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Table des matières
Service public de l'éducation et neutralité religieuse
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, auteure de la proposition de loi
M. Max Brisson, rapporteur de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse
M. Jean-Michel Blanquer, ministre
M. Jean-Michel Blanquer, ministre
INTITULÉ DE LA PROPOSITION DE LOI
M. Jean-Michel Blanquer, ministre
Assistons-nous au recul de l'État de droit en France ?
Mme Sophie Taillé-Polian, pour le groupe SOCR
M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement
Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour le groupe socialiste et républicain
Mise au point au sujet d'un vote
M. Michel Savin, pour le groupe Les Républicains
Mme Roxana Maracineanu, ministre des sports
M. Alain Dufaut, pour le groupe Les Républicains
Catastrophes climatiques, mieux prévenir, mieux reconstruire
Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire
Ordre du jour du mercredi 30 octobre 2019
SÉANCE
du mardi 29 octobre 2019
13e séance de la session ordinaire 2019-2020
présidence de M. Philippe Dallier, vice-président
Secrétaires : Mme Catherine Deroche, Mme Françoise Gatel.
La séance est ouverte à 14 h 30.
Le procès-verbal de la précédente séance est adopté.
Service public de l'éducation et neutralité religieuse
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi tendant à assurer la neutralité religieuse des personnes concourant au service public de l'éducation.
Discussion générale
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, auteure de la proposition de loi . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Chaque jour, 13 millions d'enfants sont confiés à l'école publique : 2,5 millions en maternelle et 4,5 millions en primaire, quatre jours par semaine.
Cette école républicaine, issue des lois de Jules Ferry de 1881 et 1882 a pour but de former les citoyens de la République et de les intégrer dans la société.
Dans sa lettre aux instituteurs de 1888, Jules Ferry écrivait en substance que le législateur devait veiller à la séparation de l'école et de l'église, à assurer la liberté de conscience des maîtres et des élèves et à distinguer deux domaines, celui des croyances, qui relèvent des individus, et celui des connaissances communes indispensables à tous.
Dans sa circulaire de mai 1937, Jean Zay soulignait l'importance de la neutralité de l'école en rappelant qu'il fallait la protéger de toute propagande.
Aucune forme de prosélytisme ne saurait être tolérée à l'école.
En 2004, la loi voulue par le président Chirac interdisait les signes religieux ostentatoires à l'école pour que nos enfants acquièrent des savoirs dans l'harmonie. Elle posait la base du confinement de la religion dans l'intimité des élèves.
La question des accompagnants de sortie scolaire refait régulièrement surface. La circulaire Chatel de mars 2012 rappelait que la neutralité était pleinement applicable : pas d'affichage des valeurs politiques ou religieuses pendant les sorties scolaires.
Vincent Peillon a décidé de ne pas l'abroger après l'élection de François Hollande. Ensuite, Najat Vallaud-Belkacem a déclaré que la règle devait être d'accepter les accompagnatrices voilées, et que le refus devait être l'exception. Ce flou a posé problème à la justice et créé un vide.
Les sorties scolaires font partie intégrante du temps scolaire. Les accompagnateurs ne sont pas des usagers du service public mais des collaborateurs de ce même service public.
Nous devons tout faire pour éviter que les enfants deviennent des proies vulnérables du prosélytisme. Lionel Jospin le rappelait lui-même dans une circulaire.
Les sorties sont destinées aux enfants et non aux parents qui ne font qu'accompagner bénévolement. Tout parent doit se soumettre à la neutralité.
Face au vide juridique, le législateur doit agir. C'est pourquoi, avec Bruno Retailleau, Jérôme Bascher et 103 collègues, nous avions déposé un amendement à la loi sur l'école de la confiance qui a dû être supprimé en CMP.
C'est le 9 juillet que j'ai déposé ma proposition de loi, hors de toute actualité médiatique. Elle vise à clarifier que la neutralité s'étend aux collaborateurs occasionnels du service public, soit des parents bénévoles, auprès des élèves.
Portons l'héritage de Jules Ferry et de Jean Zay en protégeant l'innocence et la liberté de conscience des enfants, alors que notre pays est secoué par des tensions politico-religieuses. Ce n'est pas un combat entre droite et gauche mais un combat républicain.
Robert Badinter voyait dans la laïcité une « grande barrière contre la prison du fanatisme ». Tous les enfants sont des enfants de la République.
Nous devons pouvoir former les citoyens de demain dans une école apaisée sur le socle commun de la République une et indivisible. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Max Brisson, rapporteur de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Dans le contexte politique et médiatique qui préside à l'examen de ce texte, je forme le voeu que nos débats se concentrent sur l'école et elle seule, et que nous soyons fidèles à Jean Zay qui parlait de l'école comme « cet asile inviolable où les querelles des hommes ne pénètrent pas ». (« Bravo ! » et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Permettez à l'ancien professeur d'histoire que je suis de revenir brièvement, pour bien poser les choses, sur ce qui caractérise depuis l'origine notre école publique.
Pour ses pères fondateurs, l'école avait une mission essentielle : permettre à l'élève de se construire librement en tant que citoyen, à l'abri de toute influence extérieure. Cet idéal émancipateur a eu immédiatement un corollaire : la neutralité de l'école publique face aux croyances. Ainsi, dès 1882, le cours d'instruction religieuse devenait une leçon d'instruction morale et civique ; en 1886, l'ensemble du personnel y enseignant devait être de statut laïc ; entre 1886 et 1903, les signes religieux étaient progressivement retirés des salles de classe.
Quatre questions sont nécessaires à un débat serein.
Première question : qu'est-ce qu'une sortie scolaire ? Les circulaires de 1999 et 2011 sont claires. La première précise : « Les activités pratiquées à l'occasion d'une sortie scolaire viennent nécessairement en appui des programmes. Elles s'intègrent au projet d'école et au projet pédagogique de la classe. Chaque sortie, quelle qu'en soit la durée, nourrit un projet d'apprentissages ». J'en veux pour preuve l'interdiction faite aux élèves depuis la loi de 2004 de porter des tenues et signes religieux ostensibles à la fois dans le bâtiment scolaire, mais aussi lors des sorties scolaires. L'application de cette loi par le ministre de l'Éducation nationale montre bien que les sorties scolaires sont bien du temps scolaire, qui doit donc être neutre du point de vue des croyances religieuses.
Deuxième interrogation : que signifie la neutralité du point de vue des croyances à l'école publique ? Le législateur s'est progressivement montré particulièrement strict. Ainsi, le droit impose une neutralité religieuse dans l'enseignement public aux personnels, comme dans tous les services publics ; mais également aux usagers que sont les élèves, mineurs ou majeurs, ceci depuis la loi de 2004 qui a restreint leur possibilité d'afficher leurs croyances religieuses ; à toute personne enfin intervenant dans une salle de classe, y compris les parents d'élèves, lorsqu'elle participe à des fonctions similaires à celles des enseignants, et ce depuis la décision de la cour administrative d'appel de Lyon du 23 juillet dernier.
Le service public de l'éducation est donc l'unique service public qui impose à ces usagers - en l'occurrence les élèves - une restriction de la manifestation de leur croyance religieuse.
Finalement, les intervenants à l'extérieur des salles de classe et donc les accompagnants des sorties scolaires sont désormais les seuls à ne pas être soumis dans les activités liées à l'enseignement à ce principe de neutralité religieuse ou a minima à une restriction de la manifestation de manière ostensible de leur appartenance religieuse.
Or qu'est-ce qu'un accompagnateur ? C'est ma troisième question. La fiche relative aux parents d'élèves tirée du vade-mecum de la laïcité précise que le parent accompagnateur « contribue à la bonne marche de l'activité pédagogique » et qu'il a « un devoir d'exemplarité devant tous les élèves concernés par cette activité, dans son comportement, ses attitudes et ses propos ».
Il faut considérer le point de vue de l'enfant qui, à 4 ou même 8 ans, ne fait guère la subtile différence statutaire et réglementaire entre l'accompagnant et l'intervenant : pour lui, il fait face à un adulte, qu'il doit écouter et vers qui il peut se tourner en cas de problème.
Enfin, il est paradoxal de considérer le parent accompagnant comme un simple tiers, alors qu'on prétend vouloir de la coéducation et inclure les parents dans la communauté éducative. Le parent serait-il acteur en tout sauf pendant la sortie scolaire où il devrait rester motus et bouche cousue ? En réalité, le parent est un collaborateur occasionnel du service public qui bénéficie de ce statut en cas d'accident durant le temps de l'activité.
Pour autant, une loi est-elle nécessaire ? C'est ma quatrième question. Je crois sincèrement que la loi est nécessaire pour clarifier la situation des directeurs d'école et des chefs d'établissement. L'étude de 2013 du Conseil d'État n'a pas apporté de réponses suffisamment claires aux acteurs de terrain. Certes, le parent d'élève est un usager du service public de l'éducation et, à ce titre, n'est pas soumis au principe de neutralité religieuse. Mais parallèlement, il revient à l'autorité compétente de déterminer si « des considérations précises relatives à l'ordre public, au bon fonctionnement du service public d'éducation ou à la nature des missions confiées aux parents » justifient l'application du principe de neutralité à l'adulte accompagnant la sortie scolaire. C'est là que naît l'inconfort juridique et donc la nécessité d'une loi.
Plusieurs syndicats de chefs d'établissements et d'inspecteurs nous ont fait remarquer qu'en l'absence de textes clairs, les directeurs apprécient seuls les considérations mentionnées par le Conseil d'État, entraînant en fonction des écoles, parfois dans la même commune, des décisions différentes, ce qui n'est pas acceptable du point de vue du législateur.
Voilà les raisons qui justifient, de mon point de vue, l'adoption de cette proposition de loi. Au-delà du solide travail de notre collègue Jacqueline Eustache-Brinio, la commission a souhaité élargir le champ du texte à toutes les activités liées à l'enseignement, pour prendre en compte l'école hors les murs. En revanche, et logiquement, cette interdiction ne s'appliquera pas aux parents d'élèves si leurs activités ne sont pas liées à l'enseignement : démarches administratives, rencontres avec les enseignants ou fête de l'école...
L'article premier de la loi de 1905, qui est une loi de liberté, rappelle que la République protège la liberté de croire ou de ne pas croire, et d'afficher ou de ne pas afficher ses croyances religieuses. Je le dis avec d'autant plus de force après l'attaque de la mosquée de Bayonne dans mon département.
Mais, à l'école publique, la neutralité a pris une dimension exceptionnelle par rapport aux autres services publics, et ceci depuis 130 ans, afin de protéger de toute influence ce que Jules Ferry appelait « cette chose délicate et sacrée qu'est la conscience de l'élève ». Il nous appartient donc de parachever cette volonté continue qui anime depuis plus d'un siècle le législateur, afin de mieux protéger encore l'école pour mieux protéger l'enfant dont la conscience est en construction. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse . - En ces circonstances, j'exprime ma solidarité avec les victimes de Bayonne. S'en prendre à un lieu de culte, c'est s'en prendre à ce que les hommes considèrent comme sacré et aussi à la République, qui protège la liberté de conscience.
La question posée par cette proposition de loi a été examinée ici même il y a trois mois, lors de l'examen du projet de loi pour une école de la confiance. Ma position reste inchangée par rapport à ce que j'exprimais en repoussant votre amendement que vous avez bien voulu retirer en CMP. Je pensais qu'on en resterait là et je regrette d'avoir aujourd'hui à revenir sur tout cela.
La situation est claire. J'ai dit : pas interdit mais pas souhaitable. Certains m'accusent de porter un jugement de valeur ; d'autres considèrent qu'il faut légiférer : in medio stat virtus. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
La virtus se traduit aussi par le courage. Car il faut du courage aujourd'hui pour désigner les maux qui traversent notre société et non moins de courage pour traduire ensuite une position d'équilibre qui permette de sauver et notre liberté et notre concorde. C'est le trésor de notre République que de nous donner avec la laïcité les clés de la liberté, mais aussi celles de la concorde nationale. C'est une question qui appelle discernement et esprit de responsabilité. En la matière, seul l'intérêt des élèves doit guider nos réflexions et nos débats.
Les sorties scolaires ne sont pas dans le cadre de l'établissement scolaire et les adultes accompagnants ne sont pas des fonctionnaires. La neutralité ne s'applique pas aux usagers du service public, à l'exception des élèves depuis la loi de 2004 - que j'ai jugée excellente.
Les parents accompagnants sont-ils des usagers ou des collaborateurs du service public ?
Le Conseil d'État, dans son étude de 2013, a rappelé que la manifestation des convictions religieuses avait pour limite le trouble à l'ordre public ou au bon fonctionnement du service public. Il indique en particulier que « les exigences liées au bon fonctionnement de l'éducation peuvent conduire l'autorité compétente, s'agissant des parents d'élèves, qui participent à des déplacements ou des activités scolaires, à recommander de s'abstenir de manifester leur appartenance ou leurs croyances religieuses ».
Nous ne sommes donc pas démunis pour regarder au cas par cas si le port de signes religieux par les parents d'élèves excède ce qui relève d'un usage souhaitable. En d'autres termes, s'il y a un risque de prosélytisme ou de pressions inacceptables sur les élèves.
La loi irait au-delà du nécessaire et aurait des effets contre-productifs. La loi ne doit pas régler chaque aspect de la vie courante. C'est ce qu'a rappelé le président de la République lorsqu'il a évoqué les règles de civilité. Qu'un homme refuse de serrer la main d'une femme est choquant. Il est pourtant inenvisageable de légiférer là-dessus. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Philippe Pemezec. - Et pourquoi ?
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. - Montesquieu nous en avertissait déjà : les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires.
En allant au-delà du nécessaire, une loi serait aussi contre-productive parce qu'elle enverrait un message brouillé aux familles. Nous voulons rapprocher les familles des écoles, c'est la meilleure chance d'accomplir le projet républicain.
Car ce que la République veut pour ses enfants, c'est qu'ils puissent grandir, s'épanouir et finalement atteindre l'âge adulte grâce aux lumières que donne l'éducation. Pour cela nous avons besoin d'un pacte entre la famille et l'école. Nous devons envoyer aux enfants le message que les parents sont les bienvenus, et que c'est ensemble, parents et école, que nous assurons leur éducation.
L'école c'est l'espace de la science, de l'argumentation, du discernement.
L'enfant a besoin d'un cadre de neutralité pour forger ses convictions et son esprit critique, dans la plus belle tradition philosophique et scientifique de notre pays.
M. Philippe Pemezec. - Et donc ?
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. - L'histoire de l'école républicaine témoigne de cette volonté collective de mettre nos enfants à l'abri des passions des adultes. Jean Zay, en 1936, a publié une circulaire célèbre qui rappelait que l'école doit rester l'asile inviolable où les querelles des adultes ne pénètrent pas. (On en convient sur les travées du groupe Les Républicains.)
En 1886, la loi Goblet confie à un personnel exclusivement laïc l'enseignement dans les écoles publiques. La loi de 2004, interdisant le port des signes ostentatoires à l'école, s'inscrit dans cette longue tradition républicaine.
Cette laïcité fait désormais largement consensus - elle devrait nous réunir, car elle est le produit du long travail des siècles qui a su distinguer ce qui relève du divin, donc de la conscience de chacun, et ce qui relève du politique et des règles communes à tous. C'est Michel de L'Hospital qui nous met en garde contre les risques de la discorde.
C'est Malesherbe qui s'est battu pour la liberté de pensée dans un esprit d'équilibre, en nous gardant de tout excès. C'est Molé qui a su se lever contre des lois injustes. C'est Portalis qui nous enjoint de ne pas multiplier les lois inutiles et nous dit « qu'il faut être sobre de nouveautés en matière de législation ».
Notre socle de laïcité nous vient de loin, mais la laïcité est aussi le cadre de notre avenir, c'est un principe profondément moderne, attaché à l'idéal républicain, qui est un idéal d'émancipation de chacun par l'éducation, et un idéal d'égalité de tous. (Marques d'approbation)
Cet idéal républicain est à l'envers d'un projet de société qui existe dans d'autres parties du monde, où l'on préfère juxtaposer des communautés plutôt que de faire vivre le contrat social entre gens égaux. Ces sociétés, dont nous ne voulons pas, courent le risque de la fragmentation.
M. Bruno Retailleau. - Très bien !
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. - Nous n'en voulons pas car la vraie chance pour la liberté de conscience c'est de vivre dans un cadre laïc.
La laïcité est un trésor français qui se traduit par un corps de règles. Ce n'est pas un ministre inactif qui s'exprime devant vous.
Plusieurs voix à droite. - Si !
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. - Nous avons produit un vade-mecum de la laïcité, à partir de cas concrets, pour indiquer ce qu'il convient de faire ; nous avons installé des équipes laïcité, mobilisées chaque fois qu'un cas se produit... (Exclamations dans les travées du groupe Les Républicains)
M. Philippe Pemezec. - Du vent !
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. - Le combat est aussi contre la radicalisation. Avec le Sénat, nous avons donné une suite favorable à la proposition de loi Gatel pour renforcer le contrôle sur les établissements privés hors contrat. Je me tiens personnellement informé de l'évolution des écoles sensibles.
Avec la loi Pour une école de la confiance, nous avons renforcé le contrôle de la scolarité à domicile et nous avons interdit tout prosélytisme aux abords des établissements scolaires.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture. - Merci !
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. - Nous n'avons pas besoin de nouvelle loi. Nous avons besoin de continuer notre combat pour la laïcité. La France est laïque et indivisible...
M. Philippe Pemezec. - Justement !
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. - ... démocratique et sociale. Voilà le cap que nous devons garder pour notre école. Redonnons du sens à la République, à l'émancipation de tous, à notre pays qui nous unit, la France. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, SOCR et sur plusieurs travées du groupe RDSE ; M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.)
Renvoi en commission
M. le président. - Motion n°13, présentée par M. Masson.
En application de l'article 44, alinéa 5, du Règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, la proposition de loi tendant à assurer la neutralité religieuse des personnes concourant au service public de l'éducation (n° 84, 2019-2020).
M. Jean Louis Masson . - Monsieur le ministre, vous avez très bien parlé. Il est temps de passer aux actes. Voilà ce qui a manqué non seulement à ce Gouvernement, mais aussi aux précédents présidents de la République.
Cette motion de renvoi en commission vise à resituer la problématique globalement. Un sondage publié le 27 octobre montre que 70 % des Français estiment que la laïcité est menacée par le communautarisme.
Une voix sur les travées du groupe CRCE. - Pas vrai !
M. Jean Louis Masson. - 82 % souhaitent l'interdiction des prières publiques.
Des membres du groupe Les Républicains. - Nous aussi !
M. Jean Louis Masson. - 73 % souhaitent l'interdiction des signes religieux lors des sorties scolaires et 72 % souhaitent que les employeurs puissent les interdire également.
Cette proposition de loi aurait dû aller plus loin. La commission aurait pu compléter le texte initial de manière utile.
Il faut dire non à la radicalisation et à toutes les formes de communautarisme, comme aux flux migratoires où le terrorisme recrute. Pourquoi le terrorisme islamiste vient-il se réfugier en France plutôt que dans les pays musulmans qui auraient les moyens de les accueillir ? (On s'amuse à droite.)
M. Emmanuel Capus. - C'est pas le même droit du travail !
M. Jean Louis Masson. - Pourquoi les bateaux soi-disant humanitaires vont-ils chercher les migrants aux abords des côtes libyennes pour les amener en Europe, alors que les ports d'Algérie, de Tunisie et d'Égypte sont juridiquement sûrs ?
Autrefois, les immigrés voulaient s'intégrer dans notre société ; désormais, ils cherchent à nous imposer leurs us et coutumes plutôt que de s'adapter à notre mode de vie.
Nous avons le devoir de réagir contre toutes les formes de communautarisme qui alimentent le terrorisme.
Le 16 octobre dernier, j'ai rappelé cette nécessité en félicitant l'élu du conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté qui avait eu raison de demander qu'une femme voilée ne soit pas acceptée dans le public de ce conseil de région. La grande majorité des Français pensent comme moi.
Si cette proposition de loi avait été déposée plus tôt sous M. Sarkozy, par exemple, cet incident n'aurait pas eu lieu.
Mme Laurence Cohen. - N'importe quoi.
M. Jean Louis Masson. - J'ai déposé un groupe d'amendements pour interdire le port du burkini et les horaires séparés pour les femmes dans les piscines ; un autre groupe pour interdire le port du voile dans les emplois de tout secteur, au sein des assemblées territoriales et dans les sorties scolaires.
Enfin, mon troisième groupe d'amendements, qui portait sur l'égorgement des animaux destinés à la consommation des musulmans, n'a pas pu être enregistré. (Mme Laurence Cohen hue.)
Le communautarisme ne doit pas l'emporter ! Pourquoi lui donner plus de droits ? Au nom de quoi, alors que je n'irais pas me baigner tout habillé dans une piscine, on autoriserait tel ou tel à se baigner intégralement habillé ?
Mme Samia Ghali. - Hors sujet !
M. Jean Louis Masson. - Le problème n'est pas de religion, mais de propreté. Chacun est tenu de prendre une douche avant d'entrer dans une piscine, musulman ou pas ! (Brouhaha)
Les positions sur ces questions caractérisent le renoncement de nos dirigeants. Idem pour les abattoirs : on proteste au nom du bien-être animal, et sous prétexte d'un rituel, on peut laisser un animal agoniser pendant dix minutes.
M. Stéphane Piednoir. - Quel rapport ?
Mme Samia Ghali. - Il y a des sorties scolaires aux abattoirs ?
M. Jean Louis Masson. - Le code civil est pourtant clair sur le sujet qui interdit de faire souffrir les animaux - donc les modes d'abattage de certaines religions, par des méthodes qui relèvent d'une cruauté d'un autre âge... (Les sénateurs de gauche scandent le compte à rebours du temps de parole de M. Masson, puis frappent en rythme leur pupitre pour couvrir sa voix.)
M. Max Brisson, rapporteur. - Mon espérance est déçue. J'imaginais que nous ne parlerions que de l'école... Les professeurs et les élèves le méritent. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains ; Mme Josiane Costes applaudit également.)
M. Masson n'aura pas manqué de temps pour parler de sujets qui ne relèvent pas de notre commission.
Notre position se restreint au code de l'éducation et à l'enseignement. La sortie scolaire relève du temps de la classe.
