Renforcer le droit à l'avortement
Mme le président. - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à renforcer le droit à l'avortement.
Discussion générale
M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l'enfance et des familles . - Le thème sensible qu'aborde cette proposition de loi mobilise des convictions aussi ancrées que diverses. Grâce à la mobilisation des militants et de Simone Veil contre l'hypocrisie et l'emprise sur le corps des femmes, l'interruption volontaire de grossesse (IVG) est devenue un droit, et les avortements clandestins ont heureusement disparu. Qu'il me soit permis de rendre hommage à toutes celles et ceux grâce à qui les femmes exercent ce droit aujourd'hui.
Cet héritage appartient à l'histoire, mais doit être aussi conjugué au présent. Des reculs sont observés, y compris en Europe, à nos portes. La délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale a produit un rapport très complet sur le sujet.
Tout a été fait pour maintenir le droit à l'IVG effectif. Cela a été le cas pendant la crise sanitaire, même si celle-ci n'a pas été sans conséquence sur l'exercice de ce droit. Le ministère des Solidarités et de la Santé s'est pleinement mobilisé pour assurer un accès dans les délais. Le délai, pour une IVG en ville, a été porté à neuf semaines d'aménorrhée. La téléconsultation a montré toute son efficacité et la possibilité de se procurer la pilule abortive en pharmacie a été facilitée.
Cette proposition de loi allonge le délai légal de recours à l'IVG. De nombreuses raisons, parfois liées à l'organisation des services ou à l'utilisation sélective de la clause de conscience, parfois liées à l'âge, la vulnérabilité ou une situation de couple compliquée, expliquent le retard de certaines femmes dans leurs démarches. Allonger le délai rendra le droit à l'IVG plus effectif. Le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) a donné un avis favorable. L'offre de l'IVG doit parallèlement être développée et les professionnels formés pour mieux orienter les femmes.
D'après une enquête de 2019, la clause de conscience spécifique ne pose pas de difficultés ; sa suppression par la proposition de loi aurait donc surtout une portée symbolique.
Avant d'ouvrir la compétence en orthogénie à toutes les sages-femmes, comme le propose le texte, il faut les former et définir à quelles femmes cela pourrait s'adresser. Une expérimentation a été lancée par l'article 70 de la loi de financement de la sécurité sociale.
J'ai suivi les débats en commission et j'ai compris qu'avec la question préalable, nous ne pourrions pas discuter des articles.
Sur cette question, il faut avancer sereinement dans le respect des convictions de chacun. Si le cheminement est interrompu aujourd'hui, il continuera cependant.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure de la commission des affaires sociales . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Cathy Apourceau-Poly applaudit également.) Quelque 46 ans après l'adoption de la loi Veil - qu'il faudrait sans doute appeler plutôt la loi Veil-Halimi pour rendre hommage au rôle fondamental de Gisèle Halimi - l'IVG est un droit fondamental dont l'effectivité n'est toujours pas garantie.
Dans une dizaine de départements, l'offre de soins est si faible qu'un tiers des avortements n'a pas pu être réalisé sur place ; dans six régions métropolitaines sur treize, la situation est très tendue. De fait, depuis quinze ans, le nombre d'établissements qui pratiquent l'IVG a reculé de 22 %. À chaque fois que l'on ferme une maternité, on ferme un centre d'IVG.
La proposition de loi ne peut suffire ; il faut également faire de l'IVG - et plus généralement de la santé sexuelle et reproductive - une priorité de santé publique.
L'Argentine a enfin dépénalisé l'IVG en décembre dernier, mais elle a accompagné cette avancée d'une politique plus large dans ce domaine.
Ce n'est pas la première fois que nous vous proposons d'allonger de deux semaines le délai légal et de supprimer la clause de conscience.
Mais le Gouvernement et la majorité sénatoriale s'y étaient opposés, au motif que le véhicule législatif ne convenait pas. Avec cette proposition de loi, les conditions sont réunies. Le travail mené par Albane Gaillot à l'Assemblée nationale a été mené en profondeur et nous bénéficions de l'éclairage du CCNE.
L'article premier porte le délai légal à quatorze semaines. Je signale à quelques collègues qui ont salué la nouvelle législation en Argentine qu'elle prévoit ce même délai. Certains objectent que seules 10 % des IVG sont pratiquées entre la dixième et la douzième semaine : tant mieux ! Mais ce chiffre ne dit rien de toutes les femmes qui n'ont pas pu obtenir un rendez-vous à temps, en raison de cycles irréguliers ou d'absence de signes cliniques de grossesse.
Rappelons que trois IVG sur quatre concernent des femmes sous contraception. Il peut aussi y avoir des changements de situation matérielle ou affective. Parfois les rendez-vous proposés interviennent trop tardivement. Les IVG peuvent ne pas représenter une priorité absolue ou les médecins, l'été, peuvent être en vacances et les services désorganisés.
Quelle issue après douze semaines ? Au moins deux mille femmes avortent à leurs propres frais à l'étranger, selon le CCNE, un peu plus selon les associations ; cela est source d'inégalités puisqu'elles prennent l'opération à leurs frais. Quelle hypocrisie de devoir compter sur nos voisins ! Autre solution, elles demandent une interruption médicale de grossesse (IMG), procédure contraignante qui prive la femme de son autonomie puisque la décision est soumise à l'accord préalable d'un collège de médecins. Mais combien d'entre elles ont-elles dû poursuivre une grossesse non désirée ?
