Droit à l'eau
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à garantir effectivement le droit à l'eau par la mise en place de la gratuité sur les premiers volumes d'eau potable et l'accès pour tous à l'eau pour les besoins nécessaires à la vie et à la dignité, à la demande du groupe CRCE.
Discussion générale
Mme Marie-Claude Varaillas, auteure de la proposition de loi . - En 2006, la loi sur l'eau et les milieux aquatiques (LEMA) affirmait que « chaque personne physique, pour son alimentation et son hygiène, a le droit d'accéder à l'eau potable dans des conditions économiquement acceptables par tous ».
L'ONU consacrait à son tour, en 2010, le droit fondamental à une eau potable, salubre et propre. Les dix-sept Objectifs 2030 du développement durable, adoptés en 2015, comportent un droit à l'eau potable, à l'assainissement et à l'hygiène.
Enfin, une directive européenne de décembre 2020 oblige les États membres de l'Union à assurer l'accès à l'eau potable pour tous.
Ce droit est donc défini et reconnu en droit positif mais il reste fictif faute d'instrument légal pour garantir sa mise en oeuvre.
Pour 1,2 million de personnes, l'eau reste inabordable ; 140 000 personnes n'ont pas accès au réseau de distribution.
Après un premier échec au Sénat, nous remettons l'ouvrage sur le métier.
Certes, des outils existent pour soulager les plus fragiles. La loi Brottes a lancé une expérimentation de tarification sociale qui s'applique jusqu'au 15 avril 2021 - c'est aujourd'hui. L'article 15 de la loi Engagement et proximité crée une boîte à outils : chèque eau, allocation, tarification sociale, gratuité. Mais ces dispositifs optionnels, assez peu utilisés, ne garantissent pas le droit à l'eau.
S'agissant d'un droit universel, c'est à l'État d'adopter le mécanisme législatif adéquat. Nous proposons ainsi un dispositif universel d'accès applicable en tout point du territoire et pour chacun, raccordé ou non.
Nous demandons par conséquent une gratuité, dont le niveau est à définir ; cinq litres par personne et par jour correspondent à la nécessité vitale.
Le budget des collectivités territoriales ne serait pas impacté puisqu'elles ne peuvent financer l'eau au-delà de 2 % des redevances. Le coût sera donc lissé entre les usagers, selon un principe de solidarité.
À charge des collectivités territoriales, en revanche, d'assurer l'accès à la ressource pour les plus démunis, avec une augmentation à due concurrence de la DGF. La DETR et la DSIL pourront être mobilisées pour les travaux sur les réseaux d'assainissement.
Quatre remarques d'opportunité politique s'imposent. D'abord, une directive européenne nous impose d'installer des fontaines gratuites dans les lieux publics et de multiplier les points d'accès à l'eau. Faute de transposition, la France sera condamnée.
La crise sanitaire nous oblige aussi à repenser l'accès à l'eau, quoi qu'il en coûte. Le Gouvernement a pris des dispositions le 27 mars 2020 pour que les préfets et collectivités territoriales veillent à garantir l'accès à l'eau, aux sanitaires, aux douches et aux laveries.
Alors que la consommation moyenne est de 140 litres par jour par personne, la gratuité de 5 litres pour tous et 40 litres pour les personnes non raccordées ne gaspillerait pas la ressource.
Nous assumons de laisser un décret en Conseil d'État définir le niveau de gratuité, après avis du Comité national de l'eau. C'est une souplesse, pour une mise en place progressive.
Cette loi n'entrave en rien la libre administration des collectivités territoriales. Le Conseil constitutionnel a déjà jugé, le 7 décembre 2000, sur la loi SRU, qu'une contrainte de ce type était acceptable à des fins d'intérêt général. Ce motif est ici caractérisé.
Nous opposons le modèle de la gratuité et de la solidarité à celui de la marchandisation. Sans aller jusqu'à rendre le droit à l'eau opposable, il convient de lui donner un cadre légal, en sortant de la notion caritative d'aide aux ménages, pour s'orienter vers un droit universel.
