Simplification des expérimentations (Procédure accélérée)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi organique relatif à la simplification des expérimentations mises en oeuvre sur le fondement du quatrième alinéa de l'article 72 de la Constitution (procédure accélérée).
Discussion générale
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales . - Avec ce projet de loi qui vise à assouplir les expérimentations, nous poursuivons le débat entamé ici il y a quinze jours, ce qui me fait espérer une issue favorable.
Ce texte répond aux deux principaux besoins des élus et des citoyens : le besoin de proximité d'abord, car la course au gigantisme a nourri un sentiment de fragmentation de la Nation et d'abandon des citoyens ; le besoin d'efficacité, ensuite, car nos territoires ont démontré leur capacité à innover et à s'adapter aux grandes transitions, écologique, économique, sociale et numérique.
Ces derniers mois, j'ai apprécié nos grandes convergences de vue sur ces sujets. Nos échanges, vos propositions ont permis un enrichissement constant, comme en témoignent les amendements. Chacun ayant fait un pas vers l'autre, les divergences sont minimes.
Le vieux rêve du jardin à la française - une place pour chaque chose et chaque chose à sa place - doit être renouvelé : les territoires doivent avoir les moyens d'être plus souples et dynamiques.
Reconnaissons leur inventivité, leur diversité et leur singularité, pour mieux répondre à leurs besoins : faisons du sur-mesure, du cousu-main !
La nouvelle étape que nous vous proposons, c'est une décentralisation de liberté et de confiance - confiance dans les territoires, dans les élus locaux et les citoyens. Dans le contexte difficile que traverse notre pays, nous devons avoir plus que jamais la République en partage.
La cohésion des territoires impose de marcher sur une ligne de crête, de trouver l'équilibre entre liberté et cohésion nationale, entre unité de la République et équité entre les territoires. Nous y reviendrons lors de la discussion de la motion déposée par le groupe CRCE.
Ce projet de loi organique, issu en grande partie d'une étude du Conseil d'État, vise à faciliter les expérimentations des collectivités territoriales pour ouvrir la voie à une différenciation durable. Seules quatre expérimentations ont été menées depuis 2003 sur la base de l'article 72-4 de la Constitution.
Nous voulons assouplir les expérimentations pour les rendre plus simples d'accès, plus rapides à mettre en oeuvre et plus attractives.
Le premier objectif est de simplifier la procédure d'entrée de l'expérimentation : les collectivités répondant aux conditions prévues par la loi pourront décider d'elles-mêmes d'y participer, par simple délibération, sans qu'il faille passer par un décret du Gouvernement. Cela réduira le délai moyen d'entrée d'un an à deux mois.
Les actes pris dans le cadre des expérimentations ne seront plus publiés qu'à titre d'information au Journal Officiel.
Le contrôle de légalité sera allégé. Le contrôle renforcé et dérogatoire, avec déféré suspensif, sera limité à la décision d'entrée dans l'expérimentation.
Le deuxième objectif est d'assurer une évaluation plus pertinente des expérimentations. Outre le rapport d'évaluation final, transmis au Parlement, la commission des lois a introduit un rapport d'évaluation à mi-parcours de chaque expérimentation ; j'y suis très favorable.
En revanche, le rapport annuel recensant les propositions et demandes d'expérimentation paraît désormais superflu, puisque les collectivités territoriales entreront directement dans les expérimentations.
Troisième objectif : sortir de l'alternative binaire entre généralisation ou abandon de l'expérimentation. Le législateur aura quatre options : la prolongation de l'expérimentation, pour trois ans maximum ; la pérennisation et la généralisation des mesures prises à titre expérimental ; la pérennisation sans généralisation dans les collectivités ayant participé à l'expérimentation ou dans certaines d'entre elles et leur extension à d'autres ; enfin, l'abandon de l'expérimentation. Au regard du bilan, le législateur pourra effectuer les ajustements nécessaires.
Je précise que c'est dans le respect du principe constitutionnel d'égalité que des mesures prises à titre expérimental dans certaines parties du territoire pourront être pérennisées.
Simplifier ne suffit pas, il faut aussi accompagner les collectivités territoriales. Nous suivons la recommandation du Conseil d'État de créer des guichets permanents pour recueillir les propositions des collectivités territoriales et leur permettre de solliciter une ingénierie juridique. Ce besoin d'accompagnement fait l'objet de plusieurs amendements : il est légitime mais ne relève pas du domaine législatif.
Depuis 2017, nous renforçons l'aide à l'ingénierie pour libérer les initiatives et les projets. Nous avons créé l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) à cet effet le 1er janvier 2020.
Ce texte est une nouvelle étape, après la loi Engagement et proximité, de notre action pour les territoires. Il repose sur les principes clés de liberté et de confiance et donne aux territoires de nouveaux moyens concrets pour imaginer et mettre en oeuvre leurs projets.
Dès janvier 2021, je présenterai le second temps de cette nouvelle étape de la décentralisation, avec le projet de loi dit « 3D » ou « 4D » : différenciation, décentralisation et déconcentration, auxquelles s'ajoute décomplexification. Il est guidé par les mêmes grands principes : simplifier, accompagner, libérer. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDPI)
Mme Françoise Gatel, rapporteur de la commission des lois . - Je salue ce projet de loi, nouveau pas après la loi Engagement et proximité, qui assouplit le dogme de la loi NOTRe. Mais il manque de souffle. Le Sénat, souvent taxé de conservatisme, vous proposait, la semaine dernière, une réforme plus audacieuse.
Nous voterons toutefois ce texte, même timide, car l'immobilisme est mortifère.
L'égalité des droits et libertés implique assurément une différenciation de moyens - c'est la raison du droit spécifique aux outremers ou aux communes de montagne. C'est aussi tout le débat autour du principe de libre administration des collectivités, que nous avions affirmé dans notre proposition de loi constitutionnelle qui rendait l'expérimentation beaucoup plus libre.
L'évaluation, c'est le prix de la pertinence et de l'efficience. En 2003, a été consacré le droit pour les collectivités territoriales de déroger, à titre expérimental et pour une durée limitée, aux dispositions législatives et réglementaires. Seules quatre expérimentations ont été menées dans ce cadre : sur le RSA, la tarification sociale de l'eau, la répartition des fonds inutilisés de la taxe d'apprentissage et l'apprentissage jusqu'à 30 ans, qui ont été généralisées.
