Bioéthique (Nouvelle lecture)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, relatif à la bioéthique.
Discussion générale
M. Adrien Taquet, secrétaire d'État, chargé de l'enfance et des familles . - Le projet de loi relatif à la bioéthique est un texte à part, qui fixe des limites aux possibilités ouvertes par les progrès de la recherche, afin de concilier le possible et le souhaitable. Nous en débattons depuis deux ans.
L'ouverture de l'assistance médicale à la procréation (AMP) à toutes les femmes constituait un engagement du Président de la République. Il trouve dans ce texte, au bénéfice des enfants concernés, des conditions d'application sereines, dignes et sécurisées.
Ce texte offre aussi d'autres avancées en matière d'accès aux origines, de filiation, de don d'organe croisé, d'encadrement des traitements en intelligence artificielle, de gouvernance bioéthique. Certains auraient aimé aller plus loin, d'autres moins : je respecte leurs opinions, qui relèvent d'aspirations sociétales sincères.
Ce texte ne contentera pas tout le monde, mais il apparaît équilibré : ambitieux sans être aventurier et responsable sans être tiède. Il accorde de nouveaux droits et protections, en lien avec les évolutions techniques et sociales. Il relève d'un progressisme qui a gardé le sens des conquêtes.
À chaque article, nous avons préservé l'équilibre entre le respect de la dignité de la personne, de l'autonomie de chacun et de la solidarité.
L'article premier ouvre le bénéfice de la procréation médicalement assistée (PMA) à toutes les femmes, dans le respect de l'impératif catégorique de protection de l'enfant. Celui-ci pourra accéder à sa majorité aux informations sur le tiers donneur. L'Agence de la biomédecine sera chargée de la gestion centralisée des données afférentes aux dons. Cet article, nous pouvons en être fiers ! Je pense avec émotion à ces couples de femmes qui ont vécu un parcours du combattant : leur projet sera désormais pleinement reconnu et elles seront accompagnées comme il se doit.
J'ai entendu des propos curieux sur les désordres médicaux qui toucheraient les enfants issus des couples homoparentaux. La famille française s'agrandit de la diversité de ses modèles. Telle est la force de l'égalité républicaine ! La loi autorisant le mariage pour tous participait du même mouvement. Je rends hommage à tous ceux qui ont permis à la France d'être fidèle à ses promesses d'égalité et d'émancipation.
Il n'existe, à mon sens, aucune raison légitime pour que l'équilibre trouvé à l'Assemblée nationale se heurte à une impasse au Sénat. J'aurais souhaité que votre assemblée continue de débattre. Il en sera peut-être autrement : je le regrette. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Bruno Belin applaudit également.)
Mme Corinne Imbert, rapporteure de la commission spéciale sur la bioéthique . - Le 21 janvier 2020, nous entamions l'examen de ce projet de loi en première lecture. Dix-huit mois plus tard, quelle déception ! Malgré une navette qui a pu se déployer sans procédure accélérée, aucun dialogue constructif n'a pu se nouer avec l'Assemblée nationale sur les dispositions les plus importantes.
Nous en tirons les conséquences avec le dépôt d'une motion tendant à opposer la question préalable. Cela ne va pas de soi s'agissant d'une loi de bioéthique, dont les enjeux sont majeurs, notamment sur le volet essentiel de la recherche, pour trouver un équilibre entre les progrès scientifiques et les aspirations de la société. Ce texte est attendu par les chercheurs ; il serait sorti grandi d'un consensus entre les deux chambres.
Au Sénat, nous avons eu à coeur d'avancer, sans céder sur nos principes, notamment concernant la recherche sur les cellules pluripotentes. Parfois, nous aurions aimé aller plus loin, pour armer la recherche française face à la concurrence internationale. Nous avons souhaité tracer des lignes rouges, comme sur le respect de la barrière des espèces : les recherches sur des embryons chimériques ne doivent pas relever de la seule appréciation de l'Agence de la biomédecine. Hélas, nous n'avons pas été entendus par les députés et par le Gouvernement.
Quelques avancées sont toutefois à saluer, comme sur le diagnostic génétique néonatal, qui favorisera une prise en charge plus rapide des nouveau-nés.