La gratuité est un levier puissant d'égalité sociale et territoriale ainsi que d'universalité. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER)
M. Gérard Lahellec, rapporteur de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable . - C'est le premier texte que je suis chargé de rapporter : je me jette donc à l'eau... (Sourires) Les auditions ont montré que l'accès à l'eau potable et à l'assainissement est un droit vital, dont dépendent la survie mais aussi la santé, l'hygiène et la dignité. Les données sont alarmantes, les chiffres vertigineux. C'est le défi du siècle.
La relative abondance de l'eau en France nous cache l'urgence à agir et les effets de l'exclusion de l'eau. Quoi de plus banal qu'un robinet ou une fontaine ?
Je suis née à quatre kilomètres du bourg de Plufur, dans les Côtes d'Armor ; mes petits camarades qui habitaient le bourg allaient jusqu'au robinet du village pour avoir de l'eau. J'en avais conclu que l'eau courante, c'était celle qu'on allait chercher en courant... (Sourires)
Aujourd'hui, les plus démunis n'ont pas toujours l'eau courante ; l'été, le stress hydrique conduit de plus en plus souvent à rationner l'eau dans certaines régions. Or sans accès sécurisé à une eau potable de qualité, pas de dignité, pas de développement durable, pas de justice sociale.
Personne ici ne contestera que l'eau potable est un bien commun. Des progrès ont déjà été accomplis, notamment sous l'impulsion des ONG. Des pays, des collectivités territoriales ont instauré la gratuité des premiers volumes. Nous ne sommes pas sur un terrain vierge ; il ne s'agit pas de se montrer révolutionnaire, mais de parfaire l'oeuvre déjà accomplie, dans un esprit humaniste.
Le droit, trop souvent déclaratoire, ne reflète pas le fait. Il y a les exclus de l'eau : 2,2 milliards d'êtres humains sur terre, 1,4 million de Français, personnes sans domicile fixe ou vivant dans des habitats de fortune. Il y a aussi les précaires en eau : plus d'un million de personnes consacrent plus de 3 % de leur budget à l'eau.
La loi Brottes de 2013 prévoit une expérimentation de la tarification sociale de l'eau. C'est le principe des aides préventives. La ville de Rennes a ainsi instauré une première tranche gratuite de dix mètres cubes pour tous.
Il faut maintenant consolider les acquis. L'eau n'a pas de prix, mais elle a un coût : celui de son acheminement, de son traitement, de son assainissement.
Certains collègues considèrent que la gratuité inciterait au gaspillage. Ce n'est pas l'esprit de ce texte : la gratuité ne concerne qu'une volumétrie essentielle, indispensable à la vie et la dignité. Le surplus continuerait bien entendu à être facturé à l'usager.
La directive européenne impose l'installation d'équipements dans les espaces publics. Ce texte en est un début de transposition.
La commission de l'aménagement du territoire n'a pas adopté ce texte ; à titre personnel, bien sûr, j'y suis favorable. La France s'honorerait de l'adopter. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER)
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État chargée de la biodiversité . - En France, l'eau est un bien commun de la Nation et son usage appartient à tous. Notre droit consacre d'ores et déjà cet objectif. Les articles 19 et 19 bis du projet de loi Climat et résilience renforcent cette ambition.
La notion de service public de l'eau a pris tout son sens avec la crise sanitaire, et je salue les collectivités et entreprises qui ont assuré sa continuité en rassurant les Français.
Mais en 2021, en France, 235 000 personnes sont encore privées d'un accès permanent à l'eau. Nul ne peut s'y résoudre. Votre assemblée a récemment voté un texte sur l'eau et l'assainissement en Guadeloupe ; il était temps de répondre à cette attente.
Le plan de relance consacre 300 millions d'euros à la modernisation des infrastructures de distribution d'eau et d'assainissement. Les agences de l'eau et l'Office français de la biodiversité en assurent le pilotage.
Le prix de l'eau, en France, correspond au prix du service facturé à l'usager. Il est fixé par la collectivité ou le syndicat en charge de ce service. Le prix moyen est de 4,08 euros TTC par mètre cube, ce qui représente 1,4 % du budget moyen des ménages.
N'oublions pas nos concitoyens les plus démunis : le Gouvernement a facilité la mise en place d'une tarification sociale et incitative. Une expérimentation a été menée dans plus de cinquante collectivités ; elle a montré l'importance du principe de subsidiarité.
