Mobilités dans les espaces peu denses
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle le débat sur les conclusions du rapport : « Mobilités dans les espaces peu denses à l'horizon 2040 : un défi à relever dès aujourd'hui », à la demande de la délégation sénatoriale à la prospective.
M. Olivier Jacquin, au nom de la délégation sénatoriale à la prospective . - Je remercie la délégation à la prospective et son précédent président, Roger Karoutchi, ainsi que le nouveau, Mathieu Darnaud.
Ce rapport fait suite à la loi d'orientation sur les mobilités (LOM), qui a édicté un droit à la mobilité pour tous et créé sur tous les territoires des autorités organisatrices de la mobilité (AOM). Mais certaines zones sont sans ressources ni activité économique. Refusons une mobilité à deux vitesses.
Que peut-il advenir à long terme des mobilités dans les espaces peu denses ? Les conclusions du rapport auraient été différentes sans cette incroyable expérience de démobilité qu'a été le confinement.
Je me félicite de la présence de M. Joël Giraud, ministre qui porte haut et fort la question de la ruralité.
Les territoires peu denses représentent 90 % du territoire national et concernent un tiers des habitants du pays. Les mobilités s'organisent très différemment dans les espaces denses et peu denses. Dans les premiers, la massification est possible, la rentabilité aussi, les flux sont concentrés, il y a les transports en commun en site propre, etc... Dans les seconds, les flux sont faibles, les lignes régulières moins fréquentées et l'irrigation moindre en lignes ferroviaires ou cars interurbains.
Pour certains experts, les territoires peu denses se définissent précisément comme ceux où le seul moyen de déplacement est la voiture et où le coût de déplacement est élevé pour les ménages.
La situation est différente entre le rural polarisé par un centre et le rural isolé, ou encore les zones périurbaines. Nous devons donc avoir des politiques publiques sur mesure, avec de l'ingénierie intégrée et des moyens financiers.
Il faut opérer une transition écologique, mais également avoir accès aux services, ce qui exige des politiques d'aménagement du territoire audacieuses ; enfin, il faut développer la couverture numérique.
Nous proposons un bouquet de solutions : en utilisant les voies ferrées existantes, avec un réseau de cars complémentaire, et en jouant sur le rabattement, la modernisation, le cadencement ; en socialisant l'usage de la voiture, par le covoiturage, l'autopartage, le transport à la demande, le taxi ou le transport solidaire ; en développant les mobilités actives comme la marche, le vélo, le vélo électrique.
Nos hypothèses d'évolution se déclinent en huit scénarios mais je n'en présenterai qu'un, celui du « rien de neuf ». Avec une intervention de la puissance publique a minima, en s'en remettant aux ruptures technologiques et à la logique de marché, nous prévoyons la décarbonation essentiellement via des petits véhicules peu coûteux ; et pour les « assignés territoriaux », selon le terme du sociologue Éric Le Breton, ce sera uniquement le transport à la demande. Nous avons besoin d'un modèle économique pour financer les politiques publiques de la mobilité !
Je conclurai en citant l'un des meilleurs spécialistes des mobilités, Gilles Lansard : il ne faut pas opposer la mobilité individuelle au transport collectif, cela empoisonne le débat et ralentit les mutations. On doit s'appuyer sur le triptyque « proximité, intermodalité et accessibilité » pour lutter contre les mobilités à deux vitesses et les fractures sociales qui vont avec. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur quelques travées à droite)
M. Joël Giraud, secrétaire d'État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité . - Je remercie la délégation et son rapporteur. Ce rapport est riche et d'une grande qualité. Je suis heureux de participer à votre débat, car la mobilité est un volet important de l'Agenda rural. Maire pendant trente ans d'une petite commune de montagne, je connais bien ces questions et partage nombre de vos constats.
La voiture représente dans ces zones 80 % des déplacements, car les espaces ne sont pas à l'échelle du piéton. La voiture n'est pas l'ennemi à éradiquer, mais il faut favoriser son usage plus collectif et des modalités complémentaires.
Cette situation est source d'inégalités, notamment pour ceux qui n'ont pas de véhicule ou ceux dont le budget est grevé par les frais de voiture.
La LOM prévoit une AOM sur chaque territoire pour supprimer toutes les zones blanches de la mobilité. Les communautés de communes sont invitées à se saisir de cette compétence avant le 31 mars, faute de quoi la région l'exercera. Mais on constate des tensions entre EPCI et régions : il n'est pas question que les intercommunalités rurales cofinancent les TER régionaux au motif qu'elles en bénéficient...
