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Table des matières
M. Laurent Duplomb, pour le groupe Les Républicains
M. Didier Guillaume, ministre de l'agriculture et de l'alimentation
M. Alain Houpert, pour le groupe Les Républicains
Politique spatiale de l'Union européenne
M. Jean-François Rapin, rapporteur de la commission des affaires européennes
Mme Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes
Ordre du jour du mardi 25 février 2020
SÉANCE
du jeudi 20 février 2020
60e séance de la session ordinaire 2019-2020
présidence de M. Philippe Dallier, vice-président
Secrétaires : Mme Jacky Deromedi, M. Daniel Dubois.
La séance est ouverte à 14 h 30.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Législation en commission
M. le président. - Lors de sa réunion du 28 janvier dernier, la Conférence des présidents a donné son accord pour que le projet de loi d'accélération et de simplification de l'action publique, inscrit à l'ordre du jour du mardi 3 mars, fasse l'objet de la procédure de législation en commission partielle.
Réuni le 18 février, le bureau de la commission spéciale a établi une liste de 10 articles pouvant faire l'objet d'un examen selon cette procédure. Elle a été communiquée aux groupes politiques qui n'ont pas formulé d'opposition.
Les articles 8, 9, 20, 22, 29, 31, 40, 47, 48 et 49 feront ainsi l'objet de la procédure de législation en commission.
Nous pourrions fixer : le délai limite pour le dépôt des amendements de commission au lundi 24 février à 12 heures ; la date de réunion de la commission pour le rapport et le texte au mercredi 26 février à 16 h 15 ; le délai limite pour le dépôt des amendements de séance portant sur les articles du texte non concernés par la procédure de législation en commission au lundi 2 mars à 12 heures ; le délai limite de demande de retour à la procédure normale pour les articles faisant l'objet de la procédure de législation en commission au vendredi 28 février à 17 heures.
Il en est ainsi décidé.
Agriculture
M. le président. - L'ordre du jour appelle un débat sur l'action du Gouvernement en faveur de l'agriculture, à la demande du groupe Les Républicains.
M. Laurent Duplomb, pour le groupe Les Républicains . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le débat est important. Pour comprendre ce qu'il se passe, il faut revenir trois ans en arrière. L'élection du président Macron a suscité un espoir immense chez les agriculteurs, celui de la reconnaissance. Les États généraux de l'Agriculture ont amplifié cet espoir d'être enfin compris, et que le problème de leurs revenus allait être traité.
Puis est venu le discours de la Sorbonne, passé inaperçu sur le moment, d'autant qu'un autre discours fut prononcé à Rungis ; or le Président de la République y a porté un coup fatal à la PAC, en évoquant le financement d'autres priorités sur le budget existant.
Or la France n'a jamais soutenu sérieusement le principe de subsidiarité en agriculture, contrairement à l'Allemagne.
C'est le projet de loi EGalim qui a suscité l'espoir mais là aussi, ce fut la déception. Le titre premier augmentait le seuil de revente à perte, restreignant les promotions agressives. Mais quelque 2 500 amendements de l'Assemblée nationale au titre II ont créé de nouvelles contraintes pour les agriculteurs et accru la stigmatisation, les messages accusateurs en direction de l'agriculture. Les zones de non-traitement grandissent, le glyphosate sera interdit - contrairement aux autres pays d'Europe, les importations augmentent. Je ne parle même pas de la ratification du CETA par l'Assemblée nationale. Or la vraie question, c'est celle du projet de la France pour son agriculture.
Le ministère prône-t-il le non-productivisme ? Comment défendrez-vous la PAC ? Allez-vous enfin arrêter d'en parler avec des mots et nous donnerez-vous des chiffres ? Pensez-vous amplifier la subsidiarité, c'est-à-dire une politique agricole de moins en moins commune ? Le verdissement entravera-t-il encore plus les agriculteurs ? Quid des risques et aléas climatiques ? Du stockage de l'eau, de l'irrigation ? Et du progrès des semences ? Le Conseil d'État vient de les classer OGM.
Monsieur le ministre, votre tâche est difficile. À votre place, je me poserais la question suivante : quel projet agricole ? Je vais essayer de vous aider. En premier, soutenez que la production agricole française est diversifiée. Arrêtez d'opposer les agricultures, de dire que vous voulez changer de modèle. Le savoir-faire français rayonne à l'étranger. N'oublions pas que 25 % des revenus agricoles proviennent de l'exportation. Deuxièmement, luttez contre la suprématie des quatre centrales d'achat. EGalim n'a pas réglé la question.
Troisièmement, soutenez les progrès technologiques ! Une initiative comme celle d'Axema permet, grâce à l'intelligence artificielle embarquée, de faire baisser de près de 90 % le volume de produits phytosanitaires pour certaines cultures.
Quatrièmement, prenez en compte par un suramortissement les investissements qui contribuent à des priorités telles que le bien-être animal, la lutte contre les risques climatiques, etc.
Puis, dressez un véritable état des lieux de ces charges administratives, normatives, qui pèsent tant sur les agriculteurs.
Enfin, battez-vous pour une PAC forte, à 390 milliards d'euros. Dites-nous que vous le ferez...
M. le président. - Il faut vraiment conclure.
M. Laurent Duplomb. - L'Europe est forte quand la PAC est forte. Arrêtons d'opposer ou de combattre les agriculteurs. Au contraire, venez avec un projet et une vision forte, et vous verrez : ils vous surprendront ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Didier Guillaume, ministre de l'agriculture et de l'alimentation . - Vous disiez ce matin en commission qu'il fallait parler sans passion... La politique de ce Gouvernement est claire : travailler pour les agriculteurs, les éleveurs, les pêcheurs, les conchyliculteurs. Car ce sont eux, qui y travaillent, les plus à même de faire comprendre les réalités auxquelles ils sont confrontés, même si l'on peut comprendre la dynamique agricole sans être agriculteur.
L'agriculture n'est pas à bout de souffle et pour lutter contre l'agribashing, il faut parler positivement de l'agriculture.
Le premier engagement, c'est celui de la transition agroécologique. Nous ne voulons pas changer le modèle, mais le faire évoluer, sans quoi le fossé avec les consommateurs ne se comblera jamais.
Il faut ralentir le temps court, accélérer le temps long. Le Gouvernement tente de tenir la position médiane qu'est la transition agroécologique.
L'agriculture doit rémunérer ses paysans, assurer notre autonomie alimentaire et favoriser l'exportation, condition de notre compétitivité.
C'est possible si elle s'appuie sur le triptyque : compétitivité, recherche création de valeurs et de richesses.
Certains souhaitent l'arrêt de l'utilisation des produits phytosanitaires, d'autres leur prolongation. Pour notre part, nous voulons aider chaque filière à sortir de sa dépendance à ces produits.
Il faut rassurer les consommateurs : on peut faire confiance à la durabilité de l'agriculture et à la qualité de l'alimentation française. Aujourd'hui, il y a trop de violences dans notre monde et nous devons lutter contre celles dont sont victimes les agriculteurs.
Monsieur Duplomb, vous essayez de mettre en place une politique de votre parti, Les Républicains, sur l'agriculture. Ce qui importe, ce ne sont pas les effets d'annonce, c'est le concret. Le Président de la République se rend à Bruxelles avec un seul mandat : défendre la position française sur la PAC, afin d'éviter la disparition de centaines d'exploitations.
M. Laurent Duplomb. - Des chiffres !
M. Didier Guillaume, ministre. - Je vous les donnerai. Nous ne voulons retirer aucun euro au premier pilier, tout en imposant les éco-schémas.
Je ne sais pas d'où vient le montant de 390 milliards que vous avancez... Il n'existe même pas en rêve !
Mais de grâce, n'évoquez pas celui de 370 milliards, qui correspond à la proposition initiale de la Commission européenne, dont nous ne voulons pas. Avec vingt autres pays, nous l'avons fait plier et obtenu qu'elle mette sur la table 375 milliards d'euros, correspondant au montant de la précédente programmation, grâce au front commun de vingt pays et à l'Allemagne qui a fait évoluer sa position. Nous défendons maintenant 380 milliards d'euros, et nous allons nous battre jour et nuit pour cela, avec le Président de la République C'est le chiffre que les syndicats agricoles soutiennent. Telle est notre objectif et nous ne laisserons pas la PAC se disloquer.
Le Président de la République a imposé que l'aide destinée au développement des pays de l'Est ne nuise pas à notre agriculture, alors que les distorsions de concurrence, et les distorsions sociales existent encore, manifestement.
