Protéger les victimes de violences conjugales (Conclusions de la CMP)
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle les conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à protéger les victimes de violences conjugales.
Discussion générale
Mme Marie Mercier, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire . - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC) Le 9 juillet dernier, la CMP est parvenue à dégager un compromis sur la proposition de loi de protection des victimes de violences conjugales. Il était indispensable que la Représentation nationale affiche son unité au moment d'affirmer sa volonté de mieux protéger les femmes et les mineurs victimes de violences.
Peu de désaccords subsistaient après l'examen du texte au Sénat. La CMP a retenu la rédaction que nous avions adoptée en ce qui concerne la possibilité de déroger au secret médical ainsi que sur le sujet de la saisie des armes.
Un compromis a été trouvé sur la question délicate de l'inscription au Fichier judiciaire des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (Fijais), retenue pour les infractions les plus graves. Elle est aujourd'hui automatique sauf décision contraire du juge. Nous faisons ainsi primer le principe de précaution.
Un article additionnel redondant sur l'interdiction des mains courantes a été supprimé. Ce sont les pratiques qu'il faut faire évoluer sur le terrain. Des progrès ont été accomplis et j'espère que le nouveau Gouvernement aura à coeur de continuer à mobiliser les forces de police et de gendarmerie sur le recueil de la parole des victimes et sur leur accompagnement au cours de la procédure.
La commission mixte paritaire a maintenu la circonstance aggravante que nous avions introduite pour le délit d'envoi réitéré de messages malveillants, sous réserve d'une modification rédactionnelle. Elle a précisé les peines d'interdiction de paraître et de contact, y compris depuis les lieux de détention.
Sur le volet civil, la CMP est d'abord revenue sur la question de la procédure applicable lorsqu'une femme victime de violences conjugales demande au juge aux affaires familiales de lui délivrer une ordonnance de protection. Le 27 mai dernier, le Gouvernement avait promulgué un décret qui donnait à la victime un délai de seulement vingt-quatre heures, à compter de l'ordonnance fixant la date de l'audience, pour remettre au greffe l'acte permettant d'établir que cette date avait bien été signifiée au conjoint violent ; le non-respect de ce délai entraînait la caducité de la demande.
Jugeant ce délai difficile à tenir, le Sénat avait adopté à l'initiative du groupe socialiste un amendement qui confiait au ministère public et aux forces de l'ordre la charge de signifier au défendeur la date de l'audience.
Le nouveau décret, publié le 3 juillet, nous a paru acceptable : il prévoit désormais que la signification est à la charge du ministère public si la victime n'est pas assistée par un avocat ; il porte le délai de vingt-quatre à quarante-huit heures et il supprime la disposition qui entraînait la caducité automatique de la demande en cas de dépassement de ce délai ; enfin, il revoit les conditions de versement de l'aide juridictionnelle pour couvrir les frais d'huissier.
En conséquence, la CMP a estimé qu'il n'était plus nécessaire de conserver l'article additionnel que nous avions adopté, puisque son objectif était désormais atteint.
Sur la décharge de l'obligation alimentaire visée à l'article 6, la CMP a repris la rédaction du Sénat. Sur l'article 6 bis relatif à l'indignité successorale, elle a fixé le périmètre de la mesure sans remettre en cause l'essentiel de nos apports.
Une disposition autorise la victime de violences à résilier plus rapidement son bail, mais la CMP a subordonné son application à des éléments plus solides qu'un simple dépôt de plainte.
Nous avons fait du « en même temps »...
La CMP a maintenu l'article additionnel que le Sénat avait adopté à ma demande sur le contrôle de l'âge d'accès aux sites pornographiques sur internet.
Depuis trop longtemps, dès l'âge de 11 ou 12 ans, les mineurs peuvent visionner des contenus pornographiques, avec les conséquences inquiétantes que cela peut avoir sur leur développement psychique et affectif. La mesure ne concerne pas les adultes.
Je sais que des dispositifs techniques pourront toujours être imaginés pour contourner les obstacles à l'accès des mineurs à ces sites, mais cela ne devrait pas nous arrêter. Les réactions nombreuses suscitées par cette initiative montrent qu'elle répondait à une préoccupation partagée par la majorité de nos concitoyens.