L'État ne livre pas les territoires à eux-mêmes : France Mobilités, bras opérationnel de la LOM, facilite l'expérimentation de solutions de mobilités.
Je me réjouis du succès des appels à manifestations d'intérêts (AMI) lancés par France Mobilités : 92 projets ont été retenus pour 6,7 millions d'euros, tous en zone peu dense. Ils promeuvent de nouvelles formes de mobilité. Le forfait mobilités durables prévu dans la LOM constitue aussi une incitation financière bienvenue pour les salariés qui covoiturent ou se rendent à leur travail à vélo.
Le Gouvernement a doté de 215 millions d'euros le fonds mobilités actives pour créer des pistes cyclables sécurisées ; il a aussi prévu le « coup de pouce vélo » pour la remise en service des cycles en vue de déplacements quotidiens.
Le Gouvernement investit massivement dans le ferroviaire, notamment la régénération, qui coûtera 7,5 milliards d'euros sur dix ans.
Il faut développer notre offre de trains Intercités de jour comme de nuit, et améliorer l'information des voyageurs, trop morcelée.
Toutes ces politiques nous permettront de développer des alternatives à la voiture individuelle. Il y va de l'équité et de la cohésion des territoires.
M. François Bonneau . - Depuis plusieurs années, le covoiturage et l'autopartage se développent : cela signifie une moyenne de 3,5 personnes par véhicule, contre 1,3 traditionnellement. C'est un outil de flexibilité mais aussi un facteur de convivialité. Il faut de la technologie pour la réservation et la mise en relation, et une réactivité maximale en zones peu denses. Une solution de copartage se développe dans le sud de mon département de la Charente et rend de nombreux services aux citoyens. Cette application pourrait être accessible à tous, notamment au sein des Maisons France Services.
L'État va-t-il harmoniser l'ensemble des initiatives ? Y a-t-il un budget pour soutenir ces projets ?
M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - De nombreuses collectivités territoriales - principalement des intercommunalités - ont développé des mobilités solidaires, souvent sur la base du bénévolat. Un cadre juridique existe, créé par la LOM. J'ai pu voir sur place la solution de copartage que vous avez évoquée.
Il n'est pas temps encore d'harmoniser, car la diversité des solutions fait toute leur richesse : ne créons pas un service public clé en main. L'État doit être facilitateur, avec les appels à projets de France Mobilités.
Mme Angèle Préville . - Le changement climatique suppose des actions urgentes, notamment dans le secteur des transports dont les émissions doivent baisser de 28 % en seulement neuf ans, conformément aux objectifs de la stratégie bas carbone.
Mais quel manque d'intérêt pour les territoires ruraux qui n'ont plus ni petites lignes ni report multimodal... Et quel mépris pour ces gens qui n'ont d'autre choix que la voiture !
Les déplacements à pied et à vélo ont diminué régulièrement ces trente dernières années. Le plan Vélo de 2020 n'est pas à la hauteur des enjeux. Les cheminements doux nécessitent des aménagements coûteux, en particulier pour la sécurité ; les collectivités ne reçoivent pas les financements nécessaires.
Que comptez-vous faire à cet égard ? Quelle alternative au tout-voiture ? La marche et le vélo sont vertueux pour l'enfant et peu coûteux pour les parents.
M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - Des opérations comme « Marcher vers l'école » sont effectivement très intéressantes... même lorsqu'il s'agit de marcher dans la neige ! (Sourires) Le vélo a aussi un fort potentiel pour les déplacements courts. Il faut multiplier les itinéraires cyclables sécurisés et France Mobilités a subventionné de nombreux projets à hauteur de 40 % à 70 % ; le programme « À vélo » de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) a concerné 220 territoires ; ils seront 400 de plus ces trois prochaines années. Enfin, chaque territoire est invité à développer le vélo dans le cadre de l'opération « Mai à vélo ».
Mme Angèle Préville. - Initiatives louables, mais cela sera-t-il suffisant ? On ne peut plus se contenter de brandir de beaux appels à projets : tous les territoires doivent avoir des projets, c'est une question d'équité.
