Statut de citoyen sauveteur
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture de la proposition de loi, adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, visant à créer le statut de citoyen sauveteur, lutter contre l'arrêt cardiaque et sensibiliser aux gestes qui sauvent.
Discussion générale
M. Laurent Nunez, secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur . - Cette proposition de loi dépasse les clivages partisans. Chaque année en France, 40 000 personnes sont emportées par un arrêt cardiaque. Je salue la qualité des débats tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat qui ont permis au texte de mûrir et remercie votre commission des lois pour son esprit de consensus qui l'a conduite à proposer une adoption conforme.
En France, seuls 3 % des victimes survivent à un arrêt cardiaque, contre 40 % dans certains pays scandinaves ou anglo-saxons, malgré la présence de témoins. Pourquoi ? À cause de l'ignorance des gestes qui sauvent. C'est pourquoi le Président de la République s'est engagé à ce que 80 % des Français soient formés d'ici dix ans à ces gestes. L'objectif est de porter le taux de survie à 10 %, ce qui sauverait 3 000 vies par an.
La principale disposition de ce texte est la création du statut de citoyen sauveteur, dont le champ et la portée ont été précisés au cours du débat. C'est un signal, une garantie, une protection supplémentaire pour tous ceux qui pratiqueraient les gestes de premier secours, en les exonérant de toute responsabilité civile, sauf en cas de faute lourde ou intentionnelle.
La formation à l'école est essentielle ; 80 % des élèves de 3e devaient recevoir cette année une formation aux premiers secours, et 100 % seront formés dès l'année prochaine. Le service national universel sera l'occasion de généraliser cette formation, qui doit être possible à tout âge, y compris en milieu professionnel.
La proposition de loi instaure une journée nationale de lutte contre l'arrêt cardiaque. Enfin, elle renforce les pouvoirs de contrôle du Parlement, et c'est une très bonne chose.
Le texte fait l'objet d'un consensus qu'il faut saluer. Le Parlement peut être satisfait de ce travail collectif que le Gouvernement appuiera bien entendu. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)
Mme Catherine Troendlé, rapporteur de la commission des lois . - Cette proposition de loi du député Colas-Roy a pour objet de faire baisser le taux de mortalité des arrêts cardiaques, très important en France. En première lecture, la commission des lois avait supprimé sept de ses douze articles, de nature réglementaire ou déjà satisfaits. Le superflu ôté, nous avions réécrit l'article premier relatif au régime de responsabilité civile et pénale du sauveteur. Nous avions autorisé à l'article 7 les personnels de santé à participer à la sensibilisation des citoyens au secourisme et, à l'article 11, aggravé les peines contre le vol ou la détérioration du matériel de secours.
Nous avions fait de ce texte un véhicule plus léger mais plus efficace. Notre démarche a manifestement été comprise par les députés, qui ont conservé la plupart des modifications que nous avions apportées. C'est un compromis acceptable qui permet de proposer l'adoption conforme.
À l'article premier, l'Assemblée nationale a réintroduit le terme de « citoyen », pourtant consubstantiel aux droits civils et politiques reconnus par le droit positif, et donc sans lien avec l'objet du texte. La commission des lois maintient sa position mais n'y voit pas une malfaçon rédhibitoire, d'autant que le rapport de l'Assemblée nationale clarifie la manière dont le terme doit être entendu.
Nous avions supprimé le détail des diligences à mettre en oeuvre, de peur de décourager les sauveteurs d'agir ; les députés l'ont réintroduit. Nous le regrettons, mais ce n'est pas un grief insurmontable.
Six articles ont été supprimés ou adoptés conformes dans leur version Sénat, mais quatre articles que nous avions supprimés ont été réintroduits. Les articles 2 et 4 sur la sensibilisation des élèves au secourisme et le droit à la formation en entreprises nous paraissaient de nature réglementaire. De même, je maintiens que la création à l'article 6 d'une journée de lutte contre l'arrêt cardiaque n'est pas du domaine de la loi. Les députés ont également réintroduit à l'article 12 bis une demande de rapport annuel...
C'est un prix raisonnable à payer pour le compromis trouvé avec l'Assemblée nationale. Je regrette néanmoins que la qualité de la loi soit la victime collatérale de l'accord que je vous propose. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
M. Jean-Luc Fichet . - La proposition de loi nous donne à nouveau l'opportunité de sensibiliser nos concitoyens aux gestes qui sauvent. Quelque 40 000 à 50 000 personnes décèdent chaque année d'un arrêt cardiaque, soit 120 personnes par jour. Un tiers d'entre elles ont moins de 60 ans.