Le CCNE ne s'oppose pas à l'allongement du délai légal. La clause de conscience spécifique à l'IVG a été créée en 1975 pour offrir un compromis à ses opposants. Cela culpabilise inutilement les femmes, alors que la clause de conscience générale permet déjà aux soignants de refuser de pratiquer l'IVG.
Nous avons d'ailleurs supprimé cette clause spécifique pour les IMG dans la loi de bioéthique.
Le texte prévoit également l'extension aux sages-femmes de la compétence pour pratiquer des IVG instrumentales, or la loi de financement de la sécurité sociale satisfait en partie ce point - en grande partie grâce aux auteurs de la proposition.
Celle-ci n'apporte que des réponses partielles. La santé sexuelle et reproductive demeure l'angle mort de nos politiques sanitaires.
Le maillage territorial est le principal obstacle à l'accès à l'IVG et au respect du choix des femmes à choisir leur technique. Il faut également renforcer l'éducation à la vie sexuelle et affective dans les collèges et les écoles.
Pour rendre le droit à l'IVG effectif, il faut un pilotage national proactif de notre offre d'IVG. Je compte sur vous, monsieur le ministre.
Inspirons-nous de l'Institut national du cancer (INCA) et créons un institut national de la santé sexuelle et reproductive.
La commission des affaires sociales a rejeté le texte ; je vous invite à l'adopter. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et du GEST)
Mme Florence Lassarade . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Dès 1974, Simone Veil rappelait que l'avortement de convenance n'existe pas. L'IVG découle du droit des femmes à disposer de leur corps, dans de bonnes conditions de santé et de sécurité. Elle estimait que l'IVG ne pouvait être que précoce, compte tenu des risques physiques et psychiques pour la femme.
Le foetus n'est pas une personne, mais pas non plus un objet : l'IVG n'est pas un acte médical comme les autres. C'est aussi l'avis du CCNE.
En France, 232 244 IVG ont été réalisées en 2019, soit une grossesse sur quatre interrompue volontairement. La moitié a eu lieu dans les six premières semaines, et seulement 5,3 % dans les deux dernières. Pourtant, entre 1 500 et 2 000 femmes, étant hors délai légal, seraient obligées de se faire avorter à l'étranger selon le CCNE. C'est deux fois moins que le chiffre rapporté dans l'exposé des motifs de la proposition de loi.
Pourquoi limiter à douze semaines ? Parce qu'à quatorze semaines, l'embryon est devenu un foetus ; il mesure dix centimètres, ses organes sont formés et il se meut. On a 99 % de chances de déterminer son sexe. Selon le professeur Nisand, la tête est ossifiée et on doit, geste terrible, écraser son crâne. L'IVG est beaucoup plus complexe alors et le protocole doit être révisé pour limiter les risques pour les femmes.
L'IVG est une urgence médicale et devrait être traitée comme telle. Or le nombre d'établissements pratiquant l'IVG a chuté de 22 % : ils sont victimes des réorganisations hospitalières.
Ne devrions-nous pas porter nos efforts sur le développement de l'offre plutôt que sur l'allongement du délai ?
La proposition de loi supprime aussi le délai de deux jours de réflexion après l'entretien psychosocial. Rappelons que ce dernier n'a lieu que si la femme l'accepte. Elle doit pouvoir réfléchir si elle le souhaite.
La double clause de conscience est spécifique à l'IVG, parce qu'il ne s'agit pas d'un acte médical anodin. Elle n'empêche nullement le recours à l'avortement.
L'allongement du délai légal à quatorze semaines risque enfin d'inciter certains soignants à ne plus pratiquer l'IVG.
Le groupe Les Républicains ne votera pas cette proposition de loi qui n'améliore pas l'accès à l'IVG. Aujourd'hui, l'enjeu est le développement de notre politique de santé sexuelle et de l'offre d'IVG afin d'assurer une prise en charge précoce. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Colette Mélot . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Voici 46 ans, la loi Veil dépénalisait l'IVG, mais rien n'est jamais acquis : il faut rester vigilant.
La proposition de loi porte le délai légal à quatorze semaines, autorise les sages-femmes à pratiquer des IVG chirurgicales et étend le recours au tiers payant.
Ces deux dernières dispositions seront satisfaites par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021.
Je comprends la volonté des auteurs de faire face au problème du départ à l'étranger de milliers de femmes chaque année pour une IVG, mais je suis opposée à l'allongement du délai légal à quatorze semaines : ce sera une fuite en avant. Le Royaume-Uni a fixé le délai à vingt-quatre semaines ; la France sera toujours en deçà. Déjà, de nombreux médecins refusent de pratiquer une IVG après dix semaines. Si nous passons à quatorze semaines, ils seront encore plus nombreux.
Le vrai problème est l'augmentation des délais : l'IVG est marginalisée dans les hôpitaux publics, souvent pratiquée par des vacataires. Il faudrait assurer l'accès à l'IVG dans les cinq jours après la première consultation.
La loi Veil est bien faite : veillons à sa bonne application.
N'oublions pas la détresse des femmes. Les centres sociaux ont un rôle d'information et de soutien.
