SÉANCE
du jeudi 17 décembre 2020
48e séance de la session ordinaire 2020-2021
présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires : Mme Esther Benbassa, Mme Eustache-Brinio.
La séance est ouverte à 10 h 30.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Stratégie vaccinale contre l'épidémie de covid-19
M. le président. - L'ordre du jour appelle la déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, en application de l'article 50-1 de la Constitution, sur la place de la stratégie vaccinale dans le dispositif de lutte contre l'épidémie de covid-19.
Le Premier ministre est susceptible d'être cas contact : je l'ai eu au téléphone. Il m'a demandé de l'excuser, mais je n'ai pas à le faire, puisqu'il s'applique simplement à lui-même ce que nous demandons à chaque Français en s'isolant dans l'attente du résultat des tests. Je lui souhaite le meilleur.
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé . - Notre pays affronte la pire crise sanitaire qu'il ait connue depuis un siècle. Loin de perdre en intensité, le virus continue à progresser.
La situation sanitaire reste préoccupante. Nous avons atteint depuis une dizaine de jours un plateau qui se stabilise malheureusement à un niveau qui ne permet pas encore de garantir une pleine maîtrise de la circulation virale, alors même que les fêtes de fin d'année approchent.
La deuxième vague est loin d'être derrière nous. Aussi la prudence et la vigilance devront rester de mise pendant de longues semaines encore.
L'arrivée du vaccin et le lancement, dans les toutes prochaines semaines, de la campagne vaccinale dans notre pays constituent cependant un grand motif d'espoir.
Le Gouvernement a souhaité préciser au Parlement les fondements de notre stratégie vaccinale, ses modalités de mise en oeuvre, mais aussi la façon dont nous l'intégrons au dispositif global de lutte contre le virus.
Il est essentiel que nous puissions, ensemble, engager un débat constructif sur ce sujet.
C'est la raison pour laquelle, au-delà de cette séance, un cadre de dialogue pérenne a été installé avec la mise en place d'un comité permanent comprenant les présidents de chacune des assemblées et les présidents des groupes parlementaires.
L'arrivée du vaccin est une étape très importante car ce peut être la solution qui protégera durablement la population française face au virus.
Je sais que ce que nous serons collectivement à la hauteur. Depuis le début de cette crise sanitaire, le Sénat a été une force motrice, parce que les territoires, les collectivités territoriales, les élus locaux, ont été, eux aussi, en première ligne face à la détresse de nos concitoyens.
Dès le printemps dernier, la France a pris l'initiative d'une task force européenne capable de constituer une seule force d'achat de façon à peser dans les négociations et éviter une compétition contreproductive entre les pays européens.
Les résultats sont là et nous avons précommandé près de 200 millions de doses permettant de vacciner 100 millions de personnes, car la plupart des vaccins exigent deux injections.
À ce stade, les vaccins les plus avancés sont ceux de Pfizer-BioNTech et de Moderna. Mais d'autres vaccins sont en phase 3 des essais cliniques et pourraient donc être disponibles dans les mois qui viennent.
La stratégie vaccinale n'est pas été construite ex nihilo : elle s'appuie sur les recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS) relatives à la priorisation des populations à vacciner et comporte plusieurs étapes, dont la première doit débuter très prochainement.
Nous visons les premières vaccinations d'ici la fin du mois de décembre, peu après Noël, si les autorités sanitaires indépendantes nous y autorisent, dans un cadre de coopération européen. Le public prioritaire, le plus vulnérable face à la maladie, est constitué des personnes âgées en hébergement collectif, Ehpad, résidences services et résidences seniors, unités de soins hospitaliers de longue durée.
Nous protégerons aussi les hommes et les femmes qui prennent soin d'eux, c'est-à-dire tous les soignants de plus de 65 ans ou ayant des comorbidités. Des précisions seront fournies par un avis complémentaire de la HAS sur les structures non-spécialisées qui accueillent des personnes âgées. Cela concerne environ un million de personnes. C'est dire l'ampleur du défi que nous avons à relever.
Cette première étape sera décisive, mais les personnels des établissements pour personnes âgées ne seront pas seuls pour la franchir, je m'y engage. Ils seront informés à l'avance, les ARS se tiendront à leurs côtés pour que l'approvisionnement se déroule dans les meilleures conditions. Nous les accompagnons déjà, avec Brigitte Bourguignon, ministre déléguée chargée de l'autonomie.
Pour cette première étape, nous avons fait un choix essentiel, que j'assume pleinement : celui de l'information claire, loyale et appropriée dont on s'assure qu'elle a été correctement transmise, ainsi que le recueil du consentement de la personne ; si celle-ci n'a pas suffisamment d'autonomie pour exprimer clairement son consentement, nous demandons alors aux équipes soignantes dans les établissements d'aller rechercher le consentement de la famille. Cela prendra forcément un peu de temps, mais nous enverrons une instruction, dès que nous aurons les recommandations de vaccination, aux dix mille directeurs d'établissements pour personnes âgées pour leur demander de commencer cette consultation médicale pré-vaccinale. Personne ne se verra injecter un vaccin, sans check-up médical pour vérifier qu'il n'y a pas de contre-indications éventuelles,, qu'elle a été clairement informée et qu'on a recueilli son consentement. Personne ne se verra imposer la vaccination en France. Même si ce choix n'a pas été fait par d'autres pays, je suis certain que vous y serez sensibles.
Lors de la deuxième étape, selon le rythme de livraison des doses de vaccins - certains laboratoires ont pris du retard - nous élargirons progressivement les catégories de personnes : les plus de 75 ans, puis les personnes âgées entre 65 et 74 ans et enfin les professionnels de santé et du secteur médico-social âgés de 50 ans et plus ou présentant des comorbidités.
Avec le printemps, viendra une troisième étape, où nous étendrons progressivement la stratégie de vaccination à l'ensemble de la population générale majeure : les personnes âgées de 50 ans et plus ; les professionnels des secteurs essentiels au fonctionnement du pays en période épidémique (sécurité, éducation, secteur alimentaire) ; les personnes vulnérables et précaires, ainsi que les professionnels qui les prennent en charge ; les personnes vivant dans des hébergements confinés ou des lieux clos, puis tout le reste de la population majeure.
Pourquoi une personne de 70 ans en Ehpad serait-elle vaccinée avant une personne de 90 ans vivant à domicile ? Parce que nous savons, avec le recul, que les hébergements collectifs sont plus susceptibles de connaître des contaminations massives.
Nous sommes entrés dans l'organisation de la campagne vaccinale, une véritable épreuve logistique, à une échelle inédite.
La première étape correspondra à l'utilisation du premier vaccin mis à disposition, soit le vaccin Pfizer-BioNTech, sous réserve de l'obtention de l'autorisation européenne de mise sur le marché, qui devrait intervenir le 21 décembre, avant l'avis de la Commission européenne qui sera probablement émis le 23 décembre ; puis le comité technique de vaccination de la HAS donnera un avis pour la France, sans doute entre le 24 et le 27 décembre, nous permettant de commencer sans délai la campagne vaccinale.