Le dialogue s'est malheureusement figé, dès la fin de la première lecture, sur l'élargissement de la PMA, l'établissement de la filiation et les modalités d'accès à l'identité du donneur. Sur la gouvernance, l'Assemblée nationale n'a pas non plus suivi nos préconisations. Aussi, la commission spéciale vous propose-t-elle d'adopter une motion tendant à opposer la question préalable.
Nos travaux auront contribué à enrichir nos débats, qui ont montré notre capacité d'écoute, à l'honneur de notre démocratie parlementaire. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP, ainsi que sur le banc de la commission)
M. Bernard Jomier, rapporteur de la commission spéciale sur la bioéthique . - Près de dix ans après la dernière loi de bioéthique, ce texte, présenté à l'été 2019 par le Gouvernement, s'est nourri des États généraux de 2018. La révision des lois de bioéthique est nécessaire, mais gagnerait à être plus fréquente et moins dépendante des calculs politiques.
Ce projet de loi laissera un goût d'inachevé, malgré plusieurs avancées. Notre commission spéciale aurait souhaité aller plus loin sur certains sujets, comme le don d'organe et les tests génétiques. Sur d'autres, les garde-fous proposés par le Sénat n'ont pas été retenus, en particulier sur le don d'organe post mortem des majeurs protégés.
Toutefois, des apports du Sénat resteront : l'extension du don croisé d'organe, l'amélioration de la prise en charge des enfants présentant des variations génitales, l'autorisation du don de sang des majeurs protégés, l'encadrement du don de corps. Il s'agit d'avancées importantes pour la science et pour les patients.
Avec Mme Imbert, je regrette cependant que nous n'ayons pas trouvé un consensus plus large avec l'Assemblée nationale. L'élargissement de la PMA a clivé nos débats. Que l'on y soit favorable ou pas, il aurait été préférable de ne pas intégrer ce sujet au projet de loi : il a éclipsé d'autres enjeux et réduit notre capacité à trouver un accord avec les députés.
Après l'échec de la CMP, l'Assemblée a adopté en nouvelle lecture un texte très proche de ses positions antérieures. L'exercice de la navette a atteint ses limites, même sur des sujets où un dialogue paraissait possible ; la commission spéciale en prend acte et propose l'adoption d'une question préalable. Nous regrettons cette issue pour une loi de bioéthique. Il conviendra de réfléchir à l'avenir aux méthodes de révision de tels textes et surtout de les délier des calculs politiques. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE, ainsi que sur le banc de la commission)
M. Daniel Chasseing . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; Mme Élisabeth Doineau applaudit également.) La CMP a échoué et 25 articles restent en discussion. Les points de désaccords demeurent nombreux ; je le regrette.
À l'article premier, en première lecture, le Sénat avait approuvé l'ouverture de la PMA aux couples de femmes, en limitant toutefois sa prise en charge par la solidarité nationale aux couples hétérosexuels infertiles. À titre personnel, j'étais favorable à une ouverture à toutes les femmes et avais proposé une solution de compromis, avec un remboursement à la charge des mutuelles en l'absence d'infertilité.
Le Sénat a rejeté à deux reprises l'article 2 sur l'autoconservation des ovocytes. Pour ma part, j'y suis favorable. Le parcours de PMA est long et éprouvant, sans garantie de réussite : je défends le diagnostic préimplantatoire (DPI) pour limiter le nombre de fausses couches.
En matière d'accès aux origines, je soutiens la position du Sénat s'agissant de la communication systématique des données non identifiantes et de la levée volontaire de l'anonymat du donneur. J'approuve aussi le dispositif d'adoption proposé par le Sénat dans le cadre d'une PMA, plutôt qu'une reconnaissance anticipée.
Je regrette en revanche, à l'article 4 bis, la suppression par l'Assemblée nationale de l'opposition à la reconnaissance du père d'intention dans la transcription en France de l'acte de naissance d'un enfant né d'une gestation pour autrui (GPA) à l'étranger.
Je suis aussi très réticent aux évolutions proposées en matière de recherche sur les embryons chimériques et transgéniques, même si j'en comprends les enjeux en matière de greffe d'organes. Nous n'en maîtrisons pas le risque.
