Conseil européen des 18 et 19 juin 2020
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle le débat à la suite de la réunion du Conseil européen des 18 et 19 juin 2020, à la demande de la commission des affaires européennes.
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes . - Merci de votre invitation pour un point d'étape sur les discussions autour du plan de relance et du budget européen pour 2021-2027. Je salue l'engagement du Sénat, dès le début de la crise, pour promouvoir une réponse européenne ambitieuse. Le moment est crucial pour l'Europe. Si l'épidémie n'a pas disparu, ses conséquences économiques et sociales viennent à nous.
La réunion de vendredi a permis de constater combien nous avions avancé ensemble en quelques semaines. Plus personne ne conteste le principe d'un plan de relance européen ambitieux. Personne ne conteste que nul ne peut sortir seul de la plus grave crise économique depuis 1945, qu'il faut en étaler le coût sur le temps long, que cela suppose un emprunt commun.
Cette réunion a permis de voir où chacun se situait. Il faudra une réunion présentielle, les 17 et 18 juillet, pour voir si un accord est possible. Il y a urgence, ont rappelé le président de la République et la chancelière, alors que l'Allemagne prendra la présidence du Conseil au 1er juillet. Si nous n'agissons pas vite et ensemble, nous irons vers une récession durable, un creusement des inégalités, une fragmentation du marché intérieur, un risque de déclassement économique de l'Europe et une aggravation de la crise sociale.
Un mot sur la méthode du président de la République car, en diplomatie, la méthode compte parfois plus que le contenu. Le 28 mai, la France et l'Allemagne ont proposé un outil de relance fondé sur la solidarité visant la souveraineté européenne, aboutissement d'un long travail de négociation. Sans cette main tendue à l'Allemagne depuis 2017, sans le discours de la Sorbonne, sans le conseil des ministres franco-allemand de Toulouse, nous n'aurions pas pu arriver à cette compréhension commune. C'est la victoire de la persévérance française pour une souveraineté européenne.
Le 27 mai, la Commission européenne a proposé un nouveau cadre financier pluriannuel (CFP) à la hauteur de l'enjeu existentiel auquel est confrontée l'Union. Il faut créer les conditions d'un accord qui tienne compte des besoins de chacun. La France détient une responsabilité particulière : la proposition franco-allemande nous oblige. Nous multiplions les échanges ; le président de la République est à La Haye, j'étais en Autriche et aux Pays-Bas, je serai la semaine prochaine en Suède et dans les pays baltes.
Il faut sortir d'une logique de bloc. Trop souvent, par facilité, on divise l'Europe en bloc : Nord contre Sud, Est contre Ouest. Or il y a des nuances, la réalité politique de l'Autriche n'est pas celle de la Suède. Chacun a ses besoins, ses attentes. Il n'y a pas de petits ou de grands pays, il faut un accord à l'unanimité.
Les premiers concernés par la crise sont les salariés, les entrepreneurs, ceux qui vont perdre leur emploi. Le marché intérieur nous a rendus interdépendants. C'est pourquoi je rencontre dans chaque pays les partenaires sociaux, les représentants d'entreprises qui souvent mènent ce combat en avant de leur Gouvernement.
C'est dans leur intérêt que nous devons agir.
Pour cela, nous devons convaincre, et faire passer quelques messages. L'urgence, d'abord. Nous avons une obligation de résultats, ce plan doit être opérationnel au 1er janvier 2021.
La crédibilité, ensuite. Le plan doit inclure une part significative de dotations budgétaires : 500 milliards d'euros, pas moins, ce qui correspond aux besoins en investissement calculés par la Commission européenne, secteur par secteur, pour protéger l'emploi et atteindre les objectifs en matière de transition écologique et numérique.
La solidarité, également. Si nous réduisions la relance à des prêts, nous alourdirions la charge pesant sur les pays les plus touchés. Il n'est pas question de mutualiser les dettes du passé mais d'investir ensemble dans les régions et les filières les plus touchées.
L'efficacité ensuite, car le plan de relance doit être cohérent avec les réformes et les plans de relance nationaux. Il faut articuler plan de relance et semestre européen, synchroniser nos réformes. Évitons une configuration de type troïka ; il en va de l'efficacité de l'action collective et de la confiance mutuelle. Nous voulons un plan condensé, consommé rapidement, en 2021 et 2022. Cela suppose de mobiliser tous les acteurs, y compris locaux, et de simplifier l'accès aux fonds européens.
La cohérence, enfin. Le plan de relance doit être un levier d'investissement en faveur d'une Europe plus forte, solidaire et souveraine, autour de la transition énergétique et numérique, de l'autonomie sanitaire, industrielle et agricole. N'opposons pas reconstruire et investir. Le budget européen doit être à la hauteur des enjeux de long terme - je pense notamment au premier pilier de la PAC, au fonds européen de la défense et à l'espace.
Nous devons renforcer les ressources propres de l'Union pour rendre son financement plus lisible et réduire le poids du remboursement de l'emprunt commun. Nous demandons la fin des rabais et, dès 2021, une contribution de type ETS sur le carbone, sur les plastiques, un mécanisme d'inclusion carbone aux frontières, sur le modèle de ce qu'a proposé le Sénat. Nous explorons également d'autres pistes, taxe numérique ou taxe sur les transactions financières.
Ce plan n'est pas fait en catimini, il n'est pas antidémocratique, bien au contraire. Vous aurez à vous prononcer sur les ressources propres. Le Parlement européen aura aussi un rôle crucial dans l'élaboration du plan de relance national.
J'ajoute qu'ont été abordées la question des négociations avec le Royaume-Uni dans le cadre du Brexit et celle des sanctions envers la Russie. Vous le voyez, l'Europe avance. Je sais pouvoir compter sur votre soutien. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et UC, ainsi que sur le banc de la commission)
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères . - Je rends hommage à votre opiniâtreté, madame la ministre, dans un contexte difficile. Le Conseil européen n'a pas permis d'aboutir à un accord. Nous adhérons à la conception d'une Europe plus forte et plus souveraine, mais il y a loin des mots à la réalité.