À chaque collectivité de mettre en place des mesures adaptées à son territoire et à son organisation.
Rendre gratuits les premiers mètres cubes est déjà une possibilité ; mais cette gratuité pourrait aller à l'encontre de l'objectif de bonne gestion de la ressource. Les Assises de l'eau en 2019 s'en sont largement fait l'écho.
Il reste beaucoup de travail pour assurer un meilleur accès à l'eau potable, mais la clé réside, plus que dans une modification de la loi, dans la mobilisation la plus large possible des outils existants.
Je partage pleinement votre combat pour la dignité humaine, mais je ne pourrai pas soutenir cette proposition de loi.
M. Mathieu Darnaud . - Le rapporteur nous a rappelé qu'autrefois, il fallait aller à l'eau ; désormais, c'est l'eau qui vient à nous. C'est un bien commun, mais il nous faut nous interroger sur son caractère durable.
Je viens d'un département, l'Ardèche, qui, comme d'autres, s'interroge sur la ressource.
Nous devons tout mettre en oeuvre pour réaffirmer la nécessité d'une gestion de l'eau par les élus, en proximité : la compétence doit demeurer au niveau communal ou syndical, car l'eau répond à une logique de bassins versants.
Depuis la loi NOTRe, le transfert obligatoire de la compétence eau et assainissement aux intercommunalités a occasionné une inexorable augmentation du prix de l'eau.
Oui à la tarification sociale, mais le préalable, c'est le coût de la ressource. Le groupe Les Républicains ne cesse de le réaffirmer : c'est en proximité que l'eau sera le mieux gérée. Laissons les élus libres ! Il y a des communes où l'eau est gratuite, car elle vient directement des sources communales.
L'eau est une nécessité première dont l'accès doit être garanti - nous en convenons. Je crains cependant que ce texte ne soit insuffisamment expertisé. Vous dites qu'il n'occasionnera pas de coût supplémentaire pour les collectivités territoriales. Je ne le crois pas. Il eût été intéressant de procéder à une étude d'impact et de réfléchir davantage à ce texte.
Nous pourrons y revenir dans le cadre de l'examen de la loi 4D. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Jean-Louis Lagourgue . - L'eau est un enjeu majeur, y compris en France. Le stress hydrique engendre des tensions de plus en plus fréquentes.
Rappelons que l'eau constitue 60 % du corps humain... Elle est indispensable à la vie.
Cette proposition de loi, dont nous saluons l'esprit, rappelle l'objectif n°6 de développement durable des Nations unies. La gestion durable de cette ressource n'est en effet pas assurée partout. Un tiers de l'humanité n'a pas accès à un assainissement convenable.
En France, nous avons la chance d'avoir une eau salubre au robinet, mais 1 % de la population n'y est pas raccordée. Ce n'est pas acceptable. Nos infrastructures vieillissent, il faut adapter les réseaux au changement climatique ; le directeur général de Suez estime que les investissements, de 6,5 milliards d'euros par an, devront être multipliés par deux.
La crise que nous traversons a éclairé la nécessité de l'accès à l'hygiène et à l'eau potable.
La loi Engagement et proximité a étendu la tarification sociale de l'eau et permis aux collectivités de moduler les tarifs. Les élus locaux peuvent ainsi rendre gratuit le premier volume consommé. À eux de choisir la solution la plus adaptée.
Cette proposition de loi ne correspond pas à la flexibilité requise et ne tient pas compte des outils existants. Le groupe INDEP s'abstiendra.
Mme Sophie Taillé-Polian . - L'accès à l'eau est un droit fondamental et élémentaire, un bien commun de l'humanité qui ne peut être accaparé et doit être garanti à tous.
Ce sujet mêle étroitement les enjeux écologiques, de justice sociale et de santé publique.
L'eau est un patrimoine commun et une ressource précieuse. Seules 44 % des eaux de surface seraient en bon état écologique. Dérèglement climatique et catastrophes naturelles - amenées à se multiplier - privent les populations les plus vulnérables de cette ressource.
Dans le monde, 2,2 milliards de personnes seraient privées d'eau ; la moitié de l'humanité n'a pas accès à un assainissement sûr.
