Aménagement numérique des territoires
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, concernant l'aménagement numérique des territoires, présentée par Mme Éliane Assassi, M. Guillaume Gontard et plusieurs de leurs collègues.
Mme Marie-Claude Varaillas, auteure de la proposition de résolution . - Nous abordons un thème cher au Sénat et crucial pour nos concitoyens. La crise sanitaire a révélé de nouvelles fractures : celle entre les premiers de cordée et les premiers de corvée ; les fractures sociales auxquelles se sont ajoutées des fractures numériques territoriales.
Grâce au réseau téléphonique mobile et à une connexion internet de qualité, certains on put profiter de leurs proches, travailler, se divertir, faire leurs courses pendant le confinement...mais, pour bien d'autres, l'isolement numérique a accompagné l'isolement physique, résultant en une situation insupportable moralement et handicapante.
Les réseaux de télécommunications, à l'image des voies de communication du XIXe siècle, sont un puissant levier d'aménagement du territoire, de désenclavement, d'intégration au monde.
Notre groupe réclame l'intégration du très haut débit - soit une connexion supérieure à 30 mégabits par seconde- au service universel.
Le monopole de France Telecom, devenu Orange, a été cassé pour permettre l'installation de ses concurrents. Ce changement de paradigme et la succession de plans n'ont pas permis d'avancer vers une couverture intégrale des territoires et trop de nos concitoyens restent toujours sur le bord des routes numériques.
Alors que le plan France Très haut débit du Gouvernement se fixe l'objectif de la couverture de 80 % de la population à la fibre optique, pour un investissement total de 20 milliards d'euros.
Dans les territoires les plus denses - représentant 57 % de la population - les opérateurs s'engagent à déployer des réseaux de fibre privés mutualisés de très haut débit dans le cadre de conventions signées avec l'État et les collectivités concernées. Cela nécessite un investissement des opérateurs de 6 milliards à 7 milliards d'euros.
Pour le reste - soit 90 % du territoire ! - les collectivités territoriales créent des réseaux d'initiative publique (RIP), qui peinent à trouver des gestionnaires. Ainsi, seules 26 % des prises installées bénéficient de l'offre de plus d'un seul opérateur. C'est le schéma bien connu de la privatisation des profits et de la socialisation des pertes. Là où la rentabilité est assumée, c'est le privé, là où elle ne l'est pas, la puissance publique s'y substitue, dans un contexte d'asséchement général des ressources.
Dans les zones intermédiaires, on laisse encore la main au privé, par des appels à manifestation d'intérêt, pour répondre à des questions relevant de l'intérêt général.
Les RIP coûtent 13 milliards à 14 milliards d'euros, cofinancés par les fournisseurs. Les recettes d'exploitation et le privé doivent financer l'investissement, mais sans sanctions associées.
Il reste un besoin de subvention publique de 6,5 milliards. En décembre 2017, le Gouvernement a fermé le guichet distribuant les subventions. Il l'a rouvert en décembre 2019, avec 140 millions d'euros, passés à 440 millions dans le budget 2020 ; le Sénat a obtenu en PLFR3 une rallonge de 30 millions d'euros ; puis le plan de relance inscrit dans le budget 2021 de nouvelles autorisations d'engagement de 240 millions d'euros.
En cumulé, ce sont 550 millions d'euros qui sont mis à disposition du plan France Très haut débit, soit très en-deçà des 800 millions d'euros nécessaires.
La Cour des comptes considère que le projet doit passer de 20 milliards à 35 milliards d'euros et que son terme doit être reporté à 2030, ce qui ouvre encore de nouvelles questions de financement.
Il faut changer de modèle. La politique de l'État ne peut se limiter à une politique de guichet, à un conventionnement ou pire, à des enchères comme l'a indiqué la convention citoyenne pour le climat.
Les sanctions prévues n'ont jamais été mises en oeuvre par l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep), alors que les opérateurs n'avaient rempli que 60 % à 70 % de leurs obligations : 67 % pour Orange et 75 % pour SFR dans les zones dites AMII (appel à manifestation d'intérêt d'investissement).
