« Avenir des entreprises assurant les liaisons transmanche »
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat sur « l'avenir des entreprises assurant les liaisons transmanche », à la demande du groupe Union centriste.
M. Michel Canevet, pour le groupe Union Centriste . - L'Union centriste a souhaité ce débat sur les enjeux maritimes, car la France doit avoir une ambition forte en la matière. Nous avons apprécié la création d'un ministère dédié à la mer mais nous devons mener des actions à la hauteur de l'importance de notre domaine maritime, le deuxième au monde.
Penmarc'h, le port près duquel j'habite, fut au XVe siècle un grand port de commerce.
C'est sous Louis XIII - comment, au Palais du Luxembourg, ne pas s'en souvenir ? - que fut créée la marine d'État. Notre histoire maritime est longue et diverse.
Pour toute la façade nord du pays, les relations avec la Grande-Bretagne sont essentielles. Dès 1828, les oignons de Roscoff étaient vendus en Grande-Bretagne par les Johnnies.
Créée en 1972, la compagnie Bretagne-Angleterre-Irlande était prête au 1er janvier 1973, lorsque le Royaume-Uni intégra la Communauté économique européenne, pour acheminer les productions bretonnes et les voyageurs au Royaume-Uni.
En 1994, le tunnel sous la Manche a facilité les échanges avec les Britanniques.
Les activités se sont développées jusqu'en 2016, date du référendum sur le Brexit, source de difficultés et d'incertitudes. En outre, la pandémie a fortement touché les opérateurs transmanche, français pour l'essentiel.
Brittany Ferries a vu le nombre de passagers baisser de 70 %, DFDS de 60 % et Eurostar de 85 %. Il faut restaurer la viabilité économique des opérateurs transmanche ; ils ne doivent pas être accablés de charges, même si beaucoup a déjà été fait.
Il faudra beaucoup de temps pour absorber les pertes économiques actuelles, malgré les prêts garantis par l'État (PGE) et le chômage partiel.
Un net wage permettrait de prendre en compte le remboursement des charges salariales et de les étaler au-delà de 2022 pour que ces entreprises retrouvent la compétitivité dont elles ont besoin.
Pour avoir un pavillon, il faut aussi former des marins.
Enfin, nos ports doivent devenir de vrais espaces de développement, au même niveau que les ports d'Anvers et Rotterdam.
Les corridors européens décidés à Bruxelles doivent intégrer Saint-Malo, Roscoff et Brest, notamment.
L'aide au verdissement de la flottille est un autre sujet important. Puisse le Fontenoy du maritime être à la hauteur des enjeux !
Nous comptons sur ce débat pour obtenir des réponses.
Mme Annick Girardin, ministre de la mer . - Le Brexit et la pandémie ont mis à rude épreuve les opérateurs transmanche. Le Gouvernement partage vos préoccupations. Au-delà du Brexit, l'amitié franco-britannique doit rester vive.
Si le secteur du transport a été touché de façon hétérogène par la crise, son volet transmanche a été lourdement impacté : jusqu'à 80 % de passagers en moins.
Les mesures sanitaires empêchent la reprise du trafic mais le Gouvernement français n'est pas inactif.
Le soutien de l'État est assuré, quoi qu'il en coûte - pour reprendre l'expression du Président de la République.
Les PGE soutiennent la trésorerie des entreprises. Les régions aident aussi certains armateurs, et je les en remercie. Le chômage partiel a aussi été activé.
L'État s'est particulièrement attaché à aider les compagnies de ferries.
Le net wage est une aide importante, qui se monte à près de 25 millions d'euros et qui bénéficiera aux compagnies de ferries.
De nouvelles infrastructures ont été nécessaires pour rétablir les contrôles aux frontières. Tous les ports français ont su anticiper le départ du Royaume-Uni de l'Union, je l'ai constaté le 3 décembre à Boulogne-sur-Mer. Ces investissements se montent à près de 20 millions d'euros. Le fonds Brexit contribue à leur financement.
Le gouvernement britannique a annoncé la création de dix ports francs : la France a répondu qu'elle ne resterait pas passive et une mission a été lancée afin d'étudier la mise en place de dispositifs pour améliorer notre compétitivité.