Selon le Conseil d'État, la procédure trop lourde et l'issue binaire expliquent ce faible recours à l'expérimentation. J'ajoute que l'évaluation est lacunaire et les petites collectivités, trop peu accompagnées.
La procédure est un parcours du combattant : deux ans pour l'expérimentation de la tarification sociale de l'eau - généralisée avant d'avoir été évaluée...
La simplification de la procédure d'entrée en expérimentation est bienvenue, comme celle du régime juridique des actes et du contrôle de légalité, que vous rapprochez du droit commun.
Inventer des solutions jour après jour, c'est le quotidien des élus locaux. Osons leur faire confiance !
Le Sénat est convaincu de l'impérieuse nécessité d'une nouvelle audace décentralisatrice ; il vous encourage à forcer l'allure. C'est ce que nous attendons du futur projet de loi 3D. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et INDEP)
M. Mathieu Darnaud, rapporteur de la commission des lois . - Madame la ministre, vous évoquez la République en partage. Elle est trop souvent confisquée par un excès de centralisme. C'est ce qui nous a réunis lors du projet de loi Engagement et proximité, et encore dernièrement : assurer les moyens d'une juste décentralisation et déconcentration et donner des outils aux élus qui font vivre nos territoires.
Notre volonté de simplification rejoint celle du Gouvernement, même si ce texte, trop timide, manque effectivement de souffle. Madame la ministre, osez prendre exemple sur l'audace du Sénat !
Le Sénat est attaché aux études d'impact et à l'évaluation. Or d'évaluation des expérimentations, il n'en existe quasiment pas. Nous voulons, au travers du rapport d'évaluation intermédiaire et final, voir les apports concrets de ces expérimentations, et débattre ici en connaissance de cause.
Les collectivités territoriales ne seront pas incitées à expérimenter si elles ne disposent pas d'une ingénierie suffisante. L'idée d'un guichet pour les petites collectivités est séduisante, mais il faut aller plus loin pour éviter toute rupture d'égalité. Chaque collectivité territoriale doit trouver les ressources et ressorts nécessaires pour répondre à ses problèmes spécifiques, notamment en milieu rural.
Si ce texte manque de souffle, il peut constituer un amuse-bouche pour le projet de loi 3D - car nous restons sur notre faim. Espérons que vous satisferez notre appétit, notre soif de déconcentration, de décentralisation et de différenciation. Nous sommes très attachés au suivi de ces travaux.
Plus que jamais, nous avons un ardent besoin de nous appuyer sur nos territoires et nos collectivités. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE et INDEP)
Question préalable
M. le président. - Motion n°3 rectifiée, présentée par Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi organique relatif à la simplification des expérimentations mises en oeuvre sur le fondement du quatrième alinéa de l'article 72 de la Constitution (n°83, 2020-2021).
Mme Éliane Assassi . - L'examen de ce projet de loi nous rappelle le grand rendez-vous manqué du quinquennat Macron : la réforme constitutionnelle, balayée, enterrée.
L'article 15 du projet de loi constitutionnelle du 9 mai 2018 prévoyait une double différenciation : des collectivités territoriales de même niveau pourraient avoir des compétences différentes ; elles pourraient déroger aux lois et règlements sans expérimentation préalable. L'article 6 du présent texte arrive peu ou prou au même résultat. Passer par la voie organique est un subterfuge ; la majorité sénatoriale, elle, a eu l'honnêteté de présenter un projet de loi constitutionnelle.
Sur la forme comme sur le fond, ce texte n'est pas compatible avec la Constitution. La généralisation d'une expérimentation sur une seule partie du territoire est un bouleversement.
La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen proclame que « la loi doit être la même pour tous, soit qu'elle protège ou soit qu'elle punisse ». L'égalité entre les collectivités locales a été inscrite en 2003 à l'article 72-2 de la Constitution. Les principes d'unicité et indivisibilité de la République forment un socle depuis la Révolution : les citoyens se retrouvent autour d'un commun, où qu'ils se trouvent en France. Le seul « territoire » que nous reconnaissons est celui de la République.
Différencier, c'est créer de la différence, ce n'est pas respecter les différences ni corriger les inégalités. Le Gouvernement manipule le sens des mots pour nous faire avaler des couleuvres.
« Différenciation égalitaire » ? Quel oxymore, digne du slogan de George Orwell : « La guerre c'est la paix, la liberté c'est l'esclavage, l'ignorance c'est la force ».
Notre droit prend en compte des différences avec pour objectif de tendre vers plus d'égalité. La jurisprudence du Conseil constitutionnel admet de régler différemment par la loi des situations dans le respect du principe d'égalité, mais précise que l'expérimentation ne doit pas remettre en cause l'exercice des libertés et droits constitutionnellement garantis. Avec la généralisation des mesures dérogatoires sur une partie du territoire seulement, le Conseil constitutionnel devra renforcer son contrôle. On est loin de la décision de 1991 qu'invoque le Gouvernement pour justifier la constitutionnalité de l'article 6.
La différenciation signe l'échec de l'ambition d'égalité et menace la République dont elle modifie la nature même. Le droit à la différenciation n'a rien de républicain, c'est même un retour à l'Ancien Régime, avec sa multiplicité de statuts avec des lois à géométrie variable selon les revendications locales.
L'objectif d'intelligibilité de la loi a lui aussi valeur constitutionnelle. En proposant que la loi ne s'applique pas partout de la même façon, cela complexifiera un droit déjà peu lisible et créerait une insécurité juridique.
Le taux d'abstention aux élections locales témoigne de l'échec de la décentralisation. La Collectivité européenne d'Alsace a perdu le nom de département tout en gardant le statut, mais avec des compétences propres. Le schéma territorial est émietté, le décideur introuvable. Le Gouvernement fait de la décentralisation pour les élus et éloigne les citoyens de la vie locale.
Ce projet nourrit des antagonismes néfastes pour notre République. On oppose le territoire de l'État aux territoires locaux, les collectivités entre elles. Les régionalismes se saisissent des arguments de la différenciation pour renforcer un sentiment identitaire, comme on l'observe en Corse depuis le statut spécifique de 1991.