Pourquoi permettre aux opérateurs privés d'être propriétaires des infrastructures dans les zones denses et rentables et les exonérer de cette obligation en zone non rentable ? Pourquoi ne pas avoir soit séparé partout les infrastructures et les activités d'opérateurs, à l'image par exemple du rail, soit conservé un modèle unifié ?
Il est nécessaire de créer un opérateur national, propriétaire des réseaux et dont le financement serait assuré à la fois par les opérateurs mais également par l'État, doté de ressources mutualisées, alimenté par les entreprises sur leurs bénéfices, souvent considérables et si souvent décriés comme le résultat d'ententes. Toutes les recettes de l'opérateur de réseau seraient également obligatoirement réinvesties dans le développement et l'entretien du réseau existant, mutualisant les recettes des zones denses pour couvrir les besoins des zones moins denses.
La Commission européenne a fixé, pour 2025, l'objectif d'une couverture totale des locaux à 100 mégabits par seconde, soit la mise en place de la fibre jusqu'à l'ensemble des abonnés.
La France se doit donc de créer les moyens d'atteindre ces objectifs pour éviter le renforcement de fractures territoriales par de nouveaux déserts numériques alors même que le droit au très haut débit doit être garanti pour nos concitoyens. (Bravos et applaudissements sur les travées du groupe CRCE)
Mme Éliane Assassi . - Le groupe CRCE a fait le choix de ce thème pour montrer combien des pans entiers du territoire ont été abandonnés par l'État.
Récemment, la mise aux enchères des fréquences de la 5G a apporté 2,7 milliards d'euros à l'État sans aucune autre exigence que de rapporter de l'argent frais dans ses caisses. C'est bien curieux, d'autant que les opérateurs avaient pourtant alerté le Gouvernement sur le fait que ces enchères n'avaient aucun caractère d'urgence, en raison des lacunes dans la couverture de la 4G ; d'autant que ce passage à la 5G devrait également priver d'accès près de 4 000 foyers dans 40 départements particulièrement enclavés..
Tout est organisé autour de la socialisation des pertes et de la privatisation des profits. La 5G est une innovation d'importance, pouvant devenir une alternative sérieuse à la fibre dans les territoires enclavés.
Mais le seul prisme du Gouvernement reste la rentabilité : les pylônes seront multipliés en zones denses pour attirer des consommateurs. Or ce n'est pas la technologie en soi qui est importante, mais ce que l'on en fait.
Quel est l'intérêt pour nos concitoyens ? Surtout, qui en décide ? La question est donc démocratique.
Il faut donc établir un grand service public qui assure le droit à l'accès au très haut débit pour tous, à travers un plan stratégique de développement numérique soumis au Parlement.
Il faut rétablir un pôle public. La privatisation de France Telecom a été une folie économique et sociale. Alors que la rente du cuivre aurait pu financer la couverture de tout le territoire, l'État a préféré brader ce fleuron industriel.
Le développement numérique reste un angle mort démocratique, le Parlement devant se borner à constater le respect ou non par les opérateurs privés de leurs engagements peu contraignants dans le cadre du Plan France Très haut débit et du contrôle de l'Arcep.
Quant aux citoyens qui remettraient en question la 5G, le Président de la République les a qualifiés dédaigneusement d'amish, montrant un mépris tout jupitérien. Or l'utilité publique de ces usages mérite des débats avec la convention citoyenne, mais aussi avec les associations, les élus et le Parlement.
Le groupe CRCE vous invite à voter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)
M. Jean-François Longeot . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Je salue la démarche engagée par cette proposition de résolution, dont je partage le constat : la fracture numérique.
Qu'il s'agisse de continuer à apprendre, à travailler, à se soigner, à garder un contact avec nos proches, le numérique est crucial.
Il faut répondre au défi de désenclaver le territoire et rendre plus attractives nos zones rurales. Mais le groupe UC ne peut souscrire à la solution proposée.
Cette proposition de résolution propose d'insérer dans le service universel du numérique le THD. Or dans la directive européenne créant un code européen des communications électroniques, seul le haut débit y est intégré.
Seuls 600 000 euros ont été décaissés pour le plan Très haut débit.
