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Table des matières
Aides à l'agriculture biologique
M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé
Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique
M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur
Fermeture de classes en milieu rural (I)
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports
Mme Élisabeth Borne, ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé
ZAD dans le triangle de Gonesse
Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique
Prescription des faits de pollution au chlordécone
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé
Fermeture de classes en milieu rural (II)
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports
M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur
M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation
Fermeture de classes en milieu rural (III)
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports
Réouverture des lieux culturels
Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture
Débat sur le rapport de la commission d'enquête Covid-19
M. Alain Milon, président de la commission d'enquête
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé
M. Alain Milon, président de la commission d'enquête
« Le fonctionnement des universités en temps Covid et le malaise étudiant »
Mme Monique de Marco, pour le groupe Écologiste, Solidarité et Territoires
Mme Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation
Mme Éliane Assassi, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur, chargée de la citoyenneté
Ordre du jour du mardi 16 février 2021
SÉANCE
du mercredi 10 février 2021
61e séance de la session ordinaire 2020-2021
présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires : M. Pierre Cuypers, Mme Patricia Schillinger.
La séance est ouverte à 15 heures.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Questions d'actualité
M. le président. - L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement.
Je vous rappelle que notre séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet. Merci à nos collègues qui se sont installés en tribune pour permettre le respect de la jauge dans l'hémicycle.
J'appelle chacun de vous à observer au cours de nos échanges l'une des valeurs essentielles du Sénat : le respect, qu'il s'agisse du respect des uns et des autres, du respect des temps de parole ou des gestes barrières.
Aides à l'agriculture biologique
M. Joël Labbé . - (Applaudissements sur les travées du GEST, ainsi que sur plusieurs travées du groupe SER) Ce mardi, une étude de la Fondation Nicolas Hulot a montré un manque de cohérence entre objectifs affichés des réductions des pesticides et financements publics de l'agriculture.
Ma question n'est pas polémique et j'espère que la réponse ne le sera pas non plus.
Ce manque de cohérence a déjà été souligné par la Cour des comptes, qui relevait un impact inégalitaire et des effets pervers sur la consommation des pesticides ; France Stratégie, quant à elle, propose une réforme de la politique agricole commune (PAC) pour réduire l'utilisation d'intrants et ajuster les aides publiques aux efforts des agriculteurs.
Le déficit d'accompagnement est ressenti par un nombre croissant d'agriculteurs qui voudraient changer de pratiques mais ne se sentent pas soutenus, tandis qu'ils sont victimes de la course aux prix bas et de la concurrence déloyale de produits importés ne respectant pas nos règles.
Dans le futur plan national stratégique, prévoyez-vous de soutenir davantage les agriculteurs bios ? Concernant la dotation aux jeunes agriculteurs, allez-vous profiter du renouvellement des générations pour accélérer la transition ? Enfin, le plan stratégique abordera-t-il le scandale des importations ne respectant pas nos normes ? (Applaudissements sur les travées du GEST)
M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation . - Il est impératif de cesser d'opposer agriculture et défense de l'environnement. (« Très bien ! » et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et RDPI, ainsi que sur plusieurs travées du groupe INDEP)
Les agriculteurs chérissent la terre et protègent le sol, qui est, après la mer, le premier capteur de CO2. (Applaudissements sur plusieurs travées au centre et à droite)
Je constate du reste que les produits les plus dangereux voient leurs ventes diminuer de 70 %. Ceux qui luttent le plus contre le changement climatique, ce sont les agriculteurs ! (« Bravo ! » et applaudissements à droite)
Il faut arrêter d'être dans l'injonction vis-à-vis de personnes qui travaillent 55 heures par semaine pour accomplir la noble mission de nourrir les Français. (Applaudissements au centre et à droite)
Il faut créer de la valeur ajoutée pour l'environnement comme pour nos agriculteurs. On ne fera pas de transition écologique sans eux. On ne fera pas d'agriculture sans eux. Il n'y a pas de Nation forte sans agriculture forte. (Applaudissements sur les travées du RDPI, ainsi que sur plusieurs travées des groupes RDSE, UC et Les Républicains)
Crise sanitaire (I)
M. Alain Marc . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) La France a adopté une attitude modulée contre la pandémie au lieu d'un confinement brutal.
Première question de mon QCM qui vous rappellera vos études de médecine, monsieur le ministre : avez-vous une stratégie vaccinale pour les personnes de 65 à 74 ans, alors que le vaccin d'AstraZeneca n'est pas préconisé pour cette classe d'âge ?
Deuxième question : la Bavière impose les masques FFP2 dans les transports en commun. Est-ce superfétatoire ? Envisagez-vous de généraliser l'interdiction des masques en tissu ?
Troisième question : les tests salivaires seront-ils généralisés en milieu scolaire ? Accessibles à l'ensemble de la population en autotests ?
Le Gouvernement va-t-il soutenir les start-ups françaises qui ont la capacité de développer ces autotests salivaires très rapidement ? Seront-ils remboursés par la sécurité sociale ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé . - Pour les personnes de plus de 65 ans, ce sont plutôt les vaccins à ARN messager de Pfizer, Moderna et CureVac qui seront proposés, à la fin mars ou au tout début du mois d'avril, aux 65-74 ans.
Le Haut Conseil de la santé publique demande que l'on n'utilise plus les masques faits maison, l'artisanat n'étant pas toujours l'ami de la filtration... En revanche, les masques grand public de catégorie I, chirurgicaux et FFP2 ont une filtration de 90 % ou plus. Il n'y a pas lieu d'imposer les FFP2.
J'attends ce soir les recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS) sur les tests salivaires qui seront proposés, en priorité, aux enfants dans les écoles. Dès la mi-février, nous ferons de 200 000 à 300 000 tests par semaine.
À ce jour, aucun pays n'utilise les autotests, qui ne sont pas fiables. Dès qu'ils le deviendront, nous les utiliserons. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Alain Marc. - Des start-ups françaises, notamment occitanes, travaillent sur ces tests. J'espère que vous serez attentifs à leurs résultats.
Modification de la loi SRU
M. Philippe Dallier . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) En 2020, le nombre de logements sociaux financés marque un recul historique. Certes il y a eu la crise sanitaire, l'allongement du cycle électoral. Mais Thierry Repentin, président de la Commission nationale SRU, pointe deux facteurs : suppression de la taxe d'habitation et exonération du foncier bâti pour les bailleurs sociaux. Il y a aussi le découragement des maires face aux objectifs inatteignables de la loi SRU.
M. Repentin propose deux modifications. Le Gouvernement veut-il en retenir une et dans quel calendrier parlementaire ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique . - Je vous rappelle tout d'abord que 70 à 80 % des Français sont éligibles au logement social... (Murmures désapprobateurs à gauche)
Il est essentiel de construire plus et mieux. Grâce à la loi SRU, dont je salue la longévité - elle a vingt ans ! - plus de 1,8 million de logements ont été construits depuis 2001, dont 900 000 dans les communes déficitaires ou en rattrapage.
La moitié des communes suit une trajectoire vertueuse qui devrait les mener à l'objectif en 2025, mais certaines n'atteignent pas leurs obligations, parfois par manque de volontarisme. (Protestations à droite ; Mme Sophie Primas s'indigne.) C'est pourquoi le Gouvernement fait preuve de fermeté. (Marques d'indignation sur de nombreuses travées) Plus de la moitié des 550 communes concernées ont été déclarées carencées. Nous serons vigilants et nous nous mobiliserons pour les accompagner : les derniers objectifs de rattrapage seront fixés en 2022, en tenant compte des situations locales, mais en restant fermes avec celles qui ne jouent pas le jeu.
Mme Marie Mercier. - Vous ne répondez pas à la question !
Mme Sophie Primas. - Répondez !
Mme Barbara Pompili, ministre. - Mme Wargon a saisi la Commission SRU ; les propositions de M. Repentin pourraient trouver une traduction législative. (« Ah bon ? » à droite)
M. Philippe Dallier. - J'aurais peut-être dû m'adresser au ministre de l'Agriculture... (Rires et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Vous allez au-devant de résultats catastrophiques en matière de logements : c'est une impasse. La seule loi sur le logement - loi Elan - que vous ayez fait voter porte bien mal son nom. Il faut aller plus loin en accompagnant davantage les communes, notamment avec les exonérations de TFPB. Il n'y a pas seulement les coups de bâton qui produisent des effets... De grâce, faites-le ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; Mme Nathalie Delattre applaudit également.)
Inondations dans le Sud-Ouest
M. Jean-Pierre Moga . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Les récentes inondations dans le Sud-Ouest affectent particulièrement le Lot-et-Garonne. C'est une catastrophe pour les habitants. La Garonne a atteint la cote de 9,52 mètres à Tonneins, de 10 mètres à Marmande. Le département a été placé en vigilance rouge.
Je remercie le Premier ministre de sa visite à Marmande ; le temps qu'il a consacré aux sinistrés a été apprécié. Je salue la mobilisation de chacun, notamment les SDIS, les maires et les sauveteurs, et plus largement les services de l'État.
Les élus ont demandé la reconnaissance de catastrophe naturelle sur toutes les communes touchées.
Le système de prévision des crues fonctionne, mais il doit anticiper 12 à 24 heures à l'avance, plutôt que 5 heures. L'entretien des digues est difficilement soutenable pour les petites communes. La gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations (Gemapi) et les programmes d'action de prévention des inondations (PAPI) sont loin de tout régler.
Comment assouplir les règles de curage des fossés en zone inondable ? Comment aménager les territoires ? Comment améliorer le système de prévision ? Comment stocker les milliers de mètres cubes d'eau qui vont stagner ? Peut-on transformer cette force cataclysmique en énergie hydroélectrique ? Que répondre aux sinistrés ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
M. Gérard Larcher, président du Sénat. - J'ai exprimé la solidarité du Sénat aux communes touchées par les inondations. (Applaudissements à droite)
M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur . - À mon tour de rendre hommage à chacun, notamment aux maires qui ont été les urgentistes de cet événement. Il y a eu des drames dans l'Ouest et le Sud-Ouest.
Dès hier, une première commission s'est réunie. Quelque 145 dossiers ont été examinés et autant de communes reconnues en état de catastrophe naturelle. C'est à chacune de faire la démarche individuellement. Nous continuerons à instruire les demandes dans les prochaines heures.
Nous travaillons à la prévention : Mme Pompili a réuni un conseil de défense écologique sur les PAPI en février 2020.
Des augmentations budgétaires sur le fonds Barnier se concrétiseront.
À partir de l'an prochain, un système d'alerte modernisé enverra les informations par téléphone en temps réel aux populations. (Applaudissements sur plusieurs travées du RDPI)
Fermeture de classes en milieu rural (I)
Mme Céline Brulin . - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE) Nous vous avions alertés sur les conséquences budgétaires de votre calcul budgétaire en matière scolaire. Mais la réalité est pire encore... On le voit en Seine-Maritime, au collège comme au lycée, en primaire ou en maternelle, y compris en éducation prioritaire. Ici deux classes ferment sur dix-sept. Là, on constate une baisse de 110 heures de cours pour une réduction de seulement 22 élèves. « Après le traumatisme de deux confinements, l'Éducation nationale va nous faire subir un troisième électrochoc », a écrit le maire de Brachy, commune qui a construit un nouveau groupe scolaire pour répondre à votre injonction de regroupement des écoles, mais qui est bien mal récompensée : une classe va y fermer.
Dans toutes les académies de France émerge la demande d'une carte scolaire plus respectueuse des élèves. Allez-vous abandonner votre arithmétique comptable au profit d'une équation plus positive ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur plusieurs travées du groupe SER)
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports . - Nous continuons à créer des postes dans le primaire alors que le nombre d'élèves diminue. La Seine-Maritime en perd un millier, or nous créons 20 postes : à la rentrée prochaine le taux d'encadrement atteindra un record historique dans ce département.
Ni fermetures de classes ni fermeture d'écoles sans autorisation du maire en 2020 : ce principe concerne encore en 2021 les écoles ; mais concrètement, il n'y a pas de fermeture de classes sans consultation du maire... La concertation se poursuit sur la carte scolaire jusqu'à la veille de la rentrée pour prendre en compte toutes les évolutions.
Nous mettons en place des mesures qualitatives - dédoublement, plafonnement des effectifs - et non quantitatives : jamais l'école n'a fait l'objet d'une si forte priorité budgétaire. (On le conteste à droite.)
La consigne est le travail conjoint avec les maires dans l'intérêt des élèves. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Mme Céline Brulin. - Record historique ? Notre département est encore en retard en matière de taux d'encadrement par rapport à la moyenne nationale ! Et vous ne parlez que du primaire. Mais dans les collèges et les lycées, c'est un carnage. Ce sont douze millions d'heures supplémentaires qui n'ont pas été compensées ni assurées : ce défaut d'enseignement, ce sont les élèves qui en pâtissent. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER)
Apprentissage
M. Martin Lévrier . - C'est historique : plus de 500 000 contrats d'apprentissage signés en 2020, soit une hausse de 40 % par rapport à 2019, 42 % dans les Yvelines. C'est le reflet de la mobilisation du Gouvernement pour la jeunesse. (Marques d'ironie et d'indignation à droite et sur les travées du groupe CRCE)
Votre prédecesseure Mme Pénicaud, avec la loi Avenir professionnel de septembre 2018, a amorcé cette révolution copernicienne. (On s'esclaffe à droite.) Vous avez, madame la ministre, repris le flambeau avec brio (Même mouvement) et accompagné la montée en puissance de l'apprentissage, en instaurant en 2020 des aides de 5 000 à 8 000 euros pour l'embauche d'un apprenti.
Ce doit être le stimulus pour garantir à tous nos jeunes - durement touchés par les conséquences économiques de la crise sanitaire - le même épanouissement qu'à nos apprentis : comme vous le dites, aucun ne doit rester au bord de la route. (Marques d'agacement croissant sur diverses travées à droite et à gauche) Ce succès est une étape ; madame la ministre, dans quelles dynamiques s'inscrivent vos travaux ? (« Olé ! » à droite)
Mme Élisabeth Borne, ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion . - Les bonnes nouvelles méritent d'être communiquées ! (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains) L'année 2020 marque un record pour l'apprentissage, c'était inespéré en cette période de crise et nous pourrions tous nous en réjouir. (Applaudissements sur les travées du RDPI) Car 500 000 contrats, c'est 140 000 de plus qu'en 2019. Nous devons cette dynamique aux efforts exceptionnels des centres de formation des apprentis (CFA), mais aussi à la loi de 2018 qui a levé des freins et adapté les formations aux besoins des entreprises.
L'apprentissage est aussi au coeur du plan « Un jeune, une solution ». (Soupirs de lassitude à droite) Les entreprises s'en sont saisies. Une aide de 3 000 euros est d'ailleurs prévue pour les collectivités territoriales. Je les invite à répondre, car c'est un élan bénéfique à tous les territoires.
Une concertation va s'engager pour adapter les aides à la conjoncture pour garantir une rentrée 2021 réussie. Je vous encourage tous à porter notre politique pour l'apprentissage dans les territoires. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Crise sanitaire (II)
M. Rachid Temal . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Monsieur le ministre, vous aviez dit en novembre que la France était prête à vacciner ; mais rien ne s'est déroulé comme vous le prévoyiez et aujourd'hui, les centres de vaccination manquent de doses tandis que le vaccin français reste introuvable.
Patrick Kanner et Valérie Rabault ont demandé, en vain, la transparence sur les contrats avec l'industrie pharmaceutique. Nous sommes dans une course-poursuite entre vaccination et mutations du virus. Dans la « guerre » contre le virus, pour reprendre le terme employé par le Président de la République, il faut une économie de guerre.
Allez-vous engager la bataille pour lever les licences sur les vaccins et, au besoin, activer la licence d'office ? Allez-vous investir massivement en France dans la production de vaccins ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé . - D'ici fin février, entre 3,5 et 4 millions de Français auront reçu au moins une première dose. L'objectif affiché était de 2,4 à 4 millions. Les objectifs sont tenus.
J'ai toutes les informations sur les laboratoires : prix d'achat, nombre de doses, au total et par pays, nationalités des médiateurs de l'Union européenne dans les discussions avec les laboratoires... Il vous suffit de me les demander.
La visibilité des centres sur le nombre de doses disponibles est de quatre semaines, bientôt huit. Les centres ne manquent pas de doses, puisqu'ils adaptent le nombre de rendez-vous et les créneaux aux doses disponibles. (« Logique implacable ! » et « Excellent ! » sur les travées du groupe SER ; M. Rachid Temal applaudit ironiquement.)
La licence d'office n'est pas nécessaire. Elle l'est en cas de monopole d'un laboratoire qui joue de la rétention ; ici, les laboratoires sont en nombre, et ils sont demandeurs de sites de production. Quatre entreprises en France fabriquent ainsi des vaccins pour les laboratoires qui ont des licences. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Rachid Temal. - On est dans le monde de Oui-Oui ! Il n'y a pas de problème de vaccins, ni de nombre de doses dans les centres....
Mais vous n'avez cessé de revoir vos chiffres à la baisse ! Cela ne tient pas la route. À part vous-même, tous les Français constatent les problèmes de vaccination. Il faudra plus de doses et plus de chaînes de production.
Vous restez enfermé dans vos certitudes... (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
Thermalisme
M. Jean-Yves Roux . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Depuis le 30 octobre, le thermalisme est la seule offre de santé remboursée non accessible. Quelque 600 000 curistes ne sont plus accueillis dans nos 90 stations et ne reçoivent plus de soins. Comment les soulager ? Doit-on les envoyer à l'hôpital déjà surchargé ou leur prescrire des médicaments inefficaces ?
Les établissements de cure n'ont réalisé en 2020 que 35 % de leur chiffre d'affaires annuel et ils affichent 110 millions d'euros de pertes de trésorerie. Les dépôts de bilan menacent : 10 000 emplois directs non délocalisables, 100 000 emplois induits sont menacés. Alors que 90 % des thermes sont situés dans des villes de moins de 10 000 habitants, c'est tout un écosystème qui vacille, les projets de territoire marquent un coup d'arrêt.
Des tests PCR au début et en cours de cure ne pourraient-ils être organisés ? Les protocoles sanitaires ont fait leurs preuves cet été, aucun cluster ne s'est déclaré.
Le thermalisme est un allié pour lutter contre le mal-être ambiant. Comment aider le secteur à assurer sa mission de soin ? (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur quelques travées des groupes Les Républicains et UC)
M. Franck Riester, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé du commerce extérieur et de l'attractivité . - Le thermalisme est durement touché par la crise. Nos 110 stations thermales ont vu leur activité chuter de 70 %.
