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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.
Table des matières
Proposition de loi vers une sécurité globale
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur, chargée de la citoyenneté
Blocage européen du plan de relance
M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la relance
Perspectives de fin d'année pour le tourisme
Mme Élisabeth Borne, ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion
M. Gabriel Attal, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, porte-parole du Gouvernement
Quarantaine à Saint-Pierre-et-Miquelon
Réouverture des commerces (II)
M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la relance
M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la relance
Attitude de la France vis-à-vis de l'Arabie Saoudite
Avenir du sport amateur et professionnel
L'Agence nationale de la cohésion des territoires, un an après sa création
M. Jean-Claude Requier, pour le groupe RDSE
M. Éric Gold, pour le groupe RDSE
« La France peut-elle devenir un champion de l'énergie hydrogène ? »
M. Éric Gold, pour le groupe RDSE
Ordre du jour du jeudi 19 novembre 2020
SÉANCE
du mercredi 18 novembre 2020
25e séance de la session ordinaire 2020-2021
présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires : Mme Esther Benbassa, M. Pierre Cuypers.
La séance est ouverte à 15 heures.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Questions d'actualité
M. le président. - L'ordre du jour appelle les Questions d'actualité au Gouvernement. Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.
Chacun respectera son temps de parole et veillera au respect des uns et des autres.
Proposition de loi vers une sécurité globale
Mme Esther Benbassa . - (Murmures à droite) Dans un rapport du 12 novembre, le Conseil des droits de l'homme de l'ONU a dénoncé le caractère liberticide de la proposition de loi « vers une sécurité globale » dont l'examen a débuté hier à l'Assemblée nationale. Elle porte en effet des atteintes importantes aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales - liberté d'association, vie privée, réunion pacifique.
Nous sommes en contradiction avec la Déclaration des droits de l'homme, le pacte international relatif aux droits civils et politiques et la Convention européenne des droits de l'homme. Ce n'est pas un honneur !
L'article 24 visant à interdire la diffusion d'images d'agents des forces de l'ordre est particulièrement visé. Il punit de 45 000 euros d'amende et d'un an de prison les contrevenants. Combien de violences policières échapperont à la justice ? (Protestations à droite) Que deviendra la liberté de la presse ?
Comment pouvez-vous laisser la France abandonner son statut de pays des droits de l'homme ? Tous, associations et démocrates, s'opposent à cette proposition de loi. Comment pouvons-nous nous renier à ce point ? (Applaudissements sur les travées du GEST ; protestations à droite)
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur, chargée de la citoyenneté . - (« Ah ! » à droite) Permettez-moi de vous rappeler les termes de l'article 24 qui fait tant couler d'encre... J'observe qu'il est souvent évoqué sans savoir de quoi il retourne. (Protestations à gauche) Je le cite tel qu'il est proposé par le député Fauvergue, qui était précédemment un grand expert du maintien de l'ordre : « est puni d'un an d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende le fait de diffuser par quelque moyen que ce soit et quel qu'en soit le support, dans le but qu'il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique, l'image du visage ou tout autre élément d'identification d'un agent de la police nationale ou d'un militaire de la gendarmerie nationale ».
Il sera donc toujours permis de filmer des policiers et des gendarmes et de transmettre des images à la justice, mais nous voulons éviter qu'ils aient une cible dans le dos. Il est anormal que des enfants de 8 ans n'osent pas dire à l'école que leur papa est policier ou gendarme de peur de le mettre en danger. (Protestations à gauche ; marques d'approbation au centre et à droite)
J'espère que le débat démocratique aura bien lieu et que vous voterez cette proposition de loi ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, UC et Les Républicains)
Blocage européen du plan de relance
M. Pierre Médevielle . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Depuis 48 heures, le plan de relance est bloqué, pris en otage par deux gouvernements, et avec lui les 40 milliards d'euros que la France attend d'urgence. Cette situation ubuesque est révélatrice des dysfonctionnements européens, alors que la crise du commerce, le financement du chômage partiel, les aides aux PME, le renforcement de notre système de santé et la transition énergétique et numérique sont des enjeux urgents et majeurs.
Par leur veto, la Hongrie et la Pologne s'opposent à ce que 450 millions d'Européens, dont leurs propres citoyens, bénéficient d'une relance rapide. En Europe, l'indépendance de la justice, la liberté de la presse et le respect des droits fondamentaux servent de monnaie d'échange à des apprentis dictateurs adeptes de la démocratie illibérale.
Le temps passe. La marge de manoeuvre paraît étroite. Quelles limites la France pose-t-elle dans la suite de ces négociations ? Quelles conséquences en cas d'échec pour nos entreprises, nos commerces, nos citoyens et leur santé ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)
M. Clément Beaune, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé des affaires européennes . - Il y a une semaine, le plan de relance a été adopté par le Parlement Européen, après quelques semaines de négociations avec les institutions, et amélioré par rapport à celui de juillet, avec 16 milliards d'euros de plus.
Deux pays ont fait état de leur volonté de le bloquer, pour des raisons purement politiques liées à l'État de droit, ce qui pose effectivement la question de l'unanimité et de nos modes de fonctionnement.
Nous avons néanmoins procédé au vote, afin que chacun prenne ses responsabilités. La France ne renoncera ni à la relance ni à ses valeurs et certainement pas à ce mécanisme de l'État de droit.
Avec la présidence allemande qui dure jusqu'à la fin de cette année, nous cherchons des solutions pratiques de clarification, mais nous avancerons, le cas échéant, en dernier ressort, sans ces deux pays car nous ne pouvons accepter d'être pris en otage.
Cela ne ralentira pas la mise en oeuvre du plan de relance de 100 milliards d'euros qui a déjà commencé et qui se poursuivra dans son intégralité avec la loi de finances pour 2021, puisque le financement européen vient le rembourser ou l'accélérer ensuite. Il n'est pas question de remettre en cause l'ambition de la relance et encore moins notre ambition européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI)
M. Pierre Médevielle. - Nous vous souhaitons un plein succès dans les négociations à venir, où il semblerait que la Slovénie ait rejoint la Pologne et la Hongrie.
Réouverture des commerces (I)
M. Serge Babary . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Samedi, le Premier Ministre a déclaré qu'il fallait « vivre avec le virus sur le temps long », mais les commerçants de proximité attendaient une annonce de reprise pour le 12 novembre dernier, et vous leur avez donné rendez-vous le 27 novembre.
Le lendemain, le ministre de la Santé ne voit pas les conditions réunies pour une réouverture des commerces le 27 ; hier, Gabriel Attal indique que le Gouvernement tranchera « la semaine prochaine »... Et vous-même, monsieur le Premier ministre, déclarez à l'Assemblée Nationale : « nous devrions avoir des perspectives positives à la fin de ce mois et au début du mois de décembre »... Personne n'y comprend plus rien ! (Marques d'approbation à droite ; murmures sur les travées du groupe RDPI)
Nous ne pouvons ajouter une crise humaine et sociale à la crise sanitaire et économique. Croyez-vous vraiment au caractère sanitaire de votre décision ? Des clients masqués vont-ils vraiment se ruer dans les commerces des centres-villes ? La comparaison avec les risques sanitaires des transports en commun bondés est cruelle. Aucune raison scientifique, aucune donnée statistique ne nous a jamais été fournie pour justifier ces fermetures.
La prévention peut être revue, les protocoles renforcés, alors que beaucoup a déjà été fait par les commerçants et les restaurateurs en particulier, qui ne demandent qu'à travailler. À quelle date pourront-ils rouvrir ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la relance . - (« Ah ! » à droite) Je connais votre clairvoyance, votre connaissance du terrain, votre proximité avec les petits commerces, à Tours et partout en France ; je sais que vous comprenez parfaitement ce que vous dites ne pas comprendre : notre préoccupation à tous, Gouvernement et sénateurs, pour la sécurité sanitaire des Français.
Tant que le virus circule, il ne peut y avoir de relance forte de l'économie. Réduire cette circulation est l'objectif du confinement.
Les petits commerces de proximité, tous les commerces sont au coeur des préoccupations du Premier ministre, de la majorité et de l'ensemble des ministres. Un soutien financier massif leur a été apporté et nous le maintiendrons tant que durera la crise.
Avec Olivier Véran et Élisabeth Borne, nous travaillons à un protocole sanitaire que nous présenterons au Premier Ministre la semaine prochaine, puis qui sera validé par les scientifiques. Le Premier ministre et le Président de la République décideront ensuite du jour de réouverture des commerces.
Les choses sont faites sérieusement, dans l'intérêt des commerces et des Français dans leur ensemble. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI)
M. Serge Babary. - Nous n'avons toujours pas de date ! « Ouvrir le 27 novembre ou nous faire mourir » disent les fédérations de commerçants. Redonnez-leur de l'espoir ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP)
Perspectives de fin d'année pour le tourisme
M. Jean-Michel Arnaud . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) À quelques semaines de l'ouverture de la saison d'hiver, les acteurs du tourisme - de la montagne, mais aussi de l'outre-mer - sont inquiets bien que connaissant des problèmes différents.
La Polynésie française ne bénéficie pas du chômage partiel. Dès lors, comment soutenir l'emploi dans les entreprises de tourisme ultramarines ?
Le 15 mars dernier, avec la fermeture des 350 stations, la montagne a perdu 20 % de ses recettes. Cet hiver, l'enjeu serait tout autre avec 10 milliards d'euros de chiffre d'affaires menacés, plus les retombées économiques. Dix millions de vacanciers, 120 000 emplois indirects et notre place de troisième destination mondiale de ski. Restreindre l'accès aux stations serait catastrophique.
Le protocole sanitaire spécifique élaboré par les professionnels, qui ont pris leurs responsabilités, doit être validé dans les meilleurs délais pour limiter les dégâts. Quel calendrier mettre en oeuvre pour sauver la saison d'hiver ? Quid des classes de neige, déterminantes pour les stations villages ? Êtes-vous en lien avec le ministre de l'Éducation nationale pour qu'elles ne soient pas annulées et que des instructions claires soient données pour les encourager ? Dans ce climat anxiogène, comment redonner de l'espoir ? (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé du tourisme, des Français de l'étranger et de la francophonie . - Le tourisme est une priorité nationale pour le Président de la République, ce n'est pas un slogan, ni une clause de style (M. Daniel Guéret et plusieurs de ses collègues du groupe Les Républicains le contestent.) mais une réalité...
M. Rémy Pointereau. - À Biarritz !
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État. - Ce sont en effet 10 milliards d'euros de prêts garantis par l'État (PGE), 1 milliard d'euros du fonds de solidarité, des exonérations de charges et d'autres dispositifs que nous améliorons : l'État est là et continuera d'être là.
Je connais votre attachement à la montagne. Les fameuses listes S1 et S1 bis seront complétées. Nous travaillons avec le secteur au quotidien, même si l'évolution de la situation est difficile à apprécier.
Nous devons nous préparer pour « le jour où ». Je peux témoigner de la grande responsabilité de tous les acteurs de la montagne avec lequel nous avons travaillé un protocole transmis à la cellule interministérielle de crise (CIC) mardi.
Les outre-mer sont un joyau de la destination France ; ils font que de la France un pays-monde qui rayonne. Je me suis entretenu avec la ministre polynésienne du Tourisme il y a quelques semaines. Nous déployons des PGE et le fonds de solidarité, en complément des dispositifs spécifiques des collectivités territoriales. C'est un travail mano a mano.
Nous devons rebondir et aider le tourisme français à sortir de la crise. Je sais que je pourrai compter sur vous et la commission des affaires économiques. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI)
Bridgestone (I)
Mme Cathy Apourceau-Poly . - Après le rejet par Bridgestone du projet de continuation d'activité élaboré par le cabinet Accenture, c'est la reprise par un fabricant extra-européen de pneumatiques qui focalise l'espoir des 863 salariés du site de Béthune et de leurs familles, plongés dans la détresse.
Selon le président Europe du groupe japonais, sur quatre manifestations d'intérêt, une serait déjà au stade du rendez-vous, ce qui nous a été confirmé par les services du ministère.
Je ne fais pas confiance à Bridgestone pour mener à terme un projet de reprise fiable. Le temps est compté. Il doit céder le site pour un euro symbolique. Il faut contraindre Bridgestone à rembourser les aides publiques perçues. Pouvez-vous nous indiquer les critères que vous utiliserez pour valider un projet d'un producteur de pneumatiques ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur plusieurs travées du groupe SER)
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargée de l'industrie . - Votre intervention témoigne de l'émotion vive et profonde du territoire de Béthune, après l'annonce de la fermeture du site le 16 septembre dernier puis la fermeture de la porte que représentait un plan de continuité de production de pneumatiques, pourtant rentable, construit avec Accenture et les élus du territoire.
Mais le combat n'est pas perdu, et nous continuons à avoir des contacts étroits avec l'intersyndicale de Béthune, dont je salue la dignité et l'exigence, et avec laquelle j'étais encore au téléphone tout à l'heure, en lien avec mes équipes sur place.
