Bilan et perspectives de la compétence Gemapi
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : « Bilan et perspectives de la compétence Gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (Gemapi) ».
Mme Maryse Carrère . - (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE ; MM. Yves Détraigne et Pierre-Yves Collombat applaudissent également.) Deux ans après l'entrée en vigueur de la Gemapi, ce débat était nécessaire. La Gemapi a été créée par la loi Maptam sur la base des travaux de Pierre-Yves Collombat. C'était à mes yeux un mal nécessaire, face à des compétences éclatées entre syndicats, échelons territoriaux et leurs entités. À cela s'ajoutait une absence totale de ressources humaines dédiées à ces questions. Nos concitoyens recherchent aussi de façon permanente les responsables. Les événements climatiques comme la tempête Xynthia ou des inondations ont étayé ce constat.
En attribuant cette compétence au bloc communal, le législateur a assuré le lien entre politique d'urbanisme, gestion de l'eau, prévention des inondations, pouvoirs de police du maire et surtout proximité qui sont déterminants en matière de Gemapi.
Le texte adopté présentait néanmoins des failles qui ne permettaient pas une mise en oeuvre sereine de cette compétence. La loi Fesneau a instauré la sécabilité, mesure plus que bienvenue, permettant de passer d'une compétence exclusive à un chef de filat du bloc communal, et redonnant du pouvoir aux départements.
Aujourd'hui, les remontées du terrain montrent que la prise de la compétence varie au gré de la carte intercommunale. Les risques et les moyens financiers ont pu précipiter la prise de compétence Gemapi ; pour beaucoup d'élus, elle avait les apparences d'un transfert de charges décidé par l'État, sans aucun transfert financier.
Oui, le financement est la première préoccupation des élus locaux pour la Gemapi. Un tiers seulement des Français paie la taxe Gemapi, adossée à la taxe d'habitation dont la compensation est aujourd'hui hasardeuse. Les 145 millions d'euros récoltés en 2018 ne suffisent pas à financer les ouvrages.
La mise en place de la taxe Gemapi est laborieuse. Une fois de plus, les plus petites collectivités territoriales risquent d'être les plus pénalisées et ne pourront pas faire face aux dépenses importantes qu'occasionne cette compétence.
Ma collectivité fut une des premières à mettre en place la Gemapi. Dès 2017, au sein du Pays de Lourdes Vallée des Gaves que je présidais, nous anticipions cette prise de compétence, pour permettre une gouvernance commune de ces enjeux à l'échelle du bassin versant du Gave de Pau amont. Cette prise de compétence ne s'est pas faite sans conséquences puisque désormais c'est près d'un million d'euros de budget qui est destiné à la Gemapi.
Mais beaucoup d'élus ont l'impression aujourd'hui de rester au milieu du gué.
Dans une question de décembre 2018, j'interrogeais Mme Gourrault sur la qualification de l'urgence. Lors que surgit un évènement climatique entraînant des crues et des débordements de cours d'eau, il est souvent difficile de dissocier la protection des ouvrages réalisés ou non par l'EPCI n'étant pas classés en tant que systèmes d'endiguement et la protection des enjeux, de la population et des biens, prérogatives dévolues au maire.
Les élus peuvent-ils agir sur les ouvrages dont les EPCI ont la charge afin de prévenir d'éventuels dégâts dans le cadre des pouvoirs de police du maire ? Qu'en est-il des systèmes d'endiguement, sur lesquels l'État, ironiquement, n'a jamais été aussi vigilant ?
Il va donc falloir améliorer l'information des élus des autorités gémapiennes sur l'avancement de la mise en conformité des systèmes d'endiguement qui les concerne, avec une véritable programmation concertée des travaux.
Les 15 millions d'euros annuels du Fonds de prévention des risques naturels majeurs (FPRNM) pour les digues sont insuffisants, malgré son déplafonnement.
Il faudra s'appuyer sur les piliers de l'organisation du bassin que sont les schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux et sur les plans de gestion des risques inondations (PGRI) et les contrats de financement pluriannuels cadre, comme les contrats de rivière ou les programmes d'action de prévention des inondations. Le problème n'est pas les instruments, nombreux, mais leur mise en oeuvre laborieuse.
