SÉANCE
du mardi 13 octobre 2020
4e séance de la session ordinaire 2020-2021
présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires : Mme Martine Filleul, Mme Jacqueline Eustache-Brinio.
La séance est ouverte à 14 h 35.
Le procès-verbal de la précédente séance est adopté.
Hommage solennel à Christian Poncelet, ancien Président du Sénat
M. Gérard Larcher, président du Sénat . - (M. le président, Mmes les sénatrices et MM. les sénateurs se lèvent ainsi que le ministre chargé des relations avec le Parlement.) C'est avec tristesse et émotion que nous avons appris la disparition, le 11 septembre dernier, de Christian Poncelet, qui fut sénateur des Vosges de 1977 à 2014 et Président du Sénat pendant une décennie, de 1998 à 2008.
J'étais présent à ses obsèques, le 18 septembre en l'Abbatiale Saint-Pierre de Remiremont, et lui ai rendu, au nom du Sénat, un premier hommage lors de cette émouvante cérémonie d'adieu à laquelle assistaient de très nombreux habitants de Remiremont et des Vosges et de nombreuses personnalités politiques.
J'y ai salué la mémoire d'un homme de devoir qui portait le gaullisme au plus profond de son engagement ! Un homme dont le parcours continuera de marquer le Sénat, le département des Vosges et la commune de Remiremont.
Quel destin que celui de Christian Poncelet ! Un destin républicain car la République ouvre tous les champs du possible à ceux qui, par la puissance de leur travail et la force de leur caractère, se mettent au service de leurs concitoyens.
Son père, qu'il perdit très tôt, était mécanicien agricole ; sa mère éleva seule cinq garçons auxquels elle transmit le goût du travail et de l'effort. Son grand-père, ancien combattant de la Grande Guerre lui inculqua le patriotisme, cet amour de la France qui ne le quitta plus.
Sa vie fut synonyme de volonté et de courage. Christian Poncelet s'inscrivit à des cours du soir pour acquérir sa qualification de contrôleur aux PTT. Il devint agent de la fonction publique et fut promu technicien dans un central téléphonique à Paris.
Animé par de solides convictions chrétiennes, Christian Poncelet ressentit très tôt l'envie de mettre son esprit, ses forces et son coeur au service des autres. Il s'engagea au sein de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC). Son combat syndical lui ouvrit les portes de la politique.
Sa rencontre avec Pierre Mendès France joua un rôle déterminant dans son initiation en politique et fut la personnalité qui le marqua le plus après le Général de Gaulle.
Dès 1958, Christian Poncelet milita au sein de l'Union démocratique du travail (UDT) aux côtés de René Capitant, Yves Guéna, Léo Hamon. Leur ambition était alors d'associer la justice et l'efficacité, l'ordre républicain et le mouvement social.
Christian Poncelet s'engagea en faveur de l'élection du Président de la République au suffrage universel.
Il se présenta à la députation en 1962, laboura le terrain sans relâche et sillonna sa circonscription des Vosges, sans cesse à l'écoute des maires. Âgé de 34 ans, il devint alors l'un des 233 élus de l'Union pour la nouvelle République (UNR) de l'Assemblée nationale. Ce fut le début d'une longue carrière politique au cours de laquelle il ne perdit jamais une seule élection, ainsi qu'il se plaisait à le rappeler.
Les élections cantonales de 1963, puis municipales de 1965 confirmèrent son ancrage territorial dans ce département qu'il aimait tant. Ancrage qu'il devait à son épouse, Yvette, originaire de Saulxures-sur-Moselotte.
À partir de 1972, Christian Poncelet enchaîna les secrétariats d'État : au sein du Gouvernement de Pierre Messmer, il fut secrétaire d'État aux Affaires sociales, puis au Travail et à l'Emploi - il défendit alors la dimension sociale de l'entreprise, souhaita faire reculer les accidents du travail, relança aussi l'idée de la participation. Il devint ensuite secrétaire d'État en charge de la Fonction publique.