La commission spéciale, dont je salue le travail, a choisi d'opposer la question préalable, compte tenu de l'absence de prise en compte des préoccupations du Sénat par l'Assemblée nationale. Un accord aurait pourtant été possible...
Chacun des membres du groupe INDEP votera cette question préalable en son âme et conscience. Pour ma part, je la voterai. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; M. Roger Karoutchi et Mme Élisabeth Doineau applaudissent également.)
M. Daniel Salmon . - Nous arrivons au bout d'un long chemin ; il est temps de statuer sur ce projet de loi qui porte des avancées utiles et attendues. Globalement, le texte voté par l'Assemblée nationale nous satisfait. Je me réjouis qu'elle ait réintroduit les dispositions phares supprimées par le Sénat, en particulier l'ouverture de la PMA aux femmes seules et aux couples de femmes et sa prise en charge par l'assurance maladie, l'autoconservation des ovocytes, l'accès aux origines d'un enfant issu d'un don à sa majorité. Autant d'avancées sociales majeures.
Nous aurions voulu aller plus loin sur le don post mortem et l'égalité de l'accès à l'AMP au regard de l'identité de genre.
La PMA pour toutes les femmes n'est pas une concession faite à l'époque mais la reconnaissance d'une liberté et une réponse nécessaire à une vérité humaine. La société française a évolué et les deux tiers de nos concitoyens y sont favorables.
Nous rejoignons également de la position des députés sur le prélèvement d'organes chez des majeurs protégés ou encore l'interdiction de l'IRM fonctionnelle à des fins judiciaires.
Je regrette en revanche le maintien de l'article 4 bis sur la filiation dans le cadre d'une GPA, à contresens des décisions judiciaires récentes. En matière de filiation, nous privilégions la présomption de parentalité pour les couples non mariés, afin de garantir l'égalité entre les couples.
Le GEST partage la position du Sénat sur le franchissement de la barrière des espèces et la création d'embryons chimériques.
En matière d'interruption médicale de grossesse (IMG), les règles doivent s'appliquer uniformément sur le territoire.
Nous soutenons cette réforme de la loi de bioéthique et la consécration d'un accès élargi à la PMA.
Nos sociétés contemporaines sont en mutation. Notre boussole est et restera l'humain et l'intérêt supérieur de l'enfant. (Applaudissements sur les travées du GEST et des groupes CRCE et SER)
Mme Patricia Schillinger . - Nous sommes réunis une nouvelle fois pour examiner un texte charnière. Je remercie à cette occasion les donneurs récemment mis à l'honneur lors de la vingtième Journée nationale de réflexion sur le don d'organes et la greffe et de reconnaissance aux donneurs : ils sauvent des vies.
Après une deuxième lecture complexe, nos débats seront courts, puisque la commission spéciale a fait le choix de la question préalable.
Ce texte comprend pourtant des avancées majeures comme l'ouverture de la PMA à toutes les femmes, victoire pour ces familles du XXIème siècle, singulières et belles. Avec les articles 1er et 2, complétés par l'article 4 relatif à la filiation, des milliers de Françaises et de Français vont voir leur vie changer ! Un enfant a surtout besoin d'amour, de respect et de bienveillance.
L'Assemblée nationale a interdit avec raison l'IRM à des fins judiciaires, tandis que plusieurs avancées ont été adoptées conformes, notamment l'article 5 sur le don croisé, l'article 13 encadrant les dispositifs de neuromodulation ou l'article 18 relatif aux passerelles entre soin et recherche.
Ce texte mènera nos politiques publiques vers l'avenir, dans le respect des principes éthiques et moraux qui nous sont chers, ceux du respect et de la bienveillance au premier chef.
Je remercie le Gouvernement de ne pas avoir choisi la procédure accélérée. Le texte a été enrichi par le travail constructif de nos deux assemblées. Il répond aux attentes de nos concitoyens.
Notre groupe a fait le choix de la liberté de vote. Toutefois, nous sommes opposés à la question préalable, qui entachera un projet de loi ambitieux et nécessaire. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Bernard Fialaire . - Je regrette l'échec de la CMP. Certes, l'Assemblée nationale s'est montrée intransigeante, mais nous nous sommes aussi heurtés à une majorité sénatoriale sûre d'elle et dominatrice. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Roger Karoutchi s'en amuse.)