Le transport ferroviaire n'est pas en reste, et Eurotunnel a investi 48 millions d'euros pour le rétablissement des contrôles aux frontières.
Le Brexit crée aussi des opportunités, notamment avec l'Irlande ; des acteurs français s'en sont d'ailleurs déjà saisis. L'entreprise Getlink, qui gère le tunnel sous la Manche, a ainsi demandé à créer des zones de ventes hors taxes sur la partie française de la concession, le port de Calais a fait de même.
Pour Eurostar, le bouclage du plan de sauvetage passe par un effort des actionnaires et une plus grande implication des banques. Les discussions sont en cours et le Gouvernement français prendra sa part à condition que le Royaume-Uni fasse de même.
Depuis octobre, nous travaillons à renforcer la compétitivité de notre marine marchande. Nous voulons aboutir à un pacte de performance avec les armateurs.
Je souhaite que la France mène une vraie politique publique du shipping. Le Fontenoy du maritime permettra de répondre à cette ambition. La France se relance : pour la mer, c'est 650 millions d'euros, dont 200 millions pour les acteurs portuaires, au service notamment de la transition écologique et du report modal. La stratégie portuaire a été le point d'orgue de la dernière réunion du Comité interministériel de la mer (CIMer). (M. Yves Détraigne applaudit.)
M. Jacques Fernique . - Deuxième secteur le plus émetteur de gaz à effet de serre, les transports ont une lourde responsabilité dans le bilan carbone. Les transports maritimes ont un rôle à jouer, en réduisant la vitesse des bateaux ou en recourant à des carburants alternatifs.
Un fonds d'investissement vert et l'instauration d'une taxe carbone sur les carburants marins et aériens sont des questions à mettre en débat. Comment réduire l'impact environnemental et la consommation des bateaux ? Quelles actions européennes sur ce point ? Seules des actions globales auront des effets significatifs.
Mme Annick Girardin, ministre. - La transition énergétique du secteur nécessitera des coopérations internationales, public-privé, entre tous les acteurs du système. Le cluster maritime crée une bonne dynamique en la matière.
La charte Sustainable Actions for Innovative and Low-impact Shipping (Sails) vise notamment à réduire le recours aux carburants à forte teneur en soufre ; quatorze compagnies l'ont déjà signée.
Un rapport du Gouvernement au Parlement sur la décarbonation du transport maritime est en cours de finalisation. La propulsion vélique est une autre piste pour la décarbonation que nous suivons de près.
Le fonds maritime vert sera débattu dans le cadre du Fontenoy, en vue d'une concrétisation en juin.
M. Jacques Fernique. - Ces pistes sont intéressantes, mais il faut des objectifs quantifiables et des calendriers clairs.
Mme Nadège Havet . - Le recul de 80 % du chiffre d'affaires sur le fret transmanche est très préoccupant. Quant au transport de passagers, il est au plus bas, ce qui fragilise Brittany Ferries.
Je sais le Gouvernement impliqué, notamment sur la gestion du fonds européen Brexit, dont la répartition est contestée. La compagnie Brittany Ferries a bénéficié d'un PGE de 117 millions d'euros. En septembre 2020, le Premier ministre a déclaré que le Gouvernement allait accentuer son soutien en procédant au remboursement des charges sociales de cette compagnie pour l'exercice 2021.
Une approche globale et des perspectives de long terme sont nécessaires à la compétitivité de nos entreprises. Le PGE est remboursable sur une durée de cinq ans ; il serait intéressant que le dispositif relatif aux charges sociales ait la même durée. Cela pourrait se faire dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022.
Quand paraîtra le décret relatif au remboursement des charges sociales pour 2021 ?
Mme Annick Girardin, ministre. - Nous resterons aux côtés de Brittany Ferries et DFDS dans la durée, notamment via le PGE et l'activité partielle.
Le dispositif net wage se monte à environ 25 millions d'euros. L'aide sera versée par trimestre. Le décret est en cours d'instruction au Conseil d'État. Début juillet, nous pourrons aider financièrement Brittany Ferries.