M. Daniel Gremillet . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Dans le Grand Est - 1,5 fois la Belgique -, l'irrigation TGV est allée de l'urbain vers les zones peu denses, qui ont contribué à hauteur de 1,377 milliard d'euros. Il y a eu une vraie politique de maillage territorial. Ainsi, les TGV s'arrêtent non seulement dans les grandes villes mais dans les gares des Ardennes, dans la Meuse, dans les Vosges, à Saint-Dié, Remiremont... C'est une politique d'aménagement du territoire pilotée par la région. Des lignes qui étaient fermées seront rouvertes : Épinal-Saint-Dié, ainsi que Nancy-Vittel-Contrexéville.
M. Jean-François Husson. - Très bien ! Bravo !
M. Daniel Gremillet. - Garantissez-vous aux collectivités et aux contribuables que ces efforts ainsi cofinancés, ces pactes entre collectivités territoriales et citoyens, ne seront pas remis en cause ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - Vous semblez déçu de l'exploitation de certaines lignes, notamment en raison des restrictions de circulation liées à la pandémie. Je connais le problème : même un trajet Paris-Chamonix est devenu compliqué ! Le Gouvernement surveillera attentivement la SNCF pour que la desserte fine de votre territoire soit restaurée après la sortie de crise : il faut au minimum le retour à la situation ex ante. Les financements qui vous ont été promis seront maintenus et nous n'abandonnerons pas ces territoires.
M. Daniel Gremillet. - À situation exceptionnelle, décisions exceptionnelles, nous pouvons le comprendre, mais le pacte qui a été passé dans le Grand Est sur les lignes ferroviaires doit être respecté.
La région a consacré 940 millions sur un budget de 3 milliards d'euros à la mobilité, pour créer une véritable toile d'araignée sur le territoire. (Applaudissement sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Vanina Paoli-Gagin . - La crise sanitaire doit être une opportunité pour répondre au changement climatique. Cela passera par la décarbonation de nos déplacements, l'intermodalité et des mobilités douces.
Dans le Grand Est, nous expérimentons la multimodalité, notamment avec des trains à hydrogène pour le transport des marchandises, et comptons sur la mise à grand gabarit du canal de la Seine jusqu'à Nogent-sur-Seine.
C'est ce genre de cercle vertueux dont la France a besoin : la solution viendra des territoires mais nécessite des investissements énormes. Quelles sont vos solutions, hors plan de relance ?
M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - Les crédits des mobilités proviennent du programme 203 de la loi de finances et de l'Agence de financement des infrastructures de France (Afitf).
Le programme 203 est en augmentation de 17 % en 2021 et atteint 3,7 milliards d'euros ; s'y ajoutent 2,8 milliards d'euros pour l'Afitf hors plan de relance. Priorité est donnée à la maintenance des réseaux et au report modal.
La poursuite de la mise à grand gabarit de la Seine avec le projet de canal entre Bray et Nogent a fait l'objet d'une approbation ministérielle en janvier 2020 ; l'enquête publique a eu lieu en janvier et février derniers et la déclaration d'utilité publique doit intervenir dans les prochains mois. Ce projet s'inscrit dans un contexte de croissance continue du trafic à gros gabarit sur la Seine ; quelque 27 000 trajets de camions seront évités chaque année grâce au report modal.
Mme Vanina Paoli-Gagin. - Ces fonds ne suffiront pas à développer les nouvelles mobilités comme la mobilité hydrogène. Je proposerai, dans une proposition de loi, la création de fonds souverains régionaux pour soutenir de tels projets.
M. Jacques Fernique . - Ces derniers mois, le vélo a fait de fortes avancées dans l'opinion. Il faut un système vélo intégrant de véritables aménagements de voirie, ce qui implique une ingénierie de qualité et des moyens conséquents pour l'entretien des réseaux.
Le Fonds national vélo est abondé à hauteur de 100 millions d'euros - ce que l'eurométropole de Strasbourg seule va investir sous ce mandat dans les infrastructures cyclables ! Quelles solutions envisagez-vous ?
M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - Le Gouvernement veut tripler les mobilités à vélo d'ici à 2024. Le premier levier, ce sont les pistes cyclables sécurisées. Les cellules locales de France Mobilités sont le point de contact privilégié pour développer ces projets.
Il faut un échange de savoir-faire entre collectivités pour diffuser la conscience de l'intérêt de ces politiques.
Tant la DETR que la DSIL peuvent être mobilisées, avec 1 milliard d'euros supplémentaire apporté pour le désenclavement des territoires.
