Situation et devenir de l'économie sociale et solidaire
M. le président. - L'ordre du jour appelle un débat sur le thème : « situation et devenir de l'économie sociale et solidaire », à la demande du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires.
M. Guy Benarroche, pour le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires . - (Applaudissements sur les travées du GEST) L'économie sociale et solidaire (ESS) regroupe l'ensemble des structures économiques basées sur les principes de solidarité, d'équité et d'utilité sociale, dont l'objectif est l'insertion et la cohésion sociales. Il s'agit principalement d'associations, de mutuelles et de coopératives, avec une gestion participative et démocratique. L'utilisation de leurs résultats financiers est encadrée - pas de profits personnels, réinvestissement des bénéfices.
Beaucoup de nos concitoyens ont affaire à des entreprises de l'ESS sans le savoir. Ce déficit de notoriété est préjudiciable, d'autant que tous ne brandissent pas leurs principes originels en étendard : ils ne sont pas toujours bien connus des nouvelles générations et des décideurs. Le défaut de reconnaissance induit un défaut de connaissance.
C'est pourquoi nous souhaitons faire mieux connaître l'ESS, alerter sur la fragilisation des structures pendant la crise sanitaire mais aussi sur leur rôle dans la relance.
Les acteurs de l'ESS se sont structurés peu à peu. Parmi les organisations les plus représentatives, citons le Conseil national des chambres régionales de l'économie sociale et solidaire (CNCRESS), le Mouvement associatif, Coop FR, le Mouvement des entrepreneurs sociaux (Mouves), la Fédération nationale de la mutualité française, le Mouvement pour l'économie solidaire, la Fédération des entreprises d'insertion...
L'ESS représente 2,4 millions de salariés, dont 68 % de femmes, 22 millions bénévoles, 10,5 % de l'emploi, 10 % du PIB, 22 150 établissements en milieu rural et 10 600 dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville.
La coopérative est l'un des rares modèles économiques qui concilie performance économique, respect de l'humain, gouvernance démocratique, création d'emplois durables et innovation. Citons Railcoop, ou Scop-TI, issue de la reprise de l'usine Fralib-Unilever. En 2018, 1,3 million de salariés étaient employés par 22 600 entreprises coopératives.
La loi de 2014 a enfin fixé les règles de gouvernance de l'ESS et de financement et elle a prévu un agrément « entreprise solidaire d'utilité sociale » (ESUS). Il ne faut pas toucher à ce socle légal.
La crise sanitaire a frappé ce secteur, notamment dans l'action sociale, l'éducation et les services à la personne. Le Gouvernement a mobilisé un fonds d'urgence de 30 millions d'euros pour les structures de moins de dix salariés - mais le plan de relance ne flèche que 1,3 milliard d'euros pour un secteur qui représente un emploi sur dix...
La loi de 2014 reconnaît les acteurs du niveau régional - les chambres régionales d'économie sociale et solidaire (Cress) - comme national (ESS France). Elle fixe leurs missions essentielles, en contrepartie desquelles l'État apporte un financement de 60 000 à 130 000 euros, selon la taille des Cress... Il faudrait leur donner les mêmes moyens qu'aux chambres de commerce. La part des crédits déconcentrés de l'État reste également assez faible. Les Cress ont contractualisé avec les conseils régionaux mais il faut les renforcer, notamment financièrement, et ouvrir de nouvelles actions d'accueil, d'information et d'orientation.
Il faudrait établir un état des lieux périodique du financement de l'ESS, avec des données en open data et une analyse comparative des aides accordées au secteur concurrentiel et à l'ESS.
Il est nécessaire de garantir aux entreprises de l'ESS l'accès aux dispositifs ouverts aux entreprises commerciales, y compris sans agrément ESUS. Or le Mouvement associatif fait état d'un fort taux de non-recours, lié à des difficultés d'accès à l'information et à un manque d'ingénierie. Nous proposons de prévoir dans les appels à projets une aide ou un financement permettant l'accessibilité à l'ensemble des structures.