M. le Premier ministre a indiqué que la lutte contre les violences conjugales serait l'une des grandes priorités de la politique pénale du Gouvernement. Cela ne peut pas passer seulement par une politique répressive. La lutte contre les violences conjugales suppose aussi un effort d'éducation et d'accompagnement social, des victimes mais aussi des auteurs. Elle impose de soutenir les associations sans lesquelles tant de victimes se trouveraient désorientées. Elle nécessite un engagement dans la durée de l'État avec des moyens et une détermination sans faille du pouvoir politique.
La violence, vous le savez, monsieur le garde des Sceaux, cher maître, elle est attendue, elle est subie, elle est permanente. Elle empêche tout simplement de vivre au quotidien. (Applaudissements)
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice . - Loin des polémiques et dans la sérénité de la Haute Assemblée, l'homme que je suis et le ministre que je viens de devenir sont fiers de soutenir une proposition de loi qui me tient tout particulièrement à coeur. Je me réjouis de voir l'achèvement des travaux pour l'adopter. La lutte contre les violences conjugales est une priorité identifiée par le Président de la République.
Il est intolérable que près de 120 femmes soient mortes sous les coups de leur conjoint, l'année dernière.
Mme Belloubet, à qui je rends hommage, avait, dès le 9 mai 2019, adressé une circulaire aux procureurs généraux, leur demandant de déployer l'ensemble de notre arsenal répressif dans un double objectif : faire preuve d'une plus grande fermeté à l'égard des auteurs de ces violences, et mieux protéger les victimes. Ainsi le dispositif Téléphone grave danger a vu le nombre d'appareils distribués multiplié par trois. En un peu plus d'un an, 14 390 terminaux ont été déployés, 76 % ayant été attribués, ce qui couvre les besoins.
Je veux vous dire ma détermination à mener une lutte sans merci contre le fléau des violences au sein du couple, particulièrement indignes de notre civilisation et tellement contraire à nos valeurs. Je poursuivrai les travaux engagés par mon ministère dans le cadre du Grenelle des violences conjugales et j'ouvrirai si nécessaire de nouveaux chantiers.
Je me réjouis vivement que ce texte ait fait l'objet d'un accord entre les deux assemblées, tant ce sujet doit être d'une union sacrée. Les parquets et les juridictions sont plus que jamais mobilisés pour traiter sans délai les plaintes et les requêtes dont ils sont saisis. Pendant le confinement, les procureurs ont procédé près de neuf fois sur dix à des défèrements des personnes mises en cause pour de telles violences. Dans la plupart des cas, une éviction du domicile familial a été prononcée à leur égard. Ce sont là des réponses efficaces.
Il s'agit aussi de décloisonner et fluidifier la circulation des informations entre les différents services et, au-delà, de promouvoir l'action de tout le tissu associatif et des citoyens engagés pour donner aux personnes victimes de violences les moyens de retrouver leur dignité.
Je connais votre engagement dans ce domaine, qui implique la société toute entière. Vous avez d'ores et déjà renforcé les moyens de lutte contre ce fléau, en votant plusieurs lois, dont celle du 28 décembre 2019 qui a accéléré la procédure de l'ordonnance de protection, introduit l'interdiction pour le conjoint violent de se rendre dans certains lieux habituellement fréquentés par la partie demanderesse, et permis la suspension automatique de l'exercice de l'autorité parentale. D'ici septembre de cette année, le bracelet anti-rapprochement (BAR) sera également déployé.
Cette proposition de loi parachève ce dispositif. Le Sénat a adopté conforme onze articles du texte et la CMP est parvenue à un accord, grâce au travail de nos rapporteurs avec un « e » Bérangère Couillard et Marie Mercier. Soyez en remerciées.
Ce nouveau texte modifie et complète le code civil, le code pénal et le code de procédure pénale, en vue de renforcer la protection effective des victimes de violences familiales qu'il s'agisse des parents ou des enfants. Il prend notamment en compte le phénomène d'emprise, ce mécanisme si complexe qui place la victime sous la dépendance de son conjoint. Il permet de comprendre le silence des victimes et leur comportement craintif qui fait croire à tort à une acceptation de leur sort. C'est pourtant cette emprise qui les maintient auprès de leurs bourreaux et qui peut parfois les mener jusqu'à la mort.