Le salut de la Gemapi passera par une sanctuarisation du budget des agences de l'eau et par une réorientation du fonds Barnier, demandé par le récent rapport Bonnefoy-Vaspart : un euro dépensé en prévention, ce sont sept euros économisés en réparation.
Monsieur le ministre, j'espère que votre Gouvernement aura ces sujets autant à coeur que nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et SOCR ; M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.)
M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement . - La logique de Gemapi est forte et solidaire. La gestion des cours d'eau et le risque d'inondations doivent être envisagés de pair avec la gestion des zones d'extension naturelle des crues et l'entretien des ouvrages de protection contre les inondations.
Je suis heureux de ce débat.
La loi Maptam du 27 janvier 2014 avait confié, par un amendement sénatorial, une compétence obligatoire Gemapi aux EPCI à fiscalité propre, au plus tard au 1er janvier 2020.
Très vite des problèmes d'organisation, de gouvernance, financiers se sont fait jour, malgré l'introduction d'une taxe additionnelle pour financer cette compétence.
La loi du 30 décembre 2017 que j'ai eu honneur de présenter donne la possibilité aux départements et aux régions de poursuivre leurs engagements au-delà du 1er janvier 2020. Une logique de bassin versant a également été instituée, où les EPCI ont appris à travailler ensemble, dans des syndicats mixtes. La loi offre ainsi la possibilité de transfert à un établissement public d'aménagement et de gestion de l'eau (Epage) ou à établissement public territorial de bassin (EPTB) d'une partie des compétences Gemapi.
D'autres souplesses ont été apportées. Le décret du 14 juin 2019 relève le plafond d'éligibilité à une assistance technique de 15 000 à 40 000 habitants.
La mise en oeuvre de la compétence est inégale. Elle est obligatoire pour les EPCI à fiscalité propre depuis le 1er janvier 2018.
La taxe Gemapi est lisible, bien identifiée, plafonnnée à 40 euros par habitant. Elle adopte un produit et non un taux. Son rendement est passé de 25 millions d'euros en 2017 à 155 millions d'euros en 2018 et on attend un rendement de près de 190 millions d'euros en 2019.
Son rendement maximal serait de 2,5 milliards d'euros si le plafond était atteint : elle offre donc une marge de manoeuvre aux collectivités territoriales. En 2019, 556 EPCI à fiscalité propre, soit 44 % d'entre eux, ont mis en place la taxe, couvrant une population de 32 millions d'habitants.
Ces orientations avaient une visée pratique. L'enquête de novembre 2018 de la DGCL auprès des préfectures montre que les acteurs veulent des textes stabilisés et un véritable accompagnement dans la mise en oeuvre de la Gemapi.
Les collectivités territoriales directement confrontées aux inondations se sont rapidement emparées de la compétence, d'ailleurs quelque peu orpheline. Les aléas climatiques de plus en plus nombreux et fréquents incitent les collectivités à mettre en oeuvre cette taxe.
En matière de gestion des fleuves ou de trait de côte, la gouvernance doit notamment être renforcée. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, LaREM, RDSE et UC ; MM. Jean-Pierre Sueur et Pierre-Yves Collombat applaudissent également.)
M. Jérôme Bignon . - Le modèle de gestion intégrée de l'eau par bassin versant a été préconisé. Nous observons un morcellement des entités et des méthodes qui ne permet pas de répondre aux attentes en termes de gestion de l'eau.
Deux points illustrent cette difficulté : ainsi, les solidarités sont fragilisées. C'est le cas de la Bresle, petit fleuve côtier, où deux EPCI sur sept, composant le bassin versant, ne travaillent pas main dans la main, que ce soit entre eux ou avec les collectivités territoriales.
Le périmètre des diverses compétences - Gemapi mais aussi hors Gemapi - doit également être clarifié : ne pensez-vous pas utile de débattre de la gouvernance et de la politique de l'eau à l'échelle des bassins versants ?
M. Marc Fesneau, ministre. - Le comité de bassin est l'instance de concertation privilégiée du débat sur la gouvernance : c'est un véritable parlement local de l'eau. Pour répondre précisément, il convient d'envisager les modalités de gouvernance et de financement à mesure que la compétence se déploie.