Les fonds propres des petites entreprises de l'ESS doivent également être restructurés. Pour favoriser l'innovation sociale, la reprise d'entreprises doit être encouragée, notamment en cas de départ à la retraite de l'employeur. Cela suppose, là encore, d'accorder plus de moyens aux Cress. Pourquoi ne pas instaurer un partenariat avec l'agence chargée du recouvrement des avoirs saisis et confisqués, à des fins de réutilisation sociale ? (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mmes Marie-Noëlle Lienemann et Cathy Apourceau-Poly, ainsi que M. Joël Bigot, applaudissent également.)
Mme Olivia Gregoire, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargée de l'économie sociale, solidaire et responsable . - Je tiens à remercier le GEST pour ce débat sur le devenir de l'ESS. Cela fait des années qu'un tel débat n'avait pu se tenir, faute de ministre dédié...
Il était légitime de faire revenir l'ESS à sa vocation première, l'économie, et donc à Bercy. La crise sanitaire, qui s'est vite muée en crise économique, met ce secteur à rude épreuve. Privées d'activité, ces structures doivent puiser dans leur trésorerie, or leurs fonds propres sont structurellement fragiles, elles ont un accès limité aux financements bancaires et font trop peu appel aux aides de l'État.
Ce manque de connaissance et de reconnaissance, pour reprendre votre expression, m'a conduit à répondre avant tout à l'urgence en luttant contre le non-recours.
Depuis juillet, nous avons édité un guide et recensé tous les appels à projets dans le cadre du plan de relance. Nous avons aussi prévu que le numéro vert à destination des entreprises puisse répondre aux questions des acteurs de l'ESS : mon cabinet y veille.
Depuis le début de la crise, nous ne cessons de rappeler que ces structures sont des acteurs économiques à part entière, donc éligibles à toutes les mesures de droit commun. Mais ces dernières sont parfois mal calibrées ou insuffisantes - et surtout mal connues du secteur, d'où un non-recours important.
J'ai obtenu, lors du dernier projet de loi de finances, une hausse de 30 % des moyens alloués au dispositif local d'accompagnement (DLA) qui aide notamment les acteurs à répondre aux appels à projets dans les territoires.
Un fonds d'urgence de 30 millions d'euros a été voté dans le collectif budgétaire pour les petites structures employeuses. Son accès est le plus simple possible, avec un guichet unique géré par France Active et des subventions allant de 5 000 à 8 000 euros, en fonction des besoins. Chaque jour, nous recevons 300 demandes. Fin février 7 373 structures avaient fait une demande sur le portail Urgence-ESS.fr, 4 534 sont en cours d'instruction, 1 600 structures ont déjà perçu une première tranche. Il s'agit, pour les deux tiers, d'acteurs jusque-là inconnus de France Active. C'est un sujet d'inquiétude mais aussi de satisfaction, car notre combat contre le non-recours commence à porter ses fruits. Le « quoi qu'il en coûte » doit s'appliquer aussi à l'ESS !
J'ai obtenu qu'1,3 milliard d'euros du plan de relance soit fléché directement vers le secteur ; s'y ajoutent 3,9 milliards d'euros destinés à des domaines où l'ESS est fortement représentée, comme l'économie circulaire, le médico-social ou le soutien à l'emploi des personnes en situation de handicap.
Les pratiques de l'ESS essaiment dans notre économie, on le voit en matière de gouvernance, de prise en compte de l'impact écologique et social, de limitation des profits. C'est cet impact que je souhaite aider l'ESS à valoriser. Il y a une appétence pour les contrats à impact que j'ai lancés : nous avons reçu 28 candidatures. C'est pourquoi, avec l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), nous avons décidé de tripler le montant d'aides prévu.
Aidons l'ESS à passer la crise, pour qu'elle nous aide à dépasser la crise !
M. Éric Gold . - L'ESS et l'économie circulaire se rejoignent dans leurs valeurs : optimiser l'utilisation des ressources, c'est servir l'utilité sociale. Le sujet de la consommation durable est à l'intersection de ces modèles économiques.