Les carences de prévention expliquent l'absence de diminution du nombre d'IVG. Le nombre d'IVG, de 230 000 en 2019, soit une grossesse sur quatre, reste bien trop élevé, c'est particulièrement alarmant chez les mineures. Le CESE s'alarme. Un établissement scolaire sur quatre ne prévoit pas d'éducation à la sexualité.
Nous saluons l'extension du délai pour l'IVG médicamenteuse. Il faut renforcer les moyens d'accès à l'IVG, la prévention et l'accompagnement des personnes pour réaliser l'IVG avant la douzième semaine.
Le groupe Les Indépendants votera contre l'allongement de douze à quatorze semaines mais, étant opposé au refus de débattre, il votera contre la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; MM. Julien Bargeton et Martin Lévrier applaudissent également.)
Mme Raymonde Poncet Monge . - (Applaudissements sur les travées du GEST) Cette proposition de loi, tout le monde en convient, ne cherche pas à rouvrir le débat sur l'IVG en France, mais à améliorer l'effectivité de ce droit. Or les obstacles se multiplient ; le rapport d'information de l'Assemblée nationale montre bien que ce droit n'est pas toujours garanti, beaucoup dépend de la situation socio-économique et territoriale des femmes.
Le GEST votera pour la proposition de loi et contre la motion tendant à opposer la question préalable, qui conduit au statu quo : offre de soin en orthogénie dégradée, concentrée territorialement, faiblesse de la prévention, absence de campagnes d'éducation. Mais peut-on s'abriter derrière ces problèmes pour s'interdire des avancées ?
Pour remédier à ces manques, j'invite mes collègues à amender la prochaine loi de financement de la sécurité sociale.
Les IVG doivent être pratiquées le plus tôt possible mais il demeurera toujours des diagnostics tardifs ou des situations particulières. Le CCNE l'a dit, il n'y a aucune objection médicale ni éthique à l'allongement du délai. La contrainte de départ à l'étranger après la douzième semaine renforce les inégalités, auxquelles il faut mettre fin.
Il n'y a pas de nécessité juridique à la clause de conscience spécifique. Objectivement, la clause de conscience générale assure le même droit individuel à chaque professionnel de ne pas pratiquer l'IVG.
En insistant sur le caractère spécifique de l'IVG, ce n'est pas un droit individuel que l'on garantit, c'est un stigmate qu'on pose.
Dans certains pays les acquis - ou plutôt les conquis - des femmes sont menacés. Dans d'autres, comme l'Argentine, ils avancent. Pour le poète, « rien n'est jamais acquis à l'homme » ; mais que dire de la femme ? Refusons le statu quo qui ouvre la voie aux remises en cause et adoptons cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du GEST, ainsi que sur les travées des groupes SER et CRCE)
M. Xavier Iacovelli . - Dépénalisé et légalisé il y a plus de 45 ans, l'IVG est attaquée partout dans le monde. Elle reste fragile et nous devons la protéger. « Aucune femme ne recourt à l'IVG de gaieté de coeur, il suffit d'écouter les femmes. C'est toujours un drame et cela restera toujours un drame », disait Simone Veil à la tribune de l'Assemblée nationale le 26 novembre 1974.
En 2019, 232 244 IVG ont eu lieu sur notre territoire. Chaque année, entre mille et deux mille femmes ont avorté à l'étranger car elles étaient hors délai.
Seulement 5 % des IVG sont pratiquées entre dix et douze semaines, mais ce chiffre est de 16,7 % à Mayotte, signe de fortes disparités territoriales. Les IVG tardives sont aussi plus nombreuses chez les jeunes : elles représentent 10,5 % pour les mineures, 8,5 % pour les 18-20 ans et 6,6 % chez les 20-24 ans.
Plusieurs voisins européens ont des délais plus longs que les nôtres : quatorze semaines en Espagne, dix-huit en Suède, vingt-deux aux Pays-Bas et même vingt-quatre semaines au Royaume-Uni.
Il faut entendre le cri d'alerte des professionnels. Le 11 décembre, le CCNE s'est fondé sur plusieurs principes pour énoncer qu'il n'y avait pas d'objections éthiques à passer à quatorze semaines. La délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale est du même avis.
Étendre les compétences des sages-femmes pour pratiquer les IVG instrumentales jusqu'à dix semaines serait une avancée notoire. Il faut faire face aux nombreuses disparités - je pense notamment à l'outre-mer. La suppression du délai de réflexion permettra de fluidifier le processus. Cette disposition est soutenue par les professionnels.
Sanctionner un pharmacien qui refuse la contraception d'urgence va dans le bon sens.
La clause de conscience générale qui existe dans notre droit suffit largement. La clause de conséquence spécifique fait de l'IVG un acte à part, renforçant la stigmatisation.
Chaque année, mille jeunes femmes de 12 à 14 ans sont enceintes.
L'entrée en vigueur le 28 août 2020 du remboursement à 100 % de la contraception est une bonne nouvelle. Grâce à la gratuité de la contraception, le taux d'IVG pour les mineures de 15 à 18 ans a baissé de 9,5 à 6 % de 2012 à 2008.
Le groupe RDPI laissera ses membres libres de voter en leur âme et conscience sur ce texte qui pose un débat crucial, avec des pistes intéressantes.
Nous regrettons que la commission n'ait pas souhaité un débat sur le fond de la question. (Mme Cathy Apourceau-Poly applaudit.)