M. Jérôme Bignon. - La Gemapi a rendu orphelines des compétences comme la préservation de la ressource en eau, la gestion des eaux pluviales dont peu de collectivités souhaitent se saisir.
Mme Annick Billon . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) La compétence Gemapi a eu un parcours législatif chaotique. EPCI, syndicats mixtes, départements et régions : les acteurs sont multiples, mais surtout les procédures financières et administratives s'empilent, surtout pour tout ce qui a trait au littoral. En vérité, la décentralisation n'est pas allée à son terme. La lourdeur et la longueur des procédures s'opposent à l'urgence de protection des populations. Comment simplifier ?
En Vendée, le syndicat mixte du marais poitevin est désormais seul responsable des digues en ruine dont le statut n'avait jamais été clarifié pendant près de 60 ans. C'est techniquement et financièrement intenable, et moralement insupportable dans un département qui va commémorer en février les dix ans de la tempête Xynthia.
En cas de digues prévues sur un tracé refusé par le maire, que peut faire l'autorité en charge de la Gemapi ?
M. Marc Fesneau, ministre. - Des simplifications, notamment la réintroduction des départements dans le paysage, ont été apportées dans la loi de 2017. Des simplifications importantes ont également été apportées en matière d'ouvrages hydrauliques, avec l'instauration d'autorisations environnementales unique, ce qui accélère les procédures.
Une mission a été confiée aux inspections pour voir comment accélérer la production et la mise en oeuvre d'un programme d'actions de prévention des inondations (PAPI). Les conclusions seront rendues d'ici la fin de l'année.
Je vous ferai faire une réponse sur la question du maire refusant le tracé d'une digue.
Le fonds Barnier peut être utilisé pour renforcer des ouvrages.
M. Michel Vaspart. - Le 29 octobre dernier, le Sénat a débattu des conclusions du rapport « Catastrophes climatiques. Mieux prévenir, mieux reconstruire » de Mme Bonnefoy, à la demande de la mission d'information sur la gestion des risques climatiques que je présidais.
Il conclut à la nécessité de moderniser notre politique de prévention et d'indemnisation.
Nous avons notamment proposé de renforcer le rôle du conseil de gestion du fonds Barnier et de supprimer les sous-plafonds ; d'achever l'élaboration des plans de prévention des risques naturels (PPRN) ; d'accélérer la labellisation des programmes d'actions de prévention des inondations (PAPI) ; d'accompagner les territoires confrontés au recul de trait de côte ; de développer la culture du risque.
Le transfert de la compétence Gemapi a profondément fait évoluer le rôle des élus, devenus acteurs de la prévention des risques, alors que la délimitation de la Gemapi n'est pas claire et que le modèle financier n'est pas réaliste.
Le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) et l'Inspection générale de l'administration (IGA) ont été mandatés pour réaliser un rapport. La voix de ceux qui veulent faire bouger les choses sera-t-elle enfin entendue ? (M. Jean-Paul Émorine et Mmes Maryse Carrère et Françoise Laborde applaudissent.)
M. Marc Fesneau, ministre. - Le Gouvernement a lu le rapport sénatorial sur les risques climatiques. Nous réfléchissons avec les acteurs au régime de catastrophes naturelles. Le plafonnement du fonds Barnier n'obère pas son efficacité, en raison de la trésorerie disponible. Sa gouvernance va être rénovée, avec une plus grande implication du comité d'orientation des risques naturels majeurs.
Nous rejoignons les recommandations du rapport visant à renforcer les actions de prévention et à réduire la vulnérabilité. Le taux d'aide aux propriétaires d'habitation est passé de 40 % à 80 % pour les PAPI et il en sera de même pour les plans de prévention des risques.
Avant, on gérait après le risque ; les élus sont désormais plus souvent en première ligne. Aux citoyens de s'approprier le risque. Avec ce dispositif Gemapi, nous tenons les grands objectifs tout en tenant compte des réalités de terrain et des besoins des élus.
M. Jean-Pierre Sueur . - Quelles conclusions tirez-vous de la réforme de 2017 du dispositif mis en oeuvre en 2014 grâce à l'implication de Pierre-Yves Collombat ? Les sécabilités introduites n'ont-elles pas pour effet de dissocier les instances de prévention des inondations des instances en charge de l'urbanisme et de l'aménagement ? Or il faut lier les deux : construire en prenant en compte les risques.