Après la mort du Président Pompidou, en 1974, il fut appelé au budget auprès de Jean-Pierre Fourcade dans le Gouvernement de Jacques Chirac. Il fut le dernier à avoir présenté un budget en équilibre !
En 1976, il devint président du conseil général des Vosges et appela tous les élus à s'associer à lui sans esprit partisan. Ce département, il ne cessa de l'incarner. Il fut l'un de ses plus brillants ambassadeurs.
La diversification de l'économie vosgienne à la suite de la crise de l'industrie textile, l'équipement général du département et de ses communes, ainsi que le désenclavement des Vosges - avec l'arrivée du TGV jusqu'à Remiremont et Saint-Dié et la modernisation du réseau routier transvosgien - portent la marque profonde de son action.
En 1977, il devint secrétaire d'État en charge des relations avec le Parlement. Sa résolution était prise, il souhaitait devenir sénateur des Vosges. Très largement élu, il intégra la commission des finances. Le gaulliste qu'il était, siégea au sein du groupe du Rassemblement pour la République (RPR), aux côtés de Maurice Schumann et de Charles Pasqua.
Au cours de ses premières années de sénateur, il s'illustra comme rapporteur d'une commission d'enquête sur les difficultés de l'industrie textile puis d'une mission d'information sur la politique de décentralisation. Il paracheva son ancrage territorial dans les Vosges en étant élu maire de Remiremont en 1983.
Trois ans plus tard, il devint président de la commission des finances. Il prôna une réduction des déficits, refusa l'augmentation des prélèvements obligatoires et proposa un contre-budget au Gouvernement. Il fut sans cesse à l'écoute de ses collègues, de la majorité comme de l'opposition.
Au printemps 1998, Christian Poncelet commença sa campagne en vue de la présidence du Sénat. Il se voulut rassembleur et déclina ainsi son slogan : « Une présidence modeste au service d'un Sénat ambitieux. ». Il fut élu. Le Sénat s'enorgueillit alors d'avoir à sa tête un homme aux origines modestes ancré dans cette terre des Vosges.
Dans l'exercice de ses fonctions de Président du Sénat, Christian Poncelet ne cessa de défendre le bicamérisme comme condition de la démocratie.
Dès son arrivée, il appela les sénateurs à partir, ensemble, à la reconquête de l'opinion. Une reconquête qui passait, selon lui, par une attitude responsable lors du vote des lois : « Il faut résister à la tentation du toujours non, ou du toujours oui », martelait-t-il.
Il plaça la décentralisation, « facteur de libération des initiatives et des énergies locales », au coeur des débats. Il déclarait : « il faut donner aux collectivités locales les instruments d'une véritable autonomie, leur conférer de nouvelles compétences, leur reconnaître un pouvoir réglementaire et consacrer leur autonomie fiscale ». C'est d'actualité !
Sous l'impulsion de Christian Poncelet, la révision constitutionnelle de 2003 permit que les projets de loi « ayant pour principal objet l'organisation des collectivités territoriales » soient soumis en premier lieu au Sénat.
La Haute Assemblée devint, plus encore, une chambre du contrôle, un véritable contre-pouvoir, une assemblée en prise avec de grands sujets de société qui sont encore d'actualité : la fiscalité, les retraites, l'insécurité ; un Sénat capable de développer ses propres capacités d'expertise, de resserrer ses liens avec les collectivités locales et de s'adapter au projet européen. Il s'attacha à accentuer le suivi sénatorial de la construction européenne en créant une antenne administrative à Bruxelles, ainsi que l'association des Sénats d'Europe.
Christian Poncelet avait une prédilection pour la diplomatie parlementaire, qu'il tenait pour « un canal de représentation des peuples au plan international ». Il promut le bicamérisme, notamment grâce à l'organisation d'un Forum des Sénats du monde.