Et voilà que vous venez d'importer tout un débat extérieur, alors qu'il s'agit de défendre l'innocence et la liberté d'apprendre des enfants. Avis défavorable. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains ; Mme Josiane Costes applaudit également.)
Mme Samia Ghali. - L'intervention de M. Masson me conforte dans l'idée que cette proposition de loi n'a pas lieu d'être. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM) Elle stigmatise.
M. Bruno Sido. - Pas du tout.
Mme Samia Ghali. - D'où que nous venions, nous sommes avant tout des Français !
M. Pierre Charon. - Et les femmes voilées ?
Mme Samia Ghali. - Vous avez mis les femmes voilées en accusation dans ce texte. Je suis triste pour elles. J'en appelle au président de la République garant d'une juste paix. Il est temps de siffler la fin de la récréation, car ce spectacle n'est pas digne de notre pays. (Protestations à droite)
Une maman qui accompagne son enfant en sortie scolaire ne veut qu'aider l'école de la République.
M. Alain Joyandet. - Justement !
Mme Samia Ghali. - Si l'école n'est pas d'accord, il faut qu'elle emploie des intervenants. (Mmes Pascale Gruny et Catherine Troendlé et M. Alain Joyandet protestent ; plusieurs sénateurs Les Républicains scandent le compte à rebours du temps de parole de Mme Ghali ; Mme Laurence Cohen applaudit.)
Mme Josiane Costes. - Le groupe RDSE ne votera pas cette motion. Nous voulons un débat, surtout au vu de ce que nous avons entendu. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur quelques travées du groupe UC)
La motion n°13 n'est pas adoptée.
Discussion générale (Suite)
M. Laurent Lafon . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Cette proposition de loi a fait l'objet de nombreux débats dans l'opinion publique. L'encadrement législatif est-il suffisant ou doit-il être complété ? Notre souci est de préserver l'esprit des lois d'équilibre de 1905 et de 2004. Le voile, comme toute autre tenue inspirée par la religion, n'est pas interdit en France - à condition qu'elle ne trouble pas l'ordre public. Son usage en revanche est encadré notamment pour préserver la neutralité dans les services publics et protéger l'enfant dans l'école alors que sa conscience n'est pas encore formée.
Qu'en est-il des sorties scolaires ? Les instructions ministérielles le précisent, ce qui ne suffit manifestement plus. Si cette proposition de loi est votée, l'accompagnement des sorties scolaires ne relèvera plus des seuls directeurs d'école, mais de la loi : c'est un apport appréciable. (Mmes Catherine Troendlé et Jacqueline Eustache-Brinio applaudissent.)
Autre apport, cette loi définit le temps d'école hors l'école, ce qui interdit qu'un élève remette un signe ostentatoire d'une religion lorsqu'il sort du bâtiment scolaire pour participer à une sortie scolaire, ce que rien n'interdit pour l'instant expressément.
Le texte distingue aussi utilement le statut d'intervenant et d'accompagnant. L'un participe à l'enseignement, l'autre non. La jurisprudence de la cour administrative d'appel de Lyon n'est pas suffisante sur le sujet. En 2013, le Conseil d'État a attribué le statut de collaborateur exceptionnel du service public aux accompagnants. Les sorties scolaires ne doivent pas devenir le symbole de l'intrusion du religieux à l'école.
Car quid de l'école à domicile et des écoles hors contrat ? (M. Jacques Grosperrin le confirme ; applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. David Assouline applaudit également.)
Nous ne pouvons faire abstraction de l'emballement médiatique de ces derniers jours qui a mélangé tous les débats. Ne cédons pas à cette confusion. Ce qui gêne dans cette proposition de loi n'est pas tant son contenu que le contexte dans lequel elle intervient, fait d'amalgames et de positions caricaturales. Est-ce la vocation du Sénat de participer à un tel débat sans sérénité ?
Une voix à droite. - Oui !
M. Laurent Lafon. - Mieux vaudrait simplement rappeler lucidement ce qui fait notre Histoire et les valeurs de notre République. C'est ce que le Sénat a su faire avec les travaux de nos collègues Nathalie Goulet et André Reichardt, rapporteurs de la mission d'information sur l'organisation, la place et le financement de l'Islam en France et de ses lieux de culte - et encore avec la proposition de loi Gatel sur l'encadrement des écoles hors contrat.
La voie est étroite entre la lutte contre la radicalisation et la sécurité de ne pas se couper de la communauté musulmane.
M. le président. - Il faut conclure !
M. Laurent Lafon. - Le groupe UC aura des votes partagés sur ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Indépendants)
Mme Sylvie Robert . - Il y a de grandes lois auxquelles il ne faudrait jamais toucher, ou au moins à leurs principes tels que définis aux articles 1er et 2 de la loi de 1905 qui définissent la laïcité.
Il y a malheureusement des lois opportunistes, comme celle-là. La jurisprudence administrative actuelle est claire : les accompagnants sont des usagers du service public de l'éducation, et ne sont donc pas soumis à l'obligation de neutralité. Mais cela ne convient pas à votre idéologie. Avec ce texte, vous ne remédiez à aucun flou, vous posez un problème juridique en tripatouillant la loi. Au final, vous vous retrouvez à élargir le périmètre d'interdiction en matière de signes religieux ostensibles, qui prévaut en l'état pour les élèves, aux parents accompagnateurs, tout en tendant à les assimiler au régime applicable aux agents publics.
Quant aux directeurs d'école, il serait préférable de faciliter leur quotidien plutôt que de les empêcher d'organiser des sorties scolaires.
Notre rapporteur a déclaré dans un communiqué que certains d'entre nous étaient partisans d'une laïcité accommodante, quand lui défendait une laïcité intransigeante.
Monsieur le rapporteur, je défends la laïcité comme vous, ne la qualifions pas, cela l'affaiblit et la vide de sa substance pour mieux y substituer sa propre conception. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR ; murmures sur les travées du groupe Les Républicains)
Laissons à chacun la liberté de croire ou de ne pas croire, dans un esprit de concorde et de tolérance. Comme l'a dit Robert Badinter, c'est l'une des grandes barrières contre le poison du fanatisme.
La laïcité interroge avant tout notre rapport individuel et collectif à l'altérité, la manière dont nous parvenons, ou non, à vivre en société. Elle est la pierre angulaire sur laquelle repose notre socle commun, et il est terrible de constater que c'est en l'instrumentalisant que certains mettent en danger la communauté nationale.
Immigration, islam, communautarisme, quartiers, radicalisation... arrêtons de tout confondre ! Oui, la République a certainement des terres à reconquérir. Mais cela est un problème autrement plus grave que ce texte : en excluant les mères voilées, on les éloigne de la République.
Ne nous trompons pas de combat en faveur de la République. Comme le disait Aristide Briand, nous n'avons pas le droit de faire une loi qui ébranle la République ! (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et LaREM ; M. Pierre Laurent applaudit également.)
Mme Françoise Laborde . - En supprimant un amendement sénatorial lors de la commission mixte paritaire sur l'école de la confiance, les députés ont choisi de laisser prospérer un vide juridique sur le port du voile par les accompagnants de sorties scolaires. Notre collègue a donc déposé cette proposition de loi en juillet. Mais deux évènements médiatiques ont remis la question au centre du débat : l'affiche incompréhensible de la FCPE - dont les statuts et l'histoire sont pourtant laïcs - et dans la provocation absurde d'un conseiller régional du Rassemblement national qui ne connaît pas les règles d'accueil du public dans l'enceinte de sa collectivité, ni les droits de cette mère d'élève à accompagner une sortie scolaire dans l'état actuel des textes.
L'insécurité juridique est préjudiciable à tous. Les circulaires dont les interprétations ont varié, et la jurisprudence ne suffisent pas. Il revient au législateur de trancher cette situation avant qu'elle ne devienne explosive et instrumentalisée par les extrêmes.
En 2013, le Conseil d'État, dans une étude, répondant à une saisine du Défenseur des droits, avait encouragé le législateur à clarifier la situation. En s'appuyant sur un arrêt de 1941, il soulignait : « entre l'agent et l'usager, la loi et la jurisprudence n'ont pas identifié de troisième catégorie de collaborateurs ou de participants qui serait soumise en tant que telle à l'existence d'une neutralité religieuse ».
La loi du 15 mars 2004 impose la neutralité aux usagers - les élèves - afin de les protéger contre toute forme de prosélytisme. Elle leur interdit aussi de manifester leur appartenance religieuse pendant le temps pédagogique. Pourtant, les accompagnants des sorties scolaires peuvent manifester leur appartenance religieuse.
Or, les sorties viennent en appui au programme ; il faut donc lever l'ambiguïté en nous appuyant sur le concept de neutralité.
Depuis Jules Ferry, la neutralité s'applique aux agents, aux enseignants et aux usagers. Depuis l'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 23 juillet, elle s'applique aussi aux intervenants à l'intérieur des classes.
La sortie scolaire prolonge l'activité scolaire, sur le temps scolaire, avec des visées pédagogiques, c'est un prolongement de l'enseignement. (Mme Catherine Troendlé confirme.)
La démarche volontaire de l'accompagnant n'a pas vocation à être un droit. Il ne vient pas dans le but d'être avec son enfant, mais pour aider l'enseignant à encadrer toute la classe.
Le texte de la commission est satisfaisant : il soumet les accompagnants et les agents aux mêmes obligations et aux mêmes valeurs.
Les membres de mon groupe se prononceront individuellement en conscience. Pour ma part, je le voterai. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et Les Républicains ; M. Yves Détraigne et Mme Françoise Férat applaudissent également.)
M. Antoine Karam . - Quelques jours après l'outrance prétendument laïque d'un membre du Rassemblement national - qui aurait dû présenter publiquement ses excuses - nous avons droit à un débat nauséabond. Cette polémique fait le lit de tous les extrêmes. Ne pas céder aux provocations est un acte républicain.
Je m'étonne de ce texte alors que la droite sénatoriale s'était opposée il y a deux ans à la suppression de la rémunération des prêtres en Guyane... (M. Pierre Ouzoulias applaudit.)
Monsieur le ministre, vous avez rappelé les principes qui régissent la laïcité de notre République : c'est la liberté de croire ou ne pas croire, mais aussi l'égalité de tous devant la loi, quelles que soient nos croyances ou convictions. C'est aussi la stricte neutralité de l'État à l'égard du fait religieux.
L'objectif annoncé de ce texte est de clarifier la situation, en créant une nouvelle catégorie de personnes qui participe au service public de l'éducation. Or la jurisprudence est claire en qualifiant les accompagnants d'usagers du service public. Sachant qu'ils sont bénévoles, cela me semble sage, car il ne peut s'agir de collaborateurs occasionnels. En revanche, il revient aux chefs d'établissement de prévenir tout acte prosélyte qui nuirait au bon fonctionnement du service public.
Aristide Briand, rapporteur de la loi de 1905, le disait bien : « Le silence du projet de loi n'a pas été le résultat d'une omission (...). Il a paru à la commission que ce serait encourir (...) le reproche d'intolérance et même s'exposer à un danger plus grave encore, le ridicule, que de vouloir, par une loi qui se donne pour but d'instaurer un régime de liberté, imposer de modifier la coupe de ses vêtements ».
Une fois les religions séparées de l'État, le voile, la croix, la kippa, le foulard ou le turban deviennent des vêtements comme les autres.
Ce bel usage qui veut que les enseignants fassent appel aux parents pour participer à une sortie scolaire se passe déjà dans le cadre d'un dialogue confiant. Il est possible de les encourager à ne pas porter de signe religieux - ce qui reste une tolérance, et non un droit. (M. Philippe Pemezec ironise.)
L'affiche revendicatrice de la FCPE me semble donc aussi inadaptée que cette proposition de loi.
Dans certaines écoles, l'interdiction du foulard mettrait les enseignants dans une grande difficulté.
Ne cédons pas à la tentation de faire de la laïcité un territoire guerrier sur lequel nous lutterions contre le communautarisme. En cette matière, notre assemblée a su, à l'initiative de notre collègue Françoise Gatel, apporter une réponse législative adaptée pour mieux contrôler les écoles hors contrat. Nous devons aussi travailler à des solutions efficaces pour lutter contre la déscolarisation et mieux contrôler l'enseignement à domicile.
J'entends parler de courage de légiférer. Mais le véritable courage, ne serait-il pas d'assumer le principe selon lequel, la liberté doit être la règle et la restriction de police l'exception ?
La laïcité est ce qui permet de vivre dans notre société. Notre groupe s'opposera donc à cette loi inutile et inadaptée. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM ; Mmes Nassimah Dindar et Michèle Vullien applaudissent également.)
M. Jean Louis Masson . - (Exclamations sur diverses travées) Comme je le disais tout à l'heure, il faut une réponse globale aux dérives communautaristes. Le port du voile prend, dans certains quartiers, une telle ampleur qu'on peut se demander si on est encore en France. Si nous en sommes arrivés là, c'est le résultat d'un laxisme généralisé.
Je me réjouis de cette proposition de loi, que ses auteurs auraient dû faire adopter lorsque Nicolas Sarkozy était président !
M. Stéphane Piednoir. - C'est une obsession !
M. Jean Louis Masson. - Pourquoi n'en parler que lorsqu'on est dans l'opposition ?
Mme Sophie Primas. - On espère bien que vous y resterez longtemps !
M. Jean Louis Masson. - Malgré la complaisance des bien-pensants face au communautarisme, parfois dans un but électoraliste...
Mme Esther Benbassa. - Où sont les bien-pensants ?
M. Jean Louis Masson. - ... le ministre de l'Intérieur s'est inquiété, à juste titre, de « Molenbeeks » à la française où sévit et s'épanouit le communautarisme. Ainsi, un maire de ma région s'est vanté de gagner le suffrage des musulmans en finançant à 100 % la construction d'une mosquée.
M. Pierre Ouzoulias. - C'est interdit !
M. Jean Louis Masson. - C'est autorisé en Alsace-Lorraine ! (Rires)
Une voix à gauche. - Pour les autres religions aussi !
M. Jean Louis Masson. - Il a aussi financé une école coranique et il s'est même vanté de décorer les lampadaires de croissants islamiques dans la rue allant à la mosquée.
M. le président. - Votre temps de parole est écoulé.
M. Pierre Ouzoulias . - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE) Ces dispositions ont déjà été votées par le Sénat dans le cadre de la loi pour l'école de la confiance. Mais votre majorité a choisi de ne pas les retenir lors de la CMP. Elle a accepté cette « concession mineure » selon l'expression du rapporteur, parce qu'un autre amendement a été intégralement repris dans la loi définitive. Intégré dans le code de l'éducation par l'article L. 141-5-2, il indique que « Les comportements constitutifs de pressions sur les croyances des élèves ou de tentatives d'endoctrinement de ceux-ci sont interdits dans les écoles publiques et les établissements publics locaux d'enseignement, à leurs abords immédiats et pendant toute activité liée à l'enseignement ».
Pourquoi avoir déposé moins d'une semaine après l'adoption de ce texte cette proposition de loi ? C'est un prétexte pour dire qu'il y a des pratiques religieuses incompatibles avec la République.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Eh oui !
M. Pierre Ouzoulias. - Elle nourrit la suspicion plus générale selon laquelle certains de nos concitoyens, par leur origine familiale, leur religion ou leur tradition, ne pourraient pleinement appartenir à la Nation, qu'il y aurait des dispositions religieuses fondamentalement incompatibles avec la citoyenneté républicaine. Un lien de causalité pourrait même être établi entre une pratique religieuse d'ordre vestimentaire, la volonté de créer au sein de la République des communautés souhaitant échapper à ses lois et ce que Amin Maalouf appelle très justement « Les Identités meurtrières qui se construisent dans la haine d'autrui ».
Le caractère laïc de la République figure dans la Constitution de 1946 grâce à un amendement du député communiste Étienne Fajon.
L'article premier déclare ainsi : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ». Il fut complété dans la Constitution de1958 : « Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances ». L'essentiel est dit et la force de ces principes constitutionnels devrait nous inciter à plus de retenue, de circonspection et de sagesse dès que l'on tente de les corriger pour en atténuer la portée.
Cette exigence est d'autant plus impérieuse depuis l'attentat contre la mosquée de Bayonne. La laïcité ne peut être l'instrument de l'exclusion. L'égalité des droits et des devoirs doit s'exercer sans distinction de naissance ou de religion.
Les défenseurs d'une laïcité prétendument intégrale, oublient que jadis le chanoine et député Félix Kir montait à la tribune en soutane.
M. Stéphane Piednoir. - Jadis !
M. Pierre Ouzoulias. - Désormais la neutralité devrait même s'étendre à tous les services au public, même privés !
Ce débat mérite mieux que ce texte. Notre groupe est prêt à s'y atteler. La laïcité doit être au service de l'émancipation intellectuelle, politique et sociale.
Monsieur le rapporteur, vous avez cité Jean Zay, assassiné par la Milice, qui a, dans deux circulaires, interdit dans les écoles la propagande politique et confessionnelle. En 1939, alors que le ministre de l'Intérieur Albert Sarraut voulait renvoyer les enfants de réfugiés républicains espagnols, ce même Jean Zay s'y opposa au nom de notre vision humaniste et universaliste de l'école. C'est toujours elle qui nous inspire : nous voterons donc contre votre texte. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SOCR et LaREM)
Mme Colette Mélot . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les indépendants) Je m'interroge sur l'opportunité de débattre de cette proposition de loi qui porte sur le port du foulard des mamans accompagnatrices de sorties scolaires et rien d'autre.
Laïcité de l'État, pas de la société. Cela veut dire que la France garantit la liberté de conscience et de pratique, lorsqu'elles respectent les valeurs républicaines. J'ai enseigné à Melun dans un collège d'éducation prioritaire. J'y ai aussi été adjointe au maire pendant 30 ans. Il est caricatural de prétendre que la totalité des femmes qui portent le voile l'utilisent comme l'étendard d'un projet islamique. Les mamans accompagnatrices défendent simplement leurs convictions dans une société ouverte. Voulons-nous les empêcher d'accompagner les sorties scolaires, ghettoïsant encore plus les enfants de certains quartiers ?
Interdire le port du voile à ces femmes les stigmatise, les enferme dans leurs pratiques, empêche l'islam d'évoluer avec la société. L'école est parfois leur seul lieu de socialisation pour ces femmes.
Laïcité de l'État, non de la société, cela veut aussi dire ne pas céder aux pressions et aux caricatures, apaiser les tensions entre communautés. L'État n'a pas à se plier aux revendications communautaires.
Enfin, nous devons protéger tous les enfants du prosélytisme, faire confiance à l'intelligence des enseignants, des directeurs d'établissements et éventuellement du juge pour garantir la laïcité.
La réponse au communautarisme n'est pas la stigmatisation qui exacerbe les tensions. L'école doit rester un sanctuaire, un abri pour permettre à tous les enfants de grandir avec les valeurs républicaines. La France ne saurait écarter une communauté qui reflète une partie d'elle-même.
Pour autant, cette tolérance n'est pas sans limites. J'en vois pour preuve l'interdiction du voile intégral en 2010, l'obligation de neutralité religieuse à l'école en 2004, le récent renforcement du contrôle des écoles coraniques et des enfants déscolarisés. D'autres lois viendront probablement sur la formation et le contrôle des imams, sur le mode de financement des mosquées, sur l'évolution de notre système d'intégration.
La réponse la plus saine pour désamorcer les tensions est de réaffirmer les principes : de tolérance, de liberté de conscience, de fraternité et de partage des valeurs de la République. Nous ne devons pas combattre le voile des mamans en sortie scolaire, mais l'obscurantisme religieux qui se développe, le glissement d'une partie des musulmans vers une pratique radicale de l'Islam. Latifa Ibn Ziaten, mère d'une victime de Mohammed Merah, illustre sans relâche ce combat. Elle s'exprime partout sans problème.
M. le président. - Il faut conclure.
Mme Colette Mélot. - Les membres de mon groupe voteront en leur âme et conscience (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants et UC)
M. Jérôme Bascher . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Ce n'est pas parce que quelques-uns hystérisent le sujet qu'il ne faut pas le traiter : nous n'avons que trop tardé... Charles Péguy disait : « il faut dire ce que l'on voit, mais il est difficile de voir ce que l'on voit ». Ce sont les extrémistes de tout bord qui se sont emparés, non pas du débat, mais des failles dans les lois de notre République.
Sur mon initiative, le Sénat avait réaffirmé le principe de laïcité pendant les sorties scolaires lors de l'examen du projet de loi sur l'école de la confiance. Certains n'y ont vu que du racisme, voire de la haine contre les musulmans. Nous sommes bien en-dessous d'Atatürk. L'enjeu, c'est notre modèle républicain, le creuset de notre école républicaine sans distinction de race, de sexe et, à l'initiative de Portalis, de religion. Voulons-nous abandonner le combat des féministes, chère Laurence Rossignol ? (Mme Laurence Rossignol s'étonne d'être mise en cause.)
Ne trahissons pas Aristide Briand ! Nous risquerions de vivre face à face, plutôt que côte à côte...
Sans texte clair, sans cadre légal, les positions seront inconciliables. Trente ans après l'affaire du foulard de Creil - je suis sénateur de l'Oise, avec Olivier Paccaud et Laurence Rossignol - il est temps de passer aux actes. Robert Badinter l'a dit : « Ce qui n'est pas illégal n'est pas forcément bienvenu ». Porter le voile n'est pas une prescription canonique.
M. David Assouline. - C'est le café du Commerce ?
M. Jérôme Bascher. - Sans distinction de sensibilité, nous ne devons pas abdiquer pour les croyants, les agnostiques, les athées. Face aux extrémistes, nous ne pouvons pas avoir la main tremblante au moment de voter ce texte !
M. David Assouline. - Quel courage !
M. Jérôme Bascher. - Je vous demande, chers collègues, de voter pour l'honneur, le bon sens, l'intérêt supérieur de la Patrie, comme l'aurait dit le Général ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)
M. Philippe Pemezec . - (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains) Il y a un an, monsieur le ministre, nous débattions de la tenue des accompagnants de sorties scolaires. J'ai écouté, religieusement, (On s'amuse sur les travées du groupe RDSE.) votre réponse ambiguë : je suis plutôt d'accord avec vous, mais la loi est la loi... Les choses n'ont pas évolué depuis...