La HAS précisera les contre-indications, au plan individuel, en fonction des données scientifiques : ce n'est pas le Gouvernement qui met en place le vaccin, pas plus que le virus, comme on le lit parfois sur certains réseaux ! Ce n'est pas le Gouvernement qui détermine la cible vaccinale, ou l'usage d'un vaccin plutôt qu'un autre... Notre rôle est de faire en sorte que les choses se passent bien, conformément aux données factuelles éclairées de la science ; notre objectif est d'apporter le bon vaccin, au bon patient, au bon endroit, au bon moment.
La chaîne logistique requise par le vaccin Pfizer est monumentale car il se conserve à -80°C. Je remercie les élus, dont le président du port de Sète, Jean-Claude Gayssot, qui nous ont fait savoir qu'ils avaient des laboratoires vétérinaires capables de stocker ces vaccins. Pour les conserver, il faut un congélateur sécurisé et doté d'un système d'information en propre, pour ne jamais briser la chaîne du froid.
Le vaccin est composé de brins d'ARN messager extrêmement fragiles et sensibles aux variations de températures. Une fois décongelé, nous n'avons que douze heures avant de devoir injecter le vaccin. La vaccination doit donc être planifiée et programmée, dans dix mille sites, dans les prochaines semaines. Nous nous appuyons en conséquence sur la compétence et la connaissance des pharmacies et des circuits logistiques spécialisés dans le transport de médicaments sensibles, en renforçant encore la sécurité, là où c'est nécessaire.
La deuxième injection doit être effectuée dans les 18 à 23 jours. Lors de la deuxième campagne, les personnes qui étaient dubitatives pendant la précédente pourraient recevoir la première injection, ce qui suppose une troisième campagne pour leur seconde injection. Nous avons la responsabilité collective d'apporter une information claire, loyale et appropriée pour renforcer la confiance et balayer les contrevérités.
Le vaccin Pfizer-BioNTech est issu d'une start-up allemande, en partenariat avec un groupe américain pour pouvoir produire plus massivement dans le monde. Les doses françaises seront produites en Belgique. Il est à ARN Messager, une innovation qui ouvre aussi des perspectives dans la lutte contre le cancer.
Ces brins d'ARN sont comme une petite partition qui entre dans la cellule, se traduit en protéine du virus, non pas pour reconstituer celui-ci, mais pour stimuler une réaction de défense immunitaire. La protéine est ensuite détruite et la mémoire immunitaire demeure : si le virus frappe un jour à la porte de la cellule, il est reconnu comme un intrus et empêché de rentrer. Le vaccin, d'après les études, protège les cellules des poumons ce qui empêche individuellement les formes graves qui mènent en réanimation.
Nous ne savons pas s'il protège les muqueuses naso-pharyngées, donc nous ne savons pas s'il empêche collectivement l'invasion virale pour les formes légères. Nous le saurons bientôt et pourrons ainsi évaluer si le vaccin protège contre la contagiosité. Il est encore trop tôt.
En revanche, nous savons scientifiquement, par les études publiques françaises, européennes, mondiales, qu'il protège les personnes susceptibles de faire des formes graves, donc les personnes âgées en établissements collectifs. Cela fonctionne : c'est une chance extraordinaire !
Dans le film Amadeus, Mozart compose une partition magnifique, dans laquelle l'empereur juge qu'il y a « trop de notes »... On ne découvre jamais un traitement ou un vaccin qui peuvent sauver des gens trop vite !
À chaque fois qu'un nouveau traitement arrive, je ne me demande pas, comme neurologue, s'il arrive trop vite, mais s'il est efficace. La médecine est magnifique ! Nous devons célébrer la science et le progrès dans lesquels nous devons avoir confiance. C'est un combat que nous menons avec Frédérique Vidal, ici présente, et que vous devez mener avec nous, bien au-delà de la vaccination !
Nous nous appuyons sur les compétences du professeur Alain Fischer, grand immunologue indépendant.
Le jour de la vaccination, il y aura un check-up de la personne, afin de vérifier qu'elle n'est pas malade ; il faudra être attentif à d'éventuels symptômes. Si tout va bien, il y aura première injection, une surveillance sera opérée et une deuxième injection aura lieu trois semaines plus tard.
Le mot « méthode » vient du grec « meta », au-dessus, et « hodos », le chemin, c'est « au-dessus du chemin ». La première balise de ce chemin, c'est la mobilisation générale. C'est un défi collectif : le Gouvernement n'entend pas travailler seul. Nous avons organisé des comités de suivi hebdomadaire avec l'ensemble des parties prenantes.
Je réunis toutes les semaines les représentants des professionnels de santé, les ordres et les syndicats au sein du comité des professions de santé, qui seront encore une fois en première ligne, ainsi que les représentants des hospitaliers, avec les fédérations et les conférences de directeurs et de présidents de commissions médicales d'établissement.
J'ai réuni près de vingt mille médecins en visioconférence la semaine dernière pour avoir un échange aussi direct que possible, et j'ai pu répondre à de nombreuses questions sur la vaccination.
Avec Brigitte Bourguignon, nous échangeons toutes les semaines avec les représentants des établissements pour personnes âgées qui vont, dans les prochaines semaines, jouer un rôle capital.
Nous associons pleinement les collectivités territoriales et les élus locaux à notre stratégie. Leur rôle est majeur, car ils ont une connaissance fine de leur territoire. J'ai réuni les représentants des principales organisations d'élus locaux, AMF, ADF, ARF, France urbaine...
Les collectivités territoriales pourront peut-être prêter main-forte à la vaccination dans les Ehpad reculés, repérer les personnes âgées isolées ou bien mettre à disposition des petits centres vaccinaux, et non d'immenses vaccinodromes. Les collectivités territoriales détiennent l'une des clés de la confiance.
Le Gouvernement a aussi saisi le Conseil économique social et environnemental afin qu'il installe un collectif de citoyens chargé d'émettre ses observations et de formuler des recommandations.
Je salue la cohésion européenne sur ce sujet. Je le dis devant Clément Beaune qui ne ménage pas ses efforts depuis des mois. L'Union européenne s'est montrée unie, soudée, ambitieuse, pour réussir cette campagne vaccinale historique. Avec nos homologues allemands, belges, espagnols, italiens, luxembourgeois, néerlandais mais également suisses, nous avons échangé avant-hier dans un esprit constructif et solidaire et allons coordonner le lancement de nos campagnes vaccinales.
Nous sommes à l'aube d'un vrai changement de braquet dans notre lutte contre l'épidémie. Pour en venir à bout, il faudra de la patience, de la transparence, de la confiance. C'est à ce prix seul que l'espoir, enfin, sera permis. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP et RDSE ; M. Vincent Capo-Canellas applaudit également.)