Après la CEA, la Moselle veut devenir un eurodépartement. Le droit à la différenciation territoriale ne conduira qu'au creusement des inégalités entre territoires et entre citoyens. Les collectivités les plus dotées tireront leur épingle du jeu aux dépens des plus pauvres. L'opposition urbain-rural, riches-pauvres, métropole-périphérie sera renforcée.
Nous ne sommes plus dans l'opposition entre Jacobins et Girondins : le président Macron, européen au sens libéral, souhaite de grandes collectivités autonomes autour de métropoles puissantes dans la mondialisation.
Ce texte n'est qu'un petit pas, mais qui nous éloigne de ce que nous voulons pour notre pays. D'où cette motion. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)
Mme Catherine Belrhiti . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) S'opposer à cette motion ne signifie pas saluer l'ambition et l'ampleur du texte du Gouvernement, simple ajustement technique qui ne consacre pas de véritable droit à la différenciation. Nous sommes loin du grand soir ! Compte tenu des problématiques soulevées par le projet de réforme constitutionnelle du Gouvernement, ce n'est pas une mauvaise chose...
L'ambition affichée par le Gouvernement est impossible à concrétiser dans une simple loi organique. L'encadrement des expérimentations à l'article 72-4 impose des limites à la créativité de l'exécutif.
À l'époque où l'on veut renforcer l'échelon local et la proximité, la notion de différenciation résonne plus que jamais.
Ce texte est un premier pas, en attendant la loi « 3D ». Il est question, en plus de mesures procédurales et de contrôles parlementaires, d'assouplir l'issue de l'expérimentation en autorisant une pérennisation locale ou une extension partielle.
Mme Assassi y voit une brèche dans le principe d'égalité. Je considère cette inquiétude infondée. Il existe déjà des différences dans les règles applicables à certaines collectivités - la Polynésie, la métropole de Lyon, l'Alsace-Moselle ont leurs spécificités, sans que cela nous entraîne pour autant vers la fédéralisation !
Le passage du véhicule constitutionnel au véhicule organique s'est accompagné d'une diminution des ambitions. L'avis du Conseil d'État du 16 juillet dernier n'a soulevé aucune difficulté particulière. La commission des lois a consolidé l'article 6 pour garantir sa constitutionnalité : les expérimentations devront intervenir dans le respect du principe d'égalité.
Demeure la question politique : faut-il une différenciation territoriale ? La commission des lois et le groupe Les Républicains y sont favorables, même si elle devra être soigneusement calibrée.
Ce projet de loi est un petit pas dans la bonne direction. Les travaux du Sénat pour le plein exercice des libertés locales ont posé des jalons. Il faudra trouver un équilibre, notamment sur l'outre-mer, objet du dernier rapport de Michel Magras.
Le groupe Les Républicains votera contre la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Françoise Gatel, rapporteur. - D'un strict point de vue technique, ce projet de loi s'inscrit dans le cadre constitutionnel actuel, qui autorise déjà des dispositions spécifiques pour les communes de montagne ou littorales ou la cohabitation d'intercommunalités de catégorie différente, exerçant des compétences différentes.
En outre, les simplifications apportées sont pertinentes. Avis défavorable.
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - J'aurais moi aussi aimé que notre projet de révision constitutionnelle aille à son terme : nous aurions pu aller encore plus loin dans la simplification et la différenciation.
Fallait-il pour autant rester les bras ballants ? Non. Ce projet de loi n'est ni un subterfuge, ni une manipulation, mais donne un peu de souffle pour avancer à droit constitutionnel constant.
S'agissant d'un projet de loi organique, il sera étudié par le Conseil constitutionnel, ce qui offre une garantie.
En 2017 et 2019, le Conseil constitutionnel a rappelé que la différenciation était possible. Dans sa décision du 6 mai 1991, il a considéré que les règles régissant l'exercice des compétences locales pouvaient être différentes selon les territoires, sous réserve qu'elles soient justifiées par des différences de situation entre ces territoires.
C'est pourquoi le Conseil d'État a accepté le maintien des expérimentations dans les collectivités expérimentatrices et leur extension à d'autres.
Vous redoutez que ce texte mette à mal l'égalité entre les territoires et l'unicité de la République, mais il faut distinguer égalité formelle et égalité réelle. L'égalité formelle de traitement entre les territoires n'a pas résorbé la fracture territoriale. Au contraire, les assignations à résidence, les inégalités de destin menacent notre modèle social.
Le Président de la République l'a dit dès la première Conférence des territoires, en juillet 2017 : « l'égalité qui crée de l'uniformité n'assure plus l'égalité des chances ». Le principe d'équité doit donc contrebalancer le principe d'égalité devant la loi. On ne va pas traiter de la même manière un quartier politique de la ville et un quartier d'affaires, un territoire urbain et un territoire rural. Nos politiques publiques sont déjà différenciées, continuons. Je veillerai à garantir l'équilibre, l'équité et l'unité.
Ce projet de loi organique est une chance pour les territoires qui souffrent de la fracture territoriale. Avis défavorable.
La motion n°3 rectifiée est mise aux voix par scrutin public de droit.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°13 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 278 |
Pour l'adoption | 15 |
Contre | 263 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Discussion générale (Suite)
M. Alain Marc . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Les expérimentations locales constituent un outil essentiel pour adapter notre droit aux réalités locales.
Ce projet de loi simplifie le recours et prévoit de nouvelles issues aux expérimentations.
Depuis 2003, l'article 72 de la Constitution permet de déroger aux dispositions législatives ou réglementaires régissant les collectivités territoriales pour mener des expérimentations. On peut toutefois déplorer que celles-ci n'aient pas prospéré : seules quatre ont été tentées, sur le RSA, généralisé avant toute évaluation, et la tarification sociale de l'eau.
Pour autant, le faible nombre de ces expérimentations ne doit pas nous faire penser que les collectivités territoriales seraient réticentes. Elles en ont menées beaucoup plus dans le cadre de l'article 37-1 de la Constitution : 28, selon le rapport de la mission flash des députés Jean-René Cazeneuve et Arnaud Viala.
Mais le cadre actuel est trop contraignant, comme l'a montré le Conseil d'État en octobre dernier : la procédure est trop lourde et l'issue trop binaire, avec un choix limité à la généralisation et à l'abandon.
