Service public d'eau potable et d'assainissement en Guadeloupe (Conclusions de la CMP)
M. le président. - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi rénovant la gouvernance des services publics d'eau potable et d'assainissement en Guadeloupe.
Mme Françoise Dumont, rapporteure pour le Sénat de la commission mixte paritaire . - La commission mixte paritaire (CMP), réunie le 23 mars, est parvenue sans difficulté à un accord sur ce texte utile.
Nos concitoyens guadeloupéens ont des difficultés inacceptables à accéder à l'eau potable. Il nous fallait donc agir avec célérité et efficacité.
La CMP a repris pour l'essentiel le texte adopté par le Sénat le 10 mars dernier.
Le texte initial, qui a été utilement enrichi par notre assemblée, prévoyait déjà un syndicat mixte unique (SMU) de gestion des services publics d'eau et d'assainissement. L'Assemblée nationale avait prévu la création d'une commission de surveillance ad hoc, pour garantir la pleine association des usagers.
Nous avons parfait le fonctionnement de ce SMU. De nouveaux membres pourront le rejoindre sans modification législative. Le comité syndical pourra également déroger, à l'unanimité, à la clé de répartition des contributions financières, pour éviter une rigidité excessive dans les décisions d'investissement.
Le Sénat a également renforcé, à l'article 2, les attributions de la commission de surveillance et en a modifié la composition, en y renforçant la représentation des élus locaux et en l'ouvrant à des personnalités qualifiées. Nous avons enfin prévu une audition annuelle du président du comité syndical par la commission de surveillance.
La proposition de loi a recueilli le plein assentiment des députés. Je salue tout particulièrement Justine Benin, auteure et rapporteure du texte à l'Assemblée nationale, et notre collègue Dominique Théophile.
Le texte de la CMP apportant une réponse pragmatique, je vous invite à l'adopter. Ce ne sera pas donner quitus au Gouvernement, car ce texte n'est qu'un premier pas et ne suffira pas à lui seul à restaurer la confiance et résoudre les problèmes d'accès à l'eau.
Tout ne relève pas du législatif. Le Parlement a fait sa part, à l'État, qui en a les moyens humains, techniques et financiers, de se montrer à la hauteur des attentes des Guadeloupéens pour agir rapidement et efficacement.
M. Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer . - Merci pour le travail accompli dans une bonne intelligence entre les deux chambres, entre le Parlement et le Gouvernement, entre Paris et Pointe-à-Pitre.
La compétence de l'eau est le symbole même de la décentralisation. C'est aussi un enjeu de service public. Comment tolérer que cent mille Français n'aient pas accès à l'eau potable en 2021 ? Comment 65 % de l'eau potable produite en Guadeloupe peut-elle être perdue lors de l'acheminement ? Il y a un impact environnemental, sanitaire, économique.
Comment rétablir ce service public sans abîmer la décentralisation ? Vous enjoignez le Gouvernement d'être à la hauteur, nous le sommes, avec 90 millions d'euros investis depuis 2014. La compétence est décentralisée, oui, mais l'élu-bashing constaté en Guadeloupe n'est pas justifié. L'État est là en matière d'ingénierie. En 2020, quatre mille fuites ont été réparées, pour 6 millions d'euros - derrière ces chiffres, il y a des foyers, des familles. Je veux souligner la continuité de l'action de l'État en la matière.
Ce n'est pas qu'une affaire d'argent, mais aussi d'organisation.
En milieu insulaire tout particulièrement, il y a besoin de solidarité entre production, acheminement et distribution, d'interconnexion des réseaux. Pour avancer, il fallait un acteur unique.
Nous n'étions pas sûrs de fédérer toutes les collectivités territoriales, c'est pourquoi le législateur devait intervenir. Et quand le Sénat intervient pour organiser la vie locale, cela ne peut être au détriment de la démocratie locale !
Nous devions trouver un équilibre dans la gouvernance pour que les usagers soient entendus sans empiéter sur les prérogatives des élus.
Mes propos ont pu être caricaturés ; c'est peut-être l'approche des échéances électorales... Il faut renforcer l'ingénierie, mobiliser les équipes, répondre aux besoins de formation.
En matière de ressources humaines, le Gouvernement s'est engagé à ce qu'aucun agent du syndicat intercommunal d'alimentation en eau et d'assainissement de la Guadeloupe (SIAEAG) ne soit abandonné.
Une solution sur mesure sera trouvée sur les dettes, EPCI par EPCI.
La loi sera rapidement promulguée, pour une mise en place du SMU dès septembre.
