Annexes

Ordre du jour du mardi 26 janvier 2021

Séance publique

À 14h 30 et le soir

Présidence : Mme Pascale Gruny, vice-président Mme Laurence Rossignol, vice-présidente

. Projet de loi portant report du renouvellement général des conseils départementaux, des conseils régionaux et des assemblées de Corse, de Guyane et de Martinique (procédure accélérée) (texte de la commission, n°288, 2020-2021)

. Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, ratifiant l'ordonnance n°2019-950 du 11 septembre 2019 portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs (texte de la commission, n°292, 2020-2021)

Contributions à la discussion générale de la proposition de loi :Patrimoine sensoriel des campagnes françaises

Intervention de Mme Sonia de La Provôté

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues,

Entre « Cocorico », « ding dong » et autres croassements, je vous avoue n'avoir jamais imaginé commencer une intervention à la tribune ainsi.

Mais c'est bien de cela dont il est question, les bruits, les odeurs de la campagne, qui nous sont si familiers, mais que certains n'apprécient plus guère.

Si la première réaction peut être, à l'évocation du sujet qui nous occupe aujourd'hui, de rire, derrière la gaudriole clochemerlesque - pour reprendre le mot si juste de notre rapporteur -, et l'évocation bucolique et nostalgique du terroir glorifié par Pagnol et Colette, derrière enfin les faits divers, le sort funeste du coq Marcel et les déboires judiciaires du coq Maurice... derrière tout cela se cache quelque chose de très profond.

Notre sujet, ni la cloche du village, ni les odeurs et bruits de basse-cour, mais un glissement culturel : se plaindre des nuisances sonores et olfactives de la campagne, c'est la refuser telle qu'elle est et a toujours été, et se conformer à la représentation irréelle de paysages silencieux, qui n'existent qu'en cartes postales.

C'est aussi considérer que l'activité agricole est une nuisance, alors qu'elle est indissociable des territoires ruraux, et que sa fonction, ses produits, sont indispensables à tous.

Le phénomène est à la croisée de deux évolutions majeures.

La première, d'ordre psycho-sociale, est l'hygiénisation du monde. Un mouvement ancien, accéléré ces dernières années.

L'autre évolution, beaucoup plus récente, est l'exode urbain, c'est le retour des citadins à la campagne et la « boboïsation » des champs pour employer un terme certes plus connoté, mais aussi plus parlant.

Ces deux évolutions se traduisent dans les campagnes par une efflorescence des troubles du voisinage, des plaintes et des actions en justice. Ces conflits sont tout autant liés à la nature qu'à l'activité humaine agricole, et ils mobilisent de plus en plus les élus locaux dont on sait qu'ils ont, par ailleurs, bien d'autres choses à faire...

En cette période d'urgence sanitaire, le constat devrait particulièrement interpeller, car la pandémie ne peut qu'exacerber le phénomène.

D'ailleurs, on commence déjà à se rendre compte que l'expérience des confinements est en train de donner une vigueur sans précédent à l'exode urbain. Les citadins sont massivement en train de se mettre au vert, pour preuve les nombreuses transactions immobilières dans les communes rurales durant l'été 2020.

Fallait-il pour autant légiférer sur le chant du coq ou le son de la cloche ? À une époque de surproduction législative, la question est légitime car, de prime abord, on peut être tenté de répondre par la négative.

En raisonnant par l'absurde : s'il faut aujourd'hui protéger l'identité sonore et olfactive des campagnes, pourquoi ne protègerait-t-on pas l'identité sonore et olfactive des villes ?

Pourquoi ne pas inscrire les sirènes des ambulances ou le vrombissement des moteurs, si cruellement menacés par les véhicules électriques, à l'inventaire du patrimoine ?

Poser la question, c'est déjà y répondre et donc trouver la raison d'être du présent texte : personne ne regrettera l'odeur des pots d'échappement, mais on ne peut pas en dire autant de la cymbalisation de la cigale.

Tout son n'est pas bruit, et tout bruit n'est pas nuisance.

Comme l'a très bien expliqué notre rapporteur, Pierre-Antoine Lévi, dont je salue par ailleurs la qualité du travail, si ce texte est utile, c'est en tant que base de reconnaissance et de légitimation des sons et odeurs de la campagne. Ils sont liés à la vie et à l'économie rurales, et en sont indissociables. Une base pour apaiser les esprits, et qui, surtout, aidera les élus locaux à accomplir leur nouvelle fonction de médiateurs sonores et olfactifs.

À titre personnel, je vois un autre intérêt au présent texte. Il entre singulièrement en résonnance avec le combat que nous menons ici pour le patrimoine non classé des communes rurales, le patrimoine vernaculaire ou le patrimoine des savoir-faire et des traditions.

Il contribue à éclairer d'un jour nouveau ce que nous devons considérer comme étant patrimonial.

En effet, le patrimoine, ce ne sont pas exclusivement des cathédrales et des tableaux. Le patrimoine, cela peut être des sons et des odeurs. C'est aussi une ambiance, un environnement, un ensemble qui doit vivre.