Alors que le Gouvernement s'est concentré sur l'évaluation finale, la commission des lois, conformément aux recommandations du Conseil d'État, a consacré trois moments d'évaluation : l'évaluation finale, une évaluation intermédiaire et un rapport annuel.
Je me réjouis que la commission des lois ait précisé que la pérennisation sur une partie du territoire se ferait dans le respect du principe d'égalité et qu'elle ait maintenu l'abandon parmi les issues possibles.
Ce projet de loi est une simplification timide. Espérons qu'il ne soit qu'une mise en bouche avant la loi 3D. Notre groupe votera le texte modifié par la commission des lois. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; Mmes Dominique Vérien et Frédérique Puissat applaudissent également.)
M. Guy Benarroche . - Le droit à l'expérimentation s'exerce depuis près de vingt ans, avec un bilan mitigé. Ce projet de loi organique s'appuie sur certaines recommandations du Conseil d'État, notamment concernant la nécessité d'alléger les contraintes procédurales, effectivement trop lourdes.
La procédure actuelle comporte sept étapes : les élus attendent plus de souplesse !
C'est Claude Bernard, dans son Introduction à la médecine expérimentale, qui a posé en 1865 les fondements de l'expérimentation, affirmant que la science progresse par essais et erreurs, par conjonctures et réfutations.
Le concept est donc ancien, mais les pratiques sont récentes. Assouplir, c'est bien, mais cela ne suffira pas. Il faudra sécuriser en amont la méthodologie et aussi renforcer les moyens des collectivités territoriales pour une meilleure capitalisation des expériences menées.
Je regrette que le Gouvernement ait renoncé à la transmission, recommandée par le Conseil d'État, d'un rapport annuel au Parlement. La commission des lois y a heureusement remédié.
Beaucoup d'expérimentations souffrent encore de carences méthodologiques. Certaines actions sont en outre présentées à tort comme des expérimentations ; elles sont parfois plutôt une manoeuvre pour faire accepter une décision déjà prise... Soyons collectivement responsables et rigoureux pour ne pas dévoyer l'outil.
Le renforcement de l'ingénierie, une plus forte association des citoyens et le renforcement des évaluations sont également indispensables.
Un recours accru aux expérimentations est aussi un « symptôme de la rigidité de notre cadre normatif », regrettait le Conseil d'État. Il faut donc aller plus loin en matière de décentralisation.
M. Alain Richard . - La réforme constitutionnelle de 2003 a consolidé la décentralisation. Souvenons-nous cependant que l'article 72-4 C est là pour expérimenter et non pas pour différencier, les collectivités qui expérimentent étant vues comme un groupe témoin bien plus que comme engageant une différenciation. De nombreuses précautions ont donc été prévues afin que les principes essentiels d'exercice des libertés soient respectés - précisons qu'il ne s'agit pas d'un cadre formel mais bien d'un respect réel. Il s'agit de respecter un principe fondamental de la République une et indivisible, comme l'a dit la présidente Assassi. Nous nous rassemblons sur ces principes.
Ce projet de loi simplifie les procédures et rationalise l'évaluation. Son apport principal est l'ajout d'une troisième suite possible à l'expérimentation, aujourd'hui limitée à l'abandon ou à la généralisation : l'application à tout ou partie des collectivités ayant expérimenté, ou à de nouvelles collectivités.
Mais il y faudra un critère de pertinence. Cela ne pourra pas se faire, si j'ose dire, à la tête du client. S'il y a une loi Littoral, c'est que le littoral est une condition géographique particulière qui justifie des règles particulières. Cela n'est inscrit nulle part mais doit être clairement entendu. La différenciation devra avoir pour base des critères objectifs, et non subjectifs.
Une quatrième issue possible est la reprise par le législateur du champ de compétences pour clarifier, voire de différencier dans le texte de portée nationale.
Certains voudraient faire plus grand, plus fort, mais notre cadre actuel ne nous permettra pas d'aller trop loin.
Ce schéma donnera une dynamique supplémentaire là où les collectivités territoriales le souhaiteront. Dans de nombreux domaines, il existe déjà une marge de diversification des politiques locales. Soyons clairs, la différenciation aura trait aux modalités d'exercice du service public, bien plus qu'à ses finalités. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI ; M. Jean-Claude Requier applaudit également.)
Mme Guylène Pantel . - Les scientifiques connaissent les bienfaits de l'expérience, comme l'avait bien montré Claude Bernard : « Le savant corrige incessamment ses idées scientifiques, ses théories, les rectifie pour les mettre en harmonie avec un nombre de faits de plus en plus grands, et pour approcher ainsi de plus en plus de la vérité. » Cela entre en résonance avec ce projet de loi. Mais la vérité peine à se montrer en cette matière...
La possibilité d'expérimenter aurait dû permettre plus de pragmatisme dans notre collectivité territoriale. C'était un dispositif prometteur mais il connut un succès limité.
Pourquoi un tel échec ? Manque d'intérêt des collectivités territoriales ? Je ne le pense pas. Les élus de mon département de la Lozère auraient bien besoin de telles expérimentations, avec leurs spécificités du territoire, de la population...
Quoi qu'il en soit, cet échec est regrettable. Faut-il administrer un territoire hyperurbanisé comme un territoire hyperrural ? Notre regretté collègue Alain Bertrand avait mis en évidence ce concept d'hyperruralité dans son rapport de 2014.
Chaque région, chaque commune a ses propres problématiques, qui appellent des solutions spécifiques. Le RDSE est favorable à tout mécanisme qui permet à l'action publique de mieux s'appliquer à chaque territoire. Toutefois, si ce texte sert de préambule à la loi 3D, nous avons des réserves : l'unité républicaine passe aussi par une certaine égalité. Ne délaissons pas les sous-préfectures qui accompagnent les collectivités territoriales et assurent un accès aux services publics.
La Nation française n'est pas un agrégat de collectivités locales. Il ne faudrait pas que les collectivités territoriales les plus démunies soient abandonnées par l'État. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE ; M. Alain Richard applaudit également.)
Mme Cécile Cukierman . - Écartons un faux débat : la position de notre groupe ne s'arrête pas au titre de ce projet de loi. S'il ne s'était agi que de simplifier les expérimentations existantes, nous n'aurions pas déposé de motion. Mais ce texte va plus loin.