Avec ce texte, Mme Benin et M Théophile nous ont donné l'occasion de faire un bond en avant. Merci au Sénat, les Guadeloupéens nous attendaient !
M. Jean Louis Masson . - Je me réjouis qu'une solution constructive soit issue de la CMP. Il fallait régler ce problème qui durait depuis trop longtemps. Nous n'enterrons pas l'affaire pour autant : cela doit nous faire réfléchir sur les dysfonctionnements dans la gestion quotidienne induits par la décentralisation.
Honnêtement, le Gouvernement n'y est pour rien. Il a reçu un héritage de longue date. L'inaction du pouvoir central s'explique par la décentralisation. Les vrais responsables sont les élus locaux ! S'ils avaient bien géré l'eau et l'assainissement, nous n'en serions pas là.
La décentralisation est très positive, mais suppose des responsables locaux parfaits. C'est loin d'être toujours le cas - en Guadeloupe comme en métropole d'ailleurs.
Je ne propose pas un retour en arrière, mais avant 1982, le pouvoir central jouait son rôle, on ne laissait pas filer les choses à l'échelon local. Les nouvelles équipes municipales découvrent parfois des situations calamiteuses...
M. le président. - Veuillez conclure.
M. Jean Louis Masson. - Il faut tirer des leçons de ce dossier.
M. Jean-Louis Lagourgue . - Depuis plusieurs années, la gouvernance de l'eau en Guadeloupe n'est pas satisfaisante. Cent mille usagers sont en effet victimes de « tours d'eau », suscitant colère et exaspération, d'autant que la ressource est abondante.
La gestion éclatée des services d'eau et d'assainissement fait obstacle à la gouvernance d'ensemble dont la Guadeloupe a besoin. Les syndicats compétents sont dans une situation difficile : ils ne sont plus en mesure d'entretenir le réseau, d'entreprendre des travaux d'urgence ni de payer les fournisseurs.
Nous ne pouvons laisser nos compatriotes souffrir davantage d'une telle indignité. Je me réjouis donc de ce texte et de la réussite de la CMP.
Le Sénat a enrichi la proposition de loi, notamment en assouplissant l'article premier. Par exemple, le comité syndical pourra déroger à la clé de répartition des contributions financières.
L'article 2 prévoit une commission de surveillance ; le Sénat en a rationalisé la composition en renforçant la présence des représentants des communes et des personnalités qualifiées, et en supprimant celle des parlementaires. La commission entendra chaque année le président du comité syndical.
Je salue la qualité des travaux de Françoise Dumont.
Cette proposition de loi constitue une étape importante dans la résolution du problème, en apportant une solution concrète et pragmatique. Le groupe INDEP votera ce texte.
M. Daniel Salmon . - En effet, la gestion de l'eau en Guadeloupe est un problème. Il était urgent d'agir contre le gaspillage de l'eau et d'en améliorer la qualité.
La réussite de la CMP est une victoire en soi : la rénovation concrète permise par le texte est nécessaire mais pas suffisante.
Le groupe régional d'experts sur le climat (GREC) a pointé le grand gaspillage de la ressource : 26,4 millions de mètres cubes consommés pour 73,1 millions de mètres cubes produits, soit 177 % de pertes à la consommation ! Pour un litre d'eau consommé, un litre et demi de perdu ! Et la qualité de l'eau est inquiétante, en raison du mauvais niveau d'assainissement et de l'utilisation historique du chlordécone. Enfin, le GREC a mis en avant des possibles problèmes de sécheresse.
Le texte de la CMP conserve deux apports du Sénat : la possibilité de futures adhésions au syndicat mixte et l'ouverture d'une réflexion sur la tarification sociale de l'eau.
Je regrette l'absence de personnalités qualifiées et de représentants des usagers au comité syndical. Au vu des enjeux, ces derniers devraient être pleinement associés aux décisions.
Les conditions de transfert de la dette restent trop floues, les pouvoirs de la commission de surveillance trop faibles.
Le GEST reste prudent et attend un engagement financier fort de l'État. Une attention particulière devra être apportée au volume des dettes transférées. Tout en alertant sur ces points de vigilance, notre groupe votera ce texte.
M. Dominique Théophile . - La CMP, réunie le 23 mars, est parvenue à un accord. Les quelques dispositions restant en discussion ont fait l'objet d'un consensus, que nous saluons.
Nous avons déjà décrit les dysfonctionnements du service public de l'eau en Guadeloupe, et leurs conséquences.