La proposition de loi facilite le signalement des violences conjugales en donnant la possibilité aux professionnels de santé de porter ces faits à la connaissance du Procureur de la République, même sans l'accord de la victime.
Il améliore les procédures pénales concernant ces infractions, le juge d'instruction ou le juge des libertés de la détention pouvant ordonner la suspension du droit de visite et d'hébergement à l'égard des enfants, y compris en l'absence de violence directe à leur encontre.
Il renforce la répression de certains agissements. Le harcèlement au sein du couple quand il conduit la victime à se suicider ou à tenter de le faire, fait encourir dix ans d'emprisonnement à son auteur. La lutte contre l'exposition des mineurs à la pornographie fait également l'objet d'un renforcement attendu. En cas de violation des dispositions par un éditeur de site internet, le président du Conseil supérieur de l'audiovisuel pourra saisir le président du tribunal judiciaire de Paris pour que celui-ci ordonne la fermeture du site.
M. Philippe Bas, président de la commission. - Excellente initiative !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - C'est une mesure efficace et cohérente.
En matière civile, les enfants n'auront plus à soutenir financièrement celui qui aura été condamné pour violences conjugales, et le conjoint ne sera plus légitime à hériter en cas de violences graves sur le défunt
Le port du BAR sera mis en place à partir de septembre 2020 ; il pourra être ordonné par un juge civil dans le cadre de l'ordonnance de protection.
J'espère que ce texte fera l'objet d'une adoption unanime ici comme à l'Assemblée nationale la semaine dernière.
Quant à moi, je poursuivrai avec détermination l'action engagée par ma prédécesseur pour renforcer la prévention et la répression des violences au sein du couple ou sur les mineurs, notamment en appliquant cette loi.
Le ministre de la Justice est celui des libertés - ai-je dit lors de la passation de pouvoir. C'est aussi celui de la protection, celle que l'on doit aux femmes qui sont au contact d'un conjoint violent ; celle que l'on doit à leurs enfants, victimes directes et toujours indirectes de ces violences.
Comme avocat, j'ai connu le chagrin des victimes dévastées. J'aurai à coeur qu'elles bénéficient toutes de la meilleure protection que nous pouvons leur accorder.
Nos voisins - notamment espagnols - nous ont montré que les violences conjugales ne sont pas une fatalité sociale, mais une criminalité que l'on peut combattre par des politiques publiques volontaires.
Cette loi renforce notre arsenal législatif. Je serai heureux et fier que votre assemblée l'adopte. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, UC et Les Républicains ; M. Jean-Michel Houllegatte applaudit également.)
Mme Elisabeth Moreno, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l'égalité des chances . - Dans notre démocratie, certains combats doivent nous rassembler au-delà des clivages. Je me réjouis que nos deux assemblées aient trouvé un accord en CMP, à la hauteur des enjeux.
Je félicite Mme la rapporteure et le Sénat pour l'esprit avec lequel ils se sont saisis du sujet. Je sais le travail constant de la délégation aux droits des femmes, qui a rédigé récemment un rapport sur les violences à l'encontre des femmes et des enfants pendant le confinement.
Parce que la vie humaine est notre bien le plus précieux, nous avons bâti au fil du temps un arsenal juridique qui protège les victimes de violences conjugales. Et nous continuons à le renforcer toujours plus.
Parce que les violences intrafamiliales ne sont malheureusement pas en voie d'extinction, parce qu'elles touchent toutes les classes sociales, toutes les générations et qu'elles sont multiformes, nous sommes - nous, membres du Gouvernement, parlementaires, acteurs publics en général - face à une double obligation d'action et de résultats. Je rends hommage à Marlène Schiappa, Nicole Belloubet, Bérangère Couillard, Guillaume Gouffier-Cha, Marie Mercier et tous ceux qui ont participé à ce travail.
Je mettrai toute ma détermination à lutter contre ces violences trop souvent enveloppées d'un épais silence. Le règne du déni et la loi du non-dit contribuent à en minorer la gravité, voire à les rendre invisibles.
Tous les trois jours, une femme meurt sous les coups de son conjoint. En 2018, 121 femmes et 28 hommes sont morts ainsi, et 21 enfants ont été tués par l'un de leurs parents. Cette impunité doit cesser.