En France, 300 000 personnes seraient privées d'accès à l'eau courante ; un million de ménages peinent à payer leur facture d'eau. Comment garantir un besoin aussi vital ? Merci au groupe CRCE de poser cette question cruciale.
La prise de conscience mondiale est croissante. Une directive européenne de décembre 2020 oblige les États membres à prendre les mesures nécessaires pour améliorer ou préserver l'accès à l'eau, en particulier des groupes vulnérables et marginalisés. Comme elle devra bien être transposée, saisissons l'occasion !
Des équipements gratuits au plus près des populations sont une première étape.
Ensuite, une aide préventive pour les ménages, afin que la facture d'eau ne dépasse pas 3 % de leurs ressources, est de nature à répondre à l'esprit de la directive. Actuellement, les allocations sont dérisoires et limitées aux personnes ayant un compteur individuel.
Certains s'inquiètent des charges que la gratuité et la mise à disposition des équipements feraient peser sur les collectivités. Mais elle diminuera le nombre d'impayés et déchargera ainsi les centres communaux d'action sociale et les fonds de solidarité pour le logement. (M. Laurent Duplomb ironise.)
Thomas Sankara disait : « Il faut choisir entre le champagne pour quelques-uns et l'eau potable pour tous. » C'est vrai. Même si l'appel à la justice sociale sonne parfois un peu dans le vide ici, le GEST votera cette proposition de loi. (Applaudissements à gauche)
Mme Nadège Havet . - Cette proposition de loi propose la gratuité pour les premiers volumes d'eau consommés. L'eau, c'est la vie. Les dommages environnementaux dus au changement climatique ne font qu'aggraver la situation.
L'objectif n°6 du développement durable adopté par les Nations unies vise à réduire de moitié la proportion d'eaux usées non traitées et d'augmenter le recyclage et la réutilisation.
L'accès à l'eau potable et à l'assainissement est reconnu comme un droit de l'homme depuis 2010 ; pourtant, 2,2 milliards de personnes n'ont pas accès à une alimentation domestique en eau potable, et 2,6 millions meurent chaque année de maladies liées à l'eau.
L'accès à l'eau et à l'assainissement est un enjeu social, environnemental mais aussi économique.
En France, le cadre juridique a évolué, permettant aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics d'adapter leur politique tarifaire, dans un esprit de subsidiarité. En 2023, la loi Brottes a ouvert la faculté d'expérimenter la tarification sociale, que la loi Engagement et proximité a étendue.
Pourtant, il reste encore 235 000 Français exclus de l'eau ; un million d'entre eux y consacrent plus de 3 % de leur budget annuel.
Si l'eau n'a pas de prix, elle a un coût. La loi NOTRe a transféré cette compétence aux intercommunalités. Un litre sur cinq d'eau traitée et mise en distribution est perdu. C'est l'équivalent de la consommation de 18,5 millions d'habitants ! En cause, un sous-investissement dans un réseau de distribution vieillissant. Le transfert devait y remédier en partie, mais les investissements restent très insuffisants. Il faut une gestion patrimoniale, financer recherches de fuites, réparations, renouvellement des conduits.
Avec les phénomènes de stress hydrique, l'eau devient rare. Pour y avoir travaillé dans ma communauté de communes du Pays des Abers, je vous assure que la mise en place d'une tarification différenciée relève de la quadrature du cercle. La compétence y est exercée en régie ; nous avons mis en place une tarification très progressive : plus on consomme, plus le mètre cube coûte cher. Mais comment concilier tarification sociale, équilibre économique et préservation de la ressource ?
Faisons confiance aux collectivités. Le principe de subsidiarité doit prévaloir. Il ne peut y avoir de réponse unique et centralisée à tant de situations particulières.
M. Laurent Duplomb. - Très bien !
Mme Nadège Havet. - Le groupe RDPI ne votera pas le texte.
M. Christian Bilhac . - L'accès à l'eau est un droit fondamental consacré par la résolution des Nations unies du 28 juillet 2010.
L'article 2 du présent texte entend garantir cet accès aux personnes non raccordées au réseau, via l'action des collectivités.
Malgré la loi Brottes de 2013, qui interdit les coupures d'eau ou la réduction du débit pour les résidences principales en cas d'impayés, un million de Français ont des difficultés à payer leur facture d'eau.