Ce qui est en question dans cette affaire, c'est la remise en cause régulière des valeurs de notre société et de notre vivre ensemble par les tenants d'une vision de l'islam communautariste et radical.
Ce texte lève cette ambiguïté, après vingt ans d'hésitation et de manque de courage. Cette ambiguïté a alimenté les tensions, attisées par les tenants d'un islam politique qui tentent de remettre en cause notre société et ses valeurs républicaines.
Les sorties scolaires sont bien effectuées durant le temps scolaire ; les accompagnants sont des collaborateurs occasionnels du service public. Les règles de neutralité doivent donc s'appliquer à eux aussi. L'école est le reflet de notre société, mais aussi là où la France de demain se construit.
On ne réglera pas le problème du communautarisme qui ronge la société française avec de jolies citations. L'Archipel français de Jérôme Fourquet montre bien que nous avons échoué à le combattre. Aujourd'hui, les maires et les directeurs d'école gèrent tant bien que mal ces questions.
Que dire du prosélytisme, des menus scolaires, des revendications et horaires spécifiques pour les femmes à la piscine ? La religion doit s'exercer dans le seul cadre privé.
A-t-on jamais forcé un parent d'élève à accompagner une sortie scolaire ? Si pour une mère de famille retirer son voile et montrer ses cheveux est insupportable, elle peut rester chez elle, mais qu'elle ne prétende pas collaborer à un service public laïc et démocratique si elle ne veut pas en accepter les règles.
C'est un véritable rapport de force qu'engagent ces femmes qui brandissent le voile comme un étendard.
Il faut, pour y répondre, avoir le courage d'entendre ce que disent les Français dans ces quartiers qui s'enfoncent peu à peu dans le communautarisme. Quelqu'un a dit lors d'un débat qu'il suffisait que tout le monde mange halal pour régler le problème et pourquoi pas casher ?
Personnellement, je préfère le poisson le vendredi... (Protestations à gauche) Je crois dans la France, aux valeurs de la République ! Nous devons voter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Laurence Rossignol . - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) Les auteurs de cette proposition de loi ont dû se demander si ce débat tombait bien.
J'ai le sentiment très désagréable d'être prise dans un étau. D'un côté la haine, le racisme, de cette partie de la France qui n'est pas laïque, qui déteste les Arabes, les musulmans, et qui n'a jamais tant aimé la France que quand elle n'était pas la France... (Protestations à droite)
Mes chers collègues de la droite, ne vous émouvez pas lorsque je parle de l'extrême droite ! Je ne parlais pas de vous... (Mêmes mouvements)
L'autre pièce de l'étau, c'est l'extension de l'emprise religieuse dans la société française et, entre autres, celle de l'islam politique. Car, si la foi relève de l'intime, la religion est une question politique. La première étape stratégique des doctrinaires passe par la réislamisation des musulmans de France. Il s'agit de communautariser les musulmans autour du fait religieux dans l'espace public en opposant une pratique religieuse de plus en plus rigoriste à la laïcité républicaine. Le voile est l'objet symbolique de leur visibilité, même si, paradoxalement, cette visibilité passe par l'invisibilité des femmes. (Marques d'approbation à droite)
Si le voile devient objet de racisme, il devient aussi symbole de la résistance au racisme. C'est le scénario de l'escalade... D'un côté Dijon, et son conseiller départemental haineux, de l'autre la coalition des naïfs qui laisse prospérer l'islam politique. Je ne suis ni d'un côté ni de l'autre. Ce n'est pas pleutre, mais prudent. Or cette proposition de loi n'y contribuera pas : ce sera même du pain béni pour les islamistes.
Défendre la laïcité, c'est en faire un usage juste et constant, non exalter l'identité chrétienne ni convoquer les évêques à tout bout de champ pour solliciter leur avis sur le droit des femmes à disposer de leur corps ! La laïcité suppose la justice et l'égalité.
On a cité un récent sondage approuvant cette proposition de loi sans mentionner que la plupart des répondants voulaient étendre l'interdiction à tous les usagers du service public : halls des hôpitaux, bureaux de poste, à la CAF, dans les mairies... Êtes-vous prêts à les suivre ? Aujourd'hui non, mais dans un ou deux ans, selon le contexte ? (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR ; M. François Patriat applaudit également.)
Nous payons aujourd'hui l'abandon des quartiers populaires. Tant qu'un jeune avec un prénom musulman aura cinq fois moins de chance de trouver un emploi que les autres...
Mme Catherine Troendlé. - Ce n'est pas vrai !
Mme Laurence Rossignol. - ... comment croira-t-il à l'égalité républicaine ? (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)
Cette proposition de loi va-t-elle réduire la fracture actuelle, allons-nous désarmer les haineux de tout bord, allons-nous nous extraire du face à face sinistre des identitaires des deux camps ? Non.
Le groupe SOCR ne votera pas cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR et sur quelques travées du groupe LaREM)
Mme Pascale Gruny . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La France est une République laïque : c'est une règle qui doit la ressembler. La laïcité est un droit et un devoir. Le législateur a fait de l'école un espace neutre. Cette conquête s'est faite par étapes : en 2004 les signes ostensibles d'appartenance religieuse étaient interdits dans l'enceinte scolaire.
Ce texte est une nouvelle étape. Je ne comprends pas l'attitude du président de la République qui dit que le port du voile n'est pas son affaire. Chaque sortie scolaire nourrit un projet pédagogique : on ne peut distinguer l'enseignement délivré en classe de l'école hors les murs, dans le gymnase ou la salle municipale.
La jurisprudence tend vers la neutralité religieuse des parents d'élèves. En témoigne le récent jugement de la cour administrative d'appel de Lyon.
L'ambivalence du Gouvernement est source de polémiques et de tensions. Monsieur le ministre, vos collègues ont multiplié les prises de position contradictoires - les limites du « en même temps ».
Un récent sondage donne 66 % des Français favorables à notre proposition de loi, qui prône la liberté et la tolérance pour tous.
Jacques Chirac déclarait en 2003 que la laïcité symbolisait notre cohésion nationale, notre aptitude à vivre ensemble et à nous réunir sur l'essentiel. Seize ans plus tard, ce texte y répond.
Monsieur le ministre, la sortie scolaire est-elle du temps scolaire ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Jean-Michel Blanquer, ministre . - Si un Huron pénétrait dans votre Haute Assemblée pour assister à notre débat, il constaterait que c'est bien la laïcité, comme principe fondamental, qui nous réunit, sur l'ensemble des bancs. Tel n'a pas toujours été le cas. (On approuve sur des travées du groupe SOCR.) La laïcité est un trésor, un outil de concorde nationale. Il en va de même de la lutte contre le communautarisme, contre la radicalisation. Il importe de montrer que pour la Représentation nationale, le sujet n'est donc pas le « pourquoi » - la base du contrat social - mais le « comment » : par quel chemin arrivons-nous à une laïcité effective, luttant contre le communautarisme, la radicalisation, pour bâtir une République de citoyens égaux.
J'ai mené sur ce plan des actions très concrètes, depuis deux ans et demi, beaucoup plus que ce qui a été fait dans les quinze années précédentes.
M. Bruno Retailleau. - La loi de 2004 !
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. - Certes, mais rien d'aussi important n'a été fait depuis lors.
Une citation a été présentée comme la mienne qui est en réalité apocryphe. J'ai toujours dit que le droit actuel nous permettait d'agir de manière pertinente.
La question que pose l'examen de cette proposition de loi est : nous aidera-t-elle ? Je pense que non. On doit respecter les chemins différents pour aboutir au même résultat. Mais soyons attentifs au sens des mots, comme l'a souligné Laurence Rossignol.
J'ai dit la même chose que Robert Badinter - auquel vous avez fait référence - en résumant ainsi l'état du droit actuel : « pas interdit mais pas souhaitable ».
Certains sujets relèvent de la loi, d'autres non. Si nous prenions le temps d'un débat serein sur la question nous pourrions nous accorder sur une action qui nous mène vers une laïcité du quotidien, pour faire reculer le communautarisme, dont je déplore l'essor dans les espaces comme dans les esprits : je suis le premier à le dire et à me battre contre cela.
Nous devons être clairs mais aussi efficaces. Atteindra-t-on notre objectif ? Je vous ai répondu mais chacun a sa réponse. L'essentiel est de nous retrouver sur l'image d'une France, unie sur l'essentiel, parce qu'elle mise sur son contrat social, où la laïcité est centrale. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM et sur quelques travées des groupes UC et SOCR)
La discussion générale est close.
Discussion des articles
ARTICLE PREMIER
M. Max Brisson, rapporteur . - Je vous remercie, monsieur le ministre, d'avoir, par vos propos apaisants, replacé le débat au bon niveau, comme nous avons essayé de le faire en commission, en le centrant sur la manière dont l'école publique s'est construite. L'école de la République a une histoire très particulière et très française.
M. David Assouline. - C'est l'histoire de la gauche !
M. Max Brisson, rapporteur. - Pas seulement, car un fort consensus s'est construit sur cette histoire de l'école laïque.
La seule chose qui est inscrite dans l'article premier, c'est la volonté du législateur de poursuivre le travail dans le droit fil des pères fondateurs de l'école, en étendant la laïcité et en considérant que l'accompagnateur participe à une activité d'enseignement. La sortie scolaire, c'est la classe hors les murs. Elle doit être protégée, autant que l'école dans ses murs.
Oui, tout au long de nos débats, pensons à ce temps d'activité pédagogique et protégeons-le ! (Bravos et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)
M. Olivier Paccaud . - N'est-il pas de bon sens que les participants au service public de l'éducation via ces activités scolaires respectent ces valeurs ?
Notre société est de plus en plus fracturée par les tensions communautaires. Faire Nation est de plus en plus compliqué. Vivre ensemble n'est plus une évidence. Or il reste un lieu d'épanouissement qui doit être sanctuarisé : l'école de la République. L'école et la République sont en effet consubstantielles.
L'école a pris en charge tous les enfants, ceux dont les parents croyaient au ciel et ceux dont les parents n'y croyaient pas.
Il y a eu les lois de 1881, 1882 et 1905, mais aussi celle de 2004 que nul ne remet en cause malgré 15 ans de polémique, après l'affaire de l'établissement de Creil dans ce département de l'Oise que nous représentons ici avec Jérôme Bascher et Laurence Rossignol.
Pourtant, à l'époque, certains refusaient de légiférer et prédisaient que des établissements scolaires se videraient. Ce n'a pas du tout été le cas ! (Quelques applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Pierre Ouzoulias . - Le voile n'a rien d'anodin. J'en parlerai avec le point de vue neutre de l'historien, mais aussi de l'athée que je suis. Dans les trois religions du Livre, le voile est la manifestation vestimentaire de la position particulière des femmes dans la société. Tertullien, dans Le Voile des vierges - De Virginibus velandis - écrivait en substance : « Tout est féminin dans une tête de femme. Tout ce que les cheveux peuvent recouvrir, voilà le domaine du voile, de façon qu'il enveloppe aussi la nuque. » C'est la nuque qui doit être soumise. Le voile est son joug : velamen jugum illarum est.
L'historienne Rosine Antoinette Lambin montre que le christianisme est le premier monothéisme à avoir construit la théorie religieuse de la morale de la coiffure féminine. Et de conclure que le voile est de souche méditerranéenne, à la fois occidental et oriental. Ce n'est pas à nous de légiférer de manière théologique. En revanche, dans notre travail législatif, seules comptent les lois que nous nous donnons à nous-mêmes et rien ne doit nous être imposé. Nous devrons nous en souvenir lors du débat bioéthique. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur plusieurs travées du groupe SOCR)
M. Stéphane Piednoir . - Notre débat illustre la complexité des rapports que nous entretenons, nous Français, avec la religion. Nos racines sont judéo-chrétiennes. On trouve bien quelques laïcards aigris pour le contester, comme une sorte de revanche sur l'histoire. (Murmures sur plusieurs travées à gauche) Chose étonnante, ce sont les mêmes qui défendent l'étalage sans entrave de l'exercice d'autres cultes dans l'espace public. Le voile, ce bout de tissu, est un emblème. Il est tout sauf insignifiant ! Faut-il être à ce point irrationnel pour refuser de voir que les sorties scolaires sont du temps scolaire ?
Demandons aux accompagnants d'enlever pour quelques heures ce bout de tissu, le temps des sorties scolaires, sans que cela les prive du droit, garanti par la Constitution, de pratiquer leur religion. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)
M. Patrick Kanner . - Pourquoi donc cette proposition de loi ? Sommes-nous à ce point submergés par des incidents de prosélytisme en sortie scolaire ? Ou sommes-nous face à une instrumentalisation de la laïcité, par calcul politique ? Les pourfendeurs de notre modèle républicain peuvent se réjouir ! Ils auront beau jeu de dénoncer l'interdiction et l'exclusion ! On ne répond pas à une vision totalitaire de la société par l'institution d'une intolérance vécue comme une humiliation.
Je suis interpellé par la laïcité à géométrie variable qui pousse la droite à rejeter le grand service public laïc unifié de l'Éducation nationale et l'intégration de l'Église dans le répertoire des influenceurs...
Richelieu a dit : « la politique, c'est l'art de rendre possible le nécessaire ». Cette proposition de loi n'est pas nécessaire. Nous voterons contre. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR et sur quelques travées du groupe LaREM)
M. Alain Joyandet . - Je souhaite revenir sur l'incident du Conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté. Ce que ne montre pas la vidéo, c'est que la plus grande confusion a régné. La présidente ne savait que faire. Elle n'a pas suspendu la séance. Des conseillers régionaux en venaient aux mains, pour s'arracher leurs appareils photos. La confusion était à son comble pendant de longues minutes. Le moins que l'on puisse en dire est que l'état du droit n'était pas clair.
En 1989, le Conseil d'État a rendu un avis sur les filles voilées de Creil. Il a dit : on a le droit de porter le voile mais sous certaines conditions, les chefs d'établissement peuvent en décider autrement. Il a fallu la loi de 2004 pour clarifier la situation. Quand le ministre dit : ce n'est pas interdit, mais pas souhaitable, on constate son embarras.
Cette proposition de loi n'a rien de révolutionnaire, elle se borne à clarifier le droit, en bouclant la boucle, en quelque sorte. La précision législative ramènera le calme dans nos établissements et nos institutions. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Esther Benbassa . - Si elle s'en prend aux femmes qui accompagnent les sorties scolaires, c'est que la droite va mal. (On proteste sur quelques travées du groupe les Républicains.) En cette veille d'élections municipales, elle cherche à mordre sur le terrain de l'extrême droite. Quelque 35 % des musulmanes en France seulement portent le voile. C'est bien modeste face à la violence de la réprobation qui s'exprime. Il n'y a pas là de quoi alarmer la population, qui a bien d'autres priorités.
Seulement 56 % des Français s'intéressent au sujet, privilégiant d'abord les questions de santé et la lutte contre le chômage. La droite fait mine de lutter contre l'islamisme. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains)
Certains, dignes héritiers du colonialisme paternaliste d'antan (Protestations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains) prétendent les affranchir de l'oppression masculine ! Le voile est parfois utilisé comme symbole de radicalisation. Quelque 70 % des musulmanes sont favorables au port du voile, sans forcément le porter. Occupons-nous plutôt des femmes battues. Seule une laïcité inclusive nous amènera à l'intégration, la stigmatisation n'entraîne que le désordre et brise la cohésion sociale.
M. Michel Savin . - Les lignes de fracture sont nombreuses. Notre débat ne doit pas se focaliser uniquement sur le port du voile. Une problématique reste ouverte : celle de la baignade. Quelle sera la réaction des enseignants face au port d'un burkini par une accompagnatrice ? Évitons toute dérive communautaire. Je soutiens cette proposition de loi. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)
M. David Assouline . - Je souscris totalement aux propos de Laurence Rossignol, à la virgule près. Nous sommes pris dans un piège à mâchoires. Ce n'est pas du tout juste de rejeter la portée symbolique de ce débat.
Ce qui porte véritablement atteinte à la laïcité dans notre pays, c'est que certains enfants sont déscolarisés et pris en charge par des gens qui les endoctrinent. Et en parallèle, il y a une montée du racisme antimusulman dans notre pays. Qui peut le nier ? M. Zemmour a pignon sur rue, sur LCI et ailleurs, alors qu'il a été condamné pour incitation à la haine !
M. Jacques Genest. - C'est hors sujet !
M. David Assouline. - Bien sûr que non ! Je reste Charlie. (M. Jacques Genest proteste derechef.) Qui s'est battu pour la loi de 1905 et contre la loi Falloux ?
Mme Sophie Primas. - Pas nous !
M. David Assouline. - Et à l'inverse, pour Sens commun et contre le mariage pour tous ? (Protestations et huées sur plusieurs travées des groupes Les Républicains et UC) Un peu de sincérité ! Il n'y a pas ici que des grands défenseurs de la laïcité !
M. Jean Louis Masson . - (Exclamations sur plusieurs travées à gauche) On ne parle pas des enfants, dans ce débat. Est-il normal que vos enfants ou petits-enfants soient encerclés par des femmes voilées qui font du communautarisme ? En tant qu'usagers du service public, fragiles, ont-ils à être victimes de prosélytisme ? Pourquoi ne pas faire encadrer les sorties scolaires par des sorcières d'Halloween ? (Mouvements divers) C'est scandaleux ! Les enfants n'ont pas à être pollués par le prosélytisme et le communautarisme.
Mme Esther Benbassa. - Ça suffit !
M. Jean Louis Masson. - Les communautaristes doivent s'adapter à notre société et s'ils ne sont pas contents, qu'ils retournent d'où ils viennent. (Protestations renouvelées sur les travées du groupe CRCE et murmures sur plusieurs autres travées)
M. Guillaume Gontard . - La majorité sénatoriale porte une lourde responsabilité. Elle offre la parole aux extrémistes, que l'on vient d'entendre. On s'en prend toujours aux mêmes. De quoi avez-vous peur, au juste ? La loi de 1905 c'est d'abord, ne l'oublions pas, la liberté, l'égalité, la fraternité.
Parlons des vrais problèmes : l'urgence climatique, la santé, la pauvreté qui ne cesse d'augmenter, touchant plus de neuf millions de personnes, nos services publics qui ferment les uns après les autres, nos biens publics qu'on abandonne...
« Le voile à l'école, frivoles paroles, le voile à l'école, folles fariboles » chante Brigitte Fontaine. Faudra-t-il que l'on nous resserve cette même chanson à chaque réveillon ?
M. Pierre-Yves Collombat . - Certains croient qu'une proposition de loi de ce type pourrait suffire à calmer les esprits. Rappelez-vous le grand projet du service public unique et laïc de 1983 qui a mis tout le monde dans la rue - même si les rôles étaient alors inversés...
L'école, c'est un service public, mais pas comme l'eau ou le gaz !
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Ou la SNCF ?
M. Pierre-Yves Collombat. - Il s'agit de faire en sorte que les enfants pensent par eux-mêmes. C'est une ardente obligation si l'on veut forger des consciences libres. Voilà d'où procède la laïcisation des enseignants.
Prétendre que la présence d'une mère, sollicitée pour accompagner les enfants, qui voilerait ses cheveux, conformément aux préceptes de Tertullien, rappelés par M. Ouzoulias, empêcherait les enfants de penser par eux-mêmes, c'est se moquer du monde ! (Plusieurs applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SOCR)
M. Jean-Pierre Sueur. - Très bien !
Mme Nassimah Dindar . - Considérons-nous le poutou des femmes tamoules à La Réunion ou le salouva et le kishali des femmes mahoraises comme des signes religieux ? Dieu sait combien les femmes mahoraises demandent la création d'écoles républicaines sur leur territoire !
Je suis de La Réunion, terre où toutes les cultures, toutes les religions coexistent pacifiquement dans l'esprit de la République. Ces mères de famille restent des usagers du service public même quand elles accompagnent leurs enfants. Cette proposition de loi va à contre-courant de ce que veut la République. Elle pousse ces femmes dans leurs retranchements. Il ne faut pas mettre ici l'école sur le devant de la scène. (Applaudissements des travées du groupe UC jusqu'à celles du groupe SOCR ; M. Pierre Laurent applaudit également.)
M. François Bonhomme . - Le Défenseur des droits a constaté beaucoup d'incertitudes quant au champ d'application du principe de laïcité. Le Conseil d'État, que vous suivez, monsieur le ministre, estime, au prix de quelques contorsions, que les parents ont le statut de simples usagers du service public et ne sont donc pas soumis au principe de laïcité. Tout cela est difficile à comprendre et justifie qu'on légifère.
Les Anglo-saxons ont fait le choix du communautarisme. C'est l'honneur de la France d'avoir fait de l'école un lieu sanctuarisé. Évitons de nous aligner, d'accommodements raisonnables en accommodements sur les positions de nos voisins. Rappelons-nous la citation de Robert Badinter (M. David Assouline proteste.) sur l'école « grande barrière contre le fanatisme ». (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains)
M. Fabien Gay . - Il y a le texte et le contexte. Le rapporteur ne me convainc pas. Sans remonter à l'épisode de l'établissement de Creil, il y a quinze ans, en passant par les excès de Zemmour and Co, jusqu'à l'incident du conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté ou encore à l'attentat tout récent de la mosquée de Bayonne, le contexte est à l'islamophobie avec une libération inquiétante de la parole puisqu'un éditorialiste n'hésite plus à comparer le voile à l'uniforme SS lorsqu'un autre confie descendre d'un bus lorsqu'une femme voilée y monte !
En stigmatisant ainsi la population musulmane, on renforce le communautarisme. Ce sont les deux côtés d'une même pièce. À une société dite de vigilance qui n'est autre que de délation, je préfère résolument celle de la confiance. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE ; M. Éric Jeansannetas applaudit également.)
Mme Sylvie Goy-Chavent . - Il y a quelques années, la question du port du voile par les femmes accompagnatrices ne se posait pas. Depuis, des jeunes femmes musulmanes qui s'habillaient à l'européenne se sont retrouvées contraintes, du jour au lendemain, à porter des vêtements qui les couvrent de la tête au pied : elles me le disaient lorsque j'étais enseignante.