M. Alain Milon . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Nous souhaitons au Premier ministre de rester en bonne santé.
La vaccination qui commencera le même jour dans tous les pays de l'Union européenne représente un immense espoir et le signe d'une coordination bienvenue.
Nous pourrons savoir rapidement s'il n'y a pas d'effets secondaires majeurs et si la contamination est empêchée par le vaccin.
II nous faudra marteler que ces campagnes de vaccination longues, ciblées ne seront couronnées de succès que si nous continuons les gestes barrières tels que le port efficace du masque, la distanciation et le lavage des mains.
Dans un contexte bien français de défiance à l'égard des vaccins, et d'un nombre insuffisant de doses, le ciblage est nécessaire mais méritera une communication convaincante et répétée.
Le choix des Ehpad, guidé par un objectif de protection d'une population hyperfragile, semble judicieux, mais comment communiquer sur le fait que celle-ci y réside statistiquement au maximum deux ans et demi à trois ans, et comment expliquer que les personnes décédant dans ces établissements dans les jours ou mois suivant cette vaccination ne décéderont pas de la vaccination ?
Les personnels soignants porteurs de maladies graves et volontaires seront vaccinés en priorité. Ils sont pour la plupart demandeurs. Mais quid des personnes âgées valides demeurant chez elles qui ont déjà subi deux confinements ?
M. Philippe Mouiller. - Bonne question !
M. Alain Milon. - Il faut qu'elles se fassent vacciner rapidement pour reprendre une vie sociale, source d'équilibre physique et psychique. Nous risquons sinon de voir une vague de décès dus à l'isolement et au syndrome de glissement.
Le vaccin protégerait contre les formes bénignes et graves de la maladie, mais il reste une incertitude sur son effet sur la transmission. Il faut donc que le vaccin se fasse d'abord sur les personnes à risque, sur ordonnance du médecin traitant, pivot de cette campagne.
Les laboratoires français ont négligé la recherche sur l'ARN messager qui a pourtant fait ses preuves en cancérologie. La France est frileuse dès qu'il s'agit de financer des recherches qui n'aboutissent pas. Les chercheurs partent sous des cieux plus cléments. C'est dommage ! Il faudra revoir notre financement de la recherche avec des cofinancements publics-privés.
Des variantes de la covid-19 sont apparues en Grande-Bretagne. Nous ne sommes pas à l'abri de ce genre de mésaventures qui pour l'instant ne semble pas mettre en péril la vaccination...
M. Roger Karoutchi. - Eh oui !
M. Alain Milon. - Il faudra néanmoins en tenir compte sur la stratégie future de vaccination. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Claude Malhuret . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Je souhaite à mon tour au Premier ministre de rester en bonne santé.
Bonne nouvelle : le Premier ministre a annoncé que la situation française était la mieux maîtrisée en Europe : 107 cas pour 100 000 en France, contre 153 en Belgique et 250 en Allemagne ; 10 000 cas par jour en France contre 30 000 en Allemagne. Il faut se pincer pour y croire ! Mais ces chiffres sont précaires et évitons, après avoir fait pendant huit mois un complexe d'infériorité, le complexe de supériorité face à l'Allemagne. Ce virus reste méconnu, déroutant et traître. Sauf, bien sûr, pour ceux qui ont une boule de cristal...
En mai dernier, j'avais taclé le professeur Mélenchon de la faculté de médecine de La Havane (Sourires) qui avait prédit une deuxième vague. Son collègue le professeur Raoult, de la faculté de médecine de Marseille, disait l'inverse, avec autant de certitude. Bingo ! Mélenchon a décroché le pompon ! (Sourires) Il remporte le prix Nobel de médecine prédictive. (Rires) On a parfois une chance de tomber juste en jouant à Paul le poulpe : même les horloges arrêtées donnent la bonne heure deux fois par jour. (Rires et applaudissements)
Deuxième bonne nouvelle, les complotistes ont tort. Les antisciences ne vont pas lâcher le morceau et cherchent maintenant à discréditer le vaccin : avec succès, semble-t-il, car 60 % des Français sont sceptiques, si l'on en croit les sondages. Il est vrai qu'ils prédisaient la victoire de Mme Clinton et l'échec du Brexit.
Si l'on faisait l'effort de discerner les raisons des Français dans l'incertitude actuelle, on découvrirait que loin d'être obscurantistes, ils sont très rationnels ; seule une minorité est anti-vaccin. Je vais vous donner les prédictions de l'institut de sondage Malhuret. (Sourires) Depuis plus d'un mois, nous sommes en rupture de vaccin contre la grippe alors même que les laboratoires en ont produit une fois et demie plus que l'an dernier. Voici donc mon pronostic : quand nous commencerons la vaccination après que les Anglais et les Américains l'auront reçu depuis un mois, ce qu'il faut craindre ce n'est pas que les doses restent dans les congélateurs, mais que nous peinions à répondre à la demande...
M. Roger Karoutchi. - Évidemment !
M. Claude Malhuret. - Je salue d'autres bonnes nouvelles : les progrès de la prise en charge des malades, le financement commun d'un plan de relance européen de 750 milliards d'euros, mais aussi le fait que notre société, en pleine crise sanitaire, économique et terroriste, ne craque pas.
J'en viens aux préoccupations. Nous n'en avons pas fini avec l'épidémie. Le risque de troisième vague existe. Ce sera un crash test pour le Gouvernement qui sera jugé sur l'issue de l'épidémie, mais aussi pour les Français qui sauront à la fin s'ils font encore partie des nations qui résistent et réussissent ou des nations déclassées et reléguées en deuxième division.
Le confinement strict a marqué la fin du premier acte. Le deuxième acte a commencé avec l'été. Nous avions fait beaucoup de progrès. Nous avions les gestes barrières, les masques, les tests et la stratégie « tester, tracer, isoler », mais nous n'avons pas réussi à la maintenir sur le terrain. La conséquence en fut le deuxième confinement.
Le troisième acte commence aujourd'hui. Pour le réussir, identifions nos points faibles. Le premier est l'isolement, qu'il faut accompagner avec des équipes allant à domicile et des solutions d'hébergement pour ceux qui ne peuvent rester chez eux. Votre annonce sur l'augmentation des moyens humains montre que vous l'avez compris.
Je m'inquiète en revanche de la coordination nécessaire entre tant d'acteurs - hôpitaux publics, privés, soignants libéraux, laboratoires, collectivités territoriales -, jamais réalisée auparavant par une administration de la santé écrasée sous son propre poids. « Un mauvais général vaut mieux que deux bons », disait Napoléon. Voici une chose que le monde ne nous envie pas...
Je suis aussi inquiet du défi logistique qui est énorme. Ma crainte, alors que nous manquons déjà de vaccins contre la grippe, annuels et faciles à conserver, est que les Français ne puissent se faire vacciner. Je souhaite de tout coeur, monsieur le ministre, que vous puissiez le relever.