M. Stéphane Artano . - Les rédacteurs du code civil avaient écrit : « La femme est donnée à l'homme pour faire des enfants ; elle est sa propriété comme l'arbre à fruits est celle du jardinier. » (Rires) Depuis, la législation a fort heureusement évolué...
Mais après quarante-cinq ans, le droit à l'avortement est loin d'être acquis. Discours culpabilisants, difficultés à trouver un praticien... Déjà en 2015, un rapport de la délégation aux droits des femmes du Sénat soulignait que 130 établissements pratiquant l'avortement avaient fermé en dix ans, alors que la demande restait stable.
Les positions sont partagées au sein du RDSE. Certains estiment que cette proposition de loi est une mauvaise réponse à un vrai problème. Le collège national des gynécologues et obstétriciens français s'oppose à l'allongement du délai au profit d'une prise en charge plus rapide. Des médecins soulignent les risques d'une IVG au-delà de quatorze semaines pour la santé et estiment que les professionnels de santé seront moins nombreux à vouloir la pratiquer, ce qui provoquerait une augmentation des délais.
On s'interroge, au-delà des considérations éthiques : l'augmentation du délai légal doit-elle pallier les défaillances de notre système de santé ?
Laurence Rossignol appelle de ses voeux un pilotage national de l'IVG et un institut national de la santé sexuelle et reproductive dans son rapport. J'y souscris pleinement.
Nous devons promouvoir l'accès à la contraception et la sensibilisation dès le plus jeune âge.
Plus que jamais le groupe RDSE regrette la motion. Nous avions déploré que ces questions aient été examinées en catimini ; on ne peut que se réjouir que le groupe SER ait inscrit ce texte dans son temps réservé pour que nous en débattions. Monsieur le ministre, vous avez saisi le CCNE, nous avons pris connaissance de l'avis de l'ordre des médecins, du collège des gynécologues, de l'ordre des sages-femmes, du Planning familial... Toutes les conditions étaient réunies pour débattre. On ne peut balayer ce texte d'un revers de main.
Le RDSE votera unanimement contre la question préalable. (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur quelques travées du groupe SER)
Mme Laurence Cohen . - Je remercie Laurence Rossignol d'avoir repris le travail transpartisan de l'Assemblée nationale. Nous défendons depuis longtemps les mesures que celle-ci a votées le 8 octobre dernier.
Le groupe CRCE a déposé en 2017 une proposition de loi pour inscrire le droit à l'avortement dans la Constitution et en 2019 un nouveau texte pour allonger les délais légaux. Nous avons déposé des amendements supprimant la double clause de conscience. Nous soutenons cette proposition de loi : pour les femmes, maîtriser leur fécondité est une condition de leur émancipation.
Conscient de leurs difficultés pendant la crise sanitaire, le Gouvernement a momentanément allongé le délai légal de douze à quatorze semaines. Il suffit de le pérenniser, comme le CCNE l'a approuvé. Cela répondra à la situation des cinq mille femmes hors délai qui doivent se rendre à l'étranger. L'avortement ne se fait jamais de gaieté de coeur. Dois-je rappeler que près de trois femmes sur quatre recourant à l'IVG sont sous contraception ?
La fermeture de 8 % des établissements réalisant des IVG, soit 130 sites, a fragilisé l'accès à l'IVG. Quand il y a des reculs comme en Pologne, il est indispensable de rendre le droit à l'IVG effectif. Le rassemblement de catholiques traditionalistes anti-IVG au Trocadéro dimanche dernier - heureusement ultra-minoritaire - en rappelle la nécessité. La motion de la droite sénatoriale leur fait écho. (M. Philippe Mouiller le conteste.)
Je rends hommage aux combattantes de ce droit, aux 343 signataires du manifeste, à l'engagement de Simone Veil, à l'opiniâtreté de Gisèle Halimi.
Rappelons les différentes dates : remboursement de l'IVG par la sécurité sociale en 1982, allongement du délai de dix à douze semaines en 2001, suppression du délai de réflexion et prise en charge à 100 % des frais en 2016, extension en 2017 du délit d'entrave à l'IVG pour viser les sites de désinformation.
Le Sénat aurait pu s'enorgueillir de voter cette proposition de loi à l'unanimité.
En 2021, il est temps d'arrêter d'être frileux sur les droits des femmes. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER, ainsi que sur les travées du GEST)
Mme Élisabeth Doineau . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Ce débat renvoie à des histoires singulières, parfois familiales, souvent douloureuses, et à l'histoire universelle des droits des femmes. La loi du 17 janvier 1975 soutenue par Simone Veil dépénalisait l'avortement avant la dixième semaine de grossesse. Cette loi était aussi un compromis, réaffirmant le respect de la vie à l'article premier, concédant une clause de conscience et conditionnant l'IVG à une situation de détresse.
Le délai légal de recours à l'avortement a été allongé à douze semaines en 2001. Le droit à l'IVG est régulièrement soumis au débat pour le réduire ou l'étendre.
Rappelons les mots de Simone de Beauvoir : « N'oubliez jamais qu'il suffira d'une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis ; vous devez rester vigilantes votre vie durant. »
À titre personnel, je suis favorable à l'allongement du délai légal à quatorze semaines, opposée à la suppression de la clause spécifique et pour la question préalable.
Concernant l'article premier, le CCNE n'a pas d'objection éthique, mais alerte sur le risque d'y voir un palliatif aux difficultés d'accès. Je partage cette analyse.