Les financements sont pourtant sur la table. Faut-il créer un pôle public ?
La planification et l'initiative publiques sont déjà à l'oeuvre dans les zones sous-denses. Ailleurs, il a été jugé préférable de s'appuyer sur une logique concurrentielle, accompagnée cependant d'engagements des acteurs privés. Ce rythme est satisfaisant : ainsi 5 millions de prises ont été installées en 2019.
Cette proposition de résolution veut revoir le financement des RIP. En 2019, 25 départements n'avaient pas suffisamment de crédits pour finaliser leur plan de déploiement. Le Sénat avait alerté sur cette insuffisance. Mais le plan d'urgence prévoit 240 millions d'euros supplémentaires, pour une couverture intégrale par la fibre, ce qui nous satisfait.
C'est une victoire politique majeure pour notre assemblée et notre commission. Je salue Hervé Maurey et Patrick Chaize, particulièrement mobilisés.
À la fin du premier trimestre 2020, Orange et SFR avaient rendu respectivement 67 % et 75 % des sites raccordables dans les zones AMII. L'Arcep doit maintenant exercer ses pouvoirs de sanctions.
Le groupe de l'Union centriste votera contre cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
M. Jean-Michel Houllegatte . - « Un État moderne est un État qui sait donner des impulsions, sans se substituer aux acteurs de la société - citoyens, associations, entreprises, collectivités territoriales : L'État épaule leurs efforts, en leur donnant les moyens d'agir par eux-mêmes ». Ces paroles prononcées le 26 août 1999 par Lionel Jospin, alors Premier ministre, lors des universités d'été de la communication à Hourtin, définissaient la politique du Gouvernement en matière de « nouvelles technologies d'information et de communication ».
Mais il faudra attendre février 2013 pour que les fondements de cette politique soient posés par François Hollande dans le cadre du Plan France Très haut débit : un partage des rôles entre privé et public, à travers 3,3 milliards d'euros prévus de crédits de l'Europe.
Grâce à cette méthode, nous dépasserons les 40 millions de logements et locaux raccordés en 2025.
Les acteurs privés investissent ainsi 10 milliards d'euros par an.
L'État doit plus que jamais accompagner les collectivités territoriales. Notre assemblée a pesé de tout son poids pour que l'Europe participe plus. C'est chose faite : le financement atteint 550 millions d'euros dont 240 millions du plan de relance. Cela donne une visibilité aux 21 départements n'ayant pas complété leur plan de financement. Certes, quelques incertitudes demeurent sur le futur cahier des charges, sur les raccordements complexes, mais l'horizon semble dégagé.
Une des particularités du plan de 2013 est d'avoir renforcé l'action du régulateur. Le statut d'autorité indépendante de l'Arcep lui donne l'assurance d'exiger que les engagements contraignants pris par les opérateurs soient respectés et qu'en cas de manquement les sanctions soient appliquées.
Le traitement des 43 retards constatés sur les 445 premiers sites du New Deal de la couverture ciblée fera figure de test.
L'Arcep a toujours su faire preuve de fermeté les opérateurs avaient même déposé une QPC. Elle devra se pencher sur les retards en zone dense, tels Bobigny, Lille ou Clermont-Ferrand.
Concernant la qualité des raccordements, attention à ce que les « paquets de nouilles », selon l'expression des techniciens, ne viennent obérer la vitesse de connexion. Le groupe SER s'abstiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
M. Patrick Chaize . - Au risque de troubler le groupe CRCE, je vais être assez bienveillant avec cette proposition de résolution. (Sourires) Je souscris aux considérants et je comprends votre raisonnement. Mais je voterai contre ! Intégrer le très haut débit dans le service universel des télécoms est-il nécessaire, si la loi Daddue mentionne un accès adéquat en haut débit ? Le Sénat avait milité pour que le raccordement soit fait selon la meilleure technologie disponible mais en vain, hélas.
Quant à la création d'un pôle public des télécoms, deux remarques : c'est une autorité administrative, l'Arcep qui est chargée de la mise en oeuvre du service universel. Elle s'en acquitte très bien. Sur la maîtrise publique des infrastructures numériques, la mission Loutrel doit rendre ses conclusions prochainement. J'estime pour ma part que cette mission devrait revenir à l'ANCT.