Monsieur le ministre, l'école doit rester laïque. Je voterai sans hésiter ce texte, parce qu'en posant un cadre, il aidera les chefs d'établissement qui se retrouvent pris entre le marteau et l'enclume. Nous sommes les garants de la laïcité, ceux qui permettront aux jeunes femmes de ne pas entrer dans le carcan du prosélytisme.
Mme Samia Ghali . - Les hasards du calendrier font que j'ai reçu cet après-midi en visite au Sénat un groupe d'enfants de Marseille, accompagnés de leurs mamans. (On en doute à droite.) C'est un hasard, vous le savez bien. (Mêmes marques d'incrédulité sur les mêmes travées) Si, ces visites se réservent très longtemps à l'avance, bien avant que notre ordre du jour soit connu. Les enfants ne comprenaient pas l'objet de ce débat se demandant pourquoi on voulait du mal à leurs mamans. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Démago !
Mme Samia Ghali. - Tout comme cet enfant au conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté.
M. Alain Joyandet. - Vous n'y étiez pas. C'est du racolage.
Mme Samia Ghali. - C'est vous qui racolez le RN ! On ne peut pas exclure cette partie de la France. La liberté c'est aussi pour les femmes qui souhaitent porter le voile de pouvoir le porter.
Mme Catherine Troendlé. - Belle vision de la France !
Mme Annick Billon . - Les sorties scolaires sur le temps scolaire doivent respecter le principe de neutralité. À 4, 6 ou 8 ans, un enfant ne peut pas faire la différence entre un intervenant et un accompagnateur. Le voile est un signe de soumission à l'homme. (Mme Catherine Troendlé approuve.)
Le contexte ne doit pas nous empêcher de prendre nos responsabilités. Je voterai ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Jacqueline Eustache-Brinio remercie.)
M. Jean-Marie Mizzon . - Quelle est la fonction première de la loi, sinon protéger les plus fragiles ? Parmi eux, il y a les enfants. Forts de ce constat, Jules Ferry et ses successeurs ont bâti l'école laïque.
Quand il y a conflit d'intérêts entre un enfant et un adulte, je choisis toujours l'enfant. Je voterai ce texte. (Applaudissements sur quelques travées des groupes UC et Les Républicains.)
Mme Sophie Taillé-Polian . - Ce que vient de dire mon collègue me stupéfie. Le voile serait une maltraitance et provoquerait une souffrance ? Ne confondons pas tout ! Sachons distinguer le texte du contexte très alarmant dans lequel il s'inscrit. Ne donnons pas du grain à moudre à ceux que nous voulons combattre.
L'école est un lieu où se construisent le respect et la compréhension.
Le voile peut-être un choix. D'ailleurs, pourquoi stigmatiser les « mamans » ?
M. Max Brisson, rapporteur. - Lisez le texte !
Mme Sophie Taillé-Polian. - Ce sont des femmes libres, pour la plupart ! Pourquoi les infantiliser ainsi ? J'en ai assez de ce féminisme de circonstance ! Nous saurons vous le rappeler dans de prochains débats.
Mme Catherine Troendlé. - C'est vous qui dites cela ? Vous n'avez pas le monopole de la défense des femmes. !
Mme Sophie Taillé-Polian. - Ces citoyennes ont fait ce choix et interviennent en tant que parents au sein de l'école.
M. Rachid Temal . - Sur cette question du voile, qui divise tant, je mettrai l'accent sur ce qui nous rassemble. Cependant, nous sommes tous favorables dans cet hémicycle au principe de laïcité et à la lutte contre le radicalisme et l'intégrisme. La question de l'égalité femmes-hommes mobilise également notre soutien à tous. La laïcité permet à tous et à chacun de croire ou de ne pas croire.
Plusieurs religions souhaitent que leur dogme dépasse la République et nous sommes tous d'accord pour lutter contre de tels projets.
Le sujet de fond est celui du prosélytisme que nous combattons. L'école est une première étape. La loi de 1905 est parfaite pour avancer. Cette proposition de loi n'apporte rien de plus. Je voterai contre. (Applaudissements sur quelques travées du groupe SOCR)
M. Laurent Duplomb . - S'il s'agissait d'interdire le port des signes religieux dans l'espace public, je voterai contre. Mais si la sortie scolaire est le prolongement de la classe, ce qui est le cas, les règles qui s'appliquent au temps scolaire doivent s'y appliquer aussi. Voilà un principe tout simple et logique à suivre ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Jean-Michel Blanquer, ministre . - Quelle serait l'utilité de cette proposition de loi ? Monsieur Joyandet, vous avez mentionné la loi de 2004, dont je suis un très chaud partisan. J'étais recteur au moment où elle a été votée. C'est une loi bien faite, fruit de travaux approfondis, et elle s'applique bien aujourd'hui.
Cependant, le parallèle avec ce qui est ici proposé ne fonctionne pas, à cause de l'hybridité du problème qui fait que chacun peut avoir raison dans les deux positions en présence. Il s'agit en effet du temps scolaire, non pas d'espace scolaire et l'on peut en discuter à l'infini.
Quant aux directeurs d'école, certains me disent avoir besoin d'un cadre strict, d'autres que la loi serait inapplicable, car des mamans voilées - pardon, des mères - accompagnent des sorties sans aucun prosélytisme et que, de toute façon, toutes les mères de leur école le sont.
En outre, le droit actuel n'est pas muet. L'avis du Conseil d'État est clair.
Mme Françoise Laborde. - C'est une étude.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. - En effet. Elle indique qu'il est loisible à un directeur d'école d'interdire un accompagnement prosélyte. Et elle peut être complétée par des jurisprudences ultérieures.
Les manières de vivre sa religion divergent d'un quartier à l'autre. La loi viendrait écraser le réel.
Voilà pourquoi nous avons préféré intervenir au cas par cas, grâce au vade-mecum.
Évitons de généraliser. Nous avons les moyens de faire face à toutes les situations. (Mme Jacqueline Eustache-Brinio le conteste.)
Nous ne voulons pas exacerber les clivages et les exemples de l'outre-mer sont intéressants en cela.
Ayons confiance dans nos principes des Lumières. (Marques d'approbation sur quelques travées du groupe UC) L'essentiel, c'est encore d'avoir tous les enfants à l'école. (M. Loïc Hervé approuve ; applaudissements sur les travées du groupe LaREM et sur quelques travées des groupe UC, les Indépendants, SOCR)
M. le président. - Amendement n°10, présenté par M. Magner et les membres du groupe socialiste et républicain.
Supprimer cet article.
M. Jacques-Bernard Magner. - Certes la commission de la culture a modifié la proposition de loi mais n'améliore pas l'état du droit et accentue même la confusion juridique. Sous couvert de laïcité sans concession, ce texte stigmatise toute une catégorie de citoyens. Nous ne sommes pas dupes sur le but réel.
En étendant l'interdiction posée par la loi de 2004, qui s'applique aux seuls élèves, le texte crée un amalgame entre agents du service public et usagers soumis à une simple obligation de discrétion, auxquels la jurisprudence a toujours assimilé les parents d'élèves.
Votre rédaction crée une nouvelle catégorie non définie, aux contours flous, qui sera source de contentieux.
La jurisprudence de la cour administrative d'appel de Lyon, abondamment évoquée par le rapport, ne fait que poser une exigence de neutralité ; elle n'y change donc rien. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE)
M. Max Brisson, rapporteur. - Adopter cet amendement conduirait à rejeter l'article unique du texte.
M. Rachid Temal. - Ce serait ballot !
M. Max Brisson, rapporteur. - Nous avons abordé ce texte en considérant la sortie scolaire comme temps scolaire : dès lors, ce qui vaut pour la classe dans les murs de l'école vaut aussi pour la classe hors les murs.
J'ai proposé d'élargir l'exigence de neutralité à toute activité liée à l'enseignement, en m'appuyant sur la jurisprudence de la cour administrative d'appel de Lyon.
Il n'est pas satisfaisant, monsieur le ministre, que deux directeurs d'école d'une même commune soient amenés à prendre des positions différentes. Nous ne devons pas les laisser seuls. Le législateur doit prendre ses responsabilités.
Je reste fidèle aux principes de laïcité intransigeante qui ont façonné notre école publique. Une laïcité accommodante n'aurait pas construit le même édifice. Avis défavorable : protégeons cet héritage, nous le devons aux pères fondateurs de l'école de la République. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. - Avis favorable.
M. David Assouline. - Je m'interroge sur la sincérité de ceux qui après avoir défendu l'autonomie des établissements, le cas par cas, ne jurent plus désormais que par la loi. Le ministre l'a dit, les situations sont diverses ; le baromètre, c'est le prosélytisme.
Si l'on veut être crédible dans notre intransigeance vis-à-vis de l'islamisme politique, qui est notre ennemi irréductible, cessons de convoquer au conseil des nations respectables celles qui financent massivement l'islamisme politique dans nos quartiers, sous couvert d'oeuvres scolaires ou sociales...
Une autre menace pèse sur l'équilibre du monde : celle des évangélistes, qui ont dicté la position de Bush, de Trump, de Bolsonaro... (Vives exclamations sur les travées du groupe Les Républicains) Ils agissent massivement dans nos quartiers, avec des moyens énormes. Il faudra leur opposer la même intransigeance ! (Protestations à droite)
Mme Laurence Rossignol. - Très bien.
M. Pierre Ouzoulias. - Cette loi sera une étape fondamentale pour faire progresser la laïcité et protéger la liberté des femmes, dites-vous. Pourquoi alors avoir accepté de retirer cette disposition de la loi Blanquer ? L'interdiction bien plus large du prosélytisme lié à l'enseignement, que vous avez fait adopter avec l'accord du Gouvernement, serait-elle donc inutile ?
M. Max Brisson, rapporteur. - Vous vous répétez.
M. Pierre Ouzoulias. - Dans les Hauts-de-Seine, les petites filles qui refusent de retirer le voile vont à l'école privée confessionnelle. Si le voile est un tel joug, pourquoi l'autoriser à l'école privée ? Soyez logiques, allez jusqu'au bout de votre démarche laïque et féministe. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SOCR)
M. Rachid Temal. - Si la classe hors les murs est le prolongement de la classe dans les murs, il s'ensuit qu'elle doit être encadrée par des agents de l'Éducation nationale ou des communes...
Dans une même commune, des écoles privées autoriseraient les signes religieux, et les écoles publiques non ? (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains) Il faut de la cohérence pour que les lois soient acceptées. Allez au bout de votre logique !
M. Jean Louis Masson. - En laissant le choix au directeur d'école, on instaure une République à deux vitesses : dans certaines écoles, on acceptera qu'un fourgon de femmes voilées accompagne les sorties, dans une autre, on fera respecter la laïcité.
L'argument du ministre selon lequel dans certaines écoles, toutes les mères volontaires portent le voile est scandaleux : quid de la liberté des quelques enfants qui ne viennent pas de ce milieu ? On a le droit de ne pas tolérer ce communautarisme qui empiète sur nos libertés.
M. Jean-Raymond Hugonet. - À en juger par le nombre de caméras dans les couloirs du Sénat, ce sujet intéresse les médias.
M. Pierre-Yves Collombat. - Ils ne s'intéressent qu'à ce qui est insignifiant !
M. Jean-Raymond Hugonet. - À part quelques saillies excessives, qui sont l'expression démocratique, le débat est serein et de haut niveau. Je salue le rapporteur Max Brisson qui pose le débat comme il se doit : les sorties scolaires ont un contenu pédagogique, les accompagnateurs ne sont donc pas de simples usagers mais bien des collaborateurs occasionnels du service public.
Puisqu'Aristide Briand a été cité, je vous livrerai une autre citation du même auteur : « La loi doit protéger la foi aussi longtemps que la foi ne prétend pas dire la loi ». (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Yves Détraigne applaudit également.)
M. Jacques-Bernard Magner. - J'ai apprécié les propos du ministre et le remercie de son avis favorable.
En tant qu'enseignant, j'ai organisé de nombreuses sorties. Les accompagnants n'apportent pas une aide pédagogique mais purement logistique ; ils ne participent pas à la préparation de la sortie. Il n'est pas possible, matériellement, de ne recourir qu'à des professionnels. Se priver des bonnes volontés, c'est se tromper de République. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE)
M. Alain Joyandet. - Merci, monsieur le ministre : vous nous donnez des arguments en faveur de ce texte de précision puisque c'est bien de cela qu'il s'agit. Vous nous avez dit que certaines femmes font du prosélytisme.
M. Pierre Laurent. - Combien ?
M. Alain Joyandet. - Si nous ne précisons pas la loi, un directeur d'école ne pourra pas appuyer un refus sur un argument juridique. Il y aura des contentieux, et le directeur sera dans son tort ! Il faudra bien légiférer à terme.
Vous dites que la loi permet d'agir au cas par cas ; mais la loi doit justement être la même pour tous ! Un de nos anciens collègues aimait dire : « On ne sort de l'ambiguïté qu'à son détriment ». Il serait pourtant souhaitable de sortir de cette ambiguïté dans l'intérêt de la République.
M. Pierre-Yves Collombat. - C'est un grand ecclésiastique qui a dit cela !
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. - L'état du droit permet déjà au directeur d'école de refuser un accompagnant. Vous avez renforcé cette possibilité en votant l'article 10 de la loi pour une école de la confiance qui interdit tout prosélytisme aux abords des établissements. Le directeur aura des arguments juridiques solides - et il aura son ministre avec lui.
En agissant avec pragmatisme et souplesse, on évite la casuistique législative qui pousse à légiférer à chaque fois qu'un débat s'invite dans l'actualité. Je recherche l'unité nationale et regrette la polémique sur ces sujets. Regardez les insultes que j'ai reçues pour avoir dit quelque chose de simple à ce sujet - la même chose que Robert Badinter ! (M. Loïc Hervé et Mme Sophie Primas félicitent le ministre.)
Ce qui nous rassemble - le respect de la laïcité et la lutte contre le communautarisme - passe par le pragmatisme de terrain, non par une règle unique qui écraserait le réel.
M. Max Brisson, rapporteur. - Nous avons un vrai débat sur des questions qui peuvent nous opposer. La commission de la culture a un rapport fort à l'école.
Il y a l'école dans les murs et hors les murs. Depuis l'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon, les intervenants extérieurs qui rentrent dans l'école ne pourront plus afficher leur croyance. Je propose de projeter cette vision dans les activités scolaires hors les murs.
M. Magnier a évoqué son expérience d'enseignant. Comment demander à l'enfant de faire la distinction subtile entre le statut des adultes qui l'accompagnent ? Nous croyons au rôle des parents, à la coéducation ; pour l'enfant, l'adulte est porteur de repères.
Nous demandons simplement que dans une activité d'enseignement, on n'affiche pas sa croyance. C'est une question de vivre ensemble, de respect de l'école publique. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Françoise Laborde. - Très bien !
M. François Bonhomme. - Le vide juridique n'est pas éventuel, il est établi ! Le tribunal administratif de Nice et la cour administrative d'appel de Lyon ont rendu des décisions différentes, la question est en suspens. Comment apporter une sécurité juridique aux directeurs d'école ? (M. Alain Joyandet approuve.) Monsieur le ministre, vous serez rattrapé par le réel quand les directeurs se trouveront en porte-à-faux.
L'école de la République doit être protégée de toute intrusion, y compris celle de la religion.
J'invite par ailleurs à la sobriété lexicale. Le terme « stigmatiser », employé à tout bout de champ, est malvenu. Faut-il rappeler que les stigmates sont les blessures du Christ en croix ? Quel retour du refoulé ! (Sourires)
Mme Françoise Gatel. - Cher Max Brisson, cela fait longtemps que nous avons quitté l'école, que nous nous sommes envolés - et non envoilés. (Sourires)
Monsieur le président Kanner, vous louez la position de la gauche en faveur de la République et de la laïcité. Je m'étonne que vous n'ayez pas voté notre proposition de loi sur l'école privée hors contrat qui correspondait à votre philosophie ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)
M. Rachid Temal. - Nous voulions aller plus loin !
Mme Laurence Cohen. - M. Ouzoulias et le ministre l'ony dit : la loi pour l'école de la confiance interdit toute forme de prosélytisme. Pourquoi y revenir ? Soyez cohérents.
Il y a, dites-vous, l'école dans les murs et l'école hors les murs, puisqu'il y a un contenu pédagogique aux sorties scolaires. Mais si les accompagnateurs ont un rôle pédagogique, alors qu'ils soient rémunérés ! Allez jusqu'au bout de votre logique ! (On renchérit à gauche.)
La loi de 1905 est avant tout une loi de liberté. Cette proposition de loi instrumentalise une question anecdotique. Le nombre d'incidents liés au voile dans les sorties scolaires est presque nul. Dans le contexte politique actuel, c'est un texte dangereux qui ne grandit pas ceux qui le portent. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE ; Mme Martine Filleul applaudit également.)
M. Jean-Yves Leconte. - L'école de la République doit accompagner tous les jeunes, d'où qu'ils viennent, vers la citoyenneté. En renvoyer certains vers l'école confessionnelle parce qu'on exclurait leur famille de l'école publique, ce n'est pas l'esprit de l'école de la République.
Aristide Briand, souvent cité, disait avoir voulu rendre la loi « acceptable », car « nous n'avons pas le droit de faire une réforme dont les conséquences puissent ébranler la République ». C'est si actuel ! N'utilisons pas la laïcité pour fracturer la société française !
Mme Françoise Laborde. - La liberté des accompagnants ne saurait primer sur la liberté de conscience en construction de nos enfants.
Oui, monsieur Karam, j'assume mes votes, dont celui de la proposition de loi Gatel. Mais je n'ai pas voté l'amendement sur le prosélytisme aux abords de l'école - le musée est-il aux abords de l'école ? - car sans surveillance, il ne sert à rien. J'avais déjà soulevé la question du prosélytisme passif lors du texte Baby Loup. Je suis cohérente sur cette question.
Je citerai, pour ma part, Ferdinand Buisson, selon qui le triomphe de l'esprit laïque n'est pas de rivaliser avec l'esprit clérical. L'esprit laïque, c'est de réunir indistinctement les élèves de toutes les familles et de toutes les églises pour leur faire commencer leur vie dans une atmosphère de paix, de confiance et de sérénité. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur quelques travées des groupes UC et Les Républicains)
Mme Nassimah Dindar. - Le premier danger, c'est la religion de la violence à l'école. Pour lutter contre cette violence, il faut impliquer les parents, avec ou sans foulard. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE ; Mme Patricia Schillinger applaudit également.)
Mme Sophie Primas. - Dans ce débat je suis hésitante. Mme Rossignol a parlé de ligne de crête, l'expression est bienvenue. Je sais le travail des élus locaux pour recoudre la République, pour faire société ; je salue tous ceux qui m'ont éclairée sur la question, notamment les maires de Chanteloup-les-Vignes, de Mantes-la-Jolie ou des Mureaux.
M. Brisson m'a convaincue ; je voterai la proposition de loi. (On ironise à gauche.) Je ne veux pas donner raison aux extrémistes. Mais je voudrais demander aux accompagnants : est-ce si terrible d'enlever sa kippa ou son voile pour quelques heures, au nom de la République ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et RDSE)
M. Laurent Lafon. - Le rapporteur a su trouver une voie d'équilibre. J'ai toutefois une réserve sur la notion de participation à l'activité d'enseignement. Pour moi, l'accompagnant n'y participe pas. La rédaction de l'article premier ne fait pas clairement la distinction entre fonction pédagogique et simple encadrement.
Monsieur le ministre, la liberté de jugement est essentielle. Je m'étonne que vous ne vous appuyiez pas davantage sur les rectorats, qui doivent s'impliquer davantage auprès des directeurs d'école.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. - Rassurez-vous, j'ai demandé, dès mon premier discours aux recteurs, qu'ils apportent un soutien total aux inspecteurs et directeurs d'école. J'ai créé dans la foulée le Conseil des sages sur la laïcité, véritable point de repère qui édicte des règles et élabore un vade-mecum, que j'endosse. Tout directeur d'école sait qu'il est soutenu par le ministre. Chaque rectorat a une équipe laïcité dédiée. Loin d'être purement théoriques, elles sont intervenues des centaines de fois. La question des accompagnants est peut-être emblématique mais elle n'est pas, et de loin, le premier sujet de préoccupation sur le terrain en matière de laïcité et de lutte contre le communautarisme. Nous avons des remontées quotidiennes dont je rends compte chaque trimestre.
M. Bruno Retailleau. - Je rends hommage à Max Brisson. En réalité, deux conceptions incompatibles de la laïcité s'affrontent ; j'y reviendrai. La question des signes ostentatoires divise cet hémicycle et les politiques mais rassemble très largement les Français. Sondage après sondage, on constate que 78,6 % d'entre eux redoutent une remise en cause de la laïcité. Nos compatriotes sont attachés au patrimoine de 1905, désormais consensuel. C'est le bien commun de tous, droite et gauche.
Entre l'affaire du foulard de Creil et la loi de 2004, quinze ans se sont écoulés. C'est notre famille politique qui l'a portée, avant, en 2010, la loi contre le voile intégral. La loi El Khomri a permis de mieux encadrer l'expression religieuse dans l'entreprise. Avec cette mesure, nous n'aurions pas eu l'affaire Baby-Loup.
La loi de 2004 a montré son efficacité : seulement 15 % des jeunes filles sont voilées.
La loi doit être claire, elle ne peut pas être dans le « en même temps ».
M. le président. - Veuillez conclure.
M. Bruno Retailleau. - Refuser de légiférer, c'est se défausser sur le personnel de l'Éducation nationale. Il y a l'école dans les murs et l'école hors les murs. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Jean-Marc Boyer. - Une activité périscolaire est une activité qui se déroule hors de l'établissement en parallèle de l'enseignement. J'ai eu l'occasion d'en encadrer, notamment dans le domaine sportif. Or les accompagnants sont toujours amenés à participer, par exemple en arbitrant un match. Mais aurait-on accepté des accompagnants portant des signes religieux à la piscine ? La limite est là. Il faut clarifier les choses et éviter les amalgames.