Cette proposition de loi me replonge plusieurs années en arrière. Quand j'ai été élu maire de Péret, en 1983, la tarification forfaitaire, bon marché, incluait l'abonnement et 50 mètres cubes. Cette tarification au forfait est devenue illégale, et j'ai dû me résoudre à augmenter le prix, tenu par l'exigence d'équilibre financier du service.
Nous n'avons guère progressé depuis, avec une politique de gribouille : un pas en avant, deux pas en arrière.
Une étude de l'UFC-Que choisir révèle des écarts énormes entre territoires, parfois justifiés par les réalités géographiques, mais aussi certaines dérives en matière de gouvernance. Les Français ne sont pas égaux face au prix du mètre cube d'eau, qui varie entre 2,68 et 8,46 euros - le prix d'une bouteille de vin ! (Sourires)
Il n'y a pas d'eau gratuite. L'article 4 propose d'ailleurs de compenser ce coût. Mais si le consommateur ne paie pas, il faudra que le contribuable le fasse ; ou alors il faudra mettre des bassines sur les terrasses pour récupérer l'eau de pluie !
Même s'il partage les intentions de ses auteurs, le RDSE ne votera pas cette proposition de loi.
M. Jean-Paul Prince . - Le but de cette proposition de loi est tout à fait légitime. L'accès au volume d'eau nécessaire à l'hydratation et à l'hygiène est primordial, comme l'accès à l'assainissement.
Ce droit a été reconnu par plusieurs textes de droit international et européen. Une directive européenne du 26 décembre 2020 a affirmé le droit de tous à l'eau potable ; en France, la loi du 30 décembre 2006 consacre « le droit d'accéder à l'eau potable dans des conditions économiquement acceptables par tous ».
En France, le législateur a consacré en 2006 le droit d'accès à l'eau potable dans des conditions économiquement acceptables.
Depuis la loi du 7 février 2011, les communes et les EPCI peuvent verser des subventions au fonds de solidarité logement pour financer des aides en cas de cumul d'impayés, et les impayés ne donnent plus lieu à des coupures d'eau.
La loi de 2013 permet aux communes d'expérimenter une tarification sociale de l'eau, possibilité élargie à toutes les collectivités territoriales par la loi Engagement et proximité de 2019. Elle peut être financée par le budget général. Le code général des collectivités territoriales offre beaucoup de latitudes aux élus locaux pour les modalités d'application et les critères : composition, revenus du foyer, aide au paiement des factures ou aide directe à l'accès à l'eau. L'aide préventive est déjà possible.
Une proposition de loi, votée en 2016 par les députés, n'avait pas convaincu le Sénat.
Le présent texte a plusieurs défauts. Quelle articulation entre la gratuité et la tarification sociale de l'eau ? La superposition de ces deux dispositifs n'est ni efficace ni lisible.
L'eau et l'assainissement font l'objet de budgets annexes des communes et des EPCI, sauf exceptions prévues par la loi. Faute d'étude d'impact, difficile d'estimer le manque à gagner entraîné par la gratuité que les collectivités territoriales devront compenser par une hausse de la facture d'eau des usagers.
M. Laurent Duplomb. - Bien sûr !
M. Jean-Paul Prince. - L'article 2 prévoit des toilettes gratuites dans les communes de plus de deux mille habitants et des douches dans celles de plus de quinze mille habitants, financées par les communes et les EPCI . Combien sont déjà en place, et quels sont les besoins ? Ne faudrait-il pas faire confiance à l'échelon local ? Dans ma commune de mille habitants, nous avons des toilettes publiques accessibles aux personnes en situation de handicap.
Comme en 2017, je déplore que les outre-mer ne bénéficient pas d'un régime adapté à leur spécificité. Je regrette aussi l'absence de politique de sensibilisation du public aux enjeux de la consommation d'eau et de l'assainissement.
Le groupe UC ne votera pas ce texte. La législation actuelle assure l'effectivité du droit à l'eau et laisse aux collectivités territoriales le soin de déterminer les modalités d'application de la tarification sociale.
Certes, des améliorations sont à envisager et il est nécessaire de mieux dénombrer ceux qui ont des difficultés d'accès à l'eau potable. Mais l'ajout d'un principe préventif rigide et uniforme engendrant un manque à gagner pour les collectivités territoriales gestionnaires n'est pas souhaitable.