Notre but est de retrouver une activité industrielle, dans le pneu ou pas ; d'offrir à tous ceux qui le souhaitent un rebond professionnel par la formation, l'accompagnement et la recherche d'autres positions. Je pense en particulier à l'usine de batteries de Douvrin qui recrutera 2 400 salariés en 2023-2024.
Oui, nous devons être exigeants avec la direction de Bridgestone. Je l'ai eue hier au téléphone et j'ai été très claire : aujourd'hui, le compte n'y est pas. Ils doivent accélérer et trouver un repreneur, fût-il un concurrent. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI)
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Le pneu n'est pas fini à Béthune - il peut y avoir un repreneur industriel, pas un fonds de pension. Je vous remercie de le confirmer. Je salue moi aussi le courage de cette intersyndicale qui se bat tous les jours. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER)
Télétravail
M. Ludovic Haye . - (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI) Le télétravail s'est invité dans nos vies avec la crise. C'est la solution la plus efficace pour maintenir l'activité professionnelle tout en limitant les contacts.
Cependant, le recours contraint au télétravail en situation de crise n'est pas représentatif d'un télétravail efficace et équilibré. La situation actuelle ne doit pas devenir une habitude sans certaines garanties. Le télétravail doit être pensé, faire l'objet de formations préalables, requiert des outils adaptés, de nouveaux processus dématérialisés. Sur le plan environnemental, territorial et personnel, le télétravail présente des avantages, mais un lien social reste essentiel.
Tous les Français n'y sont pas éligibles, ni égaux face aux conditions de télétravail. Il faut lancer une grande réflexion sur les enjeux et les risques du télétravail.
Comment allez-vous envisager cette évolution de notre société ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI)
Mme Élisabeth Borne, ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion . - La situation est différente que lors du premier confinement car nous avons fait le choix de maintenir de l'activité économique.
Notre enquête de début novembre montre que la très grande majorité des employeurs et des salariés jouent le jeu. Toutefois, seuls un tiers des postes permettent facilement le télétravail, et plus d'un tiers ne le permettent pas du tout. Il apparaît aussi que le télétravail cinq jours sur cinq constitue un effort considérable pour quatre salariés sur dix qui souffrent d'isolement. Les grandes entreprises ont mis en place des cellules d'accompagnement psychologique. Pour les plus petites, nous avons mis en place une cellule accessible via le numéro vert covid.
Nous avons donc lancé une concertation avec les partenaires sociaux en vue d'un accord national interprofessionnel dont j'espère la conclusion rapide. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI)
Anticipation du vaccin
M. Rachid Temal . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) On dénombre 1,328 million de décès dans le monde et plus de 46 000 en France, sans compter nos nombreux concitoyens, sortis des hôpitaux, qui doivent vivre avec des séquelles. Tel est le bilan de la pandémie, à ce jour.
Je remercie les soignants pour leur engagement sans faille. Dans ce marasme planétaire, une lueur d'espoir apparaît, grâce à l'annonce de vaccins efficaces par plusieurs laboratoires. Il faut saisir cet espoir et s'y préparer. Dès le 9 juillet, le conseil scientifique a demandé l'établissement d'un plan national de vaccination.
Quels sont les engagements de la France avec les laboratoires concernés ? Quelle est la part de la France dans les commandes européennes ? Quels publics prioritaires ? À quel coût ? Quelle logistique et quel calendrier ? Quel est le rôle de la recherche française ? Quelle aide pour les pays en développement ? Quelle concertation avec les professions de santé et les collectivités territoriales pour assurer l'efficacité ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
M. Gabriel Attal, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, porte-parole du Gouvernement . - Merci d'avoir rappelé ce bilan et les séquelles de nos concitoyens hospitalisés, qui sont également à prendre en considération. Dans ce contexte, les progrès de la recherche offrent des lueurs d'espoir. Nous avançons avec prudence car il ne s'agit que des résultats préliminaires des essais de phase trois dont nous n'avons pas encore les détails. Il ne faut pas vendre du rêve...
Nous avons pré-réservé 90 millions de doses auprès de cinq laboratoires et avons prévu 1,5 milliard d'euros dans le PLFSS 2021 pour payer une première partie. En matière de logistique, nous avons identifié des centres de stockage et des transporteurs, et travaillons sur des scénarios différents selon les vaccins. Nous avons saisi la Haute Autorité de Santé et le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) sur la question des publics prioritaires. Leurs conclusions seront rendues dans les prochains jours et c'est à la lumière de ce travail que nous communiquerons des informations. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI)
M. Rachid Temal. - Le CCNE a évoqué la nécessité de ce plan. Il reste beaucoup d'interrogations. Les collectivités territoriales, les professionnels de santé y sont-ils associés ? Peut-être faudrait-il une concertation, de type Grenelle ou plutôt convention citoyenne, autour de ce plan : c'est une nécessité absolue pour sortir de cette pandémie et faire face aux progrès du complotisme. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
Quarantaine à Saint-Pierre-et-Miquelon
M. Stéphane Artano . - (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE) Les préfets d'outre-mer peuvent, en vertu de l'état d'urgence sanitaire, placer en quarantaine les personnes arrivant d'une zone de circulation du virus. J'ai défendu ardemment une sécurité sanitaire renforcée à Saint-Pierre-et-Miquelon.
Le 7 novembre dernier, après de nombreuses sollicitations, le préfet a décidé le placement systématique en quarantaine, suivi d'un second test PCR de toute personne arrivant sur l'archipel, afin de détecter très tôt les cas et de les isoler pour éviter la circulation du virus.
Selon la version initiale du décret du 31 janvier 2020, une personne en quarantaine ne pouvant télétravailler touchait une indemnité d'arrêt de travail de l'assurance maladie pendant le premier confinement, mais - est-ce un oubli juridique ? - ce n'est plus le cas pendant ce second confinement.
J'aimerais que le Gouvernement réactive ce dispositif d'arrêt de travail dérogatoire pour Saint-Pierre-et-Miquelon et l'ensemble de l'outre- mer. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE)
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l'autonomie . - La ministre Annick Girardin a participé aux discussions sur les conséquences de la crise sanitaire outre-mer, auxquelles le Gouvernement est très sensible. Une disposition réglementaire a permis de couvrir ces personnes par des indemnités dérogatoires sans jour de carence.
Le préfet de Saint-Pierre-et-Miquelon a alerté l'assurance maladie, qui a reçu consigne de réactiver hier la prise en charge dérogatoire sans délai de carence.
Soyez assuré que le Gouvernement est pleinement mobilisé pour que notre réponse prenne en compte la spécificité des territoires.
M. Stéphane Artano. - Ce n'est pas le préfet mais moi qui ai alerté le Gouvernement dès le 5 novembre, deux jours avant qu'il soit autorisé à prendre un arrêté. Cela fait dix jours que des gens sont placés à l'isolement : il était temps que le Gouvernement s'en saisisse !
Tests salivaires
M. Didier Mandelli . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Tests nasopharyngés, sérologiques et antigéniques ont montré leur intérêt mais aussi leurs limites.
Un test salivaire, EasyCov, développé par le CNRS et groupe Alcen Skillcell avec le CHU de Montpellier, donne des résultats probants : une sensibilité de 88 % et une spécificité de 99 %, bien mieux que les tests antigéniques. Simple à mettre en oeuvre, très peu coûteux, il donne un résultat en quarante minutes. C'est une production 100 % française, de la recherche à la production par l'entreprise Tronico, en Vendée. (« Ah ! » sur les travées du groupe Les Républicains)
Ce programme est soutenu par la Direction générale de l'armement et l'Agence de l'innovation de la défense. Des évaluations sont en cours en Vendée dans seize Ehpad, à l'initiative du département. Le système est exporté mais ne peut être généralisé en France. Pouvez-vous nous assurer que tout sera mis en oeuvre pour une homologation rapide ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l'autonomie . - Le test EasyCov développé par une entreprise vendéenne s'appuie sur un prélèvement salivaire.
La HAS a validé l'utilisation des tests d'amplification génique, pris en charge à 100 % par la sécurité sociale. Le RT-LAMP est déjà employé dans certains laboratoires.
La HAS a autorisé le 6 mars les tests salivaires, remboursés à 100 % par la sécurité sociale depuis le 28 mai, pour les seuls patients symptomatiques. Ils doivent disposer d'un marquage CE avec déclaration préalable à l'Agence nationale de sécurité du médicament, ou d'une évaluation positive par le Centre national de référence des virus des infections respiratoires. Nous n'avons pas reçu ces informations s'agissant d'EasyCov.
Des évaluations sont en cours pour démontrer la fiabilité des tests salivaires dans le diagnostic virologique, et le ministre de la Santé est mobilisé pour mettre en valeur le savoir-faire de nos entreprises. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Didier Mandelli. - Vous ne me donnez aucune précision sur le calendrier. Quelque 3 000 tests seront réalisés dans les Ehpad de Vendée. La bureaucratie excessive ne doit pas nous priver de résultats rapides. Ce système est déployé dans le monde ; il serait dommage que la France, qui le produit, ne s'en dote pas. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
Bridgestone (II)
Mme Sabine Van Heghe . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) La direction de Bridgestone a annoncé jeudi dernier la fermeture de son site de Béthune, plongeant dans la colère et le désarroi ses 863 salariés. Aucune option de reprise n'a trouvé grâce aux yeux de la direction qui a joué la montre et cyniquement planifié la fermeture du site en n'investissant pas depuis des années. Belle illustration de la logique destructrice du libéralisme !
M. Stéphane Piednoir. - Ça faisait longtemps !
Mme Sabine Van Heghe. - Malgré les efforts des élus locaux pour panser les plaies, nous ne pouvons que constater l'absence d'une politique industrielle nationale solide, l'impuissance européenne à nous protéger et l'incapacité de la France à faire bouger les lignes. Les salariés subissent une nouvelle fois un scénario qui se répète trop souvent au nom d'une mondialisation « heureuse ».
Allez-vous tenir vos engagements vis-à-vis des salariés du site de Béthune ? Êtes-vous prêts à exiger le remboursement des aides perçues sans contrepartie par le groupe Bridgestone ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Fabien Gay applaudit également.)
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargée de l'industrie . - Je sais votre implication aux côtés des élus du territoire, de l'intersyndicale, de la région et de l'agglomération afin de trouver une solution pour ces 863 salariés confrontés à une décision brutale. Des années de sous-investissement dans l'usine, d'absence de montée en compétences, expliquent cette situation. J'aurais préféré prendre ce dossier il y a cinq ans, nous aurions su faire quelque chose...
Mme Laurence Rossignol. - Emmanuel Macron était le ministre !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée. - Nous avançons, grâce au plan de relance et aux élus du territoire, sur les options de rebond professionnel pour les salariés du site. Nous recensons les possibilités en matière de formation et d'emploi. S'agissant du plan social, nous avons dit à Bridgestone que le compte n'y était pas. Élisabeth Borne est mobilisée sur le dossier ; à compter de demain, nous aurons un observateur dans la négociation. Quant à la reprise du site, nous avons mis la pression sur Bridgestone pour trouver une solution mais nous travaillons aussi avec Business France et la région pour aller chercher nous-mêmes des repreneurs. C'est cette méthode qui nous a permis de créer des emplois industriels en 2017, 2018 et 2019.
Mme Sabine Van Heghe. - Il y a cinq ans, c'était M. Macron qui était aux commandes ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Faites preuve d'une vraie volonté politique, et nous serons à vos côtés.
Explosion de la pauvreté
Mme Alexandra Borchio Fontimp . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Les associations caritatives tirent la sonnette d'alarme : étudiants, familles monoparentales, artisans, commerçants, extras, intérimaires, autoentrepreneurs, salariés fragilisés par le chômage partiel basculent dans la précarité. Ces nouveaux visages, je les côtoie comme bénévole à la Croix Rouge d'Antibes. (M. David Assouline s'exclame.)
Un million de nouveaux précaires, 800 000 suppressions d'emplois d'ici la fin de l'année - comment rester insensible à ce drame ? Les demandes d'aide alimentaire ont augmenté de 25 %, huit millions de personnes n'arrivent plus à se nourrir. Le nombre d'allocataires du RSA et de demandeurs d'emploi s'envole : plus 18 % et 14 % respectivement dans les Alpes-Maritimes.
Le groupe Les Républicains a fait de nombreuses propositions. L'urgence sociale ne peut souffrir aucun clivage politique. Le « quoi qu'il en coûte » s'appliquera-t-il à ces nouveaux précaires ? La pauvreté ne disparaît pas avec le virus, elle ne fait que commencer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l'autonomie . - La situation économique et sociale est dramatique pour les plus vulnérables, mais la pauvreté n'est pas née avec le Covid. Nous n'avons pas attendu la crise sanitaire pour agir. Nous avons déployé dès 2018 une stratégie structurelle contre la pauvreté, avec notamment le reste à charge zéro pour les soins dentaires, auditifs et optiques. Le Ségur de la santé prévoit 100 millions d'euros pour lutter contre les inégalités. Nous avons prévu la reconduction automatique des minima sociaux ainsi que 3 milliards d'euros d'aides directes, consacré des dizaines de millions d'euros à la mise à l'abri, à l'aide alimentaire, à la distribution de masques pour les plus précaires.