Ce texte comporte de véritables avancées pour mieux repérer, protéger, sanctionner. Repérer en délivrant le médecin du secret médical ; protéger en fournissant au plus tôt l'assistance d'un avocat ; sanctionner en reconnaissant l'emprise, qui aboutit parfois au suicide dit forcé.
Le harcèlement qui aura conduit à cette issue sera puni de dix ans d'emprisonnement.
Les victimes de violences intrafamiliales n'ont pas été oubliées pendant le confinement : points d'accueil éphémères dans les centres commerciaux, mise en place d'un dispositif de signalement dans les pharmacies, financement exceptionnel de 20 000 nuitées d'hôtel, notamment.
Il faut aller plus loin dans la prévention, notamment en renforçant le numéro d'appel 3919 pour les victimes.
À nous de mettre ce texte en oeuvre pour renforcer la lutte contre ces violences inacceptables. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, SOCR ainsi que sur quelques travées du groupe UC)
Mme Dominique Vérien . - Je vous salue, madame la ministre, et vous présente tous mes voeux de réussite en ce domaine où les clivages politiques doivent s'effacer pour le bien commun. Vous verrez rapidement que le Sénat et la délégation aux droits des femmes sont forces de proposition en la matière.
Ce texte est une victoire de plus dans un combat national que nous menons, petite loi par petite loi, lentement mais sûrement. D'aucuns le déplorent mais, mis bout à bout, les textes font avancer la cause. Chaque possibilité doit être saisie.
Notre société est prête pour l'utilisation du bracelet anti-rapprochement et la reconnaissance de la notion d'emprise, comme c'est le cas dans ce texte. C'est, à mes yeux, son avancée la plus importante.
Reconnaître l'emprise, c'est sauver des vies : le cyber-harcèlement entre conjoints, l'incrimination en cas de suicide d'une victime, l'inscription au FIJAIS en cas de soupçon de crime sont autant d'avancées décisives qui résultent de cette reconnaissance.
Je remercie l'auteure du texte Bérangère Couillard, ainsi que Philippe Bas, président de la commission des lois et Marie Mercier, rapporteur du texte, pour leur travail grâce auquel la commission mixte paritaire a été conclusive.
Mais il reste beaucoup à faire pour détecter les violences, recruter des infirmières scolaires, soutenir financièrement les associations. Il reste aussi beaucoup à faire sur la présence des femmes dans notre société. Ainsi, dans un rapport sur la présence des femmes dans l'audiovisuel, j'ai souligné que la covid avait fait disparaître ces femmes, déjà peu visibles, des écrans. Le projet de loi sur l'audiovisuel sera l'occasion de régler cette question. L'image qu'une société a et renvoie des femmes conditionne assurément la façon dont elles sont traitées, y compris dans leur foyer.
Le groupe centriste votera le texte issu de la CMP. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur le banc de la commission ; Mmes Laurence Rossignol et Marie-Noëlle Schoeller applaudissent également.)
Mme Marie-Pierre de la Gontrie . - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) Madame la ministre, pour votre première présence ici, vous aurez compris l'engagement de cette assemblée contre les violences faites aux femmes.
Élue depuis trois ans, c'est le troisième texte sur ce thème que j'examine. Nous sommes vigilants et investis.
Le garde des Sceaux a rappelé que 120 femmes sont mortes l'an dernier sous les coups de leur conjoint. Monsieur le garde des Sceaux, vous vous êtes parfois montré, dans votre audition par la commission des lois hier, surpris par les chiffres. (M. le garde des Sceaux fait signe que non.) Eh bien, c'est 150 !
Cette proposition de loi est une consolation, faute d'un grand texte. Le député Aurélien Pradié a été à l'origine d'un texte très ambitieux, transpartisan. Chagrine, LaREM en a réduit l'ampleur.
Des amendements du groupe socialiste et républicain, rejetés dans le précédent texte, ont été votés dans celui-ci. Le tout, c'est d'avancer. Ainsi est traitée l'exposition des mineurs à la pornographie en ligne. Il est aussi mis fin à la situation ubuesque qui, issue d'un décret de la garde des Sceaux, empêchait de fait, par un délai de signification beaucoup trop court, le recours à l'ordonnance de protection.
Les associations ont un rôle capital de vigie dans ce combat. Nous le relayons.