L'indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN) est indispensable. J'aborderai les autres sujets dans la suite du débat.
M. Franck Montaugé . - Depuis près de deux ans, dans un contexte très problématique, le Sénat a fait des propositions sur la prochaine PAC. Le cadre financier pluriannuel se traduira par une baisse de 15 % pour le premier pilier et de 25 % pour le deuxième. Les États membres devront présenter leur plan stratégique pour la nouvelle gouvernance de la PAC. Sur quels principes allez-vous le fonder ? Comment mettre en oeuvre les 40 % des deux premiers piliers concernant l'environnement et le climat ? Quelles mesures prendrez-vous pour soutenir les marchés du bio qui baisseront inévitablement en valeur ?
M. Didier Guillaume, ministre. - Arrêtez de dire que le budget de la PAC va baisser de 15 % pour le premier pilier et 25 % pour le deuxième pilier, à moins que vous soyez le porte-parole de la Commission ! Ces chiffres ne sont plus d'actualité. Mais nous voulons les ramener à zéro.
Nous travaillons sur le plan stratégique avec le président Muselier. Ainsi, les ICHN sont indispensables pour certaines régions. Idem pour les aides couplées notamment pour les vaches allaitantes.
Nous allons travailler sur les zones intermédiaires, sur l'installation. Nous allons lancer une assurance généralisée et mutualisée entre toutes les filières grâce à des fonds du deuxième pilier pour faire face aux aléas climatiques.
M. Franck Montaugé. - Les agriculteurs fournissent des efforts considérables pour le bio. Ne les laissons pas sans aide !
M. Henri Cabanel . - Nous connaissons bien les grandes mutations de l'agriculture. Devenir agriculteur n'est plus une évidence. Cela ne fait plus rêver les jeunes. Il faut pourtant pourvoir le secteur en main-d'oeuvre. L'agroécologie, la polyactivité, le numérique doivent être promus.
Quel soutien public pour pourvoir les 70 000 offres d'emploi en souffrance ? Il faut nous interroger sur nos politiques à cet égard. Alors que la question du chômage est de plus en plus prégnante dans nos territoires ruraux, il faut faire appel à de la main-d'oeuvre étrangère. C'est désolant. Alors que le nombre d'agriculteurs a été divisé par dix depuis les années cinquante, l'agriculture a besoin de bras ! Nous comptons sur vous, monsieur le ministre, pour développer l'emploi.
Mme Sophie Primas. - Très bien !
M. Didier Guillaume, ministre. - Je ne sais pas si vous étiez d'accord mais je rappelle que le Gouvernement a réformé l'assurance chômage pour inciter les gens à aller au travail. C'est en train de porter ses fruits. Nous avons maintenu le dispositif des travailleurs occasionnels demandeurs d'emploi (TODE). Je sais que la rémunération de la main-d'oeuvre étrangère est délicate sans TODE.
Nous sommes très fiers de la renaissance de l'enseignement agricole, véritable pépite, obtenue grâce à la campagne « L'aventure du vivant », alors que l'enseignement agricole se dégradait fortement, avec une réduction de plusieurs milliers d'élèves inscrits chaque année. Nous sommes en hausse de 750 élèves par an.
L'élevage est le secteur qui a le plus de succès alors que c'est celui où l'on vit le moins bien. Cela témoigne d'une véritable confiance en son avenir.
Nous avons travaillé avec M. Blanquer et la direction générale de l'enseignement scolaire de son ministère pour le mettre en avant lors des forums d'orientation. Cela ne se faisait pas auparavant et porte ses fruits. L'agriculture est un beau métier et devait être un premier choix. Nous avons inversé la courbe ! C'est très encourageant.
M. Henri Cabanel. - Certes vous avez stabilisé les chiffres de l'enseignement agricole, mais les services à la personne le disputent à l'agriculture dans les établissements.
Mme Noëlle Rauscent . - La mise en oeuvre de la loi EGalim est décevante, notamment dans la filière bovine : l'inversion de la construction du prix se heurte au blocage de la distribution et des industriels, qui mettent un veto à la prise en compte des coûts de production, constamment sanctuarisés.
L'État ne s'est pas doté de véritables moyens de pression, faute de contrainte législative... Quels sont donc les leviers d'action du Gouvernement pour lever ces blocages ?
M. Didier Guillaume, ministre. - Les États généraux de l'alimentation ont marqué un nouveau départ. La loi EGalim fonctionne bien, sauf pour la rémunération des agriculteurs.
L'inversion de la construction du prix est une mesure sans précédent. En agriculture, la coopérative décidait du prix, et non pas le producteur. Les filières ont mis en place, certes tardivement, leurs propres indicateurs, ce qui marque déjà une avancée. Les prix commencent à augmenter.
Dans la filière bovine, la situation est particulière car un opérateur français pèse 75 % des volumes et l'interprofession est complexe. De plus, la viande maturée recule face au steak haché, avec pour conséquence qu'à Paris, 80 % des restaurants ne servent pas de viande française. Tout le monde doit jouer le jeu et j'ai récemment discuté avec des restaurateurs à ce sujet.
Mme Noëlle Rauscent. - L'élevage est une filière recherchée par les jeunes et reconnue. Il faudra que l'opérateur que vous évoquez ait un interlocuteur qui puisse lui tenir tête.
Mme Colette Mélot . - Si l'action du Gouvernement en faveur de l'agriculture est essentielle au niveau national, elle est indispensable au niveau européen.
Alors que les négociations sur le prochain cadre financier pluriannuel se poursuivent, l'agriculture est un point central où la France doit jouer son rôle de chef de file. En mars doit être publiée la stratégie « De la ferme à la fourchette » au niveau européen ; les défis, tels ceux de la croissance verte, de la transition agricole, etc., sont nombreux.
Les évolutions agricoles se trouvent à la croisée des chemins des politiques européennes. Il s'agit de notre futur commun, dont il faut soutenir la transition environnementale et énergétique.
Monsieur le ministre, comment le Gouvernement français peut-il articuler la nouvelle PAC et les exigences du pacte vert européen ?
M. Didier Guillaume, ministre. - Merci pour votre question très précise. La France veut un maintien du budget de la PAC en euros courants.
Le New Green Deal européen n'est pas inclus dans la PAC ; il s'y ajoute.
On pense souvent que le premier pilier est réservé aux plus riches, le deuxième aux aides territoriales. Ce n'est pas cela ! Il y a aussi l'agroécologie dans le premier pilier. Dans le second pilier, il n'y a pas que le verdissement.
L'aide au foncier, à l'assurance, c'est aussi du développement économique. N'opposons pas économie et écologie ; les deux doivent aller de pair.
Mme Colette Mélot. - La réforme de la PAC doit être articulée avec le pacte vert.
M. Claude Kern . - Le 13 février, le Président de la République a insisté sur la transition agricole et le renforcement de la qualité de nos modèles agricoles.
La portée de l'article 44 de la loi EGalim est édulcorée par son application telle qu'elle est envisagée. On a cherché, en effet, à satisfaire toutes les parties concernées, en laissant des produits ne respectant pas notre contrat social ni nos normes de production franchir nos frontières.
Comment envisagez-vous de garantir la qualité des produits et notre souveraineté ? Pouvez-vous assurer que les contraintes ne seront pas alourdies par de nouvelles normes franco-françaises ? Quid de l'application concrète de l'article 44 de la loi EGalim ?
M. Didier Guillaume, ministre. - « N'importons pas une agriculture que nous ne voulons pas », disent certains des syndicalistes. Je fais mienne, au nom du Gouvernement, cette phrase.
95 % de nos importations viennent d'Europe et c'est à ce niveau que nous devons travailler. Il faut aller plus loin dans la convergence normative ! Un poulet produit en Ukraine sera toujours moins cher qu'un poulet de France...
Nous pouvons être fiers des contrôles de la Direction générale de l'alimentation (DGAL) et de la Direction générale de la concurrence de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) qui garantissent la qualité de notre alimentation.
Enfin, concernant les mesures franco-françaises, le Président de la République s'est engagé à ce qu'aucune nouvelle norme ne soit imposée.
M. Claude Kern. - Nous serons vigilants. Je retiens votre formule : « N'importons pas l'agriculture que nous ne voulons pas ».
M. Jean Bizet . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La filière bovine française est en difficulté structurelle, en raison d'un décalage entre l'offre et la demande, de l'absence de stratégie pérenne à l'export, de l'attentisme de l'interprofession, du statu quo du modèle économique et de l'individualisme de nombreux éleveurs.