Avant l'intervention de la commission des lois, le texte faisait bien plus que simplifier en matière d'évaluation et de contrôle du Parlement. Or réduire l'évaluation n'est pas gage d'efficacité. L'évaluation est indispensable à la sécurisation de la prise de décision.
En outre, l'article 6 vise à faire durer sur une partie seulement du territoire de la République les expérimentations menées. Le faible nombre des expérimentations est-il lié à la trop grande complexité ? Je ne le crois pas, mais nous pouvons néanmoins simplifier.
Oui, la différence est consubstantielle de toute société. Mais l'égalité, comme tout principe républicain, ne peut se qualifier : il n'y a pas d'égalité formelle ou réelle...
M. Alain Richard. - C'est pourtant ce que dit le Parti communiste depuis un siècle !
Mme Cécile Cukierman. - Seuls les imbéciles ne changent pas d'avis ! Garder pendant un siècle des convictions est pourtant une preuve de constance. L'égalité, comme la laïcité, est le grand combat de la République. Mais il ne faut pas faire toujours pareil partout : il faut de la décentralisation au profit des quartiers populaires comme des communes rurales. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)
Nous continuerons à défendre la clause de compétence générale des collectivités territoriales. La loi doit être la même pour tous et partout en République. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)
M. Éric Kerrouche . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) C'est un texte de réforme sans doute trop simple. On pourrait dire plaisamment que ce texte est d'actualité : cela fait neuf mois que le Gouvernement est en pleine expérimentation ! (Sourires)
La réforme constitutionnelle est en apesanteur : la loi Engagement et proximité fut un petit texte correctif sur le statut de l'élu ; le texte 3D - désormais 4D, en attendant mieux ? - est annoncé mais toujours différé. Ce projet de loi organique est donc le premier vrai texte de décentralisation.
L'article 72-4 de la Constitution permet aux collectivités territoriales de déroger aux dispositions légales et réglementaires pour un objet et une durée limitée.
L'expérimentation, c'est de l'adaptation. Comme l'a dit Géraldine Chavrier, c'est une technique d'élaboration des normes fondées sur l'expérience qui permet de vérifier si celles-ci sont pertinentes et qu'elles ne sont pas dangereuses. Elle se distingue de la différenciation.
S'il y a eu peu d'utilisations, c'est peut-être par manque d'appétence des collectivités, mais pas forcément, puisqu'elles ont beaucoup utilisé le régime de l'article 37.
Le groupe socialiste, écologiste et républicain n'est pas hostile à la démarche expérimentale par principe. De nombreux textes l'ont permise sur la fonction publique, les transferts de compétences entre l'État et les collectivités, ou les transports. La loi Démocratie de proximité de 2002 a confié aux régions des compétences dans différents domaines : ports, aérodromes, patrimoine culturel...
Ce texte répond-il à son objet ? Il est simple : modifier l'expérimentation sans passer par une réforme constitutionnelle. Or il se cantonne à une logique procédurale, sans grands bouleversements.
Il nous est proposé de simplifier les sept étapes actuelles de la prise de décision, puisqu'une simple délibération motivée suffirait.
Le Gouvernement permet aussi de nouvelles issues à l'expérimentation en s'appuyant sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel. C'est une bonne chose : l'identité ne doit pas conduire à l'uniformité.
Si ce texte n'est pas mauvais, rend-il les expérimentations plus incitatives ? Rien n'est moins certain. Sans modification constitutionnelle, ce texte n'a pas la portée qu'il prétend avoir dans son exposé des motifs. Il ne peut s'appliquer que dans le respect du principe d'égalité.
La commission des lois a rétabli à juste titre la possibilité d'un abandon de l'expérimentation dans le projet de loi et a renforcé l'évaluation. Ce texte fait patienter les territoires. Que faire alors ? Ce n'est pas à moi de vous le dire, madame la ministre, car vous ne m'écouteriez pas... (Sourires) Vous avez parlé des appels à projet. Pourquoi ne pas avoir assorti cette loi organique d'un autre véhicule juridique sur l'ingénierie, dont on sait que son absence est discriminante, ou pour renforcer les missions de l'ANCT, afin qu'elle puisse explicitement inciter à l'expérimentation ? Pourquoi ne pas rendre ce texte opérationnel en y ajoutant des moyens ?
Ce texte a le mérite d'envoyer un premier message : il n'y aura pas de réforme constitutionnelle sur l'expérimentation.
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - À qui la faute ?
M. Éric Kerrouche. - À vous, et à votre proposition. Ce texte peine à porter un geste décentralisateur ambitieux. La proposition socialiste d'expérimenter le revenu de base n'a pas été retenue alors que vous le mettez en valeur ; les impôts de production sont toujours supprimés ; le plan de relance est toujours centralisateur, autour du préfet.
La bande-annonce est décevante ; nous espérons que le film 3D relèvera plus du cinéma réaliste que de la comédie.
Mais le groupe socialiste, écologiste et républicain votera ce texte, dubitatif, car il ne mérite ni excès d'honneur ni excès d'indignité.
Mme Agnès Canayer . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Ce projet de loi organique poursuit deux objectifs attendus : simplifier et différencier l'application du droit.
L'expérimentation, créée par la réforme constitutionnelle de 2003, permet de déroger aux dispositions législatives ou réglementaires régissant l'exercice des compétences des collectivités territoriales. Cette possibilité a été rarement utilisée : RSA, tarification sociale de l'eau, élargissement de l'apprentissage jusqu'à 30 ans...
Au départ, elle était vue comme un renfort de la décentralisation. Aujourd'hui, elle est souhaitée pour donner par la différenciation plus d'agilité aux territoires. La volonté de simplifier pour plus d'expérimentation est louable, mais adopter ce texte avant la loi 3D est peu logique ; c'est mettre la charrue avant les boeufs, comme on dit en pays cauchois !
Pour donner plus de sens à l'expérimentation locale, il ne faut pas seulement modifier une loi organique mais la Constitution. C'est ce que le Sénat avait proposé.
Je salue l'excellent travail des rapporteurs portant les propositions du Sénat pour une nouvelle décentralisation.
Le faible nombre d'expérimentations au titre de l'article 72-4 de la Constitution montre que ce dispositif ne fonctionne pas, à la différence de celui de l'article 37-1, qui donne lieu par exemple à l'expérimentation des territoires zéro chômeur de longue durée.