Ainsi, le patrimoine matériel et immatériel, appartient à la mémoire collective et identifie ce que l'on ne saurait perdre de notre histoire, plus singulièrement celle du quotidien. Ce qui fait patrimoine ici, c'est bien ce que l'on veut préserver, c'est l'âme et la vie de nos territoires.

Cette proposition de loi amène un regard objectif et pragmatique, et des outils utiles pour, sur ces sujets, réconcilier dans nos communes rurales la vie des campagnes avec les aspirations des villes et celle du monde qui évolue ; le groupe UC y est favorable.

Intervention de M. Mathieu Darnaud

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues,

Élu du département rural de l'Ardèche, je puis témoigner de la préoccupation grandissante à l'égard du sujet dont nous débattons en cette heure. Les élus comme les habitants pressentent en effet que derrière ces querelles de riverains picrocholines qui peuvent prêter à sourire, c'est la remise en cause de la société rurale qui se profile.

Je tiens donc d'abord à adresser mes félicitations à notre rapporteur et à ses collègues de la commission de la culture pour leurs travaux, et je salue leur choix en faveur d'une adoption conforme au texte transmis par l'Assemblée nationale.

Celle-ci permettra ainsi à l'excellente proposition de loi déposée par Pierre Morel-A-L'Huissier d'être promptement exécutoire, avec le soutien enthousiaste des sénateurs du groupe Les Républicains.

Les procédures assez baroques engagées contre des cloches, des cigales, des tracteurs voire même des coqs - comme à Vinzieux en Ardèche ou à Oléron - illustrent la montée d'un déni : celui de la nature même de ce qu'on appelle la campagne.

Pour les requérants faisant le siège de nos élus locaux, elle devrait n'être au fond qu'un jardin fantasmé, exempt de toute activité qui perturberait la tranquillité de leur cocon.

Or la ruralité n'est pas un décor champêtre figé dans le silence d'une aquarelle. C'est un monde qui respire, qui s'active, qui produit et qui nourrit.

S'y installer, c'est choisir de goûter une meilleure qualité de vie, partager un autre rythme. S'épanouir dans un monde qui possède son harmonie propre, mais qui se veut autant éloigné de la frénésie des villes que du mutisme des villages fantômes.

Alors, je sais que d'aucuns considèrent que l'inscription et la protection de son patrimoine sensoriel font courir le risque de muséifier le monde rural.

Et bien je pense le contraire : si ce texte est bienvenu, c'est justement parce que nous ne voulons pas dévitaliser nos campagnes et les voir se transformer, par la force des pétitionnaires ou celle des tribunaux, en aires de repos végétalisées sans odeur ni saveur, sans âme ni clameur.

Jusqu'ici la justice a certes plutôt donné tort aux plaignants scandalisés par l'outrecuidante présence d'un coq dans une basse-cour, ou par le voisinage extravagant d'un troupeau de vaches dans un pré.

Mais à l'heure de la judiciarisation d'une société au sein de laquelle chacun est fondé à s'estimer victime ou incommodé, il me semble nécessaire d'agir dès maintenant pour désamorcer les pressions qui, demain, pourraient rendre la vie impossible à nos élus.

Oui, l'ambiance de nos campagnes constitue bien un patrimoine.

Si la géographie dessine le visage de la France, c'est le patrimoine sensoriel qui donne leur caractère à ces « patries charnelles », chères à Charles Péguy.

Songeons aux difficultés que nous éprouvons quand il s'agit de sauvegarder un paysage ou un édifice, dont l'existence se manifeste pourtant sous nos yeux.

Notre richesse immatérielle n'ayant pas cette visibilité, il appartient au législateur de lui apporter un soutien particulier. Car ce patrimoine sensoriel constitue, à l'instar de notre gastronomie ou de nos langues régionales, un leg civilisationnel. Et c'est à nous autres, humbles dépositaires, qu'il incombe de le transmettre aux générations futures.

Mes chers collègues, puisqu'en 2021 cela est devenu nécessaire, n'hésitons pas affirmer que le chant d'un coq dans une basse-cour n'est pas une nuisance, sauf à considérer que la vie sur terre en est une !

Que la cloche d'une église qui sonne les heures n'est pas un tapage ! Qu'elle est au contraire l'expression d'un patrimoine vivant, qui ne se réduit pas à la contemplation du passé, mais scande le présent.

Et j'en terminerai par cette question, initiale, du bruit.

Au printemps dernier, une fois passées les premières semaines du confinement au cours desquelles les citadins ont savouré le silence des grandes avenues, les mêmes ont découvert que leurs villes, privées du suc de leurs terrasses et de leurs concerts, n'avaient plus que l'écorce des cités-dortoirs.

Il en est de même de nos terroirs. Si l'on venait à les dépouiller de leurs vibrations et de leurs senteurs, leur caractère s'estomperait pour laisser place au plus mortifère des silences : celui du désert français.