Les chances de survie sont d'environ 4 % et diminuent rapidement : chaque minute qui passe, c'est 10 % de chances de survie en moins. L'arrivée des secours est très rapide - treize minutes en moyenne - mais l'intervention des personnes à proximité de la victime est cruciale pour espérer se rapprocher des 20 % à 40 % de taux de survie des pays anglo-saxons et scandinaves.
Il est possible de se former en quelques heures au massage cardiaque, à la mise en position latérale de sécurité ou au maniement d'un défibrillateur. Selon la Croix-Rouge, doubler le nombre de personnes formées permettrait de sauver 2 000 vies chaque année. Des applications ont été développées, comme SAUV Life ou Permis de sauver, qui permettent à des volontaires de porter assistance à des victimes à proximité immédiate, après avoir été géolocalisées par le SAMU et restant en contact avec les secours jusqu'à leur arrivée.
Nous devons former la population aux gestes qui sauvent dès le plus jeune âge.
Le texte issu de la navette est équilibré. En première lecture, le Sénat avait écarté des mesures d'ordre réglementaire. L'Assemblée nationale a tenu compte des apports du Sénat mais a réintroduit certaines mesures symboliques, sans nuire à l'efficacité du texte. Ainsi de l'expression « citoyen sauveteur », que je soutiens car elle porte la notion d'engagement et de fierté, d'appartenance à la communauté nationale.
Je souscris également au rétablissement de l'instauration d'une journée nationale de lutte contre l'arrêt cardiaque, et de la sensibilisation des élèves du second degré aux gestes qui sauvent. J'avais pour ma part proposé un module au sein de la Journée défense et citoyenneté. Je me félicite de ce continuum éducatif entre premier et second degré, et de la possibilité de remises à niveau régulières tout au long de la vie : c'est là que le sentiment d'appartenance à la communauté des citoyens sauveteurs prend tout son sens.
Le groupe SOCR votera bien évidemment ce texte en rappelant l'importance de mieux associer nos concitoyens à ces gestes essentiels qui permettent de sauver des vies. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)
M. Ronan Dantec . - Cette proposition de loi va dans le bon sens. Le taux de formation de la population française aux gestes qui sauvent est parmi les plus bas au monde, selon le rapport Pelloux-Faure de 2017. Pourtant, le citoyen est le premier maillon de la chaîne de secours. D'après la Fédération française de cardiologie, 92 % des arrêts cardiaques sont fatals alors que sept sur dix ont lieu devant témoins, car seulement 40 % des témoins prodiguent des gestes de premier secours. Et ce, malgré la loi du 28 juin 2018 de Jean-Pierre Decool imposant des défibrillateurs dans tous les lieux publics, car trop de gens hésitent à s'en servir, de peur d'aggraver les choses.
Le témoin ne doit pas être freiné par la peur des risques encourus si la victime décédait ou présentait des séquelles malgré son intervention. La création du statut de « citoyen sauveteur » modèle un régime de responsabilité favorable à l'intervention, ce qui encouragera l'initiative.
Je salue le travail de la commission des lois, dont l'Assemblée nationale a conservé la plupart des apports.
Il nous faut développer une culture commune du secourisme, qui sauve des vies mais renforce également le sentiment de citoyenneté et la cohésion de nos sociétés. La sensibilisation des élèves et le droit à la formation pour tout salarié mériteraient un plus large écho. Nous avons des marges de progrès. Il faut pouvoir être formé aux gestes qui sauvent à toutes les grandes étapes de la vie. Nous devons aussi rappeler les gestes à ceux qui les ont appris mais oubliés faute de pratique.
L'apprentissage de ces gestes a vocation à faire partie intégrante du bloc de compétences citoyennes
Se savoir en capacité de sauver quelqu'un est de nature à modifier notre rapport au monde et à l'autre. On s'interroge sur notre impact sur le monde et sur l'environnement. Derrière le massage cardiaque se tissent les fils de la citoyenneté. D'où l'intérêt d'y réfléchir avec l'Éducation nationale et de renforcer le bloc éducation civique à l'école.
Enfin, malgré l'engagement citoyen, il reste essentiel de conserver un service public de santé de proximité à la hauteur. Treize minutes pour l'intervention des secours, c'est remarquable - mais la moyenne cache une fracture territoriale. L'égalité des citoyens face aux premiers secours est un grand enjeu de cohésion.
Le groupe RDSE votera en faveur de ce texte.
M. Didier Rambaud . - Cette proposition de loi est particulièrement bienvenue. J'en salue l'auteur et remercie Catherine Troendlé pour son approche rigoureuse. L'arrêt cardiaque inopiné ne doit pas être perçu comme une fatalité. Le taux de survie de 5 % à 7 % est une injonction à agir. Le taux de formation aux gestes qui sauvent, de 30 %, est loin de l'objectif de 80 % fixé par le Président de la République.