Une partie de la solution est clairement européenne, sur le modèle du Capper-Volstead Act de 1922 aux États-Unis. Mais il faut aussi modifier en profondeur le règlement du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles, responsable de deux verrous : la faible capacité d'agir des organisations de producteurs, l'impossibilité pour les autorités françaises d'accroître en solo les incitations financières en leur faveur.
À questions claires, réponses claires, monsieur le ministre...
M. Didier Guillaume, ministre. - Il y a un mois, lors de la remise des prix du Concours général agricole, le Président de la République a évoqué l'exception agricole et alimentaire française, sur le modèle de l'exception culturelle. On ne peut échanger des produits agricoles contre des fusées ou des voitures ! Les contrats commerciaux doivent en tenir compte. C'est la première fois que ce principe est énoncé ; il sera porté au niveau européen.
Sans les aides PAC, les aides couplées, les ICHN, une partie du bassin allaitant aurait disparu malgré sa qualité. Il y a un décalage, c'est vrai, entre l'offre et la demande. L'offre doit donc s'adapter.
La filière doit s'organiser, créer des organisations de producteurs et des appellations d'origine protégée (AOP). Elle commence à le faire ; je la soutiendrai pour cela.
M. Jean Bizet. - Dont acte. La commission des affaires européennes déposera une proposition de résolution européenne qui sera soumise à la commission des affaires économiques. (Mme Sophie Primas le confirme.)
Des marchés s'ouvrent, il faut en profiter. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Roland Courteau . - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) Les ventes de vin français sur le marché américain ont baissé en volume et en valeur, victimes d'une taxation à 25 %. Cela représente 250 millions de pertes, et si le marché disparaît, il en coûtera plus d'un milliard d'euros à la filière ! Une négociation pour stopper ces taxes s'impose. En attendant une négociation, il faut des mesures de compensation. Par ailleurs, un accord avec le Royaume Uni est nécessaire dans le cadre du Brexit, car les vins et spiritueux français représentent 1,2 milliard d'euros d'importations outre-Manche.
Il faut aussi ouvrir le marché chinois en protégeant nos indications géographiques.
Une ordonnance prise sur la base de l'article 11 de la loi EGalim banalise le statut des coopératives agricoles.
Qu'en pensez-vous ?
Enfin, un projet, cher à Franck Montaugé, consiste à cultiver des plantes aromatiques et médicinales à l'ombre de panneaux photovoltaïques. Allez-vous le soutenir ?
M. Didier Guillaume, ministre. - Les taxes américaines ne sont pas acceptables pour la France : les agriculteurs sont les victimes collatérales du conflit entre Boeing et Airbus. Nous demandons leur suppression. Je l'ai dit en tête-à-tête à Sonny Perdue, secrétaire américain à l'agriculture. Nous négocions, avec Jean-Yves Le Drian et Bruno Le Maire, pour faire stopper ces taxes. Dans cette attente, des aides européennes directes de compensation à hauteur de 300 millions d'euros sont demandées. Nous avons obtenu de Phil Hogan une aide à la communication sur les marchés des pays tiers.
Face à la Chine et au Royaume-Uni, la reconnaissance des indications géographiques protégées (IGP) est cruciale. Nous l'avons obtenue, lors du dernier déplacement du chef de l'État en Chine : la contrefaçon, c'est fini ! C'est une avancée majeure !
Quant au statut coopératif, la coopération agricole ayant sollicité le tribunal administratif, attendons de voir ce qui en sortira.
Enfin, nous sommes défavorables aux panneaux photovoltaïques en plein champ. Les panneaux doivent être installés ailleurs, sur le toit des bâtiments notamment.
M. Roland Courteau. - La viticulture française, ce sont des emplois et un excédent commercial. Soutenons-la !
Mme Denise Saint-Pé . - Mme Isabelle Hudon, ambassadrice du Canada en France, a été reçue par la commission des affaires économiques du Sénat à propos du CETA, et nous avons échangé sur les inquiétudes pour la filière bovine, en butte à l'hostilité du public, aux normes et aux attentes des consommateurs.
Les difficultés de ce secteur sont emblématiques de la fragilité de notre modèle. Qu'allez-vous faire pour soutenir cette filière ? La loi EGalim va dans le bon sens, mais elle ne suffit pas.
M. Didier Guillaume, ministre. - Parlons aussi de ce qui va bien, notamment la réorganisation de la filière avec des organisations professionnelles et des AOP. Le président Xi Jinping a mangé de la viande française avec un vin rouge du Sud de la France lors de la visite d'État d'Emmanuel Macron. Nous exportons plus de 1 000 tonnes de viande bovine en Chine, avec un objectif de doubler cette quantité, empêché en février par le coronavirus, mais en importons seulement 50 tonnes du Canada.
Aidons les éleveurs à vivre, exportons davantage le vif, repensons l'organisation du broutard. Le marché, et non le Gouvernement, fixe les prix. Les habitudes de consommation ont évolué, les campagnes de communication en tiennent compte. Mais il reste que nous ne produisons pas assez. En tout cas, la filière bovine se bat, se développe et nous la soutenons : parlons-en en positif !
Mme Denise Saint-Pé. - Je suis la troisième sénatrice à évoquer la filière bovine. La suppression des zones défavorisées simples a causé du tort.
M. Daniel Laurent . - (Mme Sophie Primas applaudit.) La mise en oeuvre définitive de l'arrêté relatif aux zones de non-traitement (ZNT) est confuse. Les syndicats demandent un moratoire jusqu'à la prochaine période culturale, dans l'attente d'une clarification. Les viticulteurs demandent un texte qui les sécurise juridiquement. Les jeunes agriculteurs sont de plus en plus sensibilisés aux questions environnementales.
Or la liste du matériel a été publiée avant la sortie des textes d'application. Ne sont visés que les appareils réduisant la dérive de 66 %. Il est nécessaire de la revoir rapidement. La profession agricole demande une compensation économique. Comment imposer à nos agriculteurs des mesures restrictives tout en laissant entrer en France des produits traités par des substances interdites. Les agriculteurs attendent votre réponse, qui doit être claire et précise, car il y a trop d'incertitudes. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains)
M. Didier Guillaume, ministre. - Si nous en sommes là, c'est à cause de la décision du Conseil d'État, je le rappelle ! Le Conseil a estimé que les riverains ne sont pas assez protégés. Nous avons mené une enquête publique en attendant les recommandations de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), que nous respecterons.
Instruction a été donnée aux préfets de coordonner les chartes des riverains. Nous incitons au développement de ces chartes. Dans cette attente, les ZNT seront mises en place, mais sans contrôle, car les agriculteurs sont en insécurité juridique.
Nous réfléchissons également à la question de l'indemnisation. Le Gouvernement fait tout pour que les agriculteurs ne soient pas les dindons de la farce.
M. Yannick Botrel . - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) Le 5 février, la commission des finances du Sénat a publié un rapport sur le financement public de l'agriculture biologique. Cette dernière représente une opportunité économique pour les agriculteurs et répond à des attentes sociétales fortes.
Le programme Ambition Bio 2022 fixe un objectif de 15 % de la surface agricole utile en bio en 2022, et de 20 % de bio dans la restauration collective. Cet objectif ne pourra pas être atteint avant 2026 ; en attendant, la France importe 30 % des produits bio qu'elle consomme.
Il est temps de lever les freins, de remettre à plat les aides au bio, trop dispersées, trop lentes à atteindre leur cible. Pour garantir la fiabilité des produits bio importés, il faut renforcer les contrôles de la DGCCRF.
Quels moyens le Gouvernement compte-t-il donner à l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO) et à l'Agence Bio ? L'Institut technique de l'agriculture biologique (ITAB) est en crise, or son rôle est stratégique. Quels moyens pour accompagner la recherche, quelles perspectives de développement de l'agriculture biologique ?
M. Didier Guillaume, ministre. - Je suis avec beaucoup d'attention les travaux du Sénat, mais le rapport de votre commission des finances m'a interloqué. Il est partisan, subjectif et comporte de nombreuses contre-vérités. Je pourrais énumérer les dizaines d'erreurs que j'y ai relevées, et dont j'espère qu'elles sont involontaires...
L'État finance 99 % des aides au bio, contrairement à ce que vous dites. L'aide à la conversion est toujours sur cinq ans, et non trois.
Il y a eu six mille conversions au bio l'an dernier et le mouvement s'accélère : autant au premier trimestre que sur l'an dernier ! Nous en sommes à 7,5 % de la surface agricole utile en bio. Les objectifs fixés pour 2025 peuvent être tenus.