Cela est d'abord dû à la lourdeur des procédures. Les sept étapes préalables à l'expérimentation ont refermé ce droit ouvert. Simplifier est essentiel ; le recours à une simple délibération de la collectivité territoriale va dans le bon sens.
Mais le succès dépendra de la capacité de l'État décentralisé à accompagner les projets et les élus dans les décisions. Actuellement, la compétence est surtout à Paris ; alors que seule la proximité doit permettre la réussite de l'action publique. Souvent, les plus petites collectivités territoriales ne disposent pas de l'ingénierie, des financements suffisants.
La suite donnée aux expérimentations - généralisation ou abandon - est brutale et n'incite pas les collectivités territoriales à risquer une expérimentation. En maintenant la prolongation de l'expérimentation, ce projet de loi organique la rend plus attrayante.
Cette loi organique doit être le premier pas d'une politique de différenciation territoriale, pour mieux prendre en compte les réalités locales, comme l'a fait la loi d'août 2019 sur la collectivité territoriale d'Alsace.
Il faut aussi évaluer si les objectifs ont été atteints. Il est opportun de renforcer l'évaluation tout au long de l'expérimentation. L'information du Parlement est aussi indispensable.
Le groupe Les Républicains votera ce projet de loi organique qui permet plus d'agilité pour la mise en oeuvre des politiques publiques. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Dominique Vérien . - Ce projet de loi est bienvenu, dans l'attente du projet de loi 3D. Expérimentons d'abord, ensuite nous pourrons différencier.
L'évaluation et les moyens mis à disposition des collectivités territoriales doivent être renforcés.
Pour une expérimentation réussie, il faut une évaluation détaillée. C'est là-dessus que portent les divergences entre le texte initial et celui de la commission des lois. Un rapport annuel était prévu depuis 2003. Le Gouvernement ne l'a jamais remis. Vous avez donc préféré le supprimer.
Pourquoi alors souhaitez-vous développer ces expérimentations ? Certes, quatre expérimentations en dix-sept ans, dont deux interrompues avant la fin, cela ne justifie pas un rapport annuel. Mais cela vaudrait le coup de faire la liste de ce qui est autorisé et ce qui ne l'est pas. S'il est actuellement difficile d'identifier toutes les expérimentations refusées, cette difficulté devrait disparaître avec un guichet unique.
Le rapport final diffusera la culture de l'expérimentation : il faudra justifier du respect du principe d'égalité et exposer les raisons objectives pour lesquelles la loi peut différencier les modes d'exercice des compétences entre collectivités territoriales.
Grâce au rapport intermédiaire, le Parlement pourra savoir si les expérimentations se passent bien et, éventuellement, les réorienter. Cela fait beaucoup de rapports, certes, pour un Sénat qui y est habituellement hostile. Mais, madame la ministre, vous êtes favorable au rapport final et au rapport intermédiaire. Accepter le rapport annuel ne devrait pas vous demander beaucoup d'efforts. (Sourires)
Pour l'expérimentation, on cite plutôt les départements ou les régions, peu les communes ou communautés de communes. Certes, il faut une taille suffisante pour disposer de l'ingénierie financière, juridique et technique pour pouvoir expérimenter. Mais sans aller jusqu'aux communes, les communautés de communes ou départements ruraux auront-ils la possibilité d'expérimenter ? Ce n'est pas parce qu'ils n'ont pas d'argent qu'ils n'ont pas d'idées !
Je vous ai entendu dire que le guichet unique pourrait accompagner les collectivités territoriales, de même que le département et l'ANCT. C'était un vrai besoin.
Les sénateurs UC sont favorables à ce projet de loi organique mais suivront les recommandations pertinentes des rapporteurs et notamment de notre nouvelle présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
La discussion générale est close.
Discussion des articles
ARTICLE PREMIER
M. le président. - Amendement n°7, présenté par M. Benarroche, Mme Benbassa, MM. Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian.
Au début, insérer un paragraphe ainsi rédigé :
.... - Au premier alinéa de l'article L. O. 1113-1 du code général des collectivités territoriales, après le mot : « expérimentation » sont insérés les mots : « et le cadre méthodologique ».
M. Guy Benarroche. - Cet amendement prévoit que la délibération, prise par l'assemblée pour s'engager dans une expérimentation, comportera le cadre méthodologique qui sera mis en oeuvre. Comme l'a dit le Conseil d'État, l'expérimentation dépend de la qualité de sa préparation.
La commission des lois a aussi amélioré le texte mais il faut renforcer le cadre méthodologique.
Incitons le maître d'ouvrage à s'interroger sur les objectifs. Aidons les débats de l'assemblée délibérante. La référence au cadre méthodologique dans la délibération existe déjà pour d'autres procédures, comme les modalités d'élaboration d'un plan local d'urbanisme intercommunal (PLUI).
Mme Françoise Gatel, rapporteur. - Votre amendement est satisfait dans la loi. La délibération de la collectivité territoriale sera motivée. Inscrire dans la loi un cadre méthodologique précis pour une expérimentation me semble trop strict. N'oublions pas par ailleurs qu'il y aura un contrôle de légalité. Retrait ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Même avis avec les mêmes arguments.
M. Guy Benarroche. - Inscrire un cadre méthodologique dans la loi est pourtant indispensable à la réussite des expérimentations.
M. Alain Marc. - Pourquoi corseter encore plus le cadre méthodologique ? Vous donnez l'exemple des PLUI : parlons-en ! Je peux vous dire que ce sujet déchaine les passions dans certains territoires. Nous nous sommes appuyés sur les Schémas de cohérence territoriale (SCOT), en respectant la loi Montagne et parfois aussi la loi Littoral lorsqu'il y a un grand lac, et n'avons pas abîmé la nature française. Pendant ce temps, l'artificialisation des sols couvrait l'équivalent d'un département en dix ans, parce que d'autres faisaient n'importe quoi.
Nous, départements ruraux, sommes les otages de cette politique. À l'heure où les Français reviennent en milieu rural, en ces temps difficiles, j'espère que la loi 3D permettra de desserrer la vis. L'exemple des PLUI n'était vraiment pas le bon.
L'amendement n°7 n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°1 rectifié ter, présenté par M. Roux, Mme M. Carrère, M. Guérini, Mme Guillotin, MM. Gold et Requier, Mme Pantel, M. Guiol, Mme N. Delattre et MM. Fialaire, Bilhac et Cabanel.