L'OMS a défini depuis 1977 le seuil de viabilité du foetus à vingt semaines ou 500 grammes. Cette proposition de loi ne remet pas en cause l'équilibre de 1975.
Les IVG tardives, entre la dixième et la douzième semaine, ne représentent que 5,3 % du total.
Voir plus de 2 000 femmes partir à l'étranger pour avoir accès à l'IVG n'est pas acceptable. Mais je doute que l'article premier suffise à régler le problème.
Si l'IVG est un droit essentiel, l'acte n'est jamais anodin. Simone Veil l'a dit avec pudeur, aucune femme n'y recourt de gaieté de coeur.
Un travail est probablement à mener auprès des professionnels de santé pour orienter chacune vers la meilleure contraception. Il faut aussi mieux informer les jeunes filles, mais aussi les garçons - la responsabilité de la contraception ne peut reposer sur les seules femmes. Le préservatif et la pilule ne sont pas les seules méthodes. Il faut aussi stopper l'érosion des moyens de l'orthogénie.
L'article 2 supprime la clause de conscience qui était l'un des éléments du compromis de 1975. Les arguments médicaux ou scientifiques ne s'opposent pas à l'accès à l'IVG mais le débat moral reste prégnant en France et l'IVG ne peut être considérée comme un acte médical ordinaire. Il faut conserver la clause de conscience spécifique.
L'article premier bis permet aux sages-femmes de pratiquer une IVG instrumentale jusqu'à la fin de la dixième semaine. L'article 70 de la dernière loi de financement de la sécurité sociale lance une expérimentation de trois ans sur le même sujet ; donnons-lui du temps pour décider en conscience.
Le projet de loi Bioéthique aurait été un cadre plus approprié pour l'extension du délai légal. Bien que favorable à l'article premier, la remise en cause de la clause de conscience spécifique, la généralisation de l'IVG instrumentale par les sages-femmes alors qu'une expérimentation est en cours, et l'absence de mesures concernant la contraception m'incitent, comme la majorité de mon groupe, à voter la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
M. Stéphane Ravier . - En 2019, notre pays a atteint le triste record de 232 200 avortements, soit 26 par heure, une grossesse sur quatre. Ce sont 232 200 femmes blessées dans leur chair et leur coeur.
L'avortement n'est jamais sans conséquence psychologique, d'autant qu'en 2010, 47 % des femmes qui avortaient le faisaient pour des raisons matérielles ; le chiffre a sans doute augmenté avec la crise et le rabotage de la politique familiale.
Comment a-t-on pu abandonner les femmes de France désireuses de maternité ? Comment ne pas voir la coïncidence entre le début de l'hiver démographique et le regroupement familial des étrangers ? (Exclamations indignées à gauche) À une salvatrice politique nataliste, vous avez préféré une suicidaire politique immigrationniste ! Résultat, la natalité est au plus bas depuis 1945.
La famille, c'est la petite patrie où se transmet la glorieuse Histoire, les traditions, le savoir être de la grande patrie française. Les enfants sont la preuve que les sacrifices d'hier n'ont pas été vains.
Plus de 87 % des Français voudraient avoir plusieurs enfants : le désir naturel d'enfant revient, malgré votre acharnement. Il faut s'en féliciter, et accompagner ce choix par une audacieuse politique en faveur des familles françaises.
Les Françaises qui veulent devenir mères doivent être rassurées sur leur avenir matériel. Cela suppose de rehausser le quotient familial, de défiscaliser la majoration des pensions de retraite des familles nombreuses, de rétablir l'universalité des allocations familiales, de développer l'offre de crèches, de garantir le retour à l'emploi des femmes...
Nous qui avons eu la chance de naître, sachons proposer aux femmes de notre pays un véritable choix, et déclarons à nouveau « Famille française, je vous aime ! ». (Rires et huées sur les travées du groupe SER)
Mme Émilienne Poumirol . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Je rappelle que trois quarts des femmes qui ont recours à l'IVG avaient fait le choix d'un moyen de contraception. L'IVG n'est jamais une facilité.
Chaque année, deux mille femmes se trouvent hors des délais légaux ; elles ont le choix entre l'IMG, la poursuite d'une grossesse non désirée ou un avortement à l'étranger, en Espagne, au Royaume-Uni ou aux Pays-Bas. Comment nier leur détresse et leur dénier un droit fondamental ? Comment pouvons-nous remettre à nos voisins la protection de la santé de ces femmes ?
Il est de notre devoir de protéger la santé et la dignité de nos concitoyens. Une grossesse non désirée menée à son terme a des conséquences dramatiques, y compris pour les pères.
L'allongement à quatorze semaines ne pose pas de problème éthique ni de risque de complications médicales, c'est pourquoi le groupe SER votera ce texte.
Il est grand temps de supprimer la clause de conscience spécifique introduite dans la loi Veil à titre de compromis. La clause de conscience générale permet déjà à un praticien de refuser un acte médical. Cette clause spécifique conserve à l'IVG un statut à part, stigmatise et culpabilise les femmes ; il convient de la supprimer.
Au-delà de l'allongement de deux semaines, l'effectivité du droit à l'avortement repose avant tout sur la fluidité du parcours pour y accéder.