Les 100 milliards d'euros du plan de relance sont mobilisés pour aider l'économie à tenir le choc et créer des emplois, avec 6,5 milliards d'euros pour le plan « un jeune, une solution ». Nous apportons une réponse globale afin qu'aucun citoyen ne soit laissé au bord du chemin. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI)
Réouverture des commerces (II)
Mme Sylvie Vermeillet . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Le Jura est le pays du jouet, Moirans-en-Montagne sa capitale, avec le siège de Smoby et d'autres créateurs de merveilles comme Vilac, Janod, ou JeuJura. Ils font 60 % de leur chiffre d'affaires sur les deux derniers mois de l'année, 70 % en magasin spécialisé ou en grande surface.
Le Click & Collect ne suffira pas à compenser la fermeture des boutiques. Et s'ajoute le spectre du black Friday, dont la tenue le 27 novembre, alors que les commerces espèrent rouvrir le 1er décembre, est plus qu'une provocation, une mise à mort. (On renchérit sur les travées du groupe Les Républicains)
Bien sûr, il fallait enrayer la progression du virus. Mais le pic épidémique est passé : c'est maintenant à Olivier Véran de veiller sur Bruno Le Maire. (Sourires)
Le 27 novembre, cela fera quatre semaines que les Français font des sacrifices, que les commerçants cherchent à survivre. Pouvez-vous consentir à un effort de quatre jours ? (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains, ainsi que sur quelques travées du groupe SER)
M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la relance . - Nul ne veille sur moi, que mon ange gardien. (Exclamations amusées) J'espère qu'il veillera aussi sur les fabricants de jouets du Jura, que j'ai reçus il y a une dizaine de jours, et qui perpétuent une tradition séculaire. Je sais qu'ils font 70 % de leur chiffre d'affaires dans les semaines qui précèdent Noël, qu'ils attendent de pouvoir rouvrir. Nous faisons le maximum pour qu'ils puissent le faire dans de bonnes conditions, dès que les conditions sanitaires le permettront.
Contrairement aux soldes, dont nous pouvons décaler les dates, le black Friday est une opération commerciale privée. J'ai toujours dit que nous gagnerions ensemble la bataille contre le virus. J'ai demandé à la grande distribution et aux acteurs du e-commerce de faire preuve de responsabilité et de décaler cette opération compte tenu des circonstances actuelles. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI ; exclamations sur de nombreuses autres travées)
Filière diesel hybride
M. Jean-Claude Anglars . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le 6 novembre, lors du comité stratégique de la filière automobile, vous avez demandé la prolongation de six mois de l'aide à l'achat d'une voiture neuve - véhicules diesel hybrides exceptés.
Vous condamnez cette filière sans même attendre le résultat de l'étude indépendante que vous aviez commandée. Cette politique aggrave la désindustrialisation de nombreux territoires à l'heure où vous dites vouloir relocaliser la production. Vos discours sur l'économie et l'écologie sont démentis par les faits.
Bien sûr, la filière du diesel de seconde génération doit prendre sa part dans la transition écologique, mais comment faire si les usines ferment ?
En Aveyron, l'usine Bosch, plus gros employeur du bassin d'emploi de Rodez, risque de perdre 30 % de ses emplois, voire de devoir fermer définitivement.
Pourquoi condamner cette filière que vous sembliez soutenir il y a quelques mois ? Qu'allez-vous faire pour sauver le site Bosch d'Aveyron ? Pourquoi sacrifier des milliers d'emplois au profit d'une transition écologique mal appliquée ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Jean-Claude Requier applaudit également.)
M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la relance . - J'ai reçu les ouvriers du site de Rodez il y a quelques mois, et Agnès Pannier-Runacher suit le dossier de près. Bosch a pris des engagements sur le maintien de l'emploi, sur les investissements et sur la diversification de sa production vers l'aéronautique - ce qui est aujourd'hui compliqué. Nous veillerons néanmoins à ce que les engagements vis-à-vis des salariés soient tenus.
La filière automobile représente 400 000 emplois directs, 4 000 entreprises, des centaines de sous-traitants. Elle doit faire l'objet d'un soutien massif et d'un accompagnement dans sa transition vers le XXIe siècle, qui est celui du véhicule électrique et autonome.
La France s'engage fermement dans cette évolution. Elle est le seul pays avec l'Allemagne à avoir lancé une politique de relocalisation de la production de batteries électriques, notamment sur le site du Nord de PSA, avec 2 000 emplois à la clé, pour cesser d'être dépendante de l'Asie. Nous accélérons la transformation de notre industrie pour faire de la France une grande puissance industrielle mondiale dans les secteurs de l'automobile, de l'aéronautique, des télécoms, du spatial, et nous y arriverons ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI)
M. Bruno Sido. - Très bien.
Attitude de la France vis-à-vis de l'Arabie Saoudite
Mme Marie-Arlette Carlotti . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Lors des commémorations du 11 novembre à Djeddah, la France a été visée par une attaque à l'explosif, un nouvel attentat alors que l'Arabie Saoudite brigue la présidence du G20 qui se réunit ce vendredi.
Il faut mettre l'Arabie Saoudite face à ses responsabilités, en finir avec l'hypocrisie. L'Arabie Saoudite continue les détentions arbitraires des militants des droits de l'homme, et l'assassinat de Jamal Khashoggi est encore impuni.
Détenue depuis 2018 sans perspective de procès équitable, la militante féministe Loujain Al-Hathloul fait la grève de la faim. D'autres féministes sont emprisonnées, torturées, fouettées, pour menace à la stabilité du pays - alors qu'elles défendent le droit des femmes et demandent la fin du système patriarcal. En Arabie Saoudite, le féminisme est qualifié d'extrémisme. La France ne saurait le tolérer.
Quelle sera la position française lors du G20 ? C'est l'occasion de montrer au monde que la France défend les libertés fondamentales. Mettez l'Arabie Saoudite devant ses responsabilités. (Applaudissements à gauche et sur plusieurs travées des groupes Les Républicains et UC)
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé du tourisme, des Français de l'étranger et de la francophonie . - Les attaques contre l'emprise consulaire à Djeddah et l'explosion lors de la commémoration du 11 novembre ont fait l'objet d'un suivi particulier. Les autorités saoudiennes ont condamné ces attaques et appréhendé le premier assaillant.
Avec Jean-Yves Le Drian, nous veillons à la sécurité des Français de l'étranger. (Protestations à gauche, accusant le ministre d'éluder la question) Ils sont trois millions ! Tous leurs conseils de sécurité vont se réunir, et nous renforçons la sécurité aux abords des écoles.
Mme Laurence Rossignol. - Vous êtes interrogé sur l'Arabie Saoudite !
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État. - J'y viens.
La France ne porte pas son drapeau dans sa poche. Pays des droits de l'homme, elle rappelle ses exigences aux États concernés. Nous l'avons fait en signant une résolution en ce sens lors de la dernière réunion du Conseil consultatif des droits de l'homme à Genève. Nous continuerons à marteler le message d'universalité des droits de l'homme et à défendre les personnes que vous évoquez. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI ; quelques huées sur les travées du groupe CRCE)
Mme Laurence Cohen. - Et les droits des femmes ?
Prime Grand Âge
Mme Laurence Muller-Bronn . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) En octobre 2019, le Gouvernement a présenté un plan de mobilisation nationale pour l'attractivité des métiers du grand âge comprenant une prime pérenne de 118 euros par mois pour les aides-soignants et le personnel des Ehpad, afin de reconnaître leur engagement et motiver les candidatures.
Or on constate des inégalités de traitement selon les structures. Cette prime « grand âge » a été versée dans les Ehpad relevant de la fonction publique hospitalière mais pas toujours dans les Ehpad territoriaux associatifs ou dépendant des centres communaux d'action sociale (CCAS), où c'est aux communes de la prendre en charge.
C'est injuste, notamment depuis la crise qui a vu le dévouement admirable des professionnels.
Les collectivités territoriales ne peuvent financer de nouvelles dépenses quand les dotations étatiques ne cessent de diminuer.
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. - Ce n'est pas vrai !
Mme Laurence Muller-Bronn. - Elles peinent, du fait de ces différences de rémunération, à recruter du personnel dans leurs maisons de retraite. Comment comptez-vous mettre fin à cette injustice ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l'autonomie . - Je rends hommage à l'engagement de ces professionnels. Le plan Hôpital d'Agnès Buzyn traduit l'investissement de l'État pour revaloriser ces métiers. Cette prime « grand âge » a été attribuée à compter du 1er janvier 2020 dans les établissements de la fonction publique hospitalière. Les textes nécessaires ont été publiés pour qu'elle puisse également l'être, depuis novembre, dans la fonction publique territoriale. En revanche, son versement dans les établissements associatifs dépend d'un accord des partenaires sociaux. L'État a provisionné les financements nécessaires, mais aussi aucun accord n'a été conclu à ce jour. La balle est dans leur camp.
Cette prime s'ajoute à celle prévue par le Ségur de la santé, de 183 euros par mois dans les Ehpad publics et privés non lucratifs et de 160 euros dans les Ehpad privés commerciaux. Elle sera entièrement financée par la branche autonomie. C'est l'équivalent d'un treizième et quatorzième mois pour les personnels concernés. L'État est bien au rendez-vous. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI)
Avenir du sport amateur et professionnel
M. Philippe Folliot . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) 41-12, c'est le score de l'équipe de rugby de Prades, chère au Premier ministre, lors de son dernier match le 10 octobre. (Sourires) Depuis, les clubs sont à l'arrêt.
Le sport représente 0,13 % du budget de l'État, mais 1,73 % du PIB.
Avec la crise, les fédérations amateur ont perdu 10 à 30 % de leurs licenciés et des centaines de milliers d'euros de recettes, avec des conséquences sur l'activité économique des territoires et sur le lien social, car le sport est aussi un moyen pour nos jeunes d'échapper aux addictions et à la délinquance.
En tant que président de l'amicale interparlementaire de rugby, je peux témoigner des difficultés de notre sport qui dispose, avec le Top 14, du meilleur championnat au monde. L'équipe de France risque d'être impactée, à trois ans de la Coupe du monde.
Le football est peut-être moins touché grâce aux droits TV mais les ligues de rugby, de hand-ball, de basket ou de hockey sont menacées dans leur existence même par la chute des recettes de billetterie.
La culture a bénéficié de 2 milliards d'euros d'aides et nous nous en réjouissons. Pouvez-vous nous détailler les 400 millions d'euros dédiés au sport ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Fabien Gay applaudit également.)
Mme Roxana Maracineanu, ministre déléguée auprès du ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée des sports . - Hier, les acteurs du sport amateur et professionnel ont été réunis autour du Président de la République et du Premier ministre. Nous les avons écoutés.
Le sport est fondamental pour nos concitoyens, pour nos territoires. C'est un vecteur social et une source de santé. Il doit garder la tête hors de l'eau. Hier, j'ai demandé que l'activité sportive des mineurs reprenne dans les clubs dès décembre, avec des protocoles sanitaires renforcés.
Des aides supplémentaires de 400 millions d'euros ont été annoncées : accompagnement des familles à la prise de licences en 2021 pour 100 millions d'euros, compensation aux fédérations des pertes de licences pour 20 millions d'euros, 15 millions d'euros pour les petites associations, emplois subventionnés et, pour les clubs professionnels, exonération de charges sur les salaires qui continuent à être versés.
S'ajoute, comme promis, un soutien européen de 110 millions d'euros à l'évènementiel et un plan de solidarité pour les salles de sport afin de leur permettre de faire face à leurs charges fixes. Nous n'oublions personne et nous serons là pour le monde du sport. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI ; Mme Émilienne Poumirol applaudit également.)
La séance est suspendue à 16 h 20.
présidence de Mme Valérie Létard, vice-présidente
La séance reprend à 16 h 30.
Conférence des présidents
Mme la présidente. - Les conclusions adoptées par la Conférence des présidents réunie ce jour vous sont consultables sur le site du sénat. Elles seront considérées comme adoptées en l'absence d'observations avant la fin de la séance de cet après-midi.
L'Agence nationale de la cohésion des territoires, un an après sa création
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle un débat portant sur l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), un an après sa création, à la demande du groupe RDSE.
M. Jean-Claude Requier, pour le groupe RDSE . - (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE) Deux ans après l'examen de la proposition de loi qui la créait, un an après sa création juridique, le RDSE a souhaité que le Sénat, chambre des territoires, puisse s'exprimer sur l'ANCT.
Cette agence a été mise en place après le constat d'une carence de l'ingénierie territoriale sur des pans entiers du territoire, avec le désengagement de l'État. Cette carence accentue la fracture territoriale.