M. Hervé Gillé . - Je remercie Mme Varaillas et le groupe CRCE pour cette proposition de loi.
Posons enfin ce principe universel ! Il faut affirmer un droit à l'eau pour tous pour répondre aux besoins élémentaires. L'eau est un bien commun indispensable à l'hygiène et à la vie.
Les collectivités territoriales devront mettre à disposition des équipements en fonction de seuils démographiques. La proposition de loi fixe également un volume d'eau potable minimum accessible à titre gratuit pour les plus modestes.
Une proposition de loi examinée dans le cadre de l'espace réservé du groupe écologiste n'avait pas abouti en 2017, démantelée par la majorité sénatoriale.
Pour autant, depuis 1992, la loi reconnaît l'eau comme patrimoine commun de la Nation. La loi Brottes a permis une tarification sociale de l'eau, ainsi que l'aide au paiement de l'eau. En 2018, Monique Lubin et Éric Kerrouche ont déposé une proposition de loi pour en étendre l'expérimentation, mais peu de syndicats des eaux ont mis en place ce dispositif.
Envisager la gratuité de l'eau est une solution moins onéreuse que la tarification sociale.
Malgré l'interdiction des coupures d'eau et de la réduction du débit, le droit à l'eau n'est pas garanti pleinement en France. Or, en juillet 2010, l'assemblée générale des Nations unies l'a reconnu comme un droit fondamental. L'Uruguay et la Slovénie l'ont intégré dans leur Constitution. Il fait partie des dix-sept objectifs de développement durable des Nations unies et l'Organisation mondiale de la santé (OMS) le juge indispensable à la santé. Des associations nous interpellent depuis de nombreuses années, comme la Coalition Eau.
À l'échelle de la planète, 2,2 milliards de personnes n'ont pas accès à l'eau potable ; 2,6 millions meurent de maladie à cause d'une eau impropre, dont de nombreux enfants.
Certes, 99 % de nos compatriotes ont accès à l'eau, mais 1,4 million de Français indirectement seulement. Quelque 143 000 personnes sans domicile et 24 000 personnes hébergées dans des foyers de migrants ont un mauvais accès à l'eau ; un million de familles ont du mal à payer leur facture. Nous ne pouvons ignorer cette situation. Pour des personnes déjà fragilisées et marginalisées, quelle insertion possible sans accès à l'eau ? Quelle dignité ?
L'hygiène est essentielle pour lutter contre les maladies, notamment en période de pandémie. Comment se laver les mains régulièrement sans eau ? Assurer l'accès de tous à l'eau nous protège tous. Le Covid a bouleversé nos habitudes et nous incite au partage des ressources. Ceux qui s'opposent à la gratuité de l'eau envisagent-ils celle des vaccins ?
L'eau, accessible à tous, doit être mise en partage. Elle fait pourtant l'objet d'une spéculation, comme l'illustre l'affaire Suez-Véolia. « L'eau pour la vie, pas pour le profit » titrait une tribune dans Libération le 22 mars dernier, Journée mondiale de l'eau. Le droit à l'eau est incontournable. Protégeons ce bien commun des règles du marché !
La solution est d'affirmer un droit à l'eau potable, d'assurer la distribution d'une eau de qualité et bien transportée et de mettre à disposition des équipements. Sur cette base, la dépense est acceptable pour les collectivités territoriales, qu'il conviendra toutefois d'accompagner.
Inscrivons dans la loi un volume d'eau gratuit : selon les associations, 5 millions de mètres cubes par an pour les besoins vitaux, 15 millions de mètres cubes pour les besoins essentiels. Cela correspondrait à un surcoût de 60 euros par an.
Les consommateurs assumeraient ensemble le coût de la mesure : plus l'on consomme, plus l'on paie. Ce principe nous semble vertueux. En outre, des gains pourraient être réalisés en améliorant la qualité du réseau.
La gratuité n'ouvre pas la voie à une augmentation de la consommation ou à la multiplication des branchements illégaux, pas plus qu'elle ne menace les compétences des collectivités territoriales. Faisons confiance à la population et aux territoires !