La proposition de loi, fruit du compromis trouvé entre les deux chambres, favorise l'assistance réciproque qui fait sens dans notre pacte social. Elle sanctuarise un régime protecteur du citoyen bénévole qui est exonéré de toute responsabilité, compte tenu de l'urgence de la situation et des informations disponibles, sauf en cas de faute lourde ou intentionnelle. Cela garantit la sécurité juridique. Le terme de citoyen sauveteur indique qu'il accomplit un acte de civisme. Je remercie notre rapporteur de l'avoir accepté.
La sensibilisation aux gestes qui sauvent est un vecteur de solidarité. Face au risque d'arrêt cardiaque inopiné, chaque citoyen est un maillon de la chaîne de survie. Écoles, clubs sportifs ou entreprises doivent être des lieux d'apprentissage.
Je remercie notre rapporteur d'avoir accepté l'inscription dans la loi d'une journée nationale dédiée, qui vise à sensibiliser sur le sujet. Idem pour la demande de rapport.
À l'issue de son adoption conforme par la commission des lois, ce texte de loi, dont le Sénat a conforté l'assise juridique, encourage, désacralise, protège mieux. Le groupe LaREM le votera bien sûr.
Mme Éliane Assassi . - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE) Chaque année, 40 000 personnes meurent d'un arrêt cardiaque faute de soins immédiats. La majorité des malaises se produit devant témoins, mais à peine 20 % de ceux-ci pratiquent les gestes qui sauvent. Seulement 30 % des Français sont formés et beaucoup hésitent à utiliser un défibrillateur. Pourtant, les premières minutes sont décisives. Le taux de survie, après arrêt cardiaque, de 5 % à 7 % en France, est de 20 % à 40 % dans les pays nordiques et anglo-saxons. Le taux de formation de la population française est l'un des plus bas au monde ; il faudrait le porter à 80 %.
Nous partageons les objectifs consensuels de ce texte, et sommes attachés au terme de « citoyen sauveteur ». La navette aura eu raison de nombreux articles mais la commission des lois a su faire preuve de sagesse pour que ce texte soit adopté.
Néanmoins, pour atteindre l'objectif, il faudra impliquer de nombreux intervenants - enseignants, personnel de santé déjà surchargés. La survie dépend aussi de la fiabilité de toute la chaîne d'intervention, or nombre de ses maillons sont affaiblis : il manque 60 000 euros à 80 000 euros par caserne de sapeurs-pompiers, et les services d'urgence manifestent également.
Dans cette période de disette budgétaire, le concept de collaborateur bénévole occasionnel du service public ne manque pas de nous interpeller.
Rien n'est réglé pour le personnel hospitalier, et le « quoi qu'il en coûte » du Président de la République semble déjà loin. La situation reste extrêmement tendue. L'adoption de ce texte est un premier pas, à inscrire dans un Ségur de la santé qui ne devra pas se résumer à une simple opération de communication.
Mon groupe votera cette proposition de loi dont nous saluons la pertinence, malgré d'évidentes limites. (Applaudissements à gauche)
M. Jérôme Bignon . - En première lecture, le Sénat a amendé le texte et écarté les risques juridiques. Les citoyens doivent être encouragés à porter secours sans hésitation. Chaque minute qui passe réduit les chances de survie.
Je me suis moi-même engagé dans cette démarche via l'application SAUV Life, lancée en 2018, qui a déjà sauvé des dizaines de vies. Pendant une réunion au Sénat, j'ai été sollicité pour venir en aide à quelqu'un rue Madame, et suis arrivé en même temps que les pompiers mais avant le SAMU, sauf que la porte était fermée à double tour... Une deuxième fois, j'ai été mis en alerte avant d'être à nouveau averti que ma présence n'était plus nécessaire. D'autres applications existent, pour localiser le défibrillateur le plus proche notamment.
Le plus important, c'est la sensibilisation de nos concitoyens aux gestes qui sauvent. Là encore, le téléphone portable guide dans les gestes à accomplir.
La commission des lois a supprimé des articles de nature réglementaire ou qui faisaient doublon. Les apports du Sénat aux articles 5 et 7 sur la formation au secourisme sont intéressants. Chaque Français doit être conscient qu'il est l'acteur potentiel de la solidarité nationale. Cela participe d'une vision citoyenne de la solidarité.
Le groupe Les Indépendants votera ce texte sans hésiter.
M. Loïc Hervé . - Les accidents cardiaques sont l'une des plus importantes causes de mortalité, importantes et méconnues. Depuis un rapport à l'initiative de l'Académie nationale de médecine de 2018, il y a entre 40 000 à 50 000 décès annuels, soit quinze fois plus que le nombre de morts sur les routes.