Notre pays doit s'engager résolument dans la transition écologique, énergétique et numérique des territoires qui doivent révéler leur potentiel.
Face à la crise sanitaire, les élus locaux veulent accroître la résilience économique mais aussi durable de nos territoires, garante d'une relance pérenne. Que demandent-ils ? De l'équité et les mêmes chances de développement pour tous, pour répondre aux besoins de nos concitoyens. Rien de plus, rien de moins que l'application de l'article premier de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ».
Pour cela, l'État doit soutenir l'autonomie des collectivités territoriales, intervenir là où cela est strictement nécessaire. Le principe d'action de l'ANCT doit donc reposer sur la subsidiarité, afin de passer d'un État Léviathan à un État protecteur et facilitateur qui renforce la décentralisation grâce à la déconcentration.
Nous ne voulons pas plus d'État ni moins d'État mais mieux d'État !
Le deuxième élément de diagnostic était la complexité administrative. À défaut de réussir la simplification des normes ou des circuits de financement, ce guichet unique devrait permettre de rompre avec la verticalité et le cloisonnement des services administratifs. Cela supposait de revenir sur la perte de 30 % des effectifs des directions départementales des territoires et de la mer (DDTM) entre 2012 et 2018.
Hélas, elles sont encore en difficulté. Josiane Costes et Charles Guené recommandaient dans leur rapport de juillet dernier de mettre en place un tel guichet unique, « en confortant les moyens des services déconcentrés et en association avec les partenaires locaux ».
Il fallait aussi - comme Jacqueline Gourault l'avait annoncé en novembre 2019 - sortir de la logique des appels à projets, auxquels ne peuvent répondre que les collectivités, toujours les mêmes, disposant de services techniques et de moyens financiers.
Lors du PLF pour 2020, le groupe RDSE avait fait voter un amendement doublant les crédits consacrés à l'ingénierie territoriale. Je me réjouis qu'il soit reconduit dans le PLF pour 2021.
L'ANCT, qui n'est ni indépendante ni inscrite dans l'architecture classique de l'administration, suppose un changement de culture administrative.
La transformation de l'action publique ne peut se faire en un an, encore moins dans un contexte de crise, et il ne faudrait pas dresser un bilan prématuré, mais il est temps d'engager ce changement de modèle et de travailler en mode projet.
Nous ne sommes pas en guerre - contrairement à ce que certains disent. Toutefois, je citerai Georges Clemenceau (Sourires), le Tigre, alors président du Conseil et ministre de la guerre, qui disait dans sa célèbre circulaire du 13 décembre 1917 : « Les services du département de la Guerre ne sont pas tous suffisamment dégagés de certaines méthodes de travail dont la lenteur ne correspond pas aux nécessités de l'heure présente. Les errements du temps de paix continuent. Il est urgent qu'une chasse obstinée soit faite à tous les temps morts qui ralentissent encore la machine administrative : l'intérêt des pays l'exige ». (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et UC)
M. Joël Giraud, secrétaire d'État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité . - Merci au groupe RDSE pour ce débat. Certes, l'ANCT n'a pas tout à fait un an, puisqu'elle n'a été juridiquement créée que le 1er janvier 2020, et sa mise en place a nécessité plusieurs mois de travail. Merci aux services de l'ANCT mis à ma disposition dans le cadre de la politique de développement des territoires ruraux qui m'a été confiée par le Premier ministre et le président de la République.
À ce titre, je suis chargé de la mise en oeuvre de l'agenda du rural : les avancées du dernier comité interministériel du 14 novembre ont été saluées de toutes parts et démontrent tout l'intérêt de l'ANCT. Nous avons initié un nouveau dispositif : le volontariat territorial en administration (VTA), sur le modèle du volontariat territorial en entreprise (VTE). Il permettra à 800 jeunes, à terme, de fournir un apport précieux d'ingénierie aux collectivités, dans un partenariat gagnant-gagnant au service des territoires et de la jeunesse.
En lien avec le ministère de l'Agriculture, les projets alimentaires territoriaux (PAT) en sont un autre exemple : ils bénéficient de 80 millions d'euros, dont 5 millions d'euros dédiés à l'ingénierie.
L'Agence a aussi pour objectif de simplifier les relations entre l'État et les élus locaux. L'ANCT est déconcentrée, les préfets étant les délégués départementaux dans les territoires. Les commissariats de massif sont également des relais territoriaux de l'Agence. Les associations d'élus entre autres sont membres du conseil administratif de l'agence, présidée par Caroline Cayeux, maire de Beauvais.
Ainsi, l'ANCT, bras armé de la politique de cohésion des territoires, agit à travers plusieurs programmes : Action coeur de ville, avec 222 villes accompagnées à hauteur de 1,4 milliard d'euros depuis deux ans, à terme de 5 milliards d'euros, Petites villes de demain, avec 170 communes sélectionnées dans trois régions, Territoires d'industrie. L'Agence soutient l'ingénierie en dehors de tout programme, avec 20 millions d'euros en 2021.
Le doublement des crédits à l'ingénierie était une demande forte du ministère, pour aider toutes les collectivités à monter leurs projets, notamment à travers les crédits de la relance.
Comme le Premier Ministre, je crois que la relance se fera par les territoires. Plusieurs chapitres du plan de relance concernent l'ANCT, qui assurera la gestion des fonds de subvention d'investissements mis en place par l'État pour la rénovation des bâtiments, des réseaux d'eau potable et d'assainissement, soit 180 millions dont 60 millions d'euros sur les deux premières années.
L'ANCT sera présente sur l'ensemble du champ de l'action publique : industrie, transition écologique, mobilités, jeunesse, numérique mais aussi culture. Forte de son exemple de contractualisation, elle aidera à la mise en place des contrats de ruralité et de transition écologique dans les territoires ruraux.
L'Agence est pleinement opérationnelle pour remplir les missions que lui a confiées la loi.
M. Guy Benarroche . - L'ANCT est née d'une demande forte d'accompagnement des élus locaux ; les projets ont dû s'effacer devant la gestion de la crise sanitaire, mais la relance devra les mobiliser, notamment avec une visée écologiste voulue par les nouvelles équipes municipales.
Avec une bienveillance naturelle pour un nouveau-né, je poserai deux questions : quelle sera l'évaluation du service rendu par l'Agence, en termes de gains de temps ou de baisses des coûts ?
Certaines collectivités territoriales sont parfois enfermées dans un modus operandi ; comment doper le réflexe ANCT auprès des élus ?
M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - Les élus locaux sont très impliqués dans les projets de l'Agence : son conseil d'administration compte de nombreux représentants d'associations, d'élus et de parlementaires. En tant que parlementaire, j'avais insisté pour qu'y siège un représentant des élus de montagne.
Au niveau local, même chose. L'ANCT intervient en appui des collectivités en concertation avec les préfets. Ces projets sont ensuite financés grâce à des crédits déconcentrés mis à disposition de préfets. C'est donc une logique inverse à ce qui se fait habituellement. Les programmes seront suivis de façon précise par les objets de la vie quotidienne (OVQ).
M. Bernard Buis . - Merci au RDSE pour ce débat. L'une des premières missions de l'ANCT est d'accompagner les collectivités les plus fragiles, qu'elles soient urbaines, périurbaines, rurales ou ultramarines.
À cet effet, elle disposait de 54 millions d'euros. Le PLF pour 2021 porte cette subvention à 61 millions d'euros. Avec un tel budget et avec 300 ETP, comment entend-elle participer à la mise en oeuvre du plan de relance ?
M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - La philosophie du plan de relance est territorialisée, en parfaite concordance avec la démarche de l'Agence. Plusieurs de ses programmes seront mobilisés : ACDV, PVDD, Territoires d'industrie, Nouveaux lieux, nouveaux liens, Inclusion numérique, divers programmes de la ville... Pour Territoires d'industrie, ce sont 400 millions d'euros pour 2020-2022 qui sont inscrits dans le plan de relance.
La contractualisation avec les collectivités territoriales créera un effet de levier sur les crédits de l'État. Les crédits supplémentaires permettront aux préfets de département de mobiliser pleinement l'ingénierie locale disponible.
Mme Guylène Pantel . - (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE) Les missions de l'ANCT la rendront incontournable, notamment pour les territoires hyperruraux comme la Lozère.
Nous voyons les premiers effets de l'ingénierie locale, mais cela ne suffit pas à compenser le retrait des services de l'État.
Les propositions 15 et 16 du rapport de Josiane Costes et Charles Guené portent sur la création d'une plateforme numérique centralisant les moyens d'ingénierie publique et la diffusion des bonnes pratiques.
Quelle est la stratégie de l'ANCT en la matière ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE)
M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - La loi donne pour mission à l'ANCT de s'assurer de la disponibilité en ingénierie, qui est actuellement morcelée entre différents acteurs et inégalement accessible sur le territoire. Différentes plateformes ont été développées : annuaires, guides, boîtes à outils, retours d'expériences abondent. Plutôt que de développer un outil propre, l'ANCT a souhaité s'appuyer sur la plateforme Aides-territoires, développée par le ministère de la transition écologique. Ce portail internet référence les aides pour tous les territoires. Cela permet de faire un état des lieux des aides publiques disponibles sur un territoire et d'améliorer la communication.
Mme Marie-Claude Varaillas . - Il y a un an, le Parlement votait la création de l'ANCT à la suite du rapport Morvan. Elle suscitait une vague d'espoir, les élus espérant financement et accompagnement, eux qui subissent le désengagement du Gouvernement tant pour l'ingénierie que pour les services publics de proximité et les dotations.
Face à ce constat, l'ANCT peine à convaincre : elle renforce les pouvoirs des préfets, et n'a été sollicitée que pour 81 projets locaux hors programmes nationaux, dont 70 opérations de restructuration commerciales déjà en cours.
Seuls 20 millions d'euros sont affectés aux nouveaux projets d'ingénierie, une somme dérisoire. Les opérateurs de l'État en matière écologique vont perdre 800 postes, ce qui pénalisera l'Agence. Quelle est sa véritable valeur ajoutée ?
Comment faire toujours plus avec toujours moins, monsieur le ministre ?
M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - Vous êtes un peu dure avec l'ANCT, nouveau-né que vous jetez déjà avec l'eau du bain !
Cette agence a été créée pour multiplier les partenariats avec les autres agences de l'État qui vont mutualiser leurs moyens au bénéfice des collectivités territoriales. Le dialogue entre maires, collectivités territoriales et préfets a fait ses preuves, notamment durant la crise sanitaire.
Nous mettons des moyens d'ingénierie centraux : l'Anah, la Cerema ou d'autres agences peuvent intervenir pour créer du « cousu main », plus accessible aux territoires.
Les VTA vont permettre à 800 jeunes diplômés vont développer les projets avec l'ANCT et les préfets.
Les territoires reprennent leur droit à exister au travers des projets que nous lançons.
Mme Françoise Gatel . - Je salue l'initiative du groupe RDSE qui a permis la création de l'ANCT. La délégation aux collectivités territoriales s'est intéressée à cette Agence. Le rapport Guéné-Costes a formulé treize propositions. Qu'en pensez-vous ?
Comment éviter que l'Agence ne soit le bras armé de l'État pour aider les collectivités à répondre à des appels à projets ? Comment l'articuler avec des agences départementales ?
Notre Délégation aux collectivités territoriales pourra-t-elle suivre l'efficacité et le travail de l'ANCT par le biais d'un tableau de bord ?
M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - Madame Gatel, je suis donc invité à venir voir la Délégation aux collectivités territoriales ! (Sourires)
Pour 2021, l'ANCT dispose de 20 millions d'euros de crédits d'ingénierie, mais elle fait aussi office de mécano pour rassembler tous les acteurs autour des projets. Ancien président d'un comité de massif, j'ai eu recours à cette méthode.
L'ANCT est aussi un pourvoyeur de bonnes pratiques. Sa doctrine d'intervention repose sur trois principes : la complémentarité, avec l'intervention des acteurs locaux, notamment les départements ; la déconcentration, avec le préfet comme premier interlocuteur ; la simplification, avec les conventions entre l'ANCT et les grands opérateurs de l'État.
Mme Françoise Gatel. - Notre délégation sera ravie de vous recevoir. Il faut que ce nouveau-né grandisse vite et bien, et que les élus locaux puissent saisir l'Agence rapidement car il y a un vrai besoin d'ingénierie dans nos territoires, notamment juridique.
M. Joël Bigot . - Je remercie le groupe RDSE pour ce débat. L'affaiblissement de l'État territorial a renforcé les inégalités entre territoires, notamment en matière d'ingénierie.
Les collectivités territoriales les plus fragiles se focalisent sur une logique où l'investissement opérationnel prime sur les études en amont, alors que celles-ci permettent de faire des économies en aval.
L'ANCT serait une fabrique à projets à la main de préfets pour venir en aides aux territoires les plus vulnérables. Pour le moment, c'est plus une espérance qu'une réalité. Le programme Petites villes de demain vient d'être lancé, comme le plan de relance.