Sur la construction, le compte y est presque : il faudrait 630 millions d'euros pour rendre raccordables 100 % des foyers. L'État apporte déjà 550 millions d'euros, et 50 millions d'euros supplémentaires seraient facilement mobilisables via un programme ouvert aux opérateurs privés. Le reste à financer doit pouvoir être abondé dans un futur PLF...
Pour les raccordements longs, il faudra plusieurs dizaines de millions supplémentaires ; vous vous êtes engagé à une expérimentation dès 2021. Il faudra la généraliser.
Quant au respect des obligations des opérateurs privés, nul ne saurait dicter à l'Arcep la sévérité dont elle doit faire preuve.
Les solutions avancées par cette proposition de résolution sont anachroniques. En proposant de créer un opérateur national propriétaire des réseaux, vous rejouez le match.
Je n'ai pas d'a priori idéologique sur la propriété publique des réseaux, mais les RIP créés par la loi de 2004 sont une bonne mesure, et je me dois de me désolidariser de votre initiative. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Pierre-Jean Verzelen . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants) L'État ne sait plus aménager le territoire. Il y a dix ans, il promettait d'amener la fibre à tous les Français. Le résultat, ce sont les zones AMII : les opérateurs ont intérêt à privilégier les zones urbaines denses, et rien pour la ruralité. En ville, avec 40 mètres de fibre, on raccorde deux immeubles ; chez moi, à Crécy-sur-Serre, deux maisons...
Ces syndicats mixtes se sont créés au niveau départemental pour les zones AMII. L'État a fini par apporter l'argent. Il y a bien une fracture numérique et des retards des opérateurs, mais les choses ont plutôt bien avancé.
En matière de décentralisation, pas besoin de 3D, 4D, 5D ou plus : regardez ce qu'ont fait les collectivités territoriales pour la fibre. Les élus locaux ont fixé les priorités, l'État les a accompagnés et financés. Voilà ce dont il faut s'inspirer.
Pour la téléphonie mobile, le New Deal va plutôt dans le bon sens : les opérateurs sont juridiquement responsables, financièrement sanctionnables, et on fait confiance aux territoires. Quant à la 5G, c'est intéressant mais beaucoup d'habitants n'ont toujours pas le Edge !
L'autorité de régulation existe déjà : c'est l'Arcep. Ne touchons pas à ce qui fonctionne bien. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants et UC)
M. Guillaume Gontard . - Hier, un habitant de Pierre-Châtel dans le sud Isère m'interpellait sur l'absence de connexion à la fibre ; un maire du Trièves m'indiquait qu'un jeune couple avait renoncé à s'installer dans sa commune faute de liaison internet et mobile ; un artisan me racontait devoir prendre sa voiture pour télécharger un dossier d'appel d'offres depuis un village voisin. C'est hélas le quotidien de nombreux habitants en zones rurales et en montagne.
Malgré les millions d'euros de financements publics européens, nationaux, régionaux, intercommunaux et même communaux, le constat d'échec est patent ; il est technique et financier mais c'est avant tout celui d'un modèle privé de concurrence et de rentabilité défaillant, qui ignore la cohérence et l'équité territoriales.
Je remercie le CRCE d'avoir demandé l'inscription à l'ordre du jour de cette proposition de résolution que j'ai cosignée. L'État doit redevenir moteur de l'aménagement du territoire. Les opérateurs privés ne s'intéressent qu'aux zones denses. Comme pour le rail, on aurait pu imaginer un modèle où l'État déploie et détient les réseaux et les loue aux opérateurs privés. Mais on a laissé ces derniers déployer les réseaux sans concertation, installer leurs antennes-relais sans mutualisation - aberration écologique, gâchis économique et déni démocratique, puisque les populations ne sont pas informées.
Conséquence : l'État a dû se substituer aux opérateurs en 2013 en lançant France Très haut débit pour compléter la couverture du pays. On mesure les conséquences de la privatisation de France Télécom. Faute d'opérateur national, voilà la France incapable de fibrer son petit territoire en moins d'une décennie.