M. Ronan Dantec. - On cite la grande loi d'apaisement Briand-Clemenceau en oubliant la circulaire qui a autorisé le port ostentatoire de la croix à l'école, en échange du retrait de crucifix des salles de classe. C'était un compromis, mais aussi un pari sur l'école républicaine : on voulait ainsi éviter les départs massifs vers les écoles confessionnelles. Le pari de Briand a réussi et la pratique catholique a baissé.
Aujourd'hui, l'école est-elle toujours assez forte pour trouver l'équilibre qui fait société, pour accueillir des enfants confrontés à un autre cadre de valeurs ? Votre texte montre les parents du doigt et renvoie l'enfant à son héritage familial. Or l'école précisément introduit la distance avec cet héritage. La loi est claire, n'y touchons pas. (Mmes Nassimah Dindar et Françoise Gatel applaudissent.)
Mme Esther Benbassa. - Depuis 14 h 30 nous parlons du voile... qui ne figure pas dans le texte. C'est une obsession ! Le texte concerne-t-il aussi les porteurs de kippa ? (« Bien sûr » ! sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Pierre Laurent. - Ce texte est extrêmement politique, malgré vos efforts pour le réduire à un vote technique.
Vous ne cessez de dénoncer « un problème majeur ». L'avez-vous démontré ? Non, et pour cause. Il y a 14 millions d'enfants et enseignants, pour quelques centaines de problèmes par an, dont quasiment aucun ne concerne les accompagnatrices voilées.
Les parents d'élèves interviennent à de nombreux moments de la vie scolaire - lors des kermesses, des réunions parents-professeurs. Vous mettez le doigt dans un engrenage !
Vos motivations prennent racine dans un contexte très préoccupant que vous accompagnez, que vous alimentez. Vous surfez dans des eaux nauséabondes ! (Protestations à droite et au centre) Au lieu de jeter de l'huile sur le feu, revenons plutôt aux valeurs de confiance et de solidarité. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE ; Mme Martine Filleul applaudit également.)
À la demande du groupe Les Républicains, l'amendement n°10 est mis aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°17 :
Nombre de votants | 330 |
Nombre de suffrages exprimés | 302 |
Pour l'adoption | 121 |
Contre | 181 |
Le Sénat n'a pas adopté.
M. le président. - Amendement n°3, présenté par M. Masson.
Alinéa 1
Compléter cet alinéa par les mots :
et de s'abstenir de porter des signes ou tenues manifestant ostensiblement une appartenance religieuse ou communautariste
M. Jean Louis Masson. - Je n'ai pas déposé cet amendement pour m'opposer à cette proposition de loi dont j'approuve l'esprit mais parce que la rédaction de la commission n'est ni assez ferme ni assez claire.
Je souhaite qu'on interdise de porter des signes ou tenues manifestant ostensiblement une appartenance religieuse ou communautariste. C'est très important ! M. le ministre semble penser que tout finira par s'arranger... j'en doute.
Un collègue nous dit qu'il y a quatorze millions d'enfants et seulement une centaine de problèmes par an. C'est déjà énorme, car combien de difficultés n'ont pas été signalées ? Les parents sont-ils contents que leurs enfants soient entourés de personnes habillées pour Halloween ? Nombre de personnes ne prennent pas la plume pour se plaindre. Il est indispensable de légiférer fermement.
M. Max Brisson, rapporteur. - L'article 111-1 porte sur les valeurs et les missions de l'école. Cet amendement ne va pas dans le sens de cet article du code de l'éducation qui porte sur les principes, les valeurs et les missions de l'école. Laissons-lui toute sa cohérence. J'ai apprécié, à ce propos, l'intervention de M. Paccaud en ce sens. Avis défavorable.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. - Avis défavorable.
L'amendement n°3 n'est pas adopté.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Je remercie Max Brisson pour ses propos. Je dédie cette proposition de loi à mes élèves d'Argenteuil, Zohra, Fatima, Samia, Leïla, qui se sont battues dans les années 2000 pour sortir du carcan familial, de la pression religieuse pour vivre leur liberté, comme toutes les jeunes filles de France. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Pierre Ouzoulias. - J'ai lu différemment le sondage cité par le président Retailleau. Quelque 26 % des Français estiment qu'il faut faire reculer l'influence des religions - au pluriel - dans la société. Quelque deux tiers des Français ne se réclament d'aucune religion. On assiste à un recul du religieux de la sphère publique. Vous dites, monsieur le président, que cette loi est destinée à accompagner ce mouvement. Irez-vous jusqu'au bout de cette logique ? Je n'en suis pas sûr. Nous verrons lors du débat sur la loi de bioéthique !
Mme Sophie Primas. - Vous n'en savez rien !
À la demande du groupe Les Républicains, l'article premier est mis aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°18 :
Nombre de votants | 322 |
Nombre de suffrages exprimés | 285 |
Pour l'adoption | 165 |
Contre | 120 |
Le Sénat a adopté.
(Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains)
ARTICLE 2
M. le président. - Amendement n°11, présenté par M. Magner et les membres du groupe socialiste et républicain.
Supprimer cet article.
M. Jacques-Bernard Magner. - Cet amendement est de coordination avec celui de suppression de l'article premier.
Il est bien dommage que la majorité sénatoriale ne nous ait pas suivis. Elle n'a entendu ni nos arguments juridiques, ni nos arguments politiques. Des classes entières ne pourront plus faire de sortie, puisque les mères ne pourront plus les accompagner. Or, elles montrent leur volonté d'intégration. Au lieu de leur tendre la main, on va les exclure définitivement. Des enfants seront stigmatisés...
M. le président. - S'agit-il d'une explication de vote ? Ces propos n'ont pas de rapport avec l'amendement.
M. Max Brisson, rapporteur. - Les sorties scolaires sont du temps scolaire. Cette loi doit s'appliquer à Wallis et Futuna. Pour les autres territoires d'outre-mer, où la loi est applicable de plein droit, nous ne sommes pas compétents pour intervenir.
Retrait ou avis défavorable.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. - Sagesse.
L'amendement n°11 n'est pas adopté.
L'article 2 est adopté.
INTITULÉ DE LA PROPOSITION DE LOI
M. le président. - Amendement n°9 rectifié, présenté par Mme Laborde, MM. Arnell, Artano et A. Bertrand, Mme M. Carrère, M. Collin, Mmes Costes et N. Delattre, MM. Gabouty, Gold et Guérini, Mme Guillotin et MM. Requier et Vall.
Remplacer le mot :
concourant
par le mot :
participant
Mme Françoise Laborde. - Cet amendement remplace « concourant » par « participant » étant donné que le corps du texte a été modifié.
M. Max Brisson, rapporteur. - Le terme « participe » est plus large. Il prend mieux en compte les activités des intervenants adultes que le terme « concourant » plus restrictif.
Puisque le texte emploie le terme « participer », adoptons cet amendement pour mettre le titre en conformité. Avis favorable.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. - Sagesse.
M. Jacques-Bernard Magner. - Celui qui participe est dans l'action du début jusqu'à la fin de la sortie scolaire. Il participe à son organisation et à sa préparation. Le terme « concourir » me semble plus adapté.
Mme Esther Benbassa. - Je souhaite une réponse à ma question.
Mme Sophie Primas. - C'est dans le texte !
M. Max Brisson, rapporteur. - Nous avons une divergence d'appréciation sur le rôle des adultes lorsqu'il participe à une activité liée à l'enseignement.
Madame Benbassa, il est évident que c'est l'ensemble des signes religieux ostensibles qui sont visés. Nous sommes dans la logique d'une école publique où l'on n'affiche pas les croyances religieuses. Dans les lois de 1881, 1882, 1886 et de 1903, il était précisé clairement qu'il ne fallait pas afficher de signes religieux ostensibles.
M. Jean Louis Masson. - Le rapporteur a longuement disserté sur le libellé du titre. Mais à quoi sert cette querelle de terminologie ?
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - À rien !
M. Jean Louis Masson. - Quel est le sens de la querelle sur le titre ?
M. Max Brisson, rapporteur. - Comme professeur, j'ai souvent bataillé contre des élèves mettant des titres qui n'étaient pas en adéquation avec le contenu de leur dissertation. Ici, le titre sera en concordance avec le texte.
Mme Claudine Lepage. - Je ne crois pas que la question pertinente de notre collègue de La Réunion ait reçu de réponse.
M. le président. - Je vous rappelle que nous sommes sur le seul amendement n°9 rectifié.
L'amendement n°9 rectifié est adopté et l'intitulé de la proposition de loi est ainsi modifié.
Explications de vote
Mme Sylvie Robert . - Nous débattons de ce texte depuis près de cinq heures. Nous avons de réelles divergences de points de vue. Il s'agit vraiment d'une proposition de loi de circonstance ; elle n'est pas nécessaire et elle sera inefficace. Il y a eu beaucoup de clarifications. La loi actuelle est suffisamment claire.
Dans notre République démocratique, laïque, indivisible et sociale, cette proposition de loi n'est pas la bienvenue. Je suis stupéfaite que vous arrangiez la laïcité à votre sauce ! La loi de 1905 est une loi de liberté aux valeurs fortes.
Ce texte est malvenu et dangereux dans le contexte actuel.
Mme Catherine Troendlé. - Ne mélangeons pas tout !
Mme Sylvie Robert. - Depuis trois semaines, nous ne parlons que de l'islam. (Brouhaha sur les travées du groupe Les Républicains)
Notre République a besoin d'apaisement et cette proposition de loi n'y contribue pas. Bien sûr, nous ne la voterons pas. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)
M. Pierre Ouzoulias . - Le contexte était très difficile. Nous avons accepté de revenir sur le terrain du droit, comme notre rapporteur nous demandait de le faire.
Vous ne nous avez pas donné les explications que nous attendions. Pourquoi avoir déposé cette proposition de loi seulement cinq jours après la loi Blanquer ? Que s'est-il passé ? Pourquoi une disposition rejetée par vous en CMP est soudain devenue fondamentale ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)
Vous avez dit que vous défendiez la laïcité alors que la gauche l'avait abandonnée. Nous allons vous proposer prochainement des propositions de loi pour renforcer la laïcité, notamment des textes que vous avez refusés. Nous mettrons ainsi à l'épreuve votre sincérité.
Pour notre part, nous considérons que la laïcité est un outil fondamental pour l'émancipation des consciences. Nous porterons la laïcité jusqu'au bout avec vous ou sans vous ! (MM. Henri Cabanel et Joël Labbé applaudissent ; applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SOCR)
Mme Françoise Gatel . - Je remercie notre rapporteur pour ces débats. J'exprime mon respect vis-à-vis des auteurs de la proposition de loi. Sans mauvais jeu de mots, je veux vous dire qu'il ne faut pas se voiler la face. Je ne voterai pas cette proposition de loi car les mères de famille et les enfants dont nous parlons ont un lien ténu avec la République et si nous votons ce texte, je crains que nous les envoyions dans les bras des radicaux qui leur diront que les Français les rejettent.
Mes chers collègues de la gauche, c'est la majorité sénatoriale qui a voté la proposition de loi sur les écoles confessionnelles : cessez vos leçons de morale. À l'école, à l'hôpital, à l'université, le refus de la mixité témoigne des progrès de la radicalisation et du communautarisme.
Je salue le travail du ministre, en qui j'ai toute confiance.
Contre le communautarisme, toute la société doit se mobiliser, y compris les musulmans. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Indépendants et RDSE)
M. Bruno Retailleau . - La majorité du groupe Les Républicains votera ce texte nécessaire pour sortir de l'entre-deux et de l'en même temps. Comme Max Brisson l'a formidablement démontré, les règles qui s'appliquent dans les murs doivent également être en vigueur hors les murs.
Pourquoi cette neutralité religieuse renforcée ? Parce que l'école est le lieu où se forment les esprits. Mais aussi, parce que l'école est le lieu où s'exprime la conception française de la laïcité qui diffère de celle très libérale du monde anglo-saxon. La laïcité à la française s'est faite par l'État et elle ne reconnaît que le citoyen ; elle ne reconnaît pas d'autres communautés que la communauté nationale. Le citoyen se libère de toutes ses allégeances. Dans les régimes anglo-saxons, la laïcité ne reconnaît que l'individu, ce qui leur permet de s'accommoder du communautarisme.
La laïcité et la liberté sont deux soeurs jumelles, voire siamoises, qui doivent s'épanouir dès le plus jeune âge. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Bravo !
M. Jean-Michel Blanquer, ministre . - Au risque de me répéter, j'aimerais rappeler ce qui nous unit. La question du port des signes ostentatoires par des accompagnants n'est pas centrale, mais renvoie à des enjeux centraux sur la laïcité.
Nous avons vu combien il est difficile de produire un discours subtil et précis sur la laïcité. Le contrat social français est spécifique. Au fil des décennies a émergé une vision commune selon laquelle l'appartenance à la République l'emporte sur toute autre appartenance.
Chacune de mes positions est inspirée par ce que je vois sur le terrain. Or, sur un plan pratique, cette proposition de loi ne sera sans doute pas efficace. La lutte contre la radicalisation est un sujet national et l'éducation nationale prend toute sa part dans ce combat. La lutte contre le communautarisme est en réalité un engagement en faveur de l'appartenance républicaine, l'égalité des citoyens et l'émancipation par l'éducation. Enfin, nous disposons des outils juridiques pour assurer le principe de neutralité à l'école et pour lutter contre le prosélytisme.
Même votée, nous savons que cette proposition de loi prendra du temps à être présentée à l'Assemblée nationale et le sort qu'elle y rencontrerait.
Mme Sophie Primas. - C'est joliment dit.
M. Alain Joyandet. - Vous dérapez !
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. - Quoi qu'il en soit, je veillerai à prendre toutes les mesures nécessaires pour aider les directeurs d'école à lutter contre le prosélytisme. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM ; Mme Sylvie Robert applaudit également.)
À la demande des groupes Les Républicains et CRCE, la proposition de loi est mise aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°19 :
Nombre de votants | 317 |
Nombre de suffrages exprimés | 277 |
Pour l'adoption | 163 |
Contre | 114 |
Le Sénat a adopté.
(Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. le président. - En accord avec le groupe Les Républicains et la ministre, je vous propose de reporter le débat sur la politique sportive à la séance de ce soir.
Il en est ainsi décidé.
La séance, suspendue à 19 h 10, est reprise à 19 h 20.
Assistons-nous au recul de l'État de droit en France ?
M. le président. - L'ordre du jour appelle un débat sur le thème : « Assistons-nous au recul de l'État de droit en France ? » à la demande du groupe socialiste.
Mme Sophie Taillé-Polian, pour le groupe SOCR . - Nous estimons que ce Gouvernement distille continuellement le discours de la peur en courant après l'illusion du tout sécuritaire, dans un monde où le contrôle technologique permet la surveillance de chacun à tout instant. Si un État de droit a besoin des forces de l'ordre - auxquelles je rends hommage - cela ne doit pas nous rendre aveugle face au détricotage de nos droits et au recul constant du juge par rapport au préfet. Vous avez accepté l'assignation à résidence sans intervention d'un juge. Quel bilan de l'état d'urgence ?
Sur 4 600 perquisitions, seules 20 étaient justifiées par des actes de terrorisme et 16 relevaient d'actes d'apologie du terrorisme. L'état d'urgence a occasionné l'interdiction de 155 manifestations en dix-huit mois et a permis 639 interdictions individuelles de manifester.
Le Gouvernement a malgré tout choisi d'inscrire les principes de l'état d'urgence dans le droit commun, en défendant l'idée qu'il n'est pas nécessaire d'être coupable pour être puni. Le Conseil constitutionnel a, fort heureusement, joué son rôle de garant et a censuré ce dispositif.
Mais votre Gouvernement a considéré son propre peuple comme son adversaire. Preuve en est l'assimilation du maintien de l'ordre à la répression des violences urbaines, avec les méthodes violentes employées dans certains quartiers où l'uniforme est parfois perçu comme une menace et plus comme une protection. Il faut se rendre à l'évidence : la violence engendre la violence. En novembre 2016, la Cour de cassation a condamné l'État pour les contrôles d'identité discriminatoires.
À Nantes, les mesures disproportionnées employées lors de la Fête de la musique ont conduit à la mort tragique de Steve - Michelle Meunier pourrait en témoigner.
Et que dire de la répression violente des policiers lors des manifestations des gilets jaunes ? Vous avez accepté le dévoiement de l'usage des lanceurs de balle de défense, qui blessent gravement et handicapent à vie. Depuis le début du mouvement des gilets jaunes, 25 personnes ont perdu un oeil, 5 personnes une main.
Je salue les journalistes qui, mettant parfois en jeu leur intégrité physique, nous ont permis de mesurer les conséquences de cette conception du maintien de l'ordre par la répression systématique. Qui contrôle les forces de l'ordre ? L'IGPN n'est pas indépendante, le parquet non plus, et le juge trop peu souvent saisi.
Le nombre élevé d'interpellations, l'utilisation abusive de la garde à vue immédiate sont souvent dénoncés. Mais vous préférez donner de belles leçons de morale à ceux qui nous alertent.
Les journalistes sont particulièrement visés par des perquisitions scandaleuses, comme celles au Monde ou à Mediapart.
Sans parler des convocations de journalistes sur l'affaire Benalla ou l'usage d'armes françaises par l'Arabie saoudite au Yémen.
Vous avez accepté de sacrifier les lanceurs d'alerte et notamment les journalistes sur l'autel complaisant du secret des affaires. Vous avez accepté de mettre en danger le secret des sources. En mai, plusieurs journalistes du Monde et de Disclose ont été convoqués par la DGSI pour avoir diffusé des contenus relatifs à l'affaire Benalla et à l'utilisation d'armes françaises par l'Arabie Saoudite au Yémen. En février, Mediapart faisait face à une perquisition inédite !
La proposition de loi contre les contenus haineux sur internet viendra s'ajouter à cette liste, alors même que nous avons observé la semaine dernière à quel point les réseaux sociaux pouvaient être des lieux de censure, après la suspension de comptes Facebook et Twitter de syndicalistes de la SNCF.
La biométrie faciale risque de s'installer dans nos vies quotidiennes et les moyens de la CNIL sont bien trop limités.
Ce ne sont plus les autorités qui assument mais la société tout entière qui s'inquiète, et qui participe alors à la construction des barreaux d'un espace sécuritaire toujours plus important.
Toutes les digues sautent et l'ensemble de ces dispositions contribue à accroître la violence plutôt qu'à la résorber. Benjamin Franklin le disait : « Un peuple qui accepte de perdre un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l'une ni l'autre, et finit par perdre les deux ».
L'état de nos libertés publiques offre un tableau alarmant.
Or un État de droit, c'est aussi un pouvoir exécutif contrôlé. Nous sommes ici dans un débat de contrôle dont nous connaissons les limites.
Cela pose la question du rôle du Parlement dont les missions de contrôle doivent être renforcées. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE)
M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement . - L'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen dispose que toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs n'est pas déterminée, n'a point de Constitution. (M. Loïc Hervé le confirme.) C'est sur ce fondement que nous avons construit notre État de droit autour d'institutions parlementaires et juridictionnelles.
Le Parlement a su s'émanciper du pouvoir exécutif pour instituer un régime de liberté. C'est l'époque des grandes lois de la IIIe République comme celle sur la liberté de la presse. Nous vivons encore sur ces acquis républicains qui sont notre ADN commun. Le Sénat fut à cette époque, notamment lors de l'Affaire Dreyfus, un défenseur intransigeant de ces libertés.
J'ai entendu les inquiétudes de Sophie Taillé-Polian, même si j'en ai trouvé certaines excessives, voire inexactes. Faut-il considérer que l'État de droit est menacé en France ? La vigilance n'interdit pas la rigueur.
Oui, nous faisons face à des menaces nouvelles et qui s'amplifient : le terrorisme veut anéantir la République, la démocratie, la liberté et l'égalité, notamment entre les femmes et les hommes. Le Gouvernement a voulu sortir de l'état d'urgence - certes, en introduisant certains instruments. Le populisme et la démagogie ébranlent notre démocratie représentative, eux aussi.
Ne nous y trompons pas : l'histoire montre que ceux qui sèment le désordre n'ont jamais pour dessein de respecter les libertés. Le Gouvernement cherche un équilibre entre plusieurs aspirations, comme lorsqu'il réserve la liberté de manifester en luttant contre les casseurs qui portent atteinte aux personnes et aux biens.
Le Gouvernement agit de même pour lutter contre le déversement de la haine en ligne, où le meilleur et le pire se côtoient, pour donner plus de moyens à la Justice grâce à la loi de programmation, et préserver son indépendance, en respectant la loi organique de 2013 qui interdit les instructions individuelles aux parquets, et l'avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) pour les nominations de magistrats.
Madame la sénatrice, ne nous laissons pas aller aux discours excessifs, à l'emporte-pièce, au-delà du débat légitime que vous posez. Des lois sont votées, certaines interdisent des comportements nuisibles - le Conseil constitutionnel s'assure qu'elles respectent l'État de droit, lequel est une chose précieuse et fragile, éminemment respecté dans notre pays, ce qui n'est pas toujours le cas ailleurs, y compris en Europe.
M. Jean-Raymond Hugonet . - L'État de droit suppose la prééminence du droit y compris pour les gouvernants. La réforme constitutionnelle de 2008 a introduit la question prioritaire de constitutionnalité (QPC), parachevant le contrôle de la hiérarchie des normes. On peut élargir l'État de droit au contrôle du respect de l'ensemble du bloc de constitutionnalité, y compris la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789, ainsi que les préambules de 1946 et 1958.
Il est essentiel de combattre les ennemis de la démocratie par des voies démocratiques. C'est un défi pour l'État de droit, qui n'existe que si les citoyens ont confiance dans les institutions. Le « tout est permis » est un recul flagrant. Lorsque l'État de droit est bafoué, c'est la solidarité de la Nation qui est menacée. Qu'entendez-vous mettre en place pour améliorer la situation ?
M. Marc Fesneau, ministre. - La hiérarchie des normes est issue des Lumières, de la Révolution et de la doctrine constitutionnelle de Hans Kelsen. L'institution du Conseil constitutionnel en 1958, sa décision sur la liberté d'association de 1971, la saisine élargie du Conseil par 60 parlementaires, instituée par le président Giscard d'Estaing et la QPC introduite par la révision de 2008 ont contribué à protéger la Constitution et notre bloc de constitutionnalité tout entier.