M. Roger Karoutchi. - Il faut oser !
M. Bernard Fialaire. - Le groupe RDSE, lui, ne renonce jamais à débattre pour faire évoluer les consciences : nous voterons contre la motion. La bioéthique relève de la conscience de chacun. Aussi, la richesse des échanges est-elle importante.
Que de faux procès sur des querelles sémantiques ! D'aucuns ont opposé le droit de l'enfant, sacré, au droit à l'enfant, malvenu. Mais l'agrément à l'adoption ne relève-t-il pas, comme le recours à la PMA, d'un droit à l'enfant ? Pourquoi considérer avec suspicion certains désirs d'enfant, qui peuvent représenter la raison d'être d'un couple, le projet de vie d'une personne seule ? C'est ne pas mesurer la souffrance que de considérer ce désir comme un caprice égoïste et irresponsable. Pourquoi ajouter à un problème physique une détresse morale ? L'objectif de la médecine est de soulager les souffrances ! Entendons celles et ceux qui réclament le recours à la PMA, quel que soit leur statut.
On a aussi parlé d'enfant sans père ; or, connu ou pas, présent ou non, le père existe. Ne l'oublions pas.
Le Sénat a souhaité tracer une ligne rouge concernant la GPA. Pourtant, les enfants nés sous X sont bien le fruit d'une GPA ! La fécondation pour autrui est bien autorisée et la grossesse pour autrui n'est pas pénalisée quand elle aboutit à un accouchement sous X. Seule la conjonction des deux est interdite. Je prédis que nous en débattrons un jour.
Les mentalités et les techniques évoluent : la démarche bioéthique en tire sa richesse. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Mme Laurence Cohen . - Presque deux ans après son dépôt, nous voici enfin en nouvelle lecture du projet de loi de bioéthique. Cela aura été un parcours du combattant - moins toutefois que celui des femmes qui attendent la concrétisation des promesses présidentielles - et je regrette que le Gouvernement ait retardé son inscription.
En première lecture, le Sénat avait accepté la PMA pour les couples de femmes, tout en fixant des conditions strictes à son remboursement. L'imbroglio du vote en deuxième lecture, conduisant à la suppression de l'article premier, relevait d'une manoeuvre politicienne. L'épisode, signe de la radicalisation de la droite sénatoriale (protestations sur les travées du groupe Les Républicains) a renvoyé l'image d'une Haute Assemblée en complet décalage avec la société : 67 % de nos concitoyens sont favorables à l'ouverture de la PMA.
Vous avez également refusé la pleine reconnaissance de deux femmes comme mères de l'enfant en créant un régime juridique de la filiation distinct, qui relève de la discrimination selon l'orientation sexuelle.
Je déplore aussi le refus de la technique de la réception d'ovules du partenaire (ROPA) pour les couples de femmes, ainsi que l'exclusion des transgenres des dispositions relatives à la PMA et à la conservation des gamètes.
Je partage, en revanche, la position du Sénat sur les recherches sur l'embryon, les cellules souches pluripotentes et le génome.
Pour autant, le groupe CRCE votera contre la question préalable, car elle est liée à l'opposition du Sénat à l'ouverture de la PMA à toutes les femmes. À deux jours de la Marche des fiertés, l'Assemblée nationale aura le dernier mot. Pour une fois, je ne le regrette pas... (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Roger Karoutchi. - Allons !
Mme Laurence Cohen. - Le camp des progressistes a gagné contre celui des rétrogrades ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains)
M. André Reichardt. - Cela suffit !
Mme Laurence Cohen. - Si le vote du Sénat ne nous enorgueillit pas, je suis très émue de voter cette loi. Il reste encore tant à faire pour les droits de la communauté LGBTQ+ ; je serai toujours à leurs côtés ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER, ainsi que du GEST ; M. Xavier Iacovelli applaudit également.)
Mme Élisabeth Doineau . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Rares sont les projets de loi pour lesquels nous légiférons encore en procédure normale. Un tel texte impose de prendre le temps de la réflexion. Merci aux rapporteurs pour leurs éclairages nécessaires à nos débats.