Il y a une réforme de la taxe d'habitation, or la Gemapi y est en grande part adossée. Comment maintenir, voire accroître, les ressources pour la Gemapi ?
M. Marc Fesneau, ministre. - Il est un peu tôt pour dresser le bilan de compétences transférées au plus tôt au 1er janvier 2018, au plus tard au 1er janvier 2020. Nous sommes encore dans un processus d'appropriation.
Je ne crois pas que la sécabilité porte un risque de dissociation, car ce sont souvent les mêmes élus qui siègent dans ces instances. Dans l'agglomération orléanaise comme ailleurs, l'urbanisme reste de la compétence des communes. Faisons confiance aux élus. Dès lors que les élus sont responsables de la prévention des inondations, ils veilleront à bien faire les choses.
La suppression de la taxe d'habitation ne change rien au pouvoir des intercommunalités, qui pourront continuer à adopter un produit, réparti sur les taxes restantes. Un dispositif transitoire est prévu jusqu'à la fin complète de la taxe d'habitation.
M. Jean-Pierre Sueur. - Je reste sceptique sur la question financière. Ce ne sera pas si simple pour les élus de décider que ce qui est aujourd'hui adossé à la taxe d'habitation se répartira désormais entre les autres taxes - qui augmentent en conséquence. Ce transfert ne permettra pas d'accroître la ressource. Si la mise en place de la taxe Gemapi était nécessaire, son produit n'est pas à la hauteur des besoins. (M. Pierre-Yves Collombat s'exclame.)
Mme Françoise Laborde . - Les élus, inquiets, demandent à pouvoir mieux financer les opérations de lutte contre le ruissellement, première cause d'inondation dans certains territoires.
La circulaire du 30 décembre 2017 précise que la taxe Gemapi peut être mobilisée pour le financement des ouvrages hydrauliques, mais ne peut l'être pour réparer les dégâts causés par le ruissellement ou l'érosion. Or cela représente parfois un coût important pour les collectivités.
Le rapport d'avril 2018 appelle à mieux articuler le financement des opérations concourant à la prévention par la maîtrise des eaux pluviales et de ruissellement. Envisagez-vous de permettre aux collectivités de mobiliser cette taxe pour ces opérations spécifiques ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE ; M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.)
M. Marc Fesneau, ministre. - La frontière est ténue, en effet. La maîtrise des eaux pluviales et de ruissellement est partagée entre les différents échelons de collectivités territoriales car elle ne relève ni de la Gemapi, ni de la gestion des eaux pluviales urbaines. Toutefois, les opérations de réparation ayant pour finalité la prévention sont considérées comme relevant de la Gemapi. À ce titre, la reconstitution d'un réseau, dès lors qu'elle participe à la lutte contre le ruissellement, peut être financée par la taxe Gemapi.
Mme Françoise Laborde. - Merci. J'entends que la réparation peut être considérée comme de la prévention. Je le dirai aux maires présents à Paris. L'enjeu est double : risque pour les collectivités de se concentrer uniquement sur les compétences obligatoires et manque de communication entre elles.
M. Didier Rambaud . - Quel sera le devenir de l'assiette de la taxe Gemapi après la suppression de la taxe d'habitation ? C'est encore une somme modique, 150 millions d'euros, à l'échelle nationale. Le rapport CGEDD-IGA préconise de fiabiliser l'assiette de la taxe.
La suppression de la taxe d'habitation risque de déplacer la charge de la population locale vers les entités redevables de la cotisation foncière des entreprises (CFE), entraînant une asymétrie de traitement. Porterez-vous une attention particulière sur le rééquilibrage de l'assiette entre taxe foncière et CFE ?
M. Marc Fesneau, ministre. - La refonte de la fiscalité locale liée à la suppression de la taxe d'habitation ne modifie aucunement la faculté pour les communes et EPCI d'adopter un produit de la taxe Gemapi, plafonné à 40 euros par habitant.