Le Fonds mobilités actives a financé 533 projets dont 199 dans les territoires ruraux.
M. Frédéric Marchand . - La communauté de communes de Flandre intérieure, rassemblant cinquante communes sur 630 kilomètres carrés et 500 000 habitants, s'est saisie de la politique des mobilités, dont elle prendra la compétence au 31 mars.
Les déplacements quotidiens, sur un territoire étendu, sont en moyenne de 30 kilomètres. Or la faculté de se déplacer conditionne l'accès à l'emploi et aux services. Six communes sont des zones blanches de mobilité ; le caractère transfrontalier est très prégnant et certaines communes belges souhaitent être connectées à la ville centre, Hazebrouck, notamment pour la desserte ferroviaire. Notre avenir économique est transfrontalier...
Comment la communauté de communes de Flandre intérieure peut-elle favoriser les mobilités dans une zone peu dense ?
M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - La prise de la compétence mobilités est une opportunité. Les contrats de mobilité sont des outils fédérateurs pour un système de mobilité plus cohérent, au-delà des périmètres administratifs.
Je connais bien les zones transfrontalières, j'habite à 11 kilomètres d'une frontière. Dans les groupements européens de coopération territoriale (GECT), il est déjà possible de créer des services de mobilité transfrontaliers. Vous pouvez aussi recourir à la mission opérationnelle transfrontalière (MOT).
La loi 4D facilitera les ententes transfrontalières dans ce domaine et dans d'autres.
Mme Véronique Guillotin . - En 1662, Blaise Pascal inventait le transport en commun... J'ai appris cela, et beaucoup d'autres choses, dans ce rapport d'information.
Il faut maintenant se projeter dans l'avenir. La crise de la covid-19 a bousculé nos habitudes et nos certitudes ; la data aussi. Nous pourrions entrer dans une ère de la démobilité, où les données transiteraient sur les réseaux plutôt que les hommes sur les routes.
Les territoires ruraux peuvent se réinventer grâce à la couverture numérique. Démobilité et mobilité sont-elles également prises en compte par le Gouvernement ?
M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - La covid-19 a été un laboratoire grandeur nature de la démobilité. Près de trois quarts des télétravailleurs occasionnels veulent à présent développer cette pratique. Georges Pompidou le pressentait dès 1970 en écrivant à Jacques Chaban-Delmas que « la vie moderne, dans son cadre de béton, de bitume et de néon créera de plus en plus chez tous un besoin d'évasion, de nature et de beauté », donc un besoin de mobilité.
Il faut poursuivre le maillage territorial. Dans la Nièvre, par exemple, on a besoin à la fois d'une offre numérique de qualité et d'une liaison ferroviaire correcte Paris-Clermont-Ferrand !
M. Gérard Lahellec . - La LOM fixe l'ambition de ne laisser aucune zone de côté, poussant les intercommunalités à prendre la compétence, ou la région là où l'intercommunalité ne l'assume pas. De l'art d'accommoder les restes... ce qui est particulièrement compliqué au plan économique.
La régionalisation des transports ferroviaires a été une bonne chose : elle traduit une grande ambition de ne laisser aucun territoire de côté. Or les lignes de desserte dite fixe sont privées d'investissement par la SNCF, sommée de se désendetter.
Enfin, on ne peut circonscrire les campagnes à l'immobilité : elles veulent accéder à tout, à l'Europe, au monde entier.
M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - J'ai créé une autorité organisatrice de transport (AOT) de deuxième niveau parce que certains besoins n'étaient pas pris en compte par l'autorité départementale : un village avec cinq enfants scolarisés n'avait pas droit au transport scolaire. Il ne s'agit pas de gérer les restes, mais d'être en complémentarité.
Notre logique est de faire confiance aux territoires qui ont des besoins de transport et des solutions locales.
Mme Sylvie Vermeillet . - Je salue le passionnant travail de la délégation à la prospective.
Les écarts de mobilité entre ville et campagne se creusent. Je préside depuis cinq ans le comité de massif du Jura, dont les 57 membres revendiquent une voie rapide du Jura à Lausanne. Les travailleurs frontaliers se contentent aujourd'hui de routes de misère ! Peu nombreux, parce qu'élus de zones peu denses, les élus concernés ont été ignorés par les gouvernements successifs.
Sommes-nous condamnés à l'immobilisme, ou pouvons-nous compter sur l'élu de montagne que vous êtes ?