L'Europe a une fois de plus fait l'étalage de ses divisions. Les discussions durent depuis mars, or le temps presse ! Après les annonces du mois dernier portant sur 750 milliards d'euros, la déception serait immense si les États membres échouaient à trouver un accord. La crédibilité de l'Union européenne est en jeu.
Le Président de la République est aux Pays-Bas pour convaincre l'un des « frugaux ». Quelles sont à votre avis les chances d'aboutir lors du prochain Conseil européen ?
Les travaux ont enfin démarré pour donner une boussole stratégique à l'Union ; mais quelle en sera la crédibilité, sans moyens ambitieux ?
Avec 9,5 milliards d'euros, dont 8 milliards pour le Fonds européen de la défense, la défense européenne ne bénéficie pas du plan de relance. Quel contresens stratégique ! Où sont les 17 milliards d'euros proposés par la Commission, il y a deux ans ?
Enfin, les négociations sur la relation future entre l'Union européenne et le Royaume-Uni sont dans l'impasse. La conférence de haut niveau entre les dirigeants européens et Boris Johnson fait elle naître un espoir ? Le 2 novembre, nous fêterons les dix ans des accords de Lancaster House. J'appelle le Gouvernement à relancer la coopération franco-britannique en matière de défense. Le Sénat va s'y employer au plan parlementaire. Cette coopération doit rester l'un des moteurs de la construction d'une défense européenne, à laquelle le Royaume-Uni a vocation à participer. Nous doutons de la volonté d'aboutir de certains, même si nous espérons encore. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et LaREM, ainsi que sur le banc de la commission)
M. Jean-François Rapin, au nom de la commission des finances . - En dépit des attentes élevées, les États membres n'ont pas progressé sur le CFP ni sur le plan de relance. La commission des finances a adopté une proposition de résolution européenne sur ce sujet, devenue hier résolution du Sénat, à l'initiative de Jean Bizet et Simon Sutour.
La proposition de la Commission européenne repose sur un CFP socle et un fonds de relance. Cela permet d'augmenter significativement la puissance de feu sans peser à court terme sur les contributions nationales et réconcilie plusieurs visions en associant subventions, pour 500 milliards d'euros, et prêts, pour 250 milliards d'euros. C'est une première forme de solidarité européenne.
Toutefois, la commission des finances n'a pas donné de satisfecit, tant les inquiétudes demeurent nombreuses.
Le temps presse : les négociations pour le CFP ont été ouvertes en 2018 avec pour objectif d'éviter les retards connus en 2014. Un accord en juillet est-il à portée de main ? Quelle continuité sinon ?
L'articulation avec les plans de relance nationaux est cruciale. Le calendrier de décaissement des crédits de paiement est inadéquat : le financement de la reprise doit intervenir dès le début du CPF. Quels secteurs bénéficieront en priorité du fonds européen ?
Quelles seront les modalités de remboursement de l'emprunt ? Nouvelles ressources propres ou hausse des contributions nationales, rien n'est acquis. Difficile, dès lors, de déterminer le taux de retour pour la France.
L'Union européenne sera-t-elle capable de se doter de nouvelles ressources propres d'ici 2028, eu égard aux réticences historiques d'États membres, notamment pour la taxe sur le numérique ou sur les grandes entreprises. En outre, certaines recettes baissent à mesure que les pratiques de consommation et de production évoluent, comme celles tirées de la taxe sur les déchets plastiques ou des quotas carbone.
La dernière inquiétude porte sur la progression de notre contribution nationale à compter de 2021, et plus encore, de 2028. Les propositions initiales de la Commission européenne se seraient traduites par un ressaut de 6,9 milliards d'euros par an. En l'absence de ressources propres, quelle sera la contribution de la France ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes . - Le Conseil européen du 19 juin ouvre la voie à un tournant fondateur. Quoique sans résultat, il n'a donné lieu à aucune remise en cause de l'architecture de la proposition de la Commission européenne qui articule cadre financier pluriannuel révisé et instrument de relance temporaire.
Se confondent l'urgence de la crise et le temps long de la construction européenne. L'ampleur de la crise exige un plan de relance pour aujourd'hui, mais engage l'Union sur trente ans, horizon du remboursement de l'emprunt proposé.
On conçoit le défi qu'affrontent les chefs d'État et de gouvernement. Ce moment n'est pas hamiltonien - il n'est pas question de reprendre les dettes des États membres dans un grand saut fédéral - mais il est historique : les 27 envisagent de s'endetter ensemble pour le bien de l'Union. Il appartiendra aux Parlements nationaux d'y consentir ou non.
L'essentiel est d'optimiser cet effort financier pour qu'il fortifie l'Union et lui garantisse une autonomie stratégique. Cela passe par la souveraineté agricole - en soutenant nos agriculteurs via la PAC et en accompagnant le verdissement des pratiques ; par la souveraineté industrielle, en relocalisant les chaînes de production stratégiques et en protégeant contre les investissements directs étrangers ; par la souveraineté spatiale, énergétique, aux frontières et en matière de défense. Tout ceci figure dans la résolution européenne que le Sénat a adoptée. L'effort budgétaire envisagé devra bien bénéficier à l'Union, ce qui suppose de moderniser la politique de concurrence et d'optimiser nos outils de protection contre la concurrence déloyale.
Les modalités de mise en oeuvre du plan de relance restent un sujet de discorde - prêts ou subventions ? - comme les modalités de remboursement de l'emprunt, qui impliquent de nouvelles ressources propres. Comment s'accorder sur un budget sans savoir comment il sera financé ? On peut comprendre la frilosité des pays dits frugaux, même si des considérations de politique intérieure peuvent expliquer certaines postures. Aux Pays-Bas comme en Autriche, pensez-vous pouvoir vaincre les réticences ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, Les Indépendants et RDSE)
Mme Mireille Jouve . - Le Covid impacte durement l'économie du continent : une récession attendue de 8,7 % pour la zone euro, une baisse des exportations entre 9 % et 15 %, des millions d'emplois menacés - la pire crise en temps de paix.