Lors du débat sur la proposition de loi visant à réduire l'empreinte environnementale du numérique, le Gouvernement a proposé de soumettre les produits d'occasion reconditionnés à la redevance copie privée. Cela entraînerait pour l'économie circulaire française une perte de 150 millions d'euros de chiffre d'affaires. Le reconditionnement présente pourtant de nombreux avantages, à la fois économiques et environnementaux. Quelle est la position du Gouvernement ? (Applaudissements sur les travées du RDSE)
Mme Olivia Gregoire, secrétaire d'État. - Merci de souligner l'importance de la filière du reconditionnement, exemple même de croissance verte. Le projet de loi Climat et résilience va encourager la réparation en imposant la mise à disposition de pièces détachées. Je vous confirme le plein soutien du Gouvernement à ce secteur, où s'illustrent plusieurs start-up françaises. C'est un vrai marché, pourvoyeur d'emplois, notamment dans le domaine de l'insertion. L'électronique reconditionné pourrait créer quelque 20 000 emplois dans les prochaines années. Et un téléphone reconditionné, c'est 30 kilogrammes de CO2 évités !
La question juridique de la redevance pour copie privée n'est pas encore tranchée, la réflexion suit son cours. Je serai solidaire de la position du Gouvernement.
Mme Marie-Noëlle Lienemann . - Je remercie le GEST d'avoir mis ce débat à l'ordre du jour. L'ESS est touchée par la crise mais elle est aussi une solution pour en sortir. À côté du pilier que sont le secteur privé et le secteur public, notre économie a aussi besoin de ce tiers-secteur.
Les coopératives sont une opportunité pour la réindustrialisation de notre pays. Je pense notamment à la production de médicaments jugés peu rentables par les grands laboratoires, qui pourrait être assurée par des sociétés coopératives d'intérêt collectif (SCIC) ; cela s'est vu aux États-Unis.
La crise risque d'accélérer le départ de nombre de chefs d'entreprise, il faut donc favoriser la reprise par les salariés - ce qui suppose de les informer en amont pour qu'ils préparent le projet de reprise.
Le Gouvernement est-il prêt à s'engager sur ces deux sujets ?
Mme Olivia Gregoire, secrétaire d'État. - L'ESS est une économie ancrée dans nos territoires, je le constate au quotidien lors de mes déplacements.
Oui, c'est une partie de la solution de sortie de crise. Les appels à projets, disponibles sur le site de Bercy, sont de mieux en mieux connus de l'ESS, mais ce secteur est plus à l'aise avec l'appel à manifestation d'intérêt. C'est pourquoi j'ai augmenté le DLA de 2,8 millions d'euros.
Les coopératives d'activités et d'emploi (CAE) et les SCIC, consacrées par la loi de 2014, doivent être consolidées au plan juridique. D'ici la fin avril, un rapport de l'Inspection générale des finances (IGF) et de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) me sera remis, je le partagerai avec vous. J'ai bien l'intention de consolider ce modèle auquel je crois.
M. Jean-Michel Arnaud . - La dimension sociale et écologique doit être prise en compte. Le poids de l'ESS ne fait que croître. Je le constate dans mon département des Hautes-Alpes où la proximité, la solidarité et la production locale de biens et de services reposent sur des organisations coopératives, mutualistes et associatives : l'ESS y représente 20 % des emplois privés et même 25 % dans mon agglomération.
Les aides que vous avez annoncées sont disparates et peu actionnables pour les acteurs : pourquoi ne pas créer un fonds d'investissement unique spécifiquement dédié à ce secteur ?
Vous avez annoncé une enveloppe de seulement 100 millions d'euros pour les associations de lutte contre la pauvreté. Vu l'impact social de la crise, c'est insuffisant. Qu'allez-vous faire ?
Mme Olivia Gregoire, secrétaire d'État. - J'ai conscience que certains acteurs n'ont pas connaissance des aides auxquelles ils sont éligibles. J'échange régulièrement avec ESS France : la tête de réseau doit faire passer le message à ses adhérents, notamment via les Cress.
Avec les départements et les régions, je n'ai de cesse de travailler pour faire connaître aux acteurs les dispositifs auxquels ils ont droit. Pas moins de 90 % des 100 millions d'euros destinés à l'hébergement d'urgence sont réservés aux associations.
Mon cabinet est à votre disposition pour chercher des solutions à la situation que vous évoquez dans votre département, et qui m'étonne : les appels à projets sont publiés et le DLA vise à aider les structures de lutte contre la pauvreté à y répondre.