M. Yannick Botrel. - C'est 2022.
M. Didier Guillaume, ministre. - Non, 2025 : il nous reste du temps, et la trajectoire est en place.
L'ITAB est en difficulté ? L'État lui consacre un million d'euros et travaille avec les chambres d'agriculture. Je suis au regret de vous dire que vous n'avez pas écrit la vérité dans votre rapport, et je suis prêt à venir m'en expliquer devant votre commission.
M. Michel Raison . - Les agriculteurs ont toujours su s'adapter aux transitions technologiques ou écologiques, et les pouvoirs publics ont contribué à financer l'innovation.
L'Association nationale pour le développement agricole (ANDA) a longtemps été financée par les céréaliers. Elle l'est désormais par la taxe Casdar (Compte d'affectation spéciale pour le développement agricole et rural), plafonnée par la loi de finances à 136 millions d'euros. L'an dernier, son produit a été de 140 millions d'euros, et Bercy, coutumier des hold-up, compte bien reverser plusieurs millions au budget général de l'État. Où en sont les négociations ? Quel sera l'arbitrage du Premier ministre ? Ces sommes financent des actions dans les instituts techniques et les chambres d'agriculture, elles doivent leur revenir !
M. Didier Guillaume, ministre. - Le Casdar a été sanctuarisé à 136 millions d'euros. Reste que le modèle a vécu et doit évoluer vers plus de flexibilité. Une réflexion est en cours. Le Casdar joue un rôle essentiel mais il finance des choux et des carottes.
Je vous rappelle par ailleurs que les taxes ne sont pas affectées. Elles vont au budget général de l'État. Nous discutons avec Bercy pour qu'à l'avenir, le produit des cotisations des paysans revienne bien aux agriculteurs. Il est urgent de rénover le Casdar.
Mme Laure Darcos . - La délégation aux droits des femmes travaille à un rapport sur les retraites des femmes, après un riche rapport en 2017 sur les retraites des agricultrices.
Aujourd'hui, seulement 31 % des agricultrices et agriculteurs totalisent 150 trimestres de cotisation. Avec le système universel à points et l'obligation d'avoir accompli une carrière complète, ne va-t-on pas réduire encore la retraite des agricultrices, qui embrassent souvent la carrière plus tardivement ?
La liquidation unique des retraites des régimes alignés a été une simplification pour les polypensionnés. Qu'adviendra-t-il avec le système universel à points ? Les agricultrices ne vont-elles pas en pâtir ?
M. Didier Guillaume, ministre. - Le régime universel à points est très favorable aux agriculteurs, malgré la hausse des cotisations. Les syndicats agricoles y sont d'ailleurs favorables, à une exception près.
M. Laurent Duplomb. - Ce n'est pas la panacée...
M. Didier Guillaume, ministre. - Certes, ils partent de très bas. Le problème concerne le « stock » des retraités actuels. Avec l'artisanat et le commerce, l'agriculture est le secteur où les retraites sont les plus faibles. Je me suis engagé à trouver une solution pour les conjointes collaboratrices, ces femmes qui ont travaillé toute leur vie à la ferme avec leur mari sans jamais cotiser et, souvent veuves, se retrouvent avec une pension de misère.
Un groupe de travail s'y penche à l'Assemblée nationale et le Premier ministre a demandé un rapport afin de proposer rapidement des mesures. Nous souhaitons vraiment trouver une solution.
Mme Laure Darcos. - Je vous remercie pour votre réponse qui a l'accent de la sincérité. Les agricultrices souhaitent un vrai statut social. Le Gouvernement nous avait hélas empêchés de voter la proposition de loi communiste revalorisant les pensions à 85 % du Smic, qui aurait été une première étape. Nous sommes à votre disposition pour trouver des solutions dans le cadre de la discussion sur la réforme des retraites.
M. Antoine Lefèvre . - Nos agriculteurs, qui travaillent 50 à 70 heures par semaine pour nous nourrir, sont victimes de l'agribashing, d'un harcèlement permanent de la part d'extrémistes, de campagnes d'intimidation, d'actions violentes inacceptables.
Ces six derniers mois, il y a eu soixante interventions malveillantes dans des fermes, sans compter les cambriolages. Dans la Marne, un agriculteur, cambriolé plus de quarante fois depuis 2015, a grièvement blessé le cambrioleur. Ce climat anxiogène explique le nombre élevé de suicides chez les agriculteurs - un par jour.
Les cellules Demeter visant à recenser et à lutter contre l'agribashing et les actes de délinquance auront-elles les moyens de mener à bien leur mission ?
Le 7 janvier, une réunion à la Chancellerie a évoqué la création d'une circonstance aggravante en cas d'intrusion eu égard à la violation des normes sanitaires et des règles de biosécurité.
Une proposition de loi sur le délit d'entrave a été votée au Sénat mais reste en attente à l'Assemblée nationale. Quand les choses vont-elles évoluer ?
M. Didier Guillaume, ministre. - Ce dénigrement permanent, ces intrusions régulières sont inacceptables. Le Gouvernement défend le monde agricole. J'ai créé il y a un an des cellules départementales dédiées qui réunissent tous les acteurs, le ministre de l'Intérieur a mis en place les cellules Demeter. Ce n'est pas un problème de moyens. Il faut que le dépôt de plainte soit systématique.
M. Jean Bizet. - Et la sanction !
M. Didier Guillaume, ministre. - Bien sûr ! Souvent, le délit d'intrusion n'est pas caractérisé, car il n'y a pas de portail... Il faut faire bouger cela pour que toute intrusion dans un élevage soit sanctionnée. (M. Laurent Duplomb approuve.) Nous ne pouvons pas tolérer ces actions. Le bien-être animal est important ; celui de l'éleveur est essentiel. (Mme Sophie Primas renchérit.)
M. Louis-Jean de Nicolaÿ . - La transition agroécologique, utile, ne doit pas peser économiquement sur les agriculteurs. Quid de l'impact économique des zones de non traitement ? Aucune évaluation n'a été fournie. Quelles compensations financières des éventuels surcoûts ? Les investissements en matériel seront-ils aidés ?
La mise en oeuvre de la réglementation au 1er janvier 2020 a envoyé un mauvais signal aux agriculteurs auxquels on demande sans cesse de s'adapter, malgré l'amélioration continue de leurs pratiques.
Il faut garantir, par ailleurs, la stabilité des espaces agricoles. Bientôt il faudra prendre en compte non seulement les zones de riverains mais aussi les routes ! Pouvez-vous garantir que l'implantation de zones de non traitement se fera sans consommation supplémentaire de foncier agricole ?
M. Didier Guillaume, ministre. - La transition agroécologique ne doit pas se faire contre le modèle économique des exploitations, dont la viabilité est prioritaire.
Nous travaillons à un plan d'investissement pour les agroéquipements, puisque le Conseil d'État nous impose de faire autrement. Avec les nouveaux pulvérisateurs, on diminue de 70 % à 80 % la consommation de produits phytosanitaires : c'est tout l'intérêt des agroéquipements.
M. Laurent Duplomb. - Très bien !
M. Didier Guillaume, ministre. - Hélas, les matériels sont coûteux. Nous travaillons aussi à l'indemnisation, certes partielle, des zones de non traitement.
Mme Cécile Cukierman . - Vous dites vouloir améliorer le quotidien des agriculteurs, mais les prix à la production sont encore en baisse en décembre, de 0,4 %, alors que les prix à la consommation augmentent de 2,1 % !
La commission des comptes de l'agriculture de la Nation a indiqué une baisse de 11 % du résultat net des exploitations.
La loi EGalim n'a pas rééquilibré les relations commerciales et laisse un goût amer aux paysans. Les propositions de loi se suivent pour tenter de la corriger. Quand le Gouvernement va-t-il enfin agir pour redonner de la dignité à une profession précaire, à l'heure où le Salon de l'agriculture met à l'honneur ces métiers qui remplissent une mission d'intérêt public ?
M. Didier Guillaume, ministre. - Soyons fiers de notre agriculture et de nos agriculteurs ! Arrêtons de toujours critiquer. Le Salon de l'agriculture sera une formidable vitrine pour présenter leurs productions, montrer ce qu'est une vraie alimentation, un vrai élevage.
La loi EGalim n'est pas la réponse mais l'une des réponses. L'inversion de la construction du prix fait bouger les choses. Cela a été le cas dans la filière lait notamment, mais aussi dans la viande. Les choses avancent, même si, je l'ai dit, elles n'avancent pas assez vite. Le Salon de l'agriculture est toujours un accélérateur de négociation.