L'article 5 du projet de loi de finances pour 2020 est clair sur l'assiette retenue. Aucune incertitude ne persiste. Seule change la répartition. Le taux sera identique à celui de 2019, et réparti entre les différents assujettis : taxe d'habitation sur les résidences secondaires, taxe foncière et CFE. En 2021 et 2022, nous veillerons à éviter que les 20 % restants d'assujettis à la taxe d'habitation soient confrontés à un ressaut.
La hausse de la pression fiscale sur les redevables n'est pas excessive, quelques dizaines d'euros au maximum. Les collectivités territoriales restent libres d'activer ou non la taxe Gemapi.
M. Pierre-Yves Collombat . - « Se donner les moyens de ses ambitions », tel était le titre du rapport d'information sénatorial à l'origine de la loi Gemapi.
Les moyens juridiques, ce sont les Epage, bras armé des EPCI. Les moyens financiers, c'est la taxe assise sur une base très large : l'ensemble du foncier. Les marges de manoeuvre existent. La taxe Gemapi peut être augmentée et elle s'ajoute à l'existant.
Ce qui manque aujourd'hui, ce ne sont pas les moyens mais l'ambition, usée par les querelles byzantines des théologiens du contrôle de légalité, qui ont paralysé nombre d'opérations contre le ruissellement, cause principale des inondations dans le sud de la France.
L'opposition a votre oreille, puisque la loi Fesneau, qui dit répondre à une demande forte des collectivités territoriales, en revient à la dispersion des responsabilités d'avant la loi Maptam. On rompt avec le principe de l'unicité de décision et de compétence qui était l'un des apports de la loi, via la création des Epage.
Mme la présidente. - Veuillez conclure.
M. Pierre-Yves Collombat. - Peut-on espérer que le Gouvernement porte de nouveau cette ambition et favorise la mise en place de structures pouvant la porter localement ?
M. Marc Fesneau, ministre. - Vous avez été à l'origine de l'introduction de la Gemapi dans la loi Maptam en 2014. Le législateur a prévu les moyens afférents, en effet, même s'il est aussi question de solidarité entre les territoires, un EPCI seul ne pouvant prendre en charge une digue, par exemple.
Le Gouvernement prône la souplesse dans la structuration des Epage, et le projet de loi Engagement et proximité prévoit des dérogations et des reports. Il faut laisser du temps aux territoires. Parfois, la convergence entre syndicats est délicate. Faisons confiance aux élus locaux pour mieux prendre en compte cette compétence. Faisons aussi prendre conscience aux citoyens des raisons de cette taxe.
Mme Évelyne Perrot . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) La loi Maptam a transféré la compétence Gemapi aux EPCI à fiscalité propre, celle de 2017 a permis aux départements et régions de continuer à exercer la compétence. Cet assouplissement nécessaire pose aujourd'hui problème au niveau local.
Dans l'Aube, le département assume seul la compétence, les syndicats de proximité ont été supprimés. Le suivi n'est plus évident. La gestion des cours d'eau en milieu rural est difficile. Qu'est-il prévu pour l'exercice de la compétence Gemapi lorsque le département ou la région sont chefs de file ?
M. Marc Fesneau, ministre. - La loi de 2017 permet au département et à la région de s'impliquer au-delà de 2020. Les départements sont des partenaires essentiels pour la gestion de l'eau ; leur place dans la gouvernance varie localement. Selon la loi, ce choix incombe aux collectivités territoriales : si le département a pris cette compétence, c'est que les EPCI l'y ont autorisé. Je ne veux pas m'immiscer dans les relations entre collectivités.
Juridiquement, il n'y a pas de chef de filat des départements ou des régions. L'État est présent pour accompagner les collectivités via des missions d'appui technique de bassin.
Les ministères de la transition écologique et de la cohésion des territoires ont distribué des guides à destination des élus et des techniciens, un guide questions-réponses a été mis en ligne le 27 mai dernier. Localement, les stratégies d'organisation des compétences locales de l'eau, dites Socle, sont appuyées par les services de l'État et nous nous attachons à assouplir la réglementation.
Mme Évelyne Perrot. - Nous avions des petits syndicats de bassin et de rivière qui faisaient un travail remarquable et bénévole... Les maires ont beaucoup perdu.