Outre ce bloc, la loi doit respecter les conventions internationales et la Convention européenne des droits de l'Homme. Le juge judiciaire et le juge administratif s'en assurent. Le Parlement, comme le Gouvernement, y est attentif. Ne le serait-il pas que le Conseil constitutionnel le lui rappellerait.
M. Jean-Yves Leconte . - Le fondement de l'État de droit est la séparation des pouvoirs, permettant que les décisions judiciaires soient impartiales. L'article 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme garantit le droit à un procès équitable et au principe du contradictoire.
Or nous assistons à un inquiétant glissement des prérogatives du juge judiciaire vers l'exécutif et l'ordre administratif et vers une diminution des droits de la défense, inadmissible et inquiétante pour nos libertés.
Ainsi, la vidéo-audience en direct d'un commissariat de police, établissement dépendant du ministère de l'Intérieur, près d'Hendaye, pour l'éloignement des étrangers en situation irrégulière est scandaleuse et dénoncée à ce titre par plusieurs associations et syndicats d'avocats. Elle ne respecte même pas la loi Collomb sur l'asile et l'immigration.
Comment justifier de telles dérives ? Comment attendre une justice impartiale dans l'enceinte d'un commissariat ?
M. Marc Fesneau, ministre. - Les gardes à vue sont toujours sous le contrôle d'un magistrat - qui peut la lever à tout moment. Il n'y a pas de recul de l'État de droit, puisque le contrôle du juge, national et européen, est omniprésent. Le code de procédure pénale décrit précisément les conditions à respecter. Pour autant, la garde à vue est une mesure essentielle pour permettre les investigations, qui a son équivalent dans tous les systèmes judiciaires, et est soumise au contrôle des juridictions de jugement lorsque la procédure est présentée au tribunal.
M. Jean-Yves Leconte. - Je m'interroge sur cette réponse, qui n'a rien à voir avec la question, laquelle portait d'abord sur la vidéo-audience - cela montre toute la considération du Gouvernement pour l'État de droit. (M. Jérôme Bascher soupire.)
M. Jean-Claude Requier . - Merci au groupe socialiste pour ce débat passionnant qui porte sur des questions consubstantielles.
Oui, notre République est le fruit d'une histoire complexe ; la démocratie représentative l'incarne, qui permet à tout le corps social de s'exprimer - encore faut-il que le Parlement, qui vote la loi, soit suffisamment informé. Or l'exécutif concentre entre ses mains l'essentiel des données nécessaires à la prise de décision. Ainsi, la mise à disposition du Parlement des données relatives à la fiscalité locale serait-elle particulièrement utile.
C'est peu de dire que les études d'impact sont aussi souvent des coquilles vides. Comptez-vous améliorer l'information préalable du Parlement, afin de nourrir ses travaux et d'éclairer ses votes ?
M. Marc Fesneau, ministre. - Nous tentons de progresser sur l'information des parlementaires, en amont du débat législatif, avec l'agenda prévisionnel sur trois mois ou la Conférence de consensus sur le logement que nous avons préparée avec votre assemblée, sur votre proposition, monsieur le président du groupe RDSE.
Enfin, une circulaire du Premier ministre du 5 juin 2019 prévoit que les études d'impact comprennent des indications chiffrées sur l'effet des réformes prévues.
Une convention avec le Sénat autorise la consultation des données du logiciel Chorus de Bercy par les sénateurs. Un hackathon est d'ailleurs prévu sur ce sujet bientôt avec le Sénat.
Mme Esther Benbassa . - L'État de droit est-il en recul ? Oui. L'État de droit est un système où la séparation des pouvoirs est de mise, où la justice sanctionne la police pour ses dérives - telles que celles que nous avons connues face aux manifestations des gilets jaunes, aux lycéens de Mantes-la-Jolie ou lors de la disparition de Steve.
Les exécutifs successifs et la majorité sénatoriale ont utilisé le droit pour contourner des obligations de respect des libertés fondamentales. Peu à peu, avec le projet de loi de 2017 qui faisait entrer dans le droit commun des dispositions de l'état d'urgence et les propositions de loi d'avril et octobre 2019, restreignant la liberté d'expression, nous entrons dans une société de la répression permanente au nom du maintien de l'ordre public. Quand notre police sera-t-elle encadrée sur le modèle de la désescalade pratiquée en Allemagne ou dans les pays scandinaves ?
M. Marc Fesneau, ministre. - Les violences contre les forces de l'ordre et les forces de secours, lors des manifestations ou ailleurs, mais aussi celles qui s'exercent contre les journalistes lorsqu'ils font leur travail, sont des menaces contre l'État de droit qui doit se défendre. De même les menaces terroristes mettent en péril notre cohésion sociale et portent atteinte à l'État de droit. Celui-ci doit se doter des outils et des moyens propres à le rétablir.
La liberté de manifester est fondamentale et nous y sommes profondément attachés. Lors du mouvement des gilets jaunes, des actes délictuels d'une violence inouïe ne relevant pas de la manifestation ont été commis. C'est donc pour préserver, au sein de l'État de droit, la liberté de manifester pacifiquement que nous agissons. Telle est la doctrine du maintien de l'ordre.
Mme Esther Benbassa. - Vous faites une confusion entre les gilets jaunes et les Black Blocs que le Gouvernement n'arrêtait pas et qui sont, pour l'essentiel, les auteurs des actes que vous avez mentionnés, même s'il y a eu aussi des violences commises par les gilets jaunes. Le rôle de l'État de droit est de permettre aux citoyens d'exercer leurs droits, tel celui de manifester car les entraves se multiplient ces derniers mois.
Mme Colette Mélot . - Le climat sécuritaire de la France s'est tendu. Après le précédent gouvernement, qui a instauré l'état d'urgence prolongé et l'imposante loi renseignement en 2015, la majorité actuelle continue cette démarche, ce qui suscite des inquiétudes.
Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires, écrivait justement Montesquieu. Nul n'est censé ignorer la loi, mais comment s'y retrouver alors qu'une soixantaine de nouvelles lois sont promulguées chaque année ? La confusion permanente de nouvelles règles fait peser un risque d'inefficacité de la loi.
Le groupe Les Indépendants est donc attaché à limiter l'inflation législative. Certaines normes créent des dispositifs censément plus adaptés aux situations nouvelles, alors qu'un dispositif existant aurait pu faire face aux difficultés constatées s'il avait pu être mis en oeuvre : le Gouvernement va-t-il s'engager dans cette voie, aux côtés du Parlement ?
M. Marc Fesneau, ministre. - Oui, l'État de droit c'est aussi la lisibilité. Même un Pic de la Mirandole ne pourrait pas maîtriser notre corpus législatif. La Constitution de 1958, en établissant une séparation plus stricte entre le domaine législatif et le domaine réglementaire, entendait limiter la loi aux règles générales. Cela a toujours été l'office de la jurisprudence de préciser ces règles.
Mais je doute de notre capacité à résister à l'addiction française à la loi et au normatif... Cela simplifierait pourtant l'action du ministre des Relations avec le Parlement que je suis !
M. Michel Canevet . - Vincent Delahaye voulait vous rappeler les mots de Chateaubriand : « Sans liberté, il n'y a rien dans le monde. Sans liberté, il n'y a pas de société politique, il n'y a que le néant ». Ainsi s'exprimait Chateaubriand, lui qui avait tout connu des horreurs de la terreur révolutionnaire, de l'autoritarisme impérial et de la réaction de Charles X.
Que la violence soit blâmable, cela ne fait aucun doute. Que le terrorisme doive être combattu ? Assurément !
Mais, à titre d'exemple, est-il pertinent de demander au juge de décider immédiatement ce qu'est une fausse nouvelle ? Faut-il lui demander de le faire en 24 heures comme le veut la proposition de loi Avia ? Comme le dit François Sureau, la gauche a abandonné la liberté comme projet, la droite comme tradition. Le Gouvernement abandonnera-t-il la proposition de loi Avia ?
M. Jérôme Bascher. - Vous avez raison !
M. Marc Fesneau, ministre. - La cyber-haine est un fait, une infraction qui doit être sanctionnée, et tel est l'objet de la proposition de loi de Mme Avia. Je ne doute pas que le Sénat l'examinera en veillant à un équilibre. Mais on ne doit pas appeler impunément sur internet à la haine raciste, à l'antisémitisme, à l'homophobie, ni proférer des menaces sur les réseaux.
La proposition de loi a été examinée par le Conseil d'État, grâce à une disposition de la révision constitutionnelle de 2008, dans le cadre de référence de la Constitution et de la Convention européenne des droits de l'Homme. L'Assemblée nationale s'est conformée à son avis et je suis sûr que vous y serez attentif, en faisant confiance au débat qui aura lieu au Sénat.
M. Serge Babary . - Max Weber rappelait que l'État détient le monopole de la violence légitime. « La force publique est constituée pour l'avantage de tous », selon l'article 13 de la Déclaration des droits de l'Homme. Après l'attaque de la préfecture de police, le président de la République a appelé à bâtir une « société de la vigilance », exigeant de chaque citoyen qu'il apporte son concours à la force publique.
Ces affirmations témoignent d'une impuissance de l'État à garantir la sécurité. La sécurité n'est pas une liberté, mais l'une des conditions de l'exercice de nos libertés. Pendant le mouvement des gilets jaunes, le Gouvernement a invité les citoyens à ne pas manifester. Il a remis en cause une commission d'enquête parlementaire dans l'exercice de son pouvoir de contrôle... Comment en est-on arrivé là ? « Plus le trouble est grand, plus il faut gouverner », disait le Général de Gaulle. Quelles mesures allez-vous prendre pour endiguer le recul de l'État de droit ?
M. Marc Fesneau, ministre. - Il faut des moyens pour faire respecter les lois - c'est vrai.
Quand la ministre de la Justice appelle à respecter la séparation des pouvoirs en vertu de la stricte application de l'ordonnance du 17 novembre 1958, elle ne fait que rappeler le droit existant.
Le Gouvernement défend l'État de droit, comme lorsqu'il soutient les initiatives parlementaires et en particulier la proposition de loi sénatoriale sur la liberté de manifester.
M. Jean-Yves Leconte . - Monsieur le ministre, sentez-vous libre de répondre à ma question précédente ! (Sourires) Toute restriction d'une liberté ou application d'une contrainte doit être soumise au contrôle du juge et doit se limiter à ce qui est strictement nécessaire et proportionné ; ces principes sont constamment rappelés par la jurisprudence.
En 2015, avec l'état d'urgence, nous avons dû nous résoudre à transférer à la justice administrative ce qui relevait strictement de la compétence du siège.
En 2017, votre Gouvernement a décidé de remettre ces dispositions dans le droit commun, confortant ainsi le rôle du parquet et des procureurs, puis, en 2018, vous avez limité, par des mesures préventives aux manifestations, la liberté de manifester des Français.
Allez-vous enfin garantir l'indépendance du parquet, monsieur le ministre ?
M. Marc Fesneau, ministre. - Les forces de l'ordre sont seules légitimes à intervenir. La doctrine de maintien de l'ordre respectant les principes que vous avez cités, selon le trouble causé, est graduée.
Les forces de l'ordre se sont vues doter des moyens d'empêcher certains manifestants de se constituer en Black Blocs qui n'ont d'autre objectif que la violence. L'unique objectif du maintien de l'ordre est le déroulement normal des manifestations.
Pour répondre à votre question précédente, le Conseil constitutionnel a jugé que la visioconférence contribuait à la bonne administration de la justice et au bon usage des deniers publics. Elle est très encadrée légalement, notamment par des voies de recours et soumise à l'accord des détenus, en particulier, ainsi que des étrangers placés en rétention administrative.
Les procureurs ne peuvent plus recevoir d'instructions individuelles depuis 2013 et ils ne sont pas nommés si le Conseil supérieur de la magistrature donne un avis non conforme à la proposition de la garde des Sceaux.
M. Jean-Yves Leconte. - Merci de ces précisions sur les vidéo-audiences qui cependant doivent avoir lieu ailleurs que dans les commissariats.
Quant à la réforme des parquets, elle a été votée par le Sénat en attendant un énième rebondissement du feuilleton de l'hypothétique révision constitutionnelle. Elle est indispensable.
M. Jean-François Longeot . - Cet été, plus d'une quinzaine de permanences parlementaires ont été vandalisées. La commission des lois du Sénat a lancé une consultation des élus après la mort du maire de Signes dans l'exercice de ses fonctions, pour prendre la mesure des incivilités ou des violences dont ils sont victimes. Quelque 92 % des élus ont été victimes d'actes d'incivilité, d'agressions, d'injures ou de menaces, mais 37 % seulement ont porté plainte et seulement 21 % de celles-ci ont abouti à la condamnation pénale des fautifs.
Les pompiers font face, eux aussi, à une recrudescence des agressions.
L'État de droit s'impose aussi aux individus. La défiance généralisée ne saurait autoriser à se soustraire à ce principe.
Comment faire en sorte que l'État de droit ne soit plus une incantation, mais une ambition, à marteler sans cesse ?
M. Marc Fesneau, ministre. - Le Gouvernement est préoccupé et vigilant face à la recrudescence des agressions contre les élus locaux et les parlementaires ou leurs permanences. La garde des Sceaux enverra très prochainement une circulaire rappelant aux procureurs que la qualité d'élu de la victime d'agression, qu'il soit dépositaire de l'autorité publique, comme le maire, ou chargé d'une mission de service public, comme le parlementaire, est une circonstance aggravante, afin de les inviter à une réponse pénale et une information de la victime systématiques.
Les atteintes aux élus sont la négation même de la démocratie. Il faut aussi évoquer les magistrats, les pompiers, les journalistes, les agents d'accueil.
M. Christophe Priou . - L'échec de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes est un exemple spectaculaire de l'abandon de l'État de droit en zone rurale sur des milliers d'hectares.
La République s'est effacée plusieurs années au profit de zones de non-droit, d'entraves à la circulation prolongées pendant des mois. L'étonnante jurisprudence des manifestations « ni autorisées ni interdites » a prévalu pendant des années en plein état d'urgence.
Pourtant toutes les autorités administratives et juridictionnelles ont conclu à plus de 170 reprises à la régularité du projet, finalement balayé par le Premier ministre, ce qui fut confirmé par le président de la République une fois élu, trahissant ses promesses de candidat. Un représentant de l'État, préfet de région est même allé trinquer avec les zadistes à l'abandon du projet !
M. François Bonhomme. - C'est incroyable !
M. Christophe Priou. - Tout cela constitue un net reflux de l'État de droit.
M. Marc Fesneau, ministre. - L'État de droit a surtout reculé avec chaque non-décision des gouvernements précédents, pendant des années. On ne s'est pas donné les moyens de faire aboutir le projet en laissant se constituer une zone de non-droit.
Le Premier ministre a tranché, et clarifié la position de l'État, en lançant une reconquête de ce territoire, alors qu'une zone de même nature se constituait à Bure. Ainsi nous avons évité la reproduction de telles zones de non-droit au sein de la République française.
M. Christophe Priou. - Qu'en est-il du respect du référendum local, annoncé par le candidat Macron et du prolongement d'une piste de l'aéroport existant vers l'une des grandes zones humides de France ?
Le compromis imposé a bien sanctionné le recul de l'État de droit.
Mme Sylvie Robert . - La liberté de la presse est une pierre angulaire de l'État de droit. Victor Hugo a dit : « La liberté de la presse, à côté du suffrage universel, c'est la pensée de tous éclairant le gouvernement de tous. Attenter à l'une, c'est attenter à l'autre ».
Le dernier rapport de Reporters sans frontières fait état de la mort de 80 journalistes en 2018, 49 ayant été assassinés en raison de leur profession. En dix ans, 702 journalistes ont ainsi trouvé la mort. Et 348 sont en détention, pendant que 60 sont gardés en otages.
Notre pays garantit la liberté de la presse mais la menace qui pèse sur elle, est aussi d'ordre économique et financier : concentration, manque de moyens des petites publications, concurrence des GAFA, propagation d'infox pour influencer des élections, sont autant de périls qui nuisent à la liberté de la presse dans notre pays, pendant que les violences ou menaces à l'encontre des journalistes induisent une forme d'autocensure.
À la lumière de ce constat, que va faire le Gouvernement pour protéger la liberté de la presse ?
M. Marc Fesneau, ministre. - Les journalistes et éditeurs ont besoin d'un cadre financier protecteur. David Assouline et le député Mignola ont uni leurs efforts sur les droits voisins, garantissant la rémunération des titres de presse pour la reprise de leurs contenus par les plateformes en ligne.
La prochaine étape du combat se situe au niveau européen.
La réforme de la loi Bichet sur la distribution de la presse est un second exemple d'initiative bienvenue.
Les journalistes doivent pouvoir faire leur travail dans des conditions satisfaisantes, y compris lors de manifestations. Nous avons pris des mesures en ce sens. On a besoin des journalistes comme contre-pouvoirs. Le Gouvernement sera vigilant.
Mme Sylvie Robert. - Loi sur le secret des affaires, contre la manipulation des informations... Nous assistons à une judiciarisation dangereuse de la liberté d'information.
M. François Bonhomme . - L'État de droit est un État qui assure le respect de la primauté du droit, l'égalité de tous devant la loi, la séparation des pouvoirs, la participation à la prise de décision, la sécurité juridique ou encore la transparence des procédures. Or l'État de droit s'est étiolé.
Certains mouvements minoritaires et radicaux pèsent davantage que la majorité silencieuse dans notre démocratie. Un exemple : la retenue d'eau de Sivens, sur laquelle l'ensemble des acteurs s'étaient accordés et qui a été abandonnée en catimini en décembre 2015 alors que le million et demi de mètres cubes d'eau qui devait être retenu était indispensable à des cultures de maraîchage et des cultures fourragères, une autre retenue d'eau a été décidée dans la vallée du Tescou. Cette fois, le Gouvernement assurera-t-il le respect de l'État de droit ?
M. Marc Fesneau, ministre. - Oui, la démocratie est la loi de la majorité.
À Sivens, la situation était très complexe, les affrontements ont été très violents, conduisant, malheureusement, à la mort d'un manifestant, Rémi Fraisse, en 2014. À Notre-Dame-des-Landes comme à Sivens, le Gouvernement a pris ses responsabilités, face à des abcès de fixation qui mettent en cause notre capacité à mener des projets d'intérêt général.
Concernant la retenue d'eau de Tescou, le Gouvernement est très attentif à ce que les besoins en eau des agriculteurs soient satisfaits, dans le strict respect de l'État de droit.
M. François Bonhomme. - Les besoins en eau dans le sud-ouest sont connus depuis longtemps. Ils sont considérables. Aucun projet n'a été lancé en Tarn-et-Garonne. Si rien n'est fait nous allons au-devant de pénuries, dont la population n'a pas idée.
M. Jérôme Bascher . - J'aurais pu parler d'autres atteintes à l'ordre public ou à l'État de droit, dans les banlieues par exemple. Je veux parler ici de la désobéissance civile. De plus en plus, des groupes d'action, des collectifs qui ne veulent pas de bien à la République et à la loi donnent des mots d'ordre de désobéissance civile pour empêcher les autres d'exercer leurs libertés. Ils sont souvent pacifiques mais pas toujours. Certains vont même jusqu'à inciter à la violence.
M. François Bonhomme. - Extinction Rebellion par exemple !
M. Jérôme Bascher. - Oui, certains manifestants ont bloqué les voies parisiennes - comme si cela était nécessaire alors que la mairie de Paris s'en charge très bien toute seule - laissant leurs ordures sur une place alors qu'ils prétendent sauver la planète.
M. Marc Fesneau, ministre. - De plus en plus de mouvements s'inspirent du concept de désobéissance civile forgé par Henry David Thoreau et défendu par Gandhi. Ils s'inscrivent au-dessus de la délibération démocratique au nom d'une conscience individuelle.
Leurs préoccupations sont parfois légitimes mais les moyens d'action sont discutables, au nom d'une conscience individuelle qui surplomberait l'État de droit. Le respect de la démocratie républicaine et de l'État de droit sont des cadres indispensables. Nous en rediscuterons lors de l'examen prochain d'un texte sur le délit d'entrave.
M. Jérôme Bascher. - Certains appels à la désobéissance civile relèvent davantage du bandit que de Gandhi... Même s'il ne s'agit pas de réels bandits. Il faudra que le texte sur le délit d'entrave adopté par le Sénat soit voté par l'Assemblée nationale.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour le groupe socialiste et républicain . - Nous tenons ce soir un débat de contrôle ; pourtant, il s'est passé quelque chose... Le Sénat tend à considérer que le Gouvernement l'écoute peu. Quelle incidence pour ce débat de contrôle ? Ce soir, nous devons jouer notre rôle d'alerte. Sur aucune travée, nous ne nous résolvons à assister en spectateurs au recul de l'État de droit.
Pouvons-nous considérer que face au terrorisme notre démocratie peut être forte sans se renier ? La réponse s'étend, à l'évidence, au-delà de la gauche.
Je vous remettrai cet ouvrage de François Sureau, Sans la liberté, (L'oratrice brandit ledit fascicule.) qui vient d'être publié par un homme ayant participé à la rédaction des statuts de LaREM, alerté, tout comme Mireille Delmas-Marty, sur les dérives successives de ce Gouvernement, qui n'a pas hésité à transiger avec les libertés publiques, dans une quête de l'inaccessible sécurité absolue : marginalisation du pouvoir judiciaire, répression préventive des manifestations, les témoignages sont nombreux.
Réprimer la publication d'informations jugées fausses, n'est-ce pas un recul de l'État de droit ?
Nous avons aussi évoqué la sécurité publique, usage et doctrine d'emploi des forces de l'ordre et de brigades rappelant les fameux voltigeurs, les conditions de la clarification de la mort de Steve Caniço, les mutilations subies pendant les manifestations des gilets jaunes.
Vous avez voulu, ce soir encore, et bien que vous soyez chargé des relations avec le Parlement, échapper à tout contrôle (M. le ministre s'en défend.) : contrôle parlementaire avec la commission d'enquête Benalla, contrôle citoyen avec votre attitude quant au référendum d'initiative populaire sur la privatisation d'Aéroports de Paris, où l'État ne brille pas par son enthousiasme à l'organiser.