Quelle complémentarité envisagez-vous entre ingénierie nationale et locale : mutualisation contractualisation, labellisation ? Pouvez-vous nous fournir une cartographie précise des moyens d'ingénierie publics existants ? Qui attribuera les crédits in fine ? L'ANCT, le DGCL ou les comités locaux de cohésion des territoires ?
M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - Des dispositifs d'appui à l'ingénierie locale ont été déployés dans plusieurs départements.
L'offre de l'ANCT n'a pas vocation à entrer en concurrence avec l'existant, mais bien à être complémentaire. C'est pourquoi chaque préfet décide de la composition des comités locaux de cohésion territoriale.
Une collectivité territoriale qui a un besoin pouvant aisément être satisfait devra pouvoir bénéficier de l'aide de l'ANCT.
L'Agence propose une offre d'ingénierie sur mesure pouvant combler des manques locaux grâce à la mobilisation d'opérateurs comme l'Ademe, l'Anru, le Cerema, la Banque des Territoires, mais aussi ceux des collectivités territoriales.
M. Louis-Jean de Nicolaÿ . - Un an après sa création, il y a eu quelques retards dans le démarrage de l'ANCT. Mais je salue la présidente Caroline Cayeux et le directeur général Yves Le Breton pour leur travail.
Il faut mieux faire connaître l'action de l'ANCT en matière d'accompagnement des territoires et son rôle pivot de mutualisation des ressources locales et d'ingénierie, dont les crédits ont doublé en 2020. Évitons aussi que les grandes agglomérations aspirent l'essentiel des financements au détriment des territoires le moins outillés : proposons du cousu main.
Il faut garantir le rôle de l'ANCT dans la territorialisation du plan de relance - je m'inquiète de l'absence de référence à l'Agence dans la circulaire du Premier ministre.
J'espère que 2021 montrera l'efficacité de l'Agence : dans l'esprit du rapport que j'avais écrit en 2016 avec mon collègue Hervé Maurey, il faut savoir « qui fait quoi ».
M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - Je salue votre rôle dans la création de l'Agence ; vous étiez le rapporteur du texte au Sénat...
Vous avez raison sur le cousu main : évitons que les grandes agglomérations aspirent l'essentiel des crédits du plan de relance ou de la DSIL.
La déconcentration permet d'avoir un dialogue avec le préfet, interlocuteur unique des collectivités territoriales, ce qui est plus simple et qui permet de mieux coordonner les opérateurs de l'État.
Les 800 VTA sont un élément important de l'agenda rural, que suivent le député Labaronne et le sénateur Joly. L'ingénierie sera placée au sein des collectivités territoriales de base, grâce à ces jeunes diplômés. J'en ai fait l'expérience localement. Un jeune motivé aide au développement de ces projets.
M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - Merci de votre vision très positive. À défaut de Dieu (Sourires), j'espère que les services vous entendront pour une bonne coordination des actions de l'Agence.
M. Pierre Médevielle . - Lors de la campagne pour les sénatoriales de cette année, j'ai noté inquiétudes et espoirs au sujet de l'ANCT. Les relations avec les Dreal et les ARS semblent se dégrader, perçus par les élus plus comme des censeurs que des partenaires.
L'ANCT doit faire face à la crise sanitaire. Les nouveaux élus locaux voient les difficultés s'accumuler et leurs demandes se diversifient.
L'ANCT doit améliorer l'ingénierie territoriale. La territorialisation du plan de relance place cet Agence comme acteur principal. La confiance dans son bon fonctionnement est donc essentielle.
Il faut renforcer le pouvoir des préfets, pour profiter pleinement du concept séduisant de « guichet unique ».
M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - Dans votre département, le comité local de cohésion territoriale a été installé le 4 novembre. La feuille de route a été tracée : il s'agit de faire connaître les apports en matière d'ingénierie territoriale, d'identifier les projets concrets qui pourraient bénéficier de cet appui et les éventuels partenaires. Enfin, il convient de rappeler les priorités : zéro artificialisation des terres, gestion en eau, souveraineté alimentaire et énergétique.
Voici quelques projets retenus : opération de revitalisation du territoire de Saint-Gaudens, accompagnement du projet de territoire à Fronton, méthaniseurs à Boulogne-sur-Gesse...
La délégation mettra en place des webinaires de présentation avec les maires dès décembre prochain.
La mission de l'ANCT va dans le sens du développement local.
M. Pierre Médevielle. - Il faut normaliser les relations entre l'administration et les collectivités territoriales ; évitons d'ouvrir les parapluies quand il fait beau et relançons sur les territoires ruraux les investissements et l'activité économique.
M. Jean-Paul Prince . - La création de l'ANCT apparaît d'autant plus justifiée dans le contexte de crise sanitaire et économique. Les collectivités territoriales sont aux avant-postes. La distanciation sociale, les achats de matériels ont eu un coût important, surtout pour les petites communes.
À l'avenir, il faudra prévoir des dispositifs de test des eaux usées, pour détecter le virus. La politique de prévention et de lutte contre les épidémies sera remaniée tant au niveau national et local. Certes, il ne faut pas faire reposer toute la charge sur l'État et encore moins sur l'ANCT, mais il faudra aider certaines collectivités en difficulté.
L'ANCT prévoit-elle un dispositif spécifique d'aide aux collectivités territoriales dans la lutte contre le risque épidémique ?
M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - Le compte Covid propose des dispositifs avec l'étalement des dépenses sur cinq ans.
Autorité de coordination inter-fonds, l'ANCT pilote les conditions opérationnelles de mobilisation des fonds européens, notamment contre la covid-19.
Face à l'épidémie, plusieurs niveaux sont sollicités. Le règlement du Feader du 30 mars permet de mieux répondre aux crises dans le domaine sanitaire et le FSE participe à l'achat de matériels médicaux.
Des travaux ont été menés entre Régions de France, les autorités de gestion des fonds européens, les services de l'État et les services de la Commission européenne. Les problématiques ont été bien identifiées.
Mme Martine Filleul . - La crise sanitaire a révélé que l'inégal accès au numérique renforce les injustices. Travailler, étudier, se soigner est difficile pour beaucoup.
Quelque treize millions de Français sont exclus du numérique, chiffre qui serait sous-évalué. Cet échec - car il faut l'appeler ainsi - est lié à l'absence de rationalisation de l'action publique, à la dispersion des ressources et la multiplication des niveaux de décision. Conséquence, le Pass numérique par exemple est faiblement utilisé.
Certes, 250 millions d'euros de l'ANCT sont prévus pour l'appropriation du numérique par tous, mais c'est insuffisant, il faut aussi que cet argent soit bien utilisé. Nous avons besoin d'un chef d'orchestre, l'ANCT pourrait le devenir, est-elle prête à cela ? Si oui, comment ?
M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - Vous avez raison de poser cette question. L'accès au numérique est essentiel, la crise sanitaire l'a bien montré. L'ANCT travaille sur le sujet. Quelque treize millions de Français sont en difficulté vis-à-vis du numérique, pour diverses raisons, niveau d'études, âge, pauvreté, territoire,...
Jacqueline Gourault et Cédric O ont annoncé mercredi, à l'ouverture de l'édition 2020 du forum Numérique en commun(s), les principales mesures du plan de relance en faveur du numérique. Il s'agit de donner un coup d'accélérateur afin de mener une vraie politique publique, que vous appelez de vos voeux, avec 250 millions d'euros. Quelque 4 000 conseillers numériques France Services seront recrutés et déployés sur le territoire avec 200 millions d'euros pour leur formation, et 40 millions d'euros permettront de financer des kits d'inclusion numérique.
M. Mathieu Darnaud . - Nous rejoignons votre ambition pour la ruralité. Mais les élus ont besoin d'une agence agile et rapide, qui maîtrise les fonds du plan de relance pour les employer au plus tôt. L'ANCT ne doit pas réinventer l'eau chaude !
Pourriez-vous vous engager à ce qu'il n'y ait aucune forme de concurrence avec les services d'ingénierie existants, syndicats mixtes ou même Cerema ?
Il y a une forme de désespérance des élus territoriaux, qui ne sont pas entendus sur la téléphonie ou les axes de mobilité interdépartementaux, comme je le vois en Ardèche.
L'Agence doit également être une caisse de résonance des difficultés des élus sur le territoire, avec une juste articulation avec les autres structures.
M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - Je tiens à la complémentarité des services qui interviennent sur le territoire, dont l'ANCT. Celle-ci a aussi vocation à écouter et faire remonter les éventuelles difficultés locales : vous pouvez saisir mon cabinet, notre porte est ouverte, si vous constatez un raté local. Car nul n'est parfait... heureusement ! (Sourires)
La complémentarité avec le Cerema, dont le conseil d'administration souhaite renforcer la part de son activité destinée aux collectivités territoriales, me semble intéressante : le centre s'inscrit en appui de l'ANCT, dans ses domaines d'expertise. Il peut effectuer gratuitement trois à cinq jours d'intervention auprès d'une collectivité territoriale et, au-delà, intervenir sur la base d'une convention. Sur son programme d'expertise touchant les ponts, j'invite les collectivités territoriales à utiliser ses compétences.
M. Mathieu Darnaud. - Nous ne manquerons pas de revenir vers vous pour vous faire un retour sur ce qui se passe, notamment en Ardèche. L'agilité est fondamentale pour la nouvelle agence.
M. Gilbert-Luc Devinaz . - L'ANCT a vocation à travailler avec les acteurs existants, dont le Cerema, point d'appui pour développer ses politiques, comme le rappelait la ministre de l'Écologie hier lors de son audition. Or le centre voit ses moyens humains et financiers se réduire, à rebours des discours gouvernementaux. Il a perdu 188 postes en deux ans. Ses agents ressentent une perte de sens et une surcharge de travail, une dégradation de leur performance opérationnelle. La communication entre l'ANCT et le Cerema ne prévoit aucune participation financière de l'une à l'autre. Comment allez-vous préserver le Cerema ?
M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - Le Cerema est un partenaire majeur de l'ANCT ; il est cité à trois reprises dans la loi de 2019 de création de l'agence, et il est représenté à son conseil d'administration et à son comité national de coordination.
Les échanges entre eux sont réguliers. Le Cerema, avec ses 2 600 agents qui sont des experts reconnus, est l'établissement de référence sur la gestion des risques - on le voit dans la vallée de la Roya -, les mobilités, l'aménagement rural et urbain. Ses outils sont nombreux. Il a par exemple conçu Cartofriches, une cartographie bien utile pour l'intervention du fonds de réhabilitation des friches. Un programme doté de 40 millions d'euros permettra aussi de mettre son expertise sur les ouvrages d'art à disposition des collectivités territoriales. Il s'agit d'un vrai partenariat au bénéfice des collectivités.
M. Gilbert-Luc Devinaz. - Cependant, augmenter la charge des services et « en même temps » diminuer leurs effectifs, c'est comme accroître les efforts sur un arbre en réduisant son diamètre : ça finit par casser !
M. Stéphane Sautarel . - L'ANCT, même si sa création avait été annoncée dès la Conférence des territoires, est fille du grand débat qui a suivi la crise des Gilets jaunes. L'Agence est encore une coquille plutôt vide ; il est encore difficile de mobiliser les ressources d'ingénierie des administrations centrales et des opérateurs nationaux en complément des préfectures et services déconcentrés.
C'est une réponse encore trop verticale et centralisée aux besoins d'ingénierie locale. Le diagnostic est juste et l'ambition légitime, mais la réponse pas suffisamment pragmatique. Il faut ajouter aux 3D annoncés le C de confiance ! Le comité local de cohésion territoriale présidé par le préfet ne pourrait-il pas être coprésidé par le président du conseil départemental ?
M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - Le plan de relance est une réponse territorialisée à la crise. L'Agence est l'opérateur dédié à l'accompagnement des projets des collectivités territoriales. Elle n'a pas été créée ex nihilo : elle a été instaurée pour regrouper et coordonner des structures existantes. Il n'y a plus d'électrons libres !
L'action de l'Agence mobilisera des crédits inscrits dans le plan de relance, programmes de densification et de renouvellement urbain, de réhabilitation des friches, etc. La volonté d'agir en synergie est là et certains présidents de conseil départemental coprésident déjà avec le préfet des comités locaux de cohésion territoriale. Cette double gouvernance ne pose donc aucun problème ; il suffit de la mettre en oeuvre localement.
Mme Marta de Cidrac . - Les dirigeants de l'ANCT, Caroline Cayeux et Yves Le Breton, ont été auditionnés au Sénat en juin dernier par la délégation aux collectivités territoriales. Ils ont été interrogés sur le soutien aux communes des territoires fragiles. Ma question, dans le prolongement des propositions du rapport d'information de Josiane Costes et Charles Guené, porte sur le programme « Petites villes de demain ». Entre 800 et 1 000 communes de 20 000 habitants donnent des signes de fragilité, devenus depuis le premier confinement des signes de grande vulnérabilité. Les élus locaux sont en première ligne, mais ils attendent un soutien de l'État. Les répercussions économiques des deux confinements seront-elles prises en compte dans ce programme ? Quels seront les critères de sélection?