Malgré cela, nous regrettons amèrement l'absence d'accord en CMP. Il fallait trouver une voie médiane, consensuelle, pragmatique.
Le volet sociétal n'avait pas sa place dans le texte. Mais l'Assemblée nationale et le Sénat avaient également des divergences inconciliables sur d'autres volets, dont la recherche. Ainsi des articles 8, 9 et 10 sur les conditions de réalisation des examens génétiques, ou des articles 14, 15 et 17 sur les embryons chimériques.
En revanche, quelques rapprochements méritent d'être salués. L'Assemblée nationale a conservé partiellement l'article 7 bis ouvrant le don du sang aux majeurs protégés ; de même l'article 7 ter, qui encadre le don de corps et l'article 19 quater sur le dépistage néonatal d'anomalies génétiques ciblées. Le Sénat a aussi été suivi sur le diagnostic prénatal et les conseillers en génétique.
Hélas, l'Assemblée nationale a complexifié la gouvernance de la bioéthique en introduisant six membres supplémentaires au Conseil consultatif national d'éthique (CCNE) et en confiant à l'Agence de biomédecine des missions qui s'éloignent de son coeur de métier.
L'ouverture de la PMA a divisé au sein même des groupes, comme il fallait s'y attendre. Finalement, l'Assemblée nationale a adopté l'article premier sans tenir compte de nos préoccupations.
Difficile de faire entendre notre voix dans le cadre que nous impose la Constitution, renforcé par le fait majoritaire. Toutefois, l'intelligibilité de nos débats reste garantie par leur publication au Journal officiel.
Il convient désormais de voter la question préalable, plutôt que d'ouvrir une discussion que ne serait qu'une redite. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)
M. André Reichardt. - Tout à fait !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Enfin ! Nous voici en nouvelle lecture de ce texte dont l'examen a commencé il y a près de deux ans. Le Gouvernement a trop temporisé en l'inscrivant tardivement à l'ordre du jour ; dix ans se sont écoulés depuis la dernière révision de la loi de bioéthique.
Une fois n'est pas coutume, nous avons eu le temps de débattre, mais de manière distendue. Les désaccords n'ont pour autant pas été levés et, malgré des avancées, nous ressentons une déception.
Le Gouvernement a choisi de joindre la réforme de la PMA au texte, entraînant un raidissement des deux majorités, gouvernementale et sénatoriale. Faute de dialogue entre le Sénat et l'Assemblée, le compromis était impossible.
La PMA n'autorisait aucun espoir de consensus - nous l'avions dit dès la première lecture - sur un texte pourtant nécessaire et attendu. La majorité sénatoriale s'est engouffrée dans la brèche en campant sur ses positions. Tout était joué d'avance...
Pourtant, en première lecture, le Sénat avait accepté une ouverture encadrée de la PMA, mouvement vite rattrapé par l'imbroglio parlementaire invraisemblable de la deuxième lecture, qui a abouti à la suppression de l'article premier. Le Sénat est passé à côté de l'histoire en s'enfermant dans une vision conservatrice de la famille.
Notre société évolue, les schémas familiaux et parentaux aussi. Les couples de femmes existent et sont heureux ; ils ont le droit à la sécurité et à l'égalité dans la réalisation de leur désir d'enfant. Mettons fin à l'hypocrisie en la matière !
Après la loi Veil de 1975 et le mariage pour tous en 2013, nous pouvions franchir une étape supplémentaire pour changer la société. Il aurait fallu en débattre.
Nous aurions aimé aller plus loin sur la filiation et la conservation des gamètes, mais, sur ces questions complexes et politiques, le législateur doit trouver l'équilibre le plus juste. Aussi convient-il de réviser régulièrement les lois de bioéthique.
Ce projet de loi consacre des avancées : la levée de certaines contraintes sur le don d'organe, la création d'un statut de donneur, l'encadrement de l'IMG, la création d'une délégation parlementaire à la bioéthique. Il aurait cependant fallu plus d'ambition sur les dons d'organes, le DPI ou les tests génétiques.
Si la question préalable était rejetée, le groupe SER votera le texte de l'Assemblée nationale, malgré quelques divergences mineures.