Le Gouvernement a érigé le tourisme en priorité nationale et le secteur thermal a bénéficié de l'ensemble des mesures d'accompagnement : extension de la prise en charge de l'activité partielle aux établissements thermaux en régie, élargissement du fonds de solidarité sans limite d'effectifs quand la perte de chiffre d'affaires atteint 70 %, compensation de 70 % des coûts fixes, accompagnement sur le long terme avec une enveloppe de 300 millions d'euros dans le plan de relance Tourisme.
Le Premier ministre a confié une mission à Jean-Yves Gouttebel, président du conseil départemental du Puy-de-Dôme, pour faire des propositions structurantes.
Le Gouvernement est mobilisé sur ce secteur qui est placé face à un défi de résistance et de relance, pour que la France retrouve son rang de première destination touristique.
ZAD dans le triangle de Gonesse
M. Arnaud Bazin . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Monsieur le Premier ministre, le week-end dernier, une énième zone à défendre (ZAD) s'est installée sur les emprises d'aménagement de la ZAC du triangle de Gonesse dans le Val-d'Oise, là où devait s'implanter EuropaCity - sacrifiée par le Président de la République à l'automne 2019 dans un mauvais remake de Notre-Dame-des-Landes. Dix années de promesses, de travail, d'investissements ainsi reniés. Désolante rengaine, cruelle réalité pour ce territoire oublié de la République.
Malgré ce revirement, Mme Borne avait réitéré son engagement de mener à bien la desserte par la ligne 17 du métro et incité les parties prenantes à se remobiliser autour d'un autre projet de développement.
Mais les opposants n'ont pas désarmé : une fois encore, ils défient l'État en prenant en otage l'ensemble du chantier de la ligne 17 du Grand Paris Express, bloquant le puits d'un tunnelier, prétextant un vague projet de jardinage périurbain. Ils ne veulent pas d'un Disneyland de la consommation payé par le grand capital, mais ils veulent bien d'un Disneyland de la courgette pour bobos, payé par le contribuable ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Allez-vous faire respecter l'autorité de l'État et faire évacuer ces délinquants ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique . - (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains) Ce sujet soulève des questions structurantes et nous devons, collectivement, apporter des réponses de bon sens qui concilient développement économique et enjeux écologiques.
Sur le fond, je comprends que les militants s'élèvent contre l'artificialisation des terres (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains), mais la méthode n'est pas la bonne. Je les engage à lever ce blocage qui pénalise le chantier de la ligne du Grand Paris Express, dont le calendrier est et restera inchangé.
J'ai la conviction que l'écologie est un accélérateur du développement économique et non un frein : ne les opposons pas.
L'abandon d'EuropaCity procède de la même logique que le projet de loi Climat et résilience, visant à lutter contre l'artificialisation des terres qui aggrave les effets du changement climatique. (M. Laurent Duplomb s'exclame.)
Le préfet du Val-d'Oise a fait des propositions intéressantes, nous n'écartons aucun scénario. Je suis prête à rencontrer les parlementaires, les élus locaux, les acteurs associatifs, les citoyens afin de trouver ensemble la meilleure solution pour désenclaver et développer cette partie du Val-d'Oise.
Mme Frédérique Puissat. - Ce n'était pas la question !
M. Arnaud Bazin. - Je souhaitais que le Premier ministre nous rassure sur sa volonté d'expulser ; et j'ai entendu Mme Pompili demander gentiment aux délinquants de partir tranquillement. Je suis rassuré ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Prescription des faits de pollution au chlordécone
Mme Victoire Jasmin . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Employé entre les années 1970 et 1990 dans les plantations de bananes de Guadeloupe et de Martinique, le chlordécone est cancérogène, avec des effets avérés sur les cancers de la prostate ; c'est aussi un perturbateur endocrinien.
En Guadeloupe, en Martinique, des voix s'élèvent contre des mesures récentes : les documents versés à l'enquête menée en 2019 par l'Assemblée nationale, scellés, ne seront consultables qu'en 2044. Les associations, les élus, les familles de victimes dénoncent une dissimulation avérée des preuves. On veut attendre la prescription ! Est-ce bien cela ? S'agit-il d'un déni de justice et de mépris vis-à-vis des populations victimes ? (Applaudissements à gauche)
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé . - Le chlordécone était une vraie saleté, une saloperie qui a pourri les sols, avec un effet rémanent pendant 600 ans, et contaminé les milieux aquatiques et les denrées alimentaires. L'État français s'est déjà engagé à travers trois plans et le Président de la République souhaite y revenir.
Le Gouvernement est mobilisé. Les faits font l'objet d'une information judiciaire par le pôle Santé publique du tribunal de Paris ; les juges d'instruction ont été désignés.
L'Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique et la gendarmerie de Martinique et de Guadeloupe sont saisies sur commission rogatoire.
Les juges auraient indiqué aux familles de victimes que l'action publique pourrait être prescrite : l'émotion est compréhensible.
Le Gouvernement ne peut interférer dans une procédure judiciaire en cours, ni même la commenter, mais nous n'avons cessé d'oeuvrer pour les victimes.
Le plan Chlordécone IV a été élaboré en concertation avec la société civile et les associations notamment ; les moyens qui seront consacrés seront presque doublés. Une directrice de projet vient d'être nommée avec un rôle opérationnel et interministériel. C'était une proposition phare du rapport de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Mme Victoire Jasmin. - Les mêmes causes entraînent les mêmes effets, et vous avez récemment dérogé aux règles sur les néonicotinoïdes... (Applaudissements à gauche)
Cybersécurité
M. Hugues Saury . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) L'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi) a recensé une explosion du nombre de cyberattaques en 2020 : quatre fois plus qu'en 2019. Les pirates utilisent des logiciels pour crypter les données puis demandent une rançon aux particuliers, entreprises ou services publics.
En 2020, les attaques contre les services publics et collectivités territoriales ont augmenté - les petites et moyennes communes sont les plus vulnérables, mais en mars dernier, la métropole d'Aix-Marseille a été infectée par un rançon-giciel.
Les hôpitaux ne sont pas épargnés : Albertville, Narbonne, ou le CHU de Rouen, paralysé pendant plusieurs jours. Les patients n'ont pas été touchés mais les pirates pourraient à l'avenir modifier les données d'analyse médicale ou les dosages, bloquer le fonctionnement des appareils, et provoquer des conséquences dramatiques.
La vulnérabilité cyber de la France en fait une cible facile pour les hackers. Que faire, au-delà de la pédagogie, pour se prémunir contre ce risque ? Quels moyens pour moderniser les systèmes de protection d'informations des services de santé et des collectivités territoriales ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargée de l'industrie . - Oui, la menace cyber augmente. Les incidents déclarés à l'Anssi ont été multipliés par quatre. Cybercriminalité - avec rançon -, espionnage et sabotage constituent les trois menaces principales.
Avec le ministre de l'Intérieur et le secrétaire d'État au Numérique, nous avons signé un contrat stratégique de filière en 2018 et 2019 pour augmenter notre offre de sécurité cyber. Nous avons un écosystème de start-up qui doivent être coordonnées car chacune a des briques de réponses. C'est un enjeu de sécurité industrielle, économique et de sécurité intérieure.
Nous aidons les collectivités territoriales et les structures hospitalières à passer un cap en termes de compétences et de matériel.
Nous présenterons la semaine prochaine une feuille de route sur la stratégie cyber, qui sera financée par le programme d'investissements d'avenir 4.
M. Hugues Saury. - Ce sujet appelle une réponse rapide et efficace. J'espère avoir prochainement des éléments supplémentaires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Fermeture de classes en milieu rural (II)
M. Philippe Bonnecarrère . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Monsieur le ministre de l'Éducation nationale, en 2020 vous annonciez un moratoire sur les fermetures de classes à la rentrée. La semaine dernière, la secrétaire d'État annonçait ici même un moratoire de fait sur les fermetures sans accord du maire dans les communes de moins de 5 000 habitants. La vidéo a eu un grand succès auprès des élus locaux ! Or les projets de fermetures se poursuivent.
Avec la baisse de 65 000 élèves, vous avez les moyens d'un moratoire, vous avez les moyens d'augmenter le nombre d'enseignants devant les élèves. Pour redonner confiance, prononcez le mot « moratoire » ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées des groupes Les Républicains et SER)
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports . - Merci de nous donner acte des créations de postes : 10 000 sur le quinquennat, pour 200 000 élèves en moins. (M. Pierre Cuypers s'exclame.) Nous menons une politique quantitative et qualitative, avec un plafonnement du nombre d'élèves à 24 en grande section, CP et CE1. Dans votre département du Tarn, il n'y a aucune suppression de poste, alors qu'avec la baisse démographique, il aurait dû y en avoir dix-neuf.
Je n'ai aucun mal à prononcer le mot de moratoire pour les écoles, car je défends l'école rurale, qui fait réussir les élèves. Le plan de relance consacre 850 millions d'euros à l'équipement numérique des écoles.
Pour les classes, c'est plus difficile. Si l'on n'en supprime aucune, nous aurons des classes de dix élèves ici, de trente élèves là, et donc des inégalités de fait. Ces souplesses existent de longue date.
Nous avons fait une exception pour la rentrée 2020, pour tenir compte de la crise sanitaire, mais ce n'est pas pérennisable. Il faut améliorer le taux d'encadrement au primaire, c'est ce que nous faisons. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Philippe Bonnecarrère. - Comment, avec moins d'élèves et plus d'enseignants, peut-on avoir plus de fermetures que d'ouvertures ?
Pensez à l'après-Covid : la ruralité et les petites villes seront une alternative pertinente aux métropoles. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains ; M. Hussein Bourgi applaudit également.)
Bandes violentes
M. Étienne Blanc . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Les chiffres de l'insécurité se dégradent. La constitution de bandes en zones urbaines et périurbaines inquiète. En 2020, les agressions commises par ces bandes ont augmenté de 25 % ; elles se sont livrées 350 batailles.
Ces bandes sont souvent constituées par des adolescents qui n'ont aucun repère moral - les actes commis devant les caméras le montrent. Elles sont en connexion avec des réseaux de drogue, d'armes ou de prostitution. Enfin, elles savent utiliser les réseaux sociaux et le dark net pour se constituer, agir et se dissoudre.
Or nous avons parfois le sentiment d'un Gouvernement fataliste voire nonchalant et passif devant ce phénomène spécifique. Quelles politiques spécifiques comptez-vous mettre en oeuvre ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur . - Environ soixante-dix bandes sont recensées, pour l'essentiel en Île-de-France. Ce phénomène inquiétant a été illustré par l'affaire Yuriy - dans laquelle les forces de l'ordre ont été particulièrement rapides et efficaces.
Je ne crois pas que les chiffres soient mauvais. Ils le sont en zone gendarmerie, c'est vrai, mais s'améliorent dans les grandes villes, à l'exception de quelques centres-villes.
Lutter contre les bandes, c'est d'abord agir sur les réseaux. On ne peut pas y répondre par des écoutes téléphoniques. Or Whatsapp, Telegram ou Signal ne sont pas dans le scope du ministère de l'Intérieur - c'est pourquoi je vous proposerai de modifier la loi Renseignement.
En sus des caméras de vidéoprotection, les drones permettent une intervention plus rapide. Le projet de loi Sécurité globale en traite - et je salue le travail de Loïc Hervé sur le sujet. La CNIL a émis un avis négatif sur les vols de drones, nous attendons le vote du Sénat pour donner à l'État les moyens de reprendre cette surveillance.
Souvent les bandes sont constituées de jeunes de 12 à 14 ans. N'est-ce pas le travail des parents ?
M. Étienne Blanc. - Il faut une réponse coordonnée face à des dérapages qui inquiètent les habitants. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Retraites agricoles
M. Serge Mérillou . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Le Président de la République a qualifié les agriculteurs de héros de première ligne. Aujourd'hui, les héros sont fatigués. Les actes ne suivent pas. Faiblesse des revenus, déception de la loi EGalim, lourdeurs administratives, aléas climatiques et sanitaires : rien ne leur est épargné.
Trop d'agriculteurs vivent dans la précarité, et le nombre de suicides est très élevé.
L'adoption en juin 2020, dans la souffrance, de la proposition de loi sur les retraites agricoles était une petite lumière au bout du tunnel. Même imparfaite, elle revalorisait les petites retraites de 120 euros pour les porter à 1 000 euros par mois.
Or huit mois après le vote et malgré les postures, les décrets d'application de la loi ne sont toujours pas parus. Pourquoi ? Monsieur le ministre, quand allez-vous signer les décrets ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)
M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation . - On peut me reprocher beaucoup de choses, mais pas d'être dans la posture. Ce Gouvernement a engagé plus de 1,2 milliard d'euros dans le plan de relance. Nous démultiplions les contrôles dans le cadre d'EGalim. (On souligne, à droite, que le ministre ne répond pas à la question.) Ma priorité, mon obsession, c'est de recréer de la valeur.
La loi est très claire : la réforme des retraites doit être mise en oeuvre au plus tard au 1er janvier 2022. Nous serons prêts.
M. David Assouline. - La loi dit « au plus tard » !
M. Julien Denormandie, ministre. - Nous souhaitons même avancer le calendrier par rapport à ce que prévoit la loi, car c'est une question de justice sociale.
En France, on ne met pas assez en valeur le foncier, alors que nous sommes l'un des pays d'Europe où le foncier est le moins cher. Or les jeunes agriculteurs s'endettent lourdement pour devenir propriétaire du foncier car leur retraite est incertaine. Régler le problème des retraites, c'est aussi faciliter l'installation des jeunes agriculteurs. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Fermeture de classes en milieu rural (III)
Mme Catherine Belrhiti . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Comme mes collègues, je suis interpellée par les maires sur les fermetures de classes.
En mars 2020, monsieur le ministre, vous déclariez à la télévision qu'aucune classe rurale ne fermerait sans accord du maire. La semaine dernière, ici même, votre secrétaire d'État, Nathalie Élimas, confirmait vos propos, sans ambiguïté.
Malheureusement, votre administration ne l'entend pas de cette oreille : les cartes scolaires en cours de validation sont en totale contradiction avec vos déclarations et suscitent incompréhension et colère. Les fermetures de classes mettent en difficulté les enfants, les familles, les enseignants, les maires.
Soit celle situation illustre la complexité du « en même temps », soit vos instructions ne sont pas entendues. Il y va de votre crédibilité.
Pourquoi un tel fossé entre la parole nationale et les actes sur le terrain ? (Applaudissements et « Bravo ! » sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports . - Je vais préciser à nouveau notre doctrine, particulièrement bienveillante envers les écoles rurales : pas de fermeture d'école sans l'accord du maire. Concernant les classes, le moratoire valait pour la rentrée 2020, mais j'avais bien dit qu'il ne convenait pas de le reconduire.
Dans votre département de la Moselle, il y a 1 277 élèves en moins, et six postes en plus. Quand il n'y a plus que quelques élèves, il est évident qu'il faut fermer la classe ! La consigne est de procéder avec bon sens, en concertation avec les maires.
Nous soutenons pleinement l'école rurale, dont nous voulons le renouveau. C'est le sens des plans départementaux ruraux pour l'école, du renforcement des décharges pour les directeurs d'école, de la limitation du nombre d'élèves en grande section, CP et CE1.
Nous améliorons la vie quotidienne de l'élève, avec des moyens en plus pour le premier degré, en concertation avec les acteurs locaux. (M. Julien Bargeton applaudit.)
Mme Catherine Belrhiti. - La fermeture des classes nourrit le sentiment d'abandon. Nous avons besoin de cohérence et de stabilité. Il faut restaurer la confiance dans la parole publique, indispensable à notre démocratie ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Réouverture des lieux culturels
M. Jean-Marie Janssens . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Le monde de la culture souffre de la rigueur des mesures sanitaires qui lui sont imposées et qu'il ne comprend pas : les métros et les bus sont pleins mais il est interdit d'aller au théâtre ou au cinéma. Les magasins sont ouverts mais pas les musées. Pourquoi les établissements culturels seraient-ils plus dangereux ?
De plus en plus de nos concitoyens éprouvent un malaise psychologique profond. L'urgence sanitaire ne doit pas masquer l'urgence culturelle. Comment comprendre que nos écoles restent ouvertes mais que les musées, cinémas et théâtres ne puissent pas recevoir de petits groupes d'élèves ?
Madame le ministre, vous envisagez la réouverture prochaine des lieux culturels, musées et monuments. Selon quels critères ? Pouvez-vous nous donner un calendrier ? Pourront-ils accueillir des groupes scolaires ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains ; M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)
Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture . - Monsieur Janssens, vous représentez un département particulièrement riche en patrimoine et monuments historiques, cher à mes collègues Jacqueline Gourault et à Marc Fesnau. Votre belle commune de Montrichard en est une illustration.
La situation sanitaire est encore instable, entre une légère baisse des contaminations, une surcharge des services de réanimation et l'inconnue des variants.
C'est pourquoi, avec le ministre de la Santé, nous avons réuni lundi les responsables des musées et monuments historiques pour bâtir ensemble les conditions d'une réouverture - jauges, créations de référents Covid, protocoles sanitaires adaptés.
Je souhaite un modèle global qui fixe un cadre sûr pour les groupes scolaires. Il faut de la souplesse, et que les responsables d'établissements dans les territoires puissent fixer les modalités adaptées à leurs spécificités. (M. Julien Bargeton applaudit.)
La séance est suspendue à 16 h 15.
présidence de M. Pierre Laurent, vice-président
La séance reprend à 16 h 30.
Conférence des présidents
M. le président. - Les conclusions adoptées par la Conférence des présidents, réunie en début d'après-midi, vous ont été adressées par courriel et sont consultables sur le site du Sénat.
Elles seront considérées comme adoptées en l'absence d'observation d'ici à la fin de la séance de ce soir.
Débat sur le rapport de la commission d'enquête Covid-19
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat sur les conclusions du rapport de la commission d'enquête pour l'évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies à la lumière de la crise sanitaire de la covid-19 et de sa gestion.
M. Alain Milon, président de la commission d'enquête . - Les hommes ont fait d'immenses progrès dans leur combat contre les épidémies, grâce aux vaccins et aux traitements, nous faisant oublier l'effroi de nos ancêtres. Les règles de base de cette lutte se sont rappelées à nous avec la covid : tester, tracer, isoler afin de casser la dynamique des contaminations. En l'absence de traitements et de vaccins, cette stratégie a fait la preuve de son efficacité mais le Gouvernement, après l'avoir appliquée au début de l'épidémie, dans l'Oise, aux Contamines et à Creil, y a ensuite renoncé. La constance et les moyens ont fait défaut. Le déploiement des tests a été laborieux, avec une approche d'abord malthusienne, alors que certains de nos voisins testaient beaucoup plus massivement. Certaines capacités de laboratoires privés, notamment vétérinaires et universitaires, ont été laissées à l'écart ; leur réintégration s'est faite tardivement. Pendant de trop longues semaines, notre pays a testé, testé, testé, conformément aux recommandations de l'OMS, mais en pure perte, les résultats arrivant trop tard aux intéressés.