Longtemps président du groupe interparlementaire d'amitié France-Vietnam, pays dont il se disait « passionné depuis toujours », il fut un défenseur inlassable du développement des échanges franco-vietnamiens. Il fut également soucieux du rapprochement de la France avec les pays du Caucase.
La présidence de Christian Poncelet fut aussi marquée par des efforts couronnés de succès pour mieux faire connaître l'institution sénatoriale et développer son ouverture sur l'extérieur : lancement de la chaîne parlementaire Public Sénat, mise en place de stages d'immersion en entreprises destinés aux sénateurs, politique culturelle à travers le renouveau du Musée du Luxembourg ou l'organisation d'expositions sur les grilles du Jardin.
Il organisa les États généraux des élus locaux, le 14 juillet 2000, réplique de la Fête de la fédération, rassemblant alors 13 000 maires au Palais du Luxembourg : j'y avais vu un moment de béatitude républicaine... Le 7 mars 2005, il réunit les États généraux de la démocratie locale de la parité.
En 2003, Christian Poncelet fut élu à l'Académie des Sciences morales et politiques. Les symboles qu'il choisit pour orner son épée d'académicien résument à eux seuls ce qui a marqué son existence : le sanglier des Ardennes, illustrant sa passion pour la chasse comme son enracinement dans son département d'origine ; la mirabelle de Lorraine, représentant son attachement à son département d'élection ; et la Croix de Lorraine, fidélité gaulliste.
Pour l'évoquer, ses amis parlent d'un homme de consensus, d'un homme de dossiers, d'un homme de coeur, travailleur et exigeant.
Nous garderons de Christian Poncelet le souvenir d'un grand président du Sénat, d'un grand serviteur de l'État, d'un grand parlementaire, d'un élu de proximité profondément attaché à son département des Vosges et à sa commune de Remiremont, et aussi d'un humaniste, une personnalité d'une grande simplicité et particulièrement agréable dans ses relations avec autrui.
En ce moment de tristesse et de recueillement, je souhaite renouveler à ses filles, Laurence et Danielle, à ses petits-enfants, ses arrière-petits-enfants, ainsi qu'à toutes celles et tous ceux qui l'ont accompagné tout au long de sa vie, les condoléances sincères de l'ensemble des sénatrices et des sénateurs de la République. Et j'ai naturellement une pensée pour son épouse qui nous a quittés il y a plus d'un an.
Christian Poncelet restera présent au Sénat dans nos mémoires.
M. Marc Fesneau, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne . - Tout en Christian Poncelet parlait des Vosges et de Remiremont. Il a éperdument aimé une terre qui n'était pas celle de sa naissance et dont il fut l'enfant choisi.
Sans doute parce qu'il portait en lui un idéal plus haut. Enfant, il fut arraché aux Ardennes et à sa mère pendant la guerre. Valmy, aujourd'hui El-Kerma, et l'Algérie française accueillirent sa famille qui avait fait le choix de la France en 1871.
Dans la France libérée par le général de Gaulle, il fait son service militaire, aspirant à devenir officier de la Légion étrangère. Le sens profond de l'autre, l'intuition que les valeurs de la République seront l'étendard de toute sa vie guident déjà ses choix.
Il était heureux de dire qu'il était le produit, non de l'École nationale d'administration mais de l'école des télécoms. Sa carrière d'ingénieur est sans doute trop « raisonnable » : sa soif de progrès humain et social, sa volonté d'oeuvrer à l'amélioration des conditions de travail le mènent au syndicalisme. Mu par ses origines modestes, il porte une attention aux plus modestes et anime en 1953 une grève dure contre une modification du régime des retraites.
Le prolongement de l'engagement syndical par la politique devient une évidence. En 1953, Pierre Mendès France l'entraîne dans l'Eure, en pleine campagne électorale, alors qu'il ferraille avec les bouilleurs de crus - il y perdra son siège. Christian Poncelet saura s'en souvenir : ferme, parfois impitoyable, il saura aussi manier le tutoiement et convaincre.