L'obligation pour les ARS de publier un répertoire des professionnels pratiquant l'IVG est bienvenue, mais il faut l'intégrer à une amélioration globale du parcours et de la politique de santé sexuelle et reproductive.
Il est intolérable que le recours à ce droit fondamental dépende du lieu d'habitation ou de la situation sociale. Entre 2007 et 2017, 70 centres pratiquant l'IVG ont fermé ; 37 départements de métropole comptent moins de cinq praticiens libéraux pratiquant l'IVG médicamenteuse ; c'est une restriction de fait. À cela s'ajoutent les inégalités de niveau de vie.
Mme la présidente. - Veuillez conclure.
Mme Émilienne Poumirol. - Le groupe soutient la position de la rapporteure en faveur d'une politique publique globale. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST)
M. Pierre Charon . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Toutes les femmes doivent décider si elles souhaitent devenir mère ou non. La loi Veil était indispensable. Ce droit doit être préservé et garanti à toutes, y compris en cette période de crise sanitaire.
Mais doit-on répondre à la crise sanitaire par un allongement des délais ? C'est un aveu d'échec de notre politique sanitaire. Le constat est accablant : 232 000 IVG en 2019, un taux de recours de 15,6 ? contre 10 ? en Espagne, 8 ? aux Pays-Bas, 5 ? en Italie et 4,4 ? en Allemagne. Et ce malgré la loi Santé de 2016 qui a fait évoluer l'offre de soins...
Ne serait-il pas souhaitable de mieux informer sur les délais légaux, de renforcer la prévention, de laisser le choix de la méthode ? Le conseil national de l'Ordre des sages-femmes préconise un droit opposable à l'accès à l'IVG dans les douze semaines, pour réduire les IVG tardives.
N'y a-t-il vraiment aucune différence entre douze et quatorze semaines ? Ces deux semaines marquent le passage de l'embryon au foetus. L'IVG devient plus difficile, techniquement mais aussi psychologiquement. C'est pourquoi l'Académie de médecine s'est prononcée contre l'allongement des délais.
Le conseil national de l'Ordre des médecins s'inquiète d'un affaiblissement du principe même de la clause de conscience avec la suppression de la clause spécifique, qui a contribué au juste équilibre trouvé par la loi Veil. Conservons cette double liberté aux praticiens.
L'Assemblée nationale a adopté en juillet un amendement à la loi Bioéthique autorisant l'interruption médicale de grossesse à tout moment pour « détresse psychosociale », ce qui a jeté le trouble dans l'opinion.
Qu'un avortement puisse avoir lieu jusqu'à neuf mois sur ce fondement porte atteinte à la dignité et au respect de l'être humain - et je vous fais grâce des techniques employées... Cet amendement, adopté contre l'avis du rapporteur, est inutile, dangereux et, j'ose le dire, honteux. (Réactions à gauche) Je souhaite que nous revenions dessus.
Nous assistons à une dérive. Cherchons ensemble les moyens de réduire le nombre d'IVG pratiqué en France.
Je voterai la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Bernard Jomier . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) À ce stade de la discussion, je souhaite revenir sur certains arguments entendus. Ceux qui portent sur l'ontogenèse ne sont pas recevables ; le CCNE les a balayés, l'Académie nationale de médecine ne les reprend pas. Ce sont les arguments qu'ont toujours employés les opposants à l'IVG, dont la légitimité n'est pas en question ici.
Le CCNE a estimé qu'aucune considération éthique ne s'opposait à l'allongement du délai. Les fondements de notre bioéthique ont évolué avec le temps : il y a des valeurs ancestrales, comme la non-malfaisance, et d'autres plus récentes, comme l'autonomie ou le principe d'égalité, qui doivent aussi être intégrées dans la réflexion.
L'allongement du délai résoudra-t-il la question de l'accès à l'IVG ? En partie seulement, je le reconnais. Mais ce n'est pas le propos de ce texte. Il y a ceux qui votent des droits formels, et ceux qui s'attachent à faire appliquer des droits réels.
Pour que l'avortement devienne un droit pour toutes les femmes, il faut suivre les pistes ouvertes par ce texte, comme l'Institut de santé sexuelle et reproductive.
Je vous invite donc à poursuivre le débat dans l'hémicycle. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST)
La discussion générale est close.
Question préalable
Mme le président. - Motion n°1, présentée par Mme Imbert et les membres du groupe Les Républicains.
En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à renforcer le droit à l'avortement (n°23, 2020-2021).
Mme Corinne Imbert . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Cette proposition de loi issue de l'Assemblée nationale allonge de douze à quatorze semaines le délai légal de l'IVG, supprime la clause de conscience spécifique, étend les compétences des sages-femmes en matière d'IVG et supprime le délai de réflexion de deux jours en cas d'entretien psychosocial préalable.
En 2019, 230 000 IVG ont été réalisées en France, et 1 500 à 2 000 femmes ont dû avorter à l'étranger. Mais 95 % ont pu le faire en France avant la dixième semaine.
Ne croyez pas que cette proposition de loi lèverait les difficultés que rencontrent certaines femmes. Le nombre de centres d'IVG s'est réduit depuis vingt ans. La question des moyens reste entière. Le nombre important d'IVG montre que c'est un droit fondamental, mais pose aussi la question de l'information des femmes.
Ce texte n'oppose pas pro et anti-avortement ; l'examen en commission a été apaisé, et personne ne remet en cause la loi Veil, à laquelle nous sommes tous très attachés.