Cette année se termine sur une note amère : deuils, désespoir de ceux qui sont en proie au chômage, angoisse des secteurs sinistrés, la culture, la restauration, le tourisme... La France déprime et c'est bien compréhensible. Mais ne noircissons pas ce constat. Le magazine Time titre cette semaine : « La pire année de l'histoire ». C'est faux, pensons à ceux qui ont connu les tranchées de Verdun, aux jeunes qui ont eu 20 ans en1940 ! (M. Alain Richard opine.) Certes, 2020 est une épreuve, mais ce n'est qu'une épreuve et l'humanité en a surmonté de bien plus graves.
Après 2020, année de la tristesse, viendra 2021, année de l'espoir. Tel est le voeu que je forme aujourd'hui. (Bravos et applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDPI, RDSE, ainsi que sur plusieurs travées des groupes UC et Les Républicains ; en regagnant son siège, l'orateur est félicité sur plusieurs travées.)
M. le président. - Nous nous associons à vos voeux.
M. Guillaume Gontard . - Voilà un an que le SARS-cov2 est apparu en Chine. La diminution des espaces naturels, le rapprochement des habitations humaines des populations d'animaux sauvages sont vraisemblablement responsables de cette pandémie qui a tant bouleversé nos vies et dont il est encore trop tôt pour tirer toutes les conséquences.
Alors que nous ne pensions pas avoir de vaccin avant l'été 2021, il y a un mois, deux laboratoires ont annoncé les résultats encourageants d'une méthode révolutionnaire, celle des vaccins génétiques s'appuyant sur l'ARN messager.
Des milliards de doses ont déjà été commandées. Nos voisins outre-Manche n'ont pas attendu la décision de l'Agence européenne du médicament pour commencer à vacciner.
L'impatience est grande, et le vaccin est une lumière au bout du tunnel. Un troisième confinement serait épouvantable à tous points de vue : humain, social, économique, financier.
Monsieur le ministre, vous jonglez avec les injonctions contradictoires et cherchez le bon chemin pour sortir du maquis ; nous le savons. Mais la situation est vertigineuse : nous nous apprêtons à inoculer à des millions d'êtres humains un vaccin révolutionnaire, créé en un temps record, avec des essais cliniques accélérés. Les inquiétudes sont légitimes. Quelque 60 % des Français n'envisagent pas de se faire vacciner : au pays de Pasteur, cela fait frémir. Or aucune stratégie de vaccination ne fonctionnera sans l'assentiment des Français.
Dès lors, une instance citoyenne telle que le conseil citoyen présidé par l'incontestable Alain Fischer semble indispensable, tant la défiance est grande. Vous sollicitez le Parlement en amont, ce que nous saluons, tout comme nous saluons la multiplication des réunions d'information et de concertation. Il faut poursuivre dans cette voie.
La transparence doit être le maître-mot et je fais miennes les recommandations de l'Opecst sur la publication des informations disponibles sur chaque vaccin ainsi que des déclarations d'intérêts. J'y ajouterai la publication des contrats signés par l'Union européenne avec les laboratoires pharmaceutiques.
Reconstruire la confiance passera par les liens humains de proximité : médecins généralistes et, espérons-le, pharmaciens. La logistique du vaccin de Pfizer ne le permet guère à ce stade.
Il faudra aussi un respect absolu du consentement et vos propositions à cet égard concernant les pensionnaires des Ehpad vont dans le bon sens.
Le phasage de la campagne de vaccination nous semble bien calibré. Cela permettra de cibler les publics et d'éviter une pénurie. Mais il faudrait intégrer, dès la phase 1, des publics fragiles comme les personnes vivant en foyers de travailleurs migrants ou les malades psychiatriques vivant en institution, et, dès la phase 2, des personnes vulnérables et précaires, victimes et vecteurs du virus.
Nous saluons votre décision de prendre totalement en charge le coût des vaccins. Les personnes précaires ne doivent pas avoir de frais à avancer.
Avec ce vaccin, nous ne verrons cependant pas encore le bout du tunnel. Il demeure des incertitudes sur le blocage de la transmission. Il ne doit pas apparaître comme un totem d'immunité, selon vos mots.
Le chemin est encore long mais nous avons besoin de retrouver un peu de nos vies en dehors de l'activité économique. Le défi sera de rééquilibrer les mesures coercitives, de contraindre davantage le travail pour permettre la reprise d'autres activités humaines.
Notre population épuisée a besoin d'oxygénation mentale pour supporter l'incertitude qui, selon Edgar Morin, « contient en elle le danger mais aussi l'espoir ». (Applaudissements sur les travées du GEST)
M. Martin Lévrier . - J'adresse des messages de prompt rétablissement au Président de la République.
Dix mois après le début de cette pandémie sans précédent, le Gouvernement présente les principaux volets de sa stratégie vaccinale.
Ce débat est bienvenu. Avec un calendrier si rapide, il faut proposer aux Français une discussion constructive pour restaurer la confiance et construire l'adhésion au vaccin autour de quatre principes.
Le premier principe est celui du libre choix. La vaccination ne sera pas obligatoire. Pour limiter la défiance, il faut une communication transparente, continue et proactive associant les professionnels de santé de proximité et les jeunes générations.
Il n'y aura pas de vaccination sans consentement. Je regrette certaines positions politiciennes qui, en mettant en scène les dissensions au sein de la communauté scientifique, nourrissent cette défiance.
Le deuxième principe est la gratuité. Le vaccin est un bien commun qui doit être accessible à tous. Le Gouvernement a budgété 1,5 milliard d'euros dans le PLFSS et le Sénat a porté la TVA à 0 %.
Oui, nous devons sécuriser la vaccination des plus précaires, qui seront difficiles à retrouver pour la deuxième injection. Il faut « aller vers ».
Le troisième principe est la démocratie sanitaire. Deux instances ont été saisies : le conseil d'orientation présidé par Alain Fischer et le CESE, pour associer les citoyens à la conception et au suivi de la stratégie vaccinale. Je salue la décision d'associer le Parlement à cette politique de transparence, avec la commission présidée par Cédric Villani.
Le quatrième est la sécurité. Le vaccin sera autorisé à l'issue d'une procédure rigoureuse et stricte d'essais. L'objectif est clair : protéger les Français et notre système de santé. Les études cliniques montrent que le vaccin réduit les formes graves et la mortalité ; il permettra donc de soulager les hôpitaux.
Le 21 décembre, l'Agence européenne des médicaments se prononcera sur l'autorisation de mise sur le marché. La responsabilité du Gouvernement est que tout vaccin ait reçu toutes les autorisations nécessaires et soit acheminé rapidement.
À ce jour, 200 millions de doses sont fléchées vers la France. Nous devons construire une logistique adaptée et vacciner en priorité les personnes pour lesquelles le virus est le plus dangereux, notamment les précaires dans les déserts médicaux urbains. La priorisation de l'HAS fait consensus, n'y revenons pas.