Plus généralement, nous veillerons à préserver la compétitivité de tous les armateurs français, notamment dans le cadre du Fontenoy de la mer.
M. André Guiol . - Avec 5 000 kilomètres de côtes métropolitaines, la France a l'une des plus grandes façades maritimes européennes, mais l'activité de ses ports n'est pas à la hauteur. Ainsi, le port du Havre ne représente qu'un quart de l'activité containers de ceux de Rotterdam, Anvers ou Hambourg.
Pourtant, avec ses 65 millions d'habitants, la France est un marché d'importance. Ce déséquilibre interroge. Il faudrait des investissements massifs sur le long terme. Quelle est la stratégie du Gouvernement pour le développement de nos ports, à l'heure du Brexit, de la crise sanitaire et de la montée des enjeux environnementaux ? Vers quels secteurs porter nos efforts ? Notre pays ne tire pas pleinement parti de l'atout que constitue sa façade maritime exceptionnelle. La mer a un rôle à jouer dans notre redressement économique !
Mme Annick Girardin, ministre. - Avec Jean-Baptiste Djebbari, nous voulons construire une stratégie maritime à l'horizon 2050 avec l'ensemble des acteurs portuaires français. Dès 2030, la France doit être le premier port d'Europe.
Pour cela, il faut créer une dynamique forte par façade. Il faut des ambitions, mais aussi donner du sens et de la cohérence à nos actions. Le ministère de la Mer est celui des usages, des usagers et de la planification. Oui, la France sera demain une grande puissance maritime !
M. André Guiol. - Nous avons des atouts ; élaborons une vraie stratégie pour en tirer parti.
Mme Céline Brulin . - Le Brexit et la crise sanitaire ont fragilisé le trafic transmanche. Pourtant, aucune aide spécifique n'a été déployée pour l'emploi maritime et ses 20 000 salariés ! Les remboursements de cotisations sociales salariales annoncés ne sont pas effectifs et la ligne Dieppe-Newhaven, opérée en délégation de service public par DFDS Seaways, serait exclue du net wage.
Le plan de relance et les contrats de plan État-Régions ne prévoient rien non plus pour les ports. Le fonds de compensation du Brexit bénéficiera peu à la France et ne concernera que les aides étatiques, pas celles des opérateurs ou des collectivités.
Je ne parle même pas des nouveaux dispositifs de contrôle des frontières à mettre en place d'ici un an, dans le contexte du système européen EES (Entry/Exit System).
Allez-vous utiliser le plan de relance pour soutenir le transport transmanche ? Allez-vous demander aux autorités européennes de reporter la réforme des contrôles aux frontières ? Il est urgent d'apporter une aide concrète au secteur face à la concurrence !
Mme Annick Girardin, ministre. - Le Gouvernement n'est pas inactif - voyez le net wage, qui sera en place dès juillet. Grâce aux mesures de soutien, le plus difficile est passé, sans licenciements.
L'EES, instauré par l'Europe en 2017 et qui entre en vigueur pour le Royaume-Uni, concerne 33 points de passage en France. Des aménagements et des investissements sont nécessaires. Il reste un peu plus d'un an : nous y travaillons avec les acteurs concernés.
Mme Céline Brulin. - La ligne Dieppe-Newhaven ne bénéficierait pas du net wage : qu'en est-il ?
Pour l'EES, les acteurs alertent sur l'ampleur des investissements nécessaires : ne peut-on agir dans le cadre du plan de relance ?
Mme Catherine Fournier . - Les entreprises du secteur transmanche souffrent, et tous nos territoires sont à la peine. Dans le Pas-de-Calais, les entreprises privées assurant le transport transmanche emploient plus de 10 000 personnes ; certaines ont déjà engagé des plans de licenciements et Eurotunnel cherche à maintenir l'emploi en attendant une réponse du Gouvernement.
De plus, il faut contrôler l'effectivité du protocole nord-irlandais pour éviter toute concurrence déloyale. Il est important d'établir un dialogue constructif et direct avec le Royaume-Uni.