Il est regrettable que le Sénat ne nous ait pas suivis ; l'humanité doit progresser sans bouleverser ses valeurs ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Xavier Iacovelli applaudit également.)
Mme Catherine Deroche . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur le banc de la commission) Je salue le travail des rapporteurs de la commission spéciale et de son président Alain Milon.
La bioéthique touche à l'intime et personne ne détient la vérité en la matière : chaque opinion doit être respectée. Je salue la tenue de nos débats, malgré quelques propos excessifs entendus ce matin. Ils ont été libres : au sein du groupe Les Républicains, chacun a pu se déterminer selon ses convictions, ses croyances, son histoire.
Cette nouvelle lecture a le goût amer de l'échec de la CMP. Le Gouvernement a choisi d'inclure dans le texte l'ouverture de la PMA à toutes les femmes - sans cela, nous aurions pu trouver un accord, comme en 2004 et en 2011.
Dans son principe, l'article premier devrait intellectuellement inclure la GPA. Certes, le ministre a affirmé en première lecture que l'ouverture de la PMA à toutes ne changerait rien à l'interdiction de la GPA, mais qu'en sera-t-il demain ? On évoquera le principe d'égalité, on nous assurera que la GPA est une question de justice et l'on nous proposera un dispositif « éthique »...
L'Assemblée nationale n'a retenu en deuxième lecture aucune proposition du Sénat à cet article, ni les critères médicaux, ni l'encadrement du remboursement de l'acte par la sécurité sociale. De retour au Sénat, la confusion sur la PMA post mortem a ensuite entraîné un rejet de l'article premier à l'occasion d'une seconde délibération.
L'égalité totale entre les couples est illusoire : le genre humain est mixte et nous sommes tous différents.
Un enfant sans père n'existe pas ; il ne peut non plus être né de deux pères ou de deux mères. C'est pourquoi nous avons refusé, à l'article 4, le principe d'une filiation établie sur le fondement de la seule volonté. Nous lui préférons l'adoption.
La commission spéciale a introduit l'article 4 bis interdisant la transcription complète des actes de naissance d'enfants nés par GPA à l'étranger. L'Assemblée nationale l'a, avec raison, conservé.
À titre personnel, je suis favorable à la levée de l'anonymat des donneurs de gamètes, très importante pour les enfants concernés. Ce don ne relève pas d'un acte anodin. Du reste, les pays qui ont adopté une telle législation n'ont pas vu les dons reculer, mais le profil des donneurs changer.
Il est regrettable que le Sénat n'ait pas été suivi sur le statut de donneur, l'âge du consentement pour le prélèvement de cellules hématopoïétiques ou sur les majeurs protégés.
Les questions bioéthiques liées à la recherche ont été occultées par le débat sur la PMA. Le Sénat souhaitait que la médecine génomique soit soutenue dans un cadre sécurisé, en évitant le risque eugénique - mais l'Assemblée nationale a persisté à autoriser les embryons chimériques. Signe de leur obstination à maintenir des dispositions sans valeur ajoutée, les députés ont réintroduit les six membres supplémentaires représentant les associations au sein du CCNE.
Bref, l'Assemblée nationale s'est montrée déterminée à ne pas tenir compte des propositions du Sénat. Pour toutes ces raisons, une large majorité du groupe Les Républicains votera la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur le banc de la commission ; M. Yves Détraigne applaudit également.)
La discussion générale est close.
Question préalable
M. le président. - Motion n°1, présentée par Mme M. Jourda, au nom de la commission.
En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée en nouvelle lecture, relatif à la bioéthique (n° 677, 2020-2021).
Mme Muriel Jourda, au nom de la commission spéciale . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Yves Détraigne applaudit également.) Si nous adoptons cette question préalable, ce texte retournera en l'état à l'Assemblée nationale. Cette motion ne signifie pas une hostilité de la commission spéciale, ni du Sénat, à l'égard de l'ensemble des dispositions du texte. Mais elle signifie que nous sommes arrivés au bout de la discussion parlementaire. Celle-ci ne vaut pas pour elle-même, mais comme processus de réflexion, de maturation, d'examen des arguments visant à trouver un accord - or notre discussion a assez vite pris fin.