Les promesses présidentielles de 100 % haut et très haut débit fin 2020 ne seront pas plus tenues que celle de sortir du glyphosate. (M. Daniel Salmon applaudit.) : l'objectif est déjà reporté à 2025. Pour tenir cet horizon, il faut un soutien exceptionnel aux collectivités territoriales. Faute de mesures contraignantes pour les opérateurs, les zones blanches perdureront.
Le Gouvernement persiste à vouloir déployer la 5G dans les grandes villes, sans débat démocratique et sans attendre le résultat des études sanitaires. Quelle télémédecine en zone rurale, quand on ne peut même pas envoyer un mail ou passer un coup de téléphone ?
Votre politique aggrave la fracture numérique et territoriale.
Vous auriez au moins pu conditionner le déploiement de la 5G à celui de la fibre...
Le GEST votera cette proposition de résolution et ne comprend pas que le vote du Sénat ne soit pas unanime. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et CRCE)
M. Frédéric Marchand . - Le numérique n'est pas un luxe mais un droit essentiel. Chacun, partout sur le territoire, doit avoir un accès performant à internet. L'infrastructure numérique est un bien de première nécessité, un élément clé de cohésion du territoire, d'inclusion et de compétitivité économique. L'État agit avec détermination, notamment à l'égard des opérateurs. Le Gouvernement a conclu en janvier 2018 un accord historique avec des engagements contraignants pour les opérateurs : convertir les pylônes, assurer la couverture mobile dans des zones stratégiques, généraliser la 4G dans les transports, optimiser le passage de la 4G dans les bâtiments, proposer une offre de 4G fixe. L'Arcep contrôle en toute transparence le respect de ces obligations.
La loi ELAN de 2018 a fixé des objectifs complémentaires de couverture. Le très haut débit et la résorption des zones blanches lèveront un obstacle à l'arrivée des entreprises et des travailleurs indépendants dans les zones rurales ; cela induit une nouvelle forme d'aménagement du territoire, de nouveaux modes de vie.
En 2022, 100 % des Français seront éligibles au très haut débit, et le Gouvernement se fixe l'horizon 2025 pour la fibre.
Les départements - dont 75 % ont prévu la généralisation de la fibre optique d'ici 2025 - sont les maîtres d'ouvrage, mais l'État reste le principal financeur avec 3,3 milliards d'euros sur le quinquennat, auxquels s'ajoutent 240 millions d'euros du plan de relance.
La trajectoire retenue fait de ce quinquennat le plus volontariste depuis des décennies. En zone d'initiative publique, 4,3 millions de locaux ont été connectés au deuxième trimestre 2020, soit une hausse de 72 % en un an ! À ce jour, 76 % du territoire est couvert par la 4G, contre 45 % au 1er janvier 2018. Plus de 2 000 nouveaux pylônes seront déployés en deux ans.
Le très haut débit permettra aussi de déployer la télémédecine - nous sommes passés de 50 000 consultations l'année dernière à un million lors du premier confinement.
La représentation nationale pourra mesurer à chaque pas le déploiement de la fibre, du très haut débit et de la 4G.
Le groupe RDPI votera contre cette proposition de résolution.
M. Éric Gold . - La crise que nous vivons a fait émerger un besoin de réforme. Nous ne pouvons que partager le constat de cette proposition de résolution : le besoin de numérique est plus fort que jamais pour l'accès aux démarches administratives, à la télémédecine, à l'information, à la culture, aux savoirs, et bien sûr au télétravail.
Le numérique est également un outil de désenclavement et d'attractivité des territoires ruraux. La polarisation de notre modèle d'aménagement du territoire autour des métropoles a eu des effets délétères ; pour désengorger les métropoles et relancer la dynamique des zones rurales et périurbaines, il faut un accès internet de qualité partout et pour tous. Accompagnons le rêve des Français qui aspirent à quitter les centres-villes !
Le plan France très haut débit prévoit une couverture intégrale en 2025. L'État a inscrit des crédits supplémentaires dans le plan de relance pour arriver à 550 millions d'euros pour le déploiement de la fibre.