Un véritable plan de relance du secteur est aussi nécessaire. Par exemple, l'autorisation du duty free dans les ports et le tunnel ne dépend plus que du Gouvernement. Il faut simplifier les procédures d'entrée sur le territoire français pour les touristes anglais vaccinés. Qu'attendons-nous pour agir avec bon sens ?
Mme Annick Girardin, ministre. - Eurostar rencontre de lourdes difficultés du fait de la crise sanitaire : son chiffre d'affaires a chuté de 75 % en 2020, malgré un prêt bancaire de 450 millions d'euros et un apport de 210 millions d'euros des actionnaires.
Nous sommes attentifs à la situation, d'autant que de l'entreprise risque de connaître une crise de liquidités au second semestre 2021. Nous mettons tout en oeuvre, avec les Britanniques, pour la soutenir.
Nous agissons massivement en faveur du ferroviaire, auquel les Français sont attachés.
La création de duty free dégagera de nouvelles ressources. Nous veillerons à consolider tous les outils permettant de pérenniser les liaisons et resterons présents sur tous les sujets.
M. Jean-Michel Houllegatte . - Comme le président du Conseil de surveillance le disait la semaine dernière devant l'assemblée générale, la crise sanitaire s'ajoutant au Brexit, c'est la double peine pour Brittany Ferries. L'entreprise lutte pour préserver ses emplois et son activité.
Certains passagers ne sont pas astreints aux règles sanitaires en vigueur, comme les enfants de moins de 11 ans qui restent en contact avec le personnel navigant et les passagers, ou les chauffeurs routiers qui, depuis le décret du 20 février, n'ont plus besoin de présenter un test négatif s'ils sont restés moins de 48 heures en Grande-Bretagne.
Peut-on envisager d'inclure dans la stratégie vaccinale ciblée les professions exposées comme les salariés du Transmanche ?
Mme Annick Girardin, ministre. - Vous avez raison, les marins sont des travailleurs essentiels. Les gens de mer ont aujourd'hui l'autorisation de franchir les frontières intérieures et extérieures de l'Union européenne sur présentation de leur carte professionnelle.
La question est examinée en interministériel. J'ai réitéré ma demande que ce public prioritaire soit vacciné rapidement.
M. Jean-Michel Houllegatte. - Sur le plan économique, l'enjeu de la vaccination n'est pas négligeable. La clientèle britannique est prête à revenir en France dès cet été, nos marins doivent être disponibles pour faire naviguer les bateaux.
M. Jean-François Rapin . - Face au Brexit, notre secteur maritime a fait preuve d'une belle résilience. Mais la pandémie le plonge dans une situation critique : c'est la double peine, à laquelle s'ajoute la concurrence des grands ports du nord de l'Europe.
L'enveloppe européenne de compensation est injustement répartie ; il faut obtenir le rééquilibrage de ces fonds.
Les investissements liés au Brexit ont été élevés, notamment pour aménager les ports pour les contrôles douaniers. Quelque 20 millions d'euros ont déjà été dépensés, cette somme sera doublée d'ici 2023. Les dépenses réalisées en amont par les opérateurs seront-elles couvertes par la réserve d'ajustement ?
Mme Annick Girardin, ministre. - Oui, tous les acteurs maritimes ont anticipé le Brexit et ont montré leur résilience face à une situation très difficile.
Mais la crise sanitaire a tout compliqué. Il a fallu de lourds investissements pour s'adapter au Brexit et d'autres suivront. Ces dépenses doivent être compensées par la réserve d'ajustement. Les débats au niveau européen ne sont pas pleinement satisfaisants en matière de répartition entre pays. Nous allons continuer à défendre nos positions pour une réponse à la hauteur de vos attentes !
M. Jean-François Rapin. - La proposition de résolution européenne adoptée par la commission des affaires européennes la semaine dernière peut vous aider dans cette bataille nécessaire.
M. Jean-Pierre Decool . - Le port de Dunkerque a compris très tôt que le Brexit pouvait être une opportunité. Les autorités portuaires et les entreprises ont su s'organiser et faire preuve de réactivité, accompagnées par les services de l'État. La distribution a été réorganisée et tous les cas de figure ont été anticipés - même si la signature de l'accord de commerce et de coopération a été un soulagement.