Cette proposition de loi répond à une revendication ancienne : la création d'un SMU. Elle se veut fidèle aux attentes des élus et usagers que j'ai longuement rencontrés avec Justine Benin.
Une commission de surveillance a été créée à la place de la commission consultative initialement envisagée pour garantir la juste représentation des usagers et rétablir la confiance. Un compromis a été trouvé avec le Gouvernement sur la question des dettes fournisseurs.
Le Sénat a apporté de la souplesse et renforcé les prérogatives de la commission de surveillance.
Ce texte est un préalable à la remise en état du système de distribution d'eau en Guadeloupe, mais ce n'est qu'une étape.
Plusieurs chantiers vont s'ouvrir : clarification du traitement de la ressource pour une gestion durable du sous-sol, mobilisation de financements pérennes, réalisation des investissements les plus urgents.
J'invite toutes les parties prenantes à s'atteler dès à présent à la mise en oeuvre de la nouvelle structure ; l'État, lui, devra assurer un accompagnement financier à la hauteur des enjeux.
Le groupe RDPI votera ce texte.
M. Jean-Yves Roux . - Lors de la première lecture, des inquiétudes fortes s'étaient exprimées sur la gestion de l'eau en Guadeloupe. Il est inacceptable que certains de nos concitoyens n'aient pas accès à l'eau potable, en raison non d'une catastrophe soudaine mais d'une gestion défaillante.
Cette proposition de loi apporte donc un correctif bienvenu à une faillite de la liberté locale.
Le sujet fait consensus ; les solutions proposées - création d'un syndicat mixte et d'une commission de surveillance - sont satisfaisantes.
La navette a introduit des souplesses dans la gestion du syndicat mixte, notamment pour l'intégration de nouveaux membres, tandis que la commission de surveillance pourra associer tous les acteurs locaux ; la présence, en revanche, de parlementaires n'était pas pertinente et aurait dilué la représentation des usagers.
Cependant, le travail accompli n'est qu'une première étape.
Le groupe RDSE votera ce texte mais restera vigilant, pour que ce territoire de la République ne demeure pas enlisé dans la crise.
Mme Marie-Claude Varaillas . - Le texte de la CMP conserve les assouplissements introduits par le Sénat, ainsi que la réflexion sur la tarification sociale de l'eau. Mais cette structure imposée d'en haut demeure contraignante pour les intercommunalités, qui voient dans la feuille de route adressée par l'État une mise sous tutelle. La crainte du retour des multinationales pour gérer la production et la distribution ainsi que la nécessité de recueillir une aide financière renforcent la pression sur les élus.
Ce consensus forcé pour aboutir à une entité formelle ne garantit en rien un bon fonctionnement.
L'État s'engage à ne pas alourdir les dépenses des collectivités territoriales, mais comment concrétiser cet engagement ? Les élus locaux ne peuvent se contenter de promesses. Si les dettes des EPCI ne sont pas transférées au nouveau syndicat, la question reste posée.
L'avenir des salariés n'est pas garanti. Le comité de défense des usagers n'est pas satisfait du texte ; il demande un référendum et une meilleure implication des usagers dans la gouvernance, un tarif équitable et l'arrêt des poursuites judiciaires.
La vétusté des réseaux fait que la moitié de l'eau se perd en fuites. Pourtant, les habitants, victime de coupures d'eau récurrentes, continuent de payer les factures.
L'eau est un bien commun, d'où la nécessité d'une gestion publique. Le droit à l'eau et à un assainissement de qualité a été reconnu en 2010 comme un droit fondamental essentiel par l'ONU ; en Guadeloupe, ce droit est bafoué et les inégalités s'aggravent.
Le groupe CRCE défendra bientôt une proposition de loi pour faire de ce droit fictif un droit réel, avec la gratuité des premiers litres.
Notre groupe reste sceptique quant à l'architecture envisagée et s'abstiendra sur ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)
M. Philippe Bonnecarrère . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Le groupe UC a approuvé ce texte en première lecture ; il y reste favorable après l'accord en CMP. Je salue le travail tenace de la rapporteure.
Nous nous exprimons avec humilité sur ces sujets, en présence de MM. Lurel et Théophile. Cependant, nous restons perplexes sur quelques points, à commencer par le fait que les ressources humaines ne sont pas abordées, pas plus que la situation financière des structures concernées. Ces ambiguïtés sont gages de difficultés futures...
Même si nous oublions l'autonomie de gestion des collectivités territoriales, la situation étonne. Il n'est guère rassurant que le futur syndicat mixte rassemble les intercommunalités, le département et la région sur la base de statuts rédigés par l'État : l'expérience montre que quand il n'y a pas de réel dirigeant, les ambiguïtés prospèrent.