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
.... - Le même article L.O. 1113-1 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« La loi détermine les conditions dans lesquelles les collectivités territoriales entrent dans le champ d'application de l'expérimentation qu'elle définit, afin qu'elles puissent y prendre part de manière effective. »
Mme Maryse Carrère. - Si simplifier l'expérimentation locale apparaît nécessaire, veillons à ce que chaque collectivité entrant dans le champ d'application de l'expérimentation puisse effectivement y prendre part, afin qu'il n'y ait pas d'écart entre le texte de la loi et son application ; et que l'expérimentation ne soit pas réservée à quelques-uns.
Assurons-nous que toutes les collectivités territoriales, y compris celles ayant le moins de moyens, puissent s'en saisir. Le législateur doit y veiller avec la mise en place de moyens humains ou d'engagement en matière d'ingénierie ou, plus modestement, des moyens d'information.
Mme Françoise Gatel, rapporteur. - Chaque collectivité territoriale d'une même catégorie peut prétendre à l'expérimentation. La loi fixe ce principe.
La priorité pour toute collectivité territoriale souhaitant réaliser une expérimentation - égalité réelle pour les capacités d'ingénierie - ne peut être résolue par un simple amendement.
Il faut une égalité d'accès à l'ingénierie. Cela peut être le rôle de l'ANCT par exemple. Même si je comprends votre ambition, retrait ou avis défavorable.
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - La possibilité d'accès à l'ingénierie est importante, mais tel que rédigé, votre amendement est peu utile. Il est satisfait par l'article LO. 1113-1 dans sa rédaction issue de l'article premier du projet de loi organique. Toute collectivité territoriale remplissant le critère peut participer. L'ANCT peut vous aider, même si je ne veux pas survendre cette agence qui ne doit pas entrer en concurrence avec l'ingénierie déjà présente sur le territoire - vous me l'avez suffisamment demandé lorsque nous l'avons créée.
L'amendement n°1 rectifié est retiré.
L'article premier est adopté.
ARTICLE 2
M. le président. - Amendement n°8, présenté par M. Benarroche, Mme Benbassa, MM. Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian.
Après l'alinéa 2
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Pour les collectivités de moins de 50 000 habitants, les modalités d'accompagnement des services de l'État dans l'élaboration, la conduite et l'évaluation des expérimentations sont précisées dans un contrat-cadre, déjà existant ou à créer, entre l'État et la collectivité.
M. Guy Benarroche. - Cet amendement accompagne les collectivités de petite et moyenne tailles dans la conduite de leurs expérimentations.
Les petites collectivités territoriales ont besoin d'un appui en ingénierie faute de quoi elles renoncent à l'expérimentation. Le seuil de 50 000 habitants auquel il est fait référence est déjà abondamment utilisé pour les contrats territoriaux. Si ce n'est pas déjà le cas, un contrat-cadre pourrait être prévu entre l'État les collectivités territoriales pour préciser les modalités d'accompagnement. Il pourrait être fait appel à l'ANCT puisqu'elle apporte de l'ingénierie technique et financière. Ne laissons pas les collectivités territoriales sur le bord de la route alors que l'expérimentation pourrait tant leur apporter !
Mme Françoise Gatel, rapporteur. - Certes, toutes les collectivités doivent pouvoir expérimenter. Il faudra sans doute débattre à nouveau de l'ANCT. Ce projet de loi organique a pour objet les libertés locales. Je suis donc gênée d'imposer à certaines collectivités territoriales un accord-cadre avec l'État.
En outre, nous avons une phobie des seuils depuis la loi NOTRe. Ils sont une mauvaise maladie française, car ils sont éloignés du réel. Enfin, je ne pense pas qu'une telle disposition serait opérante dans une loi organique. Continuons plutôt à travailler avec Mme la ministre sur la mise en place de l'ANCT. Retrait ou avis défavorable.
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Même avis. Votre amendement n'est en outre pas de rang organique. On parle toujours d'ingénierie comme d'un mot généraliste, mais il faut le décliner. C'est ce que nous faisons à l'ANCT.
Les services de la préfecture peuvent fournir une aide juridique tout comme les services de la Direction générale des collectivités locales. Les directions départementales des finances publiques peuvent également aider les collectivités en matière d'ingénierie financière.
L'amendement n°8 n'est pas adopté.
L'article 2 est adopté, de même que les articles 3 et 4.
ARTICLE 5
M. le président. - Amendement n°5, présenté par Mme Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Après l'alinéa 1
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
.... Le premier alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée : « L'avis des associations d'élus y est également présenté. » ;
Mme Cécile Cukierman. - Je le retire.
L'amendement n°5 est retiré.
M. le président. - Amendement n°10, présenté par le Gouvernement.
Alinéas 4 à 6
Remplacer ces alinéas par un alinéa ainsi rédigé :
2° Le second alinéa est supprimé.
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Cet amendement supprime le rapport annuel que le Gouvernement doit transmettre au Parlement conformément au code général des collectivités territoriales (CGCT).
Je salue la création d'un rapport intermédiaire par la commission des lois : les collectivités désireuses d'entrer en phase d'expérimentation pourront ainsi avoir un premier retour d'expérience.
Dans ce contexte, le rapport annuel apparaît superfétatoire. L'évaluation est désormais garantie à différentes étapes de l'expérimentation. Il ne semble pas utile de rédiger un rapport spécifique quand il y aura déjà un rapport d'évaluation pour chaque expérimentation.
Imaginons une expérimentation qui dure huit ans : il y aurait un rapport intermédiaire, un rapport final et huit rapports annuels. Cela fait beaucoup, même si on aime les rapports !
M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - La définition de l'expérimentation varie, non au gré des humeurs, mais au gré de chacun, car nous en avons tous une vision différente. Il faut en définir plus précisément les contours, pour éviter les écueils évoqués par Mme Assassi tout à l'heure.
Depuis 2003, le Parlement n'a pas eu à examiner un rapport sur une quelconque expérimentation. Cela n'a donc pas été un travail harassant...
Consacrer un rapport annuel sur un sujet ô combien important au regard notamment du futur projet de loi 3D n'est pas excessif. Nous devons pouvoir évaluer.