Le groupe socialiste et républicain a voté le texte adopté en commission mixte paritaire ; il n'est pas parfait. Les médecins restent partagés sur l'ouverture du secret médical : nous verrons à l'usage. Le dispositif de l'ordonnance de protection peut être amélioré, notamment l'information systématique du Parquet au moment de la délivrance de l'ordonnance aurait pu être retenue.
Chaque pas est important. Parce que les progrès sont réels, quand bien même ils ne sont pas suffisants, nous allons voter ce texte.
Madame la ministre, il y a quelques jours vous avez dit vouloir faire passer le nombre de féminicides de 170 à 10, « alors, disiez-vous joliment, je pourrai mourir tranquille ». Je salue cette ambition. Le groupe socialiste et républicain et l'ensemble du Sénat seront à vos côtés. (Applaudissements des travées du groupe CRCE à celles du groupe UC)
M. Guillaume Arnell . - (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE) Mes premiers mots seront, madame la ministre, pour vous dire que le combat ne fait que commencer. La délégation aux droits des femmes, qui compte quelques hommes dont moi-même, y contribue mais aussi tous mes collègues. Le phénomène a pris une importance préoccupante dans les sociétés ultramarines.
Le tabou des violences conjugales est en train d'être brisé grâce à une série de textes contre les violences qui ont lieu dans le huis clos familial. Les enfants en sont les premiers témoins, parfois les victimes.
Dans toute action de prévention et de lutte contre les violences conjugales, il faut des réponses transversales. Il faut aussi évoquer le rôle central des lanceurs d'alerte pour identifier le fait et y mettre fin ; le confinement a été un révélateur de l'effort fourni.
Le fléau n'est pas endigué, les nouvelles statistiques de mortalité le prouvent.
Avec mon groupe, je salue le vote de la CMP tout en regrettant que le Grenelle contre les violences conjugales n'ait pas abouti à une loi-cadre à la hauteur de la concertation et des espoirs exprimés. C'était pourtant une nécessité. Une loi-cadre aurait traduit une prise de conscience collective.
Malgré tout, je salue l'adoption du texte en CMP le 9 juillet avec les apports déterminants du Sénat : restriction de l'autorité parentale en cas de violences conjugales, limitation du recours à la médiation conformément à l'avis des experts, délivrance des ascendants et descendants de certaines obligations vis-à-vis de l'auteur de violences, dérogation au secret médical dans certains cas précis.
Les effets délétères du décret du 27 mai 2019 ont été corrigés, notamment le délai de vingt-quatre heures pour la notification.
L'éviction du conjoint violent du domicile est une avancée remarquable.
Même si des inquiétudes persistent sur le délai de six jours pour la délivrance de l'ordonnance de protection, qui nous semble irréaliste, ce texte est donc bienvenu. Il rappelle qu'un conjoint violent ne peut pas être un bon parent.
Le groupe RDSE estime que ce texte contribuera à bâtir une prévention plus efficace et une meilleure protection des victimes. Il participe à ce que la peur change de camp, et à ce que la parole se libère. Le RDSE votera unanimement ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et UC ; Mme Laurence Rossignol et M. Jean-Yves Leconte applaudissent également.)
M. Thani Mohamed Soilihi . - Nous arrivons au terme du parcours de cette proposition de loi que nous souhaitons voir adoptée rapidement. Elle poursuit le travail engagé par Aurélien Pradié en septembre 2019. Elle comporte des avancées très importantes, notamment pour la protection des mineurs : suspension du droit de visite conjugal en cas de violences, mesures contre l'exposition à la pornographie. Je citerai aussi la décharge de l'obligation alimentaire en cas de crime ou délit au sein de la famille. La possibilité donnée au juge aux affaires familiales (JAF) de prononcer une interdiction de rapprochement est également bienvenue.
Je salue la publication du décret du 3 juillet 2020 qui permettra d'assurer l'effectivité de la délivrance des ordonnances de protection tout en respectant le principe du contradictoire. La prise de conscience est généralisée.
Le groupe LaREM votera naturellement ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM ; Mme Dominique Vérien applaudit également.)
Mme Esther Benbassa . - Cette proposition de loi a fait l'objet d'une CMP conclusive. Nous ne pouvons que nous en réjouir. Les articles sur l'ordonnance de protection ont été supprimés, satisfaits par un décret du 3 juillet 2020 qui la renforce.