Faut-il améliorer EGalim ? C'est possible. La prolongation de l'expérimentation sur les seuils de revente à perte a été inscrite dans le projet de loi ASAP pour éviter un arrêt brutal. C'est un filet de sécurité.
M. Laurent Duplomb. - Avec un bilan d'étape ?
M. Didier Guillaume, ministre. - Vous connaissez ma position, je n'y reviens pas.
Mme Cécile Cukierman. - On peut être fier de notre agriculture et souhaiter que les agriculteurs vivent dignement de leur métier. Il faut agir car il est de plus en plus difficile pour ces familles de vivre correctement.
M. Alain Houpert, pour le groupe Les Républicains . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Dans deux jours, le Salon international de l'Agriculture ouvrira ses portes et les Français seront au rendez-vous. Mais cet engouement ne doit pas masquer une réalité sur laquelle le groupe Les Républicains a souhaité tirer la sonnette d'alarme.
Notre agriculture est exportatrice. Elle représente 17 % de la production européenne. Nous avons une tradition d'excellence, notre savoir-faire est reconnu dans le monde entier. Un quart de nos exploitations ont un label de qualité et d'origine.
Notre agriculture est un acteur de la transition énergétique ; elle répond aux enjeux d'une économie toujours plus circulaire et durable. The Economist la classe comme le modèle agricole et alimentaire le plus durable du monde.
Pourtant, les agriculteurs souffrent. Leur revenu baisse, on leur demande toujours plus alors qu'ils subissent la concurrence déloyale des produits importés. Enfin, la renationalisation de la PAC inquiète.
Or malgré les sacrifices consentis par la profession, la méfiance de la population est de plus en plus visible. Les données scientifiques reculent devant l'hystérie collective.
Le Gouvernement doit se montrer plus réactif face à l'agribashing. La décision récente sur les zones de non traitement ne va pas dans ce sens...
Le Sénat a toujours défendu l'agriculture dans ses travaux et formulé des propositions concrètes pour redresser la barre. Malheureusement, le Gouvernement n'y est guère réceptif. (M. Jean Bizet le confirme.)
Une proposition de loi a été adoptée à l'unanimité le 15 janvier dernier pour contrer les effets pervers d'EGalim. Pourtant, à l'article 44 du projet de loi ASAP, l'expérimentation de l'encadrement des promotions est prolongée, sans aucune évaluation. Ce mépris des travaux du Parlement est décidément la marque de fabrique de ce Gouvernement. (M. Laurent Duplomb applaudit.)
Avec Yannick Botrel, nous avons publié un rapport sur le bio dénonçant la diminution des aides au bio, alors que la demande augmente et qu'il nous faut importer 30 % des produits consommés.
Le rapport de Laurent Duplomb préconise de conserver la diversité de notre agriculture capable de conquérir des marchés en Afrique et en Asie, et de lutter contre la concurrence déloyale.
Monsieur le ministre, joignez les actes à la parole et saisissez-vous des propositions concrètes du Sénat. Soyez aux côtés des agriculteurs, et pas seulement devant les caméras au Salon de l'agriculture. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC.)
La séance est suspendue quelques instants.
Politique spatiale de l'Union européenne
M. le président. - L'ordre du jour appelle un débat sur la politique spatiale de l'Union européenne, à la demande de la commission des affaires européennes.
M. Jean-François Rapin, rapporteur de la commission des affaires européennes . - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC) De nombreux travaux ont été menés par le Sénat sur la politique spatiale : rapport d'information de la commission des affaires européennes, rapport conjoint de la commission des affaires économiques et de la commission des affaires étrangères, invitant à restaurer l'ambition européenne en matière de lanceurs, notes de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) sur les satellites et les lanceurs. L'année 2019 a représenté un cap pour l'Europe spatiale. Ariane a dépassé les 250 lancements quarante ans après sa mise en service. La conférence interministérielle de l'Agence spatiale européenne (ESA), à Séville, a été un succès.
Portons un regard prospectif sur les nombreux défis spatiaux à venir, pour lesquels l'échelon pertinent est européen.
Les outils et données fournis par l'activité spatiale sont indispensables pour affronter des enjeux majeurs ; des paramètres essentiels pour mesurer le changement climatique ou concernant les océans ne peuvent s'observer que de l'espace.
Le spatial améliore ainsi la prise de décision politique, ou sa mise en oeuvre : par exemple, l'internet par satellite contribue à réduire la fracture numérique.
Une politique spatiale ambitieuse est indispensable pour assurer l'autonomie stratégique et la sécurité de l'Europe, et à terme son indépendance et sa souveraineté même, par exemple la continuité de ses moyens de communication.
À cet égard, il faut saluer le programme GovSatCom de la Commission européenne.
L'Union européenne doit demeurer un acteur de premier plan sur toute la chaîne de valeur. Saluons le règlement unique pour l'ensemble des activités spatiales de l'Union ; saluons aussi la création d'une direction générale Defis, placée sous la houlette de Thierry Breton.
Nous devons être vigilants sur la gouvernance. Rappelons-nous les déboires de Galileo, l'été dernier. Il faudra préciser le rôle de la future Agence de l'Union européenne pour le programme spatial (Euspa).
Nous devons aussi être vigilants sur le financement. Les États-Unis consacrent 40 milliards d'euros au secteur spatial chaque année, la Chine, qui ne cache plus ses ambitions, plus de 5 milliards soit deux fois le budget du Centre national d'études spatiales (CNES).
En novembre dernier, les pays membres de l'ESA sont allés au-delà des espérances de l'Agence en lui accordant plus de 14 milliards d'euros sur trois ans.
La proposition budgétaire initiale de la Commission européenne était de 16 milliards d'euros sur sept ans, mais ce ne serait désormais plus que 13,2 milliards d'euros. Deux résolutions européennes du Sénat ont réaffirmé notre attachement au financement initialement envisagé. Savez-vous ce qui va sortir des négociations du Conseil sur le prochain cadre pluriannuel, actuellement en cours à Bruxelles ? J'en doute, mais je pose la question...
Financer le secteur spatial via l'ESA, qui applique le principe du retour géographique, plutôt que via les programmes de l'Union serait obéir à une logique court-termiste. Tout ce qui ne sera pas pris en charge par l'Union européenne devra l'être au niveau national, ce qui est moins pertinent et moins efficace.
Concernant le budget de la recherche, la secrétaire d'État aux Affaires européennes a indiqué à notre commission que l'enveloppe dédiée au spatial au sein du programme Horizon Europe serait de 2,5 milliards d'euros, quand nous en réclamions 4. Or nous devons nous donner les moyens d'accompagner les start-up innovantes mais aussi de soutenir les grands programmes déjà lancés.
Enfin, il nous faut mener la bataille de l'opinion publique. Thomas Pesquet demeure le meilleur ambassadeur de notre ambition, mais l'espace, c'est aussi des applications plus « terre à terre », mais si utiles, pour notre vie quotidienne, notre sécurité, notre souveraineté.
Regardons plus haut : c'est peut-être là que se construira le futur de notre terre. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE et Les Indépendants)
Mme Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation . - Merci de ce débat ; les enjeux spatiaux méritent d'être abordés plus souvent en séance publique, car ils sont consubstantiels à notre souveraineté et à notre prospérité.
Le traité de Lisbonne et l'article 189 du traité sur le fonctionnement de l'Union obligent celle-ci à mener une politique spatiale pour favoriser le progrès scientifique et technologique et renforcer sa compétitivité industrielle.
Historiquement, c'est le fruit d'une coopération renforcée, la France jouant un rôle leader.
La France et l'Union européenne, grâce à leurs choix structurants, appartiennent aux cercles des grandes puissances spatiales. Le centre de Kourou est le véritable port spatial de l'Union européenne. Notre originalité européenne est de ne pas nous centrer d'abord sur la défense, au contraire des autres puissances spatiales. Cela doit être questionné à la lumière de la nouvelle donne qui s'impose dans la compétition spatiale.
Le volume d'investissement annuel cumulé de l'Europe est tout à fait comparable à celui de la Chine. Galileo et Copernicus sont des succès. Ce dernier assure la collecte de données depuis l'espace, qui sera un enjeu majeur de développement économique et de prévention des risques. Galileo profite à plus d'un milliard d'utilisateurs dans le monde.
Si l'Europe dispose d'atouts indéniables et d'un riche bilan, la concurrence s'accroît, notamment en raison de l'essor de la Chine et de l'Inde. La Chine a le lanceur Longue Marche ; l'Inde le lanceur SLV et malgré l'échec de la mission Chandrayaan-2, elle n'a pas renoncé à envoyer des hommes sur la lune.