Quelque 10,5 millions de locaux seront abonnés à la fin de l'année et les 41 millions de locaux français le seront d'ici quatre ans ; 96 % du territoire est ouvert par la 4G avec au moins un opérateur : les chiffres sont encourageants, notamment grâce aux RIP qui se substituent aux opérateurs privés.
Régie Auvergne numérique pourra ainsi desservir bientôt tous les locaux, grâce aux 300 millions d'euros investis par la Région, les quatre départements, l'État et l'Europe. L'aide de l'ANCT aux collectivités territoriales devrait accélérer le déploiement du très haut débit.
Cette proposition de résolution crée un nouveau droit au très haut débit sous la forme d'un service universel, mais c'est déjà ce que prévoit le plan France Très haut débit.
Le RDSE s'abstiendra sur ce texte : il faut avant tout sécuriser l'investissement public et privé, sanctionner le non-respect des engagements, renforcer la concertation face aux oppositions locales.
Un mot, pour conclure, sur l'illectronisme. En 2020, une personne sur deux ne se sent pas à l'aise avec le numérique et treize millions de personnes en demeurent éloignées. Trois personnes sur cinq ne peuvent réaliser de démarches administratives en ligne : 13 % des démarches seulement sont accessibles aux personnes en situation de handicap. L'État a débloqué 250 millions d'euros pour déployer notamment 4 000 conseillers numériques ; le RDSE estime qu'il faudra 1 milliard d'euros pour financer l'inclusion numérique. N'oublions pas ces citoyens qui se sentent exclus de cette société hyperconnectée.
Mme Viviane Artigalas . - La proposition de résolution que nous examinons a un objectif très louable : améliorer l'aménagement numérique de nos territoires.
Cependant, le groupe SER est partagé sur les propositions. Oui, le numérique est un bien commun, mais nous pouvons espérer qu'avec le plan de relance, le déploiement de la fibre s'accélérera.
Entre emballement et retard par rapport à l'innovation, nous sommes sur une corde raide. J'évoquerai plusieurs points de vigilance.
La couverture du territoire doit être totale, mais chacun doit pouvoir choisir son niveau de débit. Tous nos concitoyens ont-ils besoin du très haut débit ? À l'heure où l'on recherche la sobriété, une couverture équilibrée et stable qui n'exclut personne serait la véritable entrée dans le monde moderne.
La crise a montré la nécessité du développement des usages du numérique - pour le télétravail, l'enseignement, pour demander une aide de l'État ou pour accéder aux services publics dématérialisés. Or la mission d'information du Sénat sur le sujet a montré que trois Français sur cinq étaient exclus des usages numériques.
Elle préconise de mieux cartographier les zones d'exclusion numérique, d'améliorer l'accessibilité des sites publics en ligne, d'octroyer un crédit d'impôt pour la formation en entreprise et un chèque pour l'achat ou la location d'un équipement, préférablement reconditionné.
Ces propositions nous semblent à même de favoriser la réussite de la stratégie nationale pour un numérique inclusif à laquelle le plan de relance consacre 250 millions d'euros. Ces financements seront-ils pérennes ?
Le numérique ne saurait se réduire à la seule question de l'aménagement du territoire ; il doit contribuer à une société plus égalitaire, sobre et durable. Restons vigilants sur la stratégie comme sur le type de réseaux à déployer. Au politique de mesurer les risques et les avantages, en prenant en compte toutes les dimensions du problème. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
M. Jean-Marc Boyer . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Sujet ô combien fondamental, la fracture numérique persiste et fait mal.
Au-delà de l'aménagement, il nous faut un plan qui déménage.
Dans le Puy-de-Dôme, l'état des réseaux est inadmissible. On a annoncé un plan ambitieux d'inclusion numérique en janvier 2018, et un réseau d'initiative public via France Très haut débit en Auvergne.
Malgré des améliorations, la fracture numérique est toujours là. La crise sanitaire va bouleverser notre mode de vie. Le numérique est fondamental pour nos ruraux dans tous les aspects de leur quotidien.
Le développement numérique doit aussi accompagner le retour à la campagne et l'extension du télétravail - ans quoi la fracture continuera de s'accroître.