Le traçage a été marqué par des retards et une perte globale d'efficacité. La Corée a été, à titre d'exemple, plus efficace, avec des moyens relativement rustiques, nous expliquait notre ambassadeur. Il fallait mobiliser le plus de moyens possible et agir vite ; je pense notamment aux médecins de ville, les premiers concernés par le contact avec les malades.
L'échec de « StopCovid » a été collectif et a pesé sur la capacité de diffusion de l'application « Tous AntiCovid ».
La commission des affaires sociales s'était penchée sur question de l'isolement des malades et des cas contacts au sujet d'une proposition de loi de notre collègue Amiel, dont M. Lévrier était rapporteur. Ce texte visait les cas de tuberculose résistante, mais la question reste la même : que faire face à un malade contagieux qui risque de susciter une flambée épidémique ? Notre commission avait suggéré de donner une compétence claire au préfet. Le Premier ministre d'alors avait considéré que l'isolement devait relever du civisme de chacun : « l'isolement doit être expliqué, consenti et accepté ».
Pourtant nos partenaires vont plus loin et nous avons des capacités disponibles pour l'isolement - 7 000 lits en Île-de-France avaient été pré-réservés par Valérie Pécresse. Il manquait donc une volonté politique. Un an après le déclenchement de la crise, la commission des affaires sociales a souhaité mesurer le degré de préparation de notre pays - nous n'étions pas prêts - et définir des pistes d'amélioration pour tester, tracer, isoler.
Le faisons-nous ? Clairement non. Avons-nous la volonté de mettre en place la stratégie « Tester, tracer, isoler » ? Que ferions-nous en cas de maladie beaucoup plus contagieuse et beaucoup plus létale ? Devrions-nous conserver la même stratégie ? J'espère que le débat nous permettra de répondre à ces questions de responsabilité individuelle, de responsabilité politique et de la confiance des citoyens dans leurs dirigeants. Ce n'est qu'en tirant les leçons de ce qui s'est passé que nous pourrons progresser. C'est ce à quoi la commission d'enquête s'est employée et j'espère que, sur le fondement de ses recommandations, nous pourrons avancer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur diverses travées du groupe SER)
M. Bernard Jomier . - Notre rapport, établi avec Catherine Deroche et Sylvie Vermeillet, s'est attaché à proposer des pistes pour l'avenir de notre système de santé. Ces dernières décennies, notre pays a su construire un système de soins, non un système de santé publique.
D'autres pays, qui avaient connu une situation épidémique en 2003, étaient mieux préparés en 2020, car ils avaient modifié leur approche. Espérons qu'il en aille de même pour nous ! La principale leçon est notre défaut d'adaptation : notre réponse est souvent uniforme et verticale. Nous ne pouvons nous en satisfaire.
Quand allons-nous enfin modifier notre approche de la crise ? Sur la culture persiste la décision uniforme d'arrêt des activités, alors qu'il va falloir apprendre à vivre avec le virus... L'adaptation n'est toujours pas en cours, même si elle commence à être annoncée. Au printemps, nous étions dans la sidération ; à l'automne, l'ouverture et la fermeture des commerces selon les biens à la vente et non selon les conditions sanitaires donnèrent lieu à des épisodes ubuesques.
L'adaptation est donc très lente et nous appelons notre pays à aller plus vite.
Après une phase suraiguë puis des épisodes aigus, et dans l'attente peut-être d'une phase chronique, il est temps de légiférer pour modifier notre système de santé à la lumière du Covid-19.
Il a été difficile de territorialiser les réponses, ce qui est bien dommage. Cette approche aurait mérité d'être plus développée. Certains villages de Bretagne n'ont pas vu un cas de Covid et subissent les mêmes interdictions que partout ailleurs.
À quand une stratégie d'éradication complète du virus ? Le 12 janvier, on annonçait 77 millions de doses en juin ; le Président de la République a annoncé que tous les Français pourraient être vaccinés cet été. Les conditions d'une telle stratégie sont-elles désormais assurées ?
La démocratie a souffert pendant cette épidémie : cette question doit être largement débattue, et pas seulement au sein du Conseil de défense ou du Conseil scientifique.
Si nous réussissons ce pari, les victimes de cette épidémie, beaucoup trop nombreuses, auront au moins conduit à améliorer notre système de santé. (Applaudissements)
M. Emmanuel Capus . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Un nombre d'abord : 80 000 personnes, c'est le nombre provisoire de victimes. Je pense à elles au moment de prendre la parole. Dès les premiers jours de la crise, le Sénat a agi. Il a voté la loi sur l'état d'urgence sanitaire et quatre projets de loi de finances rectificative. Dans le but d'identifier les pistes d'amélioration des politiques publiques, il a créé une commission d'enquête. À ce stade, nous manquons encore de recul pour tirer des conclusions définitives.
La France, comme le monde, a subi les effets d'une pandémie qui nous a tous surpris. Certains pays - Taïwan, Corée du Sud - ont réagi rapidement, d'autres moins - États-Unis, Royaume-Uni. L'OMS a tardé à tirer la sonnette d'alarme. Les efforts de la Chine pour cacher le début de cette épidémie en sont sans doute en partie responsables.
Mais le pire a été évité. Le séquençage du génome du virus a été réalisé et des vaccins mis au point. Actuellement, la France compte moins de morts par jour que l'Allemagne, pourtant auparavant citée en exemple.
Le stock de masques de l'État - chirurgicaux et surtout FFP2 - a été fortement asséché ces dernières années : cela a sensiblement accru la vulnérabilité de notre pays. Le curare et les respirateurs nous ont aussi fait défaut.
La coopération européenne reste un point d'amélioration majeure. Il faudra aussi que la médecine de ville apporte tout son concours au secteur hospitalier. Les différents laboratoires, y compris vétérinaires, auraient pu être mieux associés pour effectuer davantage de tests. À titre personnel, je pense qu'il aurait fallu se poser la question de la contrainte - isolement et passeports vaccinaux.
Les collectivités territoriales devraient être mieux associées au fonctionnement des ARS et aux décisions prises par l'État.
Tels sont les premiers enseignements que nous pouvons tirer. D'autres questions, comme celles de notre souveraineté économique et sanitaire ou du sort réservé à notre jeunesse, restent en suspens. Elles devront nécessairement trouver des réponses. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; Mme Catherine Deroche applaudit également.)
Mme Raymonde Poncet Monge . - (Applaudissements sur les travées du GEST) Les conclusions du rapport sont accablantes : les alertes de la ministre de la Santé en janvier n'ont pas été entendues par l'exécutif ; le Grand Est a lutté quasiment seul contre une épidémie exponentielle ; la baisse du stock de masques a été cachée par la direction générale de la santé ; les populations les plus vulnérables ont été le plus durement touchées par le virus. Ces manquements et négligences ont coûté la vie à des milliers de personnes. La responsabilité de l'État est ainsi engagée.
Les préconisations du rapport sont justes : il convient de reconstituer le stock stratégique de masques, sortir de l'hospitalo-centrisme et faire vivre la démocratie sanitaire. Mais la gravité de la pandémie trouve aussi ses causes dans les politiques d'austérité budgétaire menées depuis des dizaines d'années.
Bien avant la covid, les hôpitaux publics étaient au bord de l'asphyxie avec un Ondam insuffisant, une tarification à l'activité (T2A) problématique et un virage ambulatoire à marche forcée. Nombre d'opérations ont dû être déprogrammées, avec des pertes de chances.
Face aux différentes pénuries, le Gouvernement n'a pas agi, notamment par idéologie. L'hyperprésidentialisme, avec ses comités et ses trois cabinets de conseil privés, brouille la gouvernance sanitaire, et les agences publiques, comme Santé Publique France, n'ont pu mener à bien leurs missions...
Cette crise doit infuser une transformation profonde de nos modes de vie ; car elle découle des bouleversements écologiques. Nous sommes entrés dans le temps des pandémies en raison de la perte de biodiversité. Ce volet aurait lui aussi mérité des recommandations comme la non-ratification des traités de libre-échange, tel le Mercosur.
Nous devons passer d'une politique publique curative à une politique préventive. La défense de la biodiversité doit accompagner l'émergence d'une société résiliente, respectueuse du vivant et dont le paradigme deviendrait le soin et la justice sociale. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER)
M. François Patriat . - Encore inconnu il y a un an, le Covid-19 a donné lieu à une crise sanitaire inédite. Nous sommes réunis pour un débat non pas sur la crise mais sur les conclusions de la commission d'enquête, qui s'inscrit dans le rôle de contrôle de l'action du Gouvernement par le Parlement.
Nous saluons le travail de la commission d'enquête, avec 133 personnes auditionnées et 102 heures de réunion.
Comment contrôler l'action du Gouvernement sur une épidémie qui a fait hier encore 439 victimes en 24 heures ? Comment critiquer des mesures sans le recul nécessaire ?
Il y a un an, il y avait 814 victimes du Covid, plus que le SRAS... Aujourd'hui, nous en sommes à 2 millions de décès.
Un an de vagues, de reprises, d'accalmies et maintenant de variants. Douze mois de gestes barrières à s'approprier, douze mois de vie sociale à l'arrêt. Plus de trois millions de cas détectés, deux millions de doses de vaccins administrées. Nous sommes très réservés sur la temporalité de cette publication. Le temps du bilan arrivera plus tard, quand les hôpitaux auront du répit. Ce temps long force à l'humilité.
La commission d'enquête a commencé ses travaux à l'été, lorsque les courbes étaient au plus bas. La situation actuelle est différente de la première vague, les réponses ne sont plus les mêmes.
Les pays jugés comme exemplaires lors de la première vague ne le sont plus. La comparaison est souvent utile mais n'est pas une science exacte. Qui rappelle que certains pays ont fermé leurs écoles depuis huit ou neuf mois ?
Les masques ont focalisé de nombreux débats. Qui aurait cru il y a un an que nous devrions peut-être prendre encore des mesures plus restrictives, face à une troisième vague ? La ligne de crête a obligé le Gouvernement à faire preuve d'équilibre : entre liberté et restriction, entre gestes barrières et confinement, entre ouverture souhaitée de tous et fermeture nécessaire pour tous.
Il y a un an, la France n'était pas prête, mais aucun pays ne l'était. Un an plus tard, le constat n'est pas aussi noir que le rapport de la commission d'enquête le laisse croire.
Aux prémices de la crise, les transferts sanitaires ont désengorgé les hôpitaux des territoires les plus touchés.
La vaccination des publics prioritaires fonctionne, la coopération européenne dont la France était moteur est établie et notre capacité de tests est exemplaire en Europe. Les tests sont payants en Allemagne et en Angleterre, respectivement 100 et 300 euros, alors qu'ils sont gratuits en France. Personne ne le dit !
Les sénateurs du RDPI estiment qu'une commission de prospective serait nécessaire, une fois la crise passée. Accompagnons plutôt le Gouvernement dans ses mesures d'adaptation pour l'aider à poursuivre son action et pour éviter un confinement pour tous. (M. Julien Bargeton applaudit.)
Mme Véronique Guillotin . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Selon Chateaubriand, « presque toujours en politique, le résultat est contraire à la prévision ». L'épidémie de Covid-19 n'était pas prévisible, mais elle aurait pu être mieux préparée.
Je salue le travail remarquable des rapporteurs de la commission d'enquête. Nous avons entrepris cette tâche de façon rigoureuse et dépassionnée, mais avec un oeil critique. Je souscris aux préconisations des rapporteurs.
La commission d'enquête a souligné l'impréparation et le manque d'anticipation. Nous avons été démunis, à la différence de Taïwan, Singapour ou d'autres pays forts de leur expérience du SRAS et de la grippe A en 2009.
Mais nous avons eu un défaut de stratégie - tester, tracer, isoler - et une pénurie de moyens de protection individuels et de capacités de production. Pourtant, le Haut Conseil de santé publique et Santé Publique France préconisaient la constitution d'un stock stratégique de masques.
Nous devrons donc sécuriser la gestion des stocks de masques, de médicaments, de vaccins et relocaliser leur production en Europe. Nous pensions que cette impréparation de début de crise allait nous servir de leçon pour anticiper l'organisation de la vaccination. J'avais d'ailleurs alerté le Gouvernement sur le recueil anticipé des consentements en Ehpad et sur le déploiement des centres de vaccination.
Bonne nouvelle, aujourd'hui nos concitoyens veulent se faire vacciner. Hélas, ils ne peuvent le faire faute de doses.
Les rapporteurs ont également pointé une communication institutionnelle protéiforme, qui n'a pas su résister aux polémiques. Des prises de position successives divergentes, ou même contradictoires, du Gouvernement et des experts du monde scientifique ont rendu complexe le discours. Dans un pays caractérisé par une grande liberté d'expression, comment faire mieux ? Je ne sais pas.
J'avais alerté le Premier ministre et l'Agence régionale de santé sur la désertion des cabinets médicaux dès mars. Nous n'en mesurons encore pas toutes les conséquences.
Enfin, cette pandémie a mis en évidence une faille dans notre mode d'organisation territorial, hypercentralisé, participant à la lenteur des prises de décisions. Ainsi en fut-il dans la région Grand Est, dont je suis élue, où l'État est intervenu trop tard.
Faisons davantage confiance aux élus locaux et aux soignants de terrain pour alerter. Le futur projet de loi 4D prévoit de renforcer la place des élus dans les conseils d'administration des ARS.
Selon l'OMS, ce ne sera pas la dernière pandémie. J'ai confiance en la nature humaine et sa capacité d'adaptation. La France, malgré les difficultés qu'elle connaît, n'est pas le plus mauvais élève de l'Europe. (Applaudissements sur les travées du RDSE)
Mme Laurence Cohen . - Alors que la campagne de vaccination piétine en France, la commission d'enquête a mis en lumière des défaillances dans la gestion de la pandémie : déficits d'approvisionnement en masques, respirateurs, tests, médicaments, vaccins. Les stocks stratégiques financés par la sécurité sociale ont été laissés à l'abandon avec le transfert à l'État via l'Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (Eprus).
La logique de réduction des dépenses publiques a démontré ses limites et ses contradictions : le coût du renouvellement des stocks stratégiques était largement inférieur au coût du confinement.
L'impréparation de votre gouvernement, les déclarations contradictoires sur l'utilité des masques, la pénurie de lits de réanimation ne résultent pas d'un accident de parcours mais bien de choix stratégiques à l'oeuvre depuis près de trente ans.
Le rapport démontre la responsabilité du Gouvernement, son absence d'anticipation, de transparence et de concertation. Le Gouvernement a perdu la confiance des citoyens en tentant de cacher l'insuffisance des stocks de masques disponibles, puis celle des tests. Le directeur général de la santé a fait modifier un rapport d'experts sur les masques : c'est gravissime. En face, les élus étaient mobilisés sur le terrain pour les masques et les centres de tests puis de vaccination.
Les dépenses de santé des collectivités territoriales auraient dû être prises en charge par l'État. L'isolement du pouvoir exécutif, entouré d'experts, s'est renforcé au cours du temps.
Des commissions d'enquête parlementaires ont essayé de rétablir la transparence et de tirer les enseignements de cette pandémie. Je me félicite de la création d'une mission d'information sur les effets du confinement. Non pour remettre en cause votre investissement personnel, monsieur le ministre, mais pour dénoncer les erreurs de stratégie, comme le manque de moyens humains, matériels et financiers dans les hôpitaux publics. Qu'on ne nous parle pas du Ségur de la santé qui n'a débouché que sur de timides revalorisations salariales, inégalitaires au demeurant. ! Les praticiens hospitaliers sont à bout et nombreux envisagent de partir.
Gouverner, c'est prévoir : il faut plus de lits et réviser la gouvernance des hôpitaux. Donnez du pouvoir aux personnels, aux usagers et aux élus. Dotez les territoires de centres de santé en lien avec les hôpitaux et les médecins de ville.
Les grands laboratoires pharmaceutiques doivent laisser place à un pôle public du médicament et de la recherche pour que les vaccins soient un bien commun de l'humanité. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER)
Mme Sylvie Vermeillet . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Notre commission d'enquête a mené 47 auditions et entendu 133 personnes très diverses : ministres, directeurs généraux de la santé, directeurs d'hôpitaux, élus locaux, chercheurs...
C'est en étant lucides sur les dysfonctionnements que nous pourrons avancer pour que l'État soit plus réactif.
Notre rapport ne saurait être réduit à l'analyse sur les masques, très médiatisée, qui est toutefois symptomatique du manque d'anticipation et de culture de la gestion de crise au sein du ministère de la Santé. Ainsi, le délai d'un mois entre les alertes d'Agnès Buzyn le 25 décembre et les informations transmises sur les stocks le 24 janvier n'a pu être rattrapé.
En juillet, l'émouvante audition de Jean Rottner, président de la région Grand Est, Josiane Chevalier, préfète, Brigitte Klinkert, présidente du conseil départemental du Haut-Rhin, et Christophe Lannelongue, ancien directeur de l'ARS Grand Est, témoignait de l'abandon du Grand Est face au Covid. Nous devons tirer les leçons de cette impréparation.
Pour éviter de reproduire les mêmes erreurs, il faut renforcer le pilotage avec un délégué interministériel aux urgences sanitaires, chargé de coordonner une vigilance permanente sur l'état de préparation du pays aux crises sanitaires ou autres.
Les coûts humains, économiques et financiers actuels doivent nous interroger sur les effets d'une une politique court-termiste. Assurons une veille continue afin de prémunir notre pays contre les catastrophes. La réactivité des services déconcentrés de l'État ne peut indéfiniment combler l'impréparation.
Le second enseignement concerne la gestion opérationnelle de la crise dans les établissements médico-sociaux où la double tutelle des ARS sur le sanitaire et des départements sur le social peut être nuisible, notamment dans les Ehpad. Nous avons vu que lorsqu' il y avait une coopération souple, la réponse était meilleure, les directeurs d'établissements n'avaient pas à constamment changer d'interlocuteur. Il faudra trancher cette question de la tutelle.
Il faut enfin accompagner une refonte de la gouvernance territoriale de crise. La coopération entre les ARS et les préfets a manqué de fluidité. Dans mon département du Jura, l'ARS a fait beaucoup avec très peu de moyens. Mais la gestion de crise est l'affaire du ministère de l'intérieur. Ce sont les échelons déconcentrés et les collectivités locales qui répondent aujourd'hui encore à la crise. La campagne de vaccination illustre ce besoin d'anticipation : préfets, présidents de conseils départementaux, ARS doivent toujours s'adapter dans l'urgence pour réparer des erreurs évitables.
