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Table des matières
Nouvelle ère de la décentralisation
M. Éric Kerrouche, auteur de la proposition de résolution
Création d'un fonds d'indemnisation des victimes du Covid-19
Mme Victoire Jasmin, auteure de la proposition de loi
Mme Corinne Féret, rapporteure de la commission des affaires sociales
Exploitation commerciale de l'image d'enfants sur les plateformes en ligne
M. Franck Riester, ministre de la culture
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture
M. Laurent Nunez, secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur
Mme Catherine Troendlé, rapporteur de la commission des lois
Délégation sénatoriale (Nomination)
Difficultés de recrutement des entreprises
Mme Élisabeth Lamure, présidente de la délégation sénatoriale aux entreprises
M. Michel Canevet, rapporteur pour la délégation sénatoriale aux entreprises
Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail
M. Guy-Dominique Kennel, rapporteur de la délégation sénatoriale aux entreprises
Nouvelle ère de la décentralisation
M. Éric Kerrouche, auteur de la proposition de résolution
Création d'un fonds d'indemnisation des victimes du Covid-19
Mme Victoire Jasmin, auteure de la proposition de loi
Mme Corinne Féret, rapporteure de la commission des affaires sociales
Exploitation commerciale de l'image d'enfants sur les plateformes en ligne
M. Franck Riester, ministre de la culture
Ordre du jour du lundi 29 juin 2020
Nomination à une délégation sénatoriale
SÉANCE
du jeudi 25 juin 2020
97e séance de la session ordinaire 2019-2020
présidence de Mme Catherine Troendlé, vice-présidente
Secrétaires : M. Guy-Dominique Kennel, M. Victorin Lurel.
La séance est ouverte à 9 heures.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Remplacement d'un sénateur
Mme la présidente. - En application des articles L.O. 151 et L.O. 297 du code électoral, M. le président du Sénat a pris acte de la fin de plein droit, à compter du 24 juin à minuit, du mandat de sénatrice de la Sarthe de Mme Nadine Grelet-Certenais.
En application de l'article L.O. 320 du code électoral, elle est remplacée par M. Christophe Chaudun, dont le mandat a commencé aujourd'hui à 0 heure.
Nouvelle ère de la décentralisation
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de résolution pour une nouvelle ère de la décentralisation.
Discussion générale
M. Éric Kerrouche, auteur de la proposition de résolution . - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) Ce dimanche se tiendra le second tour des municipales, aboutissement d'une compétition électorale où s'affrontent idées et visions. Au premier tour, les formations jugées obsolètes en 2017 ne l'étaient pas tant que cela.
Si ce scrutin se déroule dans des conditions extraordinaires, il est malgré tout l'une de ces respirations qui font se régénérer notre démocratie locale à échéances régulières.
Toutefois, quelle portée aurait cette élection sans l'acte fondateur de 1982, onde de choc diffusée sur notre organisation institutionnelle ? Le vote de nos concitoyens n'aurait pas la même valeur démocratique.
« La décentralisation est la grande affaire d'un gouvernement de gauche et le maître-mot d'une expérience de progrès », déclarait François Mitterrand en 1977. Ce sera une de ses 110 propositions - la 54e - dans le sillage de celles déposées par les socialistes durant les années 70. Ce sera la première loi examinée par le Conseil des ministres en juillet 1981.
Le même, devenu président, affirmait en 1982 que la décentralisation « est la plus grande réforme institutionnelle dans l'équilibre de la France depuis le début du siècle ». Et Pierre Mauroy l'avait défendue pour libérer une « France asphyxiée par le centralisme », en promettant aux Français une « nouvelle citoyenneté ».
La loi Deferre, Droits et libertés, fut une bouffée d'oxygène démocratique et l'amorce d'une période de modernisation des territoires. La décentralisation marquait ainsi une nouvelle façon de « faire République ». Au fil du temps et des textes, elle s'est imposée, allant jusqu'à devenir une règle de vie, les Français la considérant comme allant de soi.
Son succès se mesure au quotidien. L'investissement des collectivités a permis de délivrer un service public de proximité, d'innover, de transformer nos territoires.
Mais les collectivités territoriales ne peuvent pas tout faire. Elles ne peuvent pas pallier à elles seules les défauts du capitalisme, inverser les grands mouvements de population, ni relever le défi du changement climatique.
La crise de la Covid-19 a mis en lumière les lourdeurs de l'État central, quand les élus locaux ont fait la démonstration de leur réactivité, de leur adaptabilité et de leur inventivité.
Des difficultés demeurent : complexification des modes de gouvernance locale, nouveaux rapports aux territoires induits par une société du déplacement perpétuel, contraintes financières, normes, responsabilités des élus locaux, ou encore exigences toujours plus importantes des citoyens.
De la loi Relations avec les collectivités territoriales (RCT) à la loi NOTRe, les territoires ont vécu une fièvre institutionnelle, en attendant une hypothétique loi 3D.
Au début de l'année 2019, les maires ont indiqué qu'ils ne voulaient plus de bouleversement institutionnel. Ce ras-le-bol s'inscrivait dans le contexte d'incompréhension entre l'actuel exécutif et les territoires : 80 km/h sur les départementales, suppression de la taxe d'habitation, contrats de Cahors, ou bien #BalanceTonMaire.
Si les maires sont revenus en grâce à l'occasion de la crise des gilets jaunes et grâce à la loi Engagement et proximité, seuls 31 % d'entre eux se disaient confiants dans la parole du Gouvernement pour la mise en oeuvre des futures réformes locales à la veille des municipales de 2020.
Dans un contexte difficile marqué par la crise de la Covid-19, il est plus que jamais nécessaire de changer notre manière d'appréhender la décentralisation. Nous sommes à la fin d'un cycle et des solutions inédites doivent voir le jour. La relance, comme la transition écologique, passent nécessairement par les territoires, outils essentiels du monde résilient de demain.
Cette nouvelle approche est un retour aux sources de 1982. Le principe en est simple : ce qui relève de la proximité et du quotidien doit revenir aux collectivités territoriales, pour qu'elles assurent les services publics au service des citoyens. Personne ne doit être oublié. Opérons un recentrage de l'État sur des fonctions limitativement énumérées dans la Constitution, le reste des compétences relevant du niveau local. « Aucun nouvel acte de décentralisation ne pourra se passer d'une réforme en profondeur de l'État central lui-même. Seul un État resserré sur ses fonctions régaliennes et garant de la justice territoriale peut assurer la cohérence globale des échelons territoriaux », écrivait Pierre Mauroy.
Notre État raconte une histoire et dessine une mythologie. C'est un État fort, mais à l'instar d'une pieuvre à la tête trop grosse et aux tentacules territoriales trop petites, il souffre d'une centralisation et d'une verticalité héritées de la monarchie et du centralisme révolutionnaire. Cela ne signifie pas pour autant qu'il faille renoncer au modèle unitaire, ni sortir de l'État central, mais il faut en finir avec la vassalisation des territoires et entrer dans une logique de partenariat.
On mettra ainsi fin aux doublons inutiles entre État déconcentré et collectivités décentralisées, ainsi qu'au processus d'agencification qui signe le démembrement de l'État par lui-même, tout en court-circuitant les services déconcentrés et en entretenant une logique sélective.
Il convient d'ajuster les compétences des collectivités en réaffirmant le rôle social des départements, ou en rendant des compétences à la région, comme le service de l'emploi et l'apprentissage. De même il faut rompre avec une vision trop homogène du fonctionnement des EPCI.
La façon dont les collectivités travaillent ensemble doit aussi être repensée. Pour paraphraser Hobbes, il n'est pas possible que l'action territoriale soit caractérisée par la guerre de tous contre tous. L'inter-territorialité est le pendant horizontal de la subsidiarité. Elle doit remettre le citoyen et le territoire vécu au coeur des problématiques.
Cette nouvelle articulation doit passer par l'élaboration de pactes inter-territoriaux à l'échelle départementale ou inter-départementale. Ils sont la condition de l'affirmation d'une nouvelle justice spatiale devant aller des ruralités françaises aux zones urbaines en difficultés.
Cette vision encourage également la possibilité d'évolutions différenciées, adaptées aux diversités territoriales. Naturellement, lorsque nous parlons de différenciation, nous pensons singulièrement aux outre-mer, territoires régis par des statuts divers.
Cette nouvelle grammaire territoriale d'un État recentré et de territoires plus coopératifs va de pair avec le développement des ressources financières nécessaires pour agir au niveau local. Il faut aussi une démocratie locale renforcée et plus inclusive, s'appuyant davantage sur la responsabilité des citoyens. Le renforcement de la parité au sein des exécutifs est primordial, tout comme la mise en place d'un vrai statut de l'élu qui visera à diversifier l'origine sociale du personnel politique.
Cette proposition de résolution est l'occasion de démontrer que le principe de décentralisation ne saurait se démonétiser. À nous de lui redonner toute sa valeur, si importante pour nos territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)
M. Daniel Chasseing . - Je remercie Éric Kerrouche et le groupe socialiste et républicain de cette proposition de résolution, dans la lignée du projet de loi 3D. Il est important que le Sénat s'en empare.
La décentralisation transfère les compétences de l'État aux collectivités territoriales : l'économie est gérée par les régions, le social par les départements. Ces derniers sortent renforcés de la crise, car ils ont su mener des tests, en particulier dans les Ehpad, tout en procurant des masques quand l'État ne le faisait pas. Ils ont un rôle à jouer dans la réforme de la dépendance. Favorisons ceux qui embauchent des médecins salariés. On répondrait ainsi au problème des déserts médicaux par l'action de proximité.
La décentralisation doit articuler différenciation et souplesse pour répartir les compétences. Ainsi, l'articulation de la compétence économie entre le département et la région pourrait être aménagée au cas par cas. La même souplesse devrait prévaloir au niveau des intercommunalités et des communes : trois maires sur quatre considèrent que le transfert rigide de compétences a des conséquences négatives. Le département est pertinent pour l'action locale des territoires.
Il est nécessaire de déconcentrer l'action de l'État et des territoires. La mise en place de sous-préfets développeurs, prônée par le sénateur Bertrand auquel je veux rendre hommage, peut contribuer à développer l'emploi dans les territoires ruraux.
La différenciation est capitale au niveau économique pour proposer des avantages fiscaux aux ZRR des zones franches, renforcer le Fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce (Fisac), remplacer les emplois perdus dans certains territoires, ou encore soutenir l'agriculture. Car il n'y a pas de ruralité sans agriculture.
Les services publics doivent également bénéficier de cette différenciation dans les zones peu denses.
Le tourisme rural doit être davantage soutenu pour se pérenniser.
L'artificialisation des terres de manière uniforme sur les territoires pénalise les petites communes rurales qui avaient déjà du mal à obtenir des permis de construire, faute de plan local d'urbanisme.
Pour redonner vie aux territoires ruraux, il faut renforcer le département et déconcentrer avec un sous-service organisé par un sous-préfet développeur.
Jean-Marie Bockel, président de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales, dans sa lettre du 11 juin 2020, indiquait que 70 % des citoyens étaient favorables à l'adaptation de la loi aux territoires, mais sans modification de la Constitution ni bouleversement législatif.
Nous croyons à un État fort sur tout le territoire, mais ce texte reste insuffisant. Le Sénat doit être force de propositions.
Le Gouvernement doit porter des mesures efficaces et pragmatiques pour maintenir la vie dans les territoires ruraux. (M. Jean-Marie Bockel applaudit.)
Mme la présidente. - Mes chers collègues, je vous rappelle que vous pouvez revenir à la tribune pour faire votre présentation.
Mme Françoise Gatel . - J'associe Jean-Marie Bockel, président de la délégation aux collectivités territoriales à mes propos. La résolution présentée par nos collègues socialistes prend place dans un débat récurrent où les hésitations se mêlent à l'audace... La décentralisation est-elle une complainte ou une exigence ? Elle est en tout cas une conviction portée par le Sénat et par le groupe centriste, qui a organisé en septembre dernier le colloque « Tous égaux, tous différents » : vous y étiez, madame la ministre. Nous y avions formulé huit propositions pour un nouvel acte de décentralisation.
La décentralisation est aussi une nécessité appelée par le Président de la République.
Nous sortons d'un cycle de réformes territoriales, inventives pour certaines comme la recomposition des régions, brouillonnes pour d'autres comme la loi relative au statut de Paris et à l'espace métropolitain, trop corsetées quand il s'agit de la loi NOTRe qui essore les finances locales... Nous voilà réunis pour remettre l'ouvrage sur le métier.
La loi Engagement et proximité a un peu desserré l'étau qui emprisonnait le bloc local. Les élus ont exprimé leur irritation et un sentiment d'asphyxie. La crise des gilets jaunes a mis en exergue l'abandon des territoires, celle du Covid a montré l'agilité des collectivités territoriales et l'efficacité d'un partenariat intelligent entre l'État représenté par le préfet et les élus locaux.
Décentralisation, déconcentration, différenciation seraient une audace qui fracasserait la République une et indivisible ? Je ne le crois pas, car de quoi parlons-nous sinon de l'article 61-1 de la Constitution sur les droits et libertés garantis pour tous ? En 1995, sur la loi Aménagement du territoire, le Conseil constitutionnel avait indiqué que le législateur avait prévu la passation de conventions locales pour tenir compte de la spécificité de certaines situations territoriales. Loin d'enfreindre le principe d'égalité, cette procédure en assurait au contraire la mise en oeuvre.
La définition du mode de scrutin selon la taille des communes fracture-t-elle la République ? Ou bien encore la reconnaissance des spécificités ultramarines ? Ou la collectivité européenne d'Alsace ? Ou le pacte breton pour éviter la spéculation foncière ? Je ne le crois pas. Ces réalités confirment la nécessaire adaptation aux réalités locales. L'unité républicaine est garantie par l'autorité du législateur.
Trop souvent, nous ne faisons qu'ajouter des exceptions. La République ne peut pas être l'addition d'exceptions. Comment réussir la décentralisation dans le respect d'une République une et indivisible ? Il faut une volonté affirmée de l'État, et une confiance renouvelée dans les territoires.
« La loi est faite pour les hommes et non par les hommes. Elle doit se contenter de définir un cadre comme un champ des possibles », écrivait Portalis.
Clarifier les missions de l'État central et territorial est nécessaire, en reconstruisant l'ossature de chaque territoire.
Définissons le coeur de métier de chaque niveau de collectivité territoriale, tout en permettant des contractualisations.
Organisons aussi une coopération horizontale entre territoires car les citoyens franchissent les frontières. Le niveau des bassins de mobilité ou de vie est pertinent.
La capacité financière des collectivités territoriales, avec une péréquation de l'État, est nécessaire. Reconnaissons un vrai statut à l'élu. Ayons une audace décentralisatrice. La mission de Jean-Marie Bockel y contribue, développée à l'initiative du président du Sénat.
Si nous partageons l'objectif de la proposition de résolution, nous aurons des différences sur certains points. Le groupe centriste s'abstiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
M. Philippe Pemezec . - Je suis très heureux de participer au débat sur ce sujet fondamental. Je regrette que ceux qui l'organisent aient multiplié les lois qui ont fini par détruire celle de 1982... (Protestations sur les travées du groupe SOCR)
Depuis quelque temps, nous sommes de plus en plus nombreux à appeler le Gouvernement à un acte 3 de la décentralisation, et la crise sanitaire a confirmé cette nécessité.
Où était l'État obèse dans la gestion des masques ? Ce sont les régions, les départements et les communes qui s'en sont chargés ! La mienne a dû en fournir à la police nationale.
Où était l'État obèse dans la gestion des tests ? On nous en annonçait 700 000, on en est à la moitié, et ce sont les collectivités territoriales qui ont fait le travail. Nous avons testé tous les personnels communaux au contact d'enfants ou de personnes âgées.
L'État voulait s'occuper de tout, il ne s'occupe de rien, même plus de ses missions régaliennes : affaires étrangères, sécurité, immigration, bon fonctionnement de la justice. Les rebondissements de l'affaire Fillon ne jettent pas un jour très clair sur cette institution. Oui, l'État s'est perdu et il menace de couler le bâtiment France par le fond. Pourtant notre pays a de nombreux atouts : des territoires, une histoire, une culture, des savoir-faire.
Le sondage de la délégation aux collectivités territoriales montre que trois Français sur quatre estiment que la décentralisation est une bonne chose et qu'il faut renforcer ce processus.
Oui, mille fois oui, il faut passer à un acte 3 de la décentralisation alors que nous faisons face à la crise la plus grave de notre histoire depuis 1929.
Nous n'en sommes pas à définir les équilibres précis entre ville et ruralité, entre autres, car il faut d'abord rappeler la distinction entre décentralisation et déconcentration.
Le Président de la République, pourtant énarque, fait souvent la confusion entre les deux, sûrement à dessein.
M. Lecornu m'a fait sursauter en définissant les maires comme des agents de l'État ! Mettons fin à cette contrevérité qui vaudrait que la taille soit un gage d'efficacité, que big serait beautiful.
Ces super régions n'ont généré aucune économie réelle. Pourquoi ? Car elles n'ont pas les mêmes compétences que les Länder allemands. À l'inverse en Suisse, les microcantons suisses sont efficaces.
Mme la présidente. - Veuillez conclure.
M. Philippe Pemezec. - L'État doit se concentrer sur ses missions régaliennes et laisser le reste aux communes. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Jérôme Durain . - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) Nous sommes très fiers de présenter cette proposition de résolution, fruit d'un travail de longue haleine, amorcé il y a plus d'un an. Nous avons auditionné des chercheurs, relu les travaux du Sénat, organisé des rencontres... Nous avons aussi relu M. Macron, celui du début qui disait qu'il y avait trop d'élus locaux et le plus récent qui a désormais compris l'importance de la démocratie locale.
Nous souhaitons rester modestes, car en matière de décentralisation, trop de promesses ont été trahies. (On ironise sur les travées du groupe Les Républicains.)
Nous sommes issus de millésimes différents. Nous avons suivi les étapes du cursus honorum tant décrié par M. Macron. Nous avons tous appris qu'il y a une grande intelligence dans les territoires. Mais il ne faut pas se contenter de la saluer ; il faut l'accompagner et la faire prospérer.
Plutôt que de réinventer le fil à couper le beurre, nous proposons des mesures applicables, précises et réalistes.
Nous privilégions une vision globale et non clientéliste, car il ne s'agit pas de distribuer des caramels à tous les échelons.
Les collectivités territoriales ne doivent pas être des figurants, sans financements adéquats. Il faut mettre fin à la multiplication des agences nationales, synonymes de recentralisation et de gestion à distance, parallèlement au démembrement de l'État territorial. En matière de développement économique, on gagnerait à confier aux régions le service public de l'emploi.
Nous ne comptons pas supprimer telle ou telle loi parce qu'elle est issue du parti d'en face ; nous voulons redonner à chaque échelon sa juste place, et surtout à l'État. Nous voulons achever la démocratisation des collectivités locales avec davantage de femmes élues, et je salue les présidentes de région, Mmes Pécresse et Delga.
Cette nouvelle ère de décentralisation doit être celle de l'émancipation. Il faut rompre avec la logique d'infantilisation dénoncée à juste titre par M. Kerrouche.
Madame la ministre, cet esprit d'émancipation se retrouve-t-il dans le chantage du Président de la République qui promet un grand élan contre le report des régionales ? (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)
M. Jean-Claude Requier . - Depuis 1981, la décentralisation est le principal mot d'ordre des politiques publiques, presque une incantation. L'activité parlementaire sur le sujet est permanente, quasi frénétique, chaque gouvernement souhaitant apposer sa marque.
Nos collègues du groupe socialiste et républicain proposent de débattre de ce que pourrait être le prochain acte de la décentralisation. Voilà pourtant 40 ans que nous le faisons, sans parvenir à la stabilité de notre organisation territoriale, en dépit des effets d'annonce et des concertations.
L'exposé des motifs le précise : « Les maires ne sont pas favorables à un nouveau bouleversement institutionnel entre collectivités locales ou en matière de compétences ».
Il est indispensable de remédier à cette situation, et le Sénat, en tant qu'interlocuteur privilégié des élus locaux, doit en être un catalyseur attentif. Pensons aux imbroglios de la compétence eau et assainissement !
L'appel à renforcer le plan de soutien aux collectivités dans le contexte sanitaire et économique actuel apparaît comme une priorité conjoncturelle indéniable.
Le « plan de rebond territorial », qui se concentrerait sur la santé, la couverture et l'accessibilité numériques est une évidence.
Le groupe RDSE a été à l'origine de la création de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) pour combattre les ruptures d'égalité dans l'accès aux services publics et aux infrastructures. L'égalité entre les territoires passe aussi par la lutte contre l'illectronisme, une question chère à Raymond Vall et à mon groupe, et qui gagnerait à être déclarée grande cause nationale.
Nous restons pour notre part très sceptiques - pour ne pas dire opposés - quant à l'introduction d'une clause constitutionnelle attributive de compétences à l'État. Cela nous semble même antinomique de la stabilité institutionnelle réclamée par les élus.
Souvenons-nous des débats interminables entre 2010 et 2015 sur la clause de compétence générale. Pourquoi les rouvrir ? Ne nous dirigeons pas vers un modèle quasi-fédéral dont je ne suis pas certain qu'il corresponde aux aspirations de nos concitoyens.
La France, est un pays riche de sa diversité et splendide par son unité, une condition décisive de son existence selon Fernand Braudel. En ces temps de crise où nous demandons davantage de l'État, il serait paradoxal d'ouvrir cette brèche.
Rien ne serait pire que de libéraliser l'autonomie fiscale, au risque de créer une concurrence entre les territoires et de favoriser ceux qui sont déjà bien pourvus en valeur ajoutée. Il convient d'abord d'améliorer la solidarité financière et la péréquation, indispensables à l'unité de notre Nation.
Nous sommes toutefois aussi surpris qu'heureux de constater que l'échelon départemental retrouve grâce aux yeux des auteurs de la proposition de résolution. Pensaient-ils cela lorsque dans les lois Maptam et NOTRE, ils promouvaient la métropole comme un nouvel Eldorado ? (M. François Bonhomme approuve.)
Assez de pactes territoriaux prescriptifs. La subsidiarité suppose des espaces de liberté plutôt qu'un pullulement administratif avec des chevauchements d'échelons. Attention à ne pas commettre les mêmes erreurs que par le passé malgré des habits nouveaux.
Nous sommes réservés à l'égard de cette proposition de résolution.
M. Didier Rambaud . - Les deux crises majeures des gilets jaunes et du Covid ont mis en avant la demande de retour à la proximité. Ces périodes mouvementées rappellent le rôle incontournable des élus locaux comme garants du lien social. Les maires incarnent l'État dans les territoires
Ces crises ont aussi fait ressortir la demande d'une décentralisation plus aboutie. Non pas plus de décentralisation, mais une meilleure décentralisation qui donnerait plus de compétences aux collectivités territoriales, et qui favoriserait la déconcentration et la différenciation.
Nous partageons tous au Sénat le diagnostic d'un nécessaire retour à la proximité, et notre assemblée apporte un soutien indéfectible à notre République décentralisée.
Pour autant, la décentralisation n'est qu'une réalité récente de notre histoire institutionnelle. Notre organisation décentralisée est le résultat d'une construction par vagues dont la dernière a été la loi NOTRe, loi qui a laissé des souvenirs...
M. François Bonhomme. - Douloureux !
M. Didier Rambaud. - Je me réjouis de constater que les socialistes reconnaissent qu'elle mérite d'être corrigée. (M. Vincent Éblé émet des réserves.)
La décentralisation ne pourrait se faire sans repenser l'organisation de l'État territorial. Pendant la crise du Covid, le couple maire-préfet a démontré qu'il fonctionnait. Le bloc communal doit être le premier acteur d'une République décentralisée.
Parfois des doublons de compétences existent et la lisibilité du « qui fait quoi » et « qui paie quoi » en souffre. Doit-on pour autant tout remettre en cause ? La question est trop lourde et complexe pour qu'on la traite dans une proposition de résolution. Elle mérite un vrai débat, qui sera sans doute animé, comme toujours dans notre pays marqué par l'éternelle opposition entre Girondins et Jacobins.
Pouvons-nous énoncer clairement la position du Sénat sur des sujets aussi nombreux et complexes que l'autonomie fiscale des collectivités territoriales, la limitation constitutionnelle des pouvoirs de l'État, la répartition des blocs de compétences entre échelons de collectivité territoriale, le transfert à la carte des compétences, la nomenclature budgétaire, la création d'un pouvoir réglementaire ou encore la participation citoyenne sans en avoir longuement débattu ?
Tout cela peut-il entrer dans une proposition de résolution ? Je ne le crois pas, et cela ne ferait pas honneur à la réputation de sérieux du Sénat. Aussi nous nous abstiendrons.
M. Jacques Bigot.- En Marche est dans l'impasse ! (Sourires)
M. Jean Louis Masson . - Si l'on veut réussir la décentralisation, encore faut-il qu'elle soit organisée de manière cohérente. La définition du cadre territorial reste un élément fondamental. Or les circonscriptions administratives manquent de cohérence.
Le gouvernement Valls a pris l'initiative d'une fusion autoritaire des régions. Cela se justifiait dans certains territoires ; dans d'autres, les régions sont devenues des monstres tentaculaires. (Mme Françoise Gatel approuve.) C'est complètement débile. Comment expliquer que la région Grand-Est soit plus que deux fois plus grande que la Belgique ?
M. François Bonhomme. - Et l'Occitanie !
M. Jean-Louis Masson. - Les habitants de l'Aube - territoire deux fois plus proche de Paris que de Strasbourg - ont été traités pendant la crise du Covid comme s'ils habitaient à Strasbourg. C'est à 200 km d'un établissement scolaire que l'on décide parfois d'un changement d'horaire de transport, et il arrive même qu'on se trompe de lieu. C'est aberrant !
M. François Bonhomme.- Exactement !
M. Jean-Louis Masson.- François Hollande et Manuel Valls ont décidé du découpage des régions sur un coin de table et l'ont modifié le jour suivant, simplement parce que Dupond ou Durand était passé ! (M. François Bonhomme approuve.)
Il serait temps de penser à faire quelque chose de pertinent !
M. Pascal Savoldelli . - (Marques d'encouragement sur les travées des groupes CRCE et SOCR) Sur la décentralisation, il y a du travail : les élus locaux ont tenu honorablement la barre pendant la crise du Covid, avec les moyens du bord.
L'organisation territoriale est le coeur de cible de la réduction de la dépense publique. Or il faut desserrer l'étau financier qui contraint les collectivités territoriales.
Nous ne voulons pas que les élus locaux soient perçus comme un coût à écrêter. Nous souhaitons au contraire qu'ils soient mieux reconnus.
Nous nous félicitons du consensus sur l'échelon départemental, partenaire des communes et intercommunalités. Son existence ne semble plus menacée.
Nous refusons que le préfet devienne une entité indépendante. Le décret du 8 avril est à ce titre déplorable. Il permet des dérogations qui font le bonheur des promoteurs immobiliers.
Vous opposez l'État et les collectivités territoriales alors qu'ils doivent être complémentaires. Dans ce système fédéral, les collectivités territoriales seraient en concurrence, ce qui favoriserait le dumping social et environnemental.
Le renvoi au pouvoir réglementaire local ne doit pas entraîner de régression par rapport à la loi.
La proposition de résolution veut consacrer la clause de compétence générale des communes. Nous aussi, mais pour tous les niveaux de collectivités territoriales. Voilà une mesure de décentralisation forte permettant de donner les moyens d'agir localement.
Il est curieux de déplorer le repli local tout en défendant la différenciation, mère des inégalités territoriales, de la concurrence et des mouvements identitaires. Notre profond attachement à une République une, indivisible et protectrice ne peut que nous faire bondir à l'idée d'énumérer de manière limitative dans la Constitution les compétences de l'État. L'État n'est pas un partenaire, cette vision managériale de la République est dangereuse.
On le sait, quand les élus locaux récupèrent des compétences, l'État se désengage, sans contrepartie adéquate. Au lieu de céder à la tentation de moins d'État et donc de marchandisation des services, demandons plus d'État. La complémentarité doit être le maître mot, avec l'État et entre collectivités. Nous nous opposons fermement à l'avènement d'un État fédéral.
Nous n'avons pas eu l'impression de lire un texte qui reprenne les excellents principes de 1982-1983, mais une résolution pour un État central qui morcelle et désagrège ses missions nationales, ce qui permettra au marché de récupérer des activités à haute valeur ajoutée.
L'abstention de nos collègues est diverse, et pas toujours argumentée. Faute de pouvoir amender une proposition de résolution, nous y serons défavorables.
M. Jean-Raymond Hugonet . - Le 25 avril 2019, en clôture du grand débat, le Président de la République a annoncé un nouvel acte de la décentralisation. Représentant des collectivités territoriales, le Sénat est aux premières loges pour y contribuer.
S'il faut se garder de tout jeter par-dessus-bord pour espérer rejoindre les rives d'un pseudo-nouveau monde, reconnaissons que de nombreuses erreurs ont été commises.
La première est de raisonner en termes de « partage » de compétences entre l'État-Nation et les pouvoirs locaux. Idéalement, la répartition des compétences est rationnelle : la défense à l'État, la collecte des ordures ménagères à un syndicat intercommunal. Mais au fil des réformes ubuesques, la cohérence s'est perdue et les Français n'y comprennent plus rien. Pour y remédier, il faut nous appuyer sur des échelons qui ont démontré leur pertinence et leur solidité, parfaitement identifiés par nos concitoyens, fruits de notre histoire et fondement de notre République : la commune et le département.
La crise sanitaire a montré que le couple maire-préfet était le plus efficace, le plus adapté, si tant est qu'on ne les considère pas comme simples agents de fabrique ou commissaires.
La déconcentration doit être renforcée pour adapter les décisions aux réalités locales. La différenciation fait partie des gènes de la décentralisation : elle constitue le meilleur moyen de réduire les inégalités territoriales et sociales.
Cela ne suppose pas un État affaibli, dépecé - au contraire ! Les préfets pourraient devenir les référents et les représentants de toutes les agences de l'État. Qui parmi nous n'a pas assisté, médusé, à une réunion de coordination départementale où le préfet se retrouve face à trois administrations sur lesquelles il n'a pas la main : l'ARS, la DDFIP et le rectorat !
Un tel sujet aurait mérité une approche plus large et moins subreptice, pour nous aider à faire abstraction d'un passé encore douloureux dont François Hollande, Manuel Valls et Marylise Lebranchu sont l'incarnation. (M. Vincent Éblé s'exclame.) Le groupe Les Républicains s'abstiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Didier Marie . - L'action des élus de terrain pendant la crise sanitaire a été unanimement saluée ; ils ont réagi avec efficacité et agilité, alors que les directives de l'État se faisaient attendre quand elles n'imposaient pas des injonctions contradictoires. À cet égard, notre proposition de résolution appelle le Gouvernement à compenser les pertes de recettes et à mettre en oeuvre dans les meilleurs délais le plan de soutien aux collectivités territoriales.
Nous demandons l'abandon des contrats léonins de Cahors, véritable carcans budgétaires, l'instauration d'une loi de financement des collectivités territoriales, adossée aux lois de finances, qui mettrait fin aux incertitudes des collectivités et serait gage de transparence.
Serait intégrée à ce cadre financier une nouvelle nomenclature budgétaire mettant en lumière les dépenses contraintes des collectivités.
La suppression de la taxe d'habitation accentue la dépendance financière des collectivités aux décisions de l'État. Dans ce contexte, une remise en cause des impôts de production est inacceptable. Nous demandons la suppression de la réforme fiscale et l'instauration d'un ratio d'autonomie fiscale. L'État doit intégralement compenser les transferts de charge ainsi que l'impact financier des normes imposées aux collectivités locales.
Les ressources et charges des collectivités sont décorrélées et les principes mêmes de la péréquation, obsolètes. Nous demandons la révision des valeurs locatives qui fossilisent les inégalités. Il serait judicieux de déterritorialiser la fiscalité économique et d'instaurer un système de prélèvement-redistribution à l'échelle d'une zone d'emploi pour favoriser la coopération au lieu de la concurrence entre territoires. Les appels à projets devaient être encadrés, voire supprimés.
Enfin, le futur cadre financier devra prendre en compte l'impératif de la transition écologique et de la soutenabilité environnementale des politiques publiques. L'État ne pourra se passer de la connaissance du terrain des collectivités territoriales. C'est à l'échelle des territoires que se jouent les enjeux de la mobilité et de la rénovation énergétique.
Une « dotation verte » permettrait de donner aux collectivités territoriales les moyens de leur action. Elle pourrait être partiellement abondée par des placements citoyens de type livret d'épargne pour la transition locale.