L'article premier porte le délai légal d'IVG à quatorze semaines de grossesse, soit seize semaines d'aménorrhée, ce qui pose des questions médicales et éthiques.
Tout avortement présente un risque de complications pour la femme, y compris pour ses futures grossesses. Pour l'Académie de médecine, le risque augmente avec l'allongement du délai.
L'allongement ne répond pas à la demande des femmes, qui espèrent au contraire une prise en charge plus rapide. Y voir une réponse aux problèmes d'accès à l'IVG serait une erreur d'appréciation. La réponse passe par un renforcement de l'offre de soins sur le territoire, seule façon de régler le problème sur le temps long.
La difficulté d'accès aux soins n'est pas la seule cause des IVG hors-délai. Il faut renforcer la prévention en matière de contraception, dans le cadre scolaire notamment, mieux informer, apporter une réponse rapide, car l'IVG est une urgence.
Le droit à l'IVG est un acquis fondamental ; à nous de faire en sorte qu'il s'exerce pour toutes.
Deuxième mesure importante, la suppression de la clause de conscience spécifique, introduite par la loi Veil. Dans son avis du 11 décembre, le CCNE rappelle que l'IVG n'est pas un acte médical ordinaire et que cette clause, inscrite à l'article L. 22-12-8 du code de la santé publique, devait être maintenue.
Acceptons que le compromis trouvé en 1975 soit préservé en 2021.
L'article premier bis étend aux sages-femmes la possibilité de pratiquer des IVG par voie chirurgicale jusqu'à la dixième semaine. La loi de financement de la sécurité sociale a prévu une expérimentation pour trois ans, ce qui paraît plus adapté.
Enfin, le délai de réflexion de deux jours en cas d'entretien psychosocial doit être maintenu car, Simone Veil le rappelait, l'avortement n'est jamais anodin : c'est toujours un drame.
Écouter les femmes, les accompagner, voilà un défi autrement plus ambitieux qu'un allongement de deux semaines.
Le groupe Les Républicains entend rappeler par cette motion son attachement au droit existant. Le droit à l'avortement est par essence une exception, un ultime recours pour les femmes dans une situation sans issue.
Je vous invite à voter cette motion. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Michelle Meunier . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Toutes et tous, nous sommes attachés à la défense du droit à l'avortement. Chacun l'a rappelé. C'est une avancée fondamentale de la société française de ces cinquante dernières années à laquelle 75 % des Français sont favorables. Nous voulons que ce droit soit effectif pour chaque femme.
Nous devons porter un regard neuf et lucide sur la pratique de l'IVG : dans quel délai les femmes sont-elles reçues en consultation, comment ? Quels sont les obstacles auxquels elles se heurtent encore ?
Mme Imbert a fait état de chiffres globalement acceptables. Mais nous ne saurions nous en satisfaire : les moyennes ne sont que des moyennes, elles masquent des inégalités criantes.
Le délai pour obtenir un rendez-vous avec un gynécologue est de trois à cinq jours à Nantes, mais de quatre semaines à Paris. C'est inacceptable !
L'expérimentation de l'IVG instrumentale par les sages-femmes a été votée dans la dernière loi de financement de la sécurité sociale, pour une période de trois ans. Permettons à ces professionnelles formées et volontaires d'offrir un véritable choix aux femmes tout en réduisant les inégalités d'accès à l'IVG.
Vous réfutez toute vision manichéenne. Soit. C'est pourquoi nous devons donner consistance à ce droit hérité du combat de nos mères et de nos soeurs, et de l'engagement politique de nos aînées, Simone Veil et Gisèle Halimi. Au lieu d'accepter le débat, vous fuyez la réalité, courant en vain après la frange la plus réactionnaire de votre électorat...
Débattons, discutons ! C'est notre rôle de parlementaires.
Le groupe SER votera contre cette motion. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST)
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales . - La commission a donné un avis favorable à la motion.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - On cite souvent la phrase de Simone Veil : « L'avortement est un drame ». Le premier drame, le drame séculaire de la condition féminine, est la grossesse non désirée, que les relations sexuelles soient consenties ou non.
Je me suis replongée dans les débats de 2010, lors du passage de dix à douze semaines. C'étaient les mêmes arguments, mot pour mot : menace d'eugénisme, risque médical... Rien de tout cela ne s'est produit. Cela ne se produira pas plus en portant le délai à quatorze semaines.
J'aurais préféré que l'on débatte, mais l'essentiel est que la navette se poursuive - ce que dit souhaiter le ministre - et que le texte aboutisse. J'espère qu'un groupe de l'Assemblée nationale l'inscrira à l'ordre du jour et que le Gouvernement convoquera une CMP.
Je suis à votre disposition pour défendre une politique de soutien à la santé sexuelle et reproductive, qui comprend la contraception, l'avortement et la fertilité. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST)
M. Adrien Taquet, secrétaire d'État . - Jean-Michel Blanquer, Élisabeth Moreno et moi-même avons missionné les inspections pour dresser un état des lieux de l'éducation à la sexualité, et notamment la sensibilisation aux violences sexuelles.
Le Gouvernement regrette que le débat ne se poursuive pas, mais laissera les parlementaires décider, en sagesse.