Dunkerque devrait devenir le premier port européen en termes de trafic avec l'Irlande. La connexion avec Douvres ne semble pas endommagée, cependant des effets négatifs sont attendus sur la fluidité du trafic sur l'A16. Nos entrepreneurs demandent des moyens d'alerte dans le cas où l'accord serait bafoué. L'Europe doit pouvoir se défendre et rester unie. À ce titre, la flexibilité des ports belges et néerlandais et la création annoncée de ports francs en Grande-Bretagne doivent nous interpeller.
Quelle est votre position sur la création d'une zone économique spéciale (ZES) autour du port de Dunkerque ? L'avenir de nos entreprises en dépend.
Mme Annick Girardin, ministre. - Le Royaume-Uni a en effet annoncé la création de dix ports francs. La France ne sera pas en reste, ainsi que nous y invite le Président de la République.
Le Premier ministre a lancé la réflexion sur les zones industrialo-portuaires, qui sont l'équivalent des ZES, lors du CIMer du 22 janvier dernier. Il s'agit d'assurer une meilleure attractivité fiscale et douanière pour les investisseurs et de simplifier la fiscalité et les démarches administratives ; mais des conditions liées à la transition écologique, priorité du Gouvernement, y seront également associées.
Le littoral de Dunkerque est exposé aux conséquences du Brexit, mais également bénéficiaire de nouvelles opportunités, en particulier avec l'Irlande : le port a tout récemment reçu sa dix millième unité de fret du port de Rosslare. Il y a aussi, plus largement, des opportunités pour le financement en matière de shipping.
M. Pascal Martin . - Les liaisons entre la France et la Grande Bretagne sont vitales à notre économie. Ainsi, la ligne Dieppe-Newhaven, reprise en délégation de service public (DSP) par le conseil départemental de la Seine-Maritime, génère des retombées de 40 millions d'euros par an dans le département, de 82 millions dans la région et de 219 millions au niveau national.
Mais ces dessertes sont précaires et le Brexit remet en cause leur équilibre. Or les liaisons transmanche ne figurent pas dans l'accord. Les collectivités territoriales pourront-elles continuer à les aider ? À ce jour, l'Union européenne a considéré que oui.
Nous sommes dans un équilibre de non-coopération : les Britanniques achètent des capacités de transport pour leurs approvisionnements vitaux. Allez-vous conclure un accord spécifique avec le Royaume-Uni ?
Mme Annick Girardin, ministre. - Les collectivités ont en effet fait le choix de la DSP, malgré l'absence d'obligation de service public pour cette activité. Le Royaume-Uni et l'Irlande ont apporté un soutien direct à des armateurs, dont certains sont français, pour le maintien des lignes. La France a préféré soutenir les compagnies pour préserver l'emploi.
Un accord spécifique sur les liaisons transmanche avec le Royaume-Uni n'est pas d'actualité, mais nous serons attentifs à toute situation de concurrence déloyale. Il faut combattre le dumping social et environnemental.
M. Pascal Martin. - Je regrette l'absence d'accord compte tenu des enjeux économiques majeurs.
M. Didier Marie . - Quand la mer baisse, les rochers montent : voilà, au travers de ce vieux dicton marin, une métaphore de la situation du trafic transmanche, victime de la crise.
La mer qui baisse, c'est l'effondrement du trafic, avec une baisse de 66 % du trafic passager sur la liaison Dieppe-Newhaven, et une baisse du fret malgré l'embellie de la fin 2020. Les compagnies, et notamment DFDS, s'approchent dangereusement des rochers et donc du naufrage si aucune mesure forte n'est prise. Un premier plan social chez DFDS prévoit 151 redéploiements sur les sites de Calais et Dieppe et un licenciement.
Une année touristique blanche se profile. À court terme, un des bateaux assurant la liaison Dieppe-Newhaven pourrait rester à quai, voire les deux, avec leur équipage de 66 personnes. Or la DSP n'entre pas dans le périmètre du remboursement des charges sociales. Le pavillon français est meilleur, mais l'armement d'un ferry 20 à 30 % plus cher. Nous attendons un soutien des liaisons transmanche par le plan de relance et au niveau européen, ainsi qu'une promotion de la destination France auprès du public britannique.
