéger le revenu des agriculteurs, tels que les circuits de proximité, ne figurent pas dans ce texte, qui n'aborde pas non plus la construction d'une sécurité sociale de l'alimentation, la lutte contre la concurrence déloyale des produits importés ou la rémunération des services environnementaux fournis par les agriculteurs. Or l'agriculture paysanne et bio est source de résilience et de valeur ajoutée.
J'ai été agacé à la lecture de votre tribune d'hier, monsieur le ministre. Vous préconisez de délaisser l'agroécologie, jugée trop coûteuse.
M. Julien Denormandie, ministre. - Je n'ai pas dit ça !
M. Joël Labbé. - Je vous lis : « cette transition se fait au détriment des comptes de résultat des agriculteurs, donc de la pérennité des exploitations ».
M. Julien Denormandie, ministre. - C'est vrai !
M. Joël Labbé. - Vous ne jurez que par l'innovation, la robotique, le numérique, la génétique. Les OGM ne sont pas loin...
Une agriculture avec des drones, des satellites pour doser au mieux les engrais chimiques, ce n'est pas ce que recherchent nos concitoyens, qui veulent une agriculture paysanne. Une agriculture soumise au jeu destructeur de la mondialisation, aux multinationales de la semence et de la chimie ne nous convient pas.
Plutôt que de défendre la valeur ajoutée, la résilience, l'autonomie, vous proposez une course mondiale vers la concentration des exploitations, une logique hyper-technologique, un vaste plan social agricole synonyme de perte de revenus pour la majorité. Mettez plutôt des moyens sur la recherche en bio ! N'opposez pas les agriculteurs entre eux. Une autre agriculture paysanne demande à exister.
J'ai voté ce texte avec beaucoup de réserves en raison des avancées qu'il comporte ; mais cette fois, ce sera à reculons. (Mme la rapporteure se réjouit.)
La proposition de loi est définitivement adoptée.
Prochaine séance, lundi 18 octobre 2021, à 16 heures.
La séance est levée à 19 h 50.
Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,
Rosalie Delpech
Chef de publication
Ordre du jour du lundi 18 octobre 2021
Séance publique
À 16 heures et le soir
Présidence : Mme Laurence Rossignol, vice-présidente, Mme Pascale Gruny, vice-président
. Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure (texte de la commission, n°47, 2021-2022)