Pourquoi ? D'abord parce que ce texte entretient un dangereux mélange des genres entre dispositions bioéthiques et dispositions sociétales, avec, bien sûr, l'ouverture de la PMA. Ces dernières ont phagocyté le débat, dans les médias et dans les assemblées.
Ensuite, du fait de l'attitude des députés en CMP, qui nous ont fait comprendre qu'étant politiquement minoritaires, nous avions juridiquement tort.
M. Roger Karoutchi. - Minoritaires, mais pour combien de temps ?
Mme Muriel Jourda. - Loin de moi de nier le fait majoritaire, mais une loi de société n'a pas vocation à bouleverser la société, ou à faire état d'une opinion, fût-elle celle de la majorité. Elle constate et traduit un état de la société. Or celui-ci n'est pas homogène, nous l'avons constaté lors des États généraux de la bioéthique. Pour ce type de texte, il nous faut rechercher un consensus. Ce sera la première fois qu'une loi bioéthique sera adoptée par la volonté de l'Assemblée nationale seule, et non dans le dialogue. Je le déplore. (Marques d'approbation sur les travées du groupe Les Républicains)
Permettez-moi un propos plus personnel. Dans le fond, nous n'avons peut-être pas la même conception des choses que l'Assemblée nationale. Je pense à l'article 7 sur la présomption de consentement du don d'organe post mortem. Le Sénat, par un amendement de M. Jomier, avait exclu de ce consentement les majeurs protégés, incapables d'exprimer un consentement, par respect de leur dignité. L'Assemblée nationale l'a supprimé, le ministre de la santé arguant de la pénurie d'organes ! (M. Laurent Duplomb s'indigne.) C'est considérer les personnes sous protection comme des banques d'organes. Avons-nous la même conception de la dignité de la personne ? (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe INDEP)
M. Laurent Duplomb. - Très bien !
M. Xavier Iacovelli . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Nous devions examiner ce projet de loi en troisième lecture... mais cette motion sera vraisemblablement adoptée, et le texte rejeté. Je le regrette car il porte des avancées nécessaires, et que le Sénat se prive d'un débat important.
Les États généraux de la bioéthique se sont déroulés au premier semestre 2018 ; citoyens, associations, courants de pensée philosophiques ou religieux, professionnels de santé et experts scientifiques ont participé aux réflexions, sur tous les territoires.
L'accès aux origines, l'autoconservation des ovocytes, la recherche sur les cellules souches embryonnaires, la PMA pour toutes - engagement présidentiel - sont des sujets de société majeurs. Comment comprendre la volte-face de la majorité sénatoriale qui a accepté l'ouverture de la PMA en première lecture, certes en limitant son remboursement, pour rejeter ensuite l'article premier en deuxième lecture - après avoir exclu les femmes seules ? Que dire du rejet des deux premiers articles dès le premier soir ? De la nouvelle délibération annoncée, qui n'a finalement pas eu lieu ? Vous avez adopté notre amendement sur l'accès au diagnostic préimplantatoire pour les femmes non-mariées, mais rejeté la PMA pour ces mêmes femmes...
Dans une tribune publiée dans La Croix, la majorité sénatoriale accusait l'exécutif de faire preuve « d'une absence catastrophique de sens des priorités et des responsabilités ».
M. Laurent Duplomb. - C'est vrai !
M. Xavier Iacovelli. - Vous appeliez le Gouvernement à la raison : moi, je vous rappelle à nos prérogatives, qui sont d'écrire et de voter la loi. Vous dénoncez le mépris du Parlement, mais ne cessez d'opposer la question préalable - sur la deuxième lecture du PLF et du PLFSS, sur la proposition de loi visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification, sur le droit à mourir dans la dignité...
Vous soutenez que le dialogue entre les assemblées n'aurait pas eu lieu. (M. Laurent Duplomb le confirme.) Pourtant, de nombreux apports du Sénat ont été repris par l'Assemblée nationale !
Les désaccords sont légitimes tant ces sujets sont complexes et touchent à l'intime. Ces divergences d'opinions traversent les groupes, y compris le nôtre : nous les accueillons avec bienveillance, unis derrière la recherche de dialogue.