Tous les défis d'avenir de notre pays - transition énergétique et écologique, nouveau modèle agricole, réindustrialisation, plus grande association des citoyens - supposent un puissant mouvement de décentralisation.
Nous proposons un changement de paradigme, avec une limitation des compétences de l'État inscrite dans la Constitution, celles des collectivités territoriales devenant la règle pour tout le reste.
Comme le disait François Mitterrand, « Si la France a eu besoin d'un pouvoir fort et centralisé pour se faire, elle a aujourd'hui besoin d'un pouvoir décentralisé pour ne pas se défaire » (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)
M. Stéphane Piednoir . - De quoi la décentralisation est-elle le nom ? La France est un patchwork, un ensemble de provinces réunies par la guerre ou les mariages, uni par la langue française depuis l'édit de Villers-Cotterêts en 1539.
M. François Bonhomme. - Bravo !
M. Stéphane Piednoir. - Nos territoires ont conservé de fortes identités dans leurs traditions, leurs singularités culturelles et économiques. L'histoire tumultueuse de notre pays est marquée par le jacobinisme, avec la commune et le département comme échelons de base de notre administration depuis 1789.
Le vent de décentralisation du XXe siècle correspondait à de nouveaux besoins, mais a créé une superposition de strates administratives et une imbrication des compétences peu lisibles, sans compter les nouvelles dépenses de structure. Si la gestion de proximité avait du sens, l'État s'est trop souvent délesté de certaines charges.
Ne parlons pas de la désastreuse loi NOTRe...
M. Vincent Éblé. - Adoptée à l'unanimité en CMP !
M. Stéphane Piednoir. - ... par laquelle François Hollande a saccagé le travail de décentralisation des années 1970 et 1980.
M. Vincent Éblé. - Vous réécrivez l'Histoire !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - C'est la mode. (Sourires)
M. Stéphane Piednoir. - En raison de ce capharnaüm administratif, les élus locaux, devenus extrêmement méfiants, et aspirent à la stabilité. Vaccinés par la réforme des rythmes scolaires et leur corollaire, les temps d'accueil périscolaire, ils s'interrogent sur la création des 2S2C.
La confiance envers l'État s'effrite et la colère monte quand le Gouvernement rogne l'autonomie financière en supprimant la taxe d'habitation ou en retirant aux régions la gestion de l'apprentissage. (M. François Bonhomme approuve.)
La clarification des compétences est essentielle. À l'État les missions régaliennes, si malmenées ces derniers temps, aux exécutifs locaux l'administration de proximité. La clause générale de compétence pour les communes doit être garantie ; il faut un pacte financier stable qui ne soit pas remis en cause à chaque loi de finances. Cela pourrait prendre la forme d'une nouvelle nomenclature budgétaire visant à prendre en compte les dépenses contraintes.
Chassons les doublons et les compétences si croisées qu'elles en deviennent illisibles. La rénovation des bâtiments du patrimoine public serait une source considérable de gains énergétiques ; un plan État-région spécifique serait bienvenu.
Réservé sur les modalités préconisées par cette proposition de résolution, je m'abstiendrai. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales . - Merci pour cette proposition de résolution qui nous donne l'occasion de débattre d'un sujet sur lequel vous connaissez mon engagement. La décentralisation est devenue la forme naturelle de l'organisation de notre République ; elle est gravée dans le marbre de la Constitution.
Vous avez raison de rappeler le rôle fondateur du parti socialiste dans cette évolution, mais d'autres y ont contribué, par-delà des frontières partisanes. La décentralisation est par essence un processus et appelle une réflexion, surtout après une crise sanitaire qui a mis à l'épreuve notre organisation territoriale.
Restons à l'écoute des événements, faisons preuve de prudence et de modestie, monsieur Durain, en évitant d'évoquer les succès supposés des uns et les échecs des autres. Chacun a fait son travail. On peut saluer la réussite de l'État aussi, à commencer par l'hôpital : globalement, le système sanitaire a tenu. L'État est garant de la sécurité sanitaire et sociale, cela mérite d'être rappelé.
La décentralisation est un sujet complexe. Méfions-nous des réactions hâtives. Parfois, le besoin de pérennité l'emporte sur l'envie de transformation. C'était la demande unanime des élus locaux au début de ce mandat : n'en rajoutez pas, laissez-nous digérer les réformes, disaient-ils.
Cependant, des voix se sont élevées pour demander un approfondissement de la décentralisation. La stabilité n'empêche pas la mobilité. J'ai donc lancé en janvier dernier des consultations régionales pour échanger avec les acteurs locaux sur leurs attentes en matière de décentralisation. J'ai continué à dialoguer depuis, par écran interposé, dans un climat de grande confiance.
Après une longue vie d'élue locale, j'ai acquis la conviction que la prochaine étape de la décentralisation ne devait pas être forcément la copie conforme des précédentes étapes. C'est pourquoi j'ai ajouté déconcentration et différenciation.
Mardi dernier, le Gouvernement a transmis au Conseil d'État un projet de loi organique relatif à l'expérimentation territoriale - la différenciation est le nouveau visage de la décentralisation. Au terme d'une expérimentation, l'alternative était sa généralisation ou son abandon ; dorénavant, elle pourra être pérennisée sur certains territoires. C'est une révolution - même si le droit actuel reconnaît déjà la spécificité d'un territoire, avec la loi Montagne notamment.
Fernand Braudel écrivait que « La France s'appelle diversité ». Les politiques publiques doivent s'y adapter. Il faut autoriser des réponses différentes selon les singularités des situations - ce que j'appelle le « cousu main ».
C'est pourquoi nous avons créé la collectivité européenne d'Alsace, qui pourra par exemple mener des expérimentations transfrontalières.
Nous devons assumer la complexité de l'action publique pour en tirer le meilleur parti. Inscrire dans la Constitution ce qui relève ou non du régalien n'est ni possible, ni souhaitable. (Marques d'approbation sur les travées du groupe Les Républicains) Quid de l'économie, du social ?
Nous ne sommes pas un État fédéral. Chacun a rappelé comment s'était constitué l'État-Nation. « L'action, ce sont les hommes au milieu des circonstances », disait le général de Gaulle.
M. Jean-Raymond Hugonet. - Très bien.
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - La loi NOTRe, tant décriée, a malgré tout eu le mérite de clarifier les compétences, ce que certains continuent de réclamer. Mais il est normal d'avoir des secteurs de compétence partagée. Souvenez-vous des heures de débat, ici même, sur la compétence culture ! On ne peut empêcher l'État, la région, le département d'avoir une politique culturelle.
M. Jean-Raymond Hugonet. - Très bien.
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Il faut le respecter, et trouver des solutions. Le plan Pauvreté signé entre l'État et les collectivités territoriales est une réussite parce qu'il reconnaît que la compétence sociale est partagée. C'est le sens de l'engagement du Gouvernement en faveur de la contractualisation et des pactes territoriaux. C'est ainsi que nous renforcerons la concorde républicaine pour mieux préparer la France aux défis contemporains et futurs.
L'organisation de l'État et de notre action doit profondément changer, a dit le Président de la République, invitant à donner plus de responsabilité à ceux qui agissent au plus près de nos vies.
M. François Bonhomme. - Amen.
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Face à la crise écologique et sanitaire, il faut de nouvelles alliances entre l'État et les collectivités territoriales. « Il n'est de richesse que d'hommes », disait Jean Bodin. Notre force de caractère et notre capacité d'initiative nous permettront de faire plus et mieux.
Le projet de loi 3D approfondit la décentralisation dans le domaine de la transition écologique, du logement, du transport, et nous devons tirer les conséquences de la crise en matière de santé et de solidarités.
La réforme de l'organisation territoriale de l'État, premier sujet cité par les élus, passe par un renforcement de la déconcentration des moyens, des pouvoirs et des agents de l'État, la restauration de l'unité de la parole de l'État dans les territoires, autour du préfet de département.
M. Loïc Hervé. - Oui !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Cette réflexion devra être menée aussi pour les agences et opérateurs autonomes de l'État.
M. Loïc Hervé. - Ô que oui !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Je n'ouvrirai pas le débat sur les finances locales et l'autonomie financière des collectivités. Nous en débattons souvent avec Vincent Éblé, Albéric de Montgolfier et Charles Guené. Le sujet va au-delà de la compensation des transferts de compétences : il faudra discuter des impôts locaux, des dotations de l'État, de l'attribution de parts d'impôts nationaux...
J'avais signé avec Yves Krattinger un rapport sur l'intelligence des territoires. Pierre Veltz évoque les mille fils tendus qui solidarisent et unissent les territoires. Notre réflexion doit prendre en compte le rôle des citoyens, des initiatives, des solidarités. Libérons les liens, multiplions les initiatives pour inventer ensemble l'avenir de notre pays. L'État sera aux côté des territoires pour garantir cohésion et équité. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)
M. Patrick Kanner. - Rappel au Règlement ! Quand un sénateur interpelle le Gouvernement, il est d'usage que le ministre lui réponde.
La réforme territoriale a été évoquée mardi lors d'un déjeuner avec le Président de la République où j'étais présent. Emmanuel Macron a dit vouloir que les régions et départements passent par la « grande porte » qu'il leur propose : une grande réforme territoriale, une implication dans le plan de relance - ce qui ne serait pas compatible, a-t-il dit, avec l'organisation d'élections en mars prochain. Si les élus veulent passer par la petite porte, lui passera au-dessus, pour défendre l'intérêt général et sauver le pays.
Le Président de la République lie donc la réforme territoriale et le report des élections départementales et régionales. Nous pensons, nous, - et le président Retailleau partage cet avis - que nous sommes capables de faire les deux, en même temps. L'histoire récente a montré que des maires, même battus, se sont démenés pour aider leurs concitoyens. Donnez-nous une réponse claire. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)
Mme la présidente. - Acte vous est donné de ce rappel au Règlement.
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Je ne veux pas me dérober. Vous en savez autant que moi. (Rires) Je n'ai pas assisté à votre déjeuner, mais à celui entre deux présidents de régions et le Président de la République. Le président de Régions de France s'est interrogé sur la tenue des élections au milieu du plan de relance ; le Président de la République lui a répondu en être conscient. Je n'en sais pas plus !
M. René-Paul Savary. - C'est précis...
M. François Bonhomme. - Nous voilà rassurés ! (Sourires)
La proposition de résolution est adoptée.
(Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)
Création d'un fonds d'indemnisation des victimes du Covid-19
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle une proposition de loi relative à la création d'un fonds d'indemnisation des victimes du Covid-19.
Discussion générale
Mme Victoire Jasmin, auteure de la proposition de loi . - Dans une France qui commence à panser ses plaies, cette proposition de loi est attendue. Mes premières pensées vont aux victimes de la Covid-19 et à leurs familles. J'associe à ces travaux le groupe socialiste et républicain et plus particulièrement le sénateur Lurel.
Je salue l'excellent rapport de Corinne Féret qui a proposé des amendements pour améliorer le texte initial.
Ce texte a été rédigé durant les pires heures de l'épidémie. De nombreux professionnels et bénévoles ont bravé la contagion, voire sacrifié leur vie, pour nous protéger. Je pense à eux et à leurs proches. Les applaudissements à 20 heures et les manifestations de gratitude ont été un réconfort pour les premiers de corvée, qui ont assuré ce service à la Nation : je pense au personnel de santé, aux pompiers, ambulanciers, forces de sécurité, personnel de l'Éducation nationale et des crèches, aides à domicile, services de propreté, salariés des pompes funèbres et de la grande distribution, agents de la RATP, ou encore aux bénévoles de la réserve sanitaire...
Cette période a été exceptionnelle tant par sa gravité que par sa durée. Nous avons dû adopter en urgence le confinement, mesure de salubrité publique pour épargner de nombreuses vies.
Cependant, certains salariés et bénévoles ont été exposés à un risque accru de contamination, d'autant que les équipements de protection faisaient défaut. Souvent, ces professionnels ont été atteints d'une forme bénigne, mais d'autres ont développé des formes graves et garderont des séquelles, voire sont morts. Les services funéraires se sont déroulés dans des conditions difficiles d'isolement et d'anonymat, compliquant le deuil pour les familles.
Le ministre Véran a annoncé que certains pourront prétendre à réparation et accélère enfin la publication des ordonnances et décrets permettant la reconnaissance de la Covid-19 comme maladie professionnelle pour les soignants.
Mais cette avancée réglementaire ne reconnaît pas le service rendu à la Nation par l'ensemble de ceux ayant travaillé. Rendons hommage et témoignons reconnaissance et humanisme à ceux qui étaient au front durant cette guerre.
Cette proposition de loi crée un fonds d'indemnisation des victimes de la Covid-19 destiné à réparer intégralement leur préjudice, pour elles ou leurs ayants droit. Les associations attendent beaucoup de nous.
Les auditions avec ces associations, avec la CNAM et la direction de la sécurité sociale, ont mis en lumière la nécessité d'un processus d'indemnisation simplifié et équitable.
Ce fonds ne se substitue pas au régime d'indemnisation des maladies professionnelles, mais lui est complémentaire. Opposer les deux mécanismes serait un non-sens.
J'entends les réserves sur un risque de multiplication de contentieux à l'avenir. Mais circonscrire ce fonds à la période de l'état d'urgence sanitaire, comme le propose Corinne Féret, apporte un garde-fou suffisant.
Plutôt qu'une contribution de l'État ou des employeurs via la branche AT-MP, nous avons opté pour un financement via une taxe additionnelle à la taxe Gafam, au vu des énormes bénéfices engrangés par les géants du numérique pendant le confinement. Cela conjugue équité sociale et pragmatisme fiscal.
Les premiers de corvée ont été exposés au virus à un moment où la France manquait cruellement de masques. Nul doute que le Gouvernement a tiré les leçons de cet épisode et qu'une telle situation ne se reproduira pas, même en cas de deuxième vague.
La gratitude de la Nation doit s'exprimer. Je vous propose un outil simple et juste, fondé sur des critères objectivables, pour réparer le préjudice d'un nombre limité de personnes, professionnels ou bénévoles, victimes de la Covid-19. C'est avec humilité, gravité et confiance que je vous soumets cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)
Mme Corinne Féret, rapporteure de la commission des affaires sociales . - La création d'un fonds d'indemnisation au titre d'une contamination par un agent pathogène respiratoire serait une première. J'entends l'interrogation légitime sur le risque de créer un précédent qui fragiliserait le système AT-MP, lequel repose sur la responsabilisation des employeurs.
Mais cette proposition de loi de Victoire Jasmin - que je salue -vise à répondre à une situation parfaitement inédite. Elle vient reconnaitre l'engagement professionnel et bénévole de ceux qui, pendant la phase aiguë de l'épidémie, ont assuré la continuité de services publics indispensables à la vie de la Nation.
Le personnel des établissements de santé et médico-sociaux a été exposé à un risque accru, d'autant que les équipements de protection manquaient. Le ministre de la Santé a annoncé pour eux un dispositif de reconnaissance automatique comme maladie professionnelle. Nous ne savons pas s'il intégrera le personnel administratif et d'entretien, s'il se limitera à une réparation forfaitaire.
D'autres secteurs ont continué de fonctionner pendant le confinement. Je pense aux premiers secours, ambulanciers, forces de sécurité, personnels de l'Éducation nationale et des crèches accueillant les enfants de soignants, aides à domicile, services de propreté et de salubrité publique, salariés des pompes funèbres, salariés de la grande distribution, des transports, de la logistique et de la livraison, du secteur postal ou encore salariés des abattoirs.
Ces nombreux travailleurs et bénévoles ont été exposés à un risque accru. Certains ont développé des formes graves ayant pu donner lieu à des séquelles invalidantes, voire conduit au décès.
Quel recours pour obtenir une réparation de leur préjudice, en reconnaissance du service qu'ils ont rendu à la Nation ? Au mieux, une procédure longue de demande de reconnaissance de maladie professionnelle, qui nécessite un taux d'invalidité de 25 % et qui n'est pas ouverte aux bénévoles.
Ce texte institue un processus d'indemnisation intégrale simplifié et équitable de toutes les personnes exposées à un risque accru pendant le confinement, au-delà des seuls soignants. Cette répartition intégrale pourrait venir compléter la réparation forfaitaire au titre de la maladie professionnelle.
J'ai présenté en commission des amendements pour circonscrire le champ des bénéficiaires de la proposition de loi et son horizon temporel. Je souhaitais identifier les conditions permettant de créer une présomption irréfragable pour alléger la charge de la preuve, via une liste d'activités ayant présenté des risques accrus et des critères objectivables.
Afin de consacrer le caractère exceptionnel de ce fonds, je souhaitais fixer une borne temporelle : du 16 mars au 10 juillet 2020, date de cessation de l'état d'urgence sanitaire. Pendant la phase aiguë de l'épidémie, certains ont été plus exposés pour assurer la continuité de certains services pendant que les autres étaient confinés.
L'exposition au virus d'agents de l'État et l'indemnisation des ayants droit de personnes décédées plaident pour une mobilisation de la solidarité nationale et donc une contribution financière de l'État.
La commission des affaires sociales n'a pas adopté ces amendements qui auraient garanti la crédibilité d'un dispositif qui répond à une situation exceptionnelle. La commission a en effet estimé qu'en l'état des connaissances scientifiques sur les effets à long terme de la maladie, il était prématuré de créer un tel fonds.
Seul l'intitulé du texte a été modifié en commission, qui s'est abstenue, sans que cela n'empêche un rejet en séance publique. À titre personnel, je vous invite à adopter ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites et auprès de la ministre du travail, chargé de la protection de la santé des salariés contre l'épidémie de covid-19 . - La crise sanitaire est à bien des égards inédite : dans sa fulgurance et sa diffusion, par sa mortalité auprès des plus fragiles, par la mobilisation que nous lui avons opposée. L'ensemble de nos forces sanitaires se sont engagées en première ligne sans faillir. Le pays a ainsi continué à vivre grâce aux travailleurs de deuxième ligne, selon les mots du Président de la République : sans exhaustivité, agriculteurs, éboueurs, enseignants, chauffeurs routiers, manutentionnaires, hôtes et hôtesses de caisse, ainsi que les maires et élus locaux que votre chambre représente si bien.
Vous avez raison madame Jasmin, les conditions que l'épidémie a imposées pour les funérailles des victimes de la Covid ont été douloureuses pour les proches et les familles.
La crise sanitaire n'est pas achevée : il faut rester vigilant partout sur le territoire, d'autant que s'y ajoute une crise économique. Le Gouvernement a répondu, dans l'urgence : activité partielle généralisée, primes au personnel soignant, plan de soutien aux secteurs sinistrés, allocations exceptionnelles aux plus fragiles.
Nous sommes dans une seconde phase, avec le Ségur pour le monde de la santé, le soutien aux salariés et le plan de relance, nous sommes dans une nouvelle phase.
La proposition de loi de Mme Jasmin propose l'indemnisation intégrale de toutes les personnes touchées par la Covid-19, dans leur activité professionnelle ou bénévole, ainsi que de leurs ayants droit.
Le Gouvernement partage votre attention à ce sujet sensible, éminemment complexe, madame Jasmin. Selon votre proposition de loi, il reviendrait au demandeur de justifier de sa contamination dans un cadre professionnel. Une commission médicale indépendante constituée au sein du fonds se prononcerait sur le lien entre la contamination et la pathologie.
La prise en charge des travailleurs atteints de la Covid-19 dans le cadre professionnel est indispensable. C'est une préoccupation majeure du Gouvernement, qui apporte une attention particulière aux soignants. Le 23 mars, le ministre Véran s'est engagé à reconnaître auprès d'eux la Covid comme maladie professionnelle. C'est la moindre des choses pour les travailleurs de première ligne.
Pour les autres travailleurs contaminés dans le cadre de leur activité professionnelle, nous voulons une indemnisation facilitée. Toutefois, je ne partage pas le souhait de créer un fonds dédié. Notre sécurité sociale dispose d'une branche dédiée, la plus ancienne de celles qui la composent, la branche AT-MP, pilier de notre démocratie sociale, qui fonctionne bien. Elle est tout à fait apte à cette mission. Créer un fonds serait lourd et complexe. Il faudrait une expertise individuelle de chaque dossier. Ce serait source de nombreux contentieux. Je ne crois pas que cela rendrait service aux victimes.
Le Gouvernement propose un système de reconnaissance simplifié et rapide : à cette fin, des décrets seront présentés prochainement aux partenaires sociaux. Nous allons ainsi créer un tableau de maladies professionnelles dédié. Il concernera tous les soignants des établissements sanitaires et médico-sociaux, mais aussi tous les non-soignants travaillant en présentiel dans ces structures, toutes les personnes assurant le transport et l'accompagnement des personnes atteintes de la Covid-19. Les professionnels de santé libéraux bénéficieront de cette reconnaissance dans les mêmes conditions que les autres soignants.
La procédure indemnisation, pour les non-soignants, sera facilitée. Un comité national sera constitué en lieu et place des comités régionaux. La reconnaissance en maladie professionnelle est importante. Elle permet une prise en charge des frais de soins à hauteur de 100 % des tarifs d'assurance maladie ; une prise en charge plus favorable des indemnités journalières, ainsi qu'une indemnité - rente ou capital - en cas d'incapacité permanente.
Une rente est versée aux ayants droit en cas de décès. Elle s'élève à 40 % du salaire de la victime pour l'époux survivant et à 25 % pour chaque enfant à charge jusqu'à leur 20 ans.
C'est une indemnisation substantielle pour les victimes, dans un cadre simplifié et efficace. Une prise en charge adaptée à l'origine professionnelle de la maladie.
Le Gouvernement ne souhaite pas faire porter la charge de l'indemnisation sur les employeurs directement concernés. Ce serait un non-sens pour ces entreprises qui se sont mobilisées durant la crise. Nous souhaitons donc mettre en place un dispositif de mutualisation, puisque la cotisation AT-MP comprend une part mutualisée entre tous les employeurs. C'est une question de solidarité nationale. Cette part sera prise en charge par l'État pour les professionnels de santé libéraux qui ne bénéficient pas d'une couverture AT-MP.
L'indemnisation des professionnels de santé libéraux sous couverture AT-MP, sera prise en charge par l'État.
J'appelle votre attention sur les risques de précédent, mettant en danger les fondements de la tranche ATMP.
Comment justifier qu'une personne atteinte du Covid soit mieux indemnisée qu'une personne atteinte d'un cancer professionnel ? La branche AT-MP issue d'un consensus social de longue date a une expertise qui lui permet de traiter 650 000 accidents du travail et 50 000 maladies professionnelles par an.
Nous devons être au rendez-vous des victimes du Covid. C'est pourquoi le Gouvernement propose d'agir par décret rapidement.
Vous pouvez compter sur mon engagement et celui du Gouvernement pour le faire dans les meilleurs délais.
Mme Jocelyne Guidez . - Mes pensées vont d'abord vers les victimes, leurs proches, leurs familles, et j'exprime ma solidarité envers les pays confrontés en ce moment au pic épidémique. Cette pandémie s'est propagée à grande vitesse et a mis à mal les systèmes de soins, d'où la nécessité du confinement.
Nombre de travailleurs ont été en première ligne : les soignants, évidemment, mais aussi les premiers secours, les ambulanciers, les forces de sécurité, les enseignants et le personnel de l'éducation nationale et celui des crèches chargées d'accueillir les enfants des soignants ; les services d'aides à domicile ; les salariés des pompes funèbres ; la grande distribution ; la logistique.
Les auteurs considèrent qu'il y a eu pendant le confinement une rupture d'égalité lorsque le ministre de la Santé a déclaré que la Covid serait reconnue comme maladies professionnelles pour les seuls soignants.
Mais le Gouvernement a annoncé mardi dernier que les personnes ayant contracté la Covid lors de leur activité professionnelle seraient indemnisées par la branche AT-MP et que les décrets nécessaires seraient publiés très vite. Cela ne va pas aussi loin que la proposition de loi, qui prévoit, comme l'a exposé la rapporteure, que je remercie pour son excellent travail, une réparation intégrale pour toutes les personnes contaminées dans l'exercice de leur profession ou leur activité bénévole, ainsi que leurs ayants droit.
Il apparaît particulièrement difficile de caractériser l'origine de la contamination au SARS-COv-2. En effet, cette maladie infectieuse se transmet par voie aérienne.
Le docteur Élisabeth Bouvet, présidente de la commission technique des vaccinations au sein de la Haute Autorité de Santé, professeur des universités à la faculté de médecine Xavier Bichat et spécialiste des maladies infectieuses et tropicales, précisait notamment lors de la 50eme journée de Claude Bernard en novembre 2007, que la transmission aérienne est définie par le passage de micro-organismes depuis une source à une personne à partir d'aérosols, entraînant une infection de la personne exposée.
Et d'ajouter que pour les petites particules, la transmission peut se faire jusqu'à une distance supérieure à 1,8 mètre et qu'un contact direct avec la source est inutile. Les maladies se transmettant par petites particules sont à l'origine d'épidémies brutales et explosives. Lorsque l'exposition s'opère par de grosses particules telles que des gouttelettes, il faut un contact proche, inférieur à un mètre.
Il est donc peu probable que nous puissions caractériser avec précision le lieu de contamination. Il ne faut pas confondre surexposition et contamination.
Au contraire, le lien de causalité ente maladie et exposition à l'amiante est évident. En outre, une telle fiction juridique reviendrait à faire peser la charge symbolique sur les employeurs ou les associations alors qu'ils n'ont pu protéger leurs salariés à cause de la pénurie de masques et autres équipements de protection individuels.
Le lien de causalité entre activité professionnelle et contraction de la maladie ne pouvant pas être justifié, nous regrettons que la voie de la reconnaissance au titre des maladies professionnelles ait été privilégiée.
Il aurait été plus juste de prévoir directement une prise en charge intégrale de la maladie, voire du préjudice en découlant, directement par l'assurance maladie.
Le groupe centriste votera contre la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
Mme Catherine Deroche . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) De nombreux travailleurs et bénévoles ont poursuivi leur activité pendant la crise. Les professionnels de santé, hospitaliers et libéraux, étaient sur le front, comme l'ensemble des personnes mobilisées pour assurer la continuité de services essentiels à la vie de la Nation.
Mais le manque de protections les a exposés à un risque accru d'infection. Certaines de ces personnes ont développé des formes graves de la Covid-19 qui ont pu donner lieu à une hospitalisation dans un service de réanimation, à des séquelles invalidantes. Malheureusement, certains de ces professionnels sont décédés des suites de cette contamination.
Les auteurs de la proposition de loi pensent qu'il appartient à l'État de réparer les préjudices subis.
Nous avons tous été sollicités par des associations ou des fédérations professionnelles. En tant que rapporteur sur le suivi de la Covid-19, en lien avec la branche assurance maladie, j'ai auditionné la Fédération hospitalière privée qui plaide pour un dispositif juridique unique national d'indemnisation.
Nous sommes nombreux à avoir applaudi les soignants tous les soirs à 20 heures, sans pouvoir contribuer à la lutte contre cette épidémie sans précédent autrement qu'en restant à la maison. Nous ne pouvons que partager l'objectif de cette proposition de loi qui témoigne de notre légitime reconnaissance, et celle de la Nation tout entière, au personnel soignant, en première ligne durant toute cette période, et à tous ceux qui ont pris en charge nos concitoyens contaminés au cours des soins et dans le cadre de l'organisation des soins de suites, à tous les travailleurs et bénévoles, qui au péril de leur vie ont permis la continuité de secteurs prioritaires.
La proposition de loi prévoit une indemnisation des victimes et des ayants droit par la reconnaissance de la Covid-19 comme maladie professionnelle.
Je salue le travail de la rapporteure, mais la reconnaissance d'une maladie infectieuse comme maladie professionnelle constituerait un précédent majeur allant à l'encontre des principes de cette branche, selon lesquels « les maladies professionnelles sont établies en fonction des risques encourus dans le cadre d'une activité économique définie », comme l'indiquait Gérard Dériot, son rapporteur pour le projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Nous encourons un risque pour les prochaines épidémies. Nous saluons la reconnaissance automatique en maladie professionnelle pour les soignants ayant été exposés à un risque accru en l'absence d'un matériel de protection adéquat, bien souvent.
Cette proposition de loi instaure un principe de réparation intégrale du préjudice subi, mais il sera particulièrement difficile d'établir l'origine professionnelle de l'infection.
Le recours à l'Oniam (Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales) paraît peu approprié.
Les associations et fédérations proposant une telle indemnisation n'ont pas toutes la même approche.
Certaines demandent un fonds sur le même modèle que le fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (FIVA). Compte tenu des inconnues scientifiques alors que nous ne sommes pas sortis de l'épidémie et que nous ne connaissons pas les effets à distance de la contamination, envisager un tel mécanisme sera difficile.
Nous voterons donc contre le texte après nous être abstenus en commission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Véronique Guillotin . - Si les conséquences de l'épidémie occupent les esprits et influencent nos décisions depuis plusieurs semaines, cette proposition de loi a le mérite de s'attaquer à un sujet de préoccupation des malades. Elle pose les bonnes questions, mais n'apporte pas les réponses adéquates. Nous pourrions ouvrir un champ de contentieux considérable.
La reconnaissance de l'indemnisation des maladies professionnelles fait l'objet d'un financement dédié à travers la branche AT-MP. Elle est soumise à des critères stricts. Ce mode de fonctionnement éprouvé permet aux victimes de bénéficier de la gratuité des frais médicaux et d'indemnités en cas d'arrêt de travail.
Ce système est loin d'être parfait, certes. Les procédures sont lentes et complexes. Le Gouvernement a annoncé son intention de garantir l'automaticité de la reconnaissance comme maladie professionnelle de la Covid pour tous les soignants. Des inquiétudes doivent être levées pour les professionnels de santé libéraux en première ligne, et qui ont payé un lourd tribut face à la maladie.
Cette proposition de loi est prématurée. On ne connaît pas encore toutes les décisions qui seront prises par le Gouvernement pour adapter le système existant à la crise actuelle.
Tous les soignants, y compris ceux n'ayant pas cotisé pour les risques professionnels, seront-ils indemnisés ?
Nous ne connaissons pas l'évolution à moyen et long termes de la maladie ou de ses conséquences.
Je partage donc les nombreuses réserves liées au risque de créer un précédent avec un fonds sur les maladies infectieuses même si chacun partage aussi les préoccupations des malades et de leurs familles.
La création d'un fonds pour une maladie infectieuse ayant touché beaucoup de Français créerait un précédent qui doit nous inciter à la prudence. Certes, la crise du Covid a surpris par sa violence et laissera des marques indélébiles. Néanmoins, une situation exceptionnelle n'appelle pas nécessairement des réponses exceptionnelles. Mieux vaut s'appuyer sur le système existant.
Ce fonds ajouterait de la complexité, alors que les Français attendent un système performant et protecteur.
Certaines critiques pointent le retard à l'allumage et le manque de protection pour certaines professions. Mais la responsabilité de l'État devra être examinée dans le cadre des commissions d'enquête parlementaires, l'une étant lancée à l'Assemblée nationale et l'autre devant être créée prochainement au Sénat. Elles identifieront les limites du système actuel et les réformes à mener, en tirant les leçons des capacités de réaction de l'État.
La mondialisation produira certainement de nouvelles pandémies.
Cette proposition de loi fait d'un bon sentiment et d'une ambition que je partage, mais mon groupe et moi ne partageons pas les options choisies.
Ceux qui ont continué à travailler pendant le confinement ont été davantage exposés à la contamination. Pour eux, un processus d'indemnisation plus simple et plus rapide doit être mis en place. C'est la volonté de l'État. Laissons au Gouvernement le temps de passer de la parole aux actes. Le groupe RDSE ne votera pas ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDSE)
M. Martin Lévrier . - Nous l'avons tous dit, l'engagement de nombreux concitoyens, professionnels ou bénévoles, a suscité l'admiration de tous. Dès l'apparition des premiers foyers, médecins urgentistes, infirmières en réanimation, agents des Ehpad, jeunes internes se sont tous mobilisés et ont été exposés à un risque, parfois élevé, de contamination. Afin d'assurer la permanence des services essentiels, enseignants, pompiers, caissiers, transporteurs, éboueurs - et j'en oublie - ont continué à travailler et nous les en remercions. Certains ont contracté la Covid.
Cette proposition de loi veut répondre à cette problématique par une réparation intégrale pour ceux qui avaient été en contact régulier avec des malades, la création d'un fonds d'indemnisation.
Cette initiative est louable, mais elle créerait un précédent majeur alors que nous manquons de connaissances sur le processus de contamination. La proposition de loi prévoit que le fonds soit adossé à l'Oniam. Mais la réparation par cet organisme suppose que soient en cause des accidents médicaux imputables à des activités de prévention, de diagnostic ou de soins. La Covid n'est pas concernée.