La sidération du premier trimestre 2020 est loin derrière nous. Puisque le monde change, acceptons de changer l'État. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe SER)
Mme Catherine Deroche . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je concentrerai mon propos sur la gestion territoriale de la crise et la recherche. La commission d'enquête a fait des propositions : qu'en pense le Gouvernement ?
Il faut renforcer la fluidité des relations entre préfets et directeurs généraux des ARS. Les élus locaux connaissent mieux le préfet que les ARS. En temps de crise, le préfet pouvait prendre les commandes - mais ce ne fut pas le cas. Le défaut d'organisation a été général et pas seulement dû aux ARS. C'est pourquoi le Sénat n'a pas demandé leur suppression, à la différence de l'Assemblée nationale.
Mais il faut réarmer les délégations départementales, car la réforme des régions a percuté les ARS, trop éloignées du terrain. Le délégué départemental doit décliner un plan pandémique et disposer des données épidémiologiques nécessaires.
Nous pourrions ainsi apporter des réponses différenciées à des territoires particuliers. Au printemps, la Guyane a été confinée trop tôt, puis privée de cette mesure en pleine flambée épidémique.
Si les résultats en matière de recherche sur les vaccins ont été satisfaisants, nos efforts ont été trop dispersés. La multiplication des essais cliniques pour les mêmes molécules a nui à l'efficacité de la recherche française. Les Britanniques, avec l'essai Recovery, ont mieux coordonné leur effort de recherche. Les ministres de la Santé et de la Recherche devraient pouvoir prioriser les efforts de recherche.
L'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) n'est pas en mesure de le faire ni de favoriser des méthodologies fiables.
Idem pour la recherche sur les maladies infectieuses émergentes. La commission préconise la création d'une structure de recherche sur ces maladies en rapprochant le consortium REACTing de l'Agence de la recherche pour le sida et les maladies infectieuses.
Quels enseignements le Gouvernement tire-t-il de la crise du secteur de la recherche ? Comment faire pour que la recherche se développe en France et pas qu'à l'étranger ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé . - L'épidémie est encore là et nous oblige à la plus grande vigilance, dans notre vie quotidienne comme dans nos analyses. L'heure n'est pas au bilan, même si le débat est toujours bienvenu.
Il y a un an, la covid restait une maladie mystérieuse, un risque mal défini. Aujourd'hui, nous connaissons mieux l'ennemi qui a sévi partout dans le monde et qui a fait 80 000 morts dans notre pays.
La maladie évolue comme évoluent nos outils contre elle. Je salue tous ceux qui se mobilisent depuis des mois. Tout notre système de santé a été mis sous tension ; nos structures hospitalières ont été bousculées comme jamais ; tous les Français ont été obligés de vivre autrement.
Nous vivons une épreuve majeure, qui demande des sacrifices. Une crise est une perte de contrôle, un événement qui nous prend de court. Nous avons néanmoins repris un peu de contrôle. La vaccination représente un espoir, mais des variants se développent. Bien malin qui peut prédire les défis que nous aurons à affronter demain. « Un bon politicien est celui qui prédit l'avenir et peut expliquer pourquoi les choses ne se sont pas passées comme prévu », disait Churchill...
Une voix à droite. - Bravo !
M. Olivier Véran, ministre. - Nous avons franchi des étapes intermédiaires mais la ligne d'arrivée est loin. Nous devons tirer les enseignements. Des engagements forts ont été pris avec le Ségur de la santé : la revalorisation des carrières des soignants, un investissement inédit dans l'hôpital public.
Depuis la première minute de ma désignation, voici bientôt un an, je suis mobilisé contre cette pandémie. Par temps calme, mon ministère n'est pas comme les autres, car il touche à ce que chacun a de plus précieux, la santé ; en tempête, il cristallise les attentes, les espoirs, les angoisses. J'agis en temps réel, je ne commente pas en différé. Chaque jour, j'ai mesuré les attentes, les espoirs et les angoisses. Sachez que l'intérêt général a été ma seule boussole. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées du RDSE)
Mme Angèle Préville . - Le choc est inédit, le bilan humain sans précédent. Mais il y a eu un manque d'anticipation, une absence de décision, une accumulation de dénis et une défiance à l'égard des Français traités comme des élèves insouciants - laquelle a entraîné une défiance en retour à l'égard du Gouvernement.
La gestion de crise, à la main du conseil de défense, paie le prix de sa verticalité. Pour les masques, les tests, les vaccins, elle n'a pas été à la hauteur, avec, à chaque fois, une impression de retard jamais comblé.
Plutôt qu'un conseil scientifique créé à la hâte, n'aurait-on pas dû créer une structure pérenne, indépendante, multidisciplinaire, capable de piloter la réponse scientifique pour les crises futures, y compris au-delà des pandémies - je pense aux événements climatiques et aux accidents industriels ? C'est en tout cas l'une des propositions du rapport.
M. Olivier Véran, ministre. - Si une crise peut être anticipée, ce n'est plus vraiment une crise. Quand on est en crise, les décisions ne se prennent pas par anticipation, mais sur le moment. Oui, le conseil scientifique a été mis en place à la hâte, car nous devions faire face heure par heure !
Vous soulevez la question démocratique... Ancien député, je suis un amoureux du Parlement ; c'est la vingt-quatrième convocation du Parlement à laquelle je réponds. Je n'ai donc l'impression de lui avoir manqué de respect : je crois y passer plus de temps comme ministre que comme parlementaire !
Mme Angèle Préville. - Le conseil scientifique a été créé à la hâte car il n'existait rien, ce n'était pas un reproche. Ne devrait-on pas créer une instance indépendante et multidisciplinaire, prête à répondre à toute crise à l'avenir, telles qu'il en existe dans certains pays, avec des scientifiques disponibles pour ainsi dire à la seconde ?
Mme Martine Berthet . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le déploiement des masques a cruellement manqué aux professionnels de santé. Idem pour la vaccination et les tests de dépistage. Les tests massifs n'ont pu avoir lieu que grâce aux collectivités territoriales. Il aurait fallu impliquer davantage la médecine de ville.
Les rapporteurs proposent de réformer la gouvernance des ARS en redéployant des compétences dans leurs délégations départementales.
La loi Santé de juin 2019 a créé les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), mais elles n'ont été que très peu mises en place.
Les ARS ne semblent pas s'être investies de cette mission. Ces communautés ne sont pas sollicitées pour la vaccination alors qu'elles répondraient à un besoin d'organisation fine du dernier kilomètre. Quelles sont vos intentions en matière de territorialisation de la santé ?
M. Olivier Véran, ministre. - La crise aura eu quelques vertus : l'accélération de la télémédecine, avec le passage de 10 000 à 1 million de téléconsultations par semaine, le déploiement des CPTS, qui font l'unanimité, et des services d'accès aux soins (SAS), le renforcement de la coopération entre différents secteurs de la santé et de la médicalisation des Ehpad.
Le volet départemental des ARS a été renforcé avec la création des délégués départementaux, pour plus de proximité. Le Premier ministre a annoncé qu'ils seraient musclés. Les liens entre les ordres, les syndicats, les hôpitaux, les élus locaux se sont renforcés, je l'ai récemment constaté dans le Gers.
Je n'aurai de cesse de simplifier les procédures et de donner plus d'autonomie aux territoires.
Mme Colette Mélot . - J'ai une pensée pour les victimes et je rends hommage aux soignants. Face à un virus inconnu et mutant, la tâche est loin d'être simple. Les différentes ARS n'ont pas été confrontées aux mêmes réalités.
Beaucoup d'élus ont eu le sentiment que ces agences n'ont pas été assez proches du territoire, que l'administration était déconnectée des réalités, notamment concernant les protocoles sanitaires. Une association plus étroite des collectivités territoriales aurait été pertinente. Comment rapprocher les administrations du terrain ?
M. Olivier Véran, ministre. - Madame la sénatrice, nous étions ensemble à Melun il y a deux jours. Vous y avez vu comme moi nombre d'acteurs institutionnels et politiques qui travaillent ensemble, dont le délégué départemental de l'ARS.
Partout je vois coordination et entente. Hier, j'ai réuni le cinquième comité des élus. Les gens travaillent ensemble. Bien sûr, ce peut être plus compliqué dans tel département ou telle région. Mais j'ai roulé ma bosse dans les territoires et partout je sens cette envie. Je suis favorable à une décentralisation ou une déconcentration.
Mme Colette Mélot. - Je vous remercie d'être venu à Melun. La situation n'est pas la même dans tous les territoires. Les protocoles sanitaires imposés par l'administration n'étaient pas toujours en adéquation avec le terrain. Ils ont mis certains élus en difficulté.
M. Guillaume Gontard . - La question de la gouvernance est essentielle. Aucune autre démocratie ne fonctionne de manière aussi verticale. Huit jours après avoir été au théâtre pour rassurer les Français, le Président a décidé unilatéralement de confiner le pays. Le Parlement a certes validé la décision a posteriori, mais c'est usant et pesant.
La gestion de cette crise partie pour durer ne peut plus relever du seul Président de la République. La gouvernance adoptée par l'Afrique du Sud est très intéressante : elle s'appuie sur un barème à cinq niveaux entraînant des réponses différentes.
Pourquoi ne pas travailler sur le temps long ? Cela renforcerait l'acceptabilité des mesures (Mme Michelle Meunier le confirme.)
M. Olivier Véran, ministre. - Il faut différencier la préparation des décisions et leur formalisation. La première est collégiale, elle implique les scientifiques, les élus ; vous avez vous-même participé au comité d'élus. Mais à la fin, il faut bien qu'une décision soit prise et le Président de la République prend ses responsabilités.
L'image, entretenue par une partie de la gauche, d'un homme qui décide seul n'est absolument pas conforme à la réalité. (Mme Cathy Apourceau-Poly ironise.)
Nous avons créé des indicateurs de crise à plusieurs reprises et avons été critiqués - tantôt la réponse était trop uniforme, tantôt elle était trop différenciée. Mais la critique fait avancer.
Je prends tous les jours connaissance des chiffres de Santé Publique France pour envisager des mesures. La réactivité est indispensable.
M. Bernard Fialaire . - Je remercie la commission d'enquête pour son travail qui correspond à ce que les Français attendent du Parlement.
Nous ne demandons pas de prévoir l'imprévisible car nous ne voulons pas de vie sans imprévu. La résolution d'une crise n'est pas le retour en arrière mais le départ d'une nouvelle organisation.
Le bien-être psychique, physique et social des individus nécessite une harmonie à laquelle les doubles tutelles portent préjudice.
À quand la loi 4D ? Il ne faudrait pas que les 3D soient synonymes de désillusion, déception et désespérance.
Autre remarque, trop de communication tue la communication. On gagnerait en clarté si une seule entité scientifique s'exprimait.
M. Olivier Véran, ministre. - La liberté de parole est totale. Je ne compte pas décider qui est légitime à s'exprimer ni exercer la censure. Je remarque bien sûr que certains chercheurs s'expriment en responsabilité, d'autres, non... Je comprends la perplexité des Français qui voient des blouses blanches dire une chose et son contraire à quelques jours d'intervalle.
Une sénatrice recommandait que la gestion de crise soit confiée au ministère de l'Intérieur. Mais le ministère de l'Intérieur gère des crises de sécurité publique ! L'armée gère d'autres crises, mais pas la logistique de centres de santé.
Les agents des ARS gèrent des situations inédites alors que ce n'était pas leur métier. Je suis très fier de ce qu'ils font, sept jours sur sept...
M. Jean-François Husson. - Comme les élus locaux !
M. Olivier Véran, ministre. - Ils ont dû se reconvertir. On ne change pas une organisation en pleine crise.
Mme Cathy Apourceau-Poly . - Le rapport de la commission d'enquête démontre que le Gouvernement aurait pu anticiper la deuxième vague bien plus tôt. Hélas, il n'a ni écouté les alertes ni tiré les leçons de cette erreur. De nombreuses initiatives sont venues des collectivités territoriales, notamment concernant les masques.
Il serait intéressant de disposer à l'avenir d'une production nationale en cas de crise. Il est désormais obligatoire de porter un masque de catégorie 1. Comment aider la filière textile française à obtenir cette certification ? Pourquoi ne pas envoyer à chaque enfant un masque en tissu de catégorie 1 ?
M. Olivier Véran, ministre. - La France a été le premier pays européen à mettre en place des normes Afnor pour les masques, en définissant deux catégories.
Les collectivités territoriales ont joué leur rôle, l'État aussi, avec le troisième envoi de 45 millions de masques pour les plus précaires.
Des masques textiles de catégorie 1 pour les enfants des familles modestes ont été distribués aux associations via les préfectures.
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Pour les familles qui gagnent le Smic, le coût d'un masque d'enfant à l'année, soit 150 euros, est considérable. Pourquoi ne pas fournir un masque à tous les enfants scolarisés ?
Mme Jocelyne Guidez . - Le Sénat est la chambre des territoires. La pandémie a révélé les faiblesses de notre gouvernance territoriale de crise, comme l'a confirmé la commission d'enquête. La décentralisation est insuffisante, le pilotage trop centralisé. Or les collectivités territoriales sont de vrais sismographes qui détectent les signaux faibles et garantissent le calibrage fin des politiques de santé.
La déconcentration, elle, est maladroite. Comme la commission d'enquête l'a souligné, la gestion des ARS a été trop éloignée du terrain.
Le groupe UC veut une vraie décentralisation et une vraie déconcentration, par exemple en régionalisant les conventions d'objectifs et de gestion signées avec la CNAM.
Accepteriez-vous de déléguer aux régions les compétences des ARS ? (Applaudissement sur les travées du groupe UC)
M. Olivier Véran, ministre. - Franchement, je ne suis pas favorable à la décentralisation de la gestion des crises sanitaires. Les pays qui l'avaient décentralisée la recentralisent dès que ça chauffe. C'est ce qu'a fait Mme Merkel en réunissant les présidents de Länder pour demander un reconfinement dur jusqu'au 15 mars. En Espagne, les différences territoriales rendent la gestion illisible. Inversement, aux États-Unis, le président Trump n'a pas fait la pluie et le beau temps : heureusement que des gouverneurs ont pris des décisions responsables.
Ce qui m'intéresse, au-delà des modèles, c'est l'efficacité sur le dernier kilomètre, dans les territoires.
Mme Victoire Jasmin . - À ce stade, il est indispensable de renforcer la démocratie sanitaire. Nombre de patients se sont sentis délaissés, non écoutés, exclus.
France Assos Santé indique que les personnes handicapées et leurs proches aidants se sont sentis très isolement. Plus que jamais, il faut entendre la voix des patients mais aussi des élus locaux, mis sous pression par l'État. Il faut mettre en avant les complémentarités des territoires.
Nous avons aussi assisté à une concurrence entre les SDIS et le SAMU. Ne faudrait-il pas renforcer leurs complémentarités ?
Enfin, comment valoriser les instances de démocratie sanitaire ?
M. Olivier Véran, ministre. - Le conseil départemental d'analyse et de vigilance du Gers, mis en place par Philippe Martin et regroupant l'État, les professionnels de santé, les citoyens, est un très bon exemple de gestion sanitaire locale.
Les structures sont les plus à même d'identifier les personnes isolées, les CCAS aussi. Nous essayons de gommer les inégalités sociales grâce à la démarche « d'aller vers ».
M. Jean-François Husson . - Le Président de la République a qualifié la crise de « temps de guerre », mais vous n'avez pas su mettre en place une territorialisation dynamique des décisions. C'est le cas notamment dans la région Grand Est.
Les élus locaux n'ont pas été dotés de moyens d'action et la lutte contre la covid s'est apparentée à une course d'obstacles, dans une stratégie nationale hésitante.
Comment remédier à cette gestion lente et désordonnée, qui a entretenu un climat anxiogène ?
M. Olivier Véran, ministre. - Oui, le Grand Est a pris la crise de plein fouet. C'est là que nous avons organisé le plus d'évacuations sanitaires en urgence ; c'est là que le plus grand nombre de soignants sont venus prêter main forte pour éviter le tri des patients. Le Grand Est nous a occupés jour et nuit pendant des semaines. Je ne peux laisser dire que la région a été laissée seule, abandonnée.
M. Jean-François Husson. - Ce n'est pas ce que j'ai dit !
M. Olivier Véran, ministre. - Nous avons dû limoger le directeur de l'ARS à la demande des élus locaux... et vous l'avez auditionné.
M. Jean-François Husson. - Pour d'autres raisons !
M. Olivier Véran, ministre. - Non. La commission d'enquête a pu l'entendre sur les raisons de ce limogeage.
M. Jean-François Husson. - Il a été limogé en raison d'un choix hasardeux au CHRU de Nancy. C'est cela la réalité ! (M. le ministre proteste.)
Au lieu de demander le paiement d'une cotisation, le Gouvernement ne pourrait-il demander aux complémentaires santé de prendre en charge les frais engagés pour les masques ?
M. Vincent Delahaye . - Pendant deux mois, le directeur général de la santé enjoignait chaque soir les Français à faire preuve de responsabilité. Ils sont en droit de lui demander de répondre à son tour de ses actes, de ses fautes.
Dissimulation d'abord : en 2018, il n'a pas informé le Gouvernement de la caducité de centaines de milliers de masques.
Impréparation ensuite, puisqu'il n'a pas jugé bon de reconstituer les stocks de masques.
Manipulation enfin, car il a cherché à modifier un avis scientifique sur la nécessité de disposer des stocks de masques.
Quelles conséquences allez-vous en tirer ?
M. Olivier Véran, ministre. - Je ne suis pas devant une chambre d'accusation. Je me suis déjà exprimé sur cette question : les éléments du rapport ont été envoyés par le directeur de la santé lui-même. Il a toute ma confiance dans son action au service de l'intérêt général.
M. Vincent Delahaye. - Beaucoup de Français seront surpris de cette réponse. Il y a eu une gestion catastrophique des masques, chaotique des tests, une impréparation totale sur la campagne de vaccination - on se demande ce que l'administration a fait depuis septembre ! Être en responsabilité, cela suppose de rendre des comptes. Or la haute fonction publique n'en rend jamais. Je regrette la réponse du ministre. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, SER, Les Républicains et du RDSE)
Une voix à droite. - Responsable, mais pas coupable !
Mme Michelle Meunier . - Les conclusions de notre commission d'enquête ont étayé l'avis de beaucoup : notre pays n'était pas assez préparé. La communication de votre Gouvernement n'a pas su convaincre.