Le Gouvernement met en place un plan de numérisation des TPE-PME, dont 30 % seulement ont un site internet. L'objectif est louable : maintenir une activité en ligne alors qu'ils sont obligés de fermer. Mais une partie de ces petites entreprises n'ont pas d'accès aux réseaux leur permettant de développer le commerce en ligne...
La 5G risque d'accroître la fracture numérique si elle n'est pas installée sur tout le territoire. Or son développement sur les cinq prochaines années semble fléché sur les métropoles, le périurbain et les axes autoroutiers.
Cette proposition de résolution étatise fortement le développement numérique et remet en cause l'architecture actuelle. Or le tout État n'a pas fait ses preuves et l'État n'en a pas les moyens. Il faut renforcer les RIP qui ont fait leurs preuves. Le temps n'est plus à la recentralisation (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Patricia Demas . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) J'interviens à la tribune pour la première fois, sur un sujet qui me touche.
Dans mon village de Gilette, dans les Alpes-Maritimes, l'aménagement numérique est une belle promesse. Mais l'accès au numérique peut engendrer de nouvelles fractures territoriales.
Si les « considérants » relèvent du bon sens, je m'interroge cependant sur les propositions. La proposition de résolution souhaite un soutien exceptionnel de l'État - difficile de s'opposer à ce voeu pieux. Elle demande des mesures plus contraignantes pour que les opérateurs privés respectent leurs obligations. Je rappelle simplement que le Sénat a été en pointe pour mettre la pression sur les opérateurs via l'Arcep. Je salue l'action de Patrick Chaize.
Bref, je suis dubitative. La lecture de l'exposé des motifs me trouble.
Mme Éliane Assassi. - N'en rajoutez pas !
Mme Patricia Demas. - Créer un opérateur national, propriétaire des réseaux ? Là, franchement, je m'inquiète. Faudrait-il remettre en cause le travail des collectivités territoriales avec les RIP ? Cet excès de centralisme semble arriver à contretemps, alors que l'essentiel des zones sous-denses est en passe d'être couvert.
Je m'inquiète de la place laissée aux petites collectivités territoriales rurales. Sur les 500 millions d'euros du plan de relance sur la transformation numérique, elles bénéficieront d'une enveloppe de 88 millions d'euros ; cela devrait me rassurer. Mais la mise en oeuvre de la feuille de route est complexe, l'architecture financière alambiquée. Le calendrier me paraît impossible à tenir. Je crains que les collectivités les moins avancées soient à leur tour frappées d'illectronisme. L'État devrait leur consacrer plus de temps et de moyens. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Jean-François Longeot applaudit également.)
M. Cédric O, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques . - Je ne vais pas ébranler le groupe CRCE en indiquant que je ne suis pas d'accord sur toute la proposition de résolution. (On fait mine de s'en étonner sur les travées du groupe CRCE.)
Mais je partage l'objectif de développement de la couverture numérique, qu'il s'agisse d'infrastructures, de déploiement des réseaux ou des usages. Car il nous faut aussi former les Français - un sur six n'utilise jamais un ordinateur, un sur trois n'est pas à l'aise avec des compétences de base - car la question des usages est au coeur de la fracture numérique.
Le budget de la lutte contre l'illectronisme est passé en trois ans de 350 000 euros à 250 millions d'euros. Et j'ai annoncé le déploiement de 4 000 conseillers numériques financés par l'État, soit un doublement. Je serai lundi dans l'Allier pour signer une première convention.
Le numérique a constitué la ligne de vie des Français durant le confinement. Face à l'urgence de résorber la fracture numérique, les engagements du Président de la République seront tenus.
Ne vous en déplaise, 100 % des Français auront accès au très bon débit, soit 8 mégabits par seconde, d'ici 2020 - c'est déjà le cas ; 100 % des Français auront accès au très bon débit, soit 30 mégabits par seconde, d'ici 2022, dont 80 % par la fibre. Le Gouvernement aidera les 20 % restants soit à monter en débit, soit à acquérir une antenne satellite.