Cette proposition de loi de Jean-Charles Colas-Roy est claire et louable. Elle vise à protéger les sauveteurs et mieux les former.
Aux États-Unis, au Canada, en Australie, en Finlande et en Allemagne, une loi dite du « bon samaritain » protège les secouristes bénévoles d'éventuelles poursuites judiciaires. Au Québec, l'article 1471 du code civil exonère de toute responsabilité celui qui porte secours à autrui, sauf faute lourde ou intentionnelle.
M. Bignon a cité une application ; j'en citerai une autre Staying alive ; peu importe le nom ou celui qui la développe, l'important est que leur usage se répande...
M. Jérôme Bignon. - Oui
M. Loïc Hervé. - Si nous demandons à plusieurs citoyens d'intervenir, il faut les protéger. Je remercie Catherine Troendlé pour son rapport.
Parmi les modifications de l'Assemblée nationale, la réintroduction, après sa suppression par le Sénat, du terme de « citoyen sauveteur » a été clarifiée par le rapporteur de l'Assemblée nationale. Celle du détail des diligences qui devraient être mises en oeuvre par le citoyen sauveteur portant assistance à la victime d'un arrêt cardiaque peut constituer un frein à l'action des sauveteurs.
Je remercie la rapporteure d'avoir recherché le consensus avec l'Assemblée nationale.
Nous saluons le maintien des suppressions conformes, et l'aggravation des sanctions contre le vol ou la dégradation des défibrillateurs.
C'est donc un compromis acceptable.
L'article 6 crée - encore ! - une journée nationale de lutte contre l'arrêt cardiaque. Ces journées sont très nombreuses, célébrées souvent en fin d'année, comme la journée du coeur, des premiers secours, etc...
Les deux chambres ont su trouver un consensus transpartisan et intelligent sur un sujet majeur, celui de l'arrêt cardiaque inopiné.
Le groupe UC votera ce texte. (Applaudissements)
Mme Catherine Deroche . - Selon la Fédération française de cardiologie, plus de 92 % des accidents cardiaques sont fatals sans prise en charge immédiate. Chaque minute compte : une chaîne de survie est ainsi mise en place. La première étape est d'appeler les secours, la deuxième de faire un massage cardiaque, la troisième d'utiliser un défibrillateur, la quatrième de pratiquer des soins spécialisés sur la victime jusqu'à la reprise de la respiration ou l'arrivée des secours.
La proposition de loi repose sur trois axes : la création d'un statut de sauveteur, la sensibilisation de la population aux gestes qui sauvent, la clarification de l'organisation des actions de sensibilisation et de formation.
Sept arrêts cardiaques sur dix ont lieu devant témoins, mais seuls 40 % de ceux-ci savent pratiquer les gestes qui sauvent d'où, en France, un taux de survie à un accident cardiaque qui ne dépasse pas 8 %, alors qu'il est quatre à cinq fois plus élevé dans les pays où les espaces publics sont équipés de défibrillateurs et où les citoyens sont formés. Chaque minute qui passe avant l'arrivée des secours, représente 10 % de chances de survie en moins.
En 2018, Annie Delmont-Koropoulis nous avait présenté le dispositif Sauv Life, qui prévient les citoyens sauveteurs à moins de dix minutes à pied de la victime, suivis par le SAMU en direct, éventuellement par visioconférence.
Le docteur Lionel Lamhaut, médecin au SAMU de Paris et co-fondateur de l'application, précise que 350 000 citoyens sauveteurs sont inscrits et plus de 85 coeurs ont ainsi pu repartir.
Afin d'éviter un effondrement du système de santé pendant le pic de la Covid-19, le Plan blanc a été activé, avec le report d'opérations non essentielles. De nombreux Français ont reporté des soins nécessaires, car ils présentaient des facteurs de risques en fonction de leur âge et de l'impact du virus sur l'appareil cardiovasculaire.
Comme l'ont souligné de nombreux professionnels de santé, si les soins ne reprennent pas rapidement, nous allons vers une deuxième catastrophe sanitaire. Il est donc urgent d'accélérer une reprise des soins qui soit la plus forte possible.
Je salue la qualité du rapport de la présidente Catherine Troendlé. Les députés ont repris la majorité des apports du Sénat.
Le groupe Les Républicains votera le texte conforme. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Discussion des articles
L'article premier est adopté, de même que les articles 2, 4, 6 et 12 bis.
La proposition de loi est adoptée définitivement à l'unanimité.
(Applaudissements sur toutes les travées)
La séance est suspendue à 16 h 40.
La séance reprend à 18 h 30.