Il nous faut poser un acte politique fort. Pouvons-nous accepter que la France, sixième puissance mondiale, refuse ce droit essentiel à la dignité humaine ? Prenons nos responsabilités ! Nous voterons cette proposition. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE)
M. Fabien Gay. - Nous débattons d'une proposition de loi de notre groupe assurant la gratuité des premiers mètres cube d'eau et garantissant l'accès à une eau de qualité, comme le prévoit la directive-cadre sur l'eau.
L'accès à l'eau et la protection de la ressource représentent des défis majeurs du XXIe siècle. L'eau conditionne la vie, mais les politiques de marchandisation et de libéralisation ont rendu son accès plus difficile et plus onéreux.
En France, son prix a augmenté de 10 % en dix ans, avec de fortes disparités : le prix de l'eau varie de un à huit selon les territoires. La perte d'ingénierie publique et les regroupements XXL ont conduit les collectivités territoriales à livrer à des opérateurs privés comme Suez ou Veolia la gestion de l'eau.
Si l'accès à l'eau est vital, il doit être gratuit pour les premiers mètres cubes. Cette obligation découle de nos engagements internationaux et de l'article premier de loi du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques (LEMA). Les pouvoirs publics doivent la rendre effective, alors que, selon les associations caritatives, un million de Français a basculé dans la pauvreté depuis le début de la crise sanitaire.
Il ne peut y avoir de transition écologique sans partage des richesses, des savoirs et des pouvoirs. Nous avons déjà fait beaucoup en interdisant les coupures d'eau, mais cela ne suffit pas, car un droit ne saurait se définir par la négative.
Au-delà de sa dimension sociale, la proposition de loi pose la question de la gestion de l'eau. Comment gérer un bien commun ? Faire confiance aux collectivités territoriales pour plus de solidarité ? La baisse continue des dotations les pousse à privatiser les services de l'eau, mais beaucoup reviennent à des régies. Le service public apparaît plus efficace, en effet, pour gérer des biens communs. Comment ne pas penser aux tentations oligopolistiques avec la fusion Suez-Veolia et aux conséquences qu'elle aura sur les collectivités territoriales, les usagers et les salariés ?
Il faut sortir l'eau de la marchandisation. Repensons également les exigences de la compétence eau et assainissement des collectivités territoriales ; nous déposerons à cet effet des amendements dans le projet de loi dit 4D.
Le groupe CRCE prône la constitution d'un pôle public de l'eau pour fédérer les acteurs, coordonner l'investissement public et privé et faire converger les compétences. Créer, en somme, une gestion démocratique de l'eau, garantissant un prix unique et un accès universel.
Cela constituerait un levier pour garantir une gestion écologique de la ressource, mais également pour maintenir l'emploi et les savoir-faire. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE)
M. Guillaume Chevrollier . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je remercie Mme Varaillas, MM. Gay et Lahellec pour leur travail. Le 22 janvier 2017, le Sénat avait rejeté un texte similaire qui visait à rendre effectif un accès à l'eau pour les plus vulnérables.
L'objectif est louable : l'accès à l'eau et à l'assainissement représente un droit fondamental aux termes de plusieurs traités internationaux.
Le Sénat avait rejeté le texte de 2017 en raison de l'exigence de nouveaux équipements, comme des toilettes, des laveries et des douches, imposés aux collectivités territoriales ; et de la création de deux aides préventives financées par des ressources douanières.
La présente proposition de loi remplace ces deux aides par la gratuité des premiers mètres cubes. L'initiative est préférable, bien qu'insuffisante pour recueillir un avis favorable, car le texte instaure toujours de nouvelles obligations pour les collectivités territoriales, sans chiffrage du coût d'équipement et d'entretien.
Quelles solutions peut-on apporter pour un accès universel à l'eau dans des conditions économiques raisonnables ?
La gratuité de l'accès à l'eau pose problème dans un contexte de nécessaire attention portée à la consommation en raison du changement climatique. La vigilance s'impose, et sobriété ne rime pas avec gratuité. Pensons un système de solidarité autre, qui n'exerce pas de pression supplémentaire sur les finances des collectivités territoriales et préserve le modèle économique.