Mme Annick Girardin, ministre. - La liaison opérée par la compagnie danoise DFDS pour le conseil départemental de Seine-Maritime est en grande difficulté malgré les 26 millions d'euros reçus par an du département, d'autant que, comme vous l'avez dit, l'exonération de charges ne s'applique pas aux DSP.
Nous avons des échanges réguliers avec la compagnie, mais DFDS demeure l'un des armateurs les plus solides en Europe, avec des marges d'investissement importantes. L'entreprise n'a pas demandé un PGE.
Le Brexit est aussi l'occasion de développer les liaisons entre la France et l'Irlande et d'apporter des réponses plus globales sur l'attractivité de nos ports. La société DFDS pourrait bénéficier d'aides dans le cadre du Fontenoy du maritime.
M. Philippe Paul . - Créée en 1972, Brittany Ferries est devenue le premier transporteur sur la Manche ouest et centrale et le premier employeur de marins français.
La crise sanitaire a fortement affecté le trafic de passagers. Dès le 21 avril 2020, avec mes collègues Allizard, Bas et Bizet, nous avons alerté le Premier ministre sur les difficultés de la filière, et proposé un plan volontariste et ambitieux afin de sauver les entreprises et les emplois. En réponse, le 30 septembre, le ministre délégué aux Transports a annoncé une subvention correspondant au remboursement de 15 millions d'euros de charges à Brittany Ferries.
Cette somme sera-t-elle prochainement versée ? Les compagnies en ont besoin. Cette aide sera-t-elle prolongée ?
Mme Annick Girardin, ministre. - Le Gouvernement est déterminé à soutenir Brittany Ferries. Malgré la crise sanitaire, notons que le fret se maintient, avec des perspectives favorables pour 2021.
Le net wage, c'est-à-dire l'exonération totale des charges patronales, devrait être mis en oeuvre à partir du mois de mai. Le comité interministériel de restructuration industrielle a adressé un ensemble de demandes à la Commission européenne : un accord d'activité partielle de longue durée pour 19 millions d'euros, un refinancement à 80 % du PGE, un abandon des créances Ademe pour 10 millions d'euros, et enfin une subvention de portage de 20 millions d'euros.
M. Michel Dagbert . - Le transport de marchandises, ce sont six millions de camions chaque année entre les ports des Hauts-de-France et le Royaume-Uni, soit 70 % des échanges commerciaux entre le Royaume-Uni et l'Union européenne. Il est essentiel à la région.
Calais voit passer chaque année quatre millions de camions et quarante millions de tonnes de marchandises. Le Brexit n'a pas été sans conséquences sur la fluidité du trafic, malgré la création d'une frontière dite intelligente grâce aux nouvelles technologies. Boulogne-Calais a bénéficié de 12 millions d'euros d'investissements pour éviter l'engorgement, et 276 agents ont été recrutés pour le contrôle sanitaire.
Mais quelles mesures seront prises pour fluidifier le trafic et éviter le blocage de l'A16 ?
Calais devient un hub de référence mer-route-fer entre Europe du Nord et du Sud, avec l'inauguration, le 6 novembre 2018, de l'autoroute ferroviaire Calais-Orbassano, et la création, confirmée en janvier, de la ligne ferroviaire Sète-Calais. Comment le Gouvernement entend-il accompagner ces projets ?
Mme Annick Girardin, ministre. - Quelque 500 agents supplémentaires pour les contrôles, dont 230 vétérinaires et 276 douaniers : la France s'est préparée au Brexit depuis 2019 en y mettant les moyens. Pour éviter les engorgements, nous avons entrepris de créer une frontière intelligente reposant sur un système d'information.
Les conséquences du Brexit ont donc bien été ciblées, et il y a aussi des opportunités, notamment avec l'Irlande. Nous devons être au rendez-vous de la compétitivité et de la transition écologique.
