Éloge funèbre de Michel Charasse
M. Gérard Larcher, président du Sénat . - (Mmes et MM. les sénateurs ainsi que Mme la garde des Sceaux se lèvent.) C'est avec émotion et tristesse que nous avons appris la disparition de notre ancien collègue Michel Charasse, qui nous a quittés le 21 février dernier à l'issue d'un combat très courageux contre une cruelle maladie.
Nous nous étions revus encore récemment, en janvier de cette année, lorsque le Président de la République lui avait remis les insignes d'officier de la Légion d'honneur, Ordre dans lequel je l'avais moi-même reçu en 2011. Je l'avais décrit alors comme un républicain absolu.
J'étais présent, avec ses collègues du département du Puy-de-Dôme et avec Mme la garde des Sceaux, à la cérémonie d'adieu organisée mercredi dernier à Puy-Guillaume, à laquelle ont assisté de nombreuses personnalités.
Figure de notre vie politique, Michel Charasse était un serviteur passionné de la République, qui constituait pour lui la référence essentielle et dont il prônait inlassablement les valeurs. C'est autour de ses indéfectibles convictions républicaines que se sont articulés tous les grands engagements de sa vie publique, comme élu local, comme conseiller du Président François Mitterrand, comme ministre, comme sénateur ou comme juge constitutionnel.
Profondément attaché à la liberté individuelle et tout particulièrement à la liberté de conscience, c'était un défenseur intransigeant de la laïcité.
Les règles républicaines devaient selon lui s'appliquer d'une manière égale à tous, sans distinction d'origine, de croyances, d'intérêts ou de communautés, uniformément sur le territoire de la République, une et indivisible.
La fraternité s'incarnait chez lui par une grande fidélité en amitié et une générosité qui s'illustra notamment par son soutien constant aux Restos du coeur.
Sa forte personnalité, parfois atypique, souvent truculente, sa passion pour la chasse et les moments de convivialité attablés, son indépendance d'esprit, sa liberté de parole, sa cohérence et sa détermination dans l'expression de ses opinions, son humour parfois provocateur ont laissé un souvenir marquant et durable dans notre assemblée où il siégea pendant nombre d'années.
C'était aussi un travailleur acharné qui fit bénéficier le Sénat de ses compétences de fin juriste et de son expérience du monde parlementaire.
Michel Charasse était né le 8 juillet 1941 à Chamalières, dans le département du Puy-de-Dôme auquel il restera toujours fidèle, d'une mère corse et d'un père auvergnat, tous deux salariés de la Banque de France et militants syndicaux.
Titulaire d'une licence en droit et d'un diplôme de l'Institut d'études politiques de Paris, il commença sa carrière au service de l'État comme attaché d'administration centrale au ministère de l'Économie et des finances.
Engagé en politique dès l'âge de 21 ans par son adhésion à la SFIO, il s'immergea cependant très vite dans le monde parlementaire, en travaillant à l'Assemblée nationale comme assistant de plusieurs députés, puis comme secrétaire général adjoint du groupe socialiste où il devint un expert du droit constitutionnel, de la procédure parlementaire et des finances publiques.
Après un premier et bref mandat électoral en Corse, Michel Charasse fut élu maire de Puy-Guillaume dans le Puy-de-Dôme en 1977. Constamment réélu par la suite, il conservera ce mandat pendant trente-trois ans. Profondément enraciné dans son territoire auvergnat, il fut aussi conseiller régional pendant huit ans, de 1979 à 1987 et conseiller général du canton de Châteldon pendant vingt-deux ans, de 1988 à 2010.
En 1981, Michel Charasse fit son entrée au Sénat en remplacement de Roger Quilliot, devenu ministre. Réélu sénateur en 1992 et 2001, il ne quittera plus notre assemblée jusqu'à sa nomination au Conseil constitutionnel en 2010, hormis les quatre années où il exerça des fonctions ministérielles, entre 1988 et 1992.
De 1981 à 1995, parallèlement à ses fonctions de sénateur, il fut aussi et surtout un très proche et confiant conseiller du Président de la République. Alors installé à l'Élysée où il passait la majeure partie de son temps, il fit preuve jusqu'au bout d'une fidélité et d'un dévouement sans faille envers le Président Mitterrand.
Ministre en charge du budget de 1988 à 1992, Michel Charasse fut l'un des titulaires les plus endurants à ce poste exposé. Son passage y fut notamment marqué par le renforcement de la lutte contre la fraude fiscale, le rétablissement de l'impôt sur la fortune, la normalisation de l'imposition des élus ou encore la modernisation de la fiscalité locale.
Au Sénat, l'action de Michel Charasse fut caractérisée par un souci du respect des règles d'utilisation des deniers publics, comme elle l'avait été au ministère de l'Économie et des finances.
Il fut un membre éminent, assidu et écouté, de notre commission des finances où il s'illustra tout particulièrement comme rapporteur spécial des crédits de l'aide au développement. Il conféra toute sa portée aux prérogatives de contrôle sur pièces et sur place en effectuant de nombreuses missions à l'étranger, notamment en Afrique dont il était devenu un grand connaisseur.
Après avoir été Secrétaire du Sénat de 1995 à 1998, puis membre de la commission spéciale chargée de vérifier et d'apurer les comptes de 1998 à 2001, Michel Charasse exerça de 2001 à 2004 l'importante responsabilité de Questeur du Sénat. Dans ce cadre, il se montra un gardien très attentif de l'autonomie de notre assemblée.
En 1999, il joua par ailleurs un rôle marquant au sein de la commission d'enquête sénatoriale sur la conduite de la politique de sécurité menée par l'État en Corse.
Au long de ses mandats sénatoriaux, il se distingua en outre par ses prises de position affirmées sur les questions concernant la justice et les relations avec les juges, notamment en se prononçant en faveur du maintien des liens entre la Chancellerie et le Parquet, ou en faisant valoir l'immunité parlementaire pour refuser de déférer à des convocations adressées par des juges - nous en avons quelques souvenirs ici.
Attaché au bicamérisme, Michel Charasse se plaisait à souligner le travail législatif du Sénat, considérant que « les textes qui sortent de cette maison sont imprégnés de bon sens et de [la] pratique du terrain ».
En 2010, Michel Charasse, reconnu depuis longtemps comme un grand spécialiste du droit constitutionnel, fut nommé membre du Conseil constitutionnel par le Président de la République Nicolas Sarkozy.
Il déclarait dans un entretien au Monde : « Je suis un homme libre et indépendant, qui sert la République, qui sert ses institutions et veut les préserver dans ce qu'elles ont de plus fondamental pour l'équilibre de la France ». Nul doute qu'il aura été fidèle à cet engagement. J'ai le souvenir de ses propos lors de son départ du Conseil constitutionnel où il en fit le rappel.
Au nom du Sénat tout entier, je souhaite rendre, dans notre hémicycle, un hommage solennel à un grand serviteur de l'État, à un grand républicain, à une figure particulièrement marquante de notre vie politique et parlementaire.
À son épouse Danièle, à toute sa famille et à tous ceux qui ont partagé ses engagements, je souhaite redire, en ce moment de recueillement, la part que le Sénat prend à leur deuil.
Michel Charasse est une figure qui restera présente dans cet hémicycle. (Mmes et MM. les sénateurs ainsi que Mme la garde des Sceaux observent un moment de recueillement.)