Des acteurs industriels puissants ont émergé tels que SpaceX, qui pourrait bientôt disposer d'une constellation de 180 satellites et souhaite déployer 40 000 appareils autour de la Terre. Les GAFA aussi investissent l'espace : Blue Origin est dirigée par Jeff Bezos, patron d'Amazon.
Dans ce contexte, l'Europe doit affirmer sa position de leader. L'engagement de Séville porte sur 14,4 milliards d'euros, plus que ce qu'attendait l'ESA, une augmentation de 4 milliards d'euros par rapport à la précédente conférence ministérielle, témoignant de la confiance collective dans le spatial européen.
Cela permettra d'achever le programme Ariane 6, de rénover le centre spatial de Kourou, de poursuivre les missions LISA sur les ondes gravitationnelles ou Athena sur les phénomènes à très haute énergie.
Citons aussi Arctic Weather, Mars Sample Return, Lunar Gateway ou le prochain retour de Thomas Pesquet sur la station spatiale internationale. La contribution de la France, annoncée à Séville, a été de 2,7 milliards d'euros, qui s'ajoutent à la contribution annuelle à l'ESA. La France aura apuré sa dette à l'égard de l'agence à la fin de l'année 2020.
L'espace, c'est aussi un récit, un désir d'exploration et d'aventure, que je m'engage à diffuser à une époque de défiance croissante contre le progrès scientifique et technologique. (Applaudissements sur le banc de la commission et sur quelques travées des groupes UC, Les Républicains et Les Indépendants)
M. Jean-Claude Requier . - C'est un sujet passionnant et essentiel, un puissant levier d'adhésion populaire.
Le spatial est de plus en plus un enjeu de souveraineté européenne. Le budget du Centre national d'études spatiales (CNES) se situe dans les premiers rangs mondiaux, et nous sommes les seuls en Europe à avoir une capacité de lancement autonome avec la base de Kourou.
L'Union européenne n'est pas en reste quant aux moyens de l'Agence spatiale européenne - l'ESA est une des grandes agences spatiales mondiales. Les Européens ont également réalisé des missions d'exploration spatiale remarquables, je pense à la mission Rosetta.
Comment l'Union européenne compte-t-elle associer les territoires à cette politique ? La métropole de Bordeaux préside cette année la communauté des villes Ariane.
Mme Frédérique Vidal, ministre. - L'ESA et la Commission européenne veillent à l'application des engagements financiers des États. Le Gouvernement français veut un retour géographique global, et non mission par mission. C'est une demande récurrente d'ArianeGroup, qui a de nombreux sous-traitants en France. La communauté des villes Ariane, qui regroupe seize villes, est au coeur des préoccupations du CNES. La préférence européenne pour utiliser les lanceurs européens pour les satellites financés par les États membres est désormais possible, depuis le vote favorable du Bundestag - le seul qui manquait encore.
M. Jean-Claude Requier. - L'Europe doit nous faire rêver, nous mettre la tête dans les étoiles. La politique spatiale est un levier pour cela.
M. Claude Kern . - Les rapports récents du Sénat montrent que l'arrivée d'acteurs comme SpaceX, qui vont casser les prix de l'accès à l'espace, augure d'une crise profonde du modèle spatial européen. Les succès de Galileo et Copernicus pourraient être son chant du cygne.
Notre modèle doit se réinventer tant au plan économique qu'institutionnel. Le cadre actuel est obsolète. Le traité de Lisbonne en 2009 a fait de l'espace une compétence partagée entre l'Union européenne et les États membres, avec l'ESA créée en 1975 comme opérateur central.
Mais le fonctionnement de l'agence repose sur l'unanimité. De plus, avec la règle du retour géographique, les retombées des investissements sont strictement nationales, projet par projet : cela est contraire aux fondements de l'Union européenne. N'est-il pas temps que l'Union européenne absorbe l'ESA ?
Mme Frédérique Vidal, ministre. - Oui, les temps ont changé. La prédominance de l'Union européenne dans les lanceurs est mise au défi par de nouveaux acteurs. C'est pourquoi nous avons ArianeWorks qui réunit les meilleurs ingénieurs d'ArianeGroup et du CNES, afin de penser ensemble les innovations, les briques technologiques ou les moteurs du futur, pour les lanceurs à venir.
Historiquement, le retour géographique de l'ESA a permis, ne l'oublions pas, de développer un récit commun autour de l'espace. Nous essayons cependant aujourd'hui de le rendre plus en adéquation avec la compétitivité.
À Séville, la Commission européenne a établi ses priorités ; l'ESA les met en oeuvre. Il est aussi à espérer que celle-ci demeure un vecteur commun. Le Royaume-Uni contribue à son financement à hauteur de 1,7 milliard d'euros ; il faut maintenir cet effort.
M. Pierre Laurent . - La conquête spatiale était protégée par le traité de 1967 et la convention de 1972. Cela ne suffit plus. Toutes les grandes puissances se dotent d'outils de géolocalisation sophistiqués : GPS américain, Galileo européen, Beidou chinois, Glonass russe...
C'est le prélude à une militarisation de l'espace, lancée par le Space Army des États-Unis puis notre corps d'armée spatiale. Allons-nous accepter cette dérive ?
Les États-Unis ont violé unilatéralement le traité de 1967 avec le Space Act de 2015. Nous prenons du retard, avec l'assèchement d'ArianeGroup et le manque de soutien budgétaire à l'Onera.
La Chine propose un traité de désescalade militaire dans l'espace ; pourquoi ne pas explorer cette voie ?
Mme Frédérique Vidal, ministre. - Ne soyons pas naïfs. Si nous avons besoin de nous défendre, c'est que certains n'auraient aucun scrupule à nous attaquer ; c'est pourquoi la France s'est dotée d'un commandement militaire de l'espace. Il ne s'agit pas d'agressivité, le but est de nous protéger.
De tout temps, l'observation de la terre a eu des usages militaires. En revanche, il est essentiel que les ressources extraterrestres restent non mercantiles.
Deuxième question cruciale, celle des débris spatiaux qui peuvent être source de développement économique. Nous travaillons, sur ces deux sujets, à convaincre nos partenaires européens.
M. Pierre Laurent. - Aucune naïveté dans ma question. Je pense qu'il ne faut pas laisser la militarisation aspirer nos ressources, au détriment des usages civils et coopératifs.
Mme Colette Mélot . - Le 7 janvier, Thierry Breton a qualifié le spatial de succès européen. Ce secteur est pourtant de plus en plus associé à la pollution. Depuis plusieurs dizaines d'années, les fusées et satellites restent en orbite, les déchets s'accumulent.
L'Union européenne s'est dotée d'un paquet pour circulariser son économie ; l'espace devrait faire l'objet des mêmes préoccupations.
Il y aurait plus de 750 000 objets de 1 à 10 centimètres en orbite et 130 millions de débris de quelques millimètres : c'est une question de sécurité, comme le disait Thomas Pesquet, mais aussi de navigation de nos satellites et de nos fusées. La France a été la première à aborder le sujet, avec une loi sur les débris, et à se doter d'outils de récupération. Il y a aussi des projets européens comme RemoveDebris et la récupération du satellite mort Envisat en 2024. Que fait la France au niveau européen pour promouvoir la lutte contre la pollution spatiale ? Le prochain programme spatial européen intégrera-t-il cette dimension ?
Mme Frédérique Vidal, ministre. - La loi française rend obligatoire la désorbitation des satellites. Nous travaillons à la réutilisation, à travers le programme Prometheus par exemple ; nous nous intéressons aussi à la désorbitation des satellites en fin de vie. Le CNES et les agences spatiales nationales ont intégré la pollution par les débris spatiaux dans leur réflexion. Nos grands groupes développent des solutions de récupération des plus gros débris. Avec le déploiement des microsatellites, la question est appelée à prendre de l'ampleur.
M. Antoine Karam . - C'est le régional de l'étape qui vous interroge, madame la ministre... (Sourires) Le 21 mars 1964, le général de Gaulle annonçait, à Cayenne, la « grande oeuvre française en Guyane ». Il y a deux jours, nous avons encore lancé deux satellites asiatiques, un coréen et un japonais, à présent en orbite.
Il est indispensable de moderniser le Centre spatial guyanais (CSG), à Kourou : remise à niveau des radars, stations de réception, transition d'Ariane 6 vers le réutilisable pour le rendre durablement compétitif par rapport à SpaceX. Il faut aussi mettre en oeuvre la préférence européenne sur les lanceurs de satellites. L'évolution de l'Allemagne sur la question est à saluer. Pouvons-nous compter sur cette perspective ?