La stratégie vaccinale complète les autres dispositifs - gestes barrières, télétravail, couvre-feu - qui devront être maintenus et adaptés.
Une fois les vaccins mis sur le marché, nous entrerons dans l'étape de la vaccino-vigilance. C'est un arsenal complet qui doit être mis en place.
La collecte des données se fera au niveau régional. Au niveau national, l'ANSM rendra public un rapport hebdomadaire sur les effets indésirables. Cela nécessitera la pleine implication des soignants et des patients via un portail de signalement.
Nous savons pouvoir compter sur la mobilisation des professionnels de santé. Celle-ci est toutefois conditionnée à une information claire et transparente et surtout, à un statut juridique et assurantiel du médecin.
Nous vivons une pandémie terrible, mais une révolution scientifique extraordinaire. L'arrivée du vaccin est un tournant. Pasteur avait dû s'administrer lui-même son vaccin... Aujourd'hui, en faisant confiance à la science et à la médecine, nous serons à la hauteur de notre mission. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI)
M. Bernard Fialaire . - Je m'associe aux voeux de bonne santé de mes collègues.
Dans un contexte d'angoisse, de sacrifice et de colère, une stratégie vaccinale claire est nécessaire pour redonner confiance aux Français.
Alors que le Royaume-Uni débute la vaccination et que l'Allemagne a mis en place d'importants moyens logistiques, le retard français interrogeait. Dès le 9 juillet, le Conseil scientifique pressait le Gouvernement d'agir dans les plus brefs délais.
Une stratégie nationale était donc urgente, englobant approvisionnement, stockage, allocation et administration du vaccin.
Bien sûr, les publics les plus vulnérables et les plus susceptibles de développer des formes graves de la maladie doivent être prioritaires.
Le plan du Gouvernement en trois phases semble judicieux.
Avec les pré-achats, la France disposera de 200 millions de doses pour vacciner 100 millions de personnes. Quelle sera la chronologie de ces livraisons ? De quelles garanties disposons-nous d'un point de vue logistique ?
Il est inquiétant que dans le pays de Pasteur, 61 % des Français n'aient pas l'intention de se faire vacciner. Cela tient en partie à l'irresponsabilité de prétendus spécialistes qui ont sapé la crédibilité des discours scientifiques et alimenté les fantasmes en s'aventurant dans des domaines qu'ils ne maîtrisent pas.
Certes, nous connaissons mal cette nouvelle technologie de l'ARN Messager. Les inquiétudes sont légitimes au regard de la rapidité de développement des vaccins et des incertitudes demeurent sur leurs effets secondaires.
La confiance est donc indispensable et nécessite la plus grande transparence. Nous ne devons rien éluder et reconnaître que nous ne pouvons pas tout savoir.
La création d'un conseil autour d'Alain Fischer, dont les avis seront publics, est ainsi bienvenue. Je vous encourage aussi à développer une politique de communication horizontale plutôt que verticale, en s'appuyant sur les relais que sont les professionnels de santé et la société civile.
Je salue le choix d'une vaccination facultative et gratuite, et de placer les médecins généralistes au coeur de la campagne de vaccination. Ceux-ci étant surchargés, il serait également pertinent de permettre aux infirmiers et aux pharmaciens de vacciner.
Il convient de saluer la coopération européenne en matière de recherche et d'achat de doses. Face à une pandémie mondiale et pour éviter le chacun pour soi, le vaccin doit être considéré comme un bien commun universel. L'initiative mondiale ACT a ainsi mobilisé 2 milliards d'euros pour agir auprès des populations vulnérables et faciliter la recherche et la diffusion du vaccin et des traitements. La solidarité internationale envers les pays les plus pauvres doit être de mise.
Liberté de se faire vacciner ou non ; égalité de l'accès au vaccin gratuit pour tous ; fraternité envers les pays moins développés : tels sont les enjeux pour rester fiers de notre République.
Transparence et communication, sans bureaucratie excessive, seront la clé de la confiance. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE)
Mme Laurence Cohen . - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE) À mon tour de présenter au Président de la République mes voeux de bonne santé.
Je me réjouis, monsieur le ministre, de votre retour parmi nous après huit semaines d'absence.
M. Olivier Véran, ministre. - Vous êtes sûre ? Et le 9 novembre ?
Mme Laurence Cohen. - Ce débat nous permet de prolonger la réflexion de la commission d'enquête.
Le vaccin est une excellente nouvelle dans notre lutte contre le virus. Reste à convaincre les Français.
Convaincus des bienfaits de la vaccination, nous partageons les recommandations de la HAS qui n'est pas favorable à une vaccination obligatoire. Privilégions l'intelligence humaine sur les mesures coercitives.
Il faut donc une véritable campagne de communication pour redonner confiance à la population, ébranlée par de nombreux scandales sanitaires - Mediator, Dépakine, Distilbène, sang contaminé, Isoméride pour n'en citer que quelques-uns.
Quand les grandes puissances raflent six milliards de doses de vaccin, n'en laissant que 500 millions pour le reste du monde, c'est le règne du chacun pour soi. L'opacité sur les contrats commerciaux avec Big Pharma, couverts par le secret des affaires, et sur le prix d'achat du vaccin par l'Union européenne, confidentiel, explique aussi cette défiance.
La course contre le virus ne doit pas nous faire perdre de vue la sécurité sanitaire. Aussi, nous saluons l'engagement de l'ANSM de publier chaque semaine un bilan sur les effets secondaires du vaccin. Un dispositif de vaccino-vigilance consolidé s'impose.
La distribution reposera sur une centaine d'hôpitaux et sur cinq plateformes nationales équipées de super-congélateurs. Les généralistes seront-ils équipés pour conserver les vaccins ? Pour nous, l'achat des congélateurs doit être à la charge de l'État, non de l'assurance maladie ou des établissements.
La priorisation fixée par la HAS, avec cinq phases vaccinales, paraît adaptée à la situation.
Disposerons-nous d'assez de professionnels de santé pour vacciner les Français ? Pourquoi ne pas élargir le cercle au-delà des seuls généralistes ?
Selon le Wall Street Journal, les objectifs de livraisons du laboratoire Pfizer auraient été divisés par deux. Serons-nous livrés à temps pour la deuxième phase, en mars ?
Les 2 milliards d'euros prévus dans le PLFSS 2021 seront-ils suffisants ? Le vaccin de Pfizer coûte 33 euros la dose, soit 1,7 milliard d'euros pour l'assurance maladie pour une seule injection à 50 millions de Français - alors qu'il en faut deux.
Nous soutenons l'initiative internationale visant à faire du vaccin un bien commun de l'humanité, accessible à tous. AstraZeneca a annoncé une commercialisation de son vaccin au prix coûtant de 4 euros. À cet égard, nous saluons l'initiative citoyenne européenne « Droit aux vaccins et aux traitements ».