La solidarité est, en théorie, au coeur de la construction européenne. Doit-on rappeler aux pays frugaux l'article 3 du Traité sur l'Union européenne, selon lequel : « L'Union européenne promeut la cohésion économique, sociale et territoriale et la solidarité entre les États membres » ?
Ambitieuses, les propositions de la Commission européenne suscitent des crispations. Nous sommes sur la voie d'une dette européenne mutualisée. Le groupe RDSE salue cette avancée. L'heure n'est plus aux tergiversations. Plus vite le paquet sera adopté, mieux ce sera, a estimé la présidente de la BCE.
La répartition entre subventions et prêts préoccupe les pays dits frugaux. Il faut malgré tout soutenir la proposition franco-allemande de 500 milliards d'euros sous forme de subventions ; ajouter des prêts aux prêts ne ferait que surendetter les pays les plus exposés à la crise. Les frugaux mettront dans la balance la conditionnalité des aides et le maintien des rabais. Si c'est le prix d'un accord rapide, soit.
Quelle est la marge de manoeuvre sur le prochain CFP, auquel est adossé l'instrument de relance ? Les 1 100 milliards d'euros proposés sont déjà le fruit d'un compromis ; difficile de les raboter encore.
L'agriculture comme la défense sont les parents pauvres de ce budget : malgré une augmentation de 20 milliards d'euros pour la PAC et le développement rural, nous restons en deçà du CFP en cours, alors que la viticulture ou l'horticulture sont à la peine. Avec 8 milliards d'euros, le Fonds européen de défense est sacrifié sur l'autel des économies.
Enfin, l'épidémie a imposé comme priorité l'ébauche d'une Europe de la santé. Je salue les 9,4 milliards d'euros engagés en faveur de ce secteur, en espérant que cela réduira notre dépendance à l'Asie pour le matériel médical et les médicaments.
Tous ces engagements, avec la transition verte en toile de fond, nécessiteront de nouvelles recettes propres si l'on ne veut pas alourdir les contributions nationales. Il faut aboutir rapidement sur ce point.
La commission des budgets du Parlement européen l'a encore demandé. La taxe sur le numérique avance, mais ne rapporterait que 5 milliards d'euros, comme celle sur les déchets plastiques. Un mécanisme d'inclusion carbone aux frontières est aussi attendu.
Il est fondamental de protéger les marchés européens. Le mécanisme de filtrage des investissements émergera-t-il avant la fin de l'année ? La stratégie de l'Union face à la Chine peine à se concrétiser...
Robert Schuman disait : « La paix mondiale ne saurait être sauvegardée sans des efforts créateurs à la mesure des dangers qui la menacent ». À l'aube d'une crise inédite, l'Union européenne a plus que jamais besoin d'unité et de solidarité. J'espère que les États membres seront au rendez-vous de ces deux principes fondateurs du pacte européen. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur le banc de la commission)
M. André Gattolin . - La vie en distanciel n'est pas la vie en présentiel. Difficile de faire une campagne électorale de proximité, de tenir une réunion de commission dynamique en visioconférence, de garder toute son attention lors de marathons virtuels.
Finis la spontanéité des échanges, les apartés informels qui permettent d'esquisser un rapprochement. Ce « cadre particulier de l'expérience », comme disait le sociologue Erwing Goffman, n'est pas propice à une relation interactionnelle et authentiquement dialogique. Que signifie un silence médiaté par les nouvelles technologies : approbation, désaccord, ou simple problème de connexion ?
Cette délicate expérience, c'est celle qu'on put vivre des chefs d'État et de Gouvernement lors du sommet virtuel de vendredi dernier.
Les maigres résultats ne sauraient toutefois être uniquement imputés à la technologie employée. Les négociations sur le prochain CFP durent depuis deux ans ; la majeure partie s'est faite en présentiel.
Ce Conseil européen ne pouvait être qu'un tour de chauffe, l'occasion pour les dirigeants des 27 de donner leur avis sur cet audacieux projet de paquet budgétaire.
Au-delà de cet étrange sommet « pour voir », les diplomaties n'ont pas chômé. C'est déjà un point positif. La France et l'Allemagne ont présenté une position commune, la Commission l'a faite sienne, une majorité d'États membres s'y est ralliée : c'est un petit miracle. Le groupe de Visegrad n'est plus opposé à un processus d'approfondissement et de renforcement de l'Union européenne : c'est un exploit !
L'Allemagne prendra la présidence du Conseil en juillet prochain et sera donc à la manoeuvre lors des négociations finales. Son annonce d'une réunion unique fin juillet réduit le risque de procrastination de certains États membres !
Les grands accords se sont toujours faits sous l'égide de l'un des grands pays européens.
Pourtant, des points de tension demeurent. Les pays dits frugaux refusent de faire appel à l'impôt européen pour financer le plan, ils insistent pour imposer aux bénéficiaires des conditions strictes de réformes structurelles. La question des ressources propres est la clé de voûte d'un accord, car sans elles, le remboursement de la dette sera à la charge des contributeurs nets du budget européens. Or les décisions sur les ressources, adoptées en fin de cadre pluriannuel, passent par l'unanimité du Conseil et la ratification par le Parlement européen et les parlements nationaux.
La Suède et le Danemark pourraient néanmoins être plus conciliants que l'Autriche et les Pays-Bas. Pour la première, l'Allemagne pourrait trouver les mots justes.
Aux Pays-Bas, l'euroscepticisme est puissant et le Premier ministre Mark Rutte est à la tête d'une coalition hétérogène qui ne dispose que d'une majorité d'un siège dans la deuxième chambre des États généraux. Un grand journal du soir donne toutefois de bonnes nouvelles : le déplacement du Président de la République français à La Haye n'est sans doute pas étranger à une évolution soudaine et il pourrait y avoir des concessions réciproques.