Le Gouvernement, par la voix d'Olivier Véran, a annoncé une indemnisation au titre de la maladie professionnelle, automatiquement pour les soignants, dont les professionnels libéraux bénéficieraient aussi. Pour les autres travailleurs cités précédemment, qui auraient pu être contaminés sur le lieu de travail, il s'agira de permettre une indemnisation au titre de la maladie professionnelle sans que celle-ci ne soit automatique.
Ce dispositif sera mis en oeuvre au plus vite par décret - c'est l'essentiel. C'est pourquoi le groupe LaREM votera contre ce texte.
Mme Michelle Gréaume . - La Covid a mis en lumière les héros en blouses blanches, applaudis tous les soirs, dont un grand nombre a été contaminé. Au 11 juin, 30 675 cas ont été signalés dans les établissements de santé ; 84 % étaient professionnels de santé, 10 % non-soignants.
Certains en ont gardé des séquelles et seize sont décédés pour essayer de sauver la vie des autres. Veillons à ce que leur sacrifice ne soit pas oublié, notamment dans le Ségur de la santé. Il y a eu plus de 30 000 malades dans les professions de santé, dont 29 % des infirmiers et 24 % d'aides-soignants. Lorsque le pays rendra hommage aux victimes, il faudra citer les seize soignants hospitaliers, mais aussi les pompiers, les policiers, postiers, caissiers, égoutiers, éboueurs, livreurs et intérimaires envoyés sans protection sanitaire, ni formation aux gestes de sécurité, que ce soit chez Amazon ou sur les plateformes logistiques.
Certains géants du numérique ont profité de la pandémie sans offrir de protection à leurs salariés. Les mettre à contribution est tout à fait pertinent.
L'enjeu de cette proposition de loi est d'indemniser toutes les victimes du fait de leur activité. Le cadre de la maladie professionnelle n'est pas adapté.
Ce texte cherche à trouver une solution à une maladie exceptionnelle pour laquelle notre système actuel de réparation des maladies professionnelles ne semble pas adapté.
L'absence de tests au début de la pandémie rend difficile l'établissement du lien direct entre l'activité professionnelle et la contamination.
Cette proposition de loi socialiste est bienvenue mais elle doit être complétée pour que le système soit opérationnel. Ce fonds doit être complémentaire à la demande de reconnaissance de la Covid-19 comme maladie professionnelle, revendication portée par l'ensemble des organisations syndicales et par les associations de victimes.
J'ai ici un courrier de l'association Covid-19 du Grand-Est, du comité de défense des travailleurs frontaliers de Moselle, de l'association Adevat-AVP et du docteur Lucien Privet, demandant l'inscription de cette pathologie au tableau 76 des maladies professionnelles au motif que sinon, la reconnaissance comme maladie professionnelle est quasiment « mission impossible ». Notre groupe l'avait prévu dans un amendement, mais il a été déclaré irrecevable au titre de l'article 40, ce que je regrette.
Nous aurions préféré adosser le fonds d'indemnisation au FIVA, où siègent des représentants des malades. L'Oniam, qui accorde une place très minoritaire aux organisations syndicales, est loin d'être paritaire.
Le patronat se plaint beaucoup du coût de la branche AT-MP. Il ne faudrait pas envoyer un signal de déresponsabilisation. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SOCR)
M. Daniel Chasseing . - Merci à Mme Jasmin pour sa proposition de loi et Mme Féret, rapporteure. Deux doctrines coexistent : le Gouvernement a fait le choix d'opter pour une reconnaissance de la Covid come maladie professionnelle pour les soignants, quel que soit le lieu d'activité, à l'hôpital, en ville ou dans les Ehpad.
Nous saluons cette annonce mais comprenons les critiques. Les soignants n'étaient pas seuls à prendre des risques. Les pompiers, caissiers, agents de propreté, livreurs, enseignants, ambulanciers, pour ne citer qu'eux, ont aussi continué leur activité.
Cette mesure, approuvée par l'Académie de médecine, vise les personnes travaillant pour le fonctionnement indispensable du pays qui n'étaient pas en mesure de respecter les règles de distanciation sociale. Cette proposition de loi vise les personnes qui ont pris des risques dans des conditions de protection dégradées.
Cette reconnaissance existe pour les cas de cancers dus à l'amiante : la reconnaissance comme maladie professionnelle permet une prise en charge des soins à 100 %, et une indemnité en cas d'incapacité temporaire ou permanente de travail. Son financement st assis sur des cotisations des entreprises à la branche AT-MP, proportionnelles à leur sinistralité.
Avec le décret, il n'est plus nécessaire de créer un fonds spécialisé, d'autant plus que le lien entre activité et contamination est souvent difficile à identifier.
Il y a eu des clusters après le confinement, notamment dans les abattoirs.
Mon groupe est favorable à l'indemnisation des personnes ayant été exposées de par leur activité. Mais si le décret les prend en compte, la proposition de loi généreuse du groupe socialiste n'est pas l'instrument adéquat.
Le groupe Les Indépendants ne soutiendra donc pas cette proposition de loi.
Mme Michelle Meunier . - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) Nous souhaitons réparer une injustice, la non-reconnaissance du préjudice subi par ceux qui ont continué à travailler et ont été infectés par la Covid, alors que les autres se confinaient.
Les travaux du député de Martinique Serge Letchimy sur la chlrodécone, ceux de Yannick Vaugrenard sur l'amiante, ceux de Nelly Tocqueville sur les catastrophes naturelles, Nicole Bonnefoy sur les pesticides nous rappellent que le chemin de la reconnaissance des maladies professionnelles est âpre et long, depuis que Martin Nadaud, le député-ouvrier républicain socialiste a instauré, entre 1880 et 1898, une protection législative contre les accidents du travail. Il est long car il rééquilibre le rapport de force, souvent en défaveur des victimes, qui sont souvent oubliées.
Le Gouvernement a annoncé l'indemnisation des soignants. Mais outre que le dispositif tarde à être mis en place, il est trop limité. D'autres ont été exposés : hôtes et hôtesses de caisse, à qui nous avons marqué, par un sourire masqué, notre soutien, les éboueurs, les conductrices et conducteurs de transports en commun, camionneurs, les forces de l'ordre, de sécurité, les agents pénitentiaires, qui ont enchaîné les quatorzaines, les travailleuses sociales intervenant auprès des femmes victimes de violences, les animateurs et animatrices qui ont accueilli les enfants des soignants sans pouvoir proposer d'activité éducative collective, les employés funéraires qui affrontaient l'incompréhension des familles.
Il a fallu toute une Nation pour faire face. Après de longues semaines d'épuisement, certains ont guéri, d'autres sont décédés. Ce sont des victimes, comme leurs proches.
Certes, ils étaient en seconde ligne, mais souvent les premiers de corvées.
Cette proposition de loi de Victoire Jasmin a été construite avec le soutien des associations l'Andeva, Coronavictimes, la Fnath, qui nous ont apporté leur expertise, mais aussi la CFDT, FO et la CGC dont le regard acéré nous a aidés à éviter les écueils de la réglementation actuelle sur les AT-MP.
Depuis le dépôt de la proposition de loi, nous avons adapté le dispositif, notamment pour trois amendements que nous vous proposons.
La période retenue cible les risques que nous avons retenus.
Si de nombreux Français ont pu bénéficier de travail à domicile, l'exposition au risque des autres doit devenir une présomption irréfragable.
Nous proposons une contribution de la solidarité nationale et de la branche AT-MP, qui est excédentaire, comme nous l'a fait remarquer la Fnath. Le groupe Les Républicains a rejeté nos amendements en commission, ce que je déplore, mais a choisi une abstention constructive sur l'ensemble du texte, ce dont je le remercie.
Il n'est jamais trop tard...
La réponse gouvernementale, fragmentée, est loin de satisfaire les professionnels de santé. Elle crée une différence de traitement. Faute de décret, les professionnels libéraux ne cotisant pas à l'assurance complémentaire ne seront pas indemnisés.
Cette proposition de loi apporte une réponse claire et ambitieuse. Elle se poursuivra à l'Assemblée nationale et enrichira les travaux de nos collègues députés.
Ce dispositif d'indemnisation n'a pas vocation à répondre à tous les besoins, mais il vise large et ne fait pas de tri. C'est notre fierté. (Applaudissements à gauche)
La discussion générale est close.
Discussion des articles
ARTICLE PREMIER
Mme la présidente. - Amendement n°1, présenté par M. Daudigny et les membres du groupe socialiste et républicain.
Alinéa 2
Rédiger ainsi cet alinéa :
1° Les personnes souffrant d'une maladie consécutive à la contamination par le virus responsable de la covid-19 et qui, préalablement à cette contamination, ont exercé une activité professionnelle ou bénévole les ayant exposées à un risque de contamination par ce virus pendant la période du 16 mars 2020 à la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire déclaré en application de l'article 4 de la loi n°2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19. La liste des activités professionnelles ou bénévoles susceptibles d'avoir exposé, pendant cette période, des personnes à un risque de contamination par le virus responsable de la covid-19 et les critères permettant de présumer avec une assurance raisonnable que cette contamination a été acquise à l'occasion d'une activité professionnelle ou bénévole, notamment la durée d'exposition au risque de contamination et, le cas échéant, la liste des travaux exposant à ce risque, sont définis par décret en Conseil d'État, pris au plus tard le 31 décembre 2020. Cette liste et ces critères sont révisés en fonction de l'évolution de l'état des connaissances scientifiques. Les activités professionnelles ou bénévoles inscrites sur cette liste ne sauraient être limitées aux seules activités exercées en milieu de soins et leur définition tient compte du maintien en activité, pendant la durée de l'état d'urgence sanitaire déclaré en application de l'article 4 de la loi n°2020-290 du 23 mars 2020 précitée, d'opérateurs publics ou privés ayant trait à la production et la distribution de biens ou de services indispensables à la continuité de la vie de la nation ;
M. Yves Daudigny. - Les critères d'éligibilité prévus par l'article premier ne sont pas opérationnels en pratique, car il est impossible d'établir la réalité de contacts réguliers avec des personnes ou objets contaminés. Ils seraient source de différence de traitement et donc de contentieux.
Posons donc les conditions d'une présomption irréfragable de contamination par le virus en milieu professionnel ou bénévole en prévoyant le principe d'une liste d'activités ayant exposé à un risque de contamination, définie par décret et qui ne saurait se limiter aux seules activités soignantes.
Il faut aussi définir des critères objectivables permettant de présumer avec une assurance raisonnable d'une contamination en milieu professionnel ou bénévole, définis par décret.
On pourra ainsi organiser une procédure d'accès facilité à une indemnisation sans que les victimes apportent la preuve de contacts réguliers avec des personnes ou objets contaminés, matériellement impossible. Ce décret devrait être pris au plus tard le 31 décembre 2020. Il circonscrit la proposition de loi du 14 mars 2020 au 10 juillet 2020.
Mme Corinne Féret, rapporteure. - Cet amendement reprend une de mes propositions. La commission a cependant émis un avis défavorable.
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État. - Avis défavorable comme je suis opposé à la proposition de loi, même si l'amendement la modifie de manière intéressante.
Madame Gréaume, le Gouvernement inscrira bien sûr le Covid-19 dans le tableau des maladies professionnelles. Sur ce point au moins, vous serez satisfaits.
Monsieur Chasseing, la période de recours automatique pour les soignants ne sera pas limitée.
Madame Guillotin, les professionnels libéraux, même ceux ne cotisant pas, sont bien concernés par le dispositif de prise en charge.
M. Jacques Bigot. - Je voterai cet amendement à une réserve près. Peut-on faire confiance au Gouvernement qui confond maladies professionnelles et fonds d'indemnisation sur un risque ? Les Français ont été protégés par le confinement, sauf certains qui ont dû aller travailler.
Les élus locaux sont aussi restés en activité et ont pu être contaminés. On ne peut pas réduire l'indemnisation à la question des maladies professionnelles. Quand certains sont protégés et que d'autres sont obligés de s'investir, il faut avoir un fonds d'indemnisation.
Votre Gouvernement, féru d'ubérisation, pense-t-il à ces jeunes qui ont livré des commandes et qui ne sont pas couverts ?
Face à la Covid, il faut de la solidarité. Elle est nécessaire à l'égard des victimes, pour lesquelles nous espérons que les séquelles seront les plus faibles possible. Je remercie Victoire Jasmin et voterai cet amendement. La présomption irréfragable est indispensable. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)
L'amendement n°1 n'est pas adopté.
L'article premier n'est pas adopté.
Les articles 2, 3, 4, 5 et 6 ne sont pas adoptés.
ARTICLE 7
Mme la présidente. - Amendement n°2, présenté par M. Daudigny et les membres du groupe socialiste et républicain.
Après l'alinéa 2
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
...° Une contribution de l'État prenant la forme d'une affectation de recettes dans des conditions et montants fixés chaque année par la loi de finances ;
M. Yves Daudigny. - Les difficultés rencontrées dans la mise à disposition de masques plaident pour une participation de l'État au financement du fonds d'indemnisation des victimes de la Covid-19. Cette contribution prendrait la forme d'une affectation de recettes dans des conditions et montants fixés chaque année par la loi de finances.
Mme Corinne Féret, rapporteure. - J'avais déposé cet amendement en commission, qui lui a opposé un avis défavorable.
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État. - Avis défavorable. L'État participera bien, comme employeur, à l'indemnisation des maladies professionnelles. Il prendra aussi toute sa part envers les professionnels libéraux qui ne cotisent pas au système AT-MP.
M. Jacques Bigot. - « Les plus désespérés sont les chants les plus beaux » : à voir ce refus de solidarité de la part du Gouvernement et de la majorité sénatoriale, et l'absence de proposition alternative, nous ne pouvons qu'être fiers de porter cette valeur. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains) Parler de liberté, égalité, fraternité et rejeter ce fonds, c'est contradictoire. Soyons fiers de ce chant désespéré. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE)
L'amendement n°2 n'est pas adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°3, présenté par M. Daudigny et les membres du groupe socialiste et républicain.
Alinéa 3
Rédiger ainsi cet alinéa :
2° Une contribution, dont le montant est défini selon des modalités fixées par décret, de la branche Accidents du travail et maladies professionnelles du régime général de la sécurité sociale ;
M. Yves Daudigny. - L'affectation d'une recette exclusive des régimes obligatoires de base de sécurité sociale ne peut résulter que d'une loi de financement de la sécurité sociale. Le troisième alinéa de l'article 7 de la proposition de loi est donc irrecevable.
Cet amendement réécrit cette disposition en prévoyant que le financement du fonds sera en partie assis sur une contribution de la branche AT-MP. Idéalement, il conviendrait que cette contribution soit prélevée sur les excédents cumulés depuis 2013 par la branche, afin d'éviter qu'elle n'entraîne une augmentation de la part mutualisée des cotisations AT-MP.
Mme Corinne Féret, rapporteure. - La commission a émis un avis défavorable.
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État. - Avis défavorable. J'entends le propos de M. Daudigny sur la solidarité mais la branche AT-MP est un bien commun. Nous pouvons tous lui faire confiance pour reconnaître l'ensemble des Français ayant contracté la maladie.
M. Marc Laménie. - Je n'avais pas prévu initialement d'intervenir. La situation actuelle est très difficile. Ce texte a sa crédibilité et sa légitimité. N'oublions pas les finances publiques ni le budget de la sécurité sociale. On parle souvent des excédents de la branche AT-MP mais elle est en situation très difficile à la suite de la crise sanitaire.
Cette solidarité, tout le monde l'a eue, à tous les niveaux. Nous avons pu mesurer l'engagement de tous les professionnels soignants, bénévoles, élus, salariés...
Ce n'est pas parce que la commission et le Gouvernement émettent un avis défavorable qu'ils ne sont pas sensibles à la solidarité.
Il faut aussi faire attention aux finances publiques. Nul n'ignore l'aspect humain. Je suivrai l'avis de la commission. (Marques d'approbation sur les travées du groupe Les Républicains)
L'amendement n°3 n'est pas adopté.
L'article 7 n'est pas adopté, non plus que l'article 8.
ARTICLE 9
Mme la présidente. - Si cet article n'est pas adopté, il n'y aurait plus lieu de voter sur la proposition de loi, et donc pas d'explication de votes.
M. Bernard Jomier . - Merci de ce rappel utile de procédure. Cette discussion est un peu triste. À situation exceptionnelle, il n'y a pas forcément lieu d'apporter une réponse exceptionnelle. Mais les conséquences sociales et économiques de cette crise sont tout à fait exceptionnelles, et les réponses apportées sont insuffisantes par rapport aux victimes.
Depuis trois ans, toutes nos propositions sénatoriales pour améliorer le régime AT-MP ont été rejetées par le Gouvernement, alors que le tableau de maladies professionnelles, qui date, doit être revu en urgence et refondé dans ses principes.
Il a fallu que le Covid arrive pour que l'on prenne en compte ces insuffisances.
Bien sûr, cette proposition de loi est imparfaite mais elle mérite de poser le débat. À quoi sert la navette parlementaire sinon à améliorer les textes ?
Vous ne répondez qu'aux soignants ; aux autres, c'est « circulez, il n'y a rien à voir ». Nous devons répondre à tous les citoyens. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE)
Mme Victoire Jasmin . - Je remercie tous ceux qui ont apporté leur contribution. J'ai une pensée pour tous ceux qui sont décédés et tous ceux qui ont perdu l'un des leurs.
J'ai tenté d'oeuvrer pour toutes ces familles. Elles attendent que ce que nous leur donnons aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE)
À la demande du groupe socialiste et républicain, l'article 9 est mis aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°126 :
Nombre de votants | 338 |
Nombre de suffrages exprimés | 338 |
Pour l'adoption | 86 |
Contre | 252 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Mme la présidente. - Un vote sur l'ensemble du texte n'est plus nécessaire.
La proposition de loi n'est pas adoptée.
La séance est suspendue à 12 h 25.
présidence de M. Philippe Dallier, vice-président
La séance reprend à 14 h 30.
Décès d'un ancien sénateur
M. le président. - J'ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Patrice Gélard, qui fut sénateur de la Seine-Maritime de 1995 à 2014.
Un hommage lui sera rendu ultérieurement par le président du Sénat.
Exploitation commerciale de l'image d'enfants sur les plateformes en ligne
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à encadrer l'exploitation commerciale de l'image d'enfants de moins de seize ans sur les plateformes en ligne.
Discussion générale
M. Franck Riester, ministre de la culture . - J'ai bien connu le sénateur Gélard et je suis ému d'apprendre cette triste nouvelle. J'ai une pensée pour toute sa famille.
Le numérique apporte son lot d'opportunités nouvelles. Cela s'est vérifié au cours des derniers mois. La crise sanitaire nous a obligés à réinventer notre rapport à la culture, à l'éducation, nos modes de travail. Le numérique nous a permis de continuer à vivre !
Mais il apporte également son lot de risques : on l'a vu par exemple avec la recrudescence, pendant la crise, de la pornodivulgation sur Snapchat. Nous avons la responsabilité de faire respecter les règles par tous, avec pragmatisme, ambition et résolution, au besoin en les adaptant.
Internet n'est pas un espace de non droit. Nous ne pouvons pas ne rien faire alors que notre société est accaparée par certains acteurs étrangers. C'était l'ambition des lois sur les fausses informations, sur les droits voisins. Sur ce sujet, vous avez anticipé la directive européenne qui sera bientôt entièrement transposée.
Cette proposition de loi étend au numérique une protection déjà existante pour les enfants du spectacle et les enfants mannequins. Le Président de la République avait du reste évoqué la protection des enfants dans l'espace numérique lors de son discours à l'Unesco le 20 novembre 2019. C'est une priorité du Gouvernement. La directive Services des médias audiovisuels, qui impose aux plateformes des mesures contre l'accès des mineurs aux contenus qui leur sont préjudiciables, sera transposée rapidement.
La proposition de loi de Bérangère Couillard, que vous avez adoptée voici deux semaines à l'unanimité, et qui a le soutien du Gouvernement, va dans ce sens : elle précise dans le droit que déclarer son âge en ligne n'est pas suffisant pour protéger les mineurs. Le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) devra contrôler que les plateformes vérifient l'âge des mineurs ; un comité de suivi a été mis en place pour encourager le recours au contrôle parental sur les terminaux - avec une obligation de résultat dans les six mois.
Je salue l'engagement de Roch-Olivier Maistre et Sébastien Soriano, présidents du CSA et de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep). Cette coopération entre régulateurs est indispensable. Pour protéger, il faut s'unir.
Il faut s'unir au niveau européen. Face aux géants du numérique, nous ne sommes crédibles qu'à l'échelle européenne. La Commission européenne vient de lancer une consultation sur le Digital services Act. C'est l'opportunité de porter la vision française ambitieuse sur la régulation des plateformes. Je suis mobilisé avec Cédric O sur le sujet.
Je remercie Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, pour son engagement personnel sur la souveraineté numérique. Il nous sera utile, pour garantir la régulation européenne de demain - souple mais exigeante.
Nous nous sommes fixés des objectifs. Le monde numérique change très rapidement, nous laissons les opérateurs déterminer les bonnes solutions, tout en donnant aux régulateurs les moyens de contrôle et de sanction appropriés.
Le présent texte porte sur une autre question : il ne protège pas les enfants spectateurs mais les enfants acteurs. Ces vidéos se sont multipliées, sur TikTok, Twitch ou Vine par exemple. Ce sont des espaces de liberté, d'expression des talents, mais aussi de monétisation des contenus et une source de rémunération pour ceux que l'on appelle les influenceurs.
Sur un nombre croissant de chaînes, on trouve les enfants mis en scène, avec leurs parents à la manoeuvre qui imposent le rythme de tournage et qui récupèrent la rémunération. Le risque pour l'enfant est évident.
Cette proposition de loi de Bruno Studer, président de la commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale, vise à mieux protéger les enfants influenceurs, et à mieux encadrer, en faisant entrer cette activité dans le droit commun du code du travail, et, quand il ne s'agit pas de salariat, en créant un régime déclaratif lorsque les vidéos sont nombreuses et le revenu important. Il faut associer les plateformes à ce combat, mobiliser les parents sur la réglementation et lutter contre les abus.
Il faut aussi faire valoir le droit à l'oubli de l'enfant, sans qu'il soit besoin de l'autorisation des parents.
Je remercie l'auteur de la proposition de loi et le rapporteur au Sénat. C'est pur plaisir de travailler avec vous, monsieur Hugonet, comme nous l'avons fait sur le projet de loi de création du Centre national de la musique.
C'est un texte nécessaire et même indispensable.
Le Gouvernement a déposé deux amendements, un rédactionnel, un relatif aux annonceurs.
Cette proposition de loi cependant n'est pas suffisante. Il faut lutter contre l'exposition précoce des enfants aux écrans, et mobiliser les services de l'État sur la protection de l'enfance. Tout le Gouvernement est mobilisé. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)
M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication . - Cette proposition de loi est à la convergence de deux sujets, dont la protection des mineurs. Le travail des enfants est interdit depuis 1874. L'oeuvre de Victor Hugo ou celle de Charles Dickens ont contribué à l'éveil des consciences.
Par dérogation, les enfants du spectacle et du mannequinat peuvent travailler - de manière soigneusement encadrée, l'enfance devant rester le temps de l'insouciance.
Si la révolution numérique a ouvert de nouveaux espaces de créativité ou de liberté, elle a aussi engendré des formes d'exploitations insidieuses, tant elles semblent innocentes et ludiques.
Les chaînes se multiplient où les enfants sont mis en scène par leurs parents dans des vidéos partagées en ligne. Certains ont plusieurs millions d'abonnés et des dizaines de millions de vues, ce qui peut constituer une source importante de revenus. Comment croire à la fiction de vidéos tournées sur le vif, sans pression des parents ? Parfois, elles rapportent plusieurs dizaines de milliers d'euros par mois. Comment croire que l'équilibre des enfants est préservé ?
Or il n'existe aucun cadre pour protéger les enfants youtubers quant au temps de tournage et au partage des bénéfices.
La proposition de loi du député Studer, présent aujourd'hui en tribune et que je salue, a été adoptée à l'unanimité par les députés. Internet ne saurait être un espace sans foi ni loi. Mais le législateur doit concilier sauvegarde des libertés publiques, dont la liberté de communication, et la protection du vivre ensemble, et la protection des plus vulnérables.
La récente décision du Conseil constitutionnel sur la proposition de loi Avia pour lutter contre la haine en ligne a montré que nous cheminons sur une ligne de crête et que nous avons intérêt à écouter les sages préconisations du président de notre commission des lois, Philippe Bas, en cette matière comme bien d'autres. (Marques d'assentiment sur les travées du groupe Les Républicains)
Cette proposition de loi prend en compte la nature mouvante de l'espace numérique, la diversité des pratiques, et distingue vidéos professionnelles, vidéos amateurs et celles qui se trouvent dans une zone grise entre travail et loisir. Plusieurs régimes juridiques sont donc définis.
Les mineurs pourront exercer le droit à l'oubli sans l'accord de leurs représentants légaux.
Chaque acteur est placé devant ses responsabilités. Les parents sont les premiers responsables de la sauvegarde et du bien-être de leurs enfants. Or ils sont trop nombreux à ne pas être encore conscients des risques pour leurs enfants. Il convient de mieux éduquer la société et je salue l'excellente initiative de Sylvie Robert qui propose par un amendement d'élargir l'obligation de sensibilisation des plateformes aux mineurs eux-mêmes.
Mme Catherine Deroche et M. Stéphane Piednoir. - Très bien.
M. Franck Riester, ministre. - Les plateformes auront l'obligation d'adopter des chartes sous le contrôle du Conseil supérieur de l'audiovisuel, pour mettre en place des procédures de signalement des contenus portant atteinte à la dignité ou l'intégrité d'un mineur.
Si ce texte concerne peu d'enfants, il a une portée symbolique : car combien de parents ou d'enfants rêvent au succès des auteurs et acteurs de ces vidéos ?
La commission de la culture a veillé à la qualité rédactionnelle du texte et à mieux protéger les mineurs. Il nous a semblé important de veiller à la transparence financière des revenus acquis. Je remercie M. Laurent Lafon de ses amendements.
Cette proposition de loi n'est pas parfaite, et ne répond pas totalement au problème. Des interrogations se sont exprimées sur l'effectivité des nouvelles dispositions : la jurisprudence affinera au fur et à mesure les distinctions entre les différents régimes juridiques.
Mais cette proposition de loi est la solution la plus convaincante. Là où régnaient le vide et le silence, elle installe un cadre pionnier, qui se veut équilibré et protecteur. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, UC et Les Républicains)
Mme Sylvie Robert . - Depuis plusieurs années, le Parlement réfléchit et légifère sur le rapport entre mineurs et exposition aux écrans. Ce fut le cas lors du vote des propositions de loi relatives à la suppression de la publicité dans les programmes jeunesse ou à l'exposition précoce aux écrans sur les plateformes comme YouTube.
Les différents textes se rejoignent pour mieux protéger les enfants et réguler les usages.
L'entrée dans la troisième révolution industrielle est allée de pair avec de nouveaux enjeux : protection des données, séparation entre vie professionnelle et vie privée, éducation au numérique. La protection des mineurs est également un défi, et l'arsenal juridique est encore modeste.
L'ordre juridique interne évolue cependant, octroyant des lois aux mineurs, comme l'article 56 de la loi de 2016 pour une République numérique. L'article 5 de la proposition de loi confère aux mineurs un droit à l'oubli sans consultation des parents. Nous sommes ainsi entrés dans une phase de régulation pour renforcer les droits des personnes.
Cette proposition de loi comble un vide juridique concernant une pratique de plus en plus courante. En créant deux régimes, en distinguant pratique professionnelle et pratique semi-professionnelle, nous réservons à l'enfant un juste retour des bénéfices.
Ce texte porte aussi sur l'information des parents et du public. Ils prendront conscience des risques psychologiques et de l'attention à porter à la dignité physique et morale des enfants.
Cette responsabilisation essentielle, étrangement, ne s'adresse pas aux premiers concernés, les mineurs. C'est pourquoi nous voulons les alerter sur leurs droits et sur les risques, en les accompagnant directement. Certains mineurs sont eux-mêmes auteurs et producteurs de vidéos, sans avoir une réelle appréhension des risques. L'article 5 porte sur l'effacement des données personnelles. Sur les plateformes avec des vidéos temporaires comme TikTok, l'absence de visibilité des contenus ne signifie pas leur effacement.
Nous devons porter l'accent sur la pédagogie. Elle doit être une priorité à l'école. Cette proposition de loi va dans le bon sens ; le groupe socialiste et républicain sera heureux de la voter. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)
Mme Mireille Jouve . - Depuis la diffusion d'internet au début des années 2000, son usage soulève de nouvelles problématiques. Une réponse concertée et coordonnée à l'échelle internationale ou au moins européenne est incontournable pour répondre aux dérives d'un phénomène qui se joue des frontières.
La majorité présidentielle a déjà entrepris d'y répondre, notamment sur la manipulation de l'information et la diffusion de contenus haineux.
Dans le premier cas, le Sénat a considéré que les ajouts de l'Assemblée nationale pouvaient avoir des effets pernicieux ; dans le second, c'est le Conseil constitutionnel qui a jugé la réponse ni adaptée ni proportionnée.
Avec ce texte, nous sommes invités à réfléchir à l'exploitation commerciale des enfants de moins de 16 ans, en général par leur famille, avec des ambitions artistiques limitées mais des revenus significatifs.
Les conséquences psychologiques peuvent être lourdes à long terme. Le groupe RDSE partage l'ambition de ce texte : la prévention et l'éducation pour encourager une utilisation plus modérée d'internet. Nous saluons donc l'initiative du président Studer qui opère un distinguo entre vidéos professionnelles, semi-professionnelles et amateurs, avec des régimes juridiques différents.
Notre rapporteur, par des précisions opportunes, a renforcé l'opérabilité de cette proposition de loi. Dans l'attente d'une réponse internationale concertée, on peut être réservé sur la portée de ce texte qui est néanmoins équilibré, au contraire d'autres initiatives du groupe LaREM en la matière.
Le groupe RDSE votera cette proposition de loi.
M. André Gattolin . - Je salue la présence de Bruno Studer, auteur de cette proposition de loi, et je remercie notre collègue et ami Hugonet, qui a conduit un travail très constructif. C'est la preuve du caractère transpartisan de ce texte.
La soumission à la mode d'un jour - qui perdure jusqu'à devenir le symbole d'une génération - ne saurait nous faire oublier la « cause des enfants », pour reprendre l'expression de Françoise Dolto.
Il y a quelques années des chaînes de vidéos d'enfants filmés presque quotidiennement par leurs parents, dont le célèbre Ryan Kaji, sont apparues sur internet.
Des vidéos de parents jetant du fromage à la tête de bébés sont devenues virales. Cela, d'ailleurs, n'était qu'une mise au - mauvais - goût du jour de l'émission américaine transposée en France sous le nom de Vidéo Gag.
« Ce qui fut sera, ce qui a été fait se refera, et il n'y a rien de nouveau sous le soleil », dit l'Ecclésiaste. J'aurais pu citer les principes d'éducation de Krishnamurti, mais j'aurais eu moins de succès dans cet hémicycle.
Le législateur est dans son rôle en mettant en lumière des situations de travail inconnues de nos concitoyens, en plaçant les plateformes face à leurs responsabilités, en instaurant un droit à l'oubli pour ces enfants, en votant en 2016 ma proposition de loi contre la publicité dans les programmes jeunesse.
Il est dans l'esprit de la République de protéger les plus fragiles et de montrer la voie à suivre aux autres pays. La France est le premier pays du monde, en effet, à s'emparer du sujet.
J'entends dire que ce n'est pas assez, que les sanctions sont insuffisantes ; mais nous ne réglerons pas tous les problèmes liés au numérique d'un coup. Soyons fiers de ce texte innovant, première pierre, espérons-le, d'un édifice à bâtir ensemble.
Mon groupe et moi-même vous invitons à voter l'ensemble des amendements et cette proposition de loi dans sa totalité. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM ; Mme Dominique Vérien applaudit également.)
Mme Christine Herzog . - En légiférant sur les enfants youtubers ou influenceurs, le Parlement comble un vide juridique qui les expose à des abus, y compris de la part de leurs parents qui n'en mesurent pas la portée.
Les cas de cyber harcèlements, de suicides d'adolescents causés par la puissance des réseaux sociaux se multiplient ; le contrôle parental devient un combat quotidien, alors que de plus en plus de jeunes sont en décrochage scolaire du fait des excès d'exposition aux écrans. Les parents d'adolescents y sont tous confrontés, et bien démunis...