M. Guillaume Chevrollier . - La gestion des cours d'eau doit être au coeur de l'aménagement du territoire. Les élus locaux attendent que l'État donne une impulsion pour la reconquête de la qualité des eaux.
La trame bleue et la nécessité d'une trame verte sont indispensables pour lutter contre le ruissellement. Incitons les agriculteurs à construire des haies. Il faut aussi clarifier la gouvernance locale : entre schémas, départements, régions, EPCI, il y a une trop grande dispersion des initiatives et des responsabilités. Une simplification s'impose.
La compétence Gemapi est à l'échelle des EPCI et non des bassins versants, ce qui présente des difficultés quand deux intercommunalités voisines ne mènent des actions concomitantes sur le cours d'eau qu'elles ont en commun.
Enfin, la gestion des milieux aquatiques est largement financée par la région et l'Agence de l'eau, mais ce n'est pas le cas de la prévention des inondations. L'État prévoit-il des aides sur ce poste ?
M. Marc Fesneau, ministre. - De nombreux dispositifs ne relevant pas de la Gemapi luttent contre le ruissellement, notamment via la PAC. Il faut conforter ces mesures en direction des agriculteurs. Nous simplifions au gré de la prise en charge de la compétence.
Pour avoir présidé un EPCI et été maire d'une commune de 700 habitants, j'estime qu'il n'appartient pas à l'État d'intervenir. Laissons les collectivités territoriales travailler ensemble et s'approprier la compétence. Parfois, il faut dialoguer à l'échelle de plusieurs EPCI. Tendons vers cet objectif, évitons de raisonner en silo. Faisons confiance aux élus locaux pour réaliser ce travail de lutte contre les inondations auprès des habitants.
Mme Monique Lubin . - L'EPTB du bassin de l'Adour a évalué le système d'endiguement, qui ne semble plus être adapté. Or le maintien des ouvrages classés coûte très cher. La mise aux normes de la digue rive droite de l'Adour maritime, qui protège 350 personnes, est estimée à 33 millions d'euros. A contrario, certains ouvrages non-classés ne peuvent pas non plus être abandonnés, en raison de la présence de population, d'activités agricoles ou de sites protégés.
Le décret d'août 2019 qui supprime le seuil plancher de trente personnes pour le classement des ouvrages n'est pas adapté, alors que les EPCI n'ont déjà pas les moyens de classer des ouvrages protégeant des populations importantes. Il parait aussi contraire à la compétence Gemapi.
Comment les EPCI supporteront-ils le financement des ouvrages classés avec la fragilisation de l'assiette de la taxe Gemapi ? Êtes-vous favorable à la création d'un nouvel instrument administratif ad hoc assorti de ressources soutenables ?
M. Marc Fesneau, ministre. - La loi prévoit que les digues protégeant moins de trente personnes non intégrées à un système d'endiguement doivent être neutralisées. L'ancienne réglementation aboutissait donc à les supprimer automatiquement. La nouvelle réglementation permet de conserver ces digues si la collectivité le souhaite.
Le dispositif sénatorial prévoit la capacité à lever des financements pour la préservation de ces ouvrages. Aux collectivités territoriales de s'approprier la compétence.
Mme Patricia Morhet-Richaud . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Pourquoi parler des eaux pluviales dans un débat sur la Gemapi ? Cette question, d'apparence simple, est un symbole du dédale technocratique dans lequel on plonge les élus locaux.
La question de savoir qui s'occupe des eaux pluviales en France nécessite plus de développements que le code du travail suisse ! Les eaux pluviales urbaines sont traitées par les intercommunalités, sauf communauté de communes ; pour les eaux de ruissellement, il y a un angle mort - cette compétence ne relève ni de l'assainissement, ni de la gestion des eaux pluviales urbaines, et n'est que voisine de la Gemapi.
Lui sera-t-elle rattachée ou le sera-t-elle à l'assainissement, comme propose le CGEDD dans son rapport commis avec l'IGA ?
M. Marc Fesneau, ministre. - La gestion des eaux pluviales est rattachée à la compétence assainissement pour les métropoles et les communautés urbaines, mais pas pour les communautés d'agglomération et les communautés de communes. La souplesse s'impose, vu la convergence de plusieurs champs d'action. Identifier une compétence spécifique eaux pluviales urbaines et la confier obligatoirement aux métropoles et communautés urbaines à compter de 2020 est une clarification institutionnelle et financière. Le financement par la taxe Gemapi sera possible pour les opérations de prévention des inondations.