Mme Frédérique Vidal, ministre. - Le centre de Kourou, port spatial de l'Europe, dispose d'un budget de 200 millions d'euros ; il compte 1 700 salariés ; son activité représente 15 % du PIB guyanais. À Séville, pour assurer la souveraineté européenne d'accès à l'espace, 100 millions d'euros d'investissements ont été votés pour la modernisation du CSG et la poursuite de la construction du pas de tir d'Ariane 6. Il faut étudier comment le centre peut être utilisé pour le lancement de microsatellites - même si d'autres pays peuvent se positionner sur ce segment. La France et l'Europe veillent à conserver un accès autonome à l'espace, c'est un enjeu de souveraineté.
Le CNES a également engagé un effort de formation auprès des jeunes en Guyane même, afin qu'ils puissent participer aux travaux sur le centre spatial.
Je le répète, la préférence européenne sera bientôt une réalité sur Ariane 6 et Vega-C, après le vote allemand.
M. Franck Montaugé . - Nous sommes entrés dans l'ère des méga-constellations de satellites. Nous pourrions avoir 50 000 satellites de plus en orbite en 2030, alors que nous n'en n'avons lancé que 8 000 jusqu'à présent. La colonisation de l'espace est engagée ! Cela pose la question de la pertinence des usages et de la préservation de l'espace contre la pollution ; cela suggère un parallèle entre la dégradation de l'écoumène terrestre et l'encombrement de l'espace.
Pour les orbites basses, à moins de 600 kilomètres, les engins se consument à l'entrée dans l'atmosphère, mais à 1 200 kilomètres sans atmosphère, il n'y a pas de redescente des satellites.
Que faire pour éviter la pollution de l'espace ?
Mme Frédérique Vidal, ministre. - La question des méga-constellations doit être abordée avec beaucoup de sérieux. Agences spatiales nationales et européenne, partenaires européens, tous souhaitent éviter de polluer l'espace. C'est à cela que sont destinés les systèmes de désorbitation, régulièrement objets de discussions entre nous. Aucun traité international ne les mentionne, mais l'enjeu est considérable et nous pouvons nous adresser à l'opinion publique : car l'espace ne doit pas être une poubelle.
Les méga-constellations sont utiles : elles assurent un maillage incomparable avec l'existant. Ainsi la pollution ou la montée des océans sont mesurées de manière beaucoup plus précise. C'est aussi un moyen de réduire l'usage des pesticides dans l'agriculture.
M. Franck Montaugé. - Les opérateurs privés n'ont pas l'obligation de nettoyer les orbites. La seule réglementation de dépollution, ISO-24113, n'est pas opposable juridiquement. Pourquoi ne pas lancer une industrie franco-européenne de la désorbitation ?
M. Ronan Le Gleut . - La problématique spatiale a trois piliers : l'Union européenne ; l'ESA, à laquelle sont associés des États non membres, Norvège, Suisse ou le Canada ; et au niveau national, le CNES et la DGA, ainsi que le nouveau commandement de l'espace. Cela manque de coordination. Ainsi, le Luxembourg s'associe à l'exploitation minière de la lune lancée par les États-Unis. La stratégie européenne apparaît ici inexistante. Pourtant, la stratégie d'accès à l'espace de l'Union européenne est financée en grande partie par la France.
Allez-vous plaider pour une plus grande cohérence ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; MM. Jérôme Bignon et Michel Canevet applaudissent également, ainsi que M. le président de la commission.)
Mme Frédérique Vidal, ministre. - L'Union européenne est prescripteur ; elle n'a pas les compétences scientifiques et techniques des agences nationales et européenne, qui mettent en oeuvre les orientations politiques soumises par le Conseil de l'espace au Parlement européen.
La France contribue, outre sa contribution annuelle, pour 2,7 milliards aux 14,4 milliards d'euros du budget de l'ESA sur trois ans.
Nous plaidons pour que le lanceur Ariane soit suffisamment financé, le port spatial guyanais rénové. La question des lanceurs est prioritaire, y compris pour nos industries. La France, l'Allemagne et l'Italie sont les trois principaux contributeurs, parce que le retour pour leurs économies est essentiel.
M. Ronan Le Gleut. - Mi-2021, le directeur général allemand de l'ESA partira. C'est l'occasion pour qu'un candidat français se déclare...
M. Michel Canevet . - Le groupe UC considère que la politique spatiale française et européenne est dans une situation critique. Deux rapports du Sénat et un autre de l'Institut Montaigne ont établi plusieurs risques. Depuis 1957, on a déposé 8 000 objets dans l'espace, mais SpaceX en annonce 42 000 prochainement. L'ère du low cost spatial s'annonce.
Nous avons des outils efficaces, comme Ariane, mais nos prix ne seront jamais au niveau, parce que les nouveaux entrants exploitent une technologie du réutilisable. Sommes-nous prêts à une politique disruptive ?
Mme Frédérique Vidal, ministre. - Nous avons effectivement changé d'échelle. Faisons toutefois attention aux annonces. SpaceX se pose en quasi concurrent des satellitaires. Dès lors, ces derniers lui donneront-ils leurs satellites à lancer ? Le modèle économique de SpaceX est en train de changer. Le prix des lancements institutionnels qui lui sont confiés est si élevé que le groupe peut se permettre une guerre commerciale. Nous agissons différemment, en soutenant globalement les agences et la politique spatiale européenne.
Nous avons néanmoins besoin d'innovations de rupture. C'est ce qui a motivé la création d'ArianeWorks : elle réunit toutes les compétences scientifiques et techniques pour penser ces innovations de rupture, car l'innovation incrémentale ne sera pas la solution pour préserver notre souveraineté.
M. Michel Canevet. - Derrière ces initiatives, il y a les Gafam, dont les moyens nous inquiètent.
M. Gérard Longuet . - L'Opecst, le 7 novembre, a entendu le patron de l'ESA. Je remercie la commission des affaires européennes pour ce débat. À Séville, des décisions plutôt favorables ont été prises mais aucune question majeure n'a été tranchée. SpaceX se propose de prendre une position dominante dans le lancement de satellites grâce à un dispositif réutilisable - mais aussi grâce à des commandes institutionnelles de poids. Notre système est de qualité mais plus coûteux, notamment parce qu'il n'est pas réutilisable. La règle du retour géographique conduit également à augmenter la complexité et les prix... Quelle est la logique du rapport de force entre lanceurs de satellites et utilisateurs de l'espace ?
Mme Frédérique Vidal, ministre. - La compétitivité et la comparaison entre SpaceX, Ariane 6 et Vega-C sont essentielles. Mais ce n'est pas la même chose. La majorité des lancements de SpaceX se fait en orbite basse, alors qu'Ariane 6 et Vega-C ont une capacité et une portée bien plus importantes. L'opérateur facture les vols institutionnels bien plus cher que les vols commerciaux. Il faut relativiser son caractère privé.
Nos entreprises ont beaucoup travaillé sur la compétitivité : Ariane 6 sera 40 % moins cher qu'Ariane 5.
Quant au retour géographique, il avait initialement un sens comme je l'ai rappelé, mais il ne doit pas se faire ligne par ligne.
M. Gérard Longuet. - Le Gouvernement devrait saisir l'OMC pour dénoyauter la concurrence déloyale de SpaceX. (Sourires)
Mme Sophie Primas . - M. Bockel et moi avons commis un rapport sur les lancements spéciaux. Ariane est une filière d'excellence, dont nous sommes fiers. Mais elle subit une pression des concurrents américains susceptibles de remettre en cause notre souveraineté d'accès à l'espace, d'autant que tous les gouvernements européens ne sont pas pareillement convaincus de la nécessité d'un accès autonome.
SpaceX a développé une technologie de réutilisation du premier étage. Dans ce contexte, l'Europe doit éviter une concurrence fratricide. Il ne faudrait pas que le nouveau programme d'amélioration de Vega, Vega E, vienne concurrencer Ariane 6. Avez-vous obtenu des assurances contre une telle concurrence fratricide ?
Mme Frédérique Vidal, ministre. - L'accès autonome à l'espace doit rester au coeur des préoccupations des Européens. Il faut savoir convaincre les populations pour conserver l'adhésion à l'aventure spatiale.
M. Gérard Longuet. - Très bien !
Mme Frédérique Vidal, ministre. - Nous avons défendu cette position à Séville et avons été suivis. L'ESA va financer des missions exploratoires susceptibles de faire rêver.