Je souscris donc à cette proposition de loi et à l'adaptation du droit à l'oubli pour les enfants, précisée par le Sénat. Je voterai ce texte.
Mme Céline Brulin . - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE) Ce texte comble le vide juridique autour de l'exploitation commerciale des enfants sur les plateformes. Nous saluons ce premier pas.
La transposition de la directive Services médias audiovisuels et le projet de loi - rétréci - sur l'audiovisuel nous mèneront plus loin, à la fois sur la protection des enfants et la rémunération des créateurs. Cela implique de redéfinir la fiscalité des Gafa et de YouTube pour alimenter le financement de la création.
Ce texte a pour ambition de défendre les droits de l'enfant en luttant contre l'exploitation - selon votre mot juste, monsieur le rapporteur - des enfants et en débusquant le travail déguisé dans des activités en apparence ludique comme le déballage de cadeaux ou la visite d'un parc d'attractions.
Il est légitime d'étendre le statut des enfants du spectacle aux enfants des plateformes, comme le fait l'article premier ; de mieux les protéger contre les conséquences psychologiques, comme le fait l'article 2.
Désociabilisation, déscolarisation, surmenage, voire dépression, impact des commentaires sur un esprit en formation, les effets peuvent être graves dans un monde où le succès repart aussi vite qu'il est arrivé. Cela aurait été un sujet pour cette délégation sénatoriale aux droits de l'enfant dont notre groupe souhaitait la création.
Certes, les contenus peuvent être ludiques ou éducatifs, mais en général c'est loin d'être le cas. C'est pourquoi, il est essentiel que le service public développe cette alternative ludique et culturelle. La disparition programmée de France 4 nous en éloigne malheureusement.
Le groupe CRCE votera ce texte, car il soutient pleinement l'effort que notre pays est le premier à consentir. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et LaREM)
Mme Colette Mélot . - Cette proposition de loi s'inscrit dans la lignée des efforts d'adaptation de notre législation à notre société : loi Avia, loi sur les droits voisins, sur la presse, toutes ajustent le cadre législatif à l'importance croissante du monde numérique.
Ces vidéos d'enfants youtubers se multiplient alors que leurs protagonistes ne peuvent y donner un consentement éclairé. Des pratiques de promotion de marques et de placement de produits pourraient être assimilées à du travail illicite d'enfants, voire à de la maltraitance.
Le Club des Cinq, Le Petite Prince, Matilda et Sophie sont supplantés par Swan et Néo, Kalys et Athena ou encore Josh et Jen. « La lecture est une porte ouverte sur un monde enchanté », disait François Mauriac. Des chercheurs voient émerger une génération sans repères ni discernement.
Ce texte, adopté à l'unanimité par l'Assemblée nationale, marque trois avancées importantes. L'article premier applique le régime juridique des enfants du spectacle aux enfants filmés sur ces plateformes. L'article 3 crée un statut intermédiaire, qui correspond à un cadre semi-professionnel, partageant les revenus au-delà d'une certaine durée d'activité. L'article 5 relatif au droit à l'oubli des mineurs est bienvenu.
Je remercie le président de la commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale pour sa présence. Je remercie le rapporteur de son travail, notamment sur l'article 2, avec la possibilité d'un déréférencement des vidéos illégales par le juge, sur demande de l'administration.
Notre groupe votera ce texte. (Applaudissements à droite et au banc de la commission)
Mme Dominique Vérien . - La chaîne YouTube Gabin et Lili, qui met en scène un frère et une soeur de moins de dix ans, compte plus de huit millions de vues et 800 000 abonnés, ce qui donne une idée des revenus générés. Huit millions, c'est autant que le nombre d'entrées du film ET.
Il s'agit bien, pour ces enfants, de prestations. Les dispositions dont bénéficient les enfants du cinéma, du théâtre, de la danse ou du mannequinat doivent être étendues à ces enfants qui, de surcroît, interagissent avec leurs followers.
Une jeune fille qui diffusait des chorégraphies sur TikTok a ainsi dû arrêter car elle était victime de harcèlement. Rappelons que les pédocriminels raffolent de ces vidéos et regardent Gulli en prison. YouTube s'est montré disposé, dans les auditions, à signaler le statut des mineurs filmés mais il faut un pouvoir d'injonction confié au CSA pour ceux qui renâclent.
Bien sûr, il faut agir au niveau européen pour être efficace. La route est longue, mais il faut l'emprunter. Pour autant, il y a beaucoup de dispositions utiles dans ce texte : statut semi-professionnel pour les enfants, système de déclaration, sécurisation des revenus pour les enfants qui les touchent à leur majorité, amélioration de l'information des parents.
Un enfant acteur ou danseur sera reconnu comme tel quel que soit le média où il se produit.
Le groupe UC votera sans réserve ce texte.
Mme Céline Boulay-Espéronnier . - Parfois la loi anticipe, parfois elle s'adapte. Dans le domaine du numérique, la législation a un grand retard sur l'innovation. YouTube, créé en 2005, a atteint le milliard d'utilisateurs en 2010, 2 milliards en 2020. Chaque minute, plus de 300 heures de vidéos sont mises en ligne et 6 milliards d'heures de vidéos sont vues chaque mois. Parmi les chaînes ayant généré le plus de revenus figurent celles de deux enfants de moins de huit ans : 44 millions de dollars sur un an à eux deux. Il s'agit donc bien d'une activité professionnelle à part entière.
Cette proposition de loi est donc une avancée indispensable pour encadrer l'exploitation commerciale de l'image des mineurs. Je salue le travail de Jean-Raymond Hugonet et de la commission.
L'article premier crée pour les moins de 16 ans un cadre légal à l'exercice de la profession d'influenceur sur l'ensemble des plateformes de diffusion. C'est une avancée dans la lutte contre le travail dissimulé des mineurs.
Les dispositions relatives à l'information des parents sur les droits de l'enfant, les modalités de réalisation des vidéos et les conséquences de l'exposition de son image sont essentielles et leur impact sera, je l'espère, appuyé par la nouvelle mission attribuée au CSA par l'article 4.
L'article 3 différencie l'usage professionnel et l'usage récréatif des plateformes.
L'article 5 précise que le droit à l'oubli s'applique même sans le consentement des titulaires de l'autorité parentale.
Ce texte est une avancée, mais il faudra aller plus loin. Avec Philippe Bas, j'ai déposé dès 2017 une proposition de loi définissant la notion de vie privée des mineurs, rendant responsables les parents en cas d'atteinte à la vie privée de leur enfant ou à celle d'un autre mineur commise par leur enfant.
Alors que la dictature de l'image devient omniprésente, que les troubles comportementaux et d'anxiété se multiplient avec le cyberharcèlement, la législation doit évoluer. Ce texte est bienvenu et nous le voterons. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
Mme Catherine Deroche . - Les chaînes mettant en scène des enfants sur les plateformes de partage de vidéos rencontrent un succès grandissant. Se pose la question du contenu, des heures de tournage, des revenus générés. La proposition de loi de Bruno Studer, que je salue, comble un vide juridique et crée un cadre légal protecteur pour les moins de 16 ans.
Je félicite Jean-Raymond Hugonet pour son rapport. L'article premier encadre la durée du travail des enfants et protège leurs revenus. L'article 2 oblige les plateformes à coopérer avec les autorités publiques.
L'article 5 autorise les mineurs à exercer eux-mêmes le droit à l'effacement, même en cas d'opposition de leurs représentants légaux.
L'article 4 oblige les plateformes à adopter des chartes favorisant le signalement par les utilisateurs de contenus qui porteraient atteinte à la dignité ou à l'intégrité physique ou morale des enfants et de travailler avec des associations de protection de l'enfance sur leur détection.
En 2019, notre mission commune d'information sur les infractions sexuelles sur mineurs a proposé plusieurs mesures, dont la création d'un observatoire des violences sexuelles et des campagnes de communication sur les risques et les canaux de signalements.
Poster sur internet une image d'un enfant - qu'on en soit le parent ou non - est engageant et peut s'avérer dangereux. Des millions de photos se retrouvent sur de sinistres sites à caractère pédophile. On connaît le rôle des réseaux sociaux dans le drame qu'est le suicide des jeunes.
Pour protéger nos enfants, il faut les sensibiliser aux dangers d'internet dès que possible. C'est aussi de la responsabilité des parents.
Ce texte, largement amélioré par la commission de la culture, va dans le bon sens, notre groupe le votera. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
La discussion générale est close.
Discussion des articles
ARTICLE PREMIER
M. le président. - Amendement n°5 rectifié, présenté par le Gouvernement.
Alinéa 28
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Est puni de la même peine le fait pour toute personne employant des enfants mentionnés au 5° de l'article L. 7124-1 de ne pas respecter l'obligation mentionnée au second alinéa de l'article L. 7124-9. »
M. Franck Riester, ministre. - Cet amendement rédactionnel précise que la sanction s'applique à toute personne qui ne respecterait pas l'obligation de versement des fonds à la Caisse des dépôts.
M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. - Avis favorable à cet amendement qui précise le volet répressif.
L'amendement n°5 rectifié est adopté.
L'article premier, modifié, est adopté.
L'article 2 est adopté.
ARTICLE 3
M. le président. - Amendement n°3 rectifié, présenté par le Gouvernement.
Alinéa 9, première phrase
1° Remplacer les mots :
La part des
par les mots :
Lorsque les
2° Remplacer les mots :
qui excède
par les mots :
excèdent, sur une période de temps donnée,
3° Remplacer les mots :
est versée
par les mots :
, les revenus perçus à compter de la date à laquelle ce seuil est dépassé sont versés sans délai
4° Remplacer les mots :
gérée
par le mot :
gérés
M. Franck Riester, ministre. - Cet amendement prévoit que, lorsque le seuil de revenus est dépassé sur une période donnée, les revenus directs et indirects tirés de la diffusion des vidéos perçus au-delà de ce seuil sont versés à la Caisse des dépôts.
M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. - Avis favorable.
L'amendement n°3 rectifié est adopté.
M. le président. - Amendement n°4, présenté par le Gouvernement.
Alinéa 10
Rédiger ainsi cet alinéa :
IV. - Tout annonceur qui effectue un placement de produit dans un programme audiovisuel diffusé sur une plateforme de partage de vidéos dont le sujet principal est un enfant de moins de seize ans est tenu de vérifier auprès de la personne responsable de la diffusion si celle-ci déclare être soumise à l'obligation mentionnée au III du présent article. En pareil cas, l'annonceur verse la somme due en contrepartie du placement de produit, minorée, le cas échéant, de la part déterminée en application de la troisième phrase du même III, à la Caisse des dépôts et consignations, qui est chargée de la gérer jusqu'à la majorité de l'enfant ou, le cas échéant, jusqu'à la date de son émancipation. Les dispositions de la deuxième phrase dudit III sont applicables. Le non-respect de l'obligation fixée à la deuxième phrase du présent IV est puni de 3 750 euros d'amende.
M. Franck Riester, ministre. - Cet amendement prévoit que les annonceurs doivent vérifier auprès des parents si, au regard de l'ensemble des revenus directs et indirects liés à la diffusion des vidéos, ce seuil est dépassé. C'est au regard de la déclaration des parents qu'ils seront ou non tenus de verser les fonds. Le montant de l'amende en cas de non-respect est aligné sur celui prévu dans le code du travail pour l'infraction correspondante.
M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. - C'est une bonne chose de se calquer sur le code du travail. Les annonceurs sont responsabilisés. Avis favorable.
Mme Céline Brulin. - Cette mesure ne s'applique qu'aux plateformes de vidéo, non de photos. En outre, l'amende passe de 75 000 euros à 3 500 euros. S'agissant d'enfants, je ne vois pas l'intérêt de se calquer sur le code du travail. Il me semble que nous manquons une occasion de cadrer les choses.
M. Franck Riester, ministre. - Ce texte concerne les vidéos. Le dispositif voté par l'Assemblée nationale, qui couvre un grand nombre de problématiques, est une réponse adaptée. Continuons à travailler ensemble sur le sujet des photos.
L'amendement n°4 est adopté.
L'article 3, modifié, est adopté.
ARTICLE 4
M. le président. - Amendement n°1, présenté par Mme S. Robert et les membres du groupe socialiste et républicain.
Après l'alinéa 2
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
...° De favoriser l'information et la sensibilisation, en lien avec des associations de protection de l'enfance, des mineurs de moins de seize ans sur les conséquences de la diffusion de leur image sur une plateforme de partage de vidéos, sur leur vie privée et en termes de risques psychologiques et juridiques et sur les moyens dont ils disposent pour protéger leurs droits, leur dignité et leur intégrité morale et physique ;
Mme Sylvie Robert. - L'information et la sensibilisation des mineurs eux-mêmes sur les conséquences de la diffusion de leur image demeurent un angle mort. Il est proposé que les chartes éditées par les plateformes abordent cette problématique essentielle.
M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. - Cet amendement, qui tient compte de nos échanges en commission, comporte une dimension pédagogique. Il ne faut pas que ces enfants considèrent ces vidéos comme le nirvana professionnel. Avis favorable.
M. Franck Riester, ministre. - Nous sommes en phase. Il est important de sensibiliser les mineurs sur les conséquences de la diffusion de leur image. Avis favorable.
L'amendement n°1 est adopté.
L'article 4, modifié, est adopté.
L'article 4 bis est adopté, ainsi que les articles 5, 7 et 8.
Interventions sur l'ensemble
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture . - Je salue le travail du rapporteur. Ce texte, comme d'autres propositions de loi émanant tant du Sénat que de l'Assemblée nationale, contribue à faire progresser la nécessaire régulation du numérique pour laquelle je milite depuis 2011. Mais c'est une ambition européenne qui permettra de résoudre structurellement la question. Je me réjouis que Thierry Breton s'en empare.
Le modèle économique du clic rémunérateur est pervers car il repose sur l'économie de l'attention : les plateformes ne font que capter les jeunes et les entraîner dans une voie délétère alors que leur responsabilité n'est toujours pas établie.
Comme mon homologue à l'Assemblée nationale, Bruno Studer, que je salue en tribunes, j'ai commis des rapports sur l'éducation au numérique. J'espère que l'Assemblée nationale adoptera rapidement notre proposition de loi visant à lutter contre la surexposition des enfants aux écrans : la boucle sera alors bouclée.
Mme Michelle Meunier . - J'avais pointé dès juin 2018 le vide juridique que ce texte vient combler. Il apporte une réponse adaptée au risque d'exploitation et de travail dissimulé des enfants. Je me réjouis donc de sa future adoption.
La proposition de loi modifiée est adoptée.
M. le président. - Belle unanimité. (Applaudissements)
La séance est suspendue pour quelques instants.
Echec en CMP
M. le président. - J'informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d'examiner les dispositions restant en discussion sur le projet de loi organisant la sortie de l'état d'urgence sanitaire n'est pas parvenue à un accord.
Statut de citoyen sauveteur
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture de la proposition de loi, adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, visant à créer le statut de citoyen sauveteur, lutter contre l'arrêt cardiaque et sensibiliser aux gestes qui sauvent.
Discussion générale
M. Laurent Nunez, secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur . - Cette proposition de loi dépasse les clivages partisans. Chaque année en France, 40 000 personnes sont emportées par un arrêt cardiaque. Je salue la qualité des débats tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat qui ont permis au texte de mûrir et remercie votre commission des lois pour son esprit de consensus qui l'a conduite à proposer une adoption conforme.
En France, seuls 3 % des victimes survivent à un arrêt cardiaque, contre 40 % dans certains pays scandinaves ou anglo-saxons, malgré la présence de témoins. Pourquoi ? À cause de l'ignorance des gestes qui sauvent. C'est pourquoi le Président de la République s'est engagé à ce que 80 % des Français soient formés d'ici dix ans à ces gestes. L'objectif est de porter le taux de survie à 10 %, ce qui sauverait 3 000 vies par an.
La principale disposition de ce texte est la création du statut de citoyen sauveteur, dont le champ et la portée ont été précisés au cours du débat. C'est un signal, une garantie, une protection supplémentaire pour tous ceux qui pratiqueraient les gestes de premier secours, en les exonérant de toute responsabilité civile, sauf en cas de faute lourde ou intentionnelle.
La formation à l'école est essentielle ; 80 % des élèves de 3e devaient recevoir cette année une formation aux premiers secours, et 100 % seront formés dès l'année prochaine. Le service national universel sera l'occasion de généraliser cette formation, qui doit être possible à tout âge, y compris en milieu professionnel.
La proposition de loi instaure une journée nationale de lutte contre l'arrêt cardiaque. Enfin, elle renforce les pouvoirs de contrôle du Parlement, et c'est une très bonne chose.
Le texte fait l'objet d'un consensus qu'il faut saluer. Le Parlement peut être satisfait de ce travail collectif que le Gouvernement appuiera bien entendu. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)
Mme Catherine Troendlé, rapporteur de la commission des lois . - Cette proposition de loi du député Colas-Roy a pour objet de faire baisser le taux de mortalité des arrêts cardiaques, très important en France. En première lecture, la commission des lois avait supprimé sept de ses douze articles, de nature réglementaire ou déjà satisfaits. Le superflu ôté, nous avions réécrit l'article premier relatif au régime de responsabilité civile et pénale du sauveteur. Nous avions autorisé à l'article 7 les personnels de santé à participer à la sensibilisation des citoyens au secourisme et, à l'article 11, aggravé les peines contre le vol ou la détérioration du matériel de secours.
Nous avions fait de ce texte un véhicule plus léger mais plus efficace. Notre démarche a manifestement été comprise par les députés, qui ont conservé la plupart des modifications que nous avions apportées. C'est un compromis acceptable qui permet de proposer l'adoption conforme.
À l'article premier, l'Assemblée nationale a réintroduit le terme de « citoyen », pourtant consubstantiel aux droits civils et politiques reconnus par le droit positif, et donc sans lien avec l'objet du texte. La commission des lois maintient sa position mais n'y voit pas une malfaçon rédhibitoire, d'autant que le rapport de l'Assemblée nationale clarifie la manière dont le terme doit être entendu.
Nous avions supprimé le détail des diligences à mettre en oeuvre, de peur de décourager les sauveteurs d'agir ; les députés l'ont réintroduit. Nous le regrettons, mais ce n'est pas un grief insurmontable.
Six articles ont été supprimés ou adoptés conformes dans leur version Sénat, mais quatre articles que nous avions supprimés ont été réintroduits. Les articles 2 et 4 sur la sensibilisation des élèves au secourisme et le droit à la formation en entreprises nous paraissaient de nature réglementaire. De même, je maintiens que la création à l'article 6 d'une journée de lutte contre l'arrêt cardiaque n'est pas du domaine de la loi. Les députés ont également réintroduit à l'article 12 bis une demande de rapport annuel...
C'est un prix raisonnable à payer pour le compromis trouvé avec l'Assemblée nationale. Je regrette néanmoins que la qualité de la loi soit la victime collatérale de l'accord que je vous propose. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
M. Jean-Luc Fichet . - La proposition de loi nous donne à nouveau l'opportunité de sensibiliser nos concitoyens aux gestes qui sauvent. Quelque 40 000 à 50 000 personnes décèdent chaque année d'un arrêt cardiaque, soit 120 personnes par jour. Un tiers d'entre elles ont moins de 60 ans.
Les chances de survie sont d'environ 4 % et diminuent rapidement : chaque minute qui passe, c'est 10 % de chances de survie en moins. L'arrivée des secours est très rapide - treize minutes en moyenne - mais l'intervention des personnes à proximité de la victime est cruciale pour espérer se rapprocher des 20 % à 40 % de taux de survie des pays anglo-saxons et scandinaves.
Il est possible de se former en quelques heures au massage cardiaque, à la mise en position latérale de sécurité ou au maniement d'un défibrillateur. Selon la Croix-Rouge, doubler le nombre de personnes formées permettrait de sauver 2 000 vies chaque année. Des applications ont été développées, comme SAUV Life ou Permis de sauver, qui permettent à des volontaires de porter assistance à des victimes à proximité immédiate, après avoir été géolocalisées par le SAMU et restant en contact avec les secours jusqu'à leur arrivée.
Nous devons former la population aux gestes qui sauvent dès le plus jeune âge.
Le texte issu de la navette est équilibré. En première lecture, le Sénat avait écarté des mesures d'ordre réglementaire. L'Assemblée nationale a tenu compte des apports du Sénat mais a réintroduit certaines mesures symboliques, sans nuire à l'efficacité du texte. Ainsi de l'expression « citoyen sauveteur », que je soutiens car elle porte la notion d'engagement et de fierté, d'appartenance à la communauté nationale.
Je souscris également au rétablissement de l'instauration d'une journée nationale de lutte contre l'arrêt cardiaque, et de la sensibilisation des élèves du second degré aux gestes qui sauvent. J'avais pour ma part proposé un module au sein de la Journée défense et citoyenneté. Je me félicite de ce continuum éducatif entre premier et second degré, et de la possibilité de remises à niveau régulières tout au long de la vie : c'est là que le sentiment d'appartenance à la communauté des citoyens sauveteurs prend tout son sens.
Le groupe SOCR votera bien évidemment ce texte en rappelant l'importance de mieux associer nos concitoyens à ces gestes essentiels qui permettent de sauver des vies. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)
M. Ronan Dantec . - Cette proposition de loi va dans le bon sens. Le taux de formation de la population française aux gestes qui sauvent est parmi les plus bas au monde, selon le rapport Pelloux-Faure de 2017. Pourtant, le citoyen est le premier maillon de la chaîne de secours. D'après la Fédération française de cardiologie, 92 % des arrêts cardiaques sont fatals alors que sept sur dix ont lieu devant témoins, car seulement 40 % des témoins prodiguent des gestes de premier secours. Et ce, malgré la loi du 28 juin 2018 de Jean-Pierre Decool imposant des défibrillateurs dans tous les lieux publics, car trop de gens hésitent à s'en servir, de peur d'aggraver les choses.
Le témoin ne doit pas être freiné par la peur des risques encourus si la victime décédait ou présentait des séquelles malgré son intervention. La création du statut de « citoyen sauveteur » modèle un régime de responsabilité favorable à l'intervention, ce qui encouragera l'initiative.
Je salue le travail de la commission des lois, dont l'Assemblée nationale a conservé la plupart des apports.
Il nous faut développer une culture commune du secourisme, qui sauve des vies mais renforce également le sentiment de citoyenneté et la cohésion de nos sociétés. La sensibilisation des élèves et le droit à la formation pour tout salarié mériteraient un plus large écho. Nous avons des marges de progrès. Il faut pouvoir être formé aux gestes qui sauvent à toutes les grandes étapes de la vie. Nous devons aussi rappeler les gestes à ceux qui les ont appris mais oubliés faute de pratique.
L'apprentissage de ces gestes a vocation à faire partie intégrante du bloc de compétences citoyennes
Se savoir en capacité de sauver quelqu'un est de nature à modifier notre rapport au monde et à l'autre. On s'interroge sur notre impact sur le monde et sur l'environnement. Derrière le massage cardiaque se tissent les fils de la citoyenneté. D'où l'intérêt d'y réfléchir avec l'Éducation nationale et de renforcer le bloc éducation civique à l'école.
Enfin, malgré l'engagement citoyen, il reste essentiel de conserver un service public de santé de proximité à la hauteur. Treize minutes pour l'intervention des secours, c'est remarquable - mais la moyenne cache une fracture territoriale. L'égalité des citoyens face aux premiers secours est un grand enjeu de cohésion.
Le groupe RDSE votera en faveur de ce texte.
M. Didier Rambaud . - Cette proposition de loi est particulièrement bienvenue. J'en salue l'auteur et remercie Catherine Troendlé pour son approche rigoureuse. L'arrêt cardiaque inopiné ne doit pas être perçu comme une fatalité. Le taux de survie de 5 % à 7 % est une injonction à agir. Le taux de formation aux gestes qui sauvent, de 30 %, est loin de l'objectif de 80 % fixé par le Président de la République.
La proposition de loi, fruit du compromis trouvé entre les deux chambres, favorise l'assistance réciproque qui fait sens dans notre pacte social. Elle sanctuarise un régime protecteur du citoyen bénévole qui est exonéré de toute responsabilité, compte tenu de l'urgence de la situation et des informations disponibles, sauf en cas de faute lourde ou intentionnelle. Cela garantit la sécurité juridique. Le terme de citoyen sauveteur indique qu'il accomplit un acte de civisme. Je remercie notre rapporteur de l'avoir accepté.
La sensibilisation aux gestes qui sauvent est un vecteur de solidarité. Face au risque d'arrêt cardiaque inopiné, chaque citoyen est un maillon de la chaîne de survie. Écoles, clubs sportifs ou entreprises doivent être des lieux d'apprentissage.
Je remercie notre rapporteur d'avoir accepté l'inscription dans la loi d'une journée nationale dédiée, qui vise à sensibiliser sur le sujet. Idem pour la demande de rapport.
À l'issue de son adoption conforme par la commission des lois, ce texte de loi, dont le Sénat a conforté l'assise juridique, encourage, désacralise, protège mieux. Le groupe LaREM le votera bien sûr.
Mme Éliane Assassi . - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE) Chaque année, 40 000 personnes meurent d'un arrêt cardiaque faute de soins immédiats. La majorité des malaises se produit devant témoins, mais à peine 20 % de ceux-ci pratiquent les gestes qui sauvent. Seulement 30 % des Français sont formés et beaucoup hésitent à utiliser un défibrillateur. Pourtant, les premières minutes sont décisives. Le taux de survie, après arrêt cardiaque, de 5 % à 7 % en France, est de 20 % à 40 % dans les pays nordiques et anglo-saxons. Le taux de formation de la population française est l'un des plus bas au monde ; il faudrait le porter à 80 %.
Nous partageons les objectifs consensuels de ce texte, et sommes attachés au terme de « citoyen sauveteur ». La navette aura eu raison de nombreux articles mais la commission des lois a su faire preuve de sagesse pour que ce texte soit adopté.
Néanmoins, pour atteindre l'objectif, il faudra impliquer de nombreux intervenants - enseignants, personnel de santé déjà surchargés. La survie dépend aussi de la fiabilité de toute la chaîne d'intervention, or nombre de ses maillons sont affaiblis : il manque 60 000 euros à 80 000 euros par caserne de sapeurs-pompiers, et les services d'urgence manifestent également.
Dans cette période de disette budgétaire, le concept de collaborateur bénévole occasionnel du service public ne manque pas de nous interpeller.
Rien n'est réglé pour le personnel hospitalier, et le « quoi qu'il en coûte » du Président de la République semble déjà loin. La situation reste extrêmement tendue. L'adoption de ce texte est un premier pas, à inscrire dans un Ségur de la santé qui ne devra pas se résumer à une simple opération de communication.
Mon groupe votera cette proposition de loi dont nous saluons la pertinence, malgré d'évidentes limites. (Applaudissements à gauche)
M. Jérôme Bignon . - En première lecture, le Sénat a amendé le texte et écarté les risques juridiques. Les citoyens doivent être encouragés à porter secours sans hésitation. Chaque minute qui passe réduit les chances de survie.
Je me suis moi-même engagé dans cette démarche via l'application SAUV Life, lancée en 2018, qui a déjà sauvé des dizaines de vies. Pendant une réunion au Sénat, j'ai été sollicité pour venir en aide à quelqu'un rue Madame, et suis arrivé en même temps que les pompiers mais avant le SAMU, sauf que la porte était fermée à double tour... Une deuxième fois, j'ai été mis en alerte avant d'être à nouveau averti que ma présence n'était plus nécessaire. D'autres applications existent, pour localiser le défibrillateur le plus proche notamment.
Le plus important, c'est la sensibilisation de nos concitoyens aux gestes qui sauvent. Là encore, le téléphone portable guide dans les gestes à accomplir.
La commission des lois a supprimé des articles de nature réglementaire ou qui faisaient doublon. Les apports du Sénat aux articles 5 et 7 sur la formation au secourisme sont intéressants. Chaque Français doit être conscient qu'il est l'acteur potentiel de la solidarité nationale. Cela participe d'une vision citoyenne de la solidarité.
Le groupe Les Indépendants votera ce texte sans hésiter.
M. Loïc Hervé . - Les accidents cardiaques sont l'une des plus importantes causes de mortalité, importantes et méconnues. Depuis un rapport à l'initiative de l'Académie nationale de médecine de 2018, il y a entre 40 000 à 50 000 décès annuels, soit quinze fois plus que le nombre de morts sur les routes.
Cette proposition de loi de Jean-Charles Colas-Roy est claire et louable. Elle vise à protéger les sauveteurs et mieux les former.
Aux États-Unis, au Canada, en Australie, en Finlande et en Allemagne, une loi dite du « bon samaritain » protège les secouristes bénévoles d'éventuelles poursuites judiciaires. Au Québec, l'article 1471 du code civil exonère de toute responsabilité celui qui porte secours à autrui, sauf faute lourde ou intentionnelle.
M. Bignon a cité une application ; j'en citerai une autre Staying alive ; peu importe le nom ou celui qui la développe, l'important est que leur usage se répande...
M. Jérôme Bignon. - Oui
M. Loïc Hervé. - Si nous demandons à plusieurs citoyens d'intervenir, il faut les protéger. Je remercie Catherine Troendlé pour son rapport.
Parmi les modifications de l'Assemblée nationale, la réintroduction, après sa suppression par le Sénat, du terme de « citoyen sauveteur » a été clarifiée par le rapporteur de l'Assemblée nationale. Celle du détail des diligences qui devraient être mises en oeuvre par le citoyen sauveteur portant assistance à la victime d'un arrêt cardiaque peut constituer un frein à l'action des sauveteurs.
Je remercie la rapporteure d'avoir recherché le consensus avec l'Assemblée nationale.
Nous saluons le maintien des suppressions conformes, et l'aggravation des sanctions contre le vol ou la dégradation des défibrillateurs.
C'est donc un compromis acceptable.
L'article 6 crée - encore ! - une journée nationale de lutte contre l'arrêt cardiaque. Ces journées sont très nombreuses, célébrées souvent en fin d'année, comme la journée du coeur, des premiers secours, etc...
Les deux chambres ont su trouver un consensus transpartisan et intelligent sur un sujet majeur, celui de l'arrêt cardiaque inopiné.
Le groupe UC votera ce texte. (Applaudissements)
Mme Catherine Deroche . - Selon la Fédération française de cardiologie, plus de 92 % des accidents cardiaques sont fatals sans prise en charge immédiate. Chaque minute compte : une chaîne de survie est ainsi mise en place. La première étape est d'appeler les secours, la deuxième de faire un massage cardiaque, la troisième d'utiliser un défibrillateur, la quatrième de pratiquer des soins spécialisés sur la victime jusqu'à la reprise de la respiration ou l'arrivée des secours.
La proposition de loi repose sur trois axes : la création d'un statut de sauveteur, la sensibilisation de la population aux gestes qui sauvent, la clarification de l'organisation des actions de sensibilisation et de formation.
Sept arrêts cardiaques sur dix ont lieu devant témoins, mais seuls 40 % de ceux-ci savent pratiquer les gestes qui sauvent d'où, en France, un taux de survie à un accident cardiaque qui ne dépasse pas 8 %, alors qu'il est quatre à cinq fois plus élevé dans les pays où les espaces publics sont équipés de défibrillateurs et où les citoyens sont formés. Chaque minute qui passe avant l'arrivée des secours, représente 10 % de chances de survie en moins.
En 2018, Annie Delmont-Koropoulis nous avait présenté le dispositif Sauv Life, qui prévient les citoyens sauveteurs à moins de dix minutes à pied de la victime, suivis par le SAMU en direct, éventuellement par visioconférence.
Le docteur Lionel Lamhaut, médecin au SAMU de Paris et co-fondateur de l'application, précise que 350 000 citoyens sauveteurs sont inscrits et plus de 85 coeurs ont ainsi pu repartir.
Afin d'éviter un effondrement du système de santé pendant le pic de la Covid-19, le Plan blanc a été activé, avec le report d'opérations non essentielles. De nombreux Français ont reporté des soins nécessaires, car ils présentaient des facteurs de risques en fonction de leur âge et de l'impact du virus sur l'appareil cardiovasculaire.
Comme l'ont souligné de nombreux professionnels de santé, si les soins ne reprennent pas rapidement, nous allons vers une deuxième catastrophe sanitaire. Il est donc urgent d'accélérer une reprise des soins qui soit la plus forte possible.
Je salue la qualité du rapport de la présidente Catherine Troendlé. Les députés ont repris la majorité des apports du Sénat.
Le groupe Les Républicains votera le texte conforme. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Discussion des articles
L'article premier est adopté, de même que les articles 2, 4, 6 et 12 bis.