Mme Florence Blatrix Contat . - L'ESS obéit à des règles de gestion singulières. Elle peine à trouver des financements, malgré des dispositifs ciblés. Ceux-ci sont parfois méconnus et manquent en partie leur cible. Le secteur bancaire connaît mal les spécificités de l'ESS et il y aurait besoin de règles prudentielles particulières.
Comment aider les acteurs à maîtriser les outils de financement existants ? Comment sensibiliser le secteur bancaire aux besoins de l'ESS et orienter vers celle-ci une partie de l'épargne privée qu'on dit surabondante depuis le début de la crise ?
Mme Olivia Gregoire, secrétaire d'État. - La question du financement est centrale, car les fonds propres des acteurs sont faibles - cela découle par essence de leur lucrativité limitée. Sur les 14 milliards d'euros qui ont été décaissés du fonds de solidarité, 200 millions d'euros ont bénéficié aux associations. Je m'efforce, comme vous tous, d'amener les acteurs à y recourir davantage.
Nous menons un travail transpartisan sur cette question car il s'agit de l'économie de nos territoires. Et je vois beaucoup de bonnes initiatives.
La Cress de Provence-Alpes-Côte d'Azur a mis en place un fonds régional qui accompagne le développement des structures, en complément des systèmes nationaux. C'est un bel exemple.
J'ai demandé à la Banque de France et à la Fédération bancaire française de faire preuve de bienveillance. Cette demande a été entendue. Le médiateur du crédit accompagne les acteurs de l'ESS. Beaucoup reste à faire, mais les lignes bougent !
M. Jean-Baptiste Blanc . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Les acteurs du secteur méritent un profond respect. Leur rôle est vital dans le contexte actuel et, dans le Vaucluse, j'ai pu constater un élan de solidarité en milieu rural, notamment pour vacciner nos concitoyens.
Mais la crise n'est pas finie, et les signaux envoyés aux associations sont négatifs depuis des années : fin des contrats aidés, baisse des subventions publiques, suppression de la réserve parlementaire, inadéquation du fonds pour le développement de la vie associative, diminution des dons en raison du prélèvement à la source.
On a l'impression que le modèle de l'ESS est malmené, comme l'écrit Jean Gatel. Ce que vous annoncez sera-t-il suffisant ? Nous entendons surtout des cris de détresse... C'est notre pacte social qui est en jeu !
Mme Olivia Gregoire, secrétaire d'État. - Le plan d'urgence fonctionne : nous avons décaissé 10 millions d'euros en un mois pour 1 600 structures. Les 30 millions d'euros prévus devraient avoir été décaissés d'ici la fin avril. C'est le meilleur moyen d'obtenir plus de Bruno Le Maire et de Jean Castex - qui, en bon ancien élu local, est très attentif à ce secteur.
Le DLA est important pour accompagner les structures dans la réponse aux appels à projets. J'oeuvre avec coeur pour faire mieux connaître et reconnaître ce secteur qui pèse 10 % de notre PIB et 14 % de nos emplois salariés !
M. Daniel Chasseing . - Le Gouvernement veut doubler le nombre de places en entreprise adaptée pour faciliter l'insertion des personnes en situation de handicap, et une plateforme Parcours Handicap a été lancée.
Certaines transitions restent toutefois complexes, notamment pour passer d'un foyer de vie à une entreprise adaptée. Comment comptez-vous fluidifier ces parcours ? Les entreprises adaptées ont besoin d'aide. Que prévoit le Gouvernement pour augmenter leurs investissements ?
Par ailleurs, pourquoi les travailleurs reconnus handicapés par la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) sont-ils refusés par Pôle emploi pour travailler en entreprise adaptée lorsqu'ils ont travaillé, même partiellement, en milieu ordinaire ?
Mme Olivia Gregoire, secrétaire d'État. - Je vous fournirai des éléments d'ici la fin de la semaine sur le dernier point, car je n'ai pas la réponse.
Avec Sophie Cluzel, nous travaillons pour améliorer le quotidien des personnes en situation de handicap et de leurs proches. Le plan France Relance comporte une aide à l'embauche - jusqu'à 4 000 euros - pour les associations et entreprises, quelle que soit leur taille, qui recrutent un travailleur handicapé, et ce, jusqu'au 30 juin 2021.