Faisons honneur à notre Haute Assemblée, montrons l'importance du bicamérisme. Ces sujets méritent d'être débattus : je vous invite en conséquence à voter contre cette motion. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Adrien Taquet, secrétaire d'État. - Je regrette cette motion, dont je prends acte. Avis défavorable.
M. Bernard Jomier. - Mme de La Gontrie l'a dit : sur le fond, le groupe SER aurait pu voter le texte de l'Assemblée nationale, malgré ses imperfections. Néanmoins, nous ne rejetterons pas cette question préalable, car après deux lectures et un échec en CMP, rien ne sert de prolonger le débat. Les deux lectures ont permis des progrès - ce qui devrait inciter le Gouvernement à limiter le recours à la procédure accélérée !
Nous ne voterons cependant pas en faveur de cette question préalable, car on ne peut chérir les effets dont on déplore les causes. Il est piteux qu'une loi de bioéthique se termine ainsi, en queue de poisson. C'est imputable au Gouvernement qui, en mélangeant les sujets, a créé les conditions de l'échec. Cessons de donner à l'exécutif tout pouvoir pour déterminer le cadre de révision des lois de bioéthique ! Cet échec est aussi imputable à la majorité sénatoriale qui a mis la Haute assemblée hors-jeu lors de la deuxième lecture. Vous vous en sortez par cette motion, vous l'assumerez.
Nous restons constants : oui aux droits des femmes, oui au progrès de la recherche scientifique, non à cette confusion ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
M. Daniel Salmon. - Il était évident que nous n'aboutirions pas, tant les divergences étaient importantes entre l'Assemblée nationale et la majorité sénatoriale. Mais nous regrettons que le débat en deuxième lecture ait été tronqué, avec la suppression de l'article premier. L'engagement d'y revenir n'a pas été tenu. D'où notre déception, notre rancoeur.
Cette loi est très attendue et doit entrer en vigueur au plus vite. Le GEST s'abstiendra donc sur cette motion.
M. Daniel Chasseing. - Je suis favorable à la PMA, et je vais voter cette question préalable. Je fais confiance à nos rapporteurs qui nous disent n'avoir pas été entendus. Le Sénat avait adopté la PMA pour toutes en première lecture ; nous aurions pu trouver un accord avec l'Assemblée nationale, sur l'adoption, sur l'anonymat des donneurs, le don d'organe... Je regrette ce manque d'ouverture des députés. (M. Alain Marc applaudit.)
M. André Reichardt. - Je voterai cette motion, pour les raisons indiquées par Muriel Jourda. Y avait-il urgence à voter une telle loi, si peu consensuelle, qui aura des répercussions sociétales, alors que nous sortons difficilement d'une pandémie, que nous connaissons de telles difficultés économiques et sociales ? Fallait-il en plus déstructurer la société ? Non, il n'y a pas lieu de débattre. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Nadia Sollogoiub applaudit également.)
M. Alain Milon, président de la commission spéciale sur la bioéthique. - Monsieur Iacovelli, si le Sénat n'a pas voté le même texte en deuxième lecture qu'en première lecture, c'est la conséquence du cafouillage d'un président de séance, issu de vos rangs, qui n'a pas voulu recompter !
De plus, la rapporteure de l'Assemblée nationale à la CMP nous a bien fait comprendre que nous étions minoritaires et que la majorité avait raison par définition. Cela rappelle un certain congrès de Valence... (Mme Marie-Pierre de La Gontrie s'exclame.)
Sur la partie bioéthique, nos rapporteurs avaient fait un travail remarquable ; nous étions en avance sur l'Assemblée nationale. Mais votre texte a été parasité par la PMA pour toutes les femmes - à laquelle vous savez que je suis personnellement favorable, comme d'ailleurs à la GPA. Dans ces conditions, nous ne pouvions pas voter un texte aussi global.
Personnellement, j'aurais voté le volet sociétal, et le volet bioéthique dans la rédaction du Sénat.
Je voterai néanmoins la question préalable.
À la demande du groupe Les Républicains, la motion n°1 est mise aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°136 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 252 |
Pour l'adoption | 191 |
Contre | 61 |
Le Sénat a adopté.
M. le président. - En conséquence, le texte est considéré comme rejeté.
La séance est suspendue quelques instants.