M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - Des travaux de sécurisation ont été menés entre Morez et les Rousses, des améliorations ont été apportées sur la N5.
Quant au projet de liaison routière Dijon-Lausanne, le coût et l'impact environnemental ont été jugés trop élevés par rapport au trafic. Cependant, son opportunité pourra être réévaluée dans le cadre du contrat de mobilité avec la région Bourgogne-Franche-Comté.
Mme Martine Filleul . - La LOM généralise les AOM pour éviter les zones blanches. Mais tous les outils seront-ils utilisables partout ? Les acteurs locaux pourront-ils s'en saisir ? Tout dépendra des moyens financiers, du montant du versement mobilités, des capacités d'expertise. Les dispositions sont intéressantes au plan théorique, mais les difficultés techniques et juridiques sont grandes. Comment supprimer ces angles morts ?
M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - L'agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) accompagne les projets des collectivités territoriales à travers ses programmes nationaux, et conduit un accompagnement sur mesure, selon un principe de déconcentration au niveau des préfectures.
Ainsi du programme de diagnostic des ponts situés sur le territoire de petites communes, lancé en janvier et opéré par le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema).
France Mobilités met en place dans chaque région des cellules d'appui, et apporte une aide financière, administrative et technique.
Mme Martine Filleul. - Nous sommes d'accord : l'ANCT accompagne l'ingénierie pour les collectivités territoriales. Mais elle ne s'est pas saisie des mobilités et ne dispose pas de moyens suffisants.
Mme Else Joseph . - Les mobilités seront la clef de la sortie de crise. Sans offre suffisante, la croissance économique et sociale ne sera pas au rendez-vous. Il faut combiner les mobilités entre elles, et non les opposer.
Les Ardennes offrent un panorama de l'intermodalité, mais aussi de ses difficultés. Une voie verte de cent kilomètres le long de la Meuse permettra le développement d'un tourisme vert appuyé sur le vélotourisme.
Je ne me résous pas à l'assignation à résidence de 20 % des personnes en zone rurale, faute de voiture. Développons l'autopartage.
Le département s'est engagé sur les voies vertes ; il a investi 80 millions d'euros dans l'A304 qui relie le Nord et le Sud de l'Europe, 12 millions pour la LGV-Est.
Quelles mesures le Gouvernement engagera-t-il pour aider les collectivités territoriales qui financent les mobilités ? Nous voulons des actes !
M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - Je salue l'engagement des collectivités territoriales ardennaises en faveur des mobilités alternatives, qui profitent des voies navigables pour développer les mobilités actives. Votre département compte d'ailleurs deux lauréats du fonds mobilités actives.
Le plan de relance, la DETR, la DSIL, le Fonds européen de développement régional (Feder) peuvent apporter des aides. Vous trouverez toutes les informations sur le site de France Mobilités. Cette ingénierie existe.
L'ANCT et France Mobilités ont des cellules d'appui locales ; l'Ademe, le Cerema et la Banque des territoires peuvent vous aider. L'État prend toute sa part dans ce soutien.
Le « Rezo Pouce Ardennes », organisant l'autostop et le covoiturage, offre des perspectives prometteuses. Et le Gouvernement s'engage pour un rétablissement complet de la desserte TGV.
M. Jean-Michel Houllegatte . - Le rapport d'information sur les mobilités en zone peu dense identifie la logistique comme l'angle mort de la mobilité. Avec le développement des livraisons, la logistique du dernier kilomètre est plus compliquée quand les clients sont éloignés les uns des autres. La Poste pourrait être incitée à développer un service de livraison dans les espaces peu denses. Sinon, ces espaces perdraient en attractivité.
A l'heure du « click & collect » et des circuits courts, et quand La Poste ferme ses bureaux et réduit ses horaires, sur quels leviers peser pour développer une logistique efficace et une équité de traitement des territoires ?
M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - Dans le cadre de sa mission de service public, La Poste assure des livraisons de colis dans les zones peu denses. Cette solution engendre plus de pollution atmosphérique et fragilise la rentabilité de l'entreprise.
Il faut coordonner La Poste et les sites de vente en ligne, ou bien créer des plateformes de mutualisation des livraisons, organisées soit par les collectivités, soit par La Poste, soit par des acteurs privés.