Je regrette vivement le rejet de notre proposition de loi créant un pôle public du médicament. Un tel outil serait bien utile. La recommandation n°4 de l'Opecst sur la prévention des conflits d'intérêts est à saluer.
Enfin, le retard pris dans l'élaboration du vaccin Sanofi-Pasteur interroge sur la stratégie française en matière de recherche.
Ne reproduisons pas avec les vaccins ce que nous avons vécu avec les masques et les tests. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE ainsi que sur plusieurs travées des groupes SER et GEST)
Mme Sonia de La Provôté . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Nous souhaitons aussi un prompt rétablissement au Président de la République.
La place de la stratégie vaccinale dans la lutte contre le virus n'est pas évidente. Nos connaissances scientifiques sont des îlots au milieu d'un océan d'incertitudes et d'imprévus. Ce virus est nouveau, et la technologie innovante utilisée pour les vaccins à ARN demeure incertaine : quelle durée et quelle qualité de protection, quel impact sur la diffusion du virus ?
Nous savons en revanche la gravité de la maladie pour les plus âgés et les plus fragiles, nous savons l'efficacité des mesures barrières et du confinement, nous savons que l'épidémie reprend dès que l'on baisse la garde.
À nous d'agir, individuellement et collectivement, le plus efficacement possible, le temps de passer de l'inconnu à la connaissance.
Dans cette stratégie, la vaccination est une clé essentielle. Elle arrive hélas dans un contexte de doutes vis-à-vis de la puissance publique et de la science.
Pour que la stratégie vaccinale réussisse, il faut d'abord retrouver la confiance en assurant une information transparente. Ce point n'est pas négociable et ne doit éluder aucun sujet ; un site internet unique comme le propose l'Opecst doit être envisagé. Cette information devra aussi concerner les contrats avec les laboratoires pharmaceutiques, et notamment la clause d'irresponsabilité qui cristallise les suspicions.
Évitons la multiplication des canaux d'information. Depuis le début de cette crise, les querelles de plateau alimentent les doutes, et la parole publique est elle-même source de confusion. Ministère, HAS, conseil de défense, conseil scientifique, ANSM, CESE, conseil d'orientation, comité vaccin... On y perd ses petits ! Il est temps de dire qui fait quoi. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains) Chacun son rôle : la parole publique doit être claire et lisible.
Je regrette le déficit d'information à l'égard des médecins eux-mêmes, qui demandent à être convaincus, pour certains, de l'efficacité du vaccin. Ils seront au coeur de la stratégie. Il serait à ce titre légitime de proposer la vaccination à tous les soignants qui le souhaitent. Il faudra également s'appuyer sur les associations de patients pour élaborer une stratégie de communication adaptée.
Enfin, les élus locaux sont hors des écrans radars...
M. Olivier Véran, ministre. - Nullement !
Mme Sonia de La Provôté. - Ils ont certes un rôle logistique, mais aussi une parole qui pèse auprès de leurs administrés.
Il faut préférer la proximité à la communication verticale. En d'autres termes, nous préférons la communication racinaire aux éclairs de Jupiter.
L'autre défi est celui de la logistique et du phasage. La phase 1 est un choix de raison, humainement et médicalement, pour protéger les personnes âgées résidant en Ehpad et soulager les hôpitaux, mais rapidement, il faudra aussi vacciner les personnes âgées à domicile.
La logistique du vaccin est complexe et nécessitera de s'appuyer sur les acteurs locaux pour tenir compte des particularités - je pense en particulier à l'outre-mer. Apprenons de nos erreurs des derniers mois sur les masques et les tests.
La vaccination se fera sur le fondement d'un consentement éclairé. Comment sera-t-il recueilli, notamment pour les personnes qui ne peuvent le donner ? Les médecins veulent se sentir juridiquement protégés.
Nous ne pouvons manquer le rendez-vous de la vaccination. Pour réussir, il faudra amener nos concitoyens à un consentement libre et éclairé par une stratégie d'information claire, actualisée et adaptée, et mettre en oeuvre une logistique agile, rigoureuse et sécurisée.
Le Parlement doit être pleinement informé de la mise en oeuvre de la stratégie vaccinale. Aussi, ce débat devra-t-il être réitéré d'ici l'été.
Vous pouvez compter sur le soutien vigilant du groupe UC. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)
M. Bernard Jomier . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Nous souhaitons le meilleur pour la santé du chef de l'État. Espérons que le préfet de police de Paris sera moins injuste avec lui qu'il ne l'avait été au printemps avec les Parisiens testés positifs, accusés de ne pas respecter les gestes barrières ! (Sourires)
Je me livrerai à un exercice de mémoire. Le passé ne dicte pas l'avenir, mais il l'éclaire.
Grâce à la vaccination, la France a éliminé la poliomyélite, la diphtérie, la variole. On acceptait une balance bénéfice-risque plus incertaine et des enfants ont contracté la polio du fait du vaccin... Notre époque ne l'accepterait plus, mais cela montre que le risque inhérent à de nouveaux outils ne justifie pas forcément qu'on les écarte !
La vaccination est un outil inestimable qui apporte une protection individuelle et collective. C'est un acte de santé publique, contre l'égoïsme et l'individualisme. Soyez assuré de notre soutien dans la mise en oeuvre de votre stratégie.
Jusqu'en 1995, des patients, des amis mourraient du VIH. Quand sont apparus de nouveaux traitements antirétroviraux, un débat s'est ouvert sur leurs importants effets secondaires. Les malades, eux, réclamaient d'aller vite. Rappelez-vous les débats surréalistes sur le tirage au sort !
Heureusement, nous n'en sommes plus là. Pour les plus fragiles, il faut aller vite. En 2016, le professeur Fischer a animé une concertation citoyenne sur la vaccination, très utile car dans la population, le pourcentage de ceux qui doutaient augmentait fortement. Son rapport est intéressant ; nous en avons débattu avec Agnès Buzyn au moment de l'extension de trois à onze du nombre de vaccins obligatoires, recommandée par le rapport Fischer. La vaccination, en effet, stagnait à 80 % des enfants.
Mais ce rapport contenait aussi d'autres recommandations sur la transparence, le partage de l'information, la pédagogie ou l'association des élus locaux. Je regrette qu'elles n'aient pas été mises en oeuvre.
Mme de La Provôté a rappelé la recommandation de l'Opecst sur la mise en place d'une plateforme numérique unique.
L'adhésion de nos concitoyens aux vaccins n'a pas été accrue parce que les recommandations sont restées lettre morte. En responsabilité, nous serons à vos côtés pour lever les doutes et mettre en oeuvre les recommandations du rapport de 2016. Ne réinventons pas l'eau tiède pour définir une stratégie ! (Mmes Michelle Meunier et Marie-Pierre de La Gontrie applaudissent.)