Ce sur quoi vous cédez aujourd'hui, c'est l'essence de la démocratie. Les digues cèdent les unes après les autres.
Le groupe socialiste vous aura alerté ce soir. Les sénateurs des autres groupes aussi. Nous aurons d'autres occasions de le faire. Il est dommage que le groupe LaREM n'ait pas souhaité vous interroger sur ces questions. Sinon, je leur aurais offert comme à vous cet ouvrage. (L'oratrice montre à nouveau le fascicule de François Sureau ; on applaudit sur les travées des groupes SOCR, CRCE ; M. Serge Babary applaudit également.)
La séance est suspendue à 20 h 35.
présidence de M. Jean-Marc Gabouty, vice-président
La séance reprend à 22 h 5.
Mise au point au sujet d'un vote
Mme Agnès Canayer. - Annie Delmont-Koropoulis ne souhaitait pas prendre part au scrutin n°19.
M. le président. - Acte vous est donné de cette mise au point. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l'analyse politique du scrutin.
Politique sportive
M. le président. - L'ordre du jour appelle un débat sur la politique sportive, à la demande du groupe Les Républicains.
M. Michel Savin, pour le groupe Les Républicains . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC) Plus vite, plus haut, plus fort : c'est la devise proposée en 1894 par Pierre de Coubertin à la création du Comité international olympique.
Quatre ans et demi avant que la France accueille le monde, pour les Jeux olympiques de Paris 2024, il est urgent que notre pays s'engage dans une politique sportive volontariste.
La préparation des Jeux olympiques est l'occasion de replacer le sport au coeur de nos politiques publiques et il n'y aurait rien de pire que d'organiser les jeux en oubliant de replacer le sport au coeur du quotidien des Français. Cet événement est un formidable appel d'air ! Il faudra que l'héritage soit fructueux. La nouvelle agence du sport est une bonne initiative : donner les moyens aux acteurs du sport de débattre des enjeux et de définir des projets sportifs est d'un intérêt indéniable.
Quelle politique sportive voulons-nous pour la France ? Le sport est une politique publique trop souvent reléguée au second plan, même si nous assistons régulièrement à des déclarations d'amour au sport français. Nous attendons la transposition des paroles en actes.
Une politique publique nécessite d'abord un budget. Or le sport représente moins de 0,3 % du budget de l'État. En 2017, le budget du programme 219 était de 517,4 millions d'euros ; en 2020, il sera de 458,7 millions d'euros. C'est un très mauvais signal envoyé au monde sportif qui est déjà inquiet dans cette période de forte instabilité.
La politique du sport concerne trois domaines : celui du sport pour tous, celui du haut niveau et celui du sport professionnel. Je ne m'attarderai pas sur ce dernier, objet d'une loi de février 2017 adoptée au Sénat à l'unanimité chargée de lui redonner sa compétitivité et dont nous observons les premiers effets. Il reste encore du chemin à parcourir pour que le sport français ne soit pas pénalisé au niveau international : formation, gestion des infrastructures, accompagnement de la reconversion, lutte contre le piratage des compétitions sportives, attractivité fiscale, préservation de l'éthique des paris, tabou de la loi Évin et hypocrisie de la législation, quand l'alcool de deuxième catégorie est interdit à la vente au grand public dans les stades, mais disponible dans les loges, banni lors des compétitions françaises mais consommé dans les compétitions internationales... Ce sont autant de chantiers à poursuivre.
La politique sportive, c'est aussi le soutien au haut niveau des athlètes qui nous représentent et nous font rêver. Votre prédécesseur a annoncé un objectif de 80 médailles ; où en sommes-nous aujourd'hui ? Un système de bourses avait été évoqué : où en sommes-nous aujourd'hui ?
Où en est l'accompagnement des sportifs dès le plus jeune âge ? Il est regrettable que les aménagements d'études pour les sportifs de haut niveau soient si peu soutenus.
Le dispositif d'accompagnement des sportifs de haut niveau - le Pacte de performance - a fait ses preuves, il mérite d'être amplifié. Quelques difficultés fiscales avaient été levées l'an dernier par le Sénat. Hélas, elles subsistent. Nous espérons que vous nous soutiendrez cette année.
De multiples questions éthiques se posent sur le soutien au sport féminin et au handisport ; sur le retour au plus haut niveau des athlètes ayant eu un enfant ; sur la lutte contre les abus sexuels. Nous formulons des propositions.
Le rôle des conseillers techniques sportifs (CTS) est essentiel. Le Sénat a joué un rôle majeur dans la résolution de la crise, au printemps dernier. Madame la ministre, vous avez annoncé dans Le Dauphiné libéré vouloir prendre le temps de la discussion avec les CTS et les fédérations ; c'est une position plus souple qu'en juin, je m'en félicite.
Le système sportif français est basé sur une solidarité forte entre le sport professionnel, le sport de haut niveau et le sport pour tous. Des dispositifs fiscaux tels que la taxe Buffet et les taxes sur les paris sportifs ont été créés pour cela. Plafonnés, ils ne permettent plus de faire bénéficier au sport de l'incroyable augmentation de la valeur économique du secteur. C'est regrettable. Je soutiens les députés qui ont voulu augmenter de 15 millions d'euros le budget de l'Agence nationale du sport (ANS) ; vous avez demandé une seconde délibération au milieu de la nuit. Quel mépris !
Nous avons besoin d'une politique sportive ambitieuse qui accompagne nos concitoyens tout au long de la vie, de l'école à l'Ehpad. La France doit se doter d'une politique ambitieuse alors que les maux liés à la sédentarité progressent. Il est urgent de permettre à chacun d'avoir une pratique sportive.
Mme Françoise Gatel. - Très bien !
M. Michel Savin. - Le Sénat est à vos côtés pour faire de la France une nation sportive. Pour paraphraser le président de la République, il est temps de passer des paroles aux actes. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Françoise Gatel applaudit également.)
Mme Roxana Maracineanu, ministre des sports . - Je suis heureuse de dialoguer avec vous sur ce thème. C'est l'occasion de faire un point, un an après mon arrivée au Gouvernement.
J'ai fait du dialogue le fil rouge de ma méthode. L'an passé, on parlait de démantèlement du ministère, on disait que le budget baisserait, que l'ANS ne verrait jamais le jour. Ces craintes ont été démenties. Le budget exécuté en 2018 a même permis de constater une dépense publique en faveur du sport inédite depuis dix ans.
L'État se mobilise pleinement pour Paris 2024 : le budget du sport augmente de 9,8 %, ce qui montre que le sport français a convaincu.
Ensemble, avec le mouvement sportif, les collectivités, les parlementaires, les agents du ministère, nous avons démontré que nous étions en mouvement.
Cet engagement est le fruit d'une conviction : le sport est un bien commun ; il favorise l'épanouissement personnel et le plaisir, mais aussi l'apprentissage du dépassement de soi, de la confiance, de la solidarité, du lien social. C'est une marche vers la citoyenneté. Le sport crée de la valeur, de l'emploi, insère et réinsère, participe au rayonnement de notre pays. C'est en ce sens que je mène des politiques par et pour le sport.
Avec l'Éducation nationale, je travaille à un nouveau parcours sportif. Je pourrais également citer le plan « Aisance aquatique » de lutte contre les noyades, ou le plan « Savoir rouler à vélo », ou les actions en faveur du sport féminin.
Le sport est bon pour soi, pour la santé, pour l'éducation, pour le lien social, pour le vivre ensemble, pour le travail et l'emploi, pour notre économie, pour nos entreprises et pour le tourisme. Il ne se réduit pas aux crédits de mon ministère. Nous voulons faire respirer le sport partout dans la société. Par exemple, le programme de recherche dédié à la haute performance est doté de 20 millions d'euros sur cinq ans, soit 4 millions d'euros par an, bien plus que les 500 000 euros dont disposait jadis l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (Insep).
Les contrats de ville comporteront un volet pour l'action sportive à vocation d'inclusion sociale et territoriale.
Dernier exemple, un plan d'investissement d'avenir apporte 55 millions d'euros au développement des éco-générateurs et des innovations dans le sport.
L'engagement du Gouvernement est aussi manifeste dans son soutien plein et entier à Paris 2024. Les délais et les budgets seront tenus et des équipements nouveaux fournis. Paris 2024 fédère et mobilise le sport français ; il réunit l'ensemble du monde sportif amateur, l'énergie des bénévoles, la passion des formateurs et encadrants, les organisations représentatives d'employeurs et de salariés. Cette « équipe de France du sport » sera réunie au sein de l'ANS, qui porte une passion commune.
En 2019, les collectivités territoriales auront soutenu près de 250 dossiers de subventions à des équipements sportifs pour 54 millions d'euros.
Avec l'ANS, près de 90 millions d'euros seront consacrés au sport de haut niveau. Nous déployons progressivement une nouvelle vision du soutien à nos athlètes et à leurs accompagnants avec de nouvelles aides plus importantes, plus justes, mieux ciblées, notamment grâce au Sports data hub qui permettra, par les comparaisons internationales, d'optimiser les performances sur la route de Tokyo, Pékin et Paris.
Un prochain projet de loi sur le sport, présenté au premier semestre 2020, aura pour vocation de développer la pratique sportive, simplifier et fluidifier le rapport des associations sportives avec les pouvoirs publics, rendre la France plus attractive et dynamique dans le secteur de l'économie du sport, et d'accroître l'éthique et la régulation du sport. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM ; Mme Françoise Gatel applaudit également.)
M. Jean-Jacques Lozach . - Dans son étude annuelle pour 2019, le Conseil d'État plaide pour la préservation de la place de l'État dans la définition de la politique du sport. Création d'une ANS où l'État n'est qu'une des quatre parties prenantes, faiblesse du budget du ministère, refus du déplafonnement des taxes affectées au Centre national pour le développement du sport (CNDS) puis à l'ANS, transfert des conseillers techniques sportifs vers les fédérations, restructuration des services extérieurs de l'État dans le cadre du programme Action publique 2022, fusion des inspections générales : l'État ne semble plus être l'acteur qui impulse les stratégies et les dynamiques du sport.
Certains prophétisent la disparition du ministère après 2024. Leurs inquiétudes sont-elles justifiées ? L'État n'est-il plus qu'un simple partenaire financier et non un stratège ? Le projet de loi sur le sport tranchera-t-il entre les options institutionnelles et administratives envisageables ? Laissera-t-il à l'État un rôle central compatible avec une plus grande responsabilisation du mouvement sportif mais aussi la reconnaissance du rôle des collectivités et l'implication souhaitée du monde économique ?
Les collectivités territoriales sont, depuis la décentralisation, les premiers financeurs du sport en France. Comment fonctionneront les conférences régionales du sport et les conseils territoriaux ? Quelles seront les ressources de ces instances ?
Mme Roxana Maracineanu, ministre. - Je salue la grande première que constitue une étude annuelle du Conseil d'État sur le sport. Elle souligne la force du sport français et du modèle dans lequel l'État a délégué aux fédérations l'organisation des compétitions et a choisi de garder la main sur le haut niveau via des fonctionnaires auprès d'elles et via également l'Insep.
Ce modèle a facilité l'émergence du sport de haut niveau et le développement des pratiques sportives. L'expertise étatique présente dans les fédérations a aussi facilité l'accueil de grands événements sportifs sur nos territoires - des vitrines qui donnent envie aux jeunes.
Cette expertise s'est aussi étendue au développement des pratiques, pour agrandir le vivier du haut niveau mais aussi pour répondre à des priorités telles que la préservation de la santé de nos concitoyens et la cohésion sur nos territoires d'accueil des différentes vagues d'immigration.
L'étude du Conseil d'État rappelle que la loi NOTRe a permis aux collectivités territoriales d'investir davantage dans le sport. Les pratiques sportives ont changé. De plus en plus d'entreprises cherchent, elles aussi, à développer le goût du sport. Le Conseil d'État a salué notre modèle de gouvernance partagé incarné par l'ANS, qui fait l'unanimité parmi les collectivités territoriales.
Ma priorité sera de travailler sur la déclinaison territoriale. Reste aux fédérations à prendre leur part ; les entreprises, elles, sont convaincues. La création de l'ANS sous forme d'un groupement d'intérêt public (GIP), le 24 avril dernier, confirmé par la loi et amendé par vos soins, vise à répondre à l'enjeu de mieux faire ensemble.
Mme Mireille Jouve . - Depuis 2011, deux types d'arrêtés de restriction et d'interdiction de déplacement de supporters peuvent être mis en oeuvre. Les arrêtés pris en ce sens se sont multipliés depuis. Si seulement quatre matchs ont été touchés lors de la saison 2011-2012 de la ligue 1 de football, 102 rencontres l'ont été la saison dernière. Cela entraîne une sursollicitation de nos forces de l'ordre dont les moyens humains peuvent faire défaut ailleurs.
L'accueil des supporters visiteurs doit être la norme. Les arrêtés de restriction ou d'interdiction, pris très tardivement sont très dommageables. Quelles évolutions sont prévues dans ce domaine ?
M. Alain Dufaut. - Allez l'OM ! (Sourires)
Mme Roxana Maracineanu, ministre. - Avec Laurent Nunez, j'ai évoqué en septembre cette situation difficile, avec une interdiction de déplacement qui devient la norme. J'ai bien conscience des difficultés. Il faut mieux expliquer les décisions, mieux anticiper la tenue des matchs, mieux reconnaître le rôle des supporters référents, mieux coordonner les ministères des Sports et de l'Intérieur.
Les supporters doivent être considérés comme des acteurs majeurs. Hier, s'est tenue la plénière de l'instance nationale du supportérisme, en présence des députés Mme Buffet et de M. Houlié, qui travaillent à une mission parlementaire sur ce sujet.
Nous avons pu annoncer l'élaboration d'une circulaire aux préfets, qui reprend toutes les préconisations décidées ensemble pour mettre en place un tour de table avec tous les acteurs, bien en amont de ces matchs à risques.
Il ne faut plus banaliser les interdictions strictes de déplacements, auxquelles il faut préférer des déplacements encadrés et sécurisés.
Mme Mireille Jouve. - Merci pour ces explications qui me conviennent.
M. Didier Rambaud . - Chaque année est marquée par son lot de drames liés aux noyades. Près de 1 960 noyades ont été recensées pour le seul été 2018, dont 597 suivies par un décès. Le Premier ministre a souhaité que les ministères de l'Éducation nationale et des Sports s'en saisissent.
Il est regrettable que les jeunes enfants soient trop souvent exposés dans les piscines familiales.
Madame la ministre, vous penchez pour un apprentissage précoce, vers 4 ans. Où en est-on de l'expérimentation ? Il faut créer une compétence « savoir flotter » et coordonner les plans tels que le « Savoir nager » de l'Éducation nationale et le « J'apprends à nager » du ministère des Sports, sans oublier l'intervention des familles. Mais d'autres publics sont concernés : seniors ou adolescents. Comment coordonnerez-vous ces actions ?
Mme Roxana Maracineanu, ministre. - Oui, les enfants sont les premières victimes de noyades. Notre plan « Aisance aquatique » vise à en réduire le nombre, trop important chaque année.
La petite enfance est encore trop peu concernée. Des tutoriels sont diffusés par le ministère des Sports en direction des parents. Nous incitons à la construction d'équipements adaptés.
Nous envisageons la refonte et le réenchantement du métier de surveillant de baignade et de maître-nageur sauveteur.
Grâce au plan « Aisance aquatique », les enfants devront apprendre à flotter, à se mettre sur le dos pour se reposer, à appeler à l'aide, voire à s'extraire de la piscine. En une ou deux semaines, les enfants devront avoir acquis ces compétences.
Je n'oublie pas les seniors et les adolescents, également concernés. Une partie des dispositions seront orientées l'an prochain vers les plus de 60 ans, aussi touchés que les jeunes enfants.
Mme Céline Brulin . - Sans attendre le rapport que vous avez commandé à MM. Cucherat et Resplandy-Bernard sur les CTS, je vous exprime la vive inquiétude de mon groupe au Sénat et celle du milieu sportif tout entier quant au détachement d'office de ces acteurs incontournables mais aussi quant à la remise en cause inacceptable du rôle de l'État. Les inégalités entre fédérations seraient aggravées puisque seules celles capables de les prendre en charge financièrement en bénéficieraient.
Un big bang n'est pas pertinent à l'approche des grandes échéances internationales. Le Conseil d'État dans son rapport du 16 octobre préconise de passer par l'ANS pour la rémunération des CTS, dans les fédérations qui n'arrivent pas à en assumer le coût. La Cour des comptes prône une nouvelle logique d'affectation, au risque d'une politique favorisant les sports qui ont le moins besoin de soutien.
Mme Roxana Maracineanu, ministre. - À cinq ans des Jeux olympiques, c'est notre responsabilité collective de faire mieux en analysant nos forces et nos faiblesses. C'est dans ce cadre que nous avons transformé notre modèle en créant l'ANS et en renforçant les responsabilités des fédérations. Nous voulons remettre les clubs sportifs au coeur du projet. Il faut capter les Français qui ne pratiquent aucun sport.
J'ai tenu un dialogue ouvert, sans tabou, pour que chacun puisse être force de proposition. Nous avons besoin de solutions innovantes. Le 21 mai dernier, j'ai proposé que le repositionnement des CTS prenne une nouvelle forme. C'est pourquoi j'ai confié le rapport dont vous avez parlé à MM. Alain Resplandy-Bernard et Yann Cucherat, lui-même CTS. J'attends le résultat de leur mission pour vous en dire plus.
M. Dany Wattebled . - La politique sportive est entrée dans une période charnière, à l'approche des Jeux olympiques et avec la création de l'ANS, approuvée cet été par le Sénat.
Ce fut un événement incontournable pour toutes les fédérations et une réorganisation majeure pour tous les acteurs du sport. Une question se pose : celle des moyens mobilisés. De prime abord, aucune raison de s'inquiéter : les crédits ont été doublés en cinq ans. Mais alors que les premières dépenses pour les infrastructures des Jeux olympiques seront engagées en 2020, les acteurs locaux se demandent si le prochain budget bénéficiera à tous les territoires et à tous les sports.
Je ne reviens pas sur les CTS, toujours inquiets.
Alors que certaines fédérations sportives voient leurs adhérents se multiplier, d'autres se dépeuplent. Or, sans elles, nous n'atteindrons pas l'objectif de 40 médailles. Quels mécanismes de péréquation prévoyez-vous pour les fédérations ?
Mme Roxana Maracineanu, ministre. - Nous avons changé les critères financiers. Avec l'ANS, ce n'est plus le nombre de licenciés, mais les projets de développement des pratiques qui seront pris en compte pour le financement des fédérations. Avant, les fédérations peinaient à percevoir ce que les associations faisaient sur le terrain. Grâce à l'ANS, il y aura une vraie politique de développement pour les fédérations qui s'engageront sur des projets ambitieux, avec une vraie vision de leur déploiement territorial.
Conscients de l'importance des agents de l'État dans les fédérations, nous voulons cependant réformer, tout en prenant en compte le degré de maturité et d'indépendance de chaque fédération.
M. Dany Wattebled. - Le sport est un élément fort de notre cohésion sociale. Le sport, c'est la santé ; il devrait être remboursé par la sécurité sociale !
Mme Françoise Gatel. - Très bien !
M. Claude Kern . - Notre système original de responsabilité partagée entre l'État, les collectivités territoriales et le mouvement associatif permet de développer le sport pour tous, mais aussi le sport de haut niveau, sans négliger l'aspect social. Le Conseil d'État, dans son dernier rapport, constate que les collectivités territoriales sont devenues les premières contributrices au financement des pratiques, sans que leur rôle soit reconnu.
Aujourd'hui, alors que nous impulsons une nouvelle gouvernance, avec l'ANS, il faut se donner les moyens de réussir cet ambitieux virage qui doit favoriser la coordination entre les politiques sportives au niveau national et territorial, dans un esprit de concertation, de mobilisation et de proximité.
Cela ne pourra passer que par une organisation très décentralisée. La gouvernance territoriale ne doit pas être un simple reflet de l'orientation nationale de l'ANS. Nous regrettons la position timorée de l'Assemblée nationale qui n'a pas voulu faire présider les conférences régionales par une personnalité élue par les représentants des collectivités territoriales ou du mouvement sportif.
Le secrétariat de la conférence régionale des sports et de la conférence des financeurs devrait être organisé par les collectivités territoriales dans le cadre de compétences partagées. À l'heure où le décret d'application de la loi du 1er août 2019 est sur le point d'être publié, quelle est votre position ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)
Mme Roxana Maracineanu, ministre. - Vous étiez rapporteur de la loi sur l'ANS. Le rôle de cette agence sera d'assurer la cohérence entre fédérations et acteurs locaux, au sein des conférences régionales des sports.
Nous travaillons actuellement à la rédaction des trois décrets qui règleront l'organisation territoriale de l'Agence. Dans sa déclinaison territoriale, l'ANS veillera à la cohérence entre les projets sportifs territoriaux et les projets sportifs des fédérations. Pour cela, nous instaurerons une conférence régionale du sport qui comprendra les représentants de l'État, les collectivités territoriales, le mouvement sportif, le monde économique et les usagers des territoires. Elle élaborera un projet sportif de territoire tenant compte des spécificités locales tout en restant cohérent avec les objectifs nationaux. La conférence régionale du sport instituera une ou plusieurs conférences des financeurs du sport.
Des contrats pluriannuels d'orientation préciseront les actions, les ressources humaines et financières et les moyens matériels consacrés aux projets présentés. C'est la logique du guichet unique du sport.
Nous travaillons à la rédaction de trois décrets. Nous divergeons sur certains sujets, tels que la répartition des postes et l'autonomie attribuée aux acteurs locaux. Mais je suis confiante, nous parviendrons à mettre tout cela en place.
M. Stéphane Piednoir . - La pratique d'une activité physique participe à l'épanouissement de l'enfant et à sa réussite scolaire. Elle prévient l'obésité, la sédentarité, elle crée des vocations et incite à pratiquer le sport tout au long de la vie. Mais cela nécessite une implication de l'école.
Un récent rapport de la Cour des comptes pointe des faiblesses de structuration opérationnelle et d'évaluation de l'enseignement et souligne le manque d'une stratégie globale partagée par tous. Par exemple, les trois heures d'EPS hebdomadaires ne sont pas correctement appliquées dans l'ensemble des établissements et aucun contrôle n'est effectué ; il n'existe aucune continuité éducative entre le premier et le second degré.