La proposition de loi est adoptée définitivement à l'unanimité.
(Applaudissements sur toutes les travées)
La séance est suspendue à 16 h 40.
La séance reprend à 18 h 30.
Délégation sénatoriale (Nomination)
M. le président. - J'informe le Sénat qu'une candidature à la délégation sénatoriale aux entreprises a été publiée.
Cette candidature sera ratifiée si la présidence n'a pas reçu d'opposition dans le délai d'une heure prévu par notre Règlement.
Difficultés de recrutement des entreprises
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat sur les conclusions du rapport : « Comment faire face aux difficultés de recrutement des entreprises dans le contexte de forte évolution des métiers », à la demande de la délégation aux entreprises.
Nous allons procéder au débat sous la forme d'une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la Conférence des présidents.
Je vous rappelle que l'auteur du débat, dispose d'un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
Mme Élisabeth Lamure, présidente de la délégation sénatoriale aux entreprises . - La délégation sénatoriale aux entreprises a confié à Michel Canevet, Guy-Dominique Kennel et moi-même, une mission d'information sur les difficultés de recrutement dans un contexte de forte évolution des métiers.
Les témoignages que nous recueillons auprès des chefs d'entreprises sont récurrents, voire lancinants : ils n'arrivent pas à recruter ni à garder leurs salariés. lls finissent par renoncer à développer leurs activités et ce, alors que le taux de chômage des jeunes reste élevé. Quel gâchis !
Les mutations technologiques qui affectent tous les métiers renforcent ce paradoxe français auquel il faut mettre fin, avec l'État, les régions, les demandeurs d'emploi et les entreprises.
L'électrochoc que nous connaissons aujourd'hui a le mérite de nous encourager à évaluer nos atouts et nos faiblesses, à nous retrousser les manches, et à jouer franc jeu avec toutes les parties prenantes.
L'État doit aider les entreprises à contribuer à la formation de leurs salariés. Un très récent sondage CCI-Opinionway montre que 13 % des entreprises n'envisagent pas de recruter en alternance car les modalités de prise en charge financière sont trop compliquées.
La clef de l'avenir reste qu'il faut renforcer l'acquisition des compétences pour faciliter l'insertion professionnelle et répondre aux besoins de la société et de l'économie.
La crise sanitaire a bouleversé la donne économique. En effet, le PIB reculera de 12 % en 2020, le déficit budgétaire atteindra 221,1 milliards d'euros, et la dette 120,9 % du PIB. L'horizon s'assombrit avec la perspective de suppression de 800 000 emplois dans les prochains mois, soit 2,8 % de l'emploi total. La problématique d'avant la Covid-19 se conjugue avec ces nouveaux défis.
Les dispositifs d'aide aux entreprises, très évolutifs depuis le début de la crise, limiteront la casse sociale mais ne résoudront pas tout. Il faut mieux nous adapter pour mieux rebondir. Madame la ministre, notre contribution est constructive. Remettons en cause certains tabous. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Jérôme Bignon applaudit aussi.)
M. Michel Canevet, rapporteur pour la délégation sénatoriale aux entreprises . - Nous avons largement entendu les chefs d'entreprises regretter la difficulté de recruter. Il faut accompagner les individus tout au long de leur vie pour une meilleure employabilité ; permettre aux entreprises de trouver rapidement les compétences dont elles ont besoin ; et enfin, définir les modalités d'un pilotage efficient des acteurs de l'emploi. Sur la base de ces constats, nous avons formulé vingt-quatre recommandations.
D'abord, il faut briser le cloisonnement avec l'Éducation nationale et aider les enseignants à mieux appréhender les réalités économiques des entreprises.
Ensuite, l'apprentissage est un besoin conjoncturel et structurel. D'après OpinionWay, 26 % des dirigeants interrogés ont déjà mis en place un contrat d'alternance. Il y a du chemin à faire.
Il faut aussi encourager les entreprises à investir dans la formation pour améliorer leur productivité. Le transfert de compétences entre les plus âgés et les plus jeunes est un enjeu très important. Quelque 900 000 jeunes ne sont ni en études ni en emploi ni en formation.
Il faut aussi assurer la reconversion vers les métiers qui recrutent.
Il y a des expériences malheureuses avec Pôle Emploi, qui n'incitent pas les entreprises à aller vers cet organisme. Il faut changer cette image.
Enfin, le pilotage des acteurs de l'emploi doit être efficient : l'échelon régional nous semble être le plus pertinent. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains ; M. Joël Labbé applaudit également.)
Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail . - Merci à la délégation aux entreprises d'avoir inscrit les conclusions de ce rapport à l'ordre du jour. Il alimente les réflexions en cours avec les partenaires sociaux. L'emploi et le développement des compétences sont ma priorité, un fil rouge de la politique volontariste et pragmatique que nous menons depuis trois ans.
La loi de septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel prévoit un compte personnel de formation et de transition.
L'application Mon compte formation, qui connaît un succès croissant, contribue au développement de la voie de l'apprentissage.
En parallèle, nous avons lancé le Plan d'investissement dans les compétences, dont la moitié est pilotée dans le cadre de pactes régionaux négociés avec les régions.
Il y a quatre mois, les résultats étaient là avec 1,2 million d'emplois créés depuis 2017. Nous frôlions la barre des 500 000 apprentis. Les cartes ont été rebattues avec la crise sanitaire mais l'adéquation des compétences aux besoins des entreprises reste un sujet crucial.
Notre action pour aider les plus précaires a été déterminante pendant le confinement. Grâce au Fonds national de l'emploi (FNE) l'État a pris en charge 400 % de la formation quel que soit le profil du salarié. Le niveau de demandes atteint 5 000 accès par jour.
Quelque 90 % des apprentis ont pu suivre leur formation à distance. Le télétravail a permis de se former.
Nous devons tout faire pour préserver emplois et compétences. C'est ainsi que nous construirons une économie forte et souveraine. Cette transformation exige une action volontariste.
Vous avez formulé 24 recommandations sur trois axes. Nous divergeons sur la 24e recommandation, qui prévoit le pilotage des acteurs publics de l'emploi par les régions mais nous vous rejoignons sur d'autres.
La recommandation 8 sur la journée de découverte des métiers va dans le sens de notre action : la loi Avenir professionnel renforce les missions des régions dans l'orientation. La préparation à l'apprentissage y satisfait, tout comme à la recommandation 9 sur la mise en situation professionnelle.
Quant à la recommandation 19, M. Blanquer a prévu dans la loi sur l'orientation professionnelle 54 heures de découverte des métiers par an pour les élèves de la quatrième à la première.
Votre recommandation 13 incite à sensibiliser les PME au recrutement de candidats idéaux. Pôle Emploi a mis en place une action très forte et encourageante sur les opérateurs de compétence (OPCO).
Quant à la recommandation 12, elle porte sur l'amortissement de l'investissement immatériel, sujet cher à M. Lévrier. Les entreprises peuvent aujourd'hui amortir les frais de formation quand il y a transformation, par l'informatisation. L'État, enfin, prend en charge la première année de l'alternance dans l'entreprise.
Dès cet été, l'introduction de Pôle Emploi dans Mon compte formation facilitera certaines situations.
Nous avons pris des mesures massives de simplification et de soutien financier pour ne laisser aucun jeune de côté. Je serai mardi à Brest à un speed dating emploi avec 500 jeunes.
Le combat de l'apprentissage continue ; nous devons le réussir tous ensemble ! La boussole est commune : l'emploi et les compétences nous sortiront de la crise économique.
M. Joël Labbé . - Merci pour ce débat et ce rapport qui propose de nombreuses solutions. Il s'interroge sur l'insertion des jeunes diplômés. Mais ces derniers refusent de plus en plus de travailler pour des entreprises qui ne correspondent pas à leurs valeurs. Je vous renvoie au manifeste « Pour un réveil écologique » signé par plus de 32 000 élèves de grandes écoles, affirmant leur refus de travailler pour les entreprises les plus polluantes. Selon un sondage, 72 % des jeunes considèrent l'adéquation entre leur travail et leurs valeurs comme un critère primordial de choix. D'où des difficultés de recrutement dans les entreprises de l'agro-alimentaire et de la chimie, boudées par les jeunes.
Ne doit-on pas rétablir l'ordre des choses en demandant aux entreprises de répondre aux enjeux sociaux et environnementaux que les jeunes défendent ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre. - La jeunesse a toujours contribué à faire changer le monde. Elle a une quête de sens et d'exigence.
Certains jeunes refusent de travailler dans des entreprises où l'égalité entre hommes et femmes n'est pas respectée. La crise de l'emploi atténuera peut-être ce fait de société, mais seulement à court terme. Mieux vaut s'en saisir comme d'une opportunité.
Plus de 6 000 entreprises participent à l'atelier « La France, une chance : les entreprises s'engagent ! » pour donner plus de sens au travail.
Le modèle d'entreprise qui rencontre le plus de succès auprès des jeunes est économique, écologique et solidaire. Les candidats ne manquent pas dans la filière agricole et biologique.
Désormais, les salariés choisissent librement les entreprises où ils souhaitent travailler. Prenons le risque de suivre la jeunesse ; nous ne pourrons que progresser.
M. Joël Labbé. - Les jeunes sont une chance. Les aides ne sont pas suffisantes pour bâtir un nouveau monde écologique et solidaire face au réchauffement climatique et à l'effondrement de la biodiversité.
M. Julien Bargeton . - Le rapport pointe un étrange parallélisme entre les difficultés à recruter des entreprises et un taux de chômage élevé.
L'une des solutions est le télétravail. Les jeunes générations sont unanimes : elles souhaitent un juste équilibre entre leurs vies professionnelle et personnelle.
L'enjeu de la mobilité est de taille. En Île-de-France, 28,8 millions de salariés parcourent 26 kilomètres en moyenne pour aller au travail et en revenir, soit 6 milliards d'heures de déplacement par an.
« Télétravail, un essai à transformer », titre Le Républicain lorrain. Les Français veulent recourir davantage à cette pratique pour améliorer leur qualité de vie sans forcément s'isoler. Quelle est la stratégie du Gouvernement ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre. - J'ai proposé le droit au télétravail dans les ordonnances sur la loi Travail de 2017. À l'époque, c'était presque passé inaperçu. Depuis, 2 000 accords d'entreprises ont été signés sur le télétravail et nous avons noté l'appétence des salariés ; mais cela restait dans la limite d'un ou deux jours hebdomadaires.
Puis la crise du Covid est arrivée. La direction de l'animation, de la recherche, des études et des statistiques (Dares) estime que 5 millions de Français ont télétravaillé sur trois mois, la plupart pour la première fois.
Nous avons immédiatement publié un guide des bonnes pratiques. Quelque deux tiers des salariés disent qu'ils veulent continuer en alternant le télétravail et le présentiel. Cela fait bouger les entreprises : d'après l'association des DRH, 85 % d'entre elles veulent développer cette pratique qui génère des gains de productivité. Certains considèrent même que le télétravail est inévitable et qu'il faut donc bien l'encadrer. Le télétravail bousculera le management dans l'avenir.
Mme Céline Brulin . - Il peut paraître anachronique de parler de difficultés à recruter quand 900 000 emplois sont menacés. La faute à une absence de politique industrielle depuis trente ans, à un enseignement professionnel négligé, à des programmes tirés vers le bas. Tout se passe comme si l'Éducation nationale ignorait tout du monde de l'entreprise.
La réforme de l'apprentissage confirme nos craintes, tout comme le maillage territorial des CFA, qui risque de se rabougrir. Certaines entreprises nous alertent sur ce point.
Nous avons besoin d'un État stratège, capable d'identifier les secteurs d'avenir.
Enfin, le rapport pointe une dégradation des compétences due à l'accumulation des CDD. Qu'envisagez-vous dans ce domaine alors que l'État soutient les artisans de nombreux secteurs ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre. - Nous n'opposons pas formation générale et formation professionnelle. Ce sont deux voies d'excellence, qui peuvent au demeurant se combiner. Nous y travaillons depuis trois ans avec les ministres Blanquer et Vidal.
J'ai visité soixante CFA ; accompagnez-moi sur le terrain !
M. Jean-Louis Tourenne. - N'inversez pas les rôles !
Mme Muriel Pénicaud, ministre. - Je ne connais pas beaucoup de ministres du Travail qui aient passé autant de temps dans les CFA. Je constate un engagement fort des entreprises. La loi permet de faire de l'apprentissage jusqu'à 30 ans. Des pays comme la Suisse et l'Allemagne qui ont fortement développé l'apprentissage ont peu de chômage des jeunes : il y a une corrélation.
M. Jérôme Bignon . - La crise économique a mis un coup d'arrêt brutal à la dynamique de recul du chômage engagée depuis 2017, et qui rendait réaliste l'objectif d'arriver à 7 % à la fin du quinquennat. Mais ce n'est pas une raison pour baisser les bras.
La France ne doit jamais se résigner au chômage de masse. Mais il faut aussi infléchir notre itinéraire : la relance devra être verte. Mettons fin à ce paradoxe aberrant : demandeurs d'emploi qui ne trouvent pas de travail, entreprises qui ne trouvent pas de compétences. La décarbonation de l'économie, ce sont de nouvelles formations pour de nouvelles compétences.
Comment articuler lutte contre le chômage et lutte contre le changement climatique ? Il ne faut renoncer ni à l'un ni à l'autre. (M. Joël Labbé applaudit.)
Mme Muriel Pénicaud, ministre. - Faisons de deux problèmes une solution, et de la crise du Covid un accélérateur de transformation. Le plan de relance aura un volet sur la transition écologique.
Celle-ci va détruire et créer des emplois : la fermeture des centrales à charbon en détruit, l'économie circulaire en crée.
L'État et les régions sont au rendez-vous en investissant dans les compétences, particulièrement sur la transition écologique et numérique. Donnons envie aux jeunes de construire le monde de demain.
M. Jérôme Bignon. - J'aime votre formule : de deux problèmes faisons une solution. Vos mots ont du sens ; donnons-leur de l'ampleur.
M. Michel Canevet . - Pour l'instant, il n'y a pas de dispositif législatif ou réglementaire sur le plan de relance. Qu'en est-il ?
Quelles conditions de financement avez-vous prévu pour maintenir en CFA un jeune qui ne trouverait pas d'emploi pendant trois à six mois ?
La mallette des apprentis à 500 euros, c'est bien, mais l'équipement peut coûter cher dans certaines professions : un matériel de cuisine coûte bien plus de 500 euros.
Pourquoi ne pas envisager un maintien des ressources après la sortie du CFA ? À Quimper, il n'y a que trois jeunes pour dix-sept offres d'apprentissage chez des couvreurs.
Mme Muriel Pénicaud, ministre. - La mesure sur les apprentis est la seule du plan de relance annoncée par anticipation : l'État remboursera 5 000 euros pour un apprenti mineur, 8 000 euros pour un majeur la première année, soit une couverture quasi-totale.
Quant au prolongement de la capacité d'accueil des CFA de trois à six mois, elle est essentielle pour protéger les jeunes.
La priorité, c'est bien sûr de trouver des offres puisque l'engouement des jeunes est là. Il ne faut pas les décevoir à la prochaine rentrée.
M. Michel Canevet. - Beaucoup de CFA vont organiser des portes ouvertes dès le week-end prochain. Il faut qu'ils puissent informer les familles sur le reste à charge. Attention aussi aux effets d'aubaine, c'est-à-dire à la tentation de licencier des apprentis pour en recruter à nouveau.
Mme Catherine Deroche . - Nos rapporteurs ont souligné le rôle primordial de la formation. C'est à l'échelle locale que le relais entre l'offre et la demande est le plus efficace, d'où la recommandation 24.
La région des Pays de la Loire s'est engagée dans cette voie dès 2015. Grâce à leur compétence économique et à leur connaissance du tissu entrepreneurial, les régions ont pu agir pour l'emploi.
Pourtant, les dernières tentatives de décentralisation se sont montrées inefficaces car trop partielles. Ainsi l'expérimentation annoncée et non concrétisée du transfert, de Pôle Emploi vers les régions, du pilotage de l'achat des formations pour demandeurs d'emploi est restée décevante.
Idem pour la compétence en matière d'orientation, transférée aux régions par la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, mais seulement en ce qui concerne l'information sur les métiers.
Sur le terrain la multiplicité des opérateurs crée des redondances et un manque de cohérence dans les actions. Il faut un pilotage unique des différents acteurs publics de l'emploi, Pôle Emploi inclus. Qu'en pensez-vous ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre. - Il faut aller au plus efficace sans a priori. C'est pourquoi nous avons fait des régions un acteur majeur de l'orientation, de la quatrième à la première.
La crise nous a contraints, en quelques jours, à changer toutes les règles d'indemnisation des demandeurs d'emploi. La politique d'emploi relèvera toujours du Gouvernement ; le mandat national du Président de la République contient toujours l'emploi. Aucun État, même fédéral, n'a décentralisé cette compétence. En Allemagne, l'agence spécialisée en la matière est fédérale. Mais national ne veut pas dire parisien : allons à la maille la plus fine. C'est la voie de la relance.
Mme Catherine Deroche. - Vous m'avez déjà donné cette réponse ; je prends acte de nos divergences.
Dans la crise, les collectivités territoriales, régions comprises, ont aussi pallié les défaillances de l'État.
M. Jean-Louis Tourenne . - Ce débat peut paraître décalé quand l'Unédic annonce la destruction de 900 000 emplois en 2020. La priorité est d'annuler les ordonnances inhumaines sur l'assurance-chômage. Pour autant, l'inadéquation entre offre et demande d'emploi reste une question récurrente.
Les obstacles semés sur la voie des recruteurs s'expliquent aussi par des horaires décalés, des conditions difficiles de travail, des rémunérations insuffisantes, dans la restauration par exemple, où la promesse de consacrer le tiers de la baisse de la TVA en 2009 aux salaires n'a pas été tenue, etc.
L'offre de CDI, qui augmente depuis 2015, allonge le temps de recrutement. Des pistes existent : une meilleure formation théorique et intellectuelle, plus d'adaptabilité, des temps complets mutualisés entre groupements d'employeurs, pourquoi pas des agences publiques pour multiplier les CDI d'intérim, une adaptation des postes de travail, des dynamiques de bassin pour prévoir les besoins à venir, dans le privé comme dans le public, et engager ainsi les formations utiles.
Bref, en matière d'économie comme d'emploi, il faut une nouvelle phase de décentralisation pour une nouvelle vitalité des territoires.
Mme Muriel Pénicaud, ministre. - Comment réduire l'écart insupportable entre la demande et l'offre d'emploi. C'est un drame que ces 300 000 à 400 000 emplois qui ne trouvent pas preneur !
Depuis le 1er janvier, et cela fait partie de la convention tripartite, toutes les offres d'emploi déposées à Pôle Emploi et non pourvues au bout de trente jours donnent lieu à un travail proactif de consultation de Pôle Emploi auprès des entreprises : l'organisme essaie d'identifier le problème et de préciser les besoins. Beaucoup d'emplois restent non pourvus parce qu'on n'a pas su les exprimer.
Au coeur du confinement, il y avait des métiers en tension, dans les transports, la santé.... Les conditions de travail, en effet, peuvent être en cause. Le CDI d'intérim, facteur de souplesse pour le salarié et l'entreprise, doit en effet être développé.
M. Jean-Louis Tourenne. - Il faut avant tout privilégier la formation intellectuelle. Je suis aussi très attaché à la dynamique des territoires : c'est là que l'on peut créer des emplois.
M. Michel Canevet . - L'acquisition de compétences par la formation initiale et continue est en effet cruciale. La proactivité auprès des entreprises est capitale. Beaucoup d'entreprises ne connaissent pas bien les services de Pôle Emploi.
Autre problème, la pluralité des acteurs - missions locales, Cap Emploi, Pôle Emploi - sans coordination. C'est la région, qui a la compétence économique, qui peut apporter cette cohérence, surtout dans une France que nous voulons décentraliser.
Mme Muriel Pénicaud, ministre. - Dans la transformation de Pôle Emploi engagée, figure l'idée de la différenciation territoriale. C'est possible aussi pour une agence nationale. Avant la crise, il y avait 24 départements, souvent dans l'Ouest, où le chômage était inférieur à 7 %, voire à 5,5 % - soit quasiment le plein-emploi.
Dans les Pyrénées-Orientales, en revanche, c'est 18 %. Cela appelle des solutions différenciées, avec un rôle renforcé pour les préfets.
Il y a déjà 4 000 conseillers-entreprise chez Pôle Emploi, nous allons en ajouter 1 000.
Là où cela se passe bien, il y a des dynamiques qui s'enclenchent. Plutôt que de les fusionner, nous avons fait travailler ensemble Cap Emploi et Pôle Emploi. L'heure est à la mobilisation nationale.
M. Michel Canevet. - Certes. Dans les Hauts-de-France, nous avons pris connaissance de l'expérience Proch'Emploi. Sur le terrain, quand il y a une collaboration, l'emploi progresse.
Mme Pascale Gruny . - Je félicite Michel Canevet et Guy-Dominique Kennel pour leur rapport, en particulier sur la numérisation de l'économie et sur les difficultés de recrutement.
Notre pays est en retard avec 191 000 postes à pourvoir d'ici 2022, dans le numérique. Plus grave, l'illectronisme concerne 20 % de la population. L'apprentissage des outils du numérique doit aller de pair avec l'apprentissage de la lecture.
La première urgence est de renforcer la formation du grand public, en inscrivant le numérique dans la logique du système éducatif, sur le modèle des pays nordiques. L'apprentissage des usages du numérique doit aller de pair avec celui de la lecture.
Pourquoi ne pas créer un baccalauréat professionnel dédié aux services numériques ?
Le manque de compétences numériques se retrouve au sein de l'entreprise. L'incitation financière pourrait être un premier socle, avec un suramortissement ou un crédit d'impôt pour les entreprises qui font l'effort de former leurs salariés. La reconversion numérique des chômeurs est un moyen de pallier la pénurie de main-d'oeuvre. Le numérique est le premier secteur de recrutement, devant la santé et le social. Quelles initiatives le Gouvernement entend-il prendre pour diffuser partout et pour tous une véritable culture du numérique et ainsi faire entrer la France dans la 4ème Révolution industrielle ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre. - En effet, le numérique n'est pas une option, c'est une nécessité. Que faisons-nous ? Avec la grande école du numérique, financée par l'État, 18 000 formations - dont beaucoup de reconversions - ont été initiées en 2019, alors que nous en avions prévu 10 000. J'ai ainsi rencontré une boulangère devenue codeuse et un élève qui avait raté l'école et travaillait dans une grande entreprise de l'intelligence artificielle. Il n'y a pas besoin d'avoir fait des études classiques : il faut surtout s'y investir à fond !
Avec toutes les régions, il n'y a pas eu de débat : nous avons convenu avec elles que le numérique est prioritaire. C'est l'un des cinq secteurs les plus demandés dans Mon compte formation. Il faut qu'il y ait des formations dans toutes les TPE.
On a pu dispenser des enseignements à 90 % des jeunes : il faut que ce soit 100 %. Le monde de demain sera numérique. Les jeunes vont se l'approprier, pour qu'il n'y ait plus d'illectronisme en France.
Mme Pascale Gruny. - Je suis satisfaite de vous voir si mobilisée. Avec la délégation aux entreprises, nous avons constaté que d'autres pays comme le Danemark connaissent aussi de très forts besoins : il ne faudrait pas former nos jeunes pour qu'ils y partent ensuite...
M. Jacques Bigot . - Le Sénat a adopté ce matin à l'initiative du groupe socialiste et républicain une résolution qui préconise l'idée d'une nouvelle décentralisation. Je veux revenir à notre recommandation 24.
Les jeunes ne sont plus sûrs comme les anciens de faire toute leur carrière dans le même métier.
En Allemagne, il y a un tissu de PME organisées dans l'ensemble du territoire, de quelque mille salariés ; en France, la majorité des PME n'ont que sept ou huit salariés ; il y a soit de très grosses entreprises, soit de toutes petites qui nous interpellent sur l'emploi. Cela ne peut s'organiser que de façon territoriale.
Quel est votre avis sur la recommandation 24 ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre. - Là où il y a des progrès, c'est là où l'on coopère : dans les Hauts-de-France, en partenariat avec le président de région, avec les communes et les intercommunalités aussi, dans les territoires zéro chômeur. Sur la formation, personne ne peut considérer qu'il détient la seule réponse, ni l'État, ni les collectivités territoriales, ni les partenaires sociaux.
Opposer les acteurs, cela ne nous fera pas gagner. C'est dans cet esprit-là que nous travaillons. Tout ce qu'on a fait n'est pas parfait, et il faut sans doute inventer de nouvelles solutions. La crise nous pousse vers cette approche. Je suis prête à aller plus loin avec toutes les collectivités territoriales.
M. Jacques Bigot. - À la tête des collectivités territoriales, il y a des élus. Ce sont eux qu'il faut mobiliser. Mais vous préférez mobiliser la technocratie et que les autres acteurs obéissent exactement comme pendant la crise sanitaire ! (Mme la ministre s'en défend.)
Mme Laure Darcos . - Le Président de la République a récemment plaidé pour la reconquête de la souveraineté économique de la France et la relocalisation d'activités stratégiques sur le territoire. La France a perdu une part importante de ses capacités de production industrielle, de ses emplois, de ses compétences et de ses savoir-faire. Chacun le déplore sur son territoire. Or 80 % de la perte d'emplois industriels est liée au progrès technique. Les délocalisations ont répondu à une logique économique.
Attention à ne pas oublier que le faible poids de l'industrie dans notre pays provient d'un manque de compétences : nous formons 2,5 fois moins d'ingénieurs en France qu'en Allemagne.
L'industrie de demain, ce sera l'intelligence artificielle. Or selon Florent Menegaux, le président de Michelin, nous formons nos élèves aux techniques du passé.
Aussi louable que soit l'ambition de réindustrialiser, envisagez-vous de renouer les liens entre l'Éducation nationale et le monde de l'entreprise ?
Comment adapter le système éducatif à l'industrie de demain ? Comment encourager les formations scientifiques ?
Il faut une plus grande interaction avec le monde de l'entreprise pour confronter la théorie à la pratique.
Mme Muriel Pénicaud, ministre. - Pourquoi réindustrialiser ? Parce qu'un emploi industriel crée quatre emplois. Le fort taux de chômage en France vient en partie de sa désindustrialisation. Ce n'est pas une fatalité. Cela fait partie des sujets du pacte productif que nous avons commencé à préparer avec Bruno Le Maire. Entre la déficience en compétences et la désindustrialisation, c'est comme l'oeuf et la poule.
Aujourd'hui les industriels n'ont plus besoin d'autorisation administrative pour créer des formations et ils se lancent. Ce n'est pas une formation au rabais. On peut faire le pari du capital humain. Tous les grands groupes sont en train de développer l'apprentissage. C'est une voie formidable, une voie d'avenir. On peut aller plus loin dans ces campus - souvent créés en association avec les régions. Deux régions, sur dix-huit, malheureusement, n'ont pas voulu s'y prêter. Je le regrette.
Mme Victoire Jasmin . - Pendant la période du Covid, les entreprises innovantes ont pu réagir : les Gafam ont fait de belles affaires. Il faudrait partir des besoins des entreprises pour dessiner les formations de demain. Celles-ci devraient être déterminées non plus sur la base des besoins du territoire. Nous sommes un pays vieillissant, un pays à vocation agricole, mais ces filières ne sont pas promues.
En ce moment même, une centrale est convertie à l'énergie propre. Mais, faute de gestion prévisionnelle des emplois et compétences (GPEC), quarante emplois sont en danger en Guadeloupe. Il faut une nouvelle approche.
Mme Muriel Pénicaud, ministre. - Partout, l'enjeu des compétences est grand - mais il est peut-être encore plus grand outre-mer. Notre plan d'investissement est consacré à 8,8 % à l'outre-mer pour une population correspondant à 3 % de la population française totale.
Les filières d'apprentissage en agriculture ont un taux d'embauche de 80 % à 90 %, encore faut-il convaincre des jeunes, et pas forcément des enfants d'agriculteurs.
Le travail détaché, c'est une bonne solution de dernier recours. Mais dix ans de suite, utiliser cette solution plutôt que de former un apprenti, ce n'est pas bien.
M. Stéphane Piednoir . - Chacun s'accorde à dire que la transition numérique est en marche. La crise sanitaire a mis en lumière les exigences dans ce domaine. On observe aussi une prise de conscience généralisée de la nécessité de la transition énergétique.
L'inadéquation entre les profils et les postes est une question problématique. Qui mieux que les acteurs locaux pour y répondre ? Notre recommandation 24 est de confier le pilotage de l'emploi à la seule région. Le recrutement notamment des jeunes doit être au coeur de nos préoccupations.
Il serait opportun d'encourager la co-construction entre les établissements d'enseignement supérieur et les territoires pour parfaire l'adéquation entre fonction et besoins.
Les campus des métiers et qualifications sont une bonne solution qui mérite d'être renforcée. Les universités pourraient être un partenaire essentiel. Quelles sont les orientations du Gouvernement dans ce domaine ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre. - Si j'étais provocatrice, je demanderais : qu'est-ce qui empêche de le faire dès aujourd'hui ? Ce sont les régions qui ont cette compétence !
L'État apporte des moyens supplémentaires par le plan d'investissement compétences, mais c'est un soutien.
Certaines régions sont très innovantes dans ce domaine. J'ai l'impression que vous réclamez une compétence dont la région dispose déjà. Alors, je dis : banco ! Chiche !
M. Marc Laménie . - La délégation aux entreprises a bien travaillé sur ce sujet : ses vingt-quatre recommandations nous rappellent des situations que nous retrouvons dans nos départements, comme la pénurie de candidatures pour certains secteurs, comme celui du bâtiment. Ce sont des métiers manuels, difficiles.
Il y a dans ce domaine beaucoup de partenaires - il n'est assurément pas facile de s'y retrouver. Autre problème, la complexité du code du travail. Sa simplification est nécessaire. Le Gouvernement veut-il avancer dans ce domaine ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre. - Le bâtiment est un des trois secteurs qui emploie le plus de travailleurs détachés.
La France a gagné son combat et à partir de cet été, on atteindra le principe : « à travail égal, salaire égal ! » Le prochain, c'est « à travail égal, coût égal » car les cotisations patronales sont différentes.
Il faut aussi renverser l'image du secteur. L'opération « 15 000 bâtisseurs » a abouti à 20 000 recrutements.
Il ne vous a pas échappé que les ordonnances de 2017 ont simplifié le code du travail. Mais le problème, c'est que le chef de TPE ou PME ne passe pas son temps à lire le code du travail et je le comprends.
Nous bâtissons un outil sous la forme de réponses à des questions, qui s'enrichit au fur et à mesure.
M. Marc Laménie. - Oui, il faut simplifier l'accès au code du travail, qui reste semé d'embûches, en dépit de l'engagement de l'administration.
M. Vincent Segouin . - Je viens de l'Orne qui abrite des pépites d'entreprises de toutes tailles, parfois à rayonnement international, mais qui le sait ? Même les enfants de notre territoire l'ignorent. Et ce, car leur cursus scolaire ne le permet pas.
Dès la troisième, les collégiens devraient découvrir le monde économique de leur territoire. L'orientation est la solution, si elle se fait en partenariat avec les entreprises. L'Éducation nationale ne doit plus ignorer la vie économique. Je suis chef d'entreprise ; comme d'autres, j'ai négligé l'accueil des jeunes à cause des contraintes de l'inspection du travail.
Ne serait-il pas opportun d'appliquer un bonus-malus à la taxe salariale sur le critère de la quantité et de la qualité de la formation assurée au sein des entreprises ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre. - Ayant habité en Normandie, je suis sensible au charme de l'Orne (Sourires) Ce n'est pas nous mais les gens, qui ont fait une expérience différente avec le télétravail et ont imaginé s'installer ailleurs, pour venir deux jours par semaine au siège de l'entreprise en Île-de-France.
Nous travaillons avec les branches professionnelles et l'Éducation nationale pour que 100 % des jeunes de la quatrième à la première passent deux semaines en entreprise.
Les entreprises qui ne forment pas, paient une taxe. Je préférerais qu'elles forment et ne paient pas la taxe.
Nombre d'entreprises s'approprient la réforme de l'apprentissage. Nous avons créé un cadre favorisant une dynamique venant du terrain. Et une entreprise qui a formé un jeune veut l'embaucher, donc on rapproche offre et demande.
M. Vincent Segouin. - Le ministre de l'Éducation nationale partage-t-il vos orientations ? Y aura-t-il des visites d'entreprises dès le collège ?