Souvent l'Union européenne est critiquée. Mais elle prend des décisions pour protéger nos concitoyens : c'est cette Europe que nous aimons, et il faut la développer.
Nous souhaitons que nos compatriotes à l'étranger ne soient pas oubliés, non plus que les détenus ou les personnes en rétention ou les populations vivant dans des conditions sociales et économiques dégradées.
Nous appelons aussi la France à être à la hauteur de ses valeurs à l'international : solidarité et humanisme. Le vaccin ne doit pas être réservé aux seuls pays qui ont les moyens de le payer.
Nous vaccinerons les quinze millions de Français les plus vulnérables d'ici trois mois. Et ensuite ? Si les vaccins rompent la contagiosité, quelle stratégie vaccinale ? C'est maintenant qu'il faut se poser la question, car le nombre de doses à acheter en dépend. Pourrons-nous un jour éradiquer le virus ?
Il cause beaucoup de tort à notre vie économique, sociale, culturelle. Nous allons devoir poursuivre les gestes barrières et la distanciation physique, mais au moins nous avons un grand espoir, celui de mener la bataille pour éliminer ce fléau. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Bruno Belin applaudit également.)
présidence de M. Roger Karoutchi, vice-président
Mme Chantal Deseyne . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La stratégie vaccinale suscite de nombreuses questions, en raison notamment d'une mise en oeuvre extrêmement rapide.
La HAS s'est focalisée sur l'âge et les facteurs de risque. Deux populations paraissent prioritaires : les résidents d'Ehpad et le personnel de ces établissements.
L'autorisation de mise sur le marché devrait être rendue le 21 décembre et les premières vaccinations pourraient voir lieu à la fin du mois.
Le consentement libre et éclairé prévu par le code de la santé publique en son article L. 1111-2 doit être recueilli après information des patients au cours d'un entretien individuel. Pour les personnes ayant des troubles cognitifs, ce sera la famille ou la personne de confiance qui le donnera. Le recueil du consentement se fera-t-il par oral ou par écrit ? Le consentement sera-t-il recueilli sur l'application « TousAntiCovid » ?
M. Olivier Véran, ministre. - Ouh là là !
Mme Chantal Deseyne. - Environ 30 % des Ehpad n'ont pas de médecin coordinateur. Souvent celui-ci est présent une fois par semaine dans l'établissement. Vous appuierez-vous sur le secteur libéral ?
Les médecins généralistes ont la confiance des patients. Mais aussi les infirmiers libéraux et les pharmacies.
Certaines régions et certains départements seront-ils prioritaires ? Quel sera le rôle des préfets et des élus locaux ? Quels seront la composition et le rôle du Comité des élus locaux ?
Quid des 3,8 millions de Français - 6 % de la population - habitant des déserts médicaux ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Bruno Belin . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) L'histoire a fait de la France un grand pays de la vaccination : Pasteur, Calmette et Guérin...
La gratuité de tous les vaccins serait idéale ou au moins une TVA nulle. Pas de vaccinodrome anxiogène : la vaccination doit être solennelle et la proximité est essentielle. Les pharmaciens ont ainsi capté une patientèle qui ne serait pas allée chez le médecin pour la vaccination contre la grippe. La logistique sera cruciale : des guerres se perdent pour des questions d'intendance.
Les territoires ruraux isolés, ou outre-mer, doivent aussi bénéficier des vaccins.
Ne sera-t-on pas face à une pénurie comme pour la grippe saisonnière, dont le vaccin est contingenté... dans notre cinquième puissance mondiale ?
On entend parler de 200 millions de doses, peut-être cinquante fois moins... Il faut être clair ! Et qui vaccinera ?
Monsieur le ministre, vous avez employé un terme qui a suscité bien des confusions : essentiel. Pour moi, chaque vie est essentielle. S'il n'y a pas de problème de stock, il n'y a pas de priorités à définir.
Je comprends le problème des Ehpad : un décès de la covid sur deux se produit dans ces établissements. Les présidents de départements doivent définir les priorités, avec les médecins. Car les problèmes d'insuffisance cardiaque ou de diabète peuvent être plus problématiques que l'âge.
Dans deux cents jours, en juillet 2021, nous fêterons le centième anniversaire de la première vaccination contre la tuberculose par Calmette et Guérin. Espérons fêter alors un nouveau succès ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales . - (Applaudissements à droite) Depuis de longs mois, l'épidémie mobilise sans discontinuer les professionnels de santé et démoralise la population.
La recherche a été rapide : c'est un élément de satisfaction dans une période qui en compte peu. D'autres pays vaccinent déjà. Le débat se focalise sur la supposée réticence des Français à se faire vacciner. Attention aux autoréalisations... Certes la couverture vaccinale des Français n'est pas très bonne, mais celle des enfants l'est.
Le défi est avant tout logistique. Le vaccin doit être acheté en doses suffisantes, être conservé dans de bonnes conditions, et administré aux bonnes personnes par les professionnels les plus appropriés.
Souvenons-nous de l'échec de la campagne de vaccination contre la grippe, à laquelle les médecins n'avaient pas été associés - la commission d'enquête du Sénat l'avait déploré. Ne reproduisons pas cette erreur. Les professionnels de santé doivent être placés au coeur de la stratégie de santé publique.
Monsieur le ministre, aucun médecin généraliste ni représentant des usagers du système de santé n'appartenait à votre premier comité. (M. le ministre le conteste.) Les Français et les professionnels de santé attendent une stratégie simple reposant sur des connaissances scientifiques puissantes.
Quelle sera l'articulation entre le Conseil d'orientation sur la stratégie vaccinale et les autres autorités de santé ? Quelle instance allez-vous écouter au moment d'arrêter votre stratégie ?
Les interrogations de nos concitoyens sont légitimes face à une technologie nouvelle. Le rôle de la pharmacovigilance sera déterminant. Mais avec quels moyens ?
Encore une fois, la communauté des professionnels de santé sera notre meilleure alliée : les Français ont confiance en elle.
J'ai bien compris les phases de la stratégie liées à l'impossibilité d'avoir immédiatement toutes les doses. Mais beaucoup de Français sont impatients. L'attente peut être anxiogène.
Transparence, indépendance et vigilance seront nos maîtres mots. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Florence Lassarade, au nom de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques . - Je me réjouis de faire entendre la voix de l'Opecst dont la mission est d'éclairer les décisions parlementaires sur les choix scientifiques et technologiques.
Nous avons publié depuis le début de la crise une dizaine de notes sur la pandémie, et auparavant un rapport sur la vaccination, que j'ai co-écrit avec Cédric Villani, Jean-François Eliaou et Sonia de La Provôté.
Ce vaccin est une avancée scientifique majeure. L'âge est le principal facteur de risque. Dans l'urgence, la vaccination réduit les formes graves. La balance bénéfice-risque est positive. Nous ne savons pas en revanche si la protection sera individuelle ou collective.