Ce plan de 300 millions d'euros, qui a bénéficié à 7 000 entreprises dont 800 entreprises adaptées, a été augmenté de 20 millions d'euros en décembre, preuve de son efficacité. Nous espérons ainsi créer 40 000 emplois d'ici 2022 dont 27 000 en 2021.
M. Daniel Salmon . - L'économie sociale et solidaire est un gisement colossal d'emplois durables. En plaçant l'humain au coeur de l'économie, on peut apporter des réponses pertinentes aux crises actuelles.
Je ne peux que saluer votre engagement, mais il faut structurer cet écosystème, avec des têtes de réseau, pour mieux accompagner les structures, notamment les plus petites, concernant la levée de fonds ou la prospection commerciale.
Les associations sous-consomment les dispositifs mis à leur disposition. Pourquoi ne pas imaginer un centre de formalités des entreprises spécifique, géré par les Cress ?
Mme Olivia Gregoire, secrétaire d'État. - Il est vrai qu'il y a beaucoup à faire... J'ai signé cet automne une convention avec la Caisse des dépôts et consignations pour soutenir le développement de l'économie sociale et solidaire dans les territoires, à hauteur de 300 millions d'euros, soit 90 millions de plus que ce qui était prévu, preuve que les dirigeants de la Caisse - et notamment son président Éric Lombard - sont attentifs aux besoins du secteur. C'est aussi le cas des banques, de la Banque de France et de la BPI.
Je mobilise les élus et les représentants de l'État pour promouvoir les outils existants, comme les 2 000 prêts d'honneur de Bpifrance qui représentent quelque 130 millions d'euros.
Ensemble, poursuivons le travail en utilisant les structures existantes !
Mme Nadège Havet . - Le guichet d'urgence et le fonds dédié ont été créés à la suite de la chute de l'activité de l'économie sociale et solidaire, qui a beaucoup souffert de la crise - 52 000 emplois auraient disparu et 11 000 structures sur les 220 000 que compte le secteur n'apparaissent plus dans les fichiers ; 7 % des associations ont disparu, dans les secteurs de l'art et du spectacle, de l'hébergement et de la restauration et du sport.
Le fonds de 30 millions d'euros est une réponse importante que nous avons soutenue. L'objectif de 5 000 structures aidées avant le printemps sera probablement atteint : 1 500 d'entre elles ont déjà reçu des fonds. Pourra-t-on en aider davantage ? Comment améliorer l'identification du guichet unique ?
Mme Olivia Gregoire, secrétaire d'État. - Je tiens d'abord à vous féliciter pour votre mission temporaire sur la commande publique : c'est un secteur important pour les petites structures et ce point fera l'objet de l'article 15 du projet de loi.
Oui, il faut mieux faire connaître le fonds d'urgence, notamment auprès du monde associatif. Nous craignons la disparition de 10 000 associations...
J'ai beau aimer Cioran, je suis néanmoins adepte de l'optimisme de volonté : le fonds de solidarité va sauver plusieurs milliers d'associations et aider à en créer d'autres ! Nous avons reçu 7 400 demandes de structures qui, à 60 %, n'avaient pas eu accès au fonds de solidarité. Quelque 1 620 primes ont déjà été attribuées pour 10 millions d'euros, dont beaucoup pour des associations sportives et culturelles, qui bénéficient en outre de fonds sectoriels des ministères de la culture et des sports.
M. Michel Canevet . - La Bretagne est une terre d'ESS, riche de nombreuses coopératives, fondations, mutuelles et associations.
Nos concitoyens épargnent beaucoup en ce moment. Cette épargne populaire devrait être orientée vers l'ESS et le développement des territoires. Quelles mesures le Gouvernement prévoit-il à cet égard ?
Par ailleurs, quel rôle ce secteur peut-il jouer dans la formation de nos jeunes, dont beaucoup reste en marge du système scolaire ?
Mme Olivia Gregoire, secrétaire d'État. - La Bretagne est le premier écosystème d'ESS en France et je lui ai consacré mon premier déplacement ministériel.