Madame la ministre, vous êtes indubitablement combative, mais êtes-vous indubitablement optimiste : pensez-vous qu'un accord sera obtenu avant la fin du mois prochain ? Quelles concessions seront nécessaires... et acceptables ? (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM et sur quelques travées UC)
M. Pierre Laurent . - Les résultats du Conseil sont loin de correspondre aux élans d'enthousiasme exprimés ici et là. Étape historique pour l'Union européenne ? Certes, l'ampleur de la crise impose aux États, au Conseil et à la BCE une réaction inédite, faisant voler en éclats des tabous budgétaires et monétaires jugés indépassables il y a peu encore.
Mais engluée dans ses dogmes, l'Union européenne est toujours aussi divisée, aussi incapable de se projeter dans un modèle solidaire, garantissant la sécurité humaine et la protection de la planète.
Aucun accord n'a été trouvé au Conseil européen. Nous aurons cet été un marathon de négociations, avec des compromis successifs... Quel sera le point d'arrivée ?
L'addition du CFP et du plan de relance masque les évolutions structurelles du cadre pluriannuel ; globalement, c'est un recul, sur la PAC, sur les fonds de cohésion. Le plan de relance ferait plus que compenser les baisses de ces budgets. Mais le maquis des procédures pour accéder aux nouvelles lignes peut en faire douter.
Quelles que soient les déclarations ronflantes, on voit l'écart entre ce plan de relance et les besoins. Le président Macron a affirmé que 500 milliards d'euros étaient déjà engagés. Or il est ici question de 750 milliards... pour toute l'Union européenne.
Les mécanismes mis en oeuvre restent dépendants de la dette. Le problème du remboursement est devant nous. Si Angela Merkel a cédé sur la mutualisation de la dette, elle n'a rien lâché sur une conditionnalité qui a pourtant mis à bas la santé publique et la recherche des pays qui ont dû s'y plier. Il serait temps de parler d'effacement progressif de la dette et de révision des politiques monétaires de la BCE !
Qui maîtrisera les critères de distribution de ces fonds ? Nous imposera-t-on leur destination selon des critères d'avant crise ?
L'enveloppe pour la santé est modeste : 9,4 milliards d'euros pour le fonds santé, sur la période, soit moins que les besoins de la seule France durant la crise ! Comment développera-t-on les investissements publics dans l'énergie, les transports, le logement ?
Et quels critères d'aides pour les entreprises ? L'exemple scandaleux de Nokia ne plaide pas pour des aides seulement déterminées par la compétitivité. Ce groupe naguère présenté comme la solution européenne au défi de la 5G, gavé d'exonérations sociales et fiscales, vient d'annoncer la destruction de 1 000 emplois sur la R&D. Sera-t-il bénéficiaire du plan de relance ? Conditionnalité drastique des dépenses publiques, inconditionnalité pour les grands groupes qui mangent aux deux râteliers, les aides publiques et l'évasion fiscale...
L'enjeu est de choisir entre le modèle compétitif du monde d'avant ou un modèle solidaire. J'ai l'impression, hélas que tout cela est très mal parti. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE ; M. Rémi Féraud applaudit également.)
Mme Colette Mélot . - J'ai fait le rêve qu'aujourd'hui je prononçais ces mots : « Enfin, nous avons trouvé une solution au sein de l'Union européenne. C'est une victoire des peuples et du destin européens. Nous avons fait le choix de sortir vite et ensemble de la crise, et l'Histoire jugera à sa juste valeur cet accomplissement. Nous nous sommes mis d'accord sur un budget européen puissant, finançant équitablement les politiques historiques et les nouvelles priorités. Les citoyens européens auront ainsi accès à une alimentation de qualité, nous créerons ensemble un tissu industriel innovant, nous agirons pour notre protection commune, nous bénéficierons enfin d'un numérique simple et encadré et nous réduirons notre impact sur la planète. »
Madame la ministre, comme j'aurais aimé tenir ce discours ce soir. Bien sûr, nous savions tous que le Conseil européen n'aurait pas de résultat.
Je souhaite toutefois murmurer mon rêve d'Europe. Le Conseil européen laisse espérer une issue favorable en juillet. Devoir surmonter des difficultés... c'est le quotidien des Européens !
Le groupe Les Indépendants soutient un plan de relance juste et solidaire, grâce à des ressources propres assises sur la taxation du numérique, du plastique et du carbone.
Le temps presse néanmoins pour que l'accord soit applicable dès le début de l'année prochaine. Des questions subsistent : mutualisation de la dette, subventions, répartition, rabais, ressources propres. Nous comprenons les résistances et appelons à dépasser certaines d'entre elles. Personne ne devra rester en arrière, personne ne pourra sortir grandi de cette crise seul.
Nous avons besoin d'une Europe forte, souveraine, juste et prospère, pour que les Européens puissent vivre ensemble. Je connais votre engagement, madame la ministre, et souhaite une réussite européenne.
Dans cette négociation, quelles sont les lignes rouges pour la France ? Selon les Pays-Bas et la Suède, un accord avant l'été n'est pas probable ni forcément souhaitable. Quelles sont les chances de ratification ?
Nous avons pris acte de la volonté de Boris Johnson d'évacuer le sujet du Brexit pour la fin de l'année. Je salue l'action de Michel Barnier et de ses équipes. Un accord a minima comme un no deal ne sont pas envisageables. Il faut un accord sur la pêche, sur la libre concurrence, sur la situation des citoyens et des entreprises européennes et britanniques.
Nous devons faire de cette séparation une force de coopération et de lutte conjointe pour nos valeurs communes. Le Royaume-Uni reste notre ami et notre allié. Tissons de nouveaux liens. Les relations avec le Royaume-Uni sont essentielles. Quelles actions sont engagées dans les prochains mois sur ce dossier ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants et LaREM)
M. Claude Kern . - Le dernier Conseil européen étudiait la proposition de relance économique présenté par la Commission européenne. Il n'a pas abouti à un accord, mais il a montré que le dialogue est possible.
Le maintien d'un dialogue constructif est essentiel sur le fond comme sur la forme. Comme l'a dit le Président de la République, il serait catastrophique de présenter au coeur de la crise l'image d'une Europe désunie, voire en conflit.