La réussite de la première phase sera déterminante pour susciter la confiance. Ne nous précipitons pas.
L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (Oniam) devra être mobilisé en cas d'accident de vaccination. Le carnet de vaccination électronique pourrait faciliter le traçage, ne serait-ce que pour veiller à l'observance de la seconde injection.
Il est positif que l'Union européenne ait négocié collectivement l'achat de vaccins mais les États-Unis ont bénéficié grâce à la Biomedical avanced research and development authority de livraisons plus rapides et moins chères.
Il faudra répondre aux craintes en explicitant la balance bénéfice-risque. La vaccinovigilance devra être active et renforcée.
M. le président. - Il faut conclure !
Mme Florence Lassarade. - Les professionnels de santé, les élus locaux et les parlementaires devront être associés. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Olivier Véran, ministre . - Vous avez évoqué des questions de fond, notamment sur la vaccino-vigilance, qui reposera sur l'ANSM, sur la HAS, sur Santé Publique France, sur l'Inserm. Tous les effets indésirables, mineurs comme majeurs, seront déclarés et publiés en toute transparence.
L'indemnisation par l'Oniam en cas d'effets indésirables sera garantie comme elle l'est pour tout autre médicament. Il y a deux niveaux de responsabilité : celui des laboratoires et le fonds de l'Oniam pour la responsabilité sans faute.
Les collectivités territoriales seront associées : voyez le tweet de Jean Rottner pour la région Grand Est, se satisfaisant du dispositif. Le dialogue est de qualité et je suis à la disposition des élus locaux.
Une centaine de points de stockage sont prévus sur tout le territoire avec de grands congélateurs, dont sept outre-mer. Ces territoires seront servis dans les mêmes temps que les autres : c'est une exigence et une évidence. Dans certains territoires, ruraux par exemple, nous aurons encore plus besoin de l'aide des collectivités territoriales pour aller jusqu'au domicile des personnes si nécessaire.
La HAS fait des calculs bénéfices-risques et établit les priorités. À mesure que les doses arrivent, les publics prioritaires seront vaccinés.
Je ne critique pas ceux qui ne se sentent pas à l'aise avec le vaccin. Le Président de la République a annoncé que le vaccin ne serait pas obligatoire. Saint Thomas disait : « heureux celui qui croit sans avoir vu ». Le niveau de confiance augmentera probablement à mesure que nous vaccinerons. Il faut montrer que les bénéfices sont supérieurs aux risques. Mais ces risques existent : même le paracétamol peut entraîner des réactions hépatiques et allergiques.
Notre pays est le seul, sur 183 pays, à avoir suspendu la vaccination contre l'hépatite B pendant plusieurs années en raison d'un aléa statistique : un neurologue avait observé des cas de sclérose en plaques dans l'année suivant la vaccination.
Une réaction immunitaire peut toujours déclencher une maladie sous-jacente. Les risques, les effets indésirables existent, mais le covid a des effets désastreux certains ! On a oublié de quoi protégeaient les vaccins, à mesure de l'éradication de ces fléaux. La rougeole provoque des encéphalites graves chez l'enfant, conduisant au décès ou à un handicap à vie. Je pourrais citer également le tétanos. On a si bien oublié ce danger qu'il faut vérifier, quand un patient arrive aux urgences avec une plaie, qu'il est bien à jour de sa vaccination. Combien d'entre nous sont à jour ? (« Moi ! » sur plusieurs travées à droite)
Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique. - Il y a beaucoup de médecins parmi les sénateurs ! (Rires)
M. Olivier Véran, ministre. - Nous n'avons pas éradiqué la poliomyélite, monsieur Jomier, mais la variole, on a oublié ce que c'était ! Quelque 60 % de la population était touchée et 20 % des malades en mourraient, rappelait Voltaire ; les survivants étaient défigurés.
Désormais, l'OMS offre 1 million de dollars à qui identifierait un cas de variole. Certaines souches peuvent exister sous le permafrost et l'on conserve quelques exemplaires en laboratoire P4. Mais enfin, tout est oublié ! La vaccination a sauvé l'humanité à plusieurs reprises.
Plusieurs interventions concernaient la logistique. Quelque 1,2 million de doses sont attendues en décembre, 0,7 en janvier, 1,6 en février. Plusieurs intervenants laissaient penser que l'on manquerait de doses à cause du Gouvernement : mais ce n'est pas le Gouvernement qui produit les vaccins ! Les doses arriveront progressivement, c'est pourquoi il faut définir des priorités : cela n'a rien à voir avec un quelconque manque d'anticipation. De grâce, pas de polémique !
Sur le recueil du consentement, écrit ou oral, j'ai saisi la direction générale de la santé et la question n'est pas encore tranchée. Mais cela ne change rien juridiquement : le médecin doit pouvoir démontrer qu'il a correctement informé le patient.
Pierre-Louis Druais, médecin généraliste, est membre du conseil des scientifiques depuis le début. J'avais souhaité, avec la ministre de la Recherche Mme Vidal, ici présente, qu'un comité identifie les recherches les plus prometteuses en amont, pour guider la contractualisation avec les laboratoires. C'est un autre comité qui accompagnera la mise en oeuvre de la vaccination, et un autre encore, l'évaluation.
Ces responsabilités sont fractionnées afin que celui qui décide ne soit pas celui qui contrôle. Le professeur Fischer établira bientôt une liste d'experts pour constituer la force de travail collective sur les questions logistiques. Ces instances se parlent mais sont complémentaires.
Madame Cohen, votre parti politique défend les travailleurs... mais vous parlez avec une suspicion permanente des laboratoires pharmaceutiques. Ils oeuvrent pourtant à sortir l'humanité de l'impasse, et emploient 150 000 salariés qui ne vont pas travailler le matin la boule au ventre mais servent l'intérêt général et la santé publique de notre pays.
Mme Laurence Cohen. - Je les défends contre les licenciements !
M. Olivier Véran, ministre. - Je ne crois pas que ce soit une sale besogne que d'accompagner la recherche médicale.
Mme Laurence Cohen. - Moi non plus.
M. Olivier Véran, ministre. - La recherche française se porte bien. Sur les dix plus grandes publications dans Nature sur la covid, deux sont françaises. C'est la France qui a démontré le rôle que pouvait jouer le dexaméthasone contre la covid. Un grand laboratoire français est en cours de développement d'un vaccin. On peut parler de retard, mais toutes les garanties d'un vaccin efficace seront là. L'institut Pasteur travaille sur des vaccins de deuxième ou troisième génération : ils préparent « le coup d'après ». Célébrons la recherche française ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur quelques travées du groupe Les Républicains)
M. le président. - Je vous souhaite d'excellentes fêtes et une prochaine année sereine. J'espère vous retrouver en bonne santé le 12 janvier.
Prochaine séance le mardi 12 janvier 2021, à 14 h 30.
La séance est levée à 12 h 45.
Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,
Rosalie Delpech
Chef de publication