Pour les communautés de communes, ce sera une compétence facultative.
M. Pierre-Yves Collombat. - Il faudra réunir un concile !
M. Franck Montaugé . - Alors que les agences de l'eau voient leur champ d'action étendu dans le cadre du onzième programme, leur budget est amputé d'un milliard d'euros du fait du plafonnement des recettes. D'où une baisse voire un arrêt des aides aux collectivités territoriales. Les agences doivent pourtant avoir les moyens financiers de faire face au défi du réchauffement climatique et de la dégradation des milieux aquatiques.
Il faut en revenir au principe selon lequel l'eau paie l'eau. Les agences de l'eau sont les mieux placées pour apporter leur aide aux gestionnaires des bassins versants. Comment aiderez-vous les intercommunalités chargées des bassins versants pour que la biodiversité et les cultures contribuent à la restauration des milieux aquatiques et à la qualité de la ressource en eau ?
M. Marc Fesneau, ministre. - Cela ne relève pas tout à fait de la Gemapi.
MM. Franck Montaugé et Jean-Pierre Sueur. - C'est lié !
M. Marc Fesneau, ministre. - Les intercommunalités ont la capacité de lever des financements au travers de la taxe Gemapi telle qu'elle a été conçue par le Sénat. Les Assises de l'eau ont souligné que différents outils peuvent être mobilisés. La Caisse des dépôts et consignations a ainsi consenti 57 millions d'euros de prêts pour le seul premier semestre 2019.
S'agissant des paiements pour services environnementaux, un dispositif a été notifié à la Commission européenne. La loi de finances pour 2018 a plafonné les redevances des agences de l'eau ; toutefois, celles-ci peuvent accompagner les actions de Gemapi dès lors qu'elles sont corollaires aux actions de préservation des milieux aquatiques.
M. Franck Montaugé. - Les paiements pour services environnementaux pourraient faire partie du dispositif dans le cadre de conventions tripartites entre EPCI, agences de l'eau et agriculteurs, comme c'est le cas en Occitanie.
Mme Vivette Lopez . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je viens du Gard, soumis aux caprices du temps, où la prévention des inondations est une obsession collective. Jugez plutôt : depuis le XIIIe siècle, le Gard a connu plus de cinq cents crues !
La nécessité de réduire la vulnérabilité est une évidence.
L'équinoxe d'automne est une période critique, chaque grosse pluie, source d'appréhension. Souvenez-vous de la catastrophe du 3 octobre 1988 à Nîmes, de la déferlante meurtrière des 8 et 9 septembre en 2002... La nécessité de réduire la vulnérabilité est une évidence.
La protection contre les risques naturels relève le plus souvent des habitants, regroupés en associations. Des acteurs locaux ont créé des syndicats départementaux, régionaux et interrégionaux, avec des bassins de rétention. L'aménagement du territoire et l'organisation des zones urbanisées doivent désormais intégrer les besoins liés à la sécurité des personnes et des biens, à la qualité de vie et à l'environnement. La directive Inondations a fixé un cadre ambitieux.
Mme la présidente. - Il faut vraiment conclure ! (M. Patrick Kanner en appelle à l'indulgence de la présidence.)
Mme Vivette Lopez. - La compétence Gemapi répond à un besoin de cohérence de l'action publique. À deux mois de la mise en place de la compétence obligatoire, qu'envisage de faire l'État pour finaliser sa structuration ? Et qui finance ?
M. Marc Fesneau, ministre. - Le Gard a payé un lourd tribut aux inondations de manière récurrente, mais il s'est organisé et c'est désormais l'un des départements les plus résilients. Cela prouve qu'il faut faire confiance aux élus locaux, même si l'État doit vous accompagner. C'était l'objectif de l'adoption de l'amendement sénatorial qui créait la compétence Gemapi.