La fracture Nord-Sud est la plus importante. Les pays du Nord, frugaux en tête, campent sur la position d'un CFP limité à 1 % maximum du PIB de l'Union européenne. Au contraire, les pays du Sud, dont la France et l'Italie au premier chef, plaident pour une politique de solidarité au bénéfice de l'ensemble du continent.
La position commune de Berlin et Paris est un événement, elle fait bouger les lignes et ouvre la voie à un accord. Pour l'Alsacien et l'Européen que je suis, c'est une excellente nouvelle de retrouver un couple franco-allemand ambitieux !
Il nous appartient de convaincre nos 25 partenaires du bien-fondé de la proposition de la Commission européenne. Nous espérons un prochain accord, pour nos entreprises et pour nos territoires. Mais nous serons attentifs à ce que le CFP ne délaisse pas les politiques traditionnelles, comme la PAC. Les agriculteurs ont montré leur rôle essentiel durant cette crise ; il n'y a pas eu de pénuries malgré le confinement. Je salue leur engagement.
L'Europe doit sortir plus forte de la crise. La France est dans un moment crucial. Gageons que ses propositions seront entendues à Bruxelles. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et LaREM)
Mme Laurence Harribey . - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) Pour certains, tout est merveilleux ; pour d'autres, rien n'a changé. Quant à moi, loin de tout manichéisme, sans être eurobéate ni eurosceptique, je suis euroréaliste.
Nous saluons la proposition de la Commission, dans la lignée du plan franco-allemand, même si elle est en deçà des besoins.
Elle est, reconnaissons-le, innovante dans sa conception et ses modalités. Elle comprend non seulement des prêts mais des subventions, à hauteur des deux tiers. Ce serait une première expérience significative de mutualisation de la dette ; elle ouvrirait la voie à de nouvelles ressources propres, sujet trop longtemps négligé dans les négociations budgétaires européennes.
Ce plan marque donc un pas qualitatif dans l'approche budgétaire. Il entérine le principe de solidarité financière européenne et il acte la nécessaire cohésion sociale et la lutte contre les inégalités. La relance européenne, appuyée sur le pacte vert et le numérique, doit selon nous s'accompagner d'un projet social et inclusif.
Trois éléments sont intéressants : le régime européen de réassurance chômage (Support to mitigate Unemployment Roistas in an Emergency), le fait de viser des salaires minimum équitables et une transparence salariale, et l'intensification de la lutte contre l'évasion fiscale, qui produira des recettes supplémentaires.
Reste les points de vigilance : le Conseil européen est-il réellement capable de faire jouer la solidarité européenne ? Nous avons apprécié votre pugnacité éclairée, madame la ministre ; nous nous en réjouissons, car les négociations se font dans la durée.
La Commission, selon les États frugaux, pourrait recourir à l'emprunt, cependant ils sont réticents à ce que ce soit non pour des États, mais pour la communauté.
Deuxième alerte, la condition de réformes structurelles mise à l'accès au fonds. Certains sont enchaînés au dogme de la dette alors que le pacte de stabilité a été suspendu.
Attention, enfin, aux incantations sur la souveraineté industrielle, nationale ou européenne.
Nous souscrivons à la réforme de la PAC, mais qu'est-ce qu'une « autonomie stratégique ouverte » ? C'est une injonction contradictoire...
Je rejoins à ce titre l'obsession du président Bizet sur la section 232 et sur l'articulation entre politique de concurrence et politique commerciale.
La souveraineté technologique a fait irruption dans le débat. La pandémie a fait voler en éclat la distinction public-privé.
Et la France a choisi un chemin bien solitaire avec sa solution de tracking.
Pour la souveraineté alimentaire, un nouveau modèle agricole est affirmé, le Feader est renforcé, au bénéfice de la mutation écologique du milieu rural, mais le soutien aux mutations n'est guère visible au sein du cadre financier pluriannuel.
La refonte d'une politique industrielle et de recherche est nécessaire. Nous avons auditionné la Commissaire de la concurrence ; il y a une ambiguïté, une hésitation entre l'attrait d'un nouveau modèle et le retour à une politique des années cinquante. Notre interlocutrice n'a pas pu nous dire, en matière de santé, si le patient est un consommateur ou quelque chose d'autre...
Il faudra rester vigilant sur la territorialisation de la politique industrielle, car l'innovation vient des territoires.
Toutes les crises ont fait avancer l'Europe. La politique régionale et les fonds structurels sont dus aux Britanniques, qui les avaient obtenus dans les années soixante-dix en échange de la PAC. La politique sociale a été apportée par les pays nordiques. Chaque crise a produit des changements, mais cette crise économique est plus grave que jamais.
Nous vous demandons de reprendre à votre compte les points de vigilance que je vous ai exposés. Conservez cette pugnacité éclairée, et mettez un peu d'humanité dans la position française. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)
M. Pascal Allizard . - La crise sanitaire a pris l'Europe de court. Il faudra retenir certaines leçons, sinon le plan de relance ne fera que prolonger artificiellement la vie du malade européen.
L'Union européenne n'est pas une bulle prospère protégée du monde ; elle est interdépendante des crises du monde. Nous ne vivons pas dans le monde des bisounours, comme dirait Hubert Védrine. Les frontières sont perméables, il ne faut pas tergiverser pour les fermer lorsque nécessaire. La probabilité d'évènements graves sera plus récurrente dans l'avenir. La résurgence de l'épidémie en Chine doit nous alerter.
Intégrons le durcissement des relations internationales, y compris avec nos alliés extra-communautaires. La relance massive de l'Union européenne doit s'accompagner d'un changement d'état d'esprit. Les autres États privilégient leurs entreprises et leurs citoyens. L'Union européenne, elle, promeut encore l'ouverture.