Mme Nadège Havet . - La discussion générale a eu lieu ; si la motion est votée, il n'y aura pas de débat. La question préalable permet de ne pas engager la discussion du texte du fait d'un motif d'opposition qui rendrait inutile toute délibération au fond. Or tous les sujets abordés par la proposition de loi méritent discussion. Laissons place au débat !
À l'Assemblée nationale, les débats ont été animés, dépassant les clivages traditionnels.
Le Parlement se plaint de ne pas être respecté par le Gouvernement, accusé de trop recourir aux ordonnances... Mais le Parlement se respecte-t-il lui-même, quand il refuse de débattre alors qu'entre mille et quatre mille femmes partent avorter à l'étranger ?
La question préalable porte atteinte au bicamérisme : seule l'Assemblée nationale se prononcera.
Le groupe RDPI votera contre cette motion, car il croit au bicamérisme et, malgré des avis divergents sur le fond, souhaite débattre du texte. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Philippe Mouiller. - Dites-le à votre président !
Mme Raymonde Poncet Monge . - Le GEST regrette le dépôt de cette motion. Alors que la commission des affaires sociales a débattu du texte article par article, le débat n'aura pas lieu en séance plénière.
Certaines questions cheminent dans la société, jusqu'à trouver un jour une réponse législative - je pense à l'AAH. Cela aurait pu être le cas pour la double clause de conscience, fruit d'un compromis vieux de plus de quarante ans.
Le recours à la question préalable est abusif. Vous prenez dix minutes pour critiquer, article par article, la proposition de loi, mais nous ne pouvons vous répondre ! Pourquoi refuser le débat ? Nous le regrettons.
Merci à Laurence Rossignol d'avoir inscrit cette proposition de loi dans la niche du groupe socialiste, ce qui permettra à la navette de se poursuivre et, espérons-le, d'aboutir à l'adoption du texte. Le Sénat s'est privé de son rôle. Le GEST votera contre la question préalable.
M. Daniel Chasseing . - Depuis 1975, le droit à l'IVG a connu de nombreuses étapes : remboursement en 1982, douze semaines en 2001, extension du délit d'entrave en 2017...
Cette proposition de loi énumère les carences de prise en charge de l'IVG : difficulté à trouver des informations, des interlocuteurs, des médecins pratiquant l'IVG. (Mme la rapporteure le confirme.)
À quatorze semaines, le foetus atteint 130 millimètres, l'IVG est plus compliquée : dilatation du col, complications hémorragiques... Beaucoup de praticiens refuseront de réaliser l'acte, pour des raisons éthiques ou médicales. Un tel allongement serait contre-productif.
Il faut améliorer l'information et la prévention, car l'IVG est l'échec de la contraception. Il faut aussi renforcer la prise en charge, l'offre de soins, l'accompagnement, conserver la clause de conscience spécifique et renforcer la politique familiale.
Le groupe INDEP est favorable à l'IVG jusqu'à douze semaines, mais défavorable à l'IVG à quatorze semaines.
Cependant, nous voulons poursuivre le débat et voterons contre la question préalable.
M. Alain Milon . - L'allongement proposé ferait passer le délai de quatorze à seize semaines d'aménorrhée. À l'échographie, la différence est sensible, cher Bernard Jomier !
Cette proposition de loi ne répond pas aux problèmes réels que rencontrent les femmes. Elle ne supprimera pas les disparités de l'offre de soins, n'accélérera pas l'obtention d'un premier rendez-vous, ne prévoit ni réorientation ni accompagnement quand la clause de conscience est invoquée ; elle n'offrira pas une meilleure information sur les techniques d'IVG, ne facilitera pas les IVG médicamenteuses ambulatoires précoces, ne renforcera pas les moyens des centres de santé et du Planning familial. Elle ne résout pas les difficultés des femmes allant avorter à l'étranger.
Avant de modifier la loi, assurons-nous que tout a été fait pour l'appliquer. Modifier la loi ne saurait en masquer les carences. Il faut s'attaquer aux racines du mal. Je voterai cette question préalable.
Mme Laurence Cohen . - Il est paradoxal d'énumérer les carences qui ne seront pas résolues par ce texte. Cela fait des années que nous dénonçons la casse du système de santé public, dans tous les domaines ! Allez-vous enfin voter un Ondam à la hauteur des enjeux, satisfaire les revendications des professionnels de santé, renforcer l'offre de soins sur tout le territoire ? Chiche ! Pourquoi être plus exigeant sur l'avortement que sur les autres lois ?
Oui, il faut augmenter les moyens, cesser de fermer les services et les centres d'IVG. Reconnaissons le savoir-faire des soignants en augmentant les salaires et permettons aux sages-femmes de réaliser des IVG instrumentales.
L'allongement de douze à quatorze semaines poserait un problème éthique, voire médical, dites-vous ? Ce délai atteint vingt-quatre semaines au Royaume-Uni et aux Pays-Bas, sans que cela mette en danger la vie des femmes ! Ce texte aurait été un pas important dans le droit des femmes à maîtriser leur fécondité. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST)
À la demande du groupe Les Républicains, la motion tendant à opposer la question préalable est mise aux voix par scrutin public.
Mme le président. - Voici le résultat du scrutin n°53 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 343 |
Pour l'adoption | 201 |
Contre | 142 |
Le Sénat a adopté.
La proposition de loi n'est pas adoptée.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - C'est un scandale !
La séance est suspendue quelques instants.