Nous discutons avec l'Italie - et les industriels discutent entre eux - s'agissant de Vega E. Ariane et Vega partagent cependant les mêmes boosters, donc un outil de production commun. C'est pourquoi les négociations avancent. Le Vega E n'a pas vocation à concurrencer Ariane 6.
M. Jean-Michel Houllegatte . - L'espace semble de plus en plus encombré. Quelque 4 000 satellites sont en orbite, dont seulement 1 500 opérationnels. Quelque 34 000 objets mesurant plus de 10 cm circulent actuellement.
Nous changeons d'échelle avec des projets comme celui du lancement de 42 000 satellites par SpaceX, auxquels s'ajoutent par exemple Iridium, Globalstar ou Oneweb.
En septembre, le satellite européen d'observation de la terre Aeolus a dû dévier sa trajectoire pour éviter une collision avec un satellite de Starlink 44. À terme, dans l'espace... il n'y aura plus d'espace ! Comment éviter les collisions ? L'Union européenne peut-elle réglementer ce champ ?
Mme Frédérique Vidal, ministre. - Oui nous changeons d'échelle. L'Union européenne a mis en place le programme de veille spatiale SSA pour éviter les collisions. Son coût est de 600 millions d'euros. Le risque est cependant faible.
La stratégie spatiale de défense prévoit également un suivi financier de l'ensemble des satellites.
M. Jean-Michel Houllegatte. - L'Union européenne doit-elle s'occuper de ses satellites ou faut-il une gouvernance mondiale de l'espace ?
M. Bruno Sido . - La France a su mettre en place une politique spatiale performante et ambitieuse. Grâce à elle, l'Europe dispose d'une base de lancement à Kourou.
Le système Ariane 5, dont on a salué le 107e lancement le 16 janvier, est fiable et a favorisé un nombre remarquable de lancements sans problème. Il est néanmoins en fin de carrière. Il a des défauts, notamment son coût élevé alors que la concurrence est vive.
Le système Ariane 6 sera lancé en juillet 2020. Ses lancements seront-ils économiquement compétitifs par rapport à SpaceX ?
Mme Frédérique Vidal, ministre. - Je rends hommage à Hubert Curien, père du programme Ariane.
Nous souhaitons le succès d'Ariane 6 qui existera en plusieurs versions. Il pourra seul emmener des satellites sur deux orbites différentes. Son coût sera 40 % inférieur à Ariane 5.
Nous devons accompagner financièrement la transition entre les deux programmes. La compétitivité reste cependant au coeur des préoccupations. C'est l'objectif d'ArianeWorks, avec des réflexions et recherches visant à améliorer continuellement dans l'avenir les capacités d'Ariane 6. Il s'agit de proposer des briques technologiques nouvelles sur la même structure. Il faut en effet toujours travailler avec dix ou quinze ans d'avance.
M. Bruno Sido. - SpaceX est largement soutenu par la NASA. Il maîtrise la récupération du premier étage. Son organisation industrielle est incomparablement supérieure à la nôtre, ce qui inquiète pour l'avenir d'Ariane 6. Que faire ?
M. Stéphane Piednoir . - L'émergence de nouveaux acteurs a transformé, dans la dernière décennie, l'économie du secteur spatial et érodé la position des Européens. En 2018, leur chiffre d'affaires a ainsi diminué de 3 %.
Les tirs réalisés par la Chine, les États-Unis et la Russie sont beaucoup plus nombreux que ceux de l'Europe, notamment du fait de la faiblesse de la commande publique reçue par Arianespace. Pour SpaceX, la proportion est de 75 % de contrats publics, largement surfacturés, et de 25 % de contrats privés. C'est l'inverse pour Arianespace.
Il faut davantage de préférence européenne pour les lancements ; car nos concurrents n'ont aucun état d'âme. Nous manquons d'un outil contraignant pour les donneurs d'ordre publics. Pouvez-vous nous apporter des précisions à ce sujet ?
Mme Frédérique Vidal, ministre. - Les vols commerciaux représentent 64 % des tirs européens - contre 44 % pour les États-Unis, 6 % pour la Russie et 5 % pour la Chine.
La Chine lance plus de satellites institutionnels... mais beaucoup ne sont pas opérationnels. Les satellitiers, en outre, ne veulent pas avoir un choix unique de lanceurs. Nous avons confiance en Ariane 6 et en son évolution permanente grâce à des évolutions technologiques. Pour le passage d'Ariane 5 à Ariane 6, il a fallu tout repenser. Cela ne sera pas le cas cette fois. Je pense par exemple à des étages réutilisables.
La préférence européenne a été au coeur des discussions au cours des deux dernières années. Plus rien ne l'empêche désormais après le vote au Bundestag.
Mme Laure Darcos . - Rapporteure pour avis des crédits de la recherche, j'observe avec satisfaction le projet d'inscrire 16 milliards d'euros pour la période 2021-2027 comme objectif pour le budget spatial européen, alors que plus de 14 milliards ont été actés à Séville lors du conseil ministériel de l'ESA. Toutefois, les défis sont immenses, Japon, Chine et Inde se renforcent, de nouveaux acteurs, comme les Émirats arabes unis, mais aussi SpaceX d'Elon Musk ou Blue Origin voulu par Jeff Bezos.
Il faut maintenant répondre aux enjeux de demain : cyberespace, émergence du spatial militaire, changement climatique. Les budgets dégagés assureront-ils le maintien de la compétitivité industrielle européenne ? Permettront-ils les travaux de recherche nécessaires ? Comment la France travaille-t-elle à une meilleure coordination entre l'ESA et l'Union européenne ?
Mme Frédérique Vidal, ministre. - La répartition des budgets fait toujours débat. Quelque 14,4 milliards d'euros d'investissements ont été décidés à Séville pour les programmes spatiaux, dont 2,54 milliards pour l'environnement, 1,6 milliard pour la cybersécurité, 2,7 milliards pour l'amélioration de la connaissance.
Les 14,4 milliards ont été répartis de la façon la plus intelligente possible.
Le budget de l'Union européenne est extrêmement important. Il doit faire une place au spatial, l'Union européenne étant un grand donneur d'ordres, et un gros client de l'ESA.
Mme Laure Darcos. - Merci. Le Brexit aura forcément des répercussions sur l'ESA. La Cour des comptes recommande un investissement technologique accru.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes . - Je remercie nos collègues pour la qualité et la pertinence de leurs interventions. Les enjeux spatiaux sont techniques, économiques, géopolitiques et sociétaux. L'échelle européenne est à leur mesure.
C'est dans ses applications que se trouve la valeur ajoutée de l'écosystème spatial, avec plusieurs dizaines de milliards d'euros chaque année.
L'Union européenne doit maximiser les retombées économiques et sociales de ses activités spatiales, notamment en matière d'observation de la Terre et de météorologie. Elle doit aussi protéger les données issues des programmes européens, et financer par le contribuable européen, qui sont pillées par les Gafam, lesquels sont, pour le moment, les seuls en mesure d'en tirer tous les bénéfices grâce à leurs capacités de stockage et de calcul.
Nous portons beaucoup d'espoir en l'action de Thierry Breton. Nous suivrons attentivement la mise en oeuvre du plan lié à Copernicus.
L'Union européenne doit mettre en place une préférence européenne de droit et de fait : il n'est pas acceptable que le budget européen consacré au lancement soit dix fois inférieur au budget américain.
Il faudra aussi songer à une préférence européenne pour les satellites.
L'ambition spatiale est une nécessité. Ne la laissons pas gâcher par des visions court-termistes.
Espérons pouvoir dresser en 2021 un bilan positif d'Ariane 6. Madame la ministre, un astronaute ne sommeille pas en chaque sénateur, quoique ! (Sourires) Mais le Sénat a une culture d'avenir, et l'avenir, c'est aussi l'espace. (Applaudissements sur le banc de la commission et des travées des groupes Les Républicains jusqu'à celles du groupe SOCR)
Prochaine séance, mardi 25 février 2020, à 14 h 30.
La séance est levée à 17 h 40.
Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,
Jean-Luc Blouet
Chef de publication
Annexes
Ordre du jour du mardi 25 février 2020
Séance publique
À 14 h 30 et le soir
Présidence : M. Vincent Delahaye, vice-président Mme Valérie Létard, vice-présidente
Secrétaires : M. Michel Raison - M. Joël Guerriau
- Projet de loi relatif au Parquet européen et à la justice pénale spécialisée (procédure accélérée) (texte de la commission, n° 336, 2019-2020)