Le réseau fluvial doit être mieux utilisé : 25 millions d'euros seront consacrés à la transition des flottes dans le cadre de conventions entre l'État, l'Ademe et les régions. S'y ajoutent 175 millions d'euros pour les infrastructures ferroviaires dans le cadre du plan de relance.
La stratégie nationale portuaire prévoit une augmentation de 30 % de la part du ferroviaire et du fluvial dans l'acheminement portuaire.
La compétitivité du fret ferroviaire fera l'objet d'un soutien pérenne de 170 millions d'euros par an. Nous préparons l'avenir.
Mme Agnès Canayer . - « Entre la France et l'Angleterre, la meilleure chose, c'est la Manche... » Ce trait d'humour anglais s'applique bien au Brexit, qui a fragilisé notre entente parfois tumultueuse.
L'annonce par les Britanniques de la création de dix ports francs, dont les huit premiers sites retenus ont été annoncés le 8 mars, a ravivé les tensions. Quand la France disposera-t-elle des mêmes armes que ses concurrents ?
Le Havre doit prendre toute sa part dans le transmanche. L'État s'est engagé dans le transport combiné ; il faut aller plus loin en nous dotant d'outils juridiques et fiscaux, comme les zones franches portuaires.
Vous allez me répondre « mission » et « réflexion » ; mais quand aurons-nous ces ports sur la côte normande ?
Mme Nathalie Goulet. - Très bien !
Mme Annick Girardin, ministre. - Nous préférons parler de zones industrialo-portuaires. Je ne puis m'engager sur une date, mais nous devrions pouvoir déployer ces dispositifs d'ici quelques mois.
La création au mois de juin dernier du premier port de France, Haropa, issu de la fusion entre Le Havre, Rouen et Paris, illustre le volontarisme du Gouvernement.
Les investissements dans les ports maritimes - 175 millions d'euros pour le verdissement entre 2020 et 2022 dont 44,6 millions d'euros pour Le Havre - sont conséquents. Nous sommes au rendez-vous des infrastructures et serons au rendez-vous des attentes fiscales, douanières et administratives.
Mme Agnès Canayer. - Au Havre, la zone industrialo-portuaire existe depuis cinquante ans... Attention à la confusion. Parler de zone franche portuaire serait plus clair.
M. Alain Cadec . - En 2019, les deux tiers des visiteurs britanniques ont utilisé le transport transmanche, générant des retombées économiques importantes pour notre pays.
La crise et le Brexit ont occasionné une désorganisation du transport sans précédent et des pertes financières majeures tant pour Brittany Ferries, qui a perdu 70 % de ses revenus générés par le trafic passagers, que pour Eurostar qui a perdu 77 % ou DFDS qui a perdu 53 %. Les aides des régions ont évité les faillites.
Il faut désormais prévoir la sortie de crise en fixant un cap clair. Allez-vous préparer un plan de relance spécifique ? Il faudrait que l'État prenne en charge les cotisations sociales et mène des campagnes de promotion.
Mme Annick Girardin, ministre. - Nous nous sommes préparés à la sortie de crise et à l'après-Brexit en fléchant 650 millions d'euros du plan de relance au profit de l'économie bleue, dont 175 millions d'euros pour les grands ports maritimes.
Avec plus de soixante-dix entretiens particuliers, le Fontenoy a été l'occasion de réfléchir à notre compétitivité maritime. Après un hiatus de trente ans, nous avons à nouveau un ministère de la Mer depuis juillet dernier. Il fallait porter une vision globale de notre ambition comme puissance maritime, mais la mise en cohérence prend nécessairement un peu de temps.
Le net wage est un des éléments de la sortie du Fontenoy, mais il y aura d'autres engagements de l'État. J'attends aussi des engagements forts de la part des acteurs privés afin que la France retrouve sa place parmi les puissances maritimes.
Mme Béatrice Gosselin . - Le transport transmanche présente un intérêt stratégique et économique majeur. Mais à la crise sanitaire s'est ajoutée une distorsion de concurrence avec les autres pavillons : nos opérateurs sont fragilisés face aux Britanniques, exonérés de cotisations sociales salariales, et aux Danois, dispensés de cotisations sociales salariales et patronales. Ce sont des dispositifs légaux, mais la France ne les utilise pas.