Depuis décembre, plusieurs vaccins sont autorisés et proposés à la population selon une stratégie définie par la HAS. Cela a suscité beaucoup d'espoirs, mais la coordination opérationnelle, elle, a fait défaut. Le manque d'anticipation en haut lieu est patent. Les ARS n'ont pu déployer les centres de vaccination. Les files d'attente sont gérées au jour le jour.
Désormais se pose la question des nouveaux variants. Combien de temps faudra-t-il attendre pour être informés de l'adaptation de notre stratégie à ces variants ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
M. Olivier Véran, ministre. - Vous aurez l'information quand elle sera disponible.
M. Étienne Blanc . - À la lecture du rapport de la commission d'enquête, on s'aperçoit des difficultés d'articulation des décisions de l'État et des élus locaux. Il y a des grippages - on se souvint de la réquisition sur le tarmac de masques commandés par des collectivités territoriales... Pourtant, l'État aurait tout intérêt à travailler de manière étroite avec celles-ci. Les plaintes que provoquent les décisions de l'État sont adressées d'abord aux collectivités.
Allez-vous intégrer les recommandations de ce rapport au projet de loi 4D ?
M. Olivier Véran, ministre. - J'ai répondu à six ou sept questions sur le sujet. La loi 4D a pour objet d'améliorer les relations entre l'État les collectivités territoriales, mais il y a autant de relations que de collectivités... Un exemple : le testing de masse organisé à Saint-Étienne, avec le plein soutien de l'État. Je n'ai pas eu le sentiment d'être en opposition avec les élus en général. Il y a certes des élus avec lesquels il est difficile de ne pas l'être... Améliorons la coordination avec les territoires ; la loi 4D sera une étape législative intéressante.
M. Olivier Paccaud . - On a beaucoup parlé de Louis Pasteur - bienfaiteur de l'humanité, gloire de la IIIe République, fierté française - mais moins de René Descartes. Il est vrai qu'au coeur du tourbillon de contradictions, ce chantre de la raison serait bien en peine d'expliquer ce qui se passe.
Lundi, l'Élysée dit rouge ; mardi, Matignon dit bleu ; mercredi, le Ségur dit vert...
D'abord faussement protecteur, le masque est devenu salvateur et obligatoire. Non à deux personnes dans un restaurant, oui à cent jeunes dans une cantine. On ferme les petits commerces et on laisse ouvertes les grandes surfaces, puis on fait l'inverse. Comprenne qui pourra !
Notre hémicycle ressemble à un amphithéâtre universitaire : ne peut-on pas faire des cours d'université à demi-effectif, ou les jeunes sont-ils trop irresponsables ? (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains et sur les travées des groupes CRCE et SER)
M. Olivier Véran, ministre. - On finit par ennuyer à vouloir tout dire, disait aussi Descartes.
Nous nous adaptons à la situation sanitaire. En septembre, nous avons ouvert les universités, il y a eu des clusters...
Nous faisons ce que nous pouvons pour les étudiants, lorsque la situation sanitaire le permet. Nous avons autorisé un contingent à revenir, en priorisant les étudiants de première année.
Je remarque que votre hémicycle n'est pas plein comme un amphithéâtre bondé d'étudiants ! (Murmures)
M. Olivier Paccaud. - Tout à l'heure, nous étions à mi-effectif.
M. Olivier Véran, ministre. - Nous faisons au mieux, sans baisser la garde.
M. Laurent Duplomb. - Tout va très bien, madame la marquise !
M. Yves Bouloux . - Je salue le travail de la commission d'enquête et son rapport de 450 pages.
Une voix à droite. - Le ministre ne le lira pas !
M. Yves Bouloux. - Trois constats se dégagent : retard, impréparation et aveuglement. La crise a touché les plus vulnérables, notamment les personnes âgées. Les premières conséquences sont sans appel : anorexie, déclin cognitif accéléré, troubles du comportement, tristesse...
Le rapport propose de renforcer les outils de prévention des risques en établissements, d'élargir le plan bleu, de compléter les plans de continuité d'activité. Il faudrait aussi accroître la couverture des Ehpad par les médecins coordonnateurs et accélérer le déploiement des infirmières de nuit.
Le Gouvernement retiendra-t-il ces préconisations de bon sens ?
M. Olivier Véran, ministre. - Nous avons fait appel à l'hospitalisation à domicile, numérisé les Ehpad, structuré des filières de prise en charge des patients âgés atteints du Covid. Comment dire que nous n'avons rien anticipé ? Des milliers de soignants se sont mobilisés afin que les personnes ne meurent pas dans les Ehpad, et nous continuerons.
M. Guillaume Chevrollier . - La commission d'enquête a effectué un travail minutieux qui a révélé l'impréparation, les difficultés et les dysfonctionnements de notre système de santé.
Au pic de la crise, des infirmiers se sont formés aux gestes de la réanimation, des internes de première année ont exercé des compétences de troisième année. Nous manquons de médecins généralistes et spécialistes, alors que les besoins en santé augmentent.
Les problèmes de démographie médicale concernent une commune sur trois ; 7,5 millions de Français n'ont pas de médecin traitant, soit 11 % de la population. Comment vont-ils faire pour l'examen médical prévaccinal ? Le système français est hospitalo-centré. L'organisation des soins doit se faire en coordination avec les élus locaux et la médecine de ville. Comment assurer l'accès aux soins de tous ? Avec quelle participation des élus locaux ?
M. Olivier Véran, ministre. - J'ai signé un décret pour le remboursement du transport sanitaire vers les centres de vaccination jusqu'au 31 mars. Nous développons les centres de vaccination ; des vaccino-bus, des barnums peuvent être mis en place avec l'appui des collectivités ; des structures ambulantes peuvent se rendre au domicile des personnes âgées pour la vaccination à domicile. Les élus et les soignants se parlent et se mobilisent. Vous avez peut-être participé au comité sur la vaccination organisé par le préfet dans votre département de la Mayenne ? Il regroupe tous les acteurs... Quand on cherche, on trouve des innovations, qui sont soutenues financièrement par l'État via les ARS.
M. Alain Milon, président de la commission d'enquête . - « L'heure n'est pas encore au bilan », avez-vous affirmé, monsieur le ministre. C'est sans doute pourquoi votre réponse fut si brève.... Peut-être une lassitude à rendre des comptes au Parlement, malgré votre amour proclamé à son égard ? (Applaudissements sur de nombreuses travées)
« Il n'y a pas d'amour ; il n'y a que des preuves d'amour », écrivait Shakespeare. Venir vingt-quatre fois devant le Parlement en un an, soit une fois par mois et par assemblée, cela ne devrait pas suffire à vous lasser, si vous aimez !
Vous n'avez pas répondu sur la stratégie « Tester, tracer, isoler » qui s'est transformée en « Tester, alerter, protéger »...
Je regrette que la France ne réussisse pas à fidéliser des chercheurs et à financer ses biotechnologies, contrairement à l'Allemagne. Je pense notamment à Valneva, financée par le Royaume-Uni.
Sur les masques, nous avions le devoir de chercher à comprendre. Il est apparu que la stratégie et le discours avaient été dictés par les disponibilités. La commission d'enquête a proposé une méthode et un schéma d'organisation. Nulle trace de politique politicienne dans ce rapport.
Les tests sont certes gratuits mais leur usage n'a pas été suffisamment efficace pour casser les chaînes de contamination.
Nous ne tirerons les leçons de la crise que si vous acceptez le débat ! Un mot d'une réponse que vous avez donnée passablement énervé...
M. Olivier Véran, ministre. - Je ne suis pas du tout énervé !
M. Alain Milon, président de la commission d'enquête. - Fort heureusement, le contrôle de l'action du Gouvernement et de l'administration ne se fait pas uniquement devant les tribunaux. La commission d'enquête n'a déféré personne devant la Cour de justice de la République ; elle n'a fait que des recommandations et je n'accepterai sur ce sujet aucune caricature. (Applaudissements)
La séance, suspendue à 18 h 40, reprend à 18 h 50.
« Le fonctionnement des universités en temps Covid et le malaise étudiant »
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : « Le fonctionnement des universités en temps Covid et le malaise étudiant », à la demande du GEST.
Mme Monique de Marco, pour le groupe Écologiste, Solidarité et Territoires . - Une partie des victimes indirectes de la covid est oubliée : les étudiants. Il faut des réponses rapides et concrètes pour faire face à leur précarité et aux risques psycho-sociaux. Leur situation, matérielle et mentale, est très dégradée. Que leur proposer aujourd'hui et à plus long terme ?
Les chiffres sont effrayants : 20 % ont eu recours à l'aide alimentaire, la moitié a des difficultés à payer le loyer et l'alimentation ; les bourses accordées à 36,8 % d'entre eux ne permettent pas de vivre sans travailler à côté ; l'isolement devant les écrans exclut tout contact humain, l'enseignement est désincarné.
Chaque jour, la même journée se répète : huit heures d'écran, repas, révisions, dodo... À la longue, on craque. Selon une étude, 43 % des étudiants auraient été affectés d'un trouble de santé mentale comme l'anxiété ou la dépression à la suite du premier confinement. Les services universitaires de santé sont débordés. Les risques de décrochage sont importants. Stages ou séjours à l'étranger ont été annulés. À l'âge de l'envol, ils sont nombreux à être rentrés chez leurs parents.
Ces difficultés, les enseignants les connaissent aussi, faisant cours devant une mosaïque d'écrans noirs, impuissants à aider des étudiants qu'ils n'ont jamais rencontrés. Le personnel administratif est soumis à des directives changeantes et imprécises.
Les commerces et les écoles sont ouverts, les prépas et les BTS fonctionnent normalement : quelle différence de traitement ! Les étudiants des universités se sentent laissés pour compte.
Les mesures d'urgence sociale arrivent au coup par coup. Le ticket de resto U à 1 euro est une très bonne chose mais à Bordeaux, seuls dix restaurants sur vingt-sept étaient ouverts et il était impossible de manger à l'intérieur, même par temps de pluie... Votre annonce autorisant le repas sur place est bienvenue, mais tardive.
À l'université Bordeaux Montaigne, on compte une infirmière pour 18 000 étudiants et un poste de psychologue. Or la situation pré-covid était déjà critique.
En Scandinavie, chaque étudiant perçoit une allocation individuelle indépendante du revenu de ses parents. Certes, cela a un coût mais pas supérieur à celui du CICE ou de la suppression de la taxe d'habitation. Ce n'est pas tant une dépense qu'un investissement, de nature en outre à casser le déterminisme social ; une façon aussi de reconnaître les jeunes comme des adultes à part entière. Madame la ministre, nous vous demandons solennellement d'engager une réflexion sur ce sujet.
Nous avons également écrit au Premier ministre pour lui demander un grand plan d'investissement dans les universités.
Nous voulons l'égalité de traitement de tous les étudiants, quel que soit leur cursus ; le retour des étudiants à 50 %, avec des cours dédoublés et des cours hybrides, présentiel et distanciel ; une sécurité financière accrue et une revalorisation des bourses et des APL ; un investissement massif dans les établissements pour la ventilation et l'équipement numérique ; une adaptation des examens afin qu'aucun étudiant ne soit pénalisé à cause de l'épidémie ; suffisamment de recrutements pour une politique sanitaire ambitieuse et une politique de santé mentale d'urgence avec le recrutement d'infirmiers et psychologues ; la création d'une allocation d'autonomie pour tous les étudiants.
Continuez vos efforts et investissez dans notre avenir, c'est-à-dire dans notre jeunesse. (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mme Sylvie Robert applaudit également.)
M. Max Brisson . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Nous alertons le Gouvernement depuis le début de la crise sur les conditions de vie des étudiants. Je remercie le GEST de ce débat.
Angoisse, isolement, précarité. Dès avant le second confinement, l'Observatoire de la vie étudiante alertait sur les signes de détresse psychologique. Pas moins de 31 % des étudiants en étaient déjà victimes. Ces emmurés de 20 ans subissent les effets de la crise sans en être des victimes directes.
Le repas à 1 euro, la consultation de psy gratuite, le retour partiel aux cours en présentiel sont des bouffées d'oxygène, mais insuffisantes. Les étudiants veulent de la lisibilité, non de la pitié.
Le pilotage à vue nourrit des espérances déçues. En décembre, le Premier ministre annonçait une reprise à 100 % à la mi-janvier. Puis on a parlé d'une reprise à 50 %. Aujourd'hui, la jauge est à 20 % maximum. Comment s'y retrouver ? Les étudiants comme les enseignants et le personnel sont fatigués de ces incertitudes. Ils ne veulent plus de protocoles sans cesse remis à jour, mais des conditions stables.
Comment comprendre la différence entre les prépas et BTS et les universités ? Comment envisager son avenir quand l'enseignement est mis sous cloche ? Les étudiants se sentent lâchés par la génération du « il est interdit d'interdire ».
La jeunesse a besoin d'un cap et de la confiance du Gouvernement. Nous sommes victimes d'une gestion trop centralisée. Laissez une marge de manoeuvre aux universités pour établir des jauges adaptées. Dans nos 18,5 millions de mètres carrés universitaires, on peut sans doute accueillir plus de 20 % des étudiants...
Au-delà des mesures d'accompagnement annoncées par le Gouvernement, allez-vous donner la liberté aux acteurs du terrain, mieux armés que vous pour adapter l'organisation aux réalités ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)
Mme Vanina Paoli-Gagin . - Avant la crise sanitaire, la précarité étudiante était une réalité : un étudiant sur deux travaillait pour financer ses études et sa vie quotidienne. L'accès au logement, aux soins, à l'alimentation était déjà un défi quotidien.
La stratégie du Gouvernement était triple : augmentation des bourses sur critères sociaux, construction de logements universitaires et mobilisation des aides pour les situations d'urgence. Mais depuis le 14 mars, la fermeture des universités a changé la donne. La crise a multiplié et aggravé les situations de précarité. La moitié de ceux qui travaillaient ont perdu leur emploi et 31 % des étudiants ont connu une détresse psychologique lors du confinement.
Comment les futurs diplômés accèderont-ils à un stage ? Comment constitueront-ils un réseau professionnel ? Le risque de décrochage est grand en L1. Certes, l'apprentissage a vu ses effectifs augmenter, avec 500 000 contrats signés grâce au plan gouvernemental.
Les repas à 1 euro, l'accès au soutien psychologique ont aidé les étudiants... Mais le vrai sujet, c'est le retour aux cours en présentiel. L'émulation au sein des campus est essentielle. C'est une question de santé publique, comme le disait le Professeur Delfraissy. Quand les classes de prépa et BTS restent ouvertes, comment justifier les fermetures d'universités ? Fin janvier, le Président de la République a annoncé une reprise des cours en présentiel, mais de nombreux étudiants n'ont plus leur logement.
Des milliers d'enfants sont regroupés en maternelle et élémentaire, sans masque. De jeunes adultes sont capables de respecter les distances. Ne baissons pas les bras, trouvons des solutions de court et de long terme. Ces jeunes sont la richesse de la France de demain.
M. Thomas Dossus . - La détresse psychologique des étudiants a été sous-estimée. La série de restrictions entraînées par la crise sanitaire frappe durement la jeunesse : cantonnement dans des logements parfois vétustes, visioconférence, emploi perdu...
Mais la covid n'est pas la cause de tout : un million de jeunes vivent sous le seuil de pauvreté. La crise est aussi sociale et écologique.
Revalorisons les bourses et créons une allocation minimale. Rouvrons les universités avec des protocoles de crise adaptés aux campus. Trouvons des solutions pour ceux qui sont en détresse psychologique. Il faut de l'accompagnement humain.
Fin 2020, il y avait en France un psychologue universitaire pour 30 000 étudiants, contre un pour 7 000 en Autriche, un pour 4 000 en Australie et un pour 1 600 aux États-Unis. La recommandation internationale est d'un pour 1 000 à 1 500. Aucun pays ne l'atteint.
Le Gouvernement a annoncé le recrutement de psychologues pour parvenir à un pour 15 000. Très bien, mais on voit l'ampleur des besoins...
Le chèque psy correspond à trois séances gratuites chez le psychologue, mais nous manquons de personnel qualifié. Il faudrait recruter 520 psychologues pour arriver à un pour 4 000 étudiants, et suivre les 25 % d'étudiants ayant des pensées suicidaires.
Notre jeunesse est au bord du gouffre, ce qui appelle un plan massif d'investissement. Regardez la jeunesse en face, donnez-lui espoir ! (Applaudissements sur les travées du GEST)
M. Julien Bargeton . - La situation de la jeunesse est inquiétante, sa détresse est forte. Nous avons été frappés par les queues devant les distributions d'aide alimentaire comme par le nombre des suicides.
Nous nous accordons sur le constat, mais nous ne pouvons dire que le Gouvernement n'a pas pris de mesures puissantes. Sur la précarité alimentaire, il a mis en place le repas à 1 euro ; sur le problème psychologique, il a recruté des psychologues et instauré un chèque psy ; il a renforcé les aides sociales avec le gel des loyers des résidences étudiantes, le versement de 150 euros en décembre pour les boursiers ; enfin, il a décidé le retour en présentiel pour éviter l'isolement, notamment pour les étudiants en première et deuxième année, car la désocialisation pèse beaucoup sur le moral des étudiants. Certes, le retour doit être progressif et adapté à chaque établissement.
Hier, vous avez visité le restaurant universitaire de Mabillon à Paris. Vous avez vu comment chacun s'était adapté. Les étudiants de l'École du Louvre se rendent dans les salles du Louvre - ils sont les seuls ! - pour faire leurs travaux dirigés devant les oeuvres... Le présentiel doit se remettre en place progressivement.
Des médecins ou des enseignants demandent sur les plateaux de télévision un reconfinement, puis d'autres ou les mêmes demandent de tout rouvrir... Entendons ces paradoxes.
Accompagnons les étudiants. Comment aider les services à organiser ce retour en présentiel, à gérer la complexité de la coexistence entre étudiants présents et étudiants à distance ?
Les études sont fondamentales pour la construction de la vie. Selon Jean-Jacques Rousseau, la jeunesse est le moment d'étudier la sagesse, la vieillesse le moment de la pratiquer. Les études sont l'occasion de se projeter. Comment les étudiants seront-ils évalués ? Ils s'interrogent sur les critères de notation aux examens.
Nous devons apprendre de cette crise pour améliorer le soutien psychologique aux étudiants et la structuration à long terme des aides sociales.
Mme Nathalie Delattre . - Lundi 1er février, madame la ministre, nous vous avons reçue sur le domaine universitaire de Bordeaux, à l'occasion du retour de quelques étudiants, sur un campus désert. C'était encourageant. Mais beaucoup de jeunes n'ont pas eu les moyens de continuer à louer un appartement et à assumer le coût de la vie des grandes villes.