Je regrette qu'on applique toujours des bonis aux entreprises de plus de 250 salariés alors que l'entreprise moyenne en France compte six salariés. Il faudrait aussi penser à elle.
M. Guy-Dominique Kennel, rapporteur de la délégation sénatoriale aux entreprises . - Il est frustrant de n'avoir que cinq minutes pour conclure le travail d'une année ! J'espère que le président sera indulgent sur mon temps de parole...(Sourires)
La clé de nos propositions repose sur l'expérience du terrain : regarder ce qui fonctionne et l'encourager, en formulant des propositions concrètes.
Nos propositions ont été lues (Mme la ministre le confirme.) ; j'espère que certaines seront entendues, et certaines traduites en acte, madame la ministre.
La délégation aux entreprises est exemplaire : elle compte elle-même un apprenti. J'ai moi-même dirigé un centre de formation des apprentis, avant d'être inspecteur chargé de l'apprentissage. Je suis heureux qu'on en découvre enfin les vertus.
Si je manquais de modestie, je vous conseillerais volontiers la lecture de mon rapport de 2016 sur l'orientation...(Sourires) Il contient des mesures tout à fait concrètes et réalisables. Le Gouvernement dit que certaines choses existent déjà, mais les 54 heures de découverte pour les élèves sont hors de leur emploi du temps scolaire.
Nous souhaitons que l'amortissement de la formation soit pérenne et élargi. Nous avons tous le souci de la réussite des territoires et de l'ensemble de notre jeunesse. Nous proposons de confier le pilotage des acteurs de l'emploi à la région car nous voulons un pilote dans l'avion. Or la région n'a aucun pouvoir sur le personnel de l'Éducation nationale !
Madame la ministre, gagnons du temps : faites vôtres nos vingt-quatre propositions pour que les réalisations aient lieu sur le terrain le plus rapidement possible ! (Applaudissements au centre et à droite)
Prochaine séance lundi 29 juin 2020, à 16 heures.
La séance est levée à 20 h 10.
Jeudi 25 juin 2020 |
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Sommaire
Remplacement d'un sénateur1
Nouvelle ère de la décentralisation1
M. Éric Kerrouche, auteur de la proposition de résolution1
M. Daniel Chasseing2
Mme Françoise Gatel2
M. Philippe Pemezec2
M. Jérôme Durain2
M. Jean-Claude Requier2
M. Didier Rambaud2
M. Jean Louis Masson2
M. Pascal Savoldelli2
M. Jean-Raymond Hugonet2
M. Didier Marie2
M. Stéphane Piednoir2
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales2
Création d'un fonds d'indemnisation des victimes du Covid-192
Discussion générale2
Mme Victoire Jasmin, auteure de la proposition de loi2
Mme Corinne Féret, rapporteure de la commission des affaires sociales2
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites et auprès de la ministre du travail, chargé de la protection de la santé des salariés contre l'épidémie de covid-192
Mme Jocelyne Guidez2
Mme Catherine Deroche2
Mme Véronique Guillotin2
M. Martin Lévrier2
Mme Michelle Gréaume2
M. Daniel Chasseing2
Mme Michelle Meunier2
Discussion des articles2
ARTICLE PREMIER2
ARTICLE 72
ARTICLE 92
M. Bernard Jomier2
Mme Victoire Jasmin2
Décès d'un ancien sénateur2
Exploitation commerciale de l'image d'enfants sur les plateformes en ligne2
Discussion générale2
M. Franck Riester, ministre de la culture2
M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication2
Mme Sylvie Robert2
SÉANCE
du jeudi 25 juin 2020
97e séance de la session ordinaire 2019-2020
présidence de Mme Catherine Troendlé, vice-présidente
Secrétaires : M. Guy-Dominique Kennel, M. Victorin Lurel.
La séance est ouverte à 9 heures.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Remplacement d'un sénateur
Mme la présidente. - En application des articles L.O. 151 et L.O. 297 du code électoral, M. le président du Sénat a pris acte de la fin de plein droit, à compter du 24 juin à minuit, du mandat de sénatrice de la Sarthe de Mme Nadine Grelet-Certenais.
En application de l'article L.O. 320 du code électoral, elle est remplacée par M. Christophe Chaudun, dont le mandat a commencé aujourd'hui à 0 heure.
Nouvelle ère de la décentralisation
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de résolution pour une nouvelle ère de la décentralisation.
Discussion générale
M. Éric Kerrouche, auteur de la proposition de résolution . - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) Ce dimanche se tiendra le second tour des municipales, aboutissement d'une compétition électorale où s'affrontent idées et visions. Au premier tour, les formations jugées obsolètes en 2017 ne l'étaient pas tant que cela.
Si ce scrutin se déroule dans des conditions extraordinaires, il est malgré tout l'une de ces respirations qui font se régénérer notre démocratie locale à échéances régulières.
Toutefois, quelle portée aurait cette élection sans l'acte fondateur de 1982, onde de choc diffusée sur notre organisation institutionnelle ? Le vote de nos concitoyens n'aurait pas la même valeur démocratique.
« La décentralisation est la grande affaire d'un gouvernement de gauche et le maître-mot d'une expérience de progrès », déclarait François Mitterrand en 1977. Ce sera une de ses 110 propositions - la 54e - dans le sillage de celles déposées par les socialistes durant les années 70. Ce sera la première loi examinée par le Conseil des ministres en juillet 1981.
Le même, devenu président, affirmait en 1982 que la décentralisation « est la plus grande réforme institutionnelle dans l'équilibre de la France depuis le début du siècle ». Et Pierre Mauroy l'avait défendue pour libérer une « France asphyxiée par le centralisme », en promettant aux Français une « nouvelle citoyenneté ».
La loi Deferre, Droits et libertés, fut une bouffée d'oxygène démocratique et l'amorce d'une période de modernisation des territoires. La décentralisation marquait ainsi une nouvelle façon de « faire République ». Au fil du temps et des textes, elle s'est imposée, allant jusqu'à devenir une règle de vie, les Français la considérant comme allant de soi.
Son succès se mesure au quotidien. L'investissement des collectivités a permis de délivrer un service public de proximité, d'innover, de transformer nos territoires.
Mais les collectivités territoriales ne peuvent pas tout faire. Elles ne peuvent pas pallier à elles seules les défauts du capitalisme, inverser les grands mouvements de population, ni relever le défi du changement climatique.
La crise de la Covid-19 a mis en lumière les lourdeurs de l'État central, quand les élus locaux ont fait la démonstration de leur réactivité, de leur adaptabilité et de leur inventivité.
Des difficultés demeurent : complexification des modes de gouvernance locale, nouveaux rapports aux territoires induits par une société du déplacement perpétuel, contraintes financières, normes, responsabilités des élus locaux, ou encore exigences toujours plus importantes des citoyens.
De la loi Relations avec les collectivités territoriales (RCT) à la loi NOTRe, les territoires ont vécu une fièvre institutionnelle, en attendant une hypothétique loi 3D.
Au début de l'année 2019, les maires ont indiqué qu'ils ne voulaient plus de bouleversement institutionnel. Ce ras-le-bol s'inscrivait dans le contexte d'incompréhension entre l'actuel exécutif et les territoires : 80 km/h sur les départementales, suppression de la taxe d'habitation, contrats de Cahors, ou bien #BalanceTonMaire.
Si les maires sont revenus en grâce à l'occasion de la crise des gilets jaunes et grâce à la loi Engagement et proximité, seuls 31 % d'entre eux se disaient confiants dans la parole du Gouvernement pour la mise en oeuvre des futures réformes locales à la veille des municipales de 2020.
Dans un contexte difficile marqué par la crise de la Covid-19, il est plus que jamais nécessaire de changer notre manière d'appréhender la décentralisation. Nous sommes à la fin d'un cycle et des solutions inédites doivent voir le jour. La relance, comme la transition écologique, passent nécessairement par les territoires, outils essentiels du monde résilient de demain.
Cette nouvelle approche est un retour aux sources de 1982. Le principe en est simple : ce qui relève de la proximité et du quotidien doit revenir aux collectivités territoriales, pour qu'elles assurent les services publics au service des citoyens. Personne ne doit être oublié. Opérons un recentrage de l'État sur des fonctions limitativement énumérées dans la Constitution, le reste des compétences relevant du niveau local. « Aucun nouvel acte de décentralisation ne pourra se passer d'une réforme en profondeur de l'État central lui-même. Seul un État resserré sur ses fonctions régaliennes et garant de la justice territoriale peut assurer la cohérence globale des échelons territoriaux », écrivait Pierre Mauroy.
Notre État raconte une histoire et dessine une mythologie. C'est un État fort, mais à l'instar d'une pieuvre à la tête trop grosse et aux tentacules territoriales trop petites, il souffre d'une centralisation et d'une verticalité héritées de la monarchie et du centralisme révolutionnaire. Cela ne signifie pas pour autant qu'il faille renoncer au modèle unitaire, ni sortir de l'État central, mais il faut en finir avec la vassalisation des territoires et entrer dans une logique de partenariat.
On mettra ainsi fin aux doublons inutiles entre État déconcentré et collectivités décentralisées, ainsi qu'au processus d'agencification qui signe le démembrement de l'État par lui-même, tout en court-circuitant les services déconcentrés et en entretenant une logique sélective.
Il convient d'ajuster les compétences des collectivités en réaffirmant le rôle social des départements, ou en rendant des compétences à la région, comme le service de l'emploi et l'apprentissage. De même il faut rompre avec une vision trop homogène du fonctionnement des EPCI.
La façon dont les collectivités travaillent ensemble doit aussi être repensée. Pour paraphraser Hobbes, il n'est pas possible que l'action territoriale soit caractérisée par la guerre de tous contre tous. L'inter-territorialité est le pendant horizontal de la subsidiarité. Elle doit remettre le citoyen et le territoire vécu au coeur des problématiques.
Cette nouvelle articulation doit passer par l'élaboration de pactes inter-territoriaux à l'échelle départementale ou inter-départementale. Ils sont la condition de l'affirmation d'une nouvelle justice spatiale devant aller des ruralités françaises aux zones urbaines en difficultés.
Cette vision encourage également la possibilité d'évolutions différenciées, adaptées aux diversités territoriales. Naturellement, lorsque nous parlons de différenciation, nous pensons singulièrement aux outre-mer, territoires régis par des statuts divers.
Cette nouvelle grammaire territoriale d'un État recentré et de territoires plus coopératifs va de pair avec le développement des ressources financières nécessaires pour agir au niveau local. Il faut aussi une démocratie locale renforcée et plus inclusive, s'appuyant davantage sur la responsabilité des citoyens. Le renforcement de la parité au sein des exécutifs est primordial, tout comme la mise en place d'un vrai statut de l'élu qui visera à diversifier l'origine sociale du personnel politique.
Cette proposition de résolution est l'occasion de démontrer que le principe de décentralisation ne saurait se démonétiser. À nous de lui redonner toute sa valeur, si importante pour nos territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)
M. Daniel Chasseing . - Je remercie Éric Kerrouche et le groupe socialiste et républicain de cette proposition de résolution, dans la lignée du projet de loi 3D. Il est important que le Sénat s'en empare.
La décentralisation transfère les compétences de l'État aux collectivités territoriales : l'économie est gérée par les régions, le social par les départements. Ces derniers sortent renforcés de la crise, car ils ont su mener des tests, en particulier dans les Ehpad, tout en procurant des masques quand l'État ne le faisait pas. Ils ont un rôle à jouer dans la réforme de la dépendance. Favorisons ceux qui embauchent des médecins salariés. On répondrait ainsi au problème des déserts médicaux par l'action de proximité.
La décentralisation doit articuler différenciation et souplesse pour répartir les compétences. Ainsi, l'articulation de la compétence économie entre le département et la région pourrait être aménagée au cas par cas. La même souplesse devrait prévaloir au niveau des intercommunalités et des communes : trois maires sur quatre considèrent que le transfert rigide de compétences a des conséquences négatives. Le département est pertinent pour l'action locale des territoires.
Il est nécessaire de déconcentrer l'action de l'État et des territoires. La mise en place de sous-préfets développeurs, prônée par le sénateur Bertrand auquel je veux rendre hommage, peut contribuer à développer l'emploi dans les territoires ruraux.
La différenciation est capitale au niveau économique pour proposer des avantages fiscaux aux ZRR des zones franches, renforcer le Fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce (Fisac), remplacer les emplois perdus dans certains territoires, ou encore soutenir l'agriculture. Car il n'y a pas de ruralité sans agriculture.
Les services publics doivent également bénéficier de cette différenciation dans les zones peu denses.
Le tourisme rural doit être davantage soutenu pour se pérenniser.
L'artificialisation des terres de manière uniforme sur les territoires pénalise les petites communes rurales qui avaient déjà du mal à obtenir des permis de construire, faute de plan local d'urbanisme.
Pour redonner vie aux territoires ruraux, il faut renforcer le département et déconcentrer avec un sous-service organisé par un sous-préfet développeur.
Jean-Marie Bockel, président de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales, dans sa lettre du 11 juin 2020, indiquait que 70 % des citoyens étaient favorables à l'adaptation de la loi aux territoires, mais sans modification de la Constitution ni bouleversement législatif.
Nous croyons à un État fort sur tout le territoire, mais ce texte reste insuffisant. Le Sénat doit être force de propositions.
Le Gouvernement doit porter des mesures efficaces et pragmatiques pour maintenir la vie dans les territoires ruraux. (M. Jean-Marie Bockel applaudit.)
Mme la présidente. - Mes chers collègues, je vous rappelle que vous pouvez revenir à la tribune pour faire votre présentation.
Mme Françoise Gatel . - J'associe Jean-Marie Bockel, président de la délégation aux collectivités territoriales à mes propos. La résolution présentée par nos collègues socialistes prend place dans un débat récurrent où les hésitations se mêlent à l'audace... La décentralisation est-elle une complainte ou une exigence ? Elle est en tout cas une conviction portée par le Sénat et par le groupe centriste, qui a organisé en septembre dernier le colloque « Tous égaux, tous différents » : vous y étiez, madame la ministre. Nous y avions formulé huit propositions pour un nouvel acte de décentralisation.
La décentralisation est aussi une nécessité appelée par le Président de la République.
Nous sortons d'un cycle de réformes territoriales, inventives pour certaines comme la recomposition des régions, brouillonnes pour d'autres comme la loi relative au statut de Paris et à l'espace métropolitain, trop corsetées quand il s'agit de la loi NOTRe qui essore les finances locales... Nous voilà réunis pour remettre l'ouvrage sur le métier.
La loi Engagement et proximité a un peu desserré l'étau qui emprisonnait le bloc local. Les élus ont exprimé leur irritation et un sentiment d'asphyxie. La crise des gilets jaunes a mis en exergue l'abandon des territoires, celle du Covid a montré l'agilité des collectivités territoriales et l'efficacité d'un partenariat intelligent entre l'État représenté par le préfet et les élus locaux.
Décentralisation, déconcentration, différenciation seraient une audace qui fracasserait la République une et indivisible ? Je ne le crois pas, car de quoi parlons-nous sinon de l'article 61-1 de la Constitution sur les droits et libertés garantis pour tous ? En 1995, sur la loi Aménagement du territoire, le Conseil constitutionnel avait indiqué que le législateur avait prévu la passation de conventions locales pour tenir compte de la spécificité de certaines situations territoriales. Loin d'enfreindre le principe d'égalité, cette procédure en assurait au contraire la mise en oeuvre.
La définition du mode de scrutin selon la taille des communes fracture-t-elle la République ? Ou bien encore la reconnaissance des spécificités ultramarines ? Ou la collectivité européenne d'Alsace ? Ou le pacte breton pour éviter la spéculation foncière ? Je ne le crois pas. Ces réalités confirment la nécessaire adaptation aux réalités locales. L'unité républicaine est garantie par l'autorité du législateur.
Trop souvent, nous ne faisons qu'ajouter des exceptions. La République ne peut pas être l'addition d'exceptions. Comment réussir la décentralisation dans le respect d'une République une et indivisible ? Il faut une volonté affirmée de l'État, et une confiance renouvelée dans les territoires.
« La loi est faite pour les hommes et non par les hommes. Elle doit se contenter de définir un cadre comme un champ des possibles », écrivait Portalis.
Clarifier les missions de l'État central et territorial est nécessaire, en reconstruisant l'ossature de chaque territoire.
Définissons le coeur de métier de chaque niveau de collectivité territoriale, tout en permettant des contractualisations.
Organisons aussi une coopération horizontale entre territoires car les citoyens franchissent les frontières. Le niveau des bassins de mobilité ou de vie est pertinent.
La capacité financière des collectivités territoriales, avec une péréquation de l'État, est nécessaire. Reconnaissons un vrai statut à l'élu. Ayons une audace décentralisatrice. La mission de Jean-Marie Bockel y contribue, développée à l'initiative du président du Sénat.
Si nous partageons l'objectif de la proposition de résolution, nous aurons des différences sur certains points. Le groupe centriste s'abstiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
M. Philippe Pemezec . - Je suis très heureux de participer au débat sur ce sujet fondamental. Je regrette que ceux qui l'organisent aient multiplié les lois qui ont fini par détruire celle de 1982... (Protestations sur les travées du groupe SOCR)
Depuis quelque temps, nous sommes de plus en plus nombreux à appeler le Gouvernement à un acte 3 de la décentralisation, et la crise sanitaire a confirmé cette nécessité.
Où était l'État obèse dans la gestion des masques ? Ce sont les régions, les départements et les communes qui s'en sont chargés ! La mienne a dû en fournir à la police nationale.
Où était l'État obèse dans la gestion des tests ? On nous en annonçait 700 000, on en est à la moitié, et ce sont les collectivités territoriales qui ont fait le travail. Nous avons testé tous les personnels communaux au contact d'enfants ou de personnes âgées.
L'État voulait s'occuper de tout, il ne s'occupe de rien, même plus de ses missions régaliennes : affaires étrangères, sécurité, immigration, bon fonctionnement de la justice. Les rebondissements de l'affaire Fillon ne jettent pas un jour très clair sur cette institution. Oui, l'État s'est perdu et il menace de couler le bâtiment France par le fond. Pourtant notre pays a de nombreux atouts : des territoires, une histoire, une culture, des savoir-faire.
Le sondage de la délégation aux collectivités territoriales montre que trois Français sur quatre estiment que la décentralisation est une bonne chose et qu'il faut renforcer ce processus.
Oui, mille fois oui, il faut passer à un acte 3 de la décentralisation alors que nous faisons face à la crise la plus grave de notre histoire depuis 1929.
Nous n'en sommes pas à définir les équilibres précis entre ville et ruralité, entre autres, car il faut d'abord rappeler la distinction entre décentralisation et déconcentration.
Le Président de la République, pourtant énarque, fait souvent la confusion entre les deux, sûrement à dessein.
M. Lecornu m'a fait sursauter en définissant les maires comme des agents de l'État ! Mettons fin à cette contrevérité qui vaudrait que la taille soit un gage d'efficacité, que big serait beautiful.
Ces super régions n'ont généré aucune économie réelle. Pourquoi ? Car elles n'ont pas les mêmes compétences que les Länder allemands. À l'inverse en Suisse, les microcantons suisses sont efficaces.
Mme la présidente. - Veuillez conclure.
M. Philippe Pemezec. - L'État doit se concentrer sur ses missions régaliennes et laisser le reste aux communes. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Jérôme Durain . - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) Nous sommes très fiers de présenter cette proposition de résolution, fruit d'un travail de longue haleine, amorcé il y a plus d'un an. Nous avons auditionné des chercheurs, relu les travaux du Sénat, organisé des rencontres... Nous avons aussi relu M. Macron, celui du début qui disait qu'il y avait trop d'élus locaux et le plus récent qui a désormais compris l'importance de la démocratie locale.
Nous souhaitons rester modestes, car en matière de décentralisation, trop de promesses ont été trahies. (On ironise sur les travées du groupe Les Républicains.)
Nous sommes issus de millésimes différents. Nous avons suivi les étapes du cursus honorum tant décrié par M. Macron. Nous avons tous appris qu'il y a une grande intelligence dans les territoires. Mais il ne faut pas se contenter de la saluer ; il faut l'accompagner et la faire prospérer.
Plutôt que de réinventer le fil à couper le beurre, nous proposons des mesures applicables, précises et réalistes.
Nous privilégions une vision globale et non clientéliste, car il ne s'agit pas de distribuer des caramels à tous les échelons.
Les collectivités territoriales ne doivent pas être des figurants, sans financements adéquats. Il faut mettre fin à la multiplication des agences nationales, synonymes de recentralisation et de gestion à distance, parallèlement au démembrement de l'État territorial. En matière de développement économique, on gagnerait à confier aux régions le service public de l'emploi.
Nous ne comptons pas supprimer telle ou telle loi parce qu'elle est issue du parti d'en face ; nous voulons redonner à chaque échelon sa juste place, et surtout à l'État. Nous voulons achever la démocratisation des collectivités locales avec davantage de femmes élues, et je salue les présidentes de région, Mmes Pécresse et Delga.
Cette nouvelle ère de décentralisation doit être celle de l'émancipation. Il faut rompre avec la logique d'infantilisation dénoncée à juste titre par M. Kerrouche.
Madame la ministre, cet esprit d'émancipation se retrouve-t-il dans le chantage du Président de la République qui promet un grand élan contre le report des régionales ? (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)
M. Jean-Claude Requier . - Depuis 1981, la décentralisation est le principal mot d'ordre des politiques publiques, presque une incantation. L'activité parlementaire sur le sujet est permanente, quasi frénétique, chaque gouvernement souhaitant apposer sa marque.
Nos collègues du groupe socialiste et républicain proposent de débattre de ce que pourrait être le prochain acte de la décentralisation. Voilà pourtant 40 ans que nous le faisons, sans parvenir à la stabilité de notre organisation territoriale, en dépit des effets d'annonce et des concertations.
L'exposé des motifs le précise : « Les maires ne sont pas favorables à un nouveau bouleversement institutionnel entre collectivités locales ou en matière de compétences ».
Il est indispensable de remédier à cette situation, et le Sénat, en tant qu'interlocuteur privilégié des élus locaux, doit en être un catalyseur attentif. Pensons aux imbroglios de la compétence eau et assainissement !
L'appel à renforcer le plan de soutien aux collectivités dans le contexte sanitaire et économique actuel apparaît comme une priorité conjoncturelle indéniable.
Le « plan de rebond territorial », qui se concentrerait sur la santé, la couverture et l'accessibilité numériques est une évidence.
Le groupe RDSE a été à l'origine de la création de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) pour combattre les ruptures d'égalité dans l'accès aux services publics et aux infrastructures. L'égalité entre les territoires passe aussi par la lutte contre l'illectronisme, une question chère à Raymond Vall et à mon groupe, et qui gagnerait à être déclarée grande cause nationale.
Nous restons pour notre part très sceptiques - pour ne pas dire opposés - quant à l'introduction d'une clause constitutionnelle attributive de compétences à l'État. Cela nous semble même antinomique de la stabilité institutionnelle réclamée par les élus.
Souvenons-nous des débats interminables entre 2010 et 2015 sur la clause de compétence générale. Pourquoi les rouvrir ? Ne nous dirigeons pas vers un modèle quasi-fédéral dont je ne suis pas certain qu'il corresponde aux aspirations de nos concitoyens.
La France, est un pays riche de sa diversité et splendide par son unité, une condition décisive de son existence selon Fernand Braudel. En ces temps de crise où nous demandons davantage de l'État, il serait paradoxal d'ouvrir cette brèche.
Rien ne serait pire que de libéraliser l'autonomie fiscale, au risque de créer une concurrence entre les territoires et de favoriser ceux qui sont déjà bien pourvus en valeur ajoutée. Il convient d'abord d'améliorer la solidarité financière et la péréquation, indispensables à l'unité de notre Nation.
Nous sommes toutefois aussi surpris qu'heureux de constater que l'échelon départemental retrouve grâce aux yeux des auteurs de la proposition de résolution. Pensaient-ils cela lorsque dans les lois Maptam et NOTRE, ils promouvaient la métropole comme un nouvel Eldorado ? (M. François Bonhomme approuve.)
Assez de pactes territoriaux prescriptifs. La subsidiarité suppose des espaces de liberté plutôt qu'un pullulement administratif avec des chevauchements d'échelons. Attention à ne pas commettre les mêmes erreurs que par le passé malgré des habits nouveaux.
Nous sommes réservés à l'égard de cette proposition de résolution.
M. Didier Rambaud . - Les deux crises majeures des gilets jaunes et du Covid ont mis en avant la demande de retour à la proximité. Ces périodes mouvementées rappellent le rôle incontournable des élus locaux comme garants du lien social. Les maires incarnent l'État dans les territoires
Ces crises ont aussi fait ressortir la demande d'une décentralisation plus aboutie. Non pas plus de décentralisation, mais une meilleure décentralisation qui donnerait plus de compétences aux collectivités territoriales, et qui favoriserait la déconcentration et la différenciation.
Nous partageons tous au Sénat le diagnostic d'un nécessaire retour à la proximité, et notre assemblée apporte un soutien indéfectible à notre République décentralisée.
Pour autant, la décentralisation n'est qu'une réalité récente de notre histoire institutionnelle. Notre organisation décentralisée est le résultat d'une construction par vagues dont la dernière a été la loi NOTRe, loi qui a laissé des souvenirs...
M. François Bonhomme. - Douloureux !
M. Didier Rambaud. - Je me réjouis de constater que les socialistes reconnaissent qu'elle mérite d'être corrigée. (M. Vincent Éblé émet des réserves.)
La décentralisation ne pourrait se faire sans repenser l'organisation de l'État territorial. Pendant la crise du Covid, le couple maire-préfet a démontré qu'il fonctionnait. Le bloc communal doit être le premier acteur d'une République décentralisée.
Parfois des doublons de compétences existent et la lisibilité du « qui fait quoi » et « qui paie quoi » en souffre. Doit-on pour autant tout remettre en cause ? La question est trop lourde et complexe pour qu'on la traite dans une proposition de résolution. Elle mérite un vrai débat, qui sera sans doute animé, comme toujours dans notre pays marqué par l'éternelle opposition entre Girondins et Jacobins.
Pouvons-nous énoncer clairement la position du Sénat sur des sujets aussi nombreux et complexes que l'autonomie fiscale des collectivités territoriales, la limitation constitutionnelle des pouvoirs de l'État, la répartition des blocs de compétences entre échelons de collectivité territoriale, le transfert à la carte des compétences, la nomenclature budgétaire, la création d'un pouvoir réglementaire ou encore la participation citoyenne sans en avoir longuement débattu ?
Tout cela peut-il entrer dans une proposition de résolution ? Je ne le crois pas, et cela ne ferait pas honneur à la réputation de sérieux du Sénat. Aussi nous nous abstiendrons.
M. Jacques Bigot.- En Marche est dans l'impasse ! (Sourires)
M. Jean Louis Masson . - Si l'on veut réussir la décentralisation, encore faut-il qu'elle soit organisée de manière cohérente. La définition du cadre territorial reste un élément fondamental. Or les circonscriptions administratives manquent de cohérence.
Le gouvernement Valls a pris l'initiative d'une fusion autoritaire des régions. Cela se justifiait dans certains territoires ; dans d'autres, les régions sont devenues des monstres tentaculaires. (Mme Françoise Gatel approuve.) C'est complètement débile. Comment expliquer que la région Grand-Est soit plus que deux fois plus grande que la Belgique ?
M. François Bonhomme. - Et l'Occitanie !
M. Jean-Louis Masson. - Les habitants de l'Aube - territoire deux fois plus proche de Paris que de Strasbourg - ont été traités pendant la crise du Covid comme s'ils habitaient à Strasbourg. C'est à 200 km d'un établissement scolaire que l'on décide parfois d'un changement d'horaire de transport, et il arrive même qu'on se trompe de lieu. C'est aberrant !
M. François Bonhomme.- Exactement !
M. Jean-Louis Masson.- François Hollande et Manuel Valls ont décidé du découpage des régions sur un coin de table et l'ont modifié le jour suivant, simplement parce que Dupond ou Durand était passé ! (M. François Bonhomme approuve.)
Il serait temps de penser à faire quelque chose de pertinent !
M. Pascal Savoldelli . - (Marques d'encouragement sur les travées des groupes CRCE et SOCR) Sur la décentralisation, il y a du travail : les élus locaux ont tenu honorablement la barre pendant la crise du Covid, avec les moyens du bord.
L'organisation territoriale est le coeur de cible de la réduction de la dépense publique. Or il faut desserrer l'étau financier qui contraint les collectivités territoriales.
Nous ne voulons pas que les élus locaux soient perçus comme un coût à écrêter. Nous souhaitons au contraire qu'ils soient mieux reconnus.
Nous nous félicitons du consensus sur l'échelon départemental, partenaire des communes et intercommunalités. Son existence ne semble plus menacée.
Nous refusons que le préfet devienne une entité indépendante. Le décret du 8 avril est à ce titre déplorable. Il permet des dérogations qui font le bonheur des promoteurs immobiliers.
Vous opposez l'État et les collectivités territoriales alors qu'ils doivent être complémentaires. Dans ce système fédéral, les collectivités territoriales seraient en concurrence, ce qui favoriserait le dumping social et environnemental.
Le renvoi au pouvoir réglementaire local ne doit pas entraîner de régression par rapport à la loi.
La proposition de résolution veut consacrer la clause de compétence générale des communes. Nous aussi, mais pour tous les niveaux de collectivités territoriales. Voilà une mesure de décentralisation forte permettant de donner les moyens d'agir localement.
Il est curieux de déplorer le repli local tout en défendant la différenciation, mère des inégalités territoriales, de la concurrence et des mouvements identitaires. Notre profond attachement à une République une, indivisible et protectrice ne peut que nous faire bondir à l'idée d'énumérer de manière limitative dans la Constitution les compétences de l'État. L'État n'est pas un partenaire, cette vision managériale de la République est dangereuse.
On le sait, quand les élus locaux récupèrent des compétences, l'État se désengage, sans contrepartie adéquate. Au lieu de céder à la tentation de moins d'État et donc de marchandisation des services, demandons plus d'État. La complémentarité doit être le maître mot, avec l'État et entre collectivités. Nous nous opposons fermement à l'avènement d'un État fédéral.
Nous n'avons pas eu l'impression de lire un texte qui reprenne les excellents principes de 1982-1983, mais une résolution pour un État central qui morcelle et désagrège ses missions nationales, ce qui permettra au marché de récupérer des activités à haute valeur ajoutée.
L'abstention de nos collègues est diverse, et pas toujours argumentée. Faute de pouvoir amender une proposition de résolution, nous y serons défavorables.
M. Jean-Raymond Hugonet . - Le 25 avril 2019, en clôture du grand débat, le Président de la République a annoncé un nouvel acte de la décentralisation. Représentant des collectivités territoriales, le Sénat est aux premières loges pour y contribuer.
S'il faut se garder de tout jeter par-dessus-bord pour espérer rejoindre les rives d'un pseudo-nouveau monde, reconnaissons que de nombreuses erreurs ont été commises.
La première est de raisonner en termes de « partage » de compétences entre l'État-Nation et les pouvoirs locaux. Idéalement, la répartition des compétences est rationnelle : la défense à l'État, la collecte des ordures ménagères à un syndicat intercommunal. Mais au fil des réformes ubuesques, la cohérence s'est perdue et les Français n'y comprennent plus rien. Pour y remédier, il faut nous appuyer sur des échelons qui ont démontré leur pertinence et leur solidité, parfaitement identifiés par nos concitoyens, fruits de notre histoire et fondement de notre République : la commune et le département.
La crise sanitaire a montré que le couple maire-préfet était le plus efficace, le plus adapté, si tant est qu'on ne les considère pas comme simples agents de fabrique ou commissaires.
La déconcentration doit être renforcée pour adapter les décisions aux réalités locales. La différenciation fait partie des gènes de la décentralisation : elle constitue le meilleur moyen de réduire les inégalités territoriales et sociales.
Cela ne suppose pas un État affaibli, dépecé - au contraire ! Les préfets pourraient devenir les référents et les représentants de toutes les agences de l'État. Qui parmi nous n'a pas assisté, médusé, à une réunion de coordination départementale où le préfet se retrouve face à trois administrations sur lesquelles il n'a pas la main : l'ARS, la DDFIP et le rectorat !
Un tel sujet aurait mérité une approche plus large et moins subreptice, pour nous aider à faire abstraction d'un passé encore douloureux dont François Hollande, Manuel Valls et Marylise Lebranchu sont l'incarnation. (M. Vincent Éblé s'exclame.) Le groupe Les Républicains s'abstiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Didier Marie . - L'action des élus de terrain pendant la crise sanitaire a été unanimement saluée ; ils ont réagi avec efficacité et agilité, alors que les directives de l'État se faisaient attendre quand elles n'imposaient pas des injonctions contradictoires. À cet égard, notre proposition de résolution appelle le Gouvernement à compenser les pertes de recettes et à mettre en oeuvre dans les meilleurs délais le plan de soutien aux collectivités territoriales.