Cependant, la CMP n'a pas amélioré le texte du Sénat, qui donnait notamment un préavis réduit à la victime de violences conjugales qui souhaitait quitter son logement. La CMP l'a conditionné à la délivrance d'une ordonnance de protection, ce qui fait peser une suspicion sur la victime.
C'est une mesure en demi-teinte.
Nous déplorons l'absence de volet préventif, nos amendements ayant été balayés sans argument de fond et sans volonté de débattre, notamment sur la sensibilisation des policiers, médecins et magistrats.
Un accompagnement social et psychologique doit être apporté aux conjoints violents pour soigner ceux qui peuvent l'être. Oui, prévenir et soigner, elle devrait être la mission du droit en la matière.
Réprimer les actes délictueux ne saurait suffire.
Nous souhaitons une fois de plus appeler l'attention de l'exécutif sur le manque de moyens de la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Le budget a augmenté de 4 millions d'euros. C'est bien loin du milliard demandé par le Haut Conseil à l'égalité.
Nous saluons les mesures prévues aux articles 3 et 11 A, susceptibles d'accroître la sécurité des mineurs.
La lutte contre les violences faites aux femmes entre dans le XXIe siècle, avec la prise en compte des violences numériques.
Le groupe CRCE votera pour ce texte. Gardons à l'esprit tout le travail qu'il reste à accomplir. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SOCR, ainsi que sur le banc de la commission ; Mme Nassimah Dindar applaudit également.)
M. Dany Wattebled . - Le confinement a constitué une arme supplémentaire dans les mains des conjoints et pères violents.
Mais pour de nombreuses femmes et enfants, le confinement n'est pas terminé. Un texte légal unique aurait permis de prendre en compte l'ensemble des conclusions du Grenelle avec un débat plus satisfaisant. Chaque année, le Parlement est saisi d'une loi en ce sens : la loi du 3 août 2018, une proposition de loi de 2019, une autre de 2020, qui se sont ajoutées aux lois de 2006, 2014 et 2016. Je me félicite que la lutte contre les violences conjugales soit prise en compte mais je regrette l'accumulation de textes disparates. Un texte unique nous permettrait d'avoir un débat plus cohérent. Je partage l'appel de la délégation aux droits des femmes du Sénat à une remise à plat, prenant le temps de la réflexion, sans procédure accélérée. Notre arsenal juridique paraît désormais complet pour endiguer cette violence insupportable.
Il restait peu de désaccords entre nos assemblées en CMP. Il est maintenant indispensable de mener un travail de formation des policiers, gendarmes et magistrats, de donner des moyens aux associations, de mener une campagne de communication pour libérer la parole. Enfin un travail doit être mené sur le logement.
Je remercie la rapporteure Marie Mercier. Le groupe Les Indépendants votera à l'unanimité pour ce texte qui constitue une avancée. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants et sur le banc de la commission ; M. Arnaud de Belenet applaudit également.)
Mme Chantal Deseyne . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La CMP, réunie le 9 juillet, est parvenue à un accord, preuve que ce sujet rassemble au-delà des clivages politiques. Nous en faisons la preuve cet après-midi.
Le Sénat a enrichi considérablement ce texte. Ainsi, un nouveau pouvoir de régulation a été attribué au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) sur l'accès des mineurs à la pornographie. Les violences conjugales apparaissent de plus en plus tôt au sein des jeunes couples. L'âge moyen du premier accès à la pornographie est de 14 ans ! Près de 50 % des enfants visionnent de la pornographie sur internet dès 11 ans. Depuis 2014, la délégation aux droits des femmes alerte sur ce sujet.
L'exposition à la pornographie conduit à une vision erronée de la femme, objet et soumise. Les rapports sexuels et les relations homme-femme sont dénaturés.
Ces sites qui ne protègeront pas les mineurs feront l'objet d'une mise en demeure, puis seront bloqués. L'autorité parentale pourra être suspendue et les enfants seront déchargés de l'obligation alimentaire en cas de crimes ou délits commis au sein de la famille.
Le secret médical pourra exceptionnellement être rompu lorsque le professionnel de santé ou le médecin suspecte un danger immédiat, et que la victime se trouve sous l'emprise de l'auteur des violences. Sans accord de la victime, il effectuera un signalement au procureur de la République, en informant la victime. Cette disposition protège à la fois les professionnels de santé, qui pourraient être hésitants, et les victimes de violences.