La logistique du dernier kilomètre est mise en avant par le dispositif Coeur de ville. Le Cerema a lancé un programme d'études pour mieux gérer la logistique. C'est d'un intérêt économique important pour le secteur de la livraison et de la vente en ligne.
M. Philippe Tabarot . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Les territoires ruraux échapperont-ils à la malédiction des zones blanches de la mobilité ? Malgré la LOM, la situation est paradoxale : le transport ferré est idéal, mais la Cour des comptes s'interroge sur la nécessité d'investir dans les zones peu denses où les petites lignes pâtissent de la concurrence de la route. Des efforts sont faits, notamment sur l'étoile de Veynes qui vous est chère, monsieur le ministre...
En 2011, 620 millions d'euros sont accordés aux lignes de desserte fine des territoires, mais cet effort est inférieur aux besoins identifiés par le rapport Philizot. J'ai déposé un amendement au projet de loi de finances pour augmenter de 300 millions d'euros le soutien aux petites lignes, mais il n'a pas prospéré.
Quelle est la pérennité de ce soutien, au-delà du plan de relance ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - L'État a engagé un effort significatif de 500 millions d'euros dont 300 millions au titre du plan de relance entre 2020 et 2022.
Aucun projet n'est bloqué faute de financements. C'est important, après une longue période de sous-investissement.
À partir de 2023, les protocoles d'accord avec les régions permettent de recenser les besoins, ligne par ligne.
État, région, SNCF Réseau, personne ne pourra s'exonérer de ses responsabilités. SNCF Réseau s'est engagé à reprendre à sa charge les travaux sur les dix lignes les plus essentielles. Une structure nationale ad hoc de gouvernance va être créée.
M. Philippe Tabarot. - L'État et la SNCF ne doivent pas se défausser sur les régions. Profitez de votre présence au Gouvernement pour sanctuariser les crédits sur les lignes de desserte fine du territoire ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Charles Guené . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La LOM ne comprend pas de volet financier pour les zones peu denses, où le versement transport est insuffisant et qui nécessitent une péréquation.
Les collectivités sont confrontées à un dilemme cornélien : faut-il laisser la compétence aux régions ou prendre une illusoire autonomie avant le 31 mars ? Vous avez refusé un report des échéances. Mais un texte ministériel non daté - que je n'ose imaginer apocryphe - figure sur le site de France Mobilités, il autorise des reports sine die de transfert de la compétence tout en maintenant le statu quo. Quelle est la valeur de ce texte ?
Sera-t-il communiqué par circulaire à l'ensemble des préfets ? Le délai obtenu permettra-t-il d'obtenir des crédits ?
M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - La direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM) a élaboré le document auquel vous faites référence pour préciser la LOM, ses 189 articles et ses rapports annexés ; ce document est public et engage l'État. Le 10 février, Jacqueline Gourault et Jean-Baptiste Djebbari ont présenté cette note aux associations d'élus. Début février, ils ont alerté les préfets. Elle ne crée aucun report : l'échéance du 31 mai reste de mise.
Le transfert de compétence AOM est prévu uniquement sur demande de l'EPCI.
M. Charles Guené. - Explicitez davantage cette note à nos préfets : cela éviterait des tensions sur le terrain, notamment dans le Grand Est !
M. Rémy Pointereau . - Je remercie la délégation à la prospective pour ce rapport. J'ai travaillé sur ce sujet dans une association défendant la LGV Paris-Orléans-Clermont-Ferrand. J'ai ainsi mené une enquête sur le bassin de vie comprenant trois départements ruraux - Indre, Cher et Allier - qui illustre l'importance des attentes en matière ferroviaire.
Il faut une articulation multimodale, améliorer les lignes existantes et rouvrir les petites lignes.
L'État et la SNCF aideront-ils les collectivités territoriales à mener cette politique de rabattement des petites communes vers les gares les plus proches ?
M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - Je connais bien ces territoires. J'ai même pu me rendre à Saint-Amand-Montrond par les transports publics. (Sourires) Le Président de la République a donné priorité aux transports du quotidien et à la modernisation des réseaux existants.
Le Gouvernement a engagé un plan de revitalisation : l'État, SNCF Réseau et les régions apportent 7,7 milliards d'euros d'ici à 2032 pour la régénération des lignes ; un décret pris fin décembre autorise le transfert de gestion aux régions volontaires ; des trains frugaux permettant de rationnaliser la maintenance sont mis à l'étude.