Il se disait libre des conditions politiciennes - comme son vote pour François Mitterrand en 1981 en témoigne. Il l'assuma toujours.
Les Vosgiens et les Vosgiennes se prirent d'affection pour cet homme chaleureux et simple. « Je suis les Vosges », disait Christian Poncelet, qui prenait plaisir à rencontrer cette population qu'il aimait tant. Le lien fut indéfectible : 51 ans au conseil général dont 31 comme président, 10 ans député, 36 ans sénateur, sans oublier les 18 années à la mairie de Remiremont. Convivial, disponible, il fut très tôt surnommé « Ponpon ».
Homme de dialogue et d'autorité, il savait se montrer aussi affable que ferme dans le combat politique. Son appétit politique se nourrissait des combats face aux adversaires qu'il s'était désignés : Lionel Stoleru, Christian Perret, Philippe Séguin.
De son énergie immense, il fit profiter les Vosgiens, oeuvrant au désenclavement avec le « Y » vosgien, l'aménagement par des routes départementales, l'arrêt du TGV à Épinal, Remiremont, Saint-Dié.
Les Vosges, mais aussi la France : car Christian Poncelet aura servi avec dévouement et efficacité les gouvernements de Pierre Messmer, de Jacques Chirac et de Raymond Barre.
Son parcours fut forgé par la force de son caractère. C'est ce qui explique qu'il fut si peu sensible aux honneurs. L'une de ses fiertés, vous l'avez mentionné, monsieur le Président, resta d'avoir présenté le dernier budget de la Nation en équilibre, en 1975.
À aucun moment il n'abandonnera la politique locale ; pour ne pas devenir un satellite qui perd le contact avec sa terre. Ce contact avec la terre des Vosges fut solidifié en 1977 par son élection au Sénat.
En 1986, il devint président de la commission des finances, puis du Sénat en 1998 - un siècle après un autre Vosgien, Jules Ferry. Cette présidence ne lui a pas été offerte : il l'a conquise avec énergie.
Meurtri par les mots d'un ancien chef de gouvernement évoquant « une anomalie institutionnelle », il décida de s'attacher à défendre la noble idée du bicamérisme, comme pierre angulaire de la démocratie.
Il prônait la décentralisation et « une République territoriale, pour que les décisions soient prises au plus près des Français ».
Il voulait également un Sénat plus ouvert, plus proche des forces économiques et sociales. Il a oeuvré en ce sens. Il entendait mieux faire connaître la Haute Assemblée, créant en particulier la chaîne Public Sénat.
Il ouvrit grand les portes du Sénat avec les rendez-vous citoyens qu'il créa, et il fit en sorte que cette maison de la démocratie soit pleinement la leur.
Ardent Européen et défenseur de la coopération entre les peuples, ami de la Chine, issu d'une terre marquée par la guerre, il savait que la paix n'a pas de prix et qu'elle est une manière de penser le monde.
Christian Poncelet aura vécu cinquante-deux ans de vie politique sans connaître la défaite. Il remporta, pied de nez, sa dernière élection au bénéfice de l'âge, celle de la présidence du conseil départemental des Vosges.
Sa terre d'adoption le pleure comme le plus enraciné de ses enfants. « Aimer et avoir la foi », voilà quelle était sa devise.
À sa famille, à ses anciens collègues et collaborateurs, aux Vosgiens, j'adresse au nom du Gouvernement le témoignage de notre plus profonde sympathie.
(Mmes les sénatrices et MM. les sénateurs observent un moment de recueillement.)
M. le président. - Conformément aux usages, nous suspendons la séance en signe de deuil.
La séance est suspendue à 15 heures.
présidence de Mme Pascale Gruny, vice-président
La séance reprend à 15 h 15.
Les conclusions de la Conférence des présidents sont adoptées.