Le harcèlement au sein du couple sera puni de dix ans de prison s'il a mené à un suicide ou une tentative de suicide.
La géolocalisation sans consentement sera punie. Je remercie Marie Mercier pour la qualité de son travail et son humanité. Le groupe Les Républicains votera les conclusions de la CMP. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Nassimah Dindar applaudit également.)
M. François Bonhomme . - Les dispositions sont incontestables. 121 femmes et 28 hommes, ainsi que 21 enfants ont été tués par un conjoint ou un parent.
Cette proposition de loi est d'abord le fruit d'un travail parlementaire efficace et mené en bonne intelligence avec les deux assemblées. Nous avons tous à coeur de mettre fin à ces violences.
Les apports du Sénat ont été réels, notamment sur la capacité du juge aux affaires familiales à prononcer une interdiction de rapprochement du conjoint, contrôlée par un bracelet électronique - ce qui complète les dispositions de la loi Pradié -, ou sur le secret professionnel.
Je salue l'engagement des deux assemblées sur la protection des mineurs face à la pornographie. On estime en effet que près de 60 % des mineurs ont eu accès à la pornographie dès 10 ou 11 ans, avec des troubles durables.
Le CSA se voit attribuer un nouveau rôle de régulation. Les sites devront vraiment contrôler l'âge des internautes. Il n'est plus possible de laisser nos enfants face à ces contenus dégradants.
Un plus vaste projet de loi aurait néanmoins été bienvenu. En effet, 220 000 femmes sont victimes chaque année de violences de leur conjoint. Le foyer, qui devrait être un lieu de sérénité, devient un lieu de peur pour les victimes, enfants et adultes, avec des conséquences psychologiques irrémédiables. Pensons à celles qui ne parviennent pas à le quitter. Il faut les aider à en sortir et les encourager à porter plainte.
Ces violences ne doivent plus être ignorées, cachées, sous-estimées ou sources de honte pour leurs victimes. Elles doivent être bannies de notre société : c'est le rôle du législateur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ainsi que sur quelques travées du groupe UC)
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Madame de la Gontrie, vous avez cru devoir lancer une pierre dans mon jardin, sur les chiffres. Je vous la renvoie.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Pas d'agression ! Les jets de pierre sont interdits dans l'hémicycle !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - C'est un jet de pierre virtuel...
Selon le collectif « Féminicide par compagnon », nous en sommes à 149 féminicides. C'est 149 de trop ! Selon un collectif de journalistes incluant Libération et l'AFP, on oscille entre 122 et 125. Selon le ministère de l'Intérieur, nous en sommes à 10, avec des questions inhérentes aux qualifications.
Ce sont autant de victimes de trop, nous sommes tous d'accord là-dessus. Cette divergence sur les chiffres n'est donc nullement une marque de désinvolture ou de désintérêt.
Lors de mon audition de trois heures devant la commission des lois de l'Assemblée nationale, il y a eu un quiproquo. On m'affirmait que 99 % des plaintes n'étaient pas traitées. J'ai poussé des cris d'orfraie. En réalité, des faits sont commis dont seulement 1 % des cas parviennent à la connaissance de l'autorité judiciaire. Je me suis expliqué sur ce quiproquo. La mauvaise foi ne se présume pas, mais une vidéo totalement incomplète sur mon intervention circule. J'espère vous avoir rassurée. Ce sujet m'intéresse et vous pourrez mesurer ma détermination. On ne peut s'arrêter sur une querelle de chiffres, surtout quand ceux-ci sont relatifs et ne sont pas définitivement fixés.
Je jette cette petite pierre dans votre jardin avec infiniment de respect et de considération pour la personne et la sénatrice que vous êtes.
M. Jean-Pierre Sueur. - C'est un gravier ! (Sourires)
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - En effet.
La discussion générale est close.
Vote sur le texte élaboré par la CMP
Mme Laurence Rossignol . - Madame la ministre, monsieur le garde des Sceaux, nous nous réjouissons de vous rencontrer ensemble. L'étroite collaboration entre vos deux ministères est fondamentale. On aurait pu aussi associer le ministre de l'Intérieur, mais je ne regrette pas son absence...