Mme Chantal Deseyne . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le 27 janvier prochain, cela fera six ans que le transfert de la compétence Gemapi a été initié. Mais le débat n'est pas clos. Avec la loi dite Fesneau, la loi Ferrand et la loi Engagement et proximité, l'inflation législative montre que les choses ne se passent pas comme les élus le voudraient. Ils ont toutefois assumé leur responsabilité. Reste que le transfert d'une compétence doit être accompagné des moyens financiers nécessaires à son exercice. Or ce n'est pas le cas.
Personne ne souhaite que la taxe Gemapi ou les redevances des agences de l'eau ne deviennent les variables d'ajustement... Souhaitez-vous que les aides européennes puissent être fléchées vers des programmes stratégiques sur l'eau, comme le propose le rapport d'octobre 2019 de l'IGA et du CGEDD ? La programmation 2021-2027 donnera-t-elle plus de place à la prévention des risques et à la protection de l'environnement ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Marc Fesneau, ministre. - Le dispositif initial a été voté par des parlementaires qui connaissaient bien la question. La mise en oeuvre de la compétence s'est heurtée à des écueils de gouvernance et de pilotage, pas de financement, car ce dernier était prévu. Les textes qui ont suivi ont été proposés à la demande des élus : ils n'ont fait qu'apporter des simplifications !
Les fonds européens étaient sous la gouvernance des régions dans la dernière période. La prochaine programmation prévoira des mesures agro-environnementales pour la préservation des milieux aquatiques et de la biodiversité, sans doute via le deuxième pilier de la PAC.
M. Yves Bouloux . - La compétence Gemapi pose un problème opérationnel. Elle associe deux volets - gestion des milieux aquatiques d'une part, prévention contre les inondations d'autre part. Il est difficile de distinguer ce qui relève de l'un et de l'autre. Différentes solidarités sont associées aux différentes actions, au niveau de l'EPCI, du bassin ou au niveau national.
L'État a imposé aux EPCI cette compétence mais doit assumer sa responsabilité, stratégique, opérationnelle et financière. À fiscalité constante, comment clarifier la compétence sans transférer toute la responsabilité de la politique de l'eau aux collectivités, dont beaucoup risquent de se retrouver dans une situation critique face à la multiplication des événements climatiques extrêmes ? (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)
M. Marc Fesneau, ministre. - Ce n'est pas l'État qui a voulu transférer cette compétence aux EPCI, mais le Sénat.
M. Pierre-Yves Collombat. - Ce n'est pas un transfert, elle n'était à personne !
M. Marc Fesneau, ministre. - La loi du 30 décembre 2017 permet aux élus d'organiser la sécabilité des compétences. L'objectif était de répondre à une exigence des élus locaux. Ils ont désormais les outils nécessaires et le dispositif est à l'oeuvre.
Mme Maryse Carrère . - Je remercie le ministre pour cet échange, ainsi que les collègues qui se sont exprimés et les élus qui y ont assisté.
Le 21 octobre 2019 paraissait le rapport du CGEDD qui préconise notamment un dialogue renforcé entre l'État et les EPCI sur le transfert de la gestion des digues. Ce débat a dressé un bilan qui devra être prolongé et entrer en résonnance lors du projet de loi Décentralisation, différenciation et déconcentration. Il faut un suivi harmonisé de la Gemapi, avec des évaluations régulières.
La question du ruissellement n'a pas été convenablement traitée par exemple. La mobilisation de la taxe Gemapi pour certaines opérations de lutte contre le ruissellement est une piste. Il faut pérenniser les financements de l'État et veiller aux conséquences de la suppression de la taxe d'habitation.
Des disparités territoriales existent dans la structuration de cette compétence. Un accompagnement accru de l'État est attendu.
L'entière appropriation du dispositif par les EPCI d'outre-mer doit être un chantier de l'État. Les Assises de l'outre-mer de 2018 ont demandé de consolider les ressources en ingénierie et d'animer les réseaux professionnels avec le CNFPT.
Le coût de la restauration des digues domaniales, qui seront transférées en 2024, inquiète les élus. Il y aura un transfert de charges considérable, sans compensation. Le périmètre de l'EPCI apparaît en outre inadapté pour les zones littorales, et les financements insuffisants.
Merci à tous d'avoir enrichi ce débat que nous poursuivrons lors du projet de loi Décentralisation, différenciation et déconcentration. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et SOCR ; M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.)