Pourtant, le partenariat transatlantique, les accords avec Mercosur, la Nouvelle-Zélande, l'Australie ont fini par susciter l'inquiétude. Il ne faut pas que l'accord franco-allemand bénéficie aux seuls grands groupes industriels allemands. Protégeons les entreprises françaises contre la prédation étrangère. Ne nous enfermons pas dans une alternative entre les éoliennes chinoises et allemandes ! Il faut investir dans la santé et limiter notre dépendance par rapport à la Chine, sur les molécules ou les équipements sanitaires.
Avec les États-Unis, l'économie de la défense, pendant cette pandémie, n'a pas arrêté de fonctionner, elle a continué à bénéficier de budgets importants. Pendant ce temps, que d'atermoiements sur le budget de la défense en Europe...
M. Christian Cambon. - Oui !
M. Jean Bizet, président de la commission. - C'est vrai !
M. Pascal Allizard. - Résultat, la défiance augmente à l'égard de l'Europe. Pourtant nous ne pouvons pas nous payer le luxe d'échouer ; ce serait déplorable et dangereux. L'Europe n'est pas parfaite, mais elle doit être adaptée aux nouveaux paradigmes ; c'est aux États qu'il revient de la définir, non pas aux hauts-fonctionnaires de Bruxelles. Si la crise peut conduire à un progrès, c'est sans doute celui-là. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur le banc de la commission)
M. Jean-François Longeot . - Le sommet a donné lieu à des réactions ambivalentes : première étape ou échec ? La réalité est entre les deux...
C'est le retour d'un couple franco-allemand à l'initiative, pour faire pièce aux lignes de fractures apparues en mars dernier entre le Nord et le Sud de l'Europe.
Si le plan de relance est loin de faire l'unanimité, il témoigne d'une avancée majeure : une dette mutualisée, pour répondre à une crise qui n'est imputable à personne mais affecte tout le monde, marque une souveraineté commune et casse la logique des blocs.
Je partage la position du Parlement européen : de nouvelles ressources fiscales propres à l'Union permettraient de ne pas faire peser le financement des mesures sur les contributions nationales. Des pistes existent, telle la taxe sur le numérique ou celle sur les transactions financières, soutenue par le Sénat depuis 2013.
Le maintien des rabais sera-t-il une solution, pour aboutir à un accord avant la fin de l'année ?
Pendant la crise, l'Union européenne a choisi de se mettre en retrait par la suspension des règles budgétaires, le rétablissement des frontières, la restriction des libertés.
Les États ont ainsi retrouvé leur souveraineté pour réagir face à la crise économique. Investissons au niveau européen une souveraineté nouvelle, industrielle et stratégique. Alors que les États-Unis et la Chine veulent un accord bilatéral sur les investissements, quelle est votre position ? (Applaudissements à droite et sur le banc de la commission)
Mme Pascale Gruny . - Les chefs d'État et de Gouvernement étaient réunis pour sortir le vieux continent d'une récession historique. Comme prévu, des divergences profondes ont été mises au jour, sur le montant des aides, leur nature, leur répartition.
Sur le CFP non plus, ils n'ont pas beaucoup avancé. Les frugaux veulent garder leurs rabais tandis que les autres un budget plus important.
Nous saluons l'abondement de 4 milliards d'euros du premier pilier de la PAC, de 5 milliards d'euros du deuxième pilier, auxquels s'ajoutent 15 milliards d'euros du plan de relance. Mais cela ne compense pas la diminution de 8 % à 10 % du budget de la PAC en euros constants. On n'a toujours pas pris conscience de l'importance stratégique de notre agriculture européenne, qui a pourtant nourri 500 millions de personnes pendant la crise...
La Commission veut baisser de 10 % la surface agricole utile (SAU) ; c'est incompréhensible.
Le nouveau programme de santé « EU4Health », doté de 7,5 milliards d'euros, est à saluer, tout comme la concentration des dépenses sur une période courte, entre 2021-2024 est à saluer. Mais quelle est la capacité de mise en oeuvre ? Évitons une complexité source de sous-consommation...
Enfin, la question des ressources propres de l'Union est un sujet majeur. La Commission souhaite les développer pour soulager les budgets nationaux et rendre le budget européen moins dépendant des contributions des États membres. Mais elle doit encore clarifier ses propositions et ne pas ajouter à l'overdose fiscale qui touche beaucoup de pays européens, à commencer par la France.
L'Europe doit s'atteler rapidement au projet de barrière écologique à ses frontières, comme l'a réclamé le Sénat dans une récente résolution. En taxant les produits provenant de pays qui s'affranchissent de toute réglementation environnementale, nous renforcerons la compétitivité de nos entreprises et de nos agriculteurs, soumis à des normes beaucoup plus exigeantes que leurs partenaires commerciaux.
En juillet, les chefs d'État et de Gouvernement se réuniront pour trouver un accord. Un échec aggraverait les tendances nationalistes, les tensions sociales et les problèmes économiques. Il est donc nécessaire de réussir sous peine de discréditer le projet européen. L'Europe traverse depuis dix ans une succession de crises économiques, sécuritaires, migratoires et sanitaires. Nos pays étant interdépendants, chacun doit prendre conscience que la bonne santé économique de tous est dans l'intérêt de chacun. Le prochain Conseil européen devra incarner la nécessaire solidarité de l'Union européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Cyril Pellevat . - Voilà près de 70 ans que l'intégration européenne se poursuit, mais non sans crises. Mais l'Union a jusqu'ici réussi à les dépasser.
Le Covid provoque une crise majeure qui appelle une réponse forte et coordonnée. Cette collaboration a permis de faire de l'Union la deuxième puissance économique mondiale, et il faut tout mettre en oeuvre pour la maintenir à ce niveau, pour le bien de l'Union comme de la France. Le respect des valeurs démocratiques, de l'entraide et de la solidarité, sera essentiel : il n'est pas possible de s'en sortir sans compter sur nos partenaires européens.
Aussi, la proposition de la Commission d'un plan de relance de 750 milliards d'euros reflète les principes sur lesquels l'Union est bâtie.
Des divergences se font pourtant sentir. Les pays frugaux préféreraient des prêts ou des subventions conditionnées à des réformes, comme ce fut le cas lors de la crise des dettes souveraines. Émettre uniquement des prêts ne me semble cependant pas envisageable.