Des aides existent déjà. On peut ainsi réaliser une tarification progressive de l'eau pour les immeubles d'habitation. En outre, le prix moyen de l'eau - 4 euros par mètre cube - reste modeste en France. À titre de comparaison, il atteint 5,5 euros par mètre cube en Allemagne.
Ce prix ne prend hélas pas en compte certaines dépenses nécessaires. Il faut investir dans les infrastructures et réduire les fuites d'eau pour rénover les réseaux et les adapter au changement climatique. Le budget consacré aux investissements doit donc être augmenté, au risque de voir s'établir une fracture territoriale entre la ville et la campagne. Préservons aussi le principe selon lequel « l'eau paie l'eau ».
Le groupe Les Républicains ne votera pas ce texte, même s'il y a urgence à accompagner nos compatriotes en difficulté financière.
M. Laurent Duplomb . - Chers collègues, cette proposition de loi représente un réel progrès par rapport au texte rejeté par le Sénat le 22 février 2017. Mais cela ne suffit pas pour aller vers un vote favorable, pas même pour une abstention.
Progrès, car cette proposition de loi a été expurgée de deux dispositions du premier texte que nous avions combattues : l'aide préventive pour l'eau et une allocation forfaitaire d'eau quand le prix dépasse un point de référence fixé par décret.
Elles instauraient de la confusion entre bénéficiaires et mettaient à contribution la taxe sur les boissons embouteillées, dont le produit est versé aux collectivités territoriales. Nous les avions combattues.
Le droit à l'eau potable et à l'assainissement a rang constitutionnel depuis le Préambule de 1946. Aussi, l'article premier ne pose-t-il aucune difficulté.
Mais je voterai contre cette proposition de loi en raison de l'article 2. Ne demandons pas aux collectivités territoriales d'assurer une responsabilité qui n'est pas la leur, d'autant qu'en l'absence d'étude d'impact, il est impossible de chiffrer le coût de la mesure.
La gratuité des premiers mètres cubes, créée par l'article 3, est certes plus simple qu'une allocation, mais attention à la gratuité injustifiée, alors que les collectivités territoriales sont obligées d'écraser chaque année des centaines de milliers d'euros de factures impayées.
Il y a d'autres priorités : moderniser les infrastructures, dont le rythme de renouvellement est de 200 ans, afin de réduire les pertes. En outre, l'Agence de l'eau agit bien souvent au-delà de ses objectifs initiaux.
Nous passons trop de temps à examiner des propositions de loi sur les aides sociales. Les situations de détresse ne tombent pas du ciel : il faut les traiter en amont, avec une agriculture florissante et une industrie puissante qui permettraient à tous d'accéder à un emploi.
La discussion générale est close.
Discussion des articles
L'article premier n'est pas adopté.
La proposition de loi est retirée de l'ordre du jour.
Mme Marie-Claude Varaillas, auteure de la proposition de loi. . - Cet article n'étant pas voté, nous retirons la proposition de loi.
Je tiens à vous remercier d'avoir participé à l'examen de ce texte qui nous tient à coeur - en particulier ceux qui ont exprimé leur soutien.
L'accès à l'eau et à l'hygiène représente pour les personnes mal-logées, dont 30 % sont des enfants, un enjeu majeur. Il faudra y revenir. Je tiens à redire mon soutien aux associations qui se battent pour cette cause.
Avec le changement climatique, l'accès à l'eau et à l'énergie - biens communs de l'humanité - et leur sortie du secteur marchand apparaissent d'autant plus indispensables. Nous restons mobilisés ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE)
Prochaine séance, mardi 4 mai 2021, à 14 h 30.
La séance est levée à 19 h 20.
Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,
Rosalie Delpech
Chef de publication
Ordre du jour du mardi 4 mai 2021
Séance publique
À 14 h 30
. Proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, relative à l'avenir du régime de garantie des salaires (demande du groupe Les Républicains)
. Débat sur l'avenir institutionnel, politique et économique de la Nouvelle-Calédonie, dans la perspective du terme du processus défini par l'accord de Nouméa du 5 mai 1998 (demande du groupe Les Républicains)
. Débat sur la souveraineté économique de la France (demande du groupe Les Républicains)
Le soir
. Débat sur le thème : « Les enjeux nationaux et internationaux de la future PAC » (demande du groupe SER)