Rassurez-vous, monsieur le ministre, vous avez la rapporteure, avec un e, même si nous n'exigeons pas des gardes des Sceaux qu'ils parlent conformément à l'écriture inclusive. (Murmures de protestations sur certaines travées du groupe Les Républicains)
Nous n'en avons pas fini avec les violences faites aux femmes et l'idée selon laquelle un mari violent peut être un bon père. Cette proposition de loi continue à vouloir maintenir les liens père-enfant.
Monsieur le garde des Sceaux, vous avez beaucoup évoqué le pénal mais les violences faites aux femmes se nouent en matière de justice civile et familiale, dans le cabinet du JAF. Il n'y aura pas de lutte efficace sans de profondes évolutions en la matière, afin de se départir de cette obsession du maintien du lien entre le père et l'enfant, quelles que soient les circonstances.
Cet après-midi encore, je traitais le dossier d'un enfant d'un père radicalisé, pour lequel un droit de visite médiatisé est maintenu en dépit de la toxicité et de la dangerosité du père. Nous attendons l'évolution de la justice civile sur ce point. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR ; Mme Christine Prunaud applaudit aussi.)
Mme Nathalie Goulet . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Dans la cuisine parlementaire, un document très utile serait un document de politique transversale sur ce sujet qui intéresse le ministère de l'Éducation, celui de l'Intérieur, le vôtre ainsi que de nombreuses entités de l'État.
Au moment du budget, vous pourriez ainsi avoir une vision complète. Ce serait très utile pour cette cause, compte tenu du nombre de ministères impliqués.
Bien que je ne sois pas cheffe de file sur ce thème, j'ajoute que le groupe centriste votera ce texte, évidemment.
Mme Nassimah Dindar . - L'ensemble des sénateurs et sénatrices de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes approuvent ce texte, même s'ils le trouvent insuffisant. Nous avons besoin d'une grande loi-cadre pour lutter contre les violences faites aux femmes et contre les violences intrafamiliales.
Nous devons pouvoir sortir le conjoint violent du domicile, particulièrement dans les territoires insulaires comme les nôtres. Or à La Réunion, il y a plus de 28 000 demandes de logements sociaux en attente. Il faut de la cohérence entre les services des conseils départementaux et ceux de la préfecture. Ce sont les travailleurs sociaux qui doivent trouver un logement.
Les enfants et les femmes doivent cesser de subir la double peine en devant déménager. Je regrette qu'une femme ou des enfants victimes n'aient pas d'aide pour quitter l'île, comme j'en fus témoin.
Une loi-cadre, j'y insiste, est largement nécessaire. C'est la demande de la délégation aux droits des femmes. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
Mme Dominique Vérien . - Je souhaitais saluer le travail d'Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les femmes et les hommes, qui ne pouvait pas être présente.
M. Guillaume Arnell . - Je veux aussi saluer Mme Laborde que j'ai remplacée au pied levé.
Je veux souligner la spécificité des outre-mer dont les territoires sont exigus. C'est souvent la femme qui doit partir. Or cela devrait être au père de partir.
La proposition de loi est définitivement adoptée.
Mme la présidente. - À l'unanimité.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois . - Madame la présidente, je me réjouis que vous ayez pu présider cette séance. Ce texte vous tenait particulièrement à coeur. Je me réjouis de ce vote unanime du Sénat - je l'espérais - en raison de l'importance des enjeux mais aussi au regard des apports considérables du Sénat.
Je salue l'implication de tous, en particulier celle des membres de la délégation aux droits des femmes, de la commission des lois et de tous les groupes politiques.
Je remercie chaleureusement notre rapporteur : Marie Mercier s'est investie sur ces questions depuis plusieurs années, avec toute l'humanité qui est la sienne. Cela tient à l'expérience de sa profession antérieure de médecin mais aussi à ses sincères convictions. Sur de tels sujets, la tentation peut être grande de se donner bonne conscience.
Or, ce qu'il faut, c'est convertir l'émotion et les bonnes intentions en bonnes lois. Celles-ci ne peuvent régler tous les fléaux qui affectent la vie familiale ou sociale. La prévention, l'accompagnement social sont importants et ne relèvent pas de la loi.
Les deux derniers textes posent des règles pertinentes car applicables. La loi est un outil qu'il ne faut pas galvauder. Marie Mercier y a été attentive. Je salue ce bon travail législatif. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et Les Indépendants)