En matière d'ingénierie, qui aura la main sur le système d'information géographique ? Le syndicat, les intercommunalités, le département, la région ?
Monsieur le ministre, le « quoi qu'il en coûte » n'a pas vocation à s'appliquer à tous les domaines des politiques publiques.
M. Sébastien Lecornu, ministre. - On est d'accord !
Mme Françoise Gatel. - C'est très vrai !
M. Philippe Bonnecarrère. - Cela étant, la question ne pouvait être traitée que par la voie législative. Il est stupéfiant que dans notre pays, des « tours » d'eau soient encore organisés dans certains territoires.
Le droit à l'eau n'est pas en débat : la ressource est suffisante en Guadeloupe, le problème n'est pas la production mais la distribution. Le débat sur le prix de l'eau n'a pas lieu d'être, au vu du taux de paiement.
La situation de la Guadeloupe ne relève pas des grands principes mais des bonnes pratiques. J'espère que les parties prenantes sauront mener à bien ce chantier considérable. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
M. Victorin Lurel . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Je suis partagé. J'aime bien mon ministre...
M. Sébastien Lecornu, ministre. - C'est réciproque.
M. Victorin Lurel. - ... sa bonhomie, sa rondeur. Il est difficile de dire du mal d'un texte qu'il porte, mais voilà un curieux objet - encore que la rapporteure, par son excellent travail légistique, l'ait rendu plus acceptable.
Le groupe SER s'abstiendra sur ce texte, par sagesse même, mais c'est une abstention constructive. (M. Mathieu Darnaud s'amuse.)
Nous avons beaucoup évolué sur le sujet : sans les initiatives bonapartistes du ministre, les élus seraient encore à en discuter. Ce texte les force à s'entendre - c'est sa seule plus-value.
Je me souviens d'une séance du conseil départemental en 1978, sous la présidence de Lucette Michaux-Chevry ; le contrôle de légalité n'existait pas, le préfet faisait les appels d'offres. Je ne sous-estime pas la responsabilité de nos élus ; les communes ont délégué aux syndicats, aux intercommunalités, les opérateurs ne s'entendaient pas... et l'État restait spectateur de ce désordre et finançait, via le Fonds national de développement des adductions d'eau potable (FNDAE).
Avec la décentralisation, il y a eu, c'est vrai, de la gabegie, des relations incestueuses, de la corruption. Nous sommes tous coupables.
Ce texte est insuffisant, mais nécessaire pour forcer un des cinq établissements publics à siéger effectivement.
Les opérateurs cumulent 193 millions d'euros de dettes. M. le ministre a eu la générosité de dire que 144 millions d'euros de dettes seraient repris. Au 31 décembre 2019, il y avait 81 millions d'euros de dette bancaire. Mais il y a aussi 11 millions d'euros de dette fiscale.
Le SIAEAG emploie 153 salariés. M. le ministre assure qu'il n'y aura pas de licenciements secs, mais les syndicats n'y croient pas. Revoyons-nous pour discuter d'un plan d'apurement des dettes.
M. le président. - Il faut conclure.
M. Victorin Lurel. - Trouvons une solution pérenne.
M. Mathieu Darnaud . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Qu'il me soit d'abord permis de saluer le travail accompli par notre rapporteure. Ce texte était nécessaire : il y avait urgence, même s'il nous faudra y revenir, sur les financements notamment, même si l'État assure qu'il sera au rendez-vous.
Le Sénat a essayé de trouver des assouplissements ; son travail, je le crois, sera salué comme pragmatique et, surtout, utile. Ainsi de la possibilité de déroger à la clé de répartition financière, de la composition de la commission de surveillance, de l'évaluation de la possibilité d'une tarification sociale.
Je partage les inquiétudes de M. Bonnecarrère : je me méfie des structures qui associent toutes les strates des collectivités, au détriment de la prise de décision et de l'agilité.
Le groupe Les Républicains votera ce texte, en espérant qu'il apportera une réponse aux usagers guadeloupéens.
Ce n'est pas la première fois que nous parlons de l'eau au Sénat, et pas la dernière. (Mme Françoise Gatel le confirme.) Je ne doute pas que nous y reviendrons dans les prochaines semaines. Le Sénat trouve toujours des solutions ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
La discussion générale est close.
M. le président. - Conformément à l'article 42, alinéa 12, du Règlement, je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire.
La proposition de loi est adoptée.