Nous demandons l'abandon des contrats léonins de Cahors, véritable carcans budgétaires, l'instauration d'une loi de financement des collectivités territoriales, adossée aux lois de finances, qui mettrait fin aux incertitudes des collectivités et serait gage de transparence.
Serait intégrée à ce cadre financier une nouvelle nomenclature budgétaire mettant en lumière les dépenses contraintes des collectivités.
La suppression de la taxe d'habitation accentue la dépendance financière des collectivités aux décisions de l'État. Dans ce contexte, une remise en cause des impôts de production est inacceptable. Nous demandons la suppression de la réforme fiscale et l'instauration d'un ratio d'autonomie fiscale. L'État doit intégralement compenser les transferts de charge ainsi que l'impact financier des normes imposées aux collectivités locales.
Les ressources et charges des collectivités sont décorrélées et les principes mêmes de la péréquation, obsolètes. Nous demandons la révision des valeurs locatives qui fossilisent les inégalités. Il serait judicieux de déterritorialiser la fiscalité économique et d'instaurer un système de prélèvement-redistribution à l'échelle d'une zone d'emploi pour favoriser la coopération au lieu de la concurrence entre territoires. Les appels à projets devaient être encadrés, voire supprimés.
Enfin, le futur cadre financier devra prendre en compte l'impératif de la transition écologique et de la soutenabilité environnementale des politiques publiques. L'État ne pourra se passer de la connaissance du terrain des collectivités territoriales. C'est à l'échelle des territoires que se jouent les enjeux de la mobilité et de la rénovation énergétique.
Une « dotation verte » permettrait de donner aux collectivités territoriales les moyens de leur action. Elle pourrait être partiellement abondée par des placements citoyens de type livret d'épargne pour la transition locale.
Tous les défis d'avenir de notre pays - transition énergétique et écologique, nouveau modèle agricole, réindustrialisation, plus grande association des citoyens - supposent un puissant mouvement de décentralisation.
Nous proposons un changement de paradigme, avec une limitation des compétences de l'État inscrite dans la Constitution, celles des collectivités territoriales devenant la règle pour tout le reste.
Comme le disait François Mitterrand, « Si la France a eu besoin d'un pouvoir fort et centralisé pour se faire, elle a aujourd'hui besoin d'un pouvoir décentralisé pour ne pas se défaire » (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)
M. Stéphane Piednoir . - De quoi la décentralisation est-elle le nom ? La France est un patchwork, un ensemble de provinces réunies par la guerre ou les mariages, uni par la langue française depuis l'édit de Villers-Cotterêts en 1539.
M. François Bonhomme. - Bravo !
M. Stéphane Piednoir. - Nos territoires ont conservé de fortes identités dans leurs traditions, leurs singularités culturelles et économiques. L'histoire tumultueuse de notre pays est marquée par le jacobinisme, avec la commune et le département comme échelons de base de notre administration depuis 1789.
Le vent de décentralisation du XXe siècle correspondait à de nouveaux besoins, mais a créé une superposition de strates administratives et une imbrication des compétences peu lisibles, sans compter les nouvelles dépenses de structure. Si la gestion de proximité avait du sens, l'État s'est trop souvent délesté de certaines charges.
Ne parlons pas de la désastreuse loi NOTRe...
M. Vincent Éblé. - Adoptée à l'unanimité en CMP !
M. Stéphane Piednoir. - ... par laquelle François Hollande a saccagé le travail de décentralisation des années 1970 et 1980.
M. Vincent Éblé. - Vous réécrivez l'Histoire !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - C'est la mode. (Sourires)
M. Stéphane Piednoir. - En raison de ce capharnaüm administratif, les élus locaux, devenus extrêmement méfiants, et aspirent à la stabilité. Vaccinés par la réforme des rythmes scolaires et leur corollaire, les temps d'accueil périscolaire, ils s'interrogent sur la création des 2S2C.
La confiance envers l'État s'effrite et la colère monte quand le Gouvernement rogne l'autonomie financière en supprimant la taxe d'habitation ou en retirant aux régions la gestion de l'apprentissage. (M. François Bonhomme approuve.)
La clarification des compétences est essentielle. À l'État les missions régaliennes, si malmenées ces derniers temps, aux exécutifs locaux l'administration de proximité. La clause générale de compétence pour les communes doit être garantie ; il faut un pacte financier stable qui ne soit pas remis en cause à chaque loi de finances. Cela pourrait prendre la forme d'une nouvelle nomenclature budgétaire visant à prendre en compte les dépenses contraintes.
Chassons les doublons et les compétences si croisées qu'elles en deviennent illisibles. La rénovation des bâtiments du patrimoine public serait une source considérable de gains énergétiques ; un plan État-région spécifique serait bienvenu.
Réservé sur les modalités préconisées par cette proposition de résolution, je m'abstiendrai. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales . - Merci pour cette proposition de résolution qui nous donne l'occasion de débattre d'un sujet sur lequel vous connaissez mon engagement. La décentralisation est devenue la forme naturelle de l'organisation de notre République ; elle est gravée dans le marbre de la Constitution.
Vous avez raison de rappeler le rôle fondateur du parti socialiste dans cette évolution, mais d'autres y ont contribué, par-delà des frontières partisanes. La décentralisation est par essence un processus et appelle une réflexion, surtout après une crise sanitaire qui a mis à l'épreuve notre organisation territoriale.
Restons à l'écoute des événements, faisons preuve de prudence et de modestie, monsieur Durain, en évitant d'évoquer les succès supposés des uns et les échecs des autres. Chacun a fait son travail. On peut saluer la réussite de l'État aussi, à commencer par l'hôpital : globalement, le système sanitaire a tenu. L'État est garant de la sécurité sanitaire et sociale, cela mérite d'être rappelé.
La décentralisation est un sujet complexe. Méfions-nous des réactions hâtives. Parfois, le besoin de pérennité l'emporte sur l'envie de transformation. C'était la demande unanime des élus locaux au début de ce mandat : n'en rajoutez pas, laissez-nous digérer les réformes, disaient-ils.
Cependant, des voix se sont élevées pour demander un approfondissement de la décentralisation. La stabilité n'empêche pas la mobilité. J'ai donc lancé en janvier dernier des consultations régionales pour échanger avec les acteurs locaux sur leurs attentes en matière de décentralisation. J'ai continué à dialoguer depuis, par écran interposé, dans un climat de grande confiance.
Après une longue vie d'élue locale, j'ai acquis la conviction que la prochaine étape de la décentralisation ne devait pas être forcément la copie conforme des précédentes étapes. C'est pourquoi j'ai ajouté déconcentration et différenciation.
Mardi dernier, le Gouvernement a transmis au Conseil d'État un projet de loi organique relatif à l'expérimentation territoriale - la différenciation est le nouveau visage de la décentralisation. Au terme d'une expérimentation, l'alternative était sa généralisation ou son abandon ; dorénavant, elle pourra être pérennisée sur certains territoires. C'est une révolution - même si le droit actuel reconnaît déjà la spécificité d'un territoire, avec la loi Montagne notamment.
Fernand Braudel écrivait que « La France s'appelle diversité ». Les politiques publiques doivent s'y adapter. Il faut autoriser des réponses différentes selon les singularités des situations - ce que j'appelle le « cousu main ».
C'est pourquoi nous avons créé la collectivité européenne d'Alsace, qui pourra par exemple mener des expérimentations transfrontalières.
Nous devons assumer la complexité de l'action publique pour en tirer le meilleur parti. Inscrire dans la Constitution ce qui relève ou non du régalien n'est ni possible, ni souhaitable. (Marques d'approbation sur les travées du groupe Les Républicains) Quid de l'économie, du social ?
Nous ne sommes pas un État fédéral. Chacun a rappelé comment s'était constitué l'État-Nation. « L'action, ce sont les hommes au milieu des circonstances », disait le général de Gaulle.
M. Jean-Raymond Hugonet. - Très bien.
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - La loi NOTRe, tant décriée, a malgré tout eu le mérite de clarifier les compétences, ce que certains continuent de réclamer. Mais il est normal d'avoir des secteurs de compétence partagée. Souvenez-vous des heures de débat, ici même, sur la compétence culture ! On ne peut empêcher l'État, la région, le département d'avoir une politique culturelle.
M. Jean-Raymond Hugonet. - Très bien.
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Il faut le respecter, et trouver des solutions. Le plan Pauvreté signé entre l'État et les collectivités territoriales est une réussite parce qu'il reconnaît que la compétence sociale est partagée. C'est le sens de l'engagement du Gouvernement en faveur de la contractualisation et des pactes territoriaux. C'est ainsi que nous renforcerons la concorde républicaine pour mieux préparer la France aux défis contemporains et futurs.
L'organisation de l'État et de notre action doit profondément changer, a dit le Président de la République, invitant à donner plus de responsabilité à ceux qui agissent au plus près de nos vies.
M. François Bonhomme. - Amen.
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Face à la crise écologique et sanitaire, il faut de nouvelles alliances entre l'État et les collectivités territoriales. « Il n'est de richesse que d'hommes », disait Jean Bodin. Notre force de caractère et notre capacité d'initiative nous permettront de faire plus et mieux.
Le projet de loi 3D approfondit la décentralisation dans le domaine de la transition écologique, du logement, du transport, et nous devons tirer les conséquences de la crise en matière de santé et de solidarités.
La réforme de l'organisation territoriale de l'État, premier sujet cité par les élus, passe par un renforcement de la déconcentration des moyens, des pouvoirs et des agents de l'État, la restauration de l'unité de la parole de l'État dans les territoires, autour du préfet de département.
M. Loïc Hervé. - Oui !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Cette réflexion devra être menée aussi pour les agences et opérateurs autonomes de l'État.
M. Loïc Hervé. - Ô que oui !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Je n'ouvrirai pas le débat sur les finances locales et l'autonomie financière des collectivités. Nous en débattons souvent avec Vincent Éblé, Albéric de Montgolfier et Charles Guené. Le sujet va au-delà de la compensation des transferts de compétences : il faudra discuter des impôts locaux, des dotations de l'État, de l'attribution de parts d'impôts nationaux...
J'avais signé avec Yves Krattinger un rapport sur l'intelligence des territoires. Pierre Veltz évoque les mille fils tendus qui solidarisent et unissent les territoires. Notre réflexion doit prendre en compte le rôle des citoyens, des initiatives, des solidarités. Libérons les liens, multiplions les initiatives pour inventer ensemble l'avenir de notre pays. L'État sera aux côté des territoires pour garantir cohésion et équité. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)
M. Patrick Kanner. - Rappel au Règlement ! Quand un sénateur interpelle le Gouvernement, il est d'usage que le ministre lui réponde.
La réforme territoriale a été évoquée mardi lors d'un déjeuner avec le Président de la République où j'étais présent. Emmanuel Macron a dit vouloir que les régions et départements passent par la « grande porte » qu'il leur propose : une grande réforme territoriale, une implication dans le plan de relance - ce qui ne serait pas compatible, a-t-il dit, avec l'organisation d'élections en mars prochain. Si les élus veulent passer par la petite porte, lui passera au-dessus, pour défendre l'intérêt général et sauver le pays.
Le Président de la République lie donc la réforme territoriale et le report des élections départementales et régionales. Nous pensons, nous, - et le président Retailleau partage cet avis - que nous sommes capables de faire les deux, en même temps. L'histoire récente a montré que des maires, même battus, se sont démenés pour aider leurs concitoyens. Donnez-nous une réponse claire. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)
Mme la présidente. - Acte vous est donné de ce rappel au Règlement.
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Je ne veux pas me dérober. Vous en savez autant que moi. (Rires) Je n'ai pas assisté à votre déjeuner, mais à celui entre deux présidents de régions et le Président de la République. Le président de Régions de France s'est interrogé sur la tenue des élections au milieu du plan de relance ; le Président de la République lui a répondu en être conscient. Je n'en sais pas plus !
M. René-Paul Savary. - C'est précis...
M. François Bonhomme. - Nous voilà rassurés ! (Sourires)
La proposition de résolution est adoptée.
(Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)
Création d'un fonds d'indemnisation des victimes du Covid-19
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle une proposition de loi relative à la création d'un fonds d'indemnisation des victimes du Covid-19.
Discussion générale
Mme Victoire Jasmin, auteure de la proposition de loi . - Dans une France qui commence à panser ses plaies, cette proposition de loi est attendue. Mes premières pensées vont aux victimes de la Covid-19 et à leurs familles. J'associe à ces travaux le groupe socialiste et républicain et plus particulièrement le sénateur Lurel.
Je salue l'excellent rapport de Corinne Féret qui a proposé des amendements pour améliorer le texte initial.
Ce texte a été rédigé durant les pires heures de l'épidémie. De nombreux professionnels et bénévoles ont bravé la contagion, voire sacrifié leur vie, pour nous protéger. Je pense à eux et à leurs proches. Les applaudissements à 20 heures et les manifestations de gratitude ont été un réconfort pour les premiers de corvée, qui ont assuré ce service à la Nation : je pense au personnel de santé, aux pompiers, ambulanciers, forces de sécurité, personnel de l'Éducation nationale et des crèches, aides à domicile, services de propreté, salariés des pompes funèbres et de la grande distribution, agents de la RATP, ou encore aux bénévoles de la réserve sanitaire...
Cette période a été exceptionnelle tant par sa gravité que par sa durée. Nous avons dû adopter en urgence le confinement, mesure de salubrité publique pour épargner de nombreuses vies.
Cependant, certains salariés et bénévoles ont été exposés à un risque accru de contamination, d'autant que les équipements de protection faisaient défaut. Souvent, ces professionnels ont été atteints d'une forme bénigne, mais d'autres ont développé des formes graves et garderont des séquelles, voire sont morts. Les services funéraires se sont déroulés dans des conditions difficiles d'isolement et d'anonymat, compliquant le deuil pour les familles.
Le ministre Véran a annoncé que certains pourront prétendre à réparation et accélère enfin la publication des ordonnances et décrets permettant la reconnaissance de la Covid-19 comme maladie professionnelle pour les soignants.
Mais cette avancée réglementaire ne reconnaît pas le service rendu à la Nation par l'ensemble de ceux ayant travaillé. Rendons hommage et témoignons reconnaissance et humanisme à ceux qui étaient au front durant cette guerre.
Cette proposition de loi crée un fonds d'indemnisation des victimes de la Covid-19 destiné à réparer intégralement leur préjudice, pour elles ou leurs ayants droit. Les associations attendent beaucoup de nous.
Les auditions avec ces associations, avec la CNAM et la direction de la sécurité sociale, ont mis en lumière la nécessité d'un processus d'indemnisation simplifié et équitable.
Ce fonds ne se substitue pas au régime d'indemnisation des maladies professionnelles, mais lui est complémentaire. Opposer les deux mécanismes serait un non-sens.
J'entends les réserves sur un risque de multiplication de contentieux à l'avenir. Mais circonscrire ce fonds à la période de l'état d'urgence sanitaire, comme le propose Corinne Féret, apporte un garde-fou suffisant.
Plutôt qu'une contribution de l'État ou des employeurs via la branche AT-MP, nous avons opté pour un financement via une taxe additionnelle à la taxe Gafam, au vu des énormes bénéfices engrangés par les géants du numérique pendant le confinement. Cela conjugue équité sociale et pragmatisme fiscal.
Les premiers de corvée ont été exposés au virus à un moment où la France manquait cruellement de masques. Nul doute que le Gouvernement a tiré les leçons de cet épisode et qu'une telle situation ne se reproduira pas, même en cas de deuxième vague.
La gratitude de la Nation doit s'exprimer. Je vous propose un outil simple et juste, fondé sur des critères objectivables, pour réparer le préjudice d'un nombre limité de personnes, professionnels ou bénévoles, victimes de la Covid-19. C'est avec humilité, gravité et confiance que je vous soumets cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)
Mme Corinne Féret, rapporteure de la commission des affaires sociales . - La création d'un fonds d'indemnisation au titre d'une contamination par un agent pathogène respiratoire serait une première. J'entends l'interrogation légitime sur le risque de créer un précédent qui fragiliserait le système AT-MP, lequel repose sur la responsabilisation des employeurs.
Mais cette proposition de loi de Victoire Jasmin - que je salue -vise à répondre à une situation parfaitement inédite. Elle vient reconnaitre l'engagement professionnel et bénévole de ceux qui, pendant la phase aiguë de l'épidémie, ont assuré la continuité de services publics indispensables à la vie de la Nation.
Le personnel des établissements de santé et médico-sociaux a été exposé à un risque accru, d'autant que les équipements de protection manquaient. Le ministre de la Santé a annoncé pour eux un dispositif de reconnaissance automatique comme maladie professionnelle. Nous ne savons pas s'il intégrera le personnel administratif et d'entretien, s'il se limitera à une réparation forfaitaire.
D'autres secteurs ont continué de fonctionner pendant le confinement. Je pense aux premiers secours, ambulanciers, forces de sécurité, personnels de l'Éducation nationale et des crèches accueillant les enfants de soignants, aides à domicile, services de propreté et de salubrité publique, salariés des pompes funèbres, salariés de la grande distribution, des transports, de la logistique et de la livraison, du secteur postal ou encore salariés des abattoirs.
Ces nombreux travailleurs et bénévoles ont été exposés à un risque accru. Certains ont développé des formes graves ayant pu donner lieu à des séquelles invalidantes, voire conduit au décès.
Quel recours pour obtenir une réparation de leur préjudice, en reconnaissance du service qu'ils ont rendu à la Nation ? Au mieux, une procédure longue de demande de reconnaissance de maladie professionnelle, qui nécessite un taux d'invalidité de 25 % et qui n'est pas ouverte aux bénévoles.
Ce texte institue un processus d'indemnisation intégrale simplifié et équitable de toutes les personnes exposées à un risque accru pendant le confinement, au-delà des seuls soignants. Cette répartition intégrale pourrait venir compléter la réparation forfaitaire au titre de la maladie professionnelle.
J'ai présenté en commission des amendements pour circonscrire le champ des bénéficiaires de la proposition de loi et son horizon temporel. Je souhaitais identifier les conditions permettant de créer une présomption irréfragable pour alléger la charge de la preuve, via une liste d'activités ayant présenté des risques accrus et des critères objectivables.
Afin de consacrer le caractère exceptionnel de ce fonds, je souhaitais fixer une borne temporelle : du 16 mars au 10 juillet 2020, date de cessation de l'état d'urgence sanitaire. Pendant la phase aiguë de l'épidémie, certains ont été plus exposés pour assurer la continuité de certains services pendant que les autres étaient confinés.
L'exposition au virus d'agents de l'État et l'indemnisation des ayants droit de personnes décédées plaident pour une mobilisation de la solidarité nationale et donc une contribution financière de l'État.
La commission des affaires sociales n'a pas adopté ces amendements qui auraient garanti la crédibilité d'un dispositif qui répond à une situation exceptionnelle. La commission a en effet estimé qu'en l'état des connaissances scientifiques sur les effets à long terme de la maladie, il était prématuré de créer un tel fonds.
Seul l'intitulé du texte a été modifié en commission, qui s'est abstenue, sans que cela n'empêche un rejet en séance publique. À titre personnel, je vous invite à adopter ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites et auprès de la ministre du travail, chargé de la protection de la santé des salariés contre l'épidémie de covid-19 . - La crise sanitaire est à bien des égards inédite : dans sa fulgurance et sa diffusion, par sa mortalité auprès des plus fragiles, par la mobilisation que nous lui avons opposée. L'ensemble de nos forces sanitaires se sont engagées en première ligne sans faillir. Le pays a ainsi continué à vivre grâce aux travailleurs de deuxième ligne, selon les mots du Président de la République : sans exhaustivité, agriculteurs, éboueurs, enseignants, chauffeurs routiers, manutentionnaires, hôtes et hôtesses de caisse, ainsi que les maires et élus locaux que votre chambre représente si bien.
Vous avez raison madame Jasmin, les conditions que l'épidémie a imposées pour les funérailles des victimes de la Covid ont été douloureuses pour les proches et les familles.
La crise sanitaire n'est pas achevée : il faut rester vigilant partout sur le territoire, d'autant que s'y ajoute une crise économique. Le Gouvernement a répondu, dans l'urgence : activité partielle généralisée, primes au personnel soignant, plan de soutien aux secteurs sinistrés, allocations exceptionnelles aux plus fragiles.
Nous sommes dans une seconde phase, avec le Ségur pour le monde de la santé, le soutien aux salariés et le plan de relance, nous sommes dans une nouvelle phase.
La proposition de loi de Mme Jasmin propose l'indemnisation intégrale de toutes les personnes touchées par la Covid-19, dans leur activité professionnelle ou bénévole, ainsi que de leurs ayants droit.
Le Gouvernement partage votre attention à ce sujet sensible, éminemment complexe, madame Jasmin. Selon votre proposition de loi, il reviendrait au demandeur de justifier de sa contamination dans un cadre professionnel. Une commission médicale indépendante constituée au sein du fonds se prononcerait sur le lien entre la contamination et la pathologie.
La prise en charge des travailleurs atteints de la Covid-19 dans le cadre professionnel est indispensable. C'est une préoccupation majeure du Gouvernement, qui apporte une attention particulière aux soignants. Le 23 mars, le ministre Véran s'est engagé à reconnaître auprès d'eux la Covid comme maladie professionnelle. C'est la moindre des choses pour les travailleurs de première ligne.
Pour les autres travailleurs contaminés dans le cadre de leur activité professionnelle, nous voulons une indemnisation facilitée. Toutefois, je ne partage pas le souhait de créer un fonds dédié. Notre sécurité sociale dispose d'une branche dédiée, la plus ancienne de celles qui la composent, la branche AT-MP, pilier de notre démocratie sociale, qui fonctionne bien. Elle est tout à fait apte à cette mission. Créer un fonds serait lourd et complexe. Il faudrait une expertise individuelle de chaque dossier. Ce serait source de nombreux contentieux. Je ne crois pas que cela rendrait service aux victimes.
Le Gouvernement propose un système de reconnaissance simplifié et rapide : à cette fin, des décrets seront présentés prochainement aux partenaires sociaux. Nous allons ainsi créer un tableau de maladies professionnelles dédié. Il concernera tous les soignants des établissements sanitaires et médico-sociaux, mais aussi tous les non-soignants travaillant en présentiel dans ces structures, toutes les personnes assurant le transport et l'accompagnement des personnes atteintes de la Covid-19. Les professionnels de santé libéraux bénéficieront de cette reconnaissance dans les mêmes conditions que les autres soignants.
La procédure indemnisation, pour les non-soignants, sera facilitée. Un comité national sera constitué en lieu et place des comités régionaux. La reconnaissance en maladie professionnelle est importante. Elle permet une prise en charge des frais de soins à hauteur de 100 % des tarifs d'assurance maladie ; une prise en charge plus favorable des indemnités journalières, ainsi qu'une indemnité - rente ou capital - en cas d'incapacité permanente.
Une rente est versée aux ayants droit en cas de décès. Elle s'élève à 40 % du salaire de la victime pour l'époux survivant et à 25 % pour chaque enfant à charge jusqu'à leur 20 ans.
C'est une indemnisation substantielle pour les victimes, dans un cadre simplifié et efficace. Une prise en charge adaptée à l'origine professionnelle de la maladie.
Le Gouvernement ne souhaite pas faire porter la charge de l'indemnisation sur les employeurs directement concernés. Ce serait un non-sens pour ces entreprises qui se sont mobilisées durant la crise. Nous souhaitons donc mettre en place un dispositif de mutualisation, puisque la cotisation AT-MP comprend une part mutualisée entre tous les employeurs. C'est une question de solidarité nationale. Cette part sera prise en charge par l'État pour les professionnels de santé libéraux qui ne bénéficient pas d'une couverture AT-MP.
L'indemnisation des professionnels de santé libéraux sous couverture AT-MP, sera prise en charge par l'État.
J'appelle votre attention sur les risques de précédent, mettant en danger les fondements de la tranche ATMP.
Comment justifier qu'une personne atteinte du Covid soit mieux indemnisée qu'une personne atteinte d'un cancer professionnel ? La branche AT-MP issue d'un consensus social de longue date a une expertise qui lui permet de traiter 650 000 accidents du travail et 50 000 maladies professionnelles par an.
Nous devons être au rendez-vous des victimes du Covid. C'est pourquoi le Gouvernement propose d'agir par décret rapidement.
Vous pouvez compter sur mon engagement et celui du Gouvernement pour le faire dans les meilleurs délais.
Mme Jocelyne Guidez . - Mes pensées vont d'abord vers les victimes, leurs proches, leurs familles, et j'exprime ma solidarité envers les pays confrontés en ce moment au pic épidémique. Cette pandémie s'est propagée à grande vitesse et a mis à mal les systèmes de soins, d'où la nécessité du confinement.
Nombre de travailleurs ont été en première ligne : les soignants, évidemment, mais aussi les premiers secours, les ambulanciers, les forces de sécurité, les enseignants et le personnel de l'éducation nationale et celui des crèches chargées d'accueillir les enfants des soignants ; les services d'aides à domicile ; les salariés des pompes funèbres ; la grande distribution ; la logistique.
Les auteurs considèrent qu'il y a eu pendant le confinement une rupture d'égalité lorsque le ministre de la Santé a déclaré que la Covid serait reconnue comme maladies professionnelles pour les seuls soignants.
Mais le Gouvernement a annoncé mardi dernier que les personnes ayant contracté la Covid lors de leur activité professionnelle seraient indemnisées par la branche AT-MP et que les décrets nécessaires seraient publiés très vite. Cela ne va pas aussi loin que la proposition de loi, qui prévoit, comme l'a exposé la rapporteure, que je remercie pour son excellent travail, une réparation intégrale pour toutes les personnes contaminées dans l'exercice de leur profession ou leur activité bénévole, ainsi que leurs ayants droit.
Il apparaît particulièrement difficile de caractériser l'origine de la contamination au SARS-COv-2. En effet, cette maladie infectieuse se transmet par voie aérienne.
Le docteur Élisabeth Bouvet, présidente de la commission technique des vaccinations au sein de la Haute Autorité de Santé, professeur des universités à la faculté de médecine Xavier Bichat et spécialiste des maladies infectieuses et tropicales, précisait notamment lors de la 50eme journée de Claude Bernard en novembre 2007, que la transmission aérienne est définie par le passage de micro-organismes depuis une source à une personne à partir d'aérosols, entraînant une infection de la personne exposée.
Et d'ajouter que pour les petites particules, la transmission peut se faire jusqu'à une distance supérieure à 1,8 mètre et qu'un contact direct avec la source est inutile. Les maladies se transmettant par petites particules sont à l'origine d'épidémies brutales et explosives. Lorsque l'exposition s'opère par de grosses particules telles que des gouttelettes, il faut un contact proche, inférieur à un mètre.
Il est donc peu probable que nous puissions caractériser avec précision le lieu de contamination. Il ne faut pas confondre surexposition et contamination.
Au contraire, le lien de causalité ente maladie et exposition à l'amiante est évident. En outre, une telle fiction juridique reviendrait à faire peser la charge symbolique sur les employeurs ou les associations alors qu'ils n'ont pu protéger leurs salariés à cause de la pénurie de masques et autres équipements de protection individuels.
Le lien de causalité entre activité professionnelle et contraction de la maladie ne pouvant pas être justifié, nous regrettons que la voie de la reconnaissance au titre des maladies professionnelles ait été privilégiée.
Il aurait été plus juste de prévoir directement une prise en charge intégrale de la maladie, voire du préjudice en découlant, directement par l'assurance maladie.
Le groupe centriste votera contre la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
Mme Catherine Deroche . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) De nombreux travailleurs et bénévoles ont poursuivi leur activité pendant la crise. Les professionnels de santé, hospitaliers et libéraux, étaient sur le front, comme l'ensemble des personnes mobilisées pour assurer la continuité de services essentiels à la vie de la Nation.
Mais le manque de protections les a exposés à un risque accru d'infection. Certaines de ces personnes ont développé des formes graves de la Covid-19 qui ont pu donner lieu à une hospitalisation dans un service de réanimation, à des séquelles invalidantes. Malheureusement, certains de ces professionnels sont décédés des suites de cette contamination.
Les auteurs de la proposition de loi pensent qu'il appartient à l'État de réparer les préjudices subis.
Nous avons tous été sollicités par des associations ou des fédérations professionnelles. En tant que rapporteur sur le suivi de la Covid-19, en lien avec la branche assurance maladie, j'ai auditionné la Fédération hospitalière privée qui plaide pour un dispositif juridique unique national d'indemnisation.
Nous sommes nombreux à avoir applaudi les soignants tous les soirs à 20 heures, sans pouvoir contribuer à la lutte contre cette épidémie sans précédent autrement qu'en restant à la maison. Nous ne pouvons que partager l'objectif de cette proposition de loi qui témoigne de notre légitime reconnaissance, et celle de la Nation tout entière, au personnel soignant, en première ligne durant toute cette période, et à tous ceux qui ont pris en charge nos concitoyens contaminés au cours des soins et dans le cadre de l'organisation des soins de suites, à tous les travailleurs et bénévoles, qui au péril de leur vie ont permis la continuité de secteurs prioritaires.
La proposition de loi prévoit une indemnisation des victimes et des ayants droit par la reconnaissance de la Covid-19 comme maladie professionnelle.
Je salue le travail de la rapporteure, mais la reconnaissance d'une maladie infectieuse comme maladie professionnelle constituerait un précédent majeur allant à l'encontre des principes de cette branche, selon lesquels « les maladies professionnelles sont établies en fonction des risques encourus dans le cadre d'une activité économique définie », comme l'indiquait Gérard Dériot, son rapporteur pour le projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Nous encourons un risque pour les prochaines épidémies. Nous saluons la reconnaissance automatique en maladie professionnelle pour les soignants ayant été exposés à un risque accru en l'absence d'un matériel de protection adéquat, bien souvent.
Cette proposition de loi instaure un principe de réparation intégrale du préjudice subi, mais il sera particulièrement difficile d'établir l'origine professionnelle de l'infection.
Le recours à l'Oniam (Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales) paraît peu approprié.
Les associations et fédérations proposant une telle indemnisation n'ont pas toutes la même approche.
Certaines demandent un fonds sur le même modèle que le fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (FIVA). Compte tenu des inconnues scientifiques alors que nous ne sommes pas sortis de l'épidémie et que nous ne connaissons pas les effets à distance de la contamination, envisager un tel mécanisme sera difficile.
Nous voterons donc contre le texte après nous être abstenus en commission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Véronique Guillotin . - Si les conséquences de l'épidémie occupent les esprits et influencent nos décisions depuis plusieurs semaines, cette proposition de loi a le mérite de s'attaquer à un sujet de préoccupation des malades. Elle pose les bonnes questions, mais n'apporte pas les réponses adéquates. Nous pourrions ouvrir un champ de contentieux considérable.
La reconnaissance de l'indemnisation des maladies professionnelles fait l'objet d'un financement dédié à travers la branche AT-MP. Elle est soumise à des critères stricts. Ce mode de fonctionnement éprouvé permet aux victimes de bénéficier de la gratuité des frais médicaux et d'indemnités en cas d'arrêt de travail.
Ce système est loin d'être parfait, certes. Les procédures sont lentes et complexes. Le Gouvernement a annoncé son intention de garantir l'automaticité de la reconnaissance comme maladie professionnelle de la Covid pour tous les soignants. Des inquiétudes doivent être levées pour les professionnels de santé libéraux en première ligne, et qui ont payé un lourd tribut face à la maladie.
Cette proposition de loi est prématurée. On ne connaît pas encore toutes les décisions qui seront prises par le Gouvernement pour adapter le système existant à la crise actuelle.
Tous les soignants, y compris ceux n'ayant pas cotisé pour les risques professionnels, seront-ils indemnisés ?
Nous ne connaissons pas l'évolution à moyen et long termes de la maladie ou de ses conséquences.
Je partage donc les nombreuses réserves liées au risque de créer un précédent avec un fonds sur les maladies infectieuses même si chacun partage aussi les préoccupations des malades et de leurs familles.
La création d'un fonds pour une maladie infectieuse ayant touché beaucoup de Français créerait un précédent qui doit nous inciter à la prudence. Certes, la crise du Covid a surpris par sa violence et laissera des marques indélébiles. Néanmoins, une situation exceptionnelle n'appelle pas nécessairement des réponses exceptionnelles. Mieux vaut s'appuyer sur le système existant.