Un retour en présentiel doit se préparer, sauf à créer de nouvelles difficultés. C'est avec les étudiants que vous devez construire les conditions de leur retour. Ils n'ont jamais été aussi conscients des problèmes, mais jamais aussi exclus. Que devient votre projet de société dans l'épreuve ?
Je citerai deux chiffres : 64, c'est le nombre de décès des 18-44 ans dus au Covid ; 85 ans, c'est l'âge médian des décès. Nous ne pouvons plus justifier de mettre sous cloche nos jeunes.
M. Loïc Hervé. - Exact !
Mme Nathalie Delattre. - Ils ont participé à l'effort, mais au prix de quels renoncements ! Nous leur en sommes reconnaissants. N'affectons pas leur résilience. Nous allons effriter leur énergie, leur capacité à surmonter les crises. Ne les laissons pas dans l'éther d'un monde figé face au risque, faisons-les revenir dans le réel étrange, ils peuvent l'affronter.
L'accompagnement psychologique est indispensable. Le modèle des sentinelles destinées à détecter les signaux faibles de détresse est bon, mais insuffisant. Il faut renforcer l'accompagnement psychologique : une seule psychologue à Bordeaux, c'est insuffisant.
Notre jeunesse est paupérisée et souffre de la suppression des événements festifs et culturels. Pourquoi ne pas créer un chèque jeune Covid-19 pour les remercier de leur sacrifice ? Cette solidarité nationale, nous la leur devons. (Applaudissements sur les travées du RDSE)
M. Pierre Ouzoulias . - Samedi, à Bagneux, je participais à une collecte alimentaire pour les étudiants. Des personnes modestes, prises de pitié, offraient quelque chose. Une femme au maigre panier nous a remis un paquet de pâtes tout en se demandant comment quelqu'un qui fait des études peut ne pas manger à sa faim.
En novembre 2019, dans la loi de finances rectificatives, le Gouvernement a supprimé 35 millions d'euros de crédits du programme « Vie étudiante ». En 2018 et 2019, 100 millions d'euros de crédits votés par le Parlement n'ont pas été affectés à la vie étudiante.
Lors des quatre lois de finances rectificatives de 2020, j'ai déposé des amendements pour augmenter en urgence les moyens de l'aide étudiante. M. Darmanin m'a expliqué qu'il n'y avait pas besoin de crédits supplémentaires. Le « Quoi qu'il en coûte » a ignoré la détresse des jeunes.
Dans la loi de programmation pour la recherche, l'université n'a bénéficié d'aucune aide supplémentaire, comme si les étudiants d'aujourd'hui n'étaient pas les chercheurs de demain !
La pandémie n'est pas seule en cause et la carence des universités s'explique par vingt années de non-investissement de l'État, bloquant les établissements dans un engrenage malthusien, entre la hausse du nombre d'étudiants et la stagnation des budgets.
Le budget moyen correspondant à chaque étudiant à l'université ne cesse de diminuer. Il passera cette année sous les 10 000 euros, contre 16 000 euros pour un élève de classe préparatoire. C'est votre choix politique...
L'État se désengage. L'université n'est pas une priorité de votre Gouvernement. Les premières victimes sont les étudiants qui souffrent d'une paupérisation dramatique et d'une absence de vie sociale.
Avant la crise, 40 % des étudiants travaillaient pour vivre mais 60 % ont été privés de leur emploi. Les étudiants n'en peuvent plus de souffrir de la faim et de l'isolement.
Votre Gouvernement n'a pas de projet pour eux. J'emprunte ma conclusion à un étudiant interrogé par La Croix (Marques d'approbation sur les travées du groupe UC) : « La vraie honte, c'est de voir tant d'étudiants peinant à se nourrir alors qu'en se formant ils créent la richesse de demain ».
M. Pierre-Antoine Levi . - « On veut un amphi, pas un psy », crient les étudiants, après un an d'université en mode très dégradé.
Il y a un mois, je vous interrogeais sur la détresse des étudiants. Vous m'aviez répondu que les universités n'étaient pas fermées. Certes, mais il n'y avait pas de cours. Cette génération sacrifiée, ou du moins génération distancielle, subit les 3D : décrochage, détresse, désenchantement.
Décrochage, car au bout d'un an, l'apprentissage à distance n'est plus supportable - a fortiori quand la connexion saute - et certains abandonnent, même en master.
Détresse psychologique car depuis un an, la vie sociale estudiantine est fantomatique. Détresse financière aussi : il n'y a plus de jobs étudiants, plus de petits boulots.
Nous ne pouvons que nous féliciter du repas à 1 euro mais tous les étudiants ne vivent pas à proximité d'un Crous. Pourquoi pas un ticket-restaurant étudiant, comme le propose l'UNI ?
Désenchantement, car beaucoup s'interrogent sur la valeur de leur diplôme. Le label « examen passé en présentiel » introduit une disparité entre universités pour un même diplôme. Ils vont entrer sur un marché du travail en crise, où les perspectives d'évolution sociale grâce aux études supérieures s'amenuisent.
Il faut agir vite et fort. Les mesures actuelles ne suffisent plus. Je salue la décision du président Lafon de créer une mission d'information sur les conditions de vie étudiante ; nous en attendons beaucoup. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
M. Loïc Hervé. - Très bien.
Mme Sylvie Robert . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Dès juin, la sociologue Anne Lambert alertait sur la gravité de la crise pour les jeunes : elle décuple les inégalités qui les frappent. On a longtemps pensé que la jeunesse pourrait ouvrir l'éventail de la reproduction sociale et élargir l'espace des possibles. Cette illusion tombe.
Notre groupe appelait déjà l'été dernier à une réponse massive des pouvoirs publics pour aider les plus précaires. Nous pressentions l'impact de la crise. Les effets sont désormais visibles.
Il existe une continuité du malaise étudiant, mais l'ampleur est telle que l'on peut plutôt parler de détresse.
La rupture académique peut encore être évitée en sauvant le second semestre, en permettant à tous les étudiants d'être au maximum en présentiel. La jauge de 20 % est un premier pas, mais ce ne doit pas être le dernier. Nous recommandons d'élaborer dès à présent des scenarii pour un retour progressif à 50 %. Certains étudiants n'ont encore jamais vu leur professeur... Il faut leur donner des perspectives et une visibilité.
Les établissements pourraient adapter les protocoles aux situations spécifiques de chaque campus. Madame la ministre, faites-leur confiance ! Toute souplesse supplémentaire, toute heure de cours en présentiel est précieuse. La « course contre la montre » n'est pas seulement contre le virus, mais aussi contre le décrochage.
Les étudiants ont besoin d'un cadre stabilisé pour les évaluations, qui soit protecteur et rassurant. Il faut aussi trouver une compensation aux stages qui n'ont pu être réalisés et soutenir les enseignants-chercheurs qui ont mis entre parenthèses leurs travaux de recherche.
La précarité étudiante est alarmante et inacceptable. Voyez ces files d'attente aux épiceries solidaires ! La précarité menstruelle toucherait une étudiante sur trois.
Deux publics sont très vulnérables : les étudiants internationaux, avec le problème des titres de séjour, et ceux dont les familles sont justes au-dessus des seuils ouvrant droit aux aides.
Si les aides ponctuelles sont bienvenues, elles n'apportent pas une réponse synoptique au défi de l'accompagnement sur le temps long. Vous aviez supprimé l'aide à la recherche du premier emploi créée sous François Hollande ; je constate que vous y revenez...
Les lourdeurs administratives peuvent limiter le recours aux aides d'urgence. Il est urgent de simplifier, de renforcer les équipes des Crous et des services de santé universitaire.
Il y a deux priorités à court terme : revaloriser les bourses et simplifier les procédures ; suspendre sans délai la réforme des APL, en particulier pour les étudiants en contrat de professionnalisation.
À plus long terme, nous réitérons notre demande d'ouvrir le bénéfice du RSA dès 18 ans, objet d'une proposition de loi de notre groupe, et de réfléchir à une allocation d'autonomie pour chaque jeune.
La rupture psychologique fait froid dans le dos : 800 000 étudiants seraient en souffrance psychologique, 11,4 % ont eu des idées suicidaires.
L'isolement et les difficultés financières, sociales, académiques fragilisent la santé mentale des étudiants. Notre système de soins a toujours été plus tourné vers le curatif, au détriment du préventif, et les lacunes de notre politique de prévention se font sentir.
Le « chèque psy » est une bonne chose mais il ne faut pas le limiter à trois consultations. La mise en place de tuteurs est bienvenue, mais doit être assouplie et simplifiée. L'obligation de dix à quinze heures de tutorat par semaine est sans doute trop lourde. Laissez plus de latitude aux universités, faites-leur confiance !
Notre jeunesse a accepté de mettre sa vie entre parenthèses pour protéger les plus vulnérables, nous lui sommes profondément redevables, et lui devons réparation. Cet esprit de responsabilité devra être le nôtre demain. (Applaudissements à gauche)
Mme Alexandra Borchio Fontimp . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Concertation, stabilité et cohérence, voilà ce dont a besoin l'université. Les efforts consentis par les étudiants sont immenses. Bien que peu vulnérables aux formes graves du Covid, ils sont soumis à des restrictions drastiques, entraînant pour beaucoup une grande précarité. À leur détresse s'ajoute l'incertitude face à l'avenir.
Les annonces récentes du Président de la République sont insuffisantes. Le manque d'anticipation plonge des milliers de jeunes dans le désarroi. Heureusement, les collectivités agissent. La région Sud et le département des Alpes-Maritimes sont mobilisés pour le bien-être des étudiants, la métropole Nice-Côte d'Azur présente de nouvelles actions, le village de Gilette a organisé une collecte...
Je souhaite une offre de vaccination pour les volontaires.
L'apprentissage passe avant tout par l'interaction entre professeurs et étudiants ; couper ce lien, c'est saper leur motivation. Les cours à distance doivent être limités et le présentiel être porté à 50 %. Les étudiants en prépa, en BTS et à l'université n'ont pas les mêmes conditions d'études. Pourquoi ? Cette différence de traitement suscite l'incompréhension. Cessons d'infantiliser et de sacrifier cette génération !
La pandémie nous oblige à repenser l'université dans son ensemble. L'urgence est absolue et nous devons investir sur le long terme.
Je suis favorable à plus d'autonomie pour les universités. Chaque filière a sa spécificité, ce qui suppose de la flexibilité. Faites cesser cette vague délétère de circulaires et présentez enfin une stratégie de long terme ! L'inconstance ne peut être le seul gouvernail. Il faut préparer dès à présent la rentrée prochaine et réfléchir à un plan de restructuration de l'enseignement supérieur.
L'effet de masse lié aux excellents résultats en licence interroge les modalités de sélection à l'entrée en master. Des pistes de réflexion existent, étudiez-les.
La crise sanitaire invite à l'humilité. Les établissements ont su assurer, dans des conditions difficiles, la continuité de leurs missions.
La France gagnerait à se réconcilier avec les acteurs des territoires et à accepter la différenciation. Connaissance et reconnaissance vont de pair. Le chantier est immense : il réclame de l'anticipation, de la cohérence et des moyens à la hauteur de l'enjeu. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Victoire Jasmin applaudit également.)
M. Jean Hingray . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) « On veut un amphi, pas un psy ! » dit mon collègue Levi. Je pourrais ajouter : « On veut un vaccin, c'est plus sain. » (Sourires) Il faut rouvrir les amphis. Trop de destins, trop d'avenirs sont en jeu. Tant de talents sont en pause prolongée. Tous en souffrance, beaucoup à l'agonie, précarisés, désorbités, sacrifiés.
On préfère faire l'aumône d'un psy plutôt qu'offrir un vaccin. Le serment d'Hippocrate ne distingue pas entre un octogénaire et un jeune. Mais constitue-t-il l'alpha et l'omega de notre politique ? Ne sommes-nous pas face à une non-assistance à génération en danger ?
De grands médecins - Didier Sicard, ancien président du Comité consultatif d'éthique, ou le professeur Jean-Luc Dumas - proposent une stratégie de vaccination des étudiants, d'autant plus pertinente que le vaccin AstraZeneca ne semble pas adapté aux plus de 65 ans. L'Agence du médicament italienne recommande ainsi de le réserver aux 18-55 ans. Qui nous reprocherait de lancer la vaccination des étudiants ? Ni eux, ni leurs familles, ni le monde économique. Qui ne nous le reprocherait pas, si nous ne le faisions pas ? Ce serait renvoyer notre avenir aux quatre coins de l'Hexagone, façon puzzle. (On apprécie.)
Si le distanciel est devenu une consigne, luttons de toutes nos forces pour que le présentiel demeure un acquis. C'est aussi la condition de la santé mentale de toute une génération en danger.
La raison et la science nous laissent espérer. Ne laissons pas nos jeunes dans les limbes, morts-vivants dans l'antichambre de la vie. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; Mme Victoire Jasmin applaudit également.)
M. Jacques Grosperrin . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le malaise grandissant des étudiants inquiète. La précarité, l'anxiété générée par la situation ont des conséquences délétères sur la santé mentale, et elles sont accentuées par l'isolement et les cours à distance. Les signaux de détresse et de souffrance psychologique se multiplient.
Près de six jeunes sur dix ont perdu leur job étudiant, beaucoup ont dû arrêter leurs études. Les images des files d'attente pour l'aide alimentaire ont choqué.
Insuffisamment écoutés, les jeunes voient leur horizon s'obscurcir. Malgré les alertes, la prise en compte a été tardive et insuffisante.
Tant que le virus n'aura pas été éradiqué, il ne faudra abandonner personne. Pour les jeunes, la vie sociale est essentielle.
Les dernières mesures du Gouvernement - chèque psy, repas à 1 euro au Crous avec un protocole sanitaire renforcé - vont dans le bon sens. Je ne néglige pas non plus les autres aides.
La présidente de l'université de Franche-Comté évoque dans un courrier (L'orateur montre le document.) le désespoir des étudiants et s'interroge sur la différence de traitement entre les étudiants des universités et ceux des classes préparatoires et BTS.
Donnons priorité aux échelons locaux de proximité les plus aptes à prendre en compte les difficultés sociales des étudiants. Régions, départements, villes ont un rôle à jouer. Nous avons besoin de solidarités territoriales de proximité.
Les incompréhensions entre État et territoires doivent être levées, un calendrier de reprise des cours fixé, avec des campagnes volontaires de test et de vaccination.
Cette génération est précieuse. La vaccination doit être effective pour tous les étudiants.
Donnons la priorité aux collectivités territoriales pour agir sur l'emploi, la formation, les stages. Donnons la priorité aux universités pour proposer des solutions adaptées, en autonomie. Enfin, donnons la priorité à la réflexion sur les critères d'attribution des bourses, sans idéologie et sans tabou. Chaque étudiant doit pouvoir vivre dignement dans ses études et non de ses études ; sachons tirer les enseignements des comparaisons internationales. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation . - Je tiens à vous remercier pour ce débat ; je suis très heureuse que l'avenir des étudiants intéresse le Sénat.
Leurs difficultés ont été prises en compte dès le premier confinement. Étudiants et enseignants nous ont alertés. Dès l'été, les universités ont préparé la rentrée. Je tiens à rendre hommage à tous les personnels.
À l'âge où l'on rêve de tous les possibles, il est difficile de voir l'avenir se réduire à un écran. Les étudiants ont besoin de retrouver du lien humain, avec leurs camarades mais aussi avec leurs professeurs, qui ont, eux aussi, besoin du regard des étudiants.
La rentrée a été marquée par l'incertitude sur les conditions sanitaires. Les établissements ont travaillé sur une reprise, en présentiel pour quelques semaines, puis en demi-jauge quand des clusters sont apparus - et quand certains ont cru bon de vilipender les universités et d'accuser la jeunesse de transmettre le virus.
Ceux qui ont fréquenté un campus savent combien la vie y est différente de celle du lycée. Oui, les étudiants dans les lycées ont continué à bénéficier de cours en présentiel, au moins à 50 %. C'est déjà ça ! Les photos, les réseaux sociaux, les #BalanceTaFac ont installé l'idée que la fac était un lieu de contamination.
Le Gouvernement a néanmoins refusé la fermeture des établissements : des étudiants ont pu continuer à bénéficier des bibliothèques universitaires, des salles de ressources, à suivre certains travaux pratiques en présentiel. Ils étaient 7 ou 8 %, mais cela valait la peine de ne pas fermer.
En novembre, nous avons conçu des protocoles sanitaires adaptés à toutes les situations. Première étape, début janvier : faire revenir les étudiants les plus fragiles ; il était essentiel, surtout pour les étudiants ultramarins ou internationaux, de voir d'autres étudiants, de travailler en petits groupes, avec des tuteurs.
Le besoin de créer des liens s'exprime ensuite majoritairement pour les primo-entrants, qui viennent d'autres régions ou d'autres pays : c'était la deuxième étape.
Troisième étape : faire revenir tous les publics étudiants sur les campus ; c'était chose faite le 8 février.
Tous ces protocoles ont été co-construits avec les établissements.
Le corpus enseignant, l'administration ont su se mobiliser pour faire revenir les étudiants, qui sont notre boussole et notre priorité.
Il y a dans les établissements une partie du personnel qui préfère rester en télétravail ; des étudiants qui sont revenus au foyer familial, qui préfèrent étudier à distance. C'est un défi pour les établissements que de les identifier.
Le taux de présence aux examens est resté le même qu'au premier semestre 2019-2020 : le système a tenu, les enseignants, les tuteurs ont joué leur rôle. Certes, tout n'est pas parfait mais il faut saluer ce travail, il faut aussi saluer ces étudiants qui ne demandent qu'à aider.
Monsieur Hingray, les vaccins protègent individuellement - heureusement, les jeunes développent très rarement des formes graves de la maladie - mais nous ne savons pas, à ce stade, s'ils protègent de la transmission et donc s'il serait pertinent de vacciner les jeunes.
Les difficultés économiques des étudiants ne datent pas d'hier, mais la crise les a amplifiées avec la perte des petits jobs. Ceux qui avaient un contrat de travail ont été accompagnés comme les autres salariés. Ceux qui étaient en contrat d'apprentissage ou en contrat de professionnalisation ont vu leur contrat maintenu, et le nombre d'apprentis n'a pas baissé.
Les étudiants internationaux, dont certains ne sont pas rentrés chez eux à l'été, sont en grande difficulté. Dès le mois de juin, nous avons augmenté les bourses sur critères sociaux, gelé les loyers des résidences universitaires et les frais d'inscription, doublé les fonds d'aide d'urgence en simplifiant les procédures. Ces aides s'adressent à tous les étudiants et peuvent aller jusqu'à 5 000 euros par an ; les directeurs de Crous peuvent débloquer 500 euros sans examen en amont du dossier.