Quelque 600 millions d'euros sont prévus pour l'emploi dans l'ESS, dont 200 millions pour les Parcours emploi compétences (PEC). Il s'agit d'embarquer des jeunes dans ce modèle coopératif qui les attire parce qu'il incarne une économie qui fait sens. Un guide simple a été rédigé avec Élisabeth Borne pour aider les structures à activer ces parcours ; il sera très prochainement publié.
La Banque de France suit l'évolution de la quote-part de l'épargne orientée vers l'ESS. Cette quote-part pourrait être relevée de 5 à 10 %.
M. Michel Canevet. - Je suis très satisfait que le Gouvernement se préoccupe de cette question d'épargne. Pour les jeunes, il faut mettre en place des solutions simples. N'oublions pas les classes de mer, dont le carnet de commandes est vide.
M. Joël Bigot . - Je salue l'initiative du GEST. La crise a lourdement impacté le secteur : 800 emplois ont été détruits en Maine-et-Loire en un an, 3 500 dans les Pays de la Loire.
Au niveau européen, l'ESS représente vingt millions d'emplois, soit 9 % de la population active. Un sommet sur l'ESS aura lieu à Mannheim les 26 et 27 mai, afin d'examiner l'insertion de ce secteur dans le Green Deal voulu par Ursula Von der Leyen.
Ce secteur est en concurrence avec le secteur lucratif qui ne partage pas les mêmes valeurs. Vous vous êtes engagée, dans un entretien au Monde de novembre 2020, à défendre ce modèle économique au niveau européen : quelles démarches avez-vous entreprises ? Comment la Commission européenne a-t-elle accueilli vos propositions, notamment sur le financement ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
Mme Olivia Gregoire, secrétaire d'État. - Je peux vous le confirmer : un plan d'action européen est en cours d'écriture et devrait voir le jour à l'automne.
J'ai rencontré le 15 décembre dernier le commissaire Nicolas Schmit, qui en est chargé. Nous avons insisté notamment sur la reconnaissance du statut, des acteurs, et sur la lucrativité limitée, sur le renforcement du groupe Banque européenne d'investissement (BEI) dans le financement, et sur un accompagnement financier et un point d'entrée dédié pour les acteurs.
Les propositions françaises ont fait l'objet d'un « non-papier » qui a reçu un bon accueil. Le commissaire Schmit porte un intérêt réel aux social bonds, après les green bonds. Je défends ainsi le modèle du contrat à impact qui pourrait bien être répliqué par l'Union européenne.
M. Joël Bigot. - Le modèle de l'ESS est une solution pour le monde d'après. Il faut le promouvoir en Europe. J'espère que la France sera à la hauteur des enjeux !
Mme Frédérique Puissat . - Je remercie le GEST. Nous avons porté un texte sur l'insertion par l'activité économique pour les chômeurs de longue durée : le Sénat n'est pas en reste.
Les conseils régionaux jouent un rôle important dans le soutien à l'ESS. En Auvergne-Rhône-Alpes, sans atteindre le niveau de la Bretagne, ce secteur représente 10 % de l'économie. Le label French impact qui vise à fédérer les acteurs attend toujours le milliard d'euros promis. Qu'en est-il ?
Allez-vous mieux soutenir les Cress qui ne disposent pas des mêmes aides que les autres chambres régionales, comme M. Benarroche l'a souligné ?
Mme Olivia Gregoire, secrétaire d'État. - Si la Bretagne est la première région pour l'ESS, la région Auvergne-Rhône-Alpes est aussi très active. À chacun de mes déplacements, j'échange avec les Cress et je plaide pour une hybridation des financements de l'État et des régions. Celles-ci contribuent fortement au plan de relance. Le non-recours concerne aussi les fonds régionaux.
Le milliard d'euros pour French impact est prêt, pour financer les projets de l'ESS sur les territoires. En temps de crise, nous devons nous concentrer sur les financements à impact, plutôt que de nous disperser. J'y crois et prendrai une initiative de place dans les prochains mois.
M. Rémi Cardon . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) L'ESS est au coeur de la transformation de notre économie. Il faut soutenir l'action de ces entreprises qui incarnent un modèle résiliant, fort de ses principes démocratiques.