M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - Le programme « Petites villes de demain » concerne les villes-centres ou les bourgs-centres de moins de 20 000 habitants, mais sans plancher. À ce stade, trois régions sont concernées : La Réunion, Sud PACA et Centre-Val de Loire. Dans les Combrailles par exemple, en Puy-de-Dôme, il y a trois anciens chefs-lieux de canton en souffrance : c'est le deuxième critère, la fragilité au regard des responsabilités de centralité. Les candidatures peuvent donc être regroupées au sein d'une intercommunalité. Les fragilités économiques constatées du fait de la crise ont été prises en compte dans les critères finaux. Les propositions faites correspondent à 99 % au sentiment des maires et des populations.
Mme Marta de Cidrac. - Vous n'avez pas répondu précisément à ma question. Je retiens que les conséquences des confinements seront prises en compte sur la base du critère de centralité, mais il méritera d'être précisé.
M. Édouard Courtial . - A-t-on encore la liberté d'habiter à la ville ou la campagne ? Les territoires ruraux ont des difficultés, mais aussi des atouts !
L'ANCT avait suscité des réserves lors de sa création. Transformer cette agence en machine technocratique serait contreproductif. Elle ne doit pas nuire aux collectivités territoriales en accaparant des ressources et en se substituant à leur action. Sinon, elle risque de créer des déceptions. Il faut se garder d'alimenter la défiance des élus locaux, alors que le sentiment d'être dépossédés de leurs compétences et de leurs moyens n'a jamais été si fort, tandis que les demandes de leurs administrés augmentent.
Quel rôle pour eux dans les discussions avec l'Agence, à l'occasion du plan de relance ?
M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - Les élus locaux sont très impliqués dans la vie et les projets de l'ANCT. Son conseil d'administration est composé notamment d'élus, avec quatre parlementaires et dix associations d'élus. Au niveau local, les comités de cohésion territoriale associent très largement les élus locaux. C'est le bon moyen pour prendre en compte les réalités du terrain. L'Agence fournit un appui sur-mesure aux collectivités territoriales et accompagne les élus sur la base de leurs souhaits et de leurs besoins, sans imposer de cadres prédéfinis à Paris : j'en suis le garant, comme élu d'un territoire très spécifique !
M. Charles Guené . - J'ai publié avec Josiane Costes, au nom de la délégation aux collectivités territoriales, un rapport d'information avec 25 propositions. Nous avons voulu mettre en parallèle les ambitions de l'ANCT et les besoins d'ingénierie sur le terrain, en rappelant la volonté originelle du législateur. Nous avons instauré un dialogue fructueux avec l'administration qui mettait en place l'agence. Nous insistions sur le sur-mesure nécessaire dans l'accompagnement de projets.
Nous sommes assez confiants sur la mission de l'agence, qui est de réorganiser l'action de l'État et la conduite des politiques territoriales. Cependant, malgré les difficultés liées à la pandémie, où en êtes-vous sur cette démarche ? Un état des lieux s'impose.
Nous avons constaté une grave sous-consommation des crédits du logement en outre-mer, qui serait liée à un manque d'ingénieurs sur place : où en est le déploiement de l'ANCT outre-mer ?
M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - Les territoires ultramarins sont une priorité d'intervention pour l'ANCT. La situation étant très dégradée sur place, le déficit d'ingénieurs criant, des mesures d'accompagnement spécifiques sont nécessaires dans toutes les phases des projets. Des travaux sont en cours avec les opérateurs partenaires de l'ANCT, ainsi qu'avec l'Agence française de développement (AFD) et la direction de l'outre-mer, pour mettre en exergue une feuille de route adaptée à ces territoires et établir des projets prioritaires, en particulier les programmes « Action coeur de ville » et « Petites villes de demain ».
M. Éric Gold, pour le groupe RDSE . - Nos débats illustrent les attentes et les inquiétudes que suscite l'ANCT. Réforme cosmétique ? Lourdeur administrative supplémentaire ? Les principes d'action de l'agence interrogent. J'espère que la période de flottement, constatée depuis la création, ne durera plus. Le législateur avait pourtant été clair sur les objectifs !
Le rapport de nos collègues Guené et Costes mettait l'accent sur le sur-mesure : c'est essentiel pour éviter le saupoudrage. Le pouvoir réglementaire doit définir des circuits efficaces de décision, comme l'a recommandé le Conseil d'État.
L'Agence doit également être dotée de ressources suffisantes. Les critères de sélection des projets et le rôle des différentes instances mériteraient également d'être précisés.
Les préfets, en tant que délégués territoriaux, sont pour les élus des portes d'entrée vers l'agence, mais ils ont bien d'autres attributions, et des moyens réduits. Pourquoi ne pas nommer des sous-préfets à la cohésion territoriale et redéployer en priorité dans les départements ruraux une partie de l'administration centrale ?
Merci, monsieur le ministre, pour les précisions que vous nous avez apportées et pour votre visite dans le Puy-de-Dôme.
Je vous invite à mettre en oeuvre les recommandations du rapport de nos collègues. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE)
La séance, suspendue à 18 h 5, reprend à 18 h 10.
« La France peut-elle devenir un champion de l'énergie hydrogène ? »
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle un débat sur le thème : « La France peut-elle devenir un champion de l'énergie hydrogène ? » à la demande du groupe RDSE.
M. Éric Gold, pour le groupe RDSE . - (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE) L'hydrogène peut-il devenir l'énergie du futur ? Nicolas Hulot en a lancé l'idée il y a deux ans à l'occasion d'un débat similaire au Sénat.
Qui aurait pu croire que la crise sanitaire concrétiserait cette exigence ? Les 100 millions d'euros alors arrachés sont devenus 2 milliards en deux ans dans le plan de relance.
Mais il y a loin de la coupe aux lèvres. Notre conversion à l'hydrogène exige une ambition, celle de construire une véritable filière vertueuse. Il faut impulser une massification de la demande en provenance des secteurs de la mobilité et de l'industrie.
Or, pour convaincre, il faut accompagner et garantir. Une filière, ce sont d'abord une R&D, des innovations, de la formation, des investissements et un soutien aux secteurs visés.
Les écueils sont nombreux : il faudra être vigilant pour éviter que cet eldorado ne se transforme en mirage, voir en dangereuse bulle financière. La France n'y arrivera pas seule. Nos voisins européens avancent dans le même sens : l'Allemagne investit 9 milliards d'euros sur cinq ans, l'Espagne et le Portugal 7 milliards sur dix ans. Nos initiatives doivent être coordonnées pour faire face au rouleau compresseur chinois - 16 milliards de dollars - et être cohérentes avec la stratégie de l'Union européenne et le plan hydrogène.
Hélas, notre hydrogène décarboné massivement nucléarisé ne plaît pas à l'Allemagne qui a choisi l'importation d'hydrogène strictement renouvelable. Il faudra veiller à ce que la France ne soit pas exclue des projets européens. L'hydrogène ne constitue une énergie propre qu'à la condition que sa production le soit. Or l'éolien et le solaire sont encore minoritaires chez nous.
Les applications de l'hydrogène au niveau des particuliers sont trop coûteuses. Les conditions de la réussite doivent être créées ailleurs, et les efforts des industries récompensées. Le secteur des transports se mobilise ; nous concentrons l'action sur les véhicules lourds. Quatre régions se sont engagées en faveur de TER circulant à l'hydrogène. Dans l'aéronautique, l'objet est celui d'un avion à hydrogène en 2024.
La feuille de route est donc fournie. L'appel à projets Briques technologiques et démonstrateurs recevra jusqu'en 2023 350 millions d'euros, et la recherche appliquée sur les piles, le stockage et les électrolyseurs est dotée de 65 millions d'euros. La formation de professionnels qualifiés, dans 21 campus de métiers, bénéficiera de 30 millions en 2021.
Sur le papier, tout est là pour la réussite. Attention, cependant, à quelques points de vigilance. Il y a d'abord l'articulation avec la stratégie européenne. Le Conseil national de l'hydrogène, ensuite, dont on connaît encore mal les modalités de fonctionnement. Attention aussi au risque de spéculation financière sur les projets : les milliards d'euros aiguisent l'appétit des start-up comme des grands groupes, qui pourraient promettre beaucoup et réaliser peu. Il y a enfin la tentation de recourir à l'externalisation de la production dans des zones où l'énergie renouvelable est abondante et peu coûteuse, comme l'Ukraine et l'Afrique du Nord, ce qui remettrait en cause l'objectif du développement durable. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE)
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité . - L'hydrogène est une grande révolution technologique de ce siècle. C'est aussi une opportunité pour le climat, l'emploi et les territoires. La France ne peut la manquer. Dès 2018, Nicolas Hulot mobilisait 100 millions d'euros dans un premier plan. La crise a montré la nécessité de changer d'échelle.
La neutralité carbone bénéficiera à la santé des Français et à la résilience et la souveraineté énergétique du pays. Elle créera une France plus verte, comme le réclament les jeunes générations.
C'est un nouveau regard qu'il faut porter sur le mix énergétique. Des moyens supplémentaires sans précédent doivent permettre de réaliser cette transition et de développer une filière hydrogène de premier ordre, avec des usines d'électrolyse sur le territoire. Il s'agit, d'ici dix ans, d'éviter l'émission de 6 millions de tonnes de CO2. Jusqu'à 100 000 emplois pourraient être créés. Sur la période, 7 milliards d'euros seront mobilisés dont 2 pour 2021 et 2022.
La recherche et l'industrie seront mobilisées. Il n'est pas certain que cette énergie soit adaptée à la voiture individuelle, mais elle a assurément un sens pour les mobilités lourdes.
Le déplacement neutre redonnerait une attractivité verte à nos territoires. Je pense notamment aux petites lignes ferroviaires, et aux 400 à 500 trains diesels sur les 2000 TER.
L'Allemagne a mis en service un train voyageurs à hydrogène dès 2018. Nous pourrions y arriver aussi ! Il faut lever les verrous techniques et opérationnels pour permettre la circulation des premiers trains à hydrogène dans cinq ans. Quatre régions ont été sélectionnées pour ces projets : le Grand-Est, ce qui réjouit la Haut-Marnaise que je suis, la Bourgogne Franche-Comté, l'Occitanie et l'Auvergne-Rhône-Alpes. L'hydrogène est une opportunité pour la France, un moment historique. Soyons au rendez-vous de l'avenir ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI)
M. Frédéric Marchand . - Le 2 novembre, j'ai participé à un déplacement d'une délégation de la CRE à Cappelle-la-Grande, où un projet unique a été lancé pour 2014 pour dix ans.
Après six ans d'expérimentation, ce projet power to gas a validé sa pertinence technique et ses bénéfices environnementaux. Quelque cent logements et la chaufferie du centre de soins sont ainsi alimentés.
L'acceptation sociale de l'hydrogène est essentielle à son succès. L'information de nos concitoyens est donc nécessaire. Que prévoyez-vous ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - L'acceptabilité est clé pour le développement de la filière hydrogène. Il faudra d'abord développer des acteurs de taille significative, mais aussi des acteurs locaux maillant le territoire. L'Ademe a proposé aux conseils régionaux de les soutenir pour répondre aux appels à projets. Il faudra une réglementation adaptée aux évolutions rapides du secteur qui préserve la sécurité. Nous devrons aussi favoriser la mise en relation des acteurs, la prise en compte des enjeux environnementaux, notamment la consommation d'eau des électrolyseurs, et bien organiser la concertation avec les riverains. Le projet GRHYD que vous avez cité est une première étape : 5 millions d'euros d'aides seront versées sur les 15 millions d'euros d'investissements.
M. Christian Bilhac . - L'Occitanie a l'ambition de devenir la première région à énergie positive en Europe d'ici 2050. Le plan hydrogène vert est doté de 150 millions d'euros d'ici 2030. L'objectif est de générer jusqu'à un milliard d'euros d'investissements.
Les projets de Blagnac et de Fort-la-Nouvelle sont lancés. L'achat de trois trains hybrides est programmé et 3 250 véhicules à hydrogène seront mis en circulation d'ici 2030.
Grâce aux électrolyseurs développés par le Commissariat à l'énergie atomique, on produira de l'hydrogène vert trois à quatre fois moins cher qu'aujourd'hui. Cette énergie deviendra très compétitive. Éric Gold compte aussi un champion industriel sur son territoire, Michelin, qui entend devenir l'un des leaders mondiaux. Ce n'est pas un hasard si la région Auvergne Rhône-Alpes rassemble 80 % des acteurs de la filière hydrogène. Mais quid de l'équipement de notre territoire pour approvisionner les véhicules grand public ? Un plan national de déploiement des stations à hydrogène est-il prévu ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE)
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - La stratégie nationale vise l'industrie et la mobilité lourde, pas celle des particuliers. L'hydrogène permet une autonomie plus grande, et le plein prend le même temps qu'un plein de diesel.