Quelque 750 000 des 2,7 millions d'étudiants sont boursiers et ont bénéficié d'une aide ponctuelle en décembre.
Oui, monsieur Grosperrin, nous avons besoin de stages. Cela se fait sur le terrain, en lien avec les associations d'élus, les organisations patronales ; nous en créons dans les administrations, c'est notre prochain défi.
Nous avons aussi créé des emplois étudiants dans les Crous et les universités. Au cours de notre visite à Bordeaux, nous avons rencontré les étudiants sentinelles, les étudiants référents, les étudiants tuteurs.
Tout cela permet l'accompagnement des étudiants sur le terrain, tout en palliant l'absence de jobs.
Nous modifions les règles du service civique, toujours dans un souci de simplification.
Alors que le couvre-feu est généralisé, nous faisons revenir les étudiants à l'université ; nous avons mis en place des protocoles sanitaires dans les restos U. C'est cela, le dernier kilomètre. En créant les repas à 1 euro, il fallait donner aux étudiants la possibilité de les consommer sur place : nous avons ouvert une centaine de restos U en quelques jours. Il est également possible d'emporter des repas pour le week-end.
Arrêtons d'opposer l'action des Crous et celle des associations étudiantes, que nous soutenons pour ouvrir, par exemple, les épiceries solidaires qui sont aussi créatrices de lien social. La région Bretagne a confié au Crous des fonds pour augmenter l'aide alimentaire, le soutien psychologique et l'accompagnement financier. Avançons tous ensemble pour la jeunesse de notre pays !
La première réponse à la souffrance psychologique était de faire revenir les étudiants. Nous le faisons, alors qu'il y a beaucoup d'inconnues. Regardez ce qui se passe en Europe et dans le monde ! Qui peut prédire ce qu'il en sera dans les semaines à venir ? L'incertitude crée du stress, c'est vrai pour tous nos concitoyens, et encore plus à l'âge où l'on se construit.
Les tuteurs, les étudiants référents, les étudiants sentinelles, c'est de l'accompagnement pour les jeunes : de l'avis de tous, l'accompagnement par les pairs est ce qui fonctionne le mieux. À chaque demande, une réponse adaptée. Il ne faut pas forcément tout médicaliser. Le parcours de soins a été pensé avec des fédérations de psychologues ; tous les professionnels de santé se mobilisent, dans les établissements ou en ville.
Dans les Alpes-Maritimes, en faisant appel aux services de la ville, de l'université, au bureau d'aide psychologique universitaire, au Crous, au CHU, on arrive à mobiliser vingt psychologues pour un campus de 30 000 étudiants.
Pourquoi trois séances sans frais ? C'est ce qu'ont recommandé les spécialistes. Après ces trois séances, soit l'étudiant va mieux, soit il doit poursuivre le parcours de soins, au besoin en psychiatrie. Je fais confiance aux établissements, aux maires des villes universitaires, aux professionnels de santé, parce que tous veulent le bien des étudiants.
J'ai entendu des inexactitudes. Le coût des études a baissé depuis 2017. N'oubliez pas la suppression de la cotisation de sécurité sociale, le doublement des bourses sur des critères sociaux...
Monsieur Ouzoulias, je vous sais profondément honnête. Le budget de la vie étudiante est un budget de guichet : s'il avait fallu rajouter des crédits, nous l'aurions fait. Le programme a été régulièrement abondé en PLFR et il le sera autant que nécessaire.
C'est vrai qu'il y a eu un sous-investissement dans l'université. Le plan Étudiants réinvestit un milliard d'euros dans le premier cycle. Pour l'entretien des bâtiments universitaires, 1,3 milliard d'euros ont été débloqués pour une mise aux normes d'ici 2022.
Ce qui se passe dans le monde universitaire est ma préoccupation quotidienne. Non, cette génération n'est pas sacrifiée ! Ne la démoralisons pas, ne traitons pas les étudiants de morts-vivants ! Faisons-leur confiance, aidons ceux qui en ont besoin. Pour que notre jeunesse garde confiance, ayons nous-mêmes confiance dans notre système d'enseignement supérieur. (MM. Julien Bargeton et Jacques Grosperrin applaudissent.)
La séance est suspendue à 20 h 30.
présidence de Mme Pascale Gruny, vice-président
La séance reprend à 22 heures.
« Respect des libertés publiques, protection de la vie privée : un nécessaire état des lieux des fichiers dans notre pays »
Mme le président. - L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : « Respect des libertés publiques, protection de la vie privée : un nécessaire état des lieux des fichiers dans notre pays », à la demande du groupe CRCE.
Mme Éliane Assassi, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste . - La pratique du fichage est ancienne mais elle se modifie et se banalise. La France a longtemps protégé la vie privée mais ces droits se sont effacés devant la multiplication des fichiers jugés nécessaires. En octobre 2018, un rapport de l'Assemblée nationale dénombrait 106 fichiers de police, contre 58 en 2009.
L'usage des fichiers à des fins de gestion administrative vise la maîtrise des coûts, l'évaluation de l'activité des agents avec la généralisation des objectifs chiffrés, ainsi que le contrôle social.
La création en 1978 du fichier Safari a entraîné la création d'un garde-fou, la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL). En 2008, la création des fichiers Edvige et Base Élève a provoqué une levée de boucliers.
Aujourd'hui, la multiplication des fichiers sans contrôle parlementaire se fait dans l'apathie générale. Pire, on accumule ces données dans une logique prédictive et non préventive. Les fichiers sont pourtant une maltraitance, une déshumanisation. Ils ne prennent pas en compte la singularité, la spécificité ni la complexité humaine. On confie des tâches à des machines et non plus à des personnes douées de conscience, de savoir-faire, de capacité de compréhension.
Le fichier Pôle emploi, créé pour les demandeurs d'emploi, sert maintenant à traquer les chômeurs et à accélérer leur radiation. C'est une maltraitance, qui objectivise et déshumanise.
Et que dire d'un fichier des personnes vaccinées plutôt que d'un fichier des vaccins ?
Il y a une chosification des gens, une volonté de normer les comportements. On ne pose plus des interdits, on impose un comportement. Le fichage des manifestants et des syndicalistes traduit la volonté de contrôler les personnes. Se savoir fiché ou surveillé empêche l'action, la pensée et donc l'expression de la démocratie. Cela nous inquiète.
Les critères retenus dans les fichiers de police de suspicion, de culpabilité et de dangerosité sont incertains ; ils peuvent même violer la présomption d'innocence et sont parfois faux en cas de manque d'actualisation ou d'erreur de saisie - une victime peut devenir auteur... - et ces erreurs se propagent au gré des interconnexions entre fichiers qui complexifient le droit à la rectification.
Peu à peu, le droit à la sécurité a pris le pas sur le droit à la sûreté. Il ne s'agit plus de protéger le citoyen, y compris contre l'État, mais de prédire des menaces. Nous sommes loin du droit à la sûreté des articles 2 et 7 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
Pas un mois sans qu'une nouvelle idée de fichage ne sorte du ministère de l'Intérieur. En février 2020, c'était Gendnote, une application qui facilite la collecte de photos et d'informations sensibles et leur transfert vers des fichiers extérieurs, tel que le traitement d'antécédents judiciaires (TAJ), qui permet la reconnaissance faciale.
Le fichier système de contrôle automatisé (SCA), créé pour les délits routiers, sert désormais de base pour traquer le non-respect du confinement. Que dire aussi de la multiplication des drones ? Cette multiplication des fichiers de police se fait dans l'opacité et brouille la répartition des compétences entre exécutif et Parlement.
Le Gouvernement peut créer un fichier soit par la voie réglementaire, soit par la voie législative : rien n'interdit de créer un nouveau fichier de police par décret ou arrêté, sans contrôle du Parlement. Cela doit changer. En 2019, 27 % des fichiers ne faisaient l'objet ni d'autorisation légale ou réglementaire, ni de déclaration à la CNIL. Qu'en est-il aujourd'hui ?
Le Gouvernement a publié plusieurs décrets pour autoriser l'identification automatique et massive des manifestants, voire la reconnaissance faciale. Cette autorisation s'est passée de tout débat démocratique, comme le souligne La Quadrature du net.
C'est encore par voie réglementaire que le 4 décembre 2020, trois décrets ont étendu des fichiers créés sous Nicolas Sarkozy sur la prévention des atteintes à la sécurité publique, la gestion de l'information des atteintes à la sécurité publique et la tenue d'enquêtes administratives. Les services de police pourront recueillir des éléments sur les opinions de toutes sortes de personnes surveillées, ainsi que des données de santé ou des activités sur les réseaux sociaux.
Le groupe de soutien et d'information des immigrés (Gisti) nous alerte sur le large champ des personnes concernées. Adhérer à un syndicat pose-t-il des questions de sécurité ? Quid des opinions politiques, religieuses, philosophiques ? En 2011, une personne sur dix était fichée... Qu'en est-il aujourd'hui ? Qu'en sera-t-il demain ?
Pire, les fichiers pourront aussi concerner des personnes morales ou des groupements.
On observe enfin une extension du domaine de la fiche. Désormais, si nécessaire, chaque membre de l'entourage de la personne dangereuse pourra être fiché, même un enfant de moins de 13 ans.
En 1983, Mireille Delmas-Marty écrivait que l'État autoritaire n'était pas nouveau mais que sa façon d'être autoritaire avait changé : elle est désormais « grise et pénétrante », dans « chaque repli de la vie », et est « confusément acceptée ». Pour reprendre ses mots, ne laissons pas l'exigence de sécurité briser le rêve de liberté. (Mme Cathy Apourceau-Poly et Mme Esther Benbassa applaudissent.)
M. Max Brisson . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Ce sujet n'est pas dû au hasard : le 4 décembre 2020, trois décrets ont été publiés qui ont suscité de fortes inquiétudes parmi les associations de défense des libertés. Ces dernières redoutent qu'une nouvelle étape soit franchie en matière de surveillance de masse de nos concitoyens.
Mais prenons un peu de recul. Souvenons-nous du « bertillonnage » au XIXe siècle pour rationaliser les méthodes policières avec des données corporelles. Il n'est pas incongru que les progrès techniques changent la nature des fichiers de sécurité publique utilisés. Le nouveau cadre juridique fixé en décembre dernier était nécessaire. Ces fichiers visent la protection des intérêts fondamentaux de la Nation. Ne soyons pas naïfs : la menace terroriste est toujours bien présente.
Le 23 décembre, le Conseil d'État a jugé que ces fichiers ne portaient pas d'atteintes disproportionnées aux libertés publiques. Dès lors, je crains que certains d'entre nous prennent pour de la peur ce qui est en fait une angoisse. Une peur porte sur un objet précis, l'angoisse est une inquiétude vague, « la réalité de la liberté, parce qu'elle en est le possible », selon Soren Kierkegaard.
Plutôt que de nourrir une crainte démesurée chez les Français, nous devons montrer notre confiance dans nos forces de sécurité et leur professionnalisme. Si problème il y a, la justice pénale est là.
La confiance ne nous interdit cependant pas de nous interroger.
Sur le fichier des enquêtes administratives liées à la sécurité publique, le Gouvernement avait répondu à une question écrite que des garanties renforcées étaient prévues : ce ne sont pas les opinions des personnes, mais les seules activités qui sont inscrites. Ce n'est désormais plus le cas et la collecte pourrait ainsi se révéler plus attentatoire aux libertés qu'auparavant. Les agents candidats à un recrutement qui n'ont pas le statut de fonctionnaire bénéficient-ils des mêmes garanties que les fonctionnaires titulaires ?
En outre, qu'en est-il de l'interconnexion entre fichiers ou bases de données ? Cela n'est pas sans incidence sur la vie privée, le droit à l'oubli ou la présomption d'innocence.
La fiabilité des fichiers est un gage de confiance entre l'État et les citoyens. Quelles garanties avons-nous sur les éventuelles erreurs de saisie ? Telles sont les questions de mon groupe, et je vous remercie, madame la ministre, de bien vouloir y répondre. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Pierre-Jean Verzelen . - Je remercie le groupe CRCE d'avoir inscrit ce débat à l'ordre du jour et je souscris à son intitulé. Les garde-fous et les limites à poser interrogent en effet. Mais nous ne parlons peut-être pas des mêmes fichiers ni ne poursuivons les mêmes objectifs.
Le 4 décembre, trois décrets ont été publiés à la demande de la CNIL. Il s'agissait d'une régularisation portant sur des fichiers qui existaient déjà. Certains termes sont modifiés et des données supplémentaires sont intégrées. Le Conseil d'État a rendu un avis positif en amont et a confirmé sa position après la publication des décrets. Il s'agit de permettre à ceux qui nous protègent d'avoir des informations précises sur des personnes susceptibles de porter atteinte à l'intégrité de notre territoire ou à nos institutions. De combien de personnes s'agit-il, madame la ministre ?
Le rôle d'un État, c'est de maintenir l'ordre public, de protéger les citoyens et d'essayer d'empêcher le pire. Nous sommes exposés au terrorisme islamique, aux fanatiques et aux extrémistes : or, bien souvent, nous ne souffrons pas d'un excès d'informations mais plutôt d'un manque de renseignements précis !
En ce qui concerne la protection de la vie privée, j'aimerais connaître les fichiers dont Google, Amazon et Instagram disposent nous concernant : quelles informations ? Quel stockage ? Vendues à qui ? C'est un enjeu essentiel de notre société : nous verrons si la politique peut enfin réguler les GAFA. (M. Loïc Hervé applaudit.)
M. Paul Toussaint Parigi . - Comme dans le reste du monde, la lutte contre la pandémie en France s'est traduite par une limitation des libertés publiques d'une ampleur inconnue hors période de guerre. Sur ce régime de sécurité sanitaire s'est greffé un régime de confiscation de nos droits. Il aurait fallu porter une attention vigilante à l'équilibre subtil des piliers de la démocratie, à la juste proportionnalité entre sécurité des citoyens et garantie des libertés fondamentales. C'est un paysage ambivalent que nous voyons se dessiner, un panoptique géant.
L'emballement des réponses sécuritaires nourrit ceux qui veulent ébrécher les fondements même de la démocratie. C'est dans ce contexte que vous avez publié trois décrets élargissant les possibilités de fichage et de collecte de l'information. Ces données sur les personnes physiques relèvent d'une intrusion inédite dans la vie privée, en relevant les convictions politiques, philosophiques et religieuses.
Vous avez ainsi permis le recensement des opinions : c'est un acte politique gravissime, une intrusion policière dans l'intime ! La CNIL a dénoncé le flou de ces fichiers, d'autant que toute la population est visée.
Cela préfigure une société gouvernée par la peur, dans laquelle les citoyens seraient privés du droit de penser, de contester, et qui verraient leurs vies exposées sans limite à la surveillance des forces de l'ordre. « La liberté est le droit de faire ce que les lois permettent », écrivait Montesquieu mais nous tombons aujourd'hui dans une société du contrôle, le terreau du totalitarisme.
Cela n'est pas là notre idée de la démocratie, autour des principes républicains de liberté, d'égalité et de fraternité. Il est des actes que nous devons collectivement refuser au nom de notre histoire à tous. Le ferment de la liberté est celui de notre humanité. Vous érigez là notre futur asservissement.
Michel Foucault écrivait en 1975, dans Surveiller et punir, que le simple fait de se savoir surveillé entraînait une forme d'obéissance, l'État ayant alors le monopole de la surveillance légitime.
Nous vous demandons, madame la ministre, l'abrogation de ces décrets. Les véritables partisans de l'ordre sont aussi ceux des libertés. Nous voulons croire que vous en faites partie. (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe CRCE)
Mme Nicole Duranton . - L'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 préfigurait la protection de la vie privée, ensuite affirmée en 1948 à l'article 12 de la Déclaration universelle des droits de l'homme.
L'article 9 du code civil dispose que toute personne a droit au respect de sa vie privée.
Trois décrets pris le 2 décembre 2020 ont fait polémique, d'où ce débat. Ils concernent trois types de fichiers qui relèvent des services de police. Contrairement à d'autres, ces fichiers ont ainsi fait l'objet d'une information du Parlement et des citoyens...
La CNIL définit un fichier comme un traitement de données qui s'organise dans un ensemble stable et structuré. La loi sur la protection des données personnelles du 20 juin 2018 a validé un cadre pour les fichiers. Le Conseil d'État a donné ici un avis favorable : ce contrôle a priori a permis de les valider. Quid du contrôle a posteriori ? Des associations ont demandé au Conseil d'État de supprimer ces décrets, ce qu'il a écarté, jugeant que la collecte et l'accès aux données sont limités au strict nécessaire et ne portent pas atteinte aux libertés de conscience, d'opinion politique, religieuse, syndicale. Respectons la décision du Conseil d'État, d'autant que la CNIL vérifie la bonne utilisation de ces fichiers.
Les trois fichiers concernent 50 000 personnes contre 19 millions pour les fichiers de traitement des antécédents judiciaires.
Au-delà de ces trois fichiers, la pratique de la collecte de données en englobe beaucoup d'autres que nous connaissons tous. Rappelons-nous l'abandon du projet Edvige en 2008 : il est en effet important de disposer de fichiers distincts, afin de garantir les libertés individuelles. Chaque service de sécurité publique a accès à certains fichiers pour un objectif précis mais pas à d'autres.
Banques, assurances, et désormais Gafam détiennent souvent des informations bien plus détaillées que les fichiers publics. Face à cette évolution, il est essentiel d'étendre le domaine du droit et de créer des outils pour que le respect de la vie privée soit effectif. En novembre 2010, la Commission européenne avait posé le droit à l'oubli comme l'une des « valeurs et comme un droit fondamental de l'Europe ».
Les trois fichiers dont nous parlons ne sont pas des fichiers d'opinions : ils permettent d'établir des liens entre des personnes menaçant la sécurité publique. Soyons vigilants mais aussi prudents dans la critique car des garde-fous ont été instaurés.
Mme Maryse Carrère . - Je remercie le groupe CRCE pour ce débat.
La France est dans un état d'urgence quasi-permanent depuis la nuit du 13 novembre 2015. Ces lois étaient nécessaires contre le terrorisme mais nous devons rester vigilants vis-à-vis de ces régimes d'exception qui sont hélas devenus la norme.
L'état d'urgence de 2015 s'est terminé en 2017 mais certaines dispositions sont passées dans le droit commun, comme la prééminence du juge administratif sur le judiciaire.