La présence de l'ESS dans le secteur des déchets a permis de développer les tonnages de la collecte, multipliant par trois celle du textile par exemple - le secteur gère 36 centres de tri sur les 63 existants. Pourquoi ne pas les faire bénéficier d'une baisse de la TVA à 5,5 % ? On estime qu'un vélo sur cinq par an est détruit, parce qu'il est trop cher de le réparer. Sept pays de l'Union européenne ont prévu un tel dispositif : pourquoi pas la France ?
Mme Olivia Gregoire, secrétaire d'État. - Je vous donne rendez-vous dans quelques jours pour l'examen du projet de loi Climat et résilience. En outre, des dispositifs fiscaux ont été adaptés dans le cadre du dernier projet de loi de finances. Beaucoup a déjà été fait. Peut-être faut-il aller plus loin... Je compte sur la créativité des parlementaires.
Mme Corinne Imbert . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je souhaite aborder l'ESS par le prisme du logement, qui est un élément important de nos politiques publiques, avec des conséquences directes sur l'éducation, l'intégration et l'insertion professionnelle. L'ESS a toute sa place dans l'accompagnement dans le logement, auprès des acteurs et des bénéficiaires.
Trois cent mille personnes sont aujourd'hui sans domicile fixe, soit deux fois plus qu'en 2012. Si ce sujet est régulièrement évoqué et pris en compte par les décideurs publics, nous n'avons pas encore trouvé de baguette magique pour mettre un terme à ce triste constat
En 2007, une association, Toit à Moi, a été créée pour venir en aide au SDF. Elle s'est constitué un petit parc immobilier qu'elle met à disposition des sans-abri pour une période de trois ans, à l'issue de laquelle ils évoluent vers une autonomie durable. Comment aider ces associations, dont le développement constitue un véritable projet entrepreneurial ?
Mme Olivia Gregoire, secrétaire d'État. - Je connais cette association qui est soutenue par French Impact à hauteur de 400 000 euros sur deux ans. En plus d'être une économie, l'ESS est souvent très ingénieuse. Le plan de relance prévoit 100 millions d'euros pour les associations de lutte contre la pauvreté : cela irrigue le tissu associatif. S'y ajoutent 100 millions d'euros pour les structures d'hébergement temporaire, avec notamment 30 millions d'euros pour le rachat d'hôtels et leur transformation en résidences sociales. Des associations comme Toit à Moi doivent pouvoir candidater aux appels à projet du plan de relance, le cas échéant, avec l'aide du DLA.
Mme Marta de Cidrac . - (Mme Frédérique Puissat applaudit.) L'insertion professionnelle des jeunes est un des piliers fondateurs de l'ESS. Le plan de relance reconnaît ce fait puisque la moitié des sommes engagées pour le secteur sont dédiées à l'insertion. Dans les Yvelines, 40 structures d'insertion par l'activité économique représentant 900 salariés oeuvrent dans ce secteur. Mais ce sont des structures fragiles.
L'effort du Gouvernement est réel mais il y a aussi des trous dans la raquette, en raison du manque de trésorerie mais aussi de la difficulté à attirer des jeunes qualifiés pour bénéficier de leurs compétences.
Comment comptez-vous renforcer le lien des structures de l'ESS avec les services de l'emploi, notamment les missions locales, pour améliorer l'insertion professionnelle des jeunes ? Et comment renforcer les structures de l'ESS pour renforcer l'insertion des jeunes ?
Mme Olivia Gregoire, secrétaire d'État. - Les missions locales bénéficient de 190 millions d'euros du plan de relance.
On me critique souvent dans les territoires sur les abréviations portées par l'IAE, sources de complexité. L'IAE renvoie aux compétences des départements avec l'insertion et des régions avec le volet économie. Il faut favoriser les emplois qualifiés dans l'ESS, mais utilisons déjà les 40 000 parcours emplois compétences du plan de relance.
Mme Marta de Cidrac. - Ma question était très simple : comment conjuguer ESS et emploi des jeunes ? Au-delà de ces sigles, j'aurais aimé que vous alliez un peu plus loin...