La stratégie a comme objectif prioritaire de déployer des stations pour les flottes lourdes, de bus, cars et camions, avec un cofinancement entre l'État et les collectivités territoriales. Nous avons lancé un appel à projet pour industrialiser le réseau de ravitaillement. Dans plusieurs années, l'hydrogène pourra concerner les véhicules particuliers.
M. Christian Bilhac. - Merci, madame la ministre. Ce qui m'inquiète, c'est qu'on refasse la même erreur que pour l'électrique, avec des kilomètres à parcourir pour trouver une borne de recharge.
M. Fabien Gay . - Merci au RDSE pour ce débat. J'appelle votre attention sur l'importance de développer et de maintenir une industrie sur nos territoires. L'hydrogène est prometteur, mais pose question. Son poids pose problème pour l'aviation, par exemple : il faudra réduire le nombre de passagers, donc augmenter le prix des billets... Pour que la France devienne un champion, des investissements massifs sont nécessaires, mais aussi la mise en place d'une filière industrielle complète et publique, tant pour la R&D que pour la production et l'installation. Ne gaspillons pas l'argent public.
Actuellement, l'hydrogène est produit à partir de gaz naturel. Le rendement est d'une tonne d'hydrogène pour dix tonnes de dioxyde de carbone. Pour une production décarbonée, il faut relancer la filière nucléaire. Dès lors, outre les 2 milliards d'euros prévus, quelle stratégie intégrée comptez-vous mettre en place, en vous appuyant sur quels opérateurs ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - L'hydrogène produit par électrolyse sera un outil de décarbonation de l'industrie et des mobilités lourdes. La stratégie nationale prévoit un soutien public de 7 milliards d'euros pour les électrolyseurs, les constructeurs de véhicules et le déploiement d'infrastructures de production et de diffusion, entre autres. Les appels à projets donnent de la visibilité aux industriels.
Un appel à projets « briques technologiques et démonstrateurs » de 350 millions d'euros a été lancé le 14 octobre. Il dopera la production et le transport d'hydrogène et suscitera des pilotes et des démonstrateurs à grande échelle. Un autre appel à projets, doté de 275 millions d'euros, renforcera les écosystèmes de production et de distribution d'hydrogène décarboné.
M. Fabien Gay. - Merci, madame la ministre. La question était précise. Le Président de la République a nommé un Haut-Commissaire au plan ; cette question fait-elle partie de ses missions ? Y aura-t-il une filière publique - à l'heure où vous démantelez EDF et Engie ?
Mme Denise Saint-Pé . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Merci au RDSE pour ce débat d'actualité. La transition écologique est plus urgente que jamais. L'enjeu est de décarboner l'industrie et la mobilité. L'hydrogène a bien des atouts, même si ses débuts sont timides, faute d'industrialisation. Une approche durable nécessite de produire de l'hydrogène décarboné par électrolyse à partir d'électricité décarbonée.
La communauté d'agglomération paloise a récemment équipé une flotte de bus à hydrogène grâce à l'électrolyse issue de l'hydroélectricité pyrénéenne. L'hydroélectricité est une énergie renouvelable non intermittente. Malheureusement, elle est rare. Le Gouvernement envisage-t-il de relancer la petite hydroélectricité sur l'ensemble du territoire ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - La petite hydroélectricité contribue à la transition énergétique et au développement économique des territoires. Elle fait l'objet d'un soutien clair du Gouvernement, par des préférences tarifaires et des appels à projets. Mais la multiplication de ces installations peut gêner la vie des espèces en fragmentant les cours d'eau et en les réchauffant excessivement. Son développement devra donc être sélectif et limité.
Compte tenu de la taille et de la puissance des installations, la petite hydroélectricité ne pourra jouer qu'un rôle limité.
Mme Angèle Préville . - Notre avenir est dans le mix électrique. L'hydrogène peut être produit par électrolyse : il est alors vert, renouvelable, décarboné et facilement stockable. Plusieurs États membres ont demandé à la Commission européenne de garantir la traçabilité de l'hydrogène vert.
Le développement d'une filière compétitive en France est une question d'écologie mais aussi de souveraineté. La France doit rendre le prix de l'hydrogène suffisamment attractif pour inciter les investissements. C'est à partir des territoires et avec les collectivités qu'il faut le déployer, dans une dynamique vertueuse.
Où en est-on du déploiement de l'électrolyse ? Existe-t-il des fabricants français et produisent-ils des électrolyseurs de différentes tailles, adaptés aux besoins territoriaux ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - L'électrolyse sera au coeur de la stratégie nationale avec l'objectif de produire 6,5 gigawatts d'ici à 2030. Nous sommes favorables à une implantation sur les territoires d'électrolyseurs made in France.
Des discussions sont en cours avec d'autres États membres pour des projets partenariaux. Le mécanisme européen de soutien à la recherche et à l'innovation a l'avantage d'autoriser les pouvoirs publics à aider au-delà du stage de la recherche, à savoir le passage de l'innovation à la production.
La traçabilité de l'hydrogène devrait faire l'objet, début 2021, d'une ordonnance habilitée par la loi Énergie-climat.
Mme Angèle Préville. - Merci au groupe RDSE pour ce débat.
Ne répétons pas les erreurs du passé. Ne privilégions pas une production massive mais plutôt de petites unités sur les territoires. Il faut promouvoir le consommer local pour l'énergie également.
M. Étienne Blanc . - Nous devons atteindre la neutralité carbone d'ici 2050 pour respecter l'Accord de Paris. Alors que les transports représentent 30 % des émissions de gaz à effet de serre, les États-Unis, la Chine et l'Allemagne investissent des sommes considérables pour atteindre cet objectif.
En région Auvergne-Rhône-Alpes, Air Liquide, Michelin, Plastic Omnium investissent dans la filière hydrogène. Attention à bien cibler nos politiques.
Sur quels programmes de recherche concentrez-vous les moyens ? Comment transformer l'hydrogène gris en hydrogène vert ? À quelle filière donner la priorité : aérien, ferroviaire, transport routier ? La Commission européenne alloue des moyens substantiels ; quels partenariats comptez-vous nouer ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - La stratégie prévoit de soutenir un programme de recherche doté de 65 millions d'euros et géré par l'Agence nationale de la recherche (ANR). L'électrolyse est la technologie clé pour passer du gris au vert.
Nous pensons la développer, ainsi que les flottes de véhicules lourds et la R&D pour les trains et les avions.
Une réunion a eu lieu entre le Président de la République et la Chancelière allemande pour identifier les projets européens clés.
M. Étienne Blanc. - Les régions ont besoin de connaître les priorités du Gouvernement pour unir leurs forces. C'est le cas d'Auvergne-Rhône-Alpes qui rassemble 80 % des acteurs de la filière.
M. Pierre Médevielle . - Les enjeux de la relance nous obligent à imaginer un avenir différent. L'hydrogène tiendra une place importante dans le plan vert. L'État seul ne peut pas tout assumer. Ne faisons pas les mêmes erreurs qu'avec les batteries au lithium. Unissons nos forces. L'argent public n'est efficace que s'il est couplé avec l'argent privé.
J'associe ma collègue Vanina Paoli-Gagin à la question suivante : les Français ont épargné beaucoup depuis mars, notamment sur le livret A. Êtes-vous prête à utiliser une partie de ces sommes pour des projets d'avenir territoriaux, afin de créer une filière industrielle dont les emplois ne seraient pas délocalisables ?
Envisagez-vous d'encadrer des plateformes de financement participatif - de crowfunding - pour cette filière ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - Oui, il faut aller plus avant dans de nouveaux modèles de participation, qui restent largement à inventer.
L'utilisation de l'épargne dans nos territoires donne droit à un bonus. Le ministère de la Transition énergétique a canalisé 15 milliards d'euros par son label Greenfin.
Au titre du Programme d'investissements d'avenir (PIA), nous avons investi dans des fonds gérant des activités énergétiques. La BPI est un acteur important, aux côtés des collectivités territoriales et des financeurs régionaux.
Beaucoup reste à faire, mais je suis très confiante dans ces projets de territoire locaux, qui donnent prise à nos concitoyens sur cette transition énergétique.
M. Pierre Médevielle. - Donnons un coup d'accélérateur. Lors du PLFR2, de nombreux investisseurs auraient préféré un élargissement à des personnes morales. La grande distribution souhaitait investir dans ces plateformes de crowdfunding.
M. Daniel Salmon . - Je me félicite des 7 milliards d'euros annoncés pour l'hydrogène. C'est une énergie de stock et non de flux, ce qui fait tout son intérêt.
Mais évitons les écueils. Aujourd'hui, plus de 95 % de l'hydrogène produit l'est à partir d'énergies fossiles. L'intérêt écologique est nul, voire négatif. La production par électrolyse est bonne si elle est écologique. Quels matériaux sont employés, comment ? Cela pose la question du bilan écologique de ces techniques mais aussi de notre souveraineté.
Madame la ministre, comment faire de la France une championne de l'hydrogène vert, décarboné et renouvelable ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - Les enjeux d'approvisionnement en matériaux critiques appellent notre vigilance. Un comité de pilotage du plan des ressources minérales de la transition bas carbone étudie la question depuis 2019, comme pour le nickel ou le platine.
La Commission européenne a lancé une mission de surveillance. L'État pourra soutenir la recherche amont pour développer de nouveaux matériaux et la recherche aval, via le PIA.
Nous essayons aussi de recycler davantage les matériaux rares.
M. Daniel Salmon. - Soyons vigilants pour ne pas dépendre des terres rares chinoises. Il y va de notre souveraineté. Il faut également éviter de placer tous nos oeufs dans le même panier, et être sobre.
Mme Catherine Fournier . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Se positionner en leader de l'énergie hydrogène est un véritable challenge. Sont prévus une enveloppe de 2 milliards d'euros dans le plan de relance 2020-2022 ainsi que 7 milliards d'euros de trajectoire d'ici 2030.
Réduisons la part de l'hydrogène gris, fabriqué à partir d'énergie fossile - car elle est de 95 % aujourd'hui.
La France a des atouts pour produire de l'hydrogène vert, décarboné. La gestion de l'eau, matière première, devra être adaptée. L'hydrogène bleu, produit à partir de pyrolyse de gaz naturel, grâce à la méthanisation agricole, est aussi une alternative.
Ne nous voilons pas la face : il faut une stratégie agressive d'innovation. L'hydrogène vert coûte trois à quatre fois plus cher que l'hydrogène gris. Pour se donner les moyens, pourquoi ne pas généraliser la taxe carbone aux frontières européennes sur les produits importés ne respectant pas les normes ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Daniel Salmon applaudit également.)
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - La réduction de la différence de coût entre hydrogènes gris et vert est une priorité du Gouvernement. Selon les rapports, il est possible d'aller bien en deçà d'un facteur 3 à 4.
Il faut également concilier réussite de la décarbonation et maintien de la compétitivité. Des discussions ont lieu sur le renforcement des objectifs de baisse des gaz à effet de serre d'ici 2030. Nous avons proposé un mécanisme de taxation carbone aux frontières, désormais examiné très favorablement par de nombreux États membres. Un texte législatif est en cours d'écriture. Nous travaillons aussi à une refonte du dispositif dit ETS de quotas d'émissions de gaz à effet de serre.
Mme Viviane Artigalas . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Dès le début de la crise, j'ai interpellé le Gouvernement sur la nécessité de consacrer une grande part de la relance à la transition énergétique et singulièrement à l'hydrogène. Il est indispensable de verdir les déplacements ; l'hydrogène peut le permettre. L'Allemagne a très vite mesuré cette urgence et consacre 9 milliards d'euros aux transports et à l'industrie hydrogène. La France va y consacrer 7 milliards d'euros sur dix ans. C'est non négligeable mais inférieur.
La France expérimente le train à hydrogène quand l'Allemagne l'utilise. Alstom en 2019 a reçu 41 commandes de trains à hydrogène pour l'Allemagne. L'Occitanie a été pionnière en commandant de ces matériels pour ses TER.
Dans le plan de relance, 3,7 milliards d'euros en autorisations d'engagement et 910 millions d'euros en crédits de paiement seront consacrés à l'hydrogène. C'est important et nous nous en réjouissons. Comment se déclineront-ils ? Pour quels secteurs prioritaires ? Selon quel échéancier ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - L'hydrogène est une opportunité stratégique pour la transition écologique.
Quelque 7 milliards d'euros de soutien public seront déployés d'ici 2030, selon une approche systémique : une chaîne de valeur avec des moyens financiers et des établissements territoriaux maillant le pays, à hauteur de 6,5 gigawatts de puissance d'ici 2030. Deux appels à projet de l'Ademe ont été lancés le 14 octobre.
Les budgets soutiendront toute la chaîne de valeur. Quelque 65 millions d'euros sont prévus pour l'ANR, 1,5 milliard d'euros pour des projets d'Important Project of Common European Interest (IPCEI), 350 millions d'euros du PIA pour l'innovation et 325 millions de l'Ademe pour les écosystèmes territoriaux.