Assortir la distribution des subventions de conditions relatives au respect des priorités de la Commission, qu'il s'agisse du numérique, de l'écologie ou de l'amélioration de la compétitivité économique, rappelle cependant de mauvais souvenirs aux pays ayant dû par le passé se plier à de nombreuses exigences afin d'obtenir des prêts.
Aucune proposition ne pourra pleinement satisfaire tous les États membres. Mais il faut arriver à un résultat si nous voulons garder la confiance des marchés financiers et éviter un rejet massif du modèle européen par nos concitoyens.
Le plan de relance américain est trois fois plus important que le nôtre. Si nous ne parvenons pas rapidement à un accord, de grands groupes américains pourraient alors en profiter pour acquérir de larges parts de marché en Europe.
Nous pourrions consentir à des conditionnalités pour les subventions moins lourdes que par le passé. Qu'en pensez-vous, madame la ministre ?
J'en viens à la défense. Seize projets de défense viennent d'être retenus par l'Union européenne, dont trois projets consacrés aux technologies de rupture.
La défense bénéficiera de 205 millions d'euros. Mais le fonds européen pour la défense apparaît toujours comme une variable d'ajustement. En février, avec ma collègue Gisèle Jourda, nous avions proposé une résolution européenne qui soulignait la nécessité de doter ce fonds à la hauteur initialement prévue. La nouvelle proposition présentée par la Commission est à cet égard décevante. Pensez-vous qu'on puisse espérer mieux ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État . - Il y a quelque chose d'étrange dans ce débat. À droite ou à gauche, chacun a oscillé entre déception et pessimisme. Certains ont parlé à notre égard de pugnacité, avec raison. Il en fallait, de la persévérance et du courage pour convaincre la chancelière, la Commission, une majorité d'États membres, le Parlement européen pour parvenir à ce plan de relance ambitieux et solidaire. Trois mois après le début d'une crise inédite, le chemin parcouru est immense : il y a quelque temps, l'acceptation du principe de l'endettement en commun n'était même pas sur la table.
L'Europe n'a jamais avancé aussi vite, même si c'est encore trop lentement.
Vous parlez de défiance des Français à l'égard de l'Union européenne. Le remède, c'est la clarté. Or, à droite, j'observe François-Xavier Bellamy et Geoffroy Didier dire qu'ils ont beaucoup de doutes, qu'ils craignent l'arrivée de fédéralisme. Oui ou non, la délégation PPE française au Parlement européen soutient-elle le plan de relance ?
Oui ou non, soutiendrez-vous l'idée de s'endetter en commun pour aider l'Italie ou l'Espagne ?
À gauche, j'entends que ce n'est pas assez et surtout que le plan ne doit bénéficier qu'à certaines entreprises ou à certains secteurs. Mais estimez-vous que c'est une bonne mesure ? Pouvez-vous concéder que 500 milliards d'euros, c'est déjà beaucoup ?
Sans parler de vous individuellement, je crois que dans vos familles politiques, la clarté est nécessaire.
Aux Pays-Bas et en Autriche, le débat sur le fonds européen est hautement politique : certains ne sont pas prêts à adosser leur souveraineté sur une souveraineté européenne.
Vous le voyez, le Président de la République, le Gouvernement et moi-même sommes à la bataille. J'ai besoin de vous, que vous nous aidiez à aider les Français.
Monsieur le sénateur Rapin, des discussions bilatérales sont menées par Charles Michel pour préparer la rencontre du 17 et 18 juillet ; la France, l'Italie, l'Allemagne se consultent sans cesse pour comprendre, entre autres, les attentes de leurs Parlements nationaux. La chancelière, prenant la présidence tournante le 1er juillet, aura un rôle d'entraînement très fort.
Vous voterez les ressources propres d'ici la fin de l'année. Au 1er janvier 2021, nous aurons à la fois le plan de relance et le budget 2021-2027. Y aura-t-il un plan de contingence s'il n'y a pas d'accord ? Plus personne en Europe ne croît qu'on peut se payer le luxe d'avoir un budget transitoire.
Espérant que nous aurons ce plan européen en octobre, les plans de relance nationaux pourront être établis afin qu'en janvier 2021, l'ensemble de la machine se mette en marche. Nous paierons les intérêts de l'emprunt jusqu'en 2027 : 20 milliards d'euros pour un plan de 500 milliards d'euros. L'argent en ce moment ne coûte pas bien cher. À partir de 2028, on remboursera le principal grâce aux ressources propres, aux rabais, à la TVA...
Monsieur le président Cambon, nous sommes passés de 13 à 6, puis à 7, puis à 9 milliards d'euros pour le fonds européen de défense. Si nous avons fait remonter ces chiffres, c'est que nous nous sommes mobilisés et entendus.
Je suis d'accord : la défense ne peut pas être une variable d'ajustement.
Le Président est allé à Londres pour le 18 juin. Notre relation bilatérale peut se développer. L'idée est d'organiser un sommet bilatéral pour mettre Lancaster House à jour.
Vous m'avez demandé, président Bizet, ce que je retenais de mes voyages en Autriche et au Pays-Bas. Le sujet du plan de relance y est hautement politique, comme je l'ai dit. Dans ces deux pays, les représentants des salariés et des entreprises soutiennent ce plan. Les forces politiques ne sont pas dans une logique de juste retour, mais elles craignent que leur contribution nette ne devienne vertigineuse. Ils s'intéressent donc de près aux ressources propres : taxe numérique et taxe carbone aux frontières.
L'excédent commercial des Pays-Bas vers l'Italie, c'est 12 milliards d'euros ! C'est beaucoup plus que la contribution qu'ils pourraient consentir au plan de relance.
Vous m'avez interrogé sur les outils de protection à l'égard de la concurrence. Le livre blanc publié la semaine dernière par Thierry Breton et Mme Verstagen fait le point sur la protection des actifs stratégiques : marchés publics, prises de participation dans les entreprises, y compris dans les grosses PME, contrôle des subventions dans les pays hors de l'Union.