Nous ne sommes pas férus de rapports mais ces rapports annuels seront des rendez-vous sur les expérimentations. Avis défavorable.
M. Alain Richard. - La commission des lois doit revoir sa position. Les lois organiques s'imposent aux lois ordinaires. Or chaque expérimentation fera l'objet d'une loi qui pourra éventuellement prévoir un rapport annuel.
Le cadre minimal, qui prévoit un rapport à mi-parcours, est suffisant. Il faut disposer de suffisamment de données pour pouvoir évaluer. De surcroît, inscrire cette obligation dans la loi organique est trop rigide.
M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - Le rapport annuel porte sur l'ensemble des expérimentations mais pas sur chacune d'entre elles.
L'amendement n°10 n'est pas adopté.
L'article 5 est adopté.
ARTICLE 6
M. le président. - Amendement n°4, présenté par Mme Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Supprimer cet article.
Mme Cécile Cukierman. - Sans surprise, nous voulons supprimer cet article.
L'expérimentation a pour but de tester des dispositifs pour améliorer la loi.
Madame la ministre, oui, l'ingénierie est diverse. C'est d'abord celle des communes, de leurs groupements mais aussi des départements et régions. Cette ingénierie est aussi celle des services de l'État dans les départements, même si certaines sous-préfectures s'apparentent à des manoirs hantés, en manque d'êtres humains. J'espère que la vie reviendra bientôt dans les sous-préfectures.
Chacun a sans doute un avis sur la réorganisation de la DGFIP...
On a besoin de proximité et de confiance. Or, quand le personnel change ou est mutualisé, le contact avec les élus est fragilisé. La liberté locale et la décentralisation seront renforcées si l'État reprend place localement.
M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - Mme Cuckierman a un peu dévié du sujet initial de l'amendement (Sourires).
L'excès d'expérimentation peut susciter l'inquiétude s'il débouchait sur des différenciations dommageables.
Mais vous rejetez la pérennisation d'une expérimentation sur une partie seulement du territoire. Or cela existe déjà dans la loi Gayssot relative à la solidarité et au renouvellement urbain (SRU). Avis défavorable.
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Même avis. Nous sommes au coeur de l'innovation. Je rappelle que nous légiférons à cadre constitutionnel constant qui garantit l'égalité des territoires. Tout ceci est très encadré par le législateur.
Tout à l'heure, le groupe CRCE regrettait une révision constitutionnelle qui pourtant nous aurait permis d'aller plus loin. (Mme Éliane Assassi s'exclame.)
Avec ce projet de loi, nous avons le maximum dans le droit actuel tout en préservant le principe d'égalité.
Mme Cécile Cukierman. - Je laisse l'adoration des grands hommes et femmes à d'autres... même s'ils étaient communistes ! La loi SRU fut une grande loi. En matière de logement, il ne faut pas renvoyer chacun à sa liberté locale.
L'encadrement de l'expérimentation par la loi évite la multiplication des collectivités territoriales à statut particulier. Par précaution, supprimons cet article 6 qui encourage la concurrence entre collectivités territoriales.
L'amendement n°4 n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°6, présenté par Mme Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Alinéa 2
Remplacer cet alinéa par deux alinéas ainsi rédigés :
1° Le premier alinéa est ainsi rédigé :
« Avant l'expiration de la durée fixée pour l'expérimentation et après transmission par le Gouvernement au Parlement de son évaluation détaillée mentionnée au premier alinéa de l'article L.O. 1113-5, la loi détermine selon le cas : »
Mme Cécile Cukierman. - J'ai cru comprendre qu'il était superfétatoire. Je le retire.
L'amendement n°6 est retiré.
L'article 6 est adopté.
L'article 7 est adopté.
ARTICLE ADDITIONNEL
M. le président. - Amendement n°2 rectifié ter, présenté par M. Roux, Mmes M. Carrère et N. Delattre, MM. Fialaire, Gold et Guérini, Mme Guillotin, M. Guiol, Mme Pantel et MM. Requier, Bilhac et Cabanel.
Après l'article 7
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l'article L. O. 1113-7 du code général des collectivités territoriales, il est inséré un article L. O. 1113-... ainsi rédigé :
« Art. L. O. 1113-.... - L'Agence nationale de la cohésion des territoires informe et oriente, le cas échéant, toute collectivité territoriale entrant dans le champ d'application défini par la loi mentionnée à l'article L. O. 1113-1.
« Durant la durée de l'expérimentation, toute collectivité y participant peut solliciter le concours de l'agence à des fins d'ingénierie juridique, financière et technique.
« Avant l'expiration de la durée fixée pour l'expérimentation, l'agence informe toute collectivité n'ayant pas participé à l'expérimentation et étant susceptible, à l'issue de l'expérimentation, de se voir étendre les mesures prises à titre expérimental. »
Mme Guylène Pantel. - Vous connaissez l'attachement du groupe RDSE à l'ANCT. Nous regrettons que ce projet de loi organique l'ait laissée de côté. Or elle a un rôle à jouer pour accompagner les collectivités territoriales. L'encouragement à la différenciation doit être constamment mené avec le souci de l'accompagnement des collectivités territoriales et des élus locaux.
M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - Je doute de la pertinence de l'inscription de ces dispositions dans une loi organique.
Le groupe RDSE a prévu un débat sur les missions de l'ANCT. Ce sera important, car son budget est limité. L'ANCT peut apporter une réelle plus-value mais il ne faudrait pas qu'elle empiète sur les capacités d'ingénierie des collectivités territoriales. Il y a urgence à bien définir le rôle de l'ANCT. Avis défavorable.
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Même avis. L'objectif du Gouvernement est de créer un guichet national spécialisé sur ces questions en s'appuyant sur les préfets et la direction générale des collectivités locales (DGCL).
L'ANCT accompagne un certain nombre de politiques, mais il faut laisser le champ ouvert. Cet amendement n'est en outre pas de rang organique.
L'amendement n°2 rectifié ter est retiré.
Le projet de loi organique est mis aux voix par scrutin public ordinaire de droit.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°14 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 342 |
Pour l'adoption | 327 |
Contre | 15 |
Le Sénat a adopté.
Prochaine séance, demain, mercredi 4 novembre 2020, à 15 heures.
La séance est levée à 17 heures.
Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,
Rosalie Delpech
Chef de publication