Nous avons prévu 240 millions d'euros dans le plan de relance pour atteindre 550 millions d'euros pour couvrir 100 % du territoire français en fibre d'ici 2025. Cela nous semble être le bon ordre de grandeur.
À ce jour, 21 départements n'ont pas d'objectif de couverture 100 % fibre d'ici 2025 : nous allons reconventionner avec eux pour qu'ils atteignent cet objectif. J'étais dernièrement dans les Pyrénées-Orientales pour ce faire.
Pour les raccordements longs ou complexes, nous travaillons avec l'Arcep à un subventionnement.
Nous tiendrons l'objectif de fibrer 100 % du territoire en 2025 - objectif unique en Europe. Je me suis engagé dans le DADDUE au développement d'un service universel de la fibre à l'horizon 2025, qui en fera un bien essentiel au même titre que l'eau, l'électricité ou le téléphone.
La fibre et la lutte contre la fracture numérique sont les sujets sur lesquels les résultats du Gouvernement font le moins débat.
Aucun pays en Europe ne développe plus vite la fibre que la France. La moitié de la fibre installée en Europe l'est en France ! C'est une victoire du Gouvernement mais aussi des collectivités territoriales. (On se félicite, à gauche, que le ministre le reconnaisse.)
Le précédent plan Zones blanches 2003-2018 avait déployé 600 pylônes. Avec le New Deal, 2 500 pylônes seront déployés en deux ans, uniquement dans les zones blanches ! C'est un effort spectaculaire. (Sourires à gauche)
Nous déployons chaque année 5 millions de prises. Ce fut le cas en 2019 ; en 2020, malgré le confinement, nous ferons encore mieux. Chaque jour, ce sont 19 000 nouvelles prises qui sont rendues raccordables.
Nous étions en retard sur la commercialisation ; désormais, nous sommes champions d'Europe, devant l'Espagne.
L'objectif du Gouvernement est aussi de déployer les technologies d'avenir et la 5G. Mais son premier objectif est bien la réduction de la fracture territoriale. Madame Assassi, vous avez évoqué un déséquilibre territorial sur la 5G. Or la France est le seul pays en Europe...
Mme Éliane Assassi. - Encore ?
M. Cédric O, secrétaire d'État. - ... à avoir inscrit dans les contrats d'attribution des fréquences 5G une obligation d'équilibre du territoire : un quart des pylônes devront être déployés en zone rurale.
Je note votre soutien à cette technologie, suffisamment rare sur ces bancs. (Vives protestations sur les travées du groupe CRCE)
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Vous nous prenez pour des ringards ?
M. Cédric O, secrétaire d'État. - Ceux qui brûlent les antennes 5G sont ceux qui brûlent les antennes 4G et les points de mutualisation de la fibre. Il serait illogique d'être pour la fibre et contre la 5G...
Monsieur Gontard, je n'ai pas tout compris dans votre intervention. Dans l'Isère, c'est un RIP qui déploie la fibre : retournez-vous contre le responsable ! Votre raisonnement est contre-intuitif.
Madame Demas, avec Amélie de Montchalin, nous avons réuni les associations de collectivités la semaine dernière pour évoquer la question des 88 millions d'euros de soutien à la transition numérique. Il n'y a pas d'obligation de candidater d'ici début janvier : certaines collectivités sont prêtes mais il y aura d'autres échéances plus tardives. Nous avons expliqué notre philosophie et rassuré les collectivités sur le caractère simple et qui opérationnel de cette enveloppe.
Le développement du numérique est toujours trop lent pour nos concitoyens, j'en ai bien conscience. C'est pour cela que le Gouvernement ne soutient pas cette proposition de résolution. Aujourd'hui, nous avons un dispositif qui marche, le meilleur d'Europe. (On ironise sur les travées du groupe CRCE.)
M. Fabien Gay. - Du monde !
M. Cédric O, secrétaire d'État. - Peut-être du monde, en effet, à l'exception de la Corée du Sud, que je connais bien... Il faut certes maintenir la pression sur les opérateurs, régler les problèmes opérationnels, mais de grâce, ne cassons pas ce qui fonctionne bien.
La proposition de résolution n'est pas adoptée.