M. Gilbert Favreau . - Une chose est certaine : l'ESS a le vent en poupe, comme en témoignent tous les chiffres cités : 14 % du secteur privé, soit 2,4 millions de salariés...
L'Éducation nationale semble faire aujourd'hui de l'ESS un objet de découverte plutôt qu'un élément de programme : ainsi, du 22 au 27 mars prochain sera organisée la semaine de l'ESS à l'école. Mais il s'agit plus d'une initiation. Ne serait-il pas préférable d'en faire un enseignement de base au lycée, afin de susciter des vocations ?
L'article 2 de la loi sur le climat dit que l'éducation à l'environnement prépare les élèves à devenir des citoyens responsables. On pourrait faire de même pour l'ESS.
Mme Olivia Gregoire, secrétaire d'État. - Les deux approches ne me semblent pas contradictoires : nous pouvons éveiller l'esprit des plus jeunes, mais aussi faire connaître ce secteur et ses emplois aux lycéens.
Je soutiens l'initiative de la semaine de l'ESS à l'école. Cette sensibilisation à l'ESS et au développement durable dès la 6e me semble importante, même s'il importe sans doute d'en renforcer l'enseignement au lycée.
M. François Bonhomme . - Les recycleries et les ressourceries vont connaître des difficultés financières importantes.
Or, elles participent à la préservation des ressources et à la réduction des déchets tout en créant du lien social et des emplois, notamment pour des travailleurs précaires ou en insertion. Elles sont ainsi au carrefour de nombreuses politiques publiques.
Le ministère et l'Ademe ont mis en place un plan de soutien pour les petites structures, mais les ressourceries et les recycleries les plus grandes en sont exclues. Pouvez-vous nous éclairer et rassurer les acteurs du secteur ?
Mme Olivia Gregoire, secrétaire d'État. - La loi de février 2020 a prévu la création d'un nouveau fonds qui sera alimenté par les éco-contributions et qui bénéficiera à ces structures. Les critères d'attribution sont fondés sur la proximité, même si les entreprises ne relèvent pas de l'ESS. J'entends les craintes des acteurs associatifs. Je poursuis les discussions avec le ministère de la Transition écologique sur le fléchage de ce fonds de réemploi. Ce fonds fonctionne désormais comme un guichet unique plutôt que par appel à projet : c'est beaucoup plus simple.
Nous ferons le point dans quelques mois.
M. Guy Benarroche, pour le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires . - (Applaudissements sur les travées du GEST et sur plusieurs travées du groupe SER) Je remercie mes collègues pour la richesse de leurs interventions.
L'ESS est un facteur de transformation important de notre modèle économique et social : c'est un vrai modèle alternatif !
Les administrations publiques centrales en France, mais aussi à l'étranger, ont du mal à répondre aux besoins de l'ESS. Comment faire de I'ESS un levier majeur d'une certaine relance économique, celle du « monde d'après », dans une logique de résilience, d'innovation et de coopération ?
Les valeurs portées par ce secteur sont essentielles pour toucher les publics fragiles : il faut veiller à les préserver dans toutes les entreprises de l'ESS. L'encadrement des salaires et le réinvestissement des bénéfices sont des éléments de ce nouveau paradigme. Ces structures contribuent à la sécurité alimentaire, à l'échange de bonnes pratiques, au développement économique local, à l'innovation sociale.
L'ESS, c'est vert, durable et humain !
Ces structures sont ancrées dans leur territoire ; elles créent des emplois décents et oeuvrent pour le développement local.
Pour réduire la pauvreté et lutter contre le changement climatique, il faut promouvoir des modèles alternatifs orientés vers l'humain et la planète. Les politiques publiques qui visent à renforcer l'ESS sont décisives pour transformer notre société.
Les Cress et ESS France veulent voir leur rôle reconnu, sur le modèle des chambres de commerce et d'industrie, et leurs moyens accrus.
Il faudrait aussi permettre aux collectivités territoriales d'acquérir des titres de ces structures. Le développement de l'ESS est essentiel à la construction d'une économie plus durable et plus performante ! (Applaudissements à gauche)
Prochaine séance, demain mercredi 3 mars 2021, à 15 heures.
La séance est levée à 23 h 40.
Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,
Rosalie Delpech
Chef de publication