Ce fonds ajouterait de la complexité, alors que les Français attendent un système performant et protecteur.
Certaines critiques pointent le retard à l'allumage et le manque de protection pour certaines professions. Mais la responsabilité de l'État devra être examinée dans le cadre des commissions d'enquête parlementaires, l'une étant lancée à l'Assemblée nationale et l'autre devant être créée prochainement au Sénat. Elles identifieront les limites du système actuel et les réformes à mener, en tirant les leçons des capacités de réaction de l'État.
La mondialisation produira certainement de nouvelles pandémies.
Cette proposition de loi fait d'un bon sentiment et d'une ambition que je partage, mais mon groupe et moi ne partageons pas les options choisies.
Ceux qui ont continué à travailler pendant le confinement ont été davantage exposés à la contamination. Pour eux, un processus d'indemnisation plus simple et plus rapide doit être mis en place. C'est la volonté de l'État. Laissons au Gouvernement le temps de passer de la parole aux actes. Le groupe RDSE ne votera pas ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDSE)
M. Martin Lévrier . - Nous l'avons tous dit, l'engagement de nombreux concitoyens, professionnels ou bénévoles, a suscité l'admiration de tous. Dès l'apparition des premiers foyers, médecins urgentistes, infirmières en réanimation, agents des Ehpad, jeunes internes se sont tous mobilisés et ont été exposés à un risque, parfois élevé, de contamination. Afin d'assurer la permanence des services essentiels, enseignants, pompiers, caissiers, transporteurs, éboueurs - et j'en oublie - ont continué à travailler et nous les en remercions. Certains ont contracté la Covid.
Cette proposition de loi veut répondre à cette problématique par une réparation intégrale pour ceux qui avaient été en contact régulier avec des malades, la création d'un fonds d'indemnisation.
Cette initiative est louable, mais elle créerait un précédent majeur alors que nous manquons de connaissances sur le processus de contamination. La proposition de loi prévoit que le fonds soit adossé à l'Oniam. Mais la réparation par cet organisme suppose que soient en cause des accidents médicaux imputables à des activités de prévention, de diagnostic ou de soins. La Covid n'est pas concernée.
Le Gouvernement, par la voix d'Olivier Véran, a annoncé une indemnisation au titre de la maladie professionnelle, automatiquement pour les soignants, dont les professionnels libéraux bénéficieraient aussi. Pour les autres travailleurs cités précédemment, qui auraient pu être contaminés sur le lieu de travail, il s'agira de permettre une indemnisation au titre de la maladie professionnelle sans que celle-ci ne soit automatique.
Ce dispositif sera mis en oeuvre au plus vite par décret - c'est l'essentiel. C'est pourquoi le groupe LaREM votera contre ce texte.
Mme Michelle Gréaume . - La Covid a mis en lumière les héros en blouses blanches, applaudis tous les soirs, dont un grand nombre a été contaminé. Au 11 juin, 30 675 cas ont été signalés dans les établissements de santé ; 84 % étaient professionnels de santé, 10 % non-soignants.
Certains en ont gardé des séquelles et seize sont décédés pour essayer de sauver la vie des autres. Veillons à ce que leur sacrifice ne soit pas oublié, notamment dans le Ségur de la santé. Il y a eu plus de 30 000 malades dans les professions de santé, dont 29 % des infirmiers et 24 % d'aides-soignants. Lorsque le pays rendra hommage aux victimes, il faudra citer les seize soignants hospitaliers, mais aussi les pompiers, les policiers, postiers, caissiers, égoutiers, éboueurs, livreurs et intérimaires envoyés sans protection sanitaire, ni formation aux gestes de sécurité, que ce soit chez Amazon ou sur les plateformes logistiques.
Certains géants du numérique ont profité de la pandémie sans offrir de protection à leurs salariés. Les mettre à contribution est tout à fait pertinent.
L'enjeu de cette proposition de loi est d'indemniser toutes les victimes du fait de leur activité. Le cadre de la maladie professionnelle n'est pas adapté.
Ce texte cherche à trouver une solution à une maladie exceptionnelle pour laquelle notre système actuel de réparation des maladies professionnelles ne semble pas adapté.
L'absence de tests au début de la pandémie rend difficile l'établissement du lien direct entre l'activité professionnelle et la contamination.
Cette proposition de loi socialiste est bienvenue mais elle doit être complétée pour que le système soit opérationnel. Ce fonds doit être complémentaire à la demande de reconnaissance de la Covid-19 comme maladie professionnelle, revendication portée par l'ensemble des organisations syndicales et par les associations de victimes.
J'ai ici un courrier de l'association Covid-19 du Grand-Est, du comité de défense des travailleurs frontaliers de Moselle, de l'association Adevat-AVP et du docteur Lucien Privet, demandant l'inscription de cette pathologie au tableau 76 des maladies professionnelles au motif que sinon, la reconnaissance comme maladie professionnelle est quasiment « mission impossible ». Notre groupe l'avait prévu dans un amendement, mais il a été déclaré irrecevable au titre de l'article 40, ce que je regrette.
Nous aurions préféré adosser le fonds d'indemnisation au FIVA, où siègent des représentants des malades. L'Oniam, qui accorde une place très minoritaire aux organisations syndicales, est loin d'être paritaire.
Le patronat se plaint beaucoup du coût de la branche AT-MP. Il ne faudrait pas envoyer un signal de déresponsabilisation. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SOCR)
M. Daniel Chasseing . - Merci à Mme Jasmin pour sa proposition de loi et Mme Féret, rapporteure. Deux doctrines coexistent : le Gouvernement a fait le choix d'opter pour une reconnaissance de la Covid come maladie professionnelle pour les soignants, quel que soit le lieu d'activité, à l'hôpital, en ville ou dans les Ehpad.
Nous saluons cette annonce mais comprenons les critiques. Les soignants n'étaient pas seuls à prendre des risques. Les pompiers, caissiers, agents de propreté, livreurs, enseignants, ambulanciers, pour ne citer qu'eux, ont aussi continué leur activité.
Cette mesure, approuvée par l'Académie de médecine, vise les personnes travaillant pour le fonctionnement indispensable du pays qui n'étaient pas en mesure de respecter les règles de distanciation sociale. Cette proposition de loi vise les personnes qui ont pris des risques dans des conditions de protection dégradées.
Cette reconnaissance existe pour les cas de cancers dus à l'amiante : la reconnaissance comme maladie professionnelle permet une prise en charge des soins à 100 %, et une indemnité en cas d'incapacité temporaire ou permanente de travail. Son financement st assis sur des cotisations des entreprises à la branche AT-MP, proportionnelles à leur sinistralité.
Avec le décret, il n'est plus nécessaire de créer un fonds spécialisé, d'autant plus que le lien entre activité et contamination est souvent difficile à identifier.
Il y a eu des clusters après le confinement, notamment dans les abattoirs.
Mon groupe est favorable à l'indemnisation des personnes ayant été exposées de par leur activité. Mais si le décret les prend en compte, la proposition de loi généreuse du groupe socialiste n'est pas l'instrument adéquat.
Le groupe Les Indépendants ne soutiendra donc pas cette proposition de loi.
Mme Michelle Meunier . - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) Nous souhaitons réparer une injustice, la non-reconnaissance du préjudice subi par ceux qui ont continué à travailler et ont été infectés par la Covid, alors que les autres se confinaient.
Les travaux du député de Martinique Serge Letchimy sur la chlrodécone, ceux de Yannick Vaugrenard sur l'amiante, ceux de Nelly Tocqueville sur les catastrophes naturelles, Nicole Bonnefoy sur les pesticides nous rappellent que le chemin de la reconnaissance des maladies professionnelles est âpre et long, depuis que Martin Nadaud, le député-ouvrier républicain socialiste a instauré, entre 1880 et 1898, une protection législative contre les accidents du travail. Il est long car il rééquilibre le rapport de force, souvent en défaveur des victimes, qui sont souvent oubliées.
Le Gouvernement a annoncé l'indemnisation des soignants. Mais outre que le dispositif tarde à être mis en place, il est trop limité. D'autres ont été exposés : hôtes et hôtesses de caisse, à qui nous avons marqué, par un sourire masqué, notre soutien, les éboueurs, les conductrices et conducteurs de transports en commun, camionneurs, les forces de l'ordre, de sécurité, les agents pénitentiaires, qui ont enchaîné les quatorzaines, les travailleuses sociales intervenant auprès des femmes victimes de violences, les animateurs et animatrices qui ont accueilli les enfants des soignants sans pouvoir proposer d'activité éducative collective, les employés funéraires qui affrontaient l'incompréhension des familles.
Il a fallu toute une Nation pour faire face. Après de longues semaines d'épuisement, certains ont guéri, d'autres sont décédés. Ce sont des victimes, comme leurs proches.
Certes, ils étaient en seconde ligne, mais souvent les premiers de corvées.
Cette proposition de loi de Victoire Jasmin a été construite avec le soutien des associations l'Andeva, Coronavictimes, la Fnath, qui nous ont apporté leur expertise, mais aussi la CFDT, FO et la CGC dont le regard acéré nous a aidés à éviter les écueils de la réglementation actuelle sur les AT-MP.
Depuis le dépôt de la proposition de loi, nous avons adapté le dispositif, notamment pour trois amendements que nous vous proposons.
La période retenue cible les risques que nous avons retenus.
Si de nombreux Français ont pu bénéficier de travail à domicile, l'exposition au risque des autres doit devenir une présomption irréfragable.
Nous proposons une contribution de la solidarité nationale et de la branche AT-MP, qui est excédentaire, comme nous l'a fait remarquer la Fnath. Le groupe Les Républicains a rejeté nos amendements en commission, ce que je déplore, mais a choisi une abstention constructive sur l'ensemble du texte, ce dont je le remercie.
Il n'est jamais trop tard...
La réponse gouvernementale, fragmentée, est loin de satisfaire les professionnels de santé. Elle crée une différence de traitement. Faute de décret, les professionnels libéraux ne cotisant pas à l'assurance complémentaire ne seront pas indemnisés.
Cette proposition de loi apporte une réponse claire et ambitieuse. Elle se poursuivra à l'Assemblée nationale et enrichira les travaux de nos collègues députés.
Ce dispositif d'indemnisation n'a pas vocation à répondre à tous les besoins, mais il vise large et ne fait pas de tri. C'est notre fierté. (Applaudissements à gauche)
La discussion générale est close.
Discussion des articles
ARTICLE PREMIER
Mme la présidente. - Amendement n°1, présenté par M. Daudigny et les membres du groupe socialiste et républicain.
Alinéa 2
Rédiger ainsi cet alinéa :
1° Les personnes souffrant d'une maladie consécutive à la contamination par le virus responsable de la covid-19 et qui, préalablement à cette contamination, ont exercé une activité professionnelle ou bénévole les ayant exposées à un risque de contamination par ce virus pendant la période du 16 mars 2020 à la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire déclaré en application de l'article 4 de la loi n°2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19. La liste des activités professionnelles ou bénévoles susceptibles d'avoir exposé, pendant cette période, des personnes à un risque de contamination par le virus responsable de la covid-19 et les critères permettant de présumer avec une assurance raisonnable que cette contamination a été acquise à l'occasion d'une activité professionnelle ou bénévole, notamment la durée d'exposition au risque de contamination et, le cas échéant, la liste des travaux exposant à ce risque, sont définis par décret en Conseil d'État, pris au plus tard le 31 décembre 2020. Cette liste et ces critères sont révisés en fonction de l'évolution de l'état des connaissances scientifiques. Les activités professionnelles ou bénévoles inscrites sur cette liste ne sauraient être limitées aux seules activités exercées en milieu de soins et leur définition tient compte du maintien en activité, pendant la durée de l'état d'urgence sanitaire déclaré en application de l'article 4 de la loi n°2020-290 du 23 mars 2020 précitée, d'opérateurs publics ou privés ayant trait à la production et la distribution de biens ou de services indispensables à la continuité de la vie de la nation ;
M. Yves Daudigny. - Les critères d'éligibilité prévus par l'article premier ne sont pas opérationnels en pratique, car il est impossible d'établir la réalité de contacts réguliers avec des personnes ou objets contaminés. Ils seraient source de différence de traitement et donc de contentieux.
Posons donc les conditions d'une présomption irréfragable de contamination par le virus en milieu professionnel ou bénévole en prévoyant le principe d'une liste d'activités ayant exposé à un risque de contamination, définie par décret et qui ne saurait se limiter aux seules activités soignantes.
Il faut aussi définir des critères objectivables permettant de présumer avec une assurance raisonnable d'une contamination en milieu professionnel ou bénévole, définis par décret.
On pourra ainsi organiser une procédure d'accès facilité à une indemnisation sans que les victimes apportent la preuve de contacts réguliers avec des personnes ou objets contaminés, matériellement impossible. Ce décret devrait être pris au plus tard le 31 décembre 2020. Il circonscrit la proposition de loi du 14 mars 2020 au 10 juillet 2020.
Mme Corinne Féret, rapporteure. - Cet amendement reprend une de mes propositions. La commission a cependant émis un avis défavorable.
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État. - Avis défavorable comme je suis opposé à la proposition de loi, même si l'amendement la modifie de manière intéressante.
Madame Gréaume, le Gouvernement inscrira bien sûr le Covid-19 dans le tableau des maladies professionnelles. Sur ce point au moins, vous serez satisfaits.
Monsieur Chasseing, la période de recours automatique pour les soignants ne sera pas limitée.
Madame Guillotin, les professionnels libéraux, même ceux ne cotisant pas, sont bien concernés par le dispositif de prise en charge.
M. Jacques Bigot. - Je voterai cet amendement à une réserve près. Peut-on faire confiance au Gouvernement qui confond maladies professionnelles et fonds d'indemnisation sur un risque ? Les Français ont été protégés par le confinement, sauf certains qui ont dû aller travailler.
Les élus locaux sont aussi restés en activité et ont pu être contaminés. On ne peut pas réduire l'indemnisation à la question des maladies professionnelles. Quand certains sont protégés et que d'autres sont obligés de s'investir, il faut avoir un fonds d'indemnisation.
Votre Gouvernement, féru d'ubérisation, pense-t-il à ces jeunes qui ont livré des commandes et qui ne sont pas couverts ?
Face à la Covid, il faut de la solidarité. Elle est nécessaire à l'égard des victimes, pour lesquelles nous espérons que les séquelles seront les plus faibles possible. Je remercie Victoire Jasmin et voterai cet amendement. La présomption irréfragable est indispensable. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)
L'amendement n°1 n'est pas adopté.
L'article premier n'est pas adopté.
Les articles 2, 3, 4, 5 et 6 ne sont pas adoptés.
ARTICLE 7
Mme la présidente. - Amendement n°2, présenté par M. Daudigny et les membres du groupe socialiste et républicain.
Après l'alinéa 2
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
...° Une contribution de l'État prenant la forme d'une affectation de recettes dans des conditions et montants fixés chaque année par la loi de finances ;
M. Yves Daudigny. - Les difficultés rencontrées dans la mise à disposition de masques plaident pour une participation de l'État au financement du fonds d'indemnisation des victimes de la Covid-19. Cette contribution prendrait la forme d'une affectation de recettes dans des conditions et montants fixés chaque année par la loi de finances.
Mme Corinne Féret, rapporteure. - J'avais déposé cet amendement en commission, qui lui a opposé un avis défavorable.
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État. - Avis défavorable. L'État participera bien, comme employeur, à l'indemnisation des maladies professionnelles. Il prendra aussi toute sa part envers les professionnels libéraux qui ne cotisent pas au système AT-MP.
M. Jacques Bigot. - « Les plus désespérés sont les chants les plus beaux » : à voir ce refus de solidarité de la part du Gouvernement et de la majorité sénatoriale, et l'absence de proposition alternative, nous ne pouvons qu'être fiers de porter cette valeur. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains) Parler de liberté, égalité, fraternité et rejeter ce fonds, c'est contradictoire. Soyons fiers de ce chant désespéré. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE)
L'amendement n°2 n'est pas adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°3, présenté par M. Daudigny et les membres du groupe socialiste et républicain.
Alinéa 3
Rédiger ainsi cet alinéa :
2° Une contribution, dont le montant est défini selon des modalités fixées par décret, de la branche Accidents du travail et maladies professionnelles du régime général de la sécurité sociale ;
M. Yves Daudigny. - L'affectation d'une recette exclusive des régimes obligatoires de base de sécurité sociale ne peut résulter que d'une loi de financement de la sécurité sociale. Le troisième alinéa de l'article 7 de la proposition de loi est donc irrecevable.
Cet amendement réécrit cette disposition en prévoyant que le financement du fonds sera en partie assis sur une contribution de la branche AT-MP. Idéalement, il conviendrait que cette contribution soit prélevée sur les excédents cumulés depuis 2013 par la branche, afin d'éviter qu'elle n'entraîne une augmentation de la part mutualisée des cotisations AT-MP.
Mme Corinne Féret, rapporteure. - La commission a émis un avis défavorable.
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État. - Avis défavorable. J'entends le propos de M. Daudigny sur la solidarité mais la branche AT-MP est un bien commun. Nous pouvons tous lui faire confiance pour reconnaître l'ensemble des Français ayant contracté la maladie.
M. Marc Laménie. - Je n'avais pas prévu initialement d'intervenir. La situation actuelle est très difficile. Ce texte a sa crédibilité et sa légitimité. N'oublions pas les finances publiques ni le budget de la sécurité sociale. On parle souvent des excédents de la branche AT-MP mais elle est en situation très difficile à la suite de la crise sanitaire.
Cette solidarité, tout le monde l'a eue, à tous les niveaux. Nous avons pu mesurer l'engagement de tous les professionnels soignants, bénévoles, élus, salariés...
Ce n'est pas parce que la commission et le Gouvernement émettent un avis défavorable qu'ils ne sont pas sensibles à la solidarité.
Il faut aussi faire attention aux finances publiques. Nul n'ignore l'aspect humain. Je suivrai l'avis de la commission. (Marques d'approbation sur les travées du groupe Les Républicains)
L'amendement n°3 n'est pas adopté.
L'article 7 n'est pas adopté, non plus que l'article 8.
ARTICLE 9
Mme la présidente. - Si cet article n'est pas adopté, il n'y aurait plus lieu de voter sur la proposition de loi, et donc pas d'explication de votes.
M. Bernard Jomier . - Merci de ce rappel utile de procédure. Cette discussion est un peu triste. À situation exceptionnelle, il n'y a pas forcément lieu d'apporter une réponse exceptionnelle. Mais les conséquences sociales et économiques de cette crise sont tout à fait exceptionnelles, et les réponses apportées sont insuffisantes par rapport aux victimes.
Depuis trois ans, toutes nos propositions sénatoriales pour améliorer le régime AT-MP ont été rejetées par le Gouvernement, alors que le tableau de maladies professionnelles, qui date, doit être revu en urgence et refondé dans ses principes.
Il a fallu que le Covid arrive pour que l'on prenne en compte ces insuffisances.
Bien sûr, cette proposition de loi est imparfaite mais elle mérite de poser le débat. À quoi sert la navette parlementaire sinon à améliorer les textes ?
Vous ne répondez qu'aux soignants ; aux autres, c'est « circulez, il n'y a rien à voir ». Nous devons répondre à tous les citoyens. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE)
Mme Victoire Jasmin . - Je remercie tous ceux qui ont apporté leur contribution. J'ai une pensée pour tous ceux qui sont décédés et tous ceux qui ont perdu l'un des leurs.
J'ai tenté d'oeuvrer pour toutes ces familles. Elles attendent que ce que nous leur donnons aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE)
À la demande du groupe socialiste et républicain, l'article 9 est mis aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°126 :
Nombre de votants | 338 |
Nombre de suffrages exprimés | 338 |
Pour l'adoption | 86 |
Contre | 252 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Mme la présidente. - Un vote sur l'ensemble du texte n'est plus nécessaire.
La proposition de loi n'est pas adoptée.
La séance est suspendue à 12 h 25.
présidence de M. Philippe Dallier, vice-président
La séance reprend à 14 h 30.
Décès d'un ancien sénateur
M. le président. - J'ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Patrice Gélard, qui fut sénateur de Seine-Maritime de 1995 à 2014.
Un hommage lui sera rendu ultérieurement par le président du Sénat.
Exploitation commerciale de l'image d'enfants sur les plateformes en ligne
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à encadrer l'exploitation commerciale de l'image d'enfants de moins de seize ans sur les plateformes en ligne.
Discussion générale
M. Franck Riester, ministre de la culture . - J'ai bien connu le sénateur Gélard et je suis ému d'apprendre cette triste nouvelle. J'ai une pensée pour toute sa famille.
Le numérique apporte son lot d'opportunités nouvelles. Cela s'est vérifié au cours des derniers mois. La crise sanitaire nous a obligés à réinventer notre rapport à la culture, à l'éducation, nos modes de travail. Le numérique nous a permis de continuer à vivre !
Mais il apporte également son lot de risques : on l'a vu par exemple avec la recrudescence, pendant la crise, de la pornodivulgation sur Snapchat. Nous avons la responsabilité de faire respecter les règles par tous, avec pragmatisme, ambition et résolution, au besoin en les adaptant.
Internet n'est pas un espace de non droit. Nous ne pouvons pas ne rien faire alors que notre société est accaparée par certains acteurs étrangers. C'était l'ambition des lois sur les fausses informations, sur les droits voisins. Sur ce sujet, vous avez anticipé la directive européenne qui sera bientôt entièrement transposée.
Cette proposition de loi étend au numérique une protection déjà existante pour les enfants du spectacle et les enfants mannequins. Le Président de la République avait du reste évoqué la protection des enfants dans l'espace numérique lors de son discours à l'Unesco le 20 novembre 2019. C'est une priorité du Gouvernement. La directive Services des médias audiovisuels, qui impose aux plateformes des mesures contre l'accès des mineurs aux contenus qui leur sont préjudiciables, sera transposée rapidement.
La proposition de loi de Bérangère Couillard, que vous avez adoptée voici deux semaines à l'unanimité, et qui a le soutien du Gouvernement, va dans ce sens : elle précise dans le droit que déclarer son âge en ligne n'est pas suffisant pour protéger les mineurs. Le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) devra contrôler que les plateformes vérifient l'âge des mineurs ; un comité de suivi a été mis en place pour encourager le recours au contrôle parental sur les terminaux - avec une obligation de résultat dans les six mois.
Je salue l'engagement de Roch-Olivier Maistre et Sébastien Soriano, présidents du CSA et de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep). Cette coopération entre régulateurs est indispensable. Pour protéger, il faut s'unir.
Il faut s'unir au niveau européen. Face aux géants du numérique, nous ne sommes crédibles qu'à l'échelle européenne. La Commission européenne vient de lancer une consultation sur le Digital services Act. C'est l'opportunité de porter la vision française ambitieuse sur la régulation des plateformes. Je suis mobilisé avec Cédric O sur le sujet.
Je remercie Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, pour son engagement personnel sur la souveraineté numérique. Il nous sera utile, pour garantir la régulation européenne de demain - souple mais exigeante.
Nous nous sommes fixés des objectifs. Le monde numérique change très rapidement, nous laissons les opérateurs déterminer les bonnes solutions, tout en donnant aux régulateurs les moyens de contrôle et de sanction appropriés.
Le présent texte porte sur une autre question : il ne protège pas les enfants spectateurs mais les enfants acteurs. Ces vidéos se sont multipliées, sur TikTok, Twitch ou Vine par exemple. Ce sont des espaces de liberté, d'expression des talents, mais aussi de monétisation des contenus et une source de rémunération pour ceux que l'on appelle les influenceurs.
Sur un nombre croissant de chaînes, on trouve les enfants mis en scène, avec leurs parents à la manoeuvre qui imposent le rythme de tournage et qui récupèrent la rémunération. Le risque pour l'enfant est évident.
Cette proposition de loi de Bruno Studer, président de la commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale, vise à mieux protéger les enfants influenceurs, et à mieux encadrer, en faisant entrer cette activité dans le droit commun du code du travail, et, quand il ne s'agit pas de salariat, en créant un régime déclaratif lorsque les vidéos sont nombreuses et le revenu important. Il faut associer les plateformes à ce combat, mobiliser les parents sur la réglementation et lutter contre les abus.
Il faut aussi faire valoir le droit à l'oubli de l'enfant, sans qu'il soit besoin de l'autorisation des parents.
Je remercie l'auteur de la proposition de loi et le rapporteur au Sénat. C'est pur plaisir de travailler avec vous, monsieur Hugonet, comme nous l'avons fait sur le projet de loi de création du Centre national de la musique.
C'est un texte nécessaire et même indispensable.
Le Gouvernement a déposé deux amendements, un rédactionnel, un relatif aux annonceurs.
Cette proposition de loi cependant n'est pas suffisante. Il faut lutter contre l'exposition précoce des enfants aux écrans, et mobiliser les services de l'État sur la protection de l'enfance. Tout le Gouvernement est mobilisé. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)
M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication . - Cette proposition de loi est à la convergence de deux sujets, dont la protection des mineurs. Le travail des enfants est interdit depuis 1874. L'oeuvre de Victor Hugo ou celle de Charles Dickens ont contribué à l'éveil des consciences.
Par dérogation, les enfants du spectacle et du mannequinat peuvent travailler - de manière soigneusement encadrée, l'enfance devant rester le temps de l'insouciance.
Si la révolution numérique a ouvert de nouveaux espaces de créativité ou de liberté, elle a aussi engendré des formes d'exploitations insidieuses, tant elles semblent innocentes et ludiques.
Les chaînes se multiplient où les enfants sont mis en scène par leurs parents dans des vidéos partagées en ligne. Certains ont plusieurs millions d'abonnés et des dizaines de millions de vues, ce qui peut constituer une source importante de revenus. Comment croire à la fiction de vidéos tournées sur le vif, sans pression des parents ? Parfois, elles rapportent plusieurs dizaines de milliers d'euros par mois. Comment croire que l'équilibre des enfants est préservé ?
Or il n'existe aucun cadre pour protéger les enfants youtubers quant au temps de tournage et au partage des bénéfices.
La proposition de loi du député Studer, présent aujourd'hui en tribune et que je salue, a été adoptée à l'unanimité par les députés. Internet ne saurait être un espace sans foi ni loi. Mais le législateur doit concilier sauvegarde des libertés publiques, dont la liberté de communication, et la protection du vivre ensemble, et la protection des plus vulnérables.
La récente décision du Conseil constitutionnel sur la proposition de loi Avia pour lutter contre la haine en ligne a montré que nous cheminons sur une ligne de crête et que nous avons intérêt à écouter les sages préconisations du président de notre commission des lois, Philippe Bas, en cette matière comme bien d'autres. (Marques d'assentiment sur les travées du groupe Les Républicains)
Cette proposition de loi prend en compte la nature mouvante de l'espace numérique, la diversité des pratiques, et distingue vidéos professionnelles, vidéos amateurs et celles qui se trouvent dans une zone grise entre travail et loisir. Plusieurs régimes juridiques sont donc définis.
Les mineurs pourront exercer le droit à l'oubli sans l'accord de leurs représentants légaux.
Chaque acteur est placé devant ses responsabilités. Les parents sont les premiers responsables de la sauvegarde et du bien-être de leurs enfants. Or ils sont trop nombreux à ne pas être encore conscients des risques pour leurs enfants. Il convient de mieux éduquer la société et je salue l'excellente initiative de Sylvie Robert qui propose par un amendement d'élargir l'obligation de sensibilisation des plateformes aux mineurs eux-mêmes.
Mme Catherine Deroche et M. Stéphane Piednoir. - Très bien.
M. Franck Riester, ministre. - Les plateformes auront l'obligation d'adopter des chartes sous le contrôle du Conseil supérieur de l'audiovisuel, pour mettre en place des procédures de signalement des contenus portant atteinte à la dignité ou l'intégrité d'un mineur.
Si ce texte concerne peu d'enfants, il a une portée symbolique : car combien de parents ou d'enfants rêvent au succès des auteurs et acteurs de ces vidéos ?
La commission de la culture a veillé à la qualité rédactionnelle du texte et à mieux protéger les mineurs. Il nous a semblé important de veiller à la transparence financière des revenus acquis. Je remercie M. Laurent Lafon de ses amendements.
Cette proposition de loi n'est pas parfaite, et ne répond pas totalement au problème. Des interrogations se sont exprimées sur l'effectivité des nouvelles dispositions : la jurisprudence affinera au fur et à mesure les distinctions entre les différents régimes juridiques.
Mais cette proposition de loi est la solution la plus convaincante. Là où régnaient le vide et le silence, elle installe un cadre pionnier, qui se veut équilibré et protecteur. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, UC et Les Républicains)
Mme Sylvie Robert . - Depuis plusieurs années, le Parlement réfléchit et légifère sur le rapport entre mineurs et exposition aux écrans. Ce fut le cas lors du vote des propositions de loi relatives à la suppression de la publicité dans les programmes jeunesse ou à l'exposition précoce aux écrans sur les plateformes comme YouTube.
Les différents textes se rejoignent pour mieux protéger les enfants et réguler les usages.
L'entrée dans la troisième révolution industrielle est allée de pair avec de nouveaux enjeux : protection des données, séparation entre vie professionnelle et vie privée, éducation au numérique. La protection des mineurs est également un défi, et l'arsenal juridique est encore modeste.
L'ordre juridique interne évolue cependant, octroyant des lois aux mineurs, comme l'article 56 de la loi de 2016 pour une République numérique. L'article 5 de la proposition de loi confère aux mineurs un droit à l'oubli sans consultation des parents. Nous sommes ainsi entrés dans une phase de régulation pour renforcer les droits des personnes.
Cette proposition de loi comble un vide juridique concernant une pratique de plus en plus courante. En créant deux régimes, en distinguant pratique professionnelle et pratique semi-professionnelle, nous réservons à l'enfant un juste retour des bénéfices.
Ce texte porte aussi sur l'information des parents et du public. Ils prendront conscience des risques psychologiques et de l'attention à porter à la dignité physique et morale des enfants.
Cette responsabilisation essentielle, étrangement, ne s'adresse pas aux premiers concernés, les mineurs. C'est pourquoi nous voulons les alerter sur leurs droits et sur les risques, en les accompagnant directement. Certains mineurs sont eux-mêmes auteurs et producteurs de vidéos, sans avoir une réelle appréhension des risques. L'article 5 porte sur l'effacement des données personnelles. Sur les plateformes avec des vidéos temporaires comme TikTok, l'absence de visibilité des contenus ne signifie pas leur effacement.
Nous devons porter l'accent sur la pédagogie. Elle doit être une priorité à l'école. Cette proposition de loi va dans le bon sens ; le groupe socialiste et républicain sera heureux de la voter. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)
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Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,
Jean-Luc Blouet
Chef de publication
Annexes
Ordre du jour du lundi 29 juin 2020
Séance publique
À 16 heures et le soir
Présidence : M. David Assouline, vice-président
Secrétaires de séance : M. Michel Raison et Mme Françoise Gatel
- Deuxième lecture de la proposition de loi, adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles en France continentale et dans les outre-mer (texte de la commission n° 550, 2019-2020).
Analyse des scrutins publics
Scrutin n°126 sur l'article 9 de la proposition de loi portant création d'un fonds d'indemnisation des victimes du covid-19.
Résultat du scrutin
Nombre de votants : 338
Suffrages exprimés : 338
Pour : 86
Contre : 252
Le Sénat n'a pas adopté
Analyse par groupes politiques
Groupe Les Républicains (143)
Contre : 141
N'ont pas pris part au vote : 2 - M. Gérard Larcher, président du Sénat, Mme Catherine Troendlé, président de séance
Groupe socialiste et républicain (70)
Pour : 70
Groupe UC (51)
Contre : 51
Groupe du RDSE (23)
Contre : 23
Groupe LaREM (23)
Contre : 23
Groupe CRCE (16)
Pour : 16
Groupe Les Indépendants (14)
Contre : 14
Sénateurs non inscrits (8)
N'ont pas pris part au vote : 8 - MM. Philippe Adnot, Stéphane Cardenes, Christophe Chaudun, Mmes Sylvie Goy-Chavent, Christine Herzog, Claudine Kauffmann, MM. Jean Louis Masson, Stéphane Ravier
Nomination à une délégation sénatoriale
Le groupe socialiste et républicain a présenté une candidature pour la délégation sénatoriale aux entreprises.
Aucune opposition dans le délai d'une heure prévu par l'article 8 du Règlement ne s'étant manifestée, cette candidature a été ratifiée, Mme Marie-Noëlle SCHOELLER est membre de la délégation sénatoriale aux entreprises, en remplacement de M. Martial Bourquin.