La prise de compétence des AOM par les EPCI peut provoquer un déclic pour une desserte plus fine des territoires. Souvent, les départements avaient des plans de transport plus adaptés. Demain, il y aura une meilleure prise en compte des mobilités du quotidien.
Mme Pascale Gruny . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La mobilité est un enjeu majeur pour l'aménagement du territoire, pour la formation et l'emploi.
La dépendance à la voiture s'est accrue avec le déclin de l'offre de trains et de cars. Faute de voiture, certains renoncent à un emploi. Et que dire de la facture carburant, qui a mis les Gilets jaunes de la France périphérique dans la rue ?
La mobilité est un enjeu majeur, mais est traitée légèrement dans le projet de loi Climat ou sous le seul angle de la coercition.
La voiture propre, c'est bien ; un droit égal à la mobilité sur tout le territoire, c'est mieux !
Comment aider les collectivités territoriales, encourager la voiture partagée dans le contexte sanitaire actuel, favoriser la voiture électrique, peu abordable ? Ne laissons personne au bord de la route ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - Nous avons agi pour faciliter l'accès au permis de conduire, conscients qu'en 2018, la voiture représentait 80 % des transports du quotidien.
Pour mettre fin à l'autosolisme, il faut développer la mobilité solidaire articulée autour des petites communes. Le site « Tous mobiles » apporte des solutions pour favoriser le covoiturage et l'autopartage.
Dans votre département, la communauté de communes Champagne picarde a été lauréate de France Mobilités, pour un projet favorisant les usages alternatifs.
Les employeurs doivent désormais contribuer au covoiturage ou au développement du vélo. Il est inacceptable qu'un Français sur quatre renonce à un emploi faute de moyen de transport adéquat.
Le titre III du projet de loi Climat, intitulé « Se déplacer », propose des mesures alternatives. Saisissez-vous en !
Mme Pascale Gruny. - En vous écoutant, j'ai envie de dire aux ruraux de rester chez eux !
Attention : le 17 novembre, jour où les Gilets jaunes sont descendus dans la rue, n'est pas si loin ! L'écologie préventive, le pouvoir d'achat, ce sont des questions non réglées.
La Thiérache a le plus fort taux d'illettrisme en France ; l'Aisne est l'un des cinq départements les plus pauvres de France. Certains jeunes ne vont pas se former ou renoncent à des emplois faute de pouvoir se déplacer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Mathieu Darnaud, président de la délégation sénatoriale à la prospective . - Je remercie tous les intervenants. Les mobilités en zones peu denses sont des éléments de cohésion. Merci également à M. le ministre. Pour avancer, nous avons besoin du concours de l'État.
Je remercie Olivier Jacquin pour son rapport et les pistes de réflexion qu'il présente. Les mobilités sont essentielles pour nos territoires. Se déplacer est coûteux mais nécessaire.
Les transformations ont lieu dans les grandes agglomérations, mais les espaces ruraux restent de côté. Cela nous inquiète, d'autant que les évolutions s'accélèrent.
Dépendre uniquement de la voiture individuelle renforce le sentiment de relégation dans les territoires ruraux. (Mme Pascale Gruny le confirme.) C'est pourquoi il faut porter une attention particulière à ce problème dont, en tant qu'Ardéchois, je suis pleinement conscient.
Nous devons prendre en compte la contrainte écologique et aller vers la décarbonation ; lever la contrainte numérique en améliorant la couverture numérique du territoire ; enfin, traiter la contrainte organisationnelle.
La LOM prévoit la couverture de tout le territoire par une AOM. Encore faut-il que les acteurs locaux en aient les moyens.
Le rapport de notre délégation à la prospective présente huit scénarios pour l'avenir.
J'en tire trois conclusions : le statu quo n'est pas possible, il menace l'attractivité du territoire ; il faut offrir une palette de solutions variées, conçues au plus près des besoins locaux ; enfin, il faut s'appuyer sur les initiatives de nos concitoyens, car l'appropriation des nouveaux outils est une réalité.
Comme le disait Pierre Massé, commissaire général au plan, « le regard sur l'avenir est le premier temps de l'action ».
Nous devons préparer l'avenir des mobilités de nos campagnes. La délégation à la prospective poursuivra sa réflexion. (Applaudissements)
Prochaine séance, lundi 8 mars 2021, à 16 heures.
La séance est levée à 21 heures.
Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,
Rosalie Delpech
Chef de publication