Mme Viviane Artigalas. - Nos entreprises de pointe et nos collectivités territoriales ont besoin de visibilité. Informez-les régulièrement. Nous devons rattraper l'Allemagne.
M. Guillaume Chevrollier . - Longtemps mal aimé des politiques énergétiques, l'hydrogène est un pilier majeur de la relance.
Les régions ont saisi ses capacités de décarbonation et sont porteuses de projets. La région Pays-de-Loire a débloqué 100 millions d'ici 2030 pour une filière d'excellence de l'hydrogène.
Je salue l'impulsion de l'État avec ses 7 milliards d'euros. Nos politiques publiques environnementales manquent souvent de stabilité et de visibilité. De nombreux projets industriels n'ont pas abouti. L'État doit s'engager sur le long terme et l'hydrogène doit se déployer avec une vision d'ensemble.
Comment s'articulera le soutien entre État et région ? Quels gages juridiques et financiers donnez-vous pour sécuriser la filière ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - Les régions et les collectivités territoriales sont des acteurs clés pour la transition écologique. Plusieurs collectivités territoriales ont développé des plans hydrogène, d'autres sont venus de France Hydrogène, et certains viennent en complément de l'État.
De nombreux webinaires ont été mis en place, par les Dreal et l'Ademe, pour accompagner les collectivités territoriales.
Le volet ferroviaire est très important. Les discussions sont intenses pour formaliser les premières transitions en hydrogène.
M. Guillaume Chevrollier. - Pour arriver à la neutralité carbone en 2050, l'État doit s'appuyer sur les collectivités territoriales. L'hydrogène décarboné doit être un facteur de croissance et d'espérance.
M. Jean-Michel Houllegatte . - Stocker l'hydrogène est vital. Les ENR génèrent de l'électricité par intermittence, avec des pics de productivité qui dépassent la consommation. En 2020, à cause de la chute du marché de gros, le prix de l'électricité a parfois été négatif, et cela risque de se reproduire.
Le stockage de l'électricité par l'hydrogène est un levier qu'il est urgent d'activer, mais les capacités ne sont pas au rendez-vous. Le rendement n'est encore que de 23 % entre la production et la restitution d'électricité, contre 70 % pour les batteries. Il faut des moyens financiers et éviter le saupoudrage des crédits.
Quelle organisation serait la plus pertinente pour faire émerger une véritable filière qui laisse la place à l'innovation et aux start-up mais favorise des champions de taille critique ? Comment former les ingénieurs et techniciens qui nous font défaut ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - L'échelle européenne est cruciale. La stratégie européenne est déjà un premier pas positif, avec l'identification de la filière électrolyse comme filière d'avenir et un objectif ambitieux de 40 gigawatts en 2030.
Il est nécessaire de construire un cadre commun avec un objectif de production de 6,5 gigawatts d'électrolyse et de 600 000 tonnes d'hydrogène décarboné à horizon 2030.
La stratégie française rejoint la stratégie européenne et des discussions sont en cours avec les autres États membres pour des projets européens communs d'innovation, qui seront notifiés à la Commission. Une première réunion entre le Président de la République et la chancelière allemande a eu lieu.
Les projets seront suivis de près par les ministères, combinant financements européens et nationaux. Un appel à projets de 2015 de l'ANR vise le développement de l'hydrogène.
L'articulation entre les différents dispositifs est indispensable pour plus de cohérence et de coordination.
M. Jean-Michel Houllegatte. - Quelle coordination au niveau national ? Quand la France s'est dotée d'une ambition nucléaire, elle a créé le Commissariat à l'énergie atomique (CEA) ; ce fut le Centre national d'études spatiales (CNES) pour la filière spatiale.
Qu'en est-il pour l'hydrogène ? L'hydrogène est à la mode, mais la multiplicité des projets risque d'engendrer une dispersion et un manque de cohérence.
M. Stéphane Piednoir . - Émettre 10 tonnes de CO2 pour 1 tonne d'hydrogène n'est pas tolérable. Avec une enveloppe de 7 milliards d'euros, la France prend le chemin de l'électrolyse, mais avec quelle couleur environnementale ? Il faut associer les ENR aux électrolyseurs, mais cela ne suffira pas en raison de leur caractère intermittent.
Soyons pragmatiques en nous appuyant sur des technologies maîtrisées et faiblement émettrices de CO2, comme le nucléaire. Il devrait y avoir consensus car l'investissement dans cet outil industriel est largement amorti et il produit une électricité stable et pilotable. Peut-on envisager ce couplage pour un nouvel hydrogène « jaune » ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - Pour une pleine décarbonation de l'économie, il faut aller plus loin en soutenant de nouvelles filières. Une augmentation de 31 % d'ici 2030 est attendue pour l'hydrogène dans certains secteurs.
Avec un objectif d'hydrogène décarboné fixé à 6,5 gigawatts d'ici 2030, la stratégie française rejoint la stratégie européenne. Nous avons une feuille de route, dans le projet de loi Climat-énergie et la programmation pluriannuelle de l'énergie.
M. Stéphane Piednoir. - Je n'ai pas entendu le mot nucléaire dans votre réponse. Nous n'avons pas suffisamment d'ENR pour une conversion exclusive. Nous ne sommes pas la Norvège. Notre outil industriel nucléaire pourrait être utilisé, et donc prolongé.
M. Cédric Perrin . - Avec 7 milliards d'euros d'ici 2030, la France rattrape enfin son retard. Il y a quelques mois, le Gouvernement n'alignait que 100 millions d'euros... Sans doute ménageait-il un effet de surprise ? La covid a peut-être du bon.
Pour préserver notre souveraineté, il nous faut décarboner et produire nous-même de l'hydrogène.
Si l'amont est une priorité du Gouvernement, qu'en est-il de l'aval, de la massification des projets et de la diversification des usages ? Faute de demande suffisante, l'offre viendra de l'étranger. Ne reproduisons pas les erreurs commises avec les panneaux solaires ou les batteries. De l'émergence d'une filière française dépendent des milliers d'emplois, notamment dans l'automobile.
Quelles initiatives sont prévues au niveau européen pour stimuler cette filière ? Je pense notamment à des souplesses administratives, à des mécanismes de soutien public, à une taxation du carbone aux frontières européennes... Des discussions sont-elles engagées avec la Commission européenne ?
« Le déclassement français, c'est le renoncement des élites », disait Bruno Le Maire en présentant le plan Hydrogène. Ne renoncez ni à la production ni au développement des usages.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - Le soutien à l'investissement et au fonctionnement est bien prévu. Nous visons une baisse des coûts par effet d'échelle via les électrolyseurs, moins chers. Il s'agit de concilier la décarbonation de notre économie, nationale et européenne, avec le maintien de notre compétitivité dans les secteurs les plus exposés à la concurrence internationale. C'est pourquoi il faut travailler main dans la main avec nos partenaires européens.
Mme Agnès Canayer . - L'hydrogène est à un moment stratégique de son développement. La place des territoires est essentielle. Nous avons besoin d'un écosystème territorial performant pour préserver notre indépendance.
Le président de la République s'est engagé à mettre en place un plan de relance massif pour assurer notre souveraineté industrielle et écologique ; la stratégie nationale pour le développement de l'hydrogène décarboné en fait partie.
En Seine-Maritime, le long la vallée de la Seine, premier pôle industriel et logistique de France, des initiatives ont vu le jour. Je pense au projet Cryocap d'Air Liquide à Port-Jérôme, ou au projet H2V de production d'hydrogène vert par l'eau qui verra le jour en 2022.
Ces initiatives sont accompagnées par les élus locaux. Les territoires doivent donc être financièrement soutenus et dotés de compétences.
Comment le Gouvernement accompagnera-t-il les collectivités qui portent des projets de territoire au plus près des réalités locales ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - Notre stratégie s'appuie un développement systémique offre-demande, une filière française de premier rang sur toute la chaîne de valeur, de la R & D à l'industrialisation, avec l'objectif d'une décarbonation totale à l'horizon 2050.
L'appel à projets de l'Ademe lancé le 14 octobre vise à soutenir dans les territoires le déploiement de projets d'infrastructures de production et de distribution.
L'Ademe, le ministère et les Dreal ont noué des partenariats avec les collectivités territoriales, en particulier les régions. Nous continuerons à échanger avec les territoires, pour accompagner le montage des projets, entendre les retours d'expérience et monter le cas échéant des cofinancements.
M. Didier Mandelli . - L'hydrogène décarboné est une opportunité pour accélérer la transition écologique et assurer notre indépendance énergétique. Le 9 septembre dernier, le Gouvernement a annoncé 7 milliards d'euros d'ici 2030 dans le cadre d'une stratégie nationale. Nous saluons ces annonces, nécessaires pour le développement de l'hydrogène dans les mobilités - l'avion d'Airbus, le train d'Alstom, qui roule déjà en Allemagne, et bientôt les navires et les véhicules lourds.
Des projets ambitieux voient le jour en France. En Vendée, l'entreprise Lhyfe a lancé un projet de production d'hydrogène offshore grâce au parc éolien en mer, soutenu par les collectivités territoriales. L'objectif est de produire 300 kilogrammes d'hydrogène au printemps prochain pour les besoins quotidiens de mobilité.
Ces projets précurseurs doivent permettre à la France de devenir championne de la production d'hydrogène. Seront-ils soutenus par le Gouvernement dans le cadre des programmes d'aides annoncés ? À quelle hauteur ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - Un appel à projet de l'Ademe a été lancé le 14 novembre pour soutenir à hauteur de 275 millions d'euros des projets concernant des usages dans l'industrie et dans la mobilité lourde.
Des consortiums réunissant autorités locales et entreprises industrielles doivent travailler ensemble afin de créer des écosystèmes qui favorisent par ailleurs les économies d'échelle. Mes services ont déjà présenté la stratégie Hydrogène à l'association Régions de France, et continuent de la promouvoir.
Nous avons également une action territorialisée, via l'Ademe, pour soutenir des projets comme celui de l'entreprise Lhyfe au port du Bec, qui a reçu un soutien de la BPI. C'est un projet intéressant mais encore coûteux, sachant que le système électrique français n'a pas besoin de stockage avant 2035. Nous nous tournons donc vers des projets plus matures, avec des débouchés industriels rapides, à un coût raisonnable pour les finances publiques.
M. Didier Mandelli. - Je vous remercie pour votre réponse.
Mme Guylène Pantel . - Je vous remercie pour toutes vos contributions. Il ne fait aucun doute que l'hydrogène va jouer un rôle majeur dans la décarbonation de notre mix énergétique et participera à l'indépendance énergétique de la France. On chiffre le nombre d'emplois, directs et indirects, attendus entre 50 000 et 100 000.
Surtout, il doit nous permettre de tenir le cap écologique et d'atteindre les objectifs de l'accord de Paris. Tout se joue dans les dix prochaines années.
La France peut devenir un champion de l'hydrogène mais elle doit s'associer à ses partenaires européens pour coordonner les investissements. La Commission européenne s'est saisie du sujet, et des États membres, comme l'Allemagne, l'Espagne et le Portugal, investissent autant, voire plus que nous.
L'AIE a élaboré un scénario « zéro émission nette » qui, pour la première fois, intègre l'hydrogène.
Veillons cependant à la bonne utilisation de la manne financière qui y sera consacrée. Il faut soutenir le secteur, mais aussi contrôler l'efficacité des dépenses.
Notre débat illustre tout l'intérêt que portent les territoires à l'hydrogène. Le RDSE espère que la nouvelle stratégie française permettra de lever les verrous au développement de l'hydrogène. Il faudra notamment travailler sur la formation.
La piste de l'hydrogène blanc issue de l'écorce terrestre n'est pas évoquée dans notre stratégie, contrairement à l'Allemagne.
Le chemin sera encore long mais nous sommes sur la bonne voie. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et UC)
Les conclusions de la Conférence des présidents sont adoptées.
Prochaine séance demain, jeudi 19 novembre 2020, à 9 heures.
La séance est levée à 19 h 45.
Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,
Rosalie Delpech
Chef de publication
Annexes
Ordre du jour du jeudi 19 novembre 2020
Séance publique
De 9 heures à 13 heures
Présidence : Mme Laurence Rossignol, vice-présidente
Secrétaires : M. Loïc Hervé - M. Daniel Gremillet
(Ordre du jour réservé au groupe INDEP)
- Débat intitulé : « La forêt française face aux défis climatiques, économiques et sociétaux»
- Débat intitulé : « Contenus haineux sur internet : en ligne ou hors ligne, la loi doit être la même »
À 14 h 30 et, éventuellement, le soir
Présidence : M. Gérard Larcher, président M. Pierre Laurent, vice-président Mme Laurence Rossignol, vice-présidente
- Sous réserve de sa transmission, projet de loi de finances pour 2021 (A.N., n°3360)
=> Discussion générale
=> Examen de l'article liminaire
=> Examen de l'article 31 : évaluation du prélèvement opéré sur les recettes de l'État au titre de la participation de la France au budget de l'Union européenne