À la loi SILT s'est ajouté l'état d'urgence sanitaire, beaucoup plus sensible car l'ensemble de la population a vu ses libertés restreintes, notamment celle d'aller et venir, de se réunir ou d'entreprendre. Toute une vie est chamboulée depuis près d'un an, au rythme des confinements, des couvre-feux et des fermetures administratives.
Cette urgence sanitaire marque le renforcement du pouvoir du juge administratif et impose des mesures exceptionnelles comme les audiences à huis clos, le recours aux ordonnances ou le placement à l'isolement.
L'utilisation des données personnelles est un risque d'intrusion dans la vie privée. Ainsi, « StopCovid » a connu des débuts délicats car elle nécessitait d'être téléchargée à chaque fois et qu'elle collectait plus de données que prévu. La version « TousAntiCovid » a apporté en lisibilité. Mais le projet de modification du décret du 29 mai 2020 ajoute de nouvelles zones d'ombre sur cette application : je songe à la possibilité de scanner des QR codes pour entrer dans les lieux clos. Il est en outre prévu de lancer une collecte anonyme pour connaître le temps moyen d'utilisation du Bluetooth, le nombre de contacts croisés... Or nous ne connaissons pas le but de cette collecte.
M. Loïc Hervé. - Eh oui !
Mme Maryse Carrère. - Aujourd'hui, des millions de données sont collectées chaque jour sur nous.
Le RDSE est attaché aux libertés mais aussi sensible à la sécurité. Toute restriction de libertés doit être limitée dans le temps. N'intégrons pas de nouvelles mesures dans le droit commun. Chacun doit savoir où il est fiché, et pour quelles raisons.
Mme Cathy Apourceau-Poly . - Je souhaite revenir sur les dangers d'un fichage massif des syndicalistes et des militants, d'un fichage politique de nos concitoyens. Rappelons-nous la place essentielle des syndicats et du mouvement social, dans une démocratie digne de ce nom, alors que la France est considérée comme une démocratie défaillante car il y est de plus en plus difficile de manifester.
Pourtant la mission des syndicats est de défendre collectivement les salariés, de combattre des plans qui n'ont de sociaux que le nom, de lutter contre les licenciements indus et de sauvegarder notre système de protection sociale.
Pourtant, plusieurs syndicalistes ont été condamnés à des amendes et à des peines de prison pour leur activité syndicale. Ils sont fichés comme s'ils étaient de dangereux délinquants. Comment justifier que le fait d'adhérer à un syndicat puisse porter atteinte à la sécurité intérieure, à l'intégrité du territoire ou aux institutions de la République ? Comment justifier que le droit à revendiquer puisse être considéré comme criminel ?
Les données de santé de nos concitoyens, qui suscitent les convoitises, sont un enjeu particulièrement sensible car elles peuvent révéler bien des choses sur la personne.
Elles pourraient ainsi être utilisées à des fins de refus de prêt bancaire ou de couverture complémentaire en cas de maladie.
Or Ma Santé 2022 propose une centralisation des données de santé. Cela sort du cadre strict du cabinet du médecin. L'hébergement par Microsoft des données de 67 millions de personnes sur douze ans nous interpelle, même si finalement le délai ne serait que de deux ans. Pourquoi s'adresser à Microsoft, alors que le Conseil d'État estimait qu'il ne pouvait être totalement exclu que les autorités américaines demandent l'accès à ces données ?
L'anonymat des patients n'est en outre pas toujours garanti : employeurs, assureurs et banquiers pourraient demander l'accès à ces données. L'accord national interprofessionnel de 2013 sur les complémentaires santé a ouvert aux assureurs l'accès privé aux fichiers santé des salariés, d'où un risque pour le respect de la vie privée.
Émile Combes dû démissionner en 1905 après l'affaire des fiches sur les opinions politiques, syndicales et religieuses des officiers. La généralisation des fichiers dans la société impose transparence et démocratie ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)
M. Loïc Hervé . - Jamais en temps de paix nous n'aurons attenté à des libertés publiques aussi essentielles que la liberté d'aller et venir ou la liberté de commerce et d'industrie. Pour la bonne cause, comme dirait le Premier ministre : lutter contre une pandémie.
Ayons cependant toujours à coeur de préserver nos libertés démocratiques. Selon The Economist, elles ont régressé dans soixante-dix pays en 2020. Et la France est classée parmi les démocraties défaillantes.
Aussi je rends grâce au groupe CRCE pour ce débat. Ne nous laissons pas emporter par la séduction des accommodements raisonnables ou, pire, de l'accoutumance, mais demandons-nous toujours comment mieux protéger les libertés publiques, même quand nous luttons contre le terrorisme ou contre un virus.
Nous avons voté le droit pour l'administration fiscale de collecter des données. Certes, nous voulons une administration plus efficace, mais quid de la vie privée ?
Définie en 1948 par la Déclaration universelle des droits de l'homme, la protection de la vie privée a été réaffirmée à l'article 9 du code civil et précisée par des décisions du Conseil constitutionnel. Selon la loi Informatique et libertés de 1978, les fichiers rassemblant des données personnelles doivent faire l'objet d'un traitement spécifique.
Les fichiers de police et renseignements forment une catégorie à part, à la frontière entre répression et prévention. Nos concitoyens ont commencé à s'y intéresser par le prisme des fiches S, après les attentats terroristes de 2015. Efficaces pour identifier rapidement les auteurs, peuvent-elles être utilisées de manière préventive ?
L'utilisation de ces fichiers est strictement encadrée par un corpus juridique solide. Siégeant depuis six ans à la CNIL, je peux témoigner de son rôle en la matière, avec un contrôle préalable et un avis motivé sur chaque projet de fichier.
J'insiste toutefois sur le rôle incontournable du Parlement, notamment en ces temps où l'exécutif dispose de pouvoirs élargis.
Le texte Sécurité globale a été écrit sans étude d'impact ni avis du Conseil d'État. Pour la première fois, le président de la commission des lois du Sénat a saisi la CNIL ; celle-ci a répondu que les règles régissant l'usage des caméras aéroportées ne protégeaient pas suffisamment les données personnelles. Nous y serons attentifs, moi le premier en qualité de rapporteur du texte.
Le 4 janvier, le Conseil d'État, saisi en référé par des syndicats en raison d'un risque de surveillance de masse, a validé les trois décrets permettant de retracer les opinions politiques, les convictions religieuses et philosophiques et les appartenances syndicales. La terminologie retenue reprend celle du RGPD. La CNIL avait donné son accord à ces décrets qui visaient à lutter contre le terrorisme.
Sur presque tous les sujets, nous observons un recul sur les libertés publiques garanties par la Constitution. Plus que jamais, le rôle des magistrats et des autorités administratives indépendantes comme la CNIL est crucial. Nous serons toujours au rendez-vous pour protéger les libertés publiques et la vie privée : c'est le devoir et l'honneur du Sénat. (Applaudissements sur les travées du RDSE)
M. Jérôme Durain . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Je remercie le CRCE d'avoir demandé ce débat. Nous défendons tous les libertés publiques chères au Sénat.
Le groupe SER avait demandé l'audition du ministre de l'Intérieur dès le 11 décembre, ce que le président Buffet a accepté. Nous avons donc entendu le ministre le 12 janvier.
Chaque citoyen est fiché, souvent de son plein gré : qui n'a pas adhéré à un parti politique, créé un compte Google ou demandé sa carte de sécurité sociale ?
Nous avons tendance à être moins regardants vis-à-vis des fichiers privés que vis-à-vis des fichiers publics. C'est que rares sont les entreprises privées qui ont pris le contrôle d'un pays, tandis que les États disposent de leur police et de leurs prisons.
Certes, la lutte contre le terrorisme est importante, mais il faut accepter cet antagonisme entre des volontés divergentes : le ministre de l'Intérieur doit accepter que les citoyens soient réticents au fichage et les citoyens, que l'État veuille défendre leur sécurité. (M. Loïc Hervé renchérit.)
Lors de l'audition du ministre, j'avais regretté que ces fichiers entretiennent un climat malsain en donnant le sentiment de contrevenir aux libertés publiques. M. Darmanin m'avait répondu, un peu courroucé, qu'il ne pouvait laisser dire cela. Il me semble que le Gouvernement devrait toujours laisser les parlementaires dire tout ce qu'ils veulent. (M. Loïc Hervé le confirme.)
Selon M. Darmanin, le Conseil d'État et la CNIL ont validé ces fichiers, qui auraient même été conçus à la demande de cette dernière. Or Mme Marie-Laure Denis nous a fait part - c'est au compte rendu de la commission des lois - d'une évolution sémantique, les « activités politiques, religieuses, philosophiques et syndicales » étant devenues des « opinions politiques, des convictions philosophiques et religieuses et une appartenance syndicale », sans que la CNIL ait été consultée.
Marie-Laure Denis nous a aussi rappelé que l'avis de la CNIL ne validait ni n'invalidait les textes mais avait vocation à éclairer le pouvoir réglementaire ou le législateur, et qu'il appartenait au juge administratif de se prononcer sur la légalité des actes réglementaires.
Le Conseil d'État s'est prononcé en référé sans déceler de doutes sérieux sur la légalité du texte, mais examinera le fond ultérieurement. Le collège de la CNIL n'a pas été consulté. Peut-être le Gouvernement voudra-t-il répondre à ces éléments ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE ; M. Loïc Hervé applaudit également.)
M. Yves Bouloux . - Concilier droit individuel et droit de la société, liberté et ordre public n'est pas un problème récent. L'article 9 du code civil consacre le respect de la vie privée. Les trois décrets du 4 décembre 2020 ont fait l'objet d'une tribune dans Libération dans laquelle de nombreux élus de gauche et écologistes dénonçaient une atteinte démocratique et le mépris du Parlement.
Il est vrai que les parlementaires ont appris l'existence de ces décrets dans la presse après leur publication. C'est incompréhensible.
En juin 2008, le décret Edvige (Exploitation documentaire et valorisation de l'information générale) créait un fichage des personnes ayant un engagement politique, religieux ou syndical. Il fut heureusement retiré.
Aujourd'hui, avec les réseaux sociaux, chacun est fiché. Il semble plus facile de s'inscrire sur Facebook ou Instagram que de télécharger « TousAntiCovid ». (M. Loïc Hervé le confirme.)
La défiance vis-à-vis de l'État doit interpeller. L'État est de moins en moins capable de garantir la sécurité sans attenter aux libertés. La sécurité, rappelons-le, n'est pas une liberté mais une condition de son exercice.
Pourquoi ces fichiers interrogent-ils ? Parce qu'ils portent sur des opinions et des données de santé, et non des activités. Le fichier EASP (enquêtes administratives liées à la sécurité publique) est utilisé avant le recrutement de fonctionnaires sur des postes sensibles pour éviter d'embaucher des personnes potentiellement dangereuses ou radicalisées ; les deux autres fichiers, PASP (prévention des atteintes à la sécurité publique) et Gipasp (gestion de fonds de l'information et prévention des atteintes à la sécurité publique), respectivement gérés par la police et la gendarmerie, portent sur des individus pouvant porter atteinte à la sécurité de l'État.
Ils ont fait l'objet de recours contentieux mais le Conseil d'État jugeant en référé a estimé qu'il n'y avait pas lieu de les suspendre : d'une part, seules les activités susceptibles de porter atteinte à la sécurité publique ou à la sûreté de l'État pourront donner lieu à l'enregistrement de données ; d'autre part, il sera interdit de sélectionner dans le traitement une catégorie particulière de personnes à partir des seules données sensibles.
Jusqu'au jugement au fond, ces fichiers sont légaux. Mais tout ce qui est légal est-il souhaitable ?
En quoi ficher des opinions garantit-il le bon déroulement d'une manifestation ? Élargir ces fichiers, c'est dire qu'une opinion peut représenter un danger. C'est une rupture dans la manière de penser la sûreté.
En 2009, Robert Badinter s'inquiétait déjà d'un recours presque obsessionnel aux fichiers, et du passage d'une justice de liberté à une justice de sûreté. Les personnes concernées seront-elles pleinement informées et auront-elles accès à leur droit de rectification ? La consultation pourra-t-elle entraîner des arrestations ou des non-recrutements ?
Mme Annie Le Houerou . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) La pandémie de Covid-19 a été l'occasion d'une prolifération de virus... informatiques !
Des établissements de santé, des laboratoires et centres de recherche ont été victimes de piratage, les données ayant été revendues à prix d'or. En juillet, Moderna était victime d'une cyberattaque, comme AstraZeneca en novembre ; en janvier, on apprenait la présence de données corrompues de Pfizer sur le dark web.
La CNIL a publié un avis sur « StopCovid » en estimant que l'application ne saurait être déployée que si son utilité dans la lutte contre l'épidémie était avérée ; la durée d'utilisation des données devait être limitée. Le tracing entraîne en effet une dispersion des données dans les messageries et la durée de conservation est trop longue, ce qui ne respecte pas le RGPD.
Insidieusement, « TousAntiCovid » tombe dans les mêmes travers.
En janvier 2021, Christian Babusiaux, ancien président de l'Institut des données de santé, appelait à rompre le contrat avec Microsoft qui laisse craindre une exploitation des données de santé des Français à d'autres fins que ce qui était prévu. Le Gouvernement s'est engagé à les retirer d'ici deux ans : c'est trop long !
Le projet de loi incluant un passeport sanitaire, même reporté, devra appeler notre vigilance.
La protection des données personnelles, a fortiori de santé, doit être assurée. Elles sont particulièrement convoitées et le Gouvernement doit garantir notre indépendance nationale en la matière.
Le groupe socialiste et républicain sera particulièrement vigilant en la matière. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE)
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur, chargée de la citoyenneté . - Je suis heureuse de participer à ce débat sur un sujet fondamental.
Dans la décennie passée, nous avons connu trois mouvements majeurs : un contexte sécuritaire qui s'est tendu, des évolutions techniques et technologiques rapides et un droit des données qui n'a cessé de s'étoffer, avec l'entrée en vigueur du RGPD en 2018 et sa transcription dans la loi Informatique et libertés. La situation d'aujourd'hui est née de ces trois mouvements.
L'exigence de transparence et de précision vis-à-vis de ces fichiers s'est accrue. Seules les données strictement nécessaires doivent être conservées. Mais il y a une exigence contradictoire vis-à-vis de ces fichiers. Les Français sont de plus en plus exigeants et méfiants, mais, en même temps, ils veulent de plus en plus de sécurité contre les menaces.
Pour cela, les fichiers sont indispensables, comme pour enquêter sur les personnes susceptibles de remplir des fonctions sensibles.
Tandis que le RGPD constituait un vrai changement de paradigme en supprimant l'autorisation préalable, la France a fait le choix de conserver un régime particulièrement strict pour des fichiers, qui ne peuvent être créés qu'après un acte règlementaire pris après avis de la CNIL, voire du Conseil d'État. Chaque fichier du ministère de l'Intérieur doit respecter des règles cardinales telles que les principes de légitimité, de proportionnalité, de pertinence, d'exactitude. Les informations enregistrées doivent être strictement nécessaires, exactes et à jour.
Les données doivent pouvoir être corrigées ou supprimées lorsqu'elles apparaissent inexactes et elles n'ont qu'une durée limitée. Le droit d'accès et de rectification est assuré.
Je rappelle que deux parlementaires...
M. Loïc Hervé. - Quatre !
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. - ... sont membres de la CNIL, ce qui renforce le contrôle.
Une fois le fichier « validé » par la CNIL et le Conseil d'État, il fait l'objet de contrôles constants ; contrôles internes sur la qualité et contrôle externe de la CNIL.
Les auteurs du rapport d'information de l'Assemblée nationale de 2018 sur ce sujet saluaient une véritable culture du respect des libertés individuelles dans la police et la gendarmerie.
Nous parlons là de 65 000 personnes, bien loin de la proportion - une sur onze - qui a été avancée.
Pourquoi avoir changé la rédaction, passant des activités syndicales, philosophiques ou religieuses aux opinions ? C'est une demande du Conseil d'État, pour mieux tenir compte de la loi Informatique et libertés.
La traduction française du RGPD cite les « opinions », nous nous sommes donc alignés. L'examen par le Conseil d'État intervenant après celui de la CNIL, il est normal que celle-ci ne se soit pas prononcée sur ces mots.
Ces fichiers apportent en réalité une contextualisation : ainsi, il peut être utile de savoir qu'une personne adhère aux thèses antispécistes lorsqu'elle appelle à la dégradation de magasins d'alimentation. Appartenir à un syndicat en soi ne justifie pas un fichage, ce n'est pas une donnée intéressante pour les services. En revanche, si une personne radicalisée est représentante des salariés dans une entreprise, elle est susceptible d'utiliser ces fonctions pour inciter à la violence voire au passage à l'acte.
Aucun dispositif de reconnaissance faciale n'est prévu, je vous renvoie au communiqué de la CNIL en date du 11 décembre. Les moins de 13 ans ne peuvent pas être fichés. Il n'y a pas d'interconnexion automatisée entre les fichiers. Il ne peut y avoir que des rapprochements manuels.
Seules les personnes représentant une menace grave pour la sécurité peuvent être fichées. Toutes les personnalités politiques ou syndicales ne le sont pas. Les données que nous fournissons chaque jour à Google sont bien plus sensibles et nullement contrôlées...
Des personnes morales peuvent être une menace pour la sécurité publique et c'est l'objet du projet de loi destiné à conforter les principes républicains que de cibler les associations violentes, les groupes criminels, les gangs et les sectes. Mais le fichage est individuel : la participation à des groupes dangereux sera notée mais les groupes eux-mêmes ne seront pas fichés.
Il peut être important de signaler qu'un individu représentant une menace appartient à un groupement, pour déterminer son cercle d'influence. Face aux tentatives d'entrisme, il est fondamental de disposer de telles données.
Quant à « TousAntiCovid », les données de santé sont traitées exclusivement par le ministère de la Santé. Elles ne sont pas utilisées par le ministère de l'Intérieur.
Le Gouvernement partage votre attachement fondamental aux libertés publiques, qui font la grandeur de la démocratie.
Les conclusions de la Conférence des présidents sont adoptées.
Prochaine séance, mardi 16 février 2021, à 14 h 30.
La séance est levée à 23 h 25.
Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,
Rosalie Delpech
Chef de publication
Annexes
Ordre du jour du mardi 16 février 2021
Séance publique
À 14 h 30 et le soir
. Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, habilitant le Gouvernement à prendre les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour assurer la conformité du droit interne aux principes du code mondial antidopage et renforcer l'efficacité de la lutte contre le dopage (n°198, 2020?2021)
. Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de l'article 11 de la loi n°2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 (texte de la commission, n°330, 2020-2021)
. Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative à la réforme du courtage de l'assurance et du courtage en opérations de banque et en services de paiement (texte de la commission, n°332, 2020-2021)