Nous devons en effet nous montrer vigilants sur les aides d'État, non plus seulement sur les entreprises européennes, mais aussi sur les entreprises étrangères. Cette crise nous a ouvert les yeux sur nos fragilités.
Mme Jouve m'a demandé si le plan Santé européen allait réduire notre dépendance à l'égard de l'Asie ? Oui, il faut faire à l'échelon européen ce qui y et pertinent - on ne gérera pas les hôpitaux depuis Bruxelles.
M. Gattolin m'a interrogé sur les concessions. Je ne veux pas proposer de réduire, mais d'ajouter des garanties pour convaincre les réticents. Que peut-on dire aux Néerlandais pour les assurer que les 500 milliards d'euros ne sont pas un cadeau mais un investissement ?
Monsieur Laurent, nous ne sommes pas là pour recréer des troïkas ou des diktats. L'architecture de ce plan est originale. Chaque pays choisira ce qu'il veut financer avec les aides européennes.
En France, cela pourra être le secteur hospitalier, ailleurs, la reconstruction du secteur du tourisme. Ce n'est pas de Bruxelles que partiront les injonctions.
M. Pierre Laurent. - Et le semestre européen ?
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État. - Nous faisons les réformes pour nous-mêmes. Mais il est intéressant de réfléchir à un cadre commun pour avancer.
Madame Mélot, nous ne cherchons pas un accord a minima pour le Brexit. Dans certains secteurs, comme la pêche, il s'agit de plus de la moitié des emplois.
Nos objectifs sont la préservation des droits coutumiers de pêche, la gestion en commun pour protéger les ressources, la prévisibilité : on ne peut tous les six mois changer de politique.
Nous étudions ce que les Britanniques appellent l'attachement au zonal. Nous leur rappelons que 70 % du poisson pêché dans les eaux britanniques est vendu sur le continent. S'il n'y a pas d'accord, les perdants risquent de ne pas être ceux qu'on pensait.
M. Jean-François Rapin. - Et le Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (Feamp) ?
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État. - Ce fonds dispose d'un budget de base, et de fonds de contingence pour parer à toutes les éventualités.
La PAC n'est pas has been, monsieur Kern ; les instances européennes en ont pris conscience.
Mme Harribey, nous n'avons pas oublié l'humanité. Si ce plan s'appelle « nouvelle génération », c'est qu'il se préoccupe notamment des jeunes qui arriveront dans un monde du travail avec un chômage en hausse. J'ai bien noté votre attachement à une territorialisation.
Monsieur Allizard, je crois que les Français ont vécu durement pendant la crise ce que signifient des frontières fermées, combien leur ouverture apportait des richesses. Je n'ai pas bien compris ce que vous prôniez avec la fermeture des frontières en Europe.
M. Pascal Allizard. - Je parlais des frontières extérieures.
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État. - Je comprends mieux. J'en profite d'ailleurs pour remercier les Allemands qui ont accueilli des malades français chez eux.
Monsieur Longeot, le sommet prévu entre l'Union européenne et la Chine à Leipzig qui devait se tenir en septembre a été repoussé. La réciprocité doit être respectée ainsi que l'environnement et la biodiversité - la Chine accueillera la COP -, la santé pour une action multilatérale et les droits de l'homme. Nous réaffirmons notre préoccupation quant à la situation au Xinjiang.
Je vous remercie de ce débat. Nous avons besoin d'avoir une classe politique qui sache se situer. L'Union européenne bénéficiera de ce débat clarifié. (MM. Jean Bizet, président de la commission, et André Gattolin applaudissent.)
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes . - Merci pour la qualité de ces échanges. Je partage votre analyse sur les progrès accomplis ces derniers mois. Nous sommes tous impatients. L'Union européenne a hâte de passer ce cap de l'après du Covid-19. Nous redoutons la crise sociale qui pourrait découler de la crise économique.
Le couple franco-allemand - dont nous commencions à douter - a pris la mesure de la crise. L'Allemagne a pris le pari de la solidarité avec les États les plus vulnérables et elle s'emploie désormais à convaincre les États du Nord de la nécessité d'un plan de relance. L'Allemagne est courageuse, car elle abandonne aussi ses revendications sur les rabais, avec le départ de nos amis britanniques. Nous le devons beaucoup à Angela Merkel, qui a eu le courage de s'opposer devant le Bundestag à la décision du 5 mai du tribunal constitutionnel de Karlsruhe qui remettait en cause la primauté du droit de l'Union et la légalité de la politique monétaire menée par la BCE.
L'Allemagne s'apprête à prendre la tête du Conseil de l'Union. Elle entend porter le plan de relance et à l'appui de cette motivation, il y a sans doute une double motivation : l'esprit de responsabilité à l'égard de la construction européenne et son intérêt bien compris : sa santé économique dépend de celle de ses clients et fournisseurs. Mais pour combien de temps ? À quinze mois des élections outre-Rhin, aucun successeur évident de la Chancellerie ne s'inscrit dans cet avenir du couple franco-allemand.
La rencontre entre les présidents du Conseil et de la Commission et Boris Johnson n'a pas été fructueuse. Londres refuse d'étendre la période de transition. Nous butons sur la concurrence équitable, la pêche, la gouvernance future de l'accord et la coopération judiciaire.
Nous recevrons Michel Barnier la semaine prochaine dont je salue la pugnacité, même si nous constatons une certaine lassitude bien compréhensible. Espérons que les Britanniques reviendront sur leurs positions, sinon nous reviendrons aux règles de l'OMC autorisant des barrières tarifaires en cas de contingentements non tarifaires non justifiés.
Merci madame la ministre pour votre pugnacité éclairée. Malgré nos divergences, nous saurons appuyer la politique européenne du Gouvernement.
M. Christian Cambon. - Tout à fait !
Prochaine séance demain, mercredi 24 juin 2020, à 15 heures.
La séance est levée à 23 h 35.
Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,
Jean-Luc Blouet
Chef de publication