La route vers l'Irlande passait par le tunnel sous la Manche et les routes de Grande-Bretagne. Le Brexit ayant rendu cette route moins rentable, les transporteurs se tournent vers le port de Cherbourg. Pour éviter que cela ne soit qu'un feu de paille, il nous faut une stratégie proactive. Quelles actions allez-vous mettre en oeuvre pour défendre le secteur face à la récente annonce des huit ports francs retenus par le gouvernement britannique ?
Mme Annick Girardin, ministre. - Ma réponse sera simple : reconquête. Reconquête pour nos ports, reconquête du pavillon français.
Le net wage est une passion française - je n'entends parler que de cela dans cet hémicycle ! - mais ce n'est pas le seul outil qui sera élaboré dans le cadre du Fontenoy. Avec le Brexit, la France a un rôle à reprendre dans le shipping.
Cette reconquête se fera avec tous les acteurs, notamment les collectivités territoriales du littoral et les parlementaires. Notre objectif est d'aboutir à un paquet complet de mesures pour le prochain CIMer de juin.
Mme Béatrice Gosselin. - Le Brexit a mis nos territoires en grande difficulté, pour la pêche comme pour le transmanche. J'espère que l'État saura les accompagner.
M. Marc Laménie . - Je remercie nos collègues de l'Union centriste pour ce débat. L'activité ferroviaire est malheureusement en berne. Eurostar a transporté seulement 2,5 millions de voyageurs en 2020, soit 77 % de passagers en moins. Le fret résiste mieux : plus de 1 700 trains ont traversé le tunnel en 2020.
Quelles sont les perspectives pour 2021 et au-delà ?
Mme Annick Girardin, ministre. - Je tiens à remercier le Sénat pour ce débat et j'appelle de mes voeux un grand débat sur la mer.
Le Gouvernement va accompagner la société Eurostar avec beaucoup d'énergie mais n'oublions pas qu'il s'agit d'une société de droit anglais, avec des actionnaires privés. Le soutien doit être coordonné entre la Grande-Bretagne et la France.
Un quart du commerce avec la Grande-Bretagne transite par le tunnel : le Brexit ne le réduira pas à néant, et il y a une volonté commune d'accompagner les structures concernées. Nos équipes y travaillent activement.
Le soutien au fret ferroviaire est la marque de ce quinquennat, avec plus d'un milliard d'euros de capital investi. L'État et les collectivités territoriales, en particulier les régions, investiront 6,5 milliards d'euros dans les prochaines années pour sauvegarder les lignes capillaires.
L'État stratège est au rendez-vous pour renforcer le transport massifié et développer les interconnexions entre routier, ferroviaire et maritime.
Mme Nathalie Goulet, pour le groupe Union centriste . - Avec M. Michel Canevet et Mme Nadège Havet, nous avions initialement imaginé une commission d'enquête, puis une mission d'information, avant d'opter pour ce débat. La discussion fut très riche, et nous avons pu entendre des collègues de départements aussi éloignés de la mer que les Ardennes.
Madame la ministre, vos réponses furent plus enthousiastes que véritablement précises, que ce soit sur la fiscalité ou les financements.
Je regrette en outre de ne pas avoir entendu parler de souveraineté. Il faudrait une réponse plus précise sur les duty free évoqués par Catherine Fournier.
Les aides versées devront être bien documentées afin d'éviter que les compagnies historiques, ou les plus importantes, ne soient servies au détriment d'entreprises plus petites ou moins voyantes.
Pour le prochain projet de loi de finances, il serait bienvenu de publier un orange budgétaire sur ce thème, qui relève des ministères de la Transition écologique, des Transports et de l'Économie. Un prochain débat sur les mesures fiscales en direction des opérateurs pourrait être organisé avant le prochain projet de loi de finances. Celui-ci doit avant tout être considéré comme une étape. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
La séance est suspendue à 19 h 20.
présidence de Mme Nathalie Delattre, vice-présidente
La séance reprend à 21 h 30.