Les Jeux olympiques sont un formidable levier pour susciter l'engouement pour la pratique physique. Quelles actions menez-vous pour améliorer l'organisation du sport à l'école ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Évelyne Perrot applaudit également.)
Mme Roxana Maracineanu, ministre. - Mon arrivée tardive à la tête du ministère a empêché une vraie collaboration avec Jean-Michel Blanquer sur le projet de loi pour l'école de la confiance, mais je vous invite à formuler des propositions pour le projet de loi sur le sport que je vous présenterai au prochain semestre.
Le constat est dramatique : les enfants sont moins en forme qu'il y a quarante ans. Ils souffrent de pathologies liées à l'inactivité.
Ma priorité, c'est l'école élémentaire, où tout se joue. Nous devons instaurer des rituels sportifs.
Nous avons passé une convention entre les ministères de l'Éducation nationale et du Sport et quatorze fédérations sportives. Nous allons développer les interventions des clubs et associations sur le temps scolaire.
Nous construisons un parcours éducatif et sportif de la maternelle à l'université valorisant toutes les actions et les compétences, du plan « Aisance aquatique » jusqu'au bénévolat dans les associations, qui favorisera l'insertion professionnelle.
Mme Sylvie Robert . - Au cours des trente dernières années, la professionnalisation des sports de haut niveau, vertigineuse, s'est accompagnée d'un essor de l'écosystème, avec le passage entre 1995 et 2016 de 3 à 25 chaînes diffusant des compétitions. Aujourd'hui, ces dernières retransmettent plus de 95 % du volume horaire dédié au sport. Alors que les droits de retransmission télé bondissent et que les ressources de France Télévisions baisseront de 160 millions d'euros d'ici 2022, il n'est pas étonnant que le budget consacré au sport par ce groupe soit passé de 230 millions d'euros en 2016 à 192 millions d'euros en 2019.
On peut craindre que certaines compétitions sportives telles que Roland-Garros ou le Tour de France, qui constituent pourtant l'identité sportive de France Télévisions, échappent au service public.
Pourtant, les chaînes du groupe ont diffusé 132 disciplines en 2018 et présenté avec succès le sport féminin.
Madame la ministre, élargirez-vous la liste des compétitions sportives d'importance majeure, notamment pour une meilleure exposition du sport féminin ? Autoriserez-vous la réintroduction exceptionnelle de la publicité après 20 heures, lorsque le service public diffuse du sport ? (M. Michel Savin approuve)
Mme Roxana Maracineanu, ministre. - Avec Franck Riester, nous souhaitons élargir la liste des compétitions protégées. Nous consultons en ce moment, et agissons en parallèle en faveur du sport féminin, sur le retour à la compétition après la grossesse par exemple. Toutes les bonnes volontés sont bonnes à prendre.
Mme Françoise Gatel . - Les bénéfices de la pratique du sport sur la santé sont indiscutables : elle réduit de 30 % la prévalence des maladies cardio-vasculaires et de 27 % celles des cancers du sein et du côlon. La loi de 2016 permettant aux médecins de prescrire une activité physique est une avancée majeure, mais l'absence de remboursement par la sécurité sociale fait obstacle à son développement.
Je me réjouis donc de la création, dans le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale, d'un parcours de soins, pris en charge par l'assurance maladie, pour ceux qui ont subi un cancer. Cependant, l'enveloppe de 10 millions d'euros ne financera pas une activité, mais seulement un bilan. À moyen terme, ce type de mesures est pourtant source d'économie pour l'assurance maladie. Or les initiatives locales sont fragilisées par le manque de visibilité financière. Ce crédit a-t-il vocation à être pérennisé et à monter en charge ? (Mme Nadia Sollogoub applaudit.)
Mme Roxana Maracineanu, ministre. - Cette avancée n'est qu'une première étape vers une stratégie sport-santé. Nous travaillons main dans la main avec Mme Buzyn. Cette enveloppe de 10 millions d'euros aura un effet levier pour valoriser les dynamiques territoriales. Le ministère des Sports signera prochainement une convention pour encourager les mutuelles à cofinancer ce parcours d'activités physiques à visée thérapeutique. Nous accompagnons la labellisation de 500 maisons sport-santé destinées à encourager une activité physique adaptée pour tous les publics. Le sport est aussi un élément clé de la politique de prévention.
Mme Florence Lassarade . - Le cancer pèse lourdement sur les Français : 322 000 nouveaux cas recensés en 2018, 137 000 décès. Quelque 4 millions de personnes ont ou ont eu un cancer. De nombreuses études montrent l'effet positif de l'activité physique pour améliorer la qualité de vie, limiter les effets secondaires des traitements et réduire le risque de récidive - jusqu'à 50 % pour le cancer du sein. Or 53 % des malades ont réduit ou cessé leur activité sportive dans les cinq ans suivant un cancer. Il faut donc encourager les personnes en rémission à pratiquer une activité physique adaptée à leur état. Cependant, aucune prise en charge de cette activité, notamment pour les malades du cancer du sein n'est prévue. Que comptez-vous faire ? Quelles sont les formations dispensées aux éducateurs sportifs qui s'occupent des malades ? Disposez-vous de données chiffrées ? (M. Michel Savin applaudit.)
Mme Roxana Maracineanu, ministre. - Dans les instituts spécialisés sur le cancer, j'entends souvent qu'une activité physique est indispensable pour que le corps puisse supporter des traitements très forts. L'activité physique est aussi un facteur de prévention important. Les maisons sport-santé sont un outil utile et nous allons labelliser un maximum d'initiatives locales. Le PLFSS proposera le remboursement d'un bilan pour déterminer l'activité physique la mieux adaptée. Beaucoup de fédérations dispensent des formations à destination des éducateurs : nous les accompagnons et veillons à créer des passerelles entre les mondes de la santé et du sport.
Mme Florence Lassarade. - La théorie est vertueuse ; je puis témoigner que la pratique l'est moins. Le bilan proposé dans le cadre du parcours de soin est intéressant mais dérisoire au regard des enjeux. L'effort doit être plus important. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Nadia Solloboug applaudit également.)
M. Christian Manable . - Le transfert des CTS aux fédérations est une très mauvaise nouvelle pour les agents, pour les fédérations, pour le sport de haut niveau et pour tout le modèle sportif français. Les 1 600 CTS sont un maillon essentiel, ils font vivre tant le sport de masse, vivier du sport amateur. Ils sont le relais des fédérations, détectent les champions de demain.
Les petites fédérations n'auront pas les moyens d'absorber ce transfert et devront faire face à une forte hausse de leur masse salariale. Comment éviter dans ces conditions la hausse du prix de la licence qui portera préjudice au sport amateur ?
Par son empressement irrationnel à se séparer des CTS, le Gouvernement déstabilise en catimini le modèle sportif français et met à mal la démocratisation du sport !
Mme Roxana Maracineanu, ministre. - La réforme que nous menons ne se fait pas dans l'empressement ni la précipitation. Elle a été mal comprise, nous l'avons revue en privilégiant l'approche métier, en associant les fédérations à la transformation du modèle.
Le métier d'entraîneur n'a jusqu'ici pas été suffisamment considéré, or la moitié des CTS sont entraîneurs des équipes de France. Avant de considérer leur statut, nous devons considérer leur métier et leurs missions. Nous n'imaginons pas mettre en péril le sport français à un an des Jeux olympiques. Nous proposons une nouvelle gouvernance pour adapter les ressources humaines disponibles à ce nouveau modèle.
M. Jean-Raymond Hugonet . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le piratage des compétitions sportives a explosé : selon la Hadopi, 17 % des internautes regardent des compétitions sportives en streaming, sur des sites pirates, ce qui est désastreux pour les fédérations et le sport amateur, privés des retombées. Ce pillage, qui correspond à un détournement de 100 millions d'euros par an, affaiblit tout l'écosystème du sport français.
À ce jour, il n'existe aucun moyen pour fermer les sites comme en Grande-Bretagne. Comment garantir la protection des droits sportifs quand les procédures prennent plusieurs mois ? Les pirates ont un temps d'avance sur les parades techniques et juridiques. En effet, le juge saisi ne sera pas en mesure d'intervenir rapidement à l'encontre des sites miroirs. Comment renforcer le dispositif de l'article 30 de la future loi Audiovisuel pour qu'il soit opérationnel ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Roxana Maracineanu, ministre. - J'ai travaillé avec Franck Riester à cette mesure de la loi Audiovisuel qui vise à combattre le piratage des compétitions sportives et à prendre en compte les exigences du sport. Le manque à gagner est évalué à 500 millions d'euros pour les télévisions payantes et à 100 millions d'euros pour les organisateurs d'événements sportifs. Je connais les travaux du Sénat sur le sujet. Nous avons mené un important travail interministériel, en transparence et en concertation avec les acteurs du sport et l'association de lutte contre le piratage des programmes sportifs.
Il faut aller plus loin, pouvoir saisir le juge en amont pour demander le blocage d'un site. Il faut aussi responsabiliser les fédérations internationales. C'est un pas de plus vers une désacralisation du concept de neutralité absolue du Net et pour la préservation du modèle économique des compétitions sportives.
M. Olivier Paccaud . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je veux parler de la ruralité. Sur les trois quarts du territoire national, EPS signifie non pas « éducation physique et sportive » mais « environnement parcimonieux et sous-doté ». Peu de piscines ou de murs d'escalade dans nos campagnes, même si les collectivités territoriales font de leur mieux ; le conseil départemental de l'Oise a, depuis dix ans, construit des équipements sportifs de proximité (ESP), les City stades, dans 150 petites communes.
À Beauvais, ville préfecture, les enfants peuvent pratiquer tir à l'arc, escrime, volley, tennis, athlétisme. Le Gouvernement se gargarise du dédoublement des classes en REP, mais que fait-il pour le sport dans les territoires ruraux ? La réserve parlementaire, tant décriée, manque cruellement. Ne me parlez pas du Fonds pour le développement de la vie associative dont les critères d'attribution sont trop flous pour être efficaces. Comment comptez-vous remédier à cette injustice territoriale ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Nadia Sollogoub applaudit également.)
Mme Roxana Maracineanu, ministre. - Nous voulons déployer nos politiques sportives dans les QPV et les ZRR...
M. Jean-François Husson. - Il n'y a pas que cela !
Mme Roxana Maracineanu, ministre. - ... afin de développer la pratique sportive partout sur le territoire, dans une logique de subsidiarité. L'ANS développe une politique ambitieuse au profit des territoires qui s'inscrit dans le cadre de l'Agenda rural. Un soutien à l'emploi sportif est prévu dans les territoires carencés, ainsi que dans les territoires ultramarins.
La nouvelle gouvernance de l'ANS privilégiera l'action au plus près des territoires ; région par région, département par département, chaque territoire pourra faire valoir son projet. Le Gouvernement est très attentif à ces territoires oubliés. (M. Jean Boyer s'exclame.)
Mme Nicole Duranton . - En novembre 2018, vous avez présenté au Premier ministre un projet pour développer la pratique sportive et relever le défi des Jeux de 2024. L'ANS a été créée pour mieux coordonner les acteurs, autour de parlements du sport et de conférences des financeurs. Parallèlement, certaines régions ont déjà élaboré des schémas régionaux de développement du sport, comme les régions Grand Est, Auvergne-Rhône-Alpes ou Nouvelle-Aquitaine.
Jean Castex, président de l'Agence et délégué interministériel aux Jeux olympiques, pilote l'avancée de chaque région. Or les différences sont patentes tant dans les modèles d'organisation que dans le niveau d'avancement. Si les fédérations se réjouissent d'être sorties de la tutelle étatique, il reste à garantir une évolution cohérente et coordonnée des déclinaisons locales de l'ANS. (M. Michel Savin applaudit.)
Mme Roxana Maracineanu, ministre. - C'est le challenge qui nous attend cette année. La direction, nous la construisons ensemble. Avec Jean Castex et Frédéric Sanaur, nous nous rendrons dans le Grand Est où sera expérimentée la conférence régionale. La nouvelle gouvernance du sport doit pouvoir se décliner à l'échelle d'une commune et associer tous les acteurs. L'état d'avancement diffère selon les territoires ? Tant mieux, car l'objectif était de s'adapter aux spécificités de chacun. Le rôle de l'État est de veiller à ce que tous bénéficient de la même expertise.
M. Jacques Grosperrin . - Je voulais poser une question sur le MMA, mais vous l'avez réglée, madame la ministre, je vous en remercie.
Depuis leur création par le général de Gaulle en 1960, à la suite de piteux résultats aux Jeux olympiques, les missions des fédérations ont évolué. Elles contribuent, avec leurs bénévoles, à lutter contre la désertification des zones carencées, urbaines comme rurales.
Or le budget de l'État consacré au sport, s'il augmente, ne tient pas assez compte des variations de contenu et de l'impact des Jeux de 2024.
La taxe Buffet, la taxe sur la Française des jeux et la taxe sur les paris pourraient être déplafonnées pour financer équipements sportifs ou emplois associatifs. L'État délègue aux fédérations une politique publique mais prélève des revenus sur leurs activités. On ne peut raisonnablement ponctionner le sport de la sorte.
Les ressources des fédérations reposent en grande partie sur la licence, mais on ne peut les mettre toutes sur le même plan.
Le sport n'est pas une dépense sèche, mais un investissement à long terme au service de la société. Quel regard portez-vous sur ce sujet et sur les fédérations, qui ont besoin d'être rassurées ?
M. le président. - Vous battez le record du dépassement...
Mme Roxana Maracineanu, ministre. - Nous aurons un débat budgétaire sur des bases solides, avec des crédits en hausse de 9,8 %, soit 65 millions d'euros de plus par rapport à 2019. Le Sénat avait déjà voté l'an dernier un budget en hausse de 15 millions d'euros.
Mais les crédits du sport, comme je l'ai rappelé, ne s'arrêtent pas aux portes de mon ministère. Le sport français aura en 2020 les moyens de ses ambitions : augmentation pour les médaillés de Tokyo et leur encadrement, hausse de 7,5 % du budget dédié à la lutte contre le dopage, déménagement du laboratoire de l'Agence française de lutte contre le dopage, financement de 500 places de formation au brevet professionnel d'éducateur, soutien à la pratique arbitrale par 40 millions d'euros d'exonérations de charges sociales ou fiscales.
M. Alain Dufaut, pour le groupe Les Républicains . - Nous sommes nombreux ici à être attachés au développement du sport en France et travaillons, au sein de la commission de la culture, à la promotion de la pratique sportive.
Madame la ministre, le 3 juillet, vous écriviez dans un courrier sur les CTS qu'il fallait analyser nos forces et faiblesses, interroger nos modalités d'action et nos marges de progrès en adaptant le modèle sportif français. C'est aussi l'ambition de notre assemblée.
Les 44 propositions de notre groupe de travail Sport et société sont à votre disposition.
Il faut ouvrir la pratique sportive à tous et cibler les moyens sur différents publics. D'abord les femmes, ce qui suppose d'accélérer la parité à tous les niveaux ; les habitants des zones rurales, en déficit chronique d'équipements sportifs ; les 2,5 millions de personnes en situation de handicap ; enfin les personnes âgées, qui ont besoin d'un sport adapté à leur âge et sous surveillance médicale. Le sport est un moyen de prévention efficace des maladies chroniques et permet de vieillir plus longtemps en autonomie.
L'activité physique et sportive est un investissement et non un coût. C'est ce qu'il faut expliquer aux idéologues de Bercy.
L'inactivité physique est la première cause de mortalité dans les pays développés, avant le tabagisme. Il suffit de quinze minutes de marche quotidienne pour faire baisser de 15 % la mortalité précoce.
Face à ces défis, il faut une volonté de tous les instants, des évolutions structurelles et des moyens que vous n'avez pas toujours.
Les sénateurs seront toujours à vos côtés pour affirmer l'exigence de développer la pratique sportive pour tous, y compris nos anciens, qui mérite de devenir cause nationale. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE et SOCR.)
La séance est suspendue quelques instants.
Catastrophes climatiques, mieux prévenir, mieux reconstruire
M. le président. - L'ordre du jour appelle un débat sur les conclusions du rapport « Catastrophes climatiques, mieux prévenir, mieux reconstruire ».
M. Michel Vaspart, président de la mission d'information sur la gestion des risques climatiques et l'évolution de nos régimes d'indemnisation . - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE.) À l'initiative du groupe socialiste, le Sénat s'est doté d'une mission d'information sur la prévention et l'indemnisation des risques climatiques. La mission a procédé à de nombreuses auditions, une consultation du public sur internet et fait deux déplacements, en Charente et dans l'Aude.
Elle a constaté la grande détresse des victimes laissées pour compte par un système d'indemnisation opaque, qui n'a pas pris la mesure du changement climatique. Le décalage est patent entre l'ampleur des défis et la pesanteur des décisions publiques, par exemple pour mettre en oeuvre les programmes d'actions de prévention des inondations (PAPI). Les atermoiements sur le recul du trait de côte sont parlants.
Les prélèvements sur le fonds national de gestion des risques agricoles ou sur le fonds Barnier reviennent à faire abonder par les assurés le budget de l'État. Le plafonnement de ces fonds est lui aussi un mauvais signal.
Aussi la mission d'information a-t-elle adopté à l'unanimité plus de cinquante propositions concrètes pour passer du « lutter contre » au « vivre avec », qu'il ne tient qu'au Gouvernement d'appliquer.
Nous ne relèverons ce défi qu'avec les collectivités territoriales, or nombre d'élus sont démunis. Les efforts de réduction de la vulnérabilité des habitations doivent être soutenus. Le fonds Barnier doit être rendu aux assurés et un crédit d'impôt prévu pour réduire le reste à charge des travaux de prévention des aléas climatiques.
Comment expliquer à des victimes que l'état de catastrophe naturelle n'a pas été retenu pour elles, alors qu'il l'a été pour leurs voisins des communes limitrophes, à quelques mètres de distance ? (M. Jean-Marc Boyer approuve.) À quand la transparence dans les procédures de reconnaissance des périmètres de catastrophe naturelle ? Les élus doivent siéger dans la commission compétente.
Le rapport fait des propositions d'ordre réglementaire : que compte faire le Gouvernement ?
D'autres sont législatives ; le Gouvernement envisage-t-il un texte de loi ? Que fera-t-il pour les victimes de désastres non reconnus comme catastrophes naturelles ? Nous attendons des réponses concrètes. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure de la mission d'information sur la gestion des risques climatiques et l'évolution de nos régimes d'indemnisation . - Un Français sur quatre est exposé à un risque d'inondation, la sécheresse frappe 60 % des sols métropolitains. La semaine dernière encore, la France a connu des inondations. Avec le dérèglement climatique, les pluies extrêmes augmenteront, les vagues de chaleur seront plus nombreuses et plus fortes.
Notre régime des catastrophes naturelles semble, malgré des fondamentaux pertinents, inefficace et opaque : manque de transparence des procédures, délais d'instruction très longs. Il n'est pas juste que des victimes qui ont tout perdu doivent s'engager dans un parcours du combattant pour être indemnisées. L'indemnisation de la sécheresse est particulièrement complexe, d'autant que le retrait-gonflement des argiles met du temps avant de produire des sinistres. La fréquence croissante de l'aléa lié à la chaleur n'est pas reconnue.
Le monde agricole est particulièrement touché par l'aléa climatique, or l'indemnisation des agriculteurs souffre d'une mauvaise articulation entre couverture assurantielle et régime de calamité agricole. Il faut la moderniser pour en garantir la pérennité, notamment en réformant le régime de catastrophe naturelle. Le dispositif de franchise pénalise certains sinistrés ; l'information sur les critères et seuils d'intervention doit être claire et intelligible. Il faudrait aussi une clause d'appel contre la non-reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle avec une expertise indépendante.
Nous déposerons prochainement une proposition de loi en ce sens et comptons sur votre soutien. Nous vous interrogerons aussi sur les suites que vous entendez donner aux mesures réglementaires recommandées. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR, Les Républicains et UC)
Mme Maryse Carrère . - Les inondations dans l'Aude, la tempête Xynthia en 2010, l'ouragan Irma en 2017 ou plus récemment les inondations dans l'Hérault montrent la vulnérabilité de la France aux catastrophes naturelles qui laissent les maires, jugés premiers responsables de la prévention, désemparés.
Maire, j'ai éprouvé cette détresse et cette impuissance et senti le poids des responsabilités. L'élu doit être au coeur de la gestion de la catastrophe mais il ne peut pas tout résoudre.
Nos auditions et nos déplacements ont révélé les dysfonctionnements dont sont victimes les élus qui demandent la dotation de solidarité, à commencer par une procédure d'indemnisation opaque et longue à mettre en oeuvre. La dotation n'est en général versée qu'après plus d'un an, ou les travaux n'attendent pas...
Le traitement des dossiers à l'échelon central doit être une priorité. Il faut aussi faire oeuvre de pédagogie en expliquant les refus et en ouvrant un appel. La mise en place de cellules de soutien permettrait de développer la solidarité entre élus et de diffuser les bonnes pratiques.
Le régime assurantiel classique et le régime des calamités agricoles permettent de couvrir les agriculteurs en cas d'aléa, mais il faut aussi mieux les former au risque climatique.
S'adapter, c'est comprendre que le changement climatique aura des conséquences sur l'agriculture, l'énergie ou le tourisme ; en somme s'inscrire dans le temps long.
Les programmes d'actions de prévention des inondations (PAPI) sont des outils utiles mais perfectibles : ils sont si longs à mettre en place qu'ils sont souvent rattrapés par les événements eux-mêmes.
Le rapport de nos collègues Roux et Dantec sur l'adaptation de la France aux dérèglements climatiques d'ici 2050 nous invite à développer une culture du risque. Nous proposons de faire du fonds Barnier le bras armé d'une politique de prévention ambitieuse, du moins s'il est musclé et rendu plus efficient.
Simplifions aussi la gestion de l'indemnisation du risque climatique.
Allons jusqu'au bout de la démarche engagée dans la loi Engagement et proximité en simplifiant la gestion des indemnisations des risques climatiques. Notre groupe salue ce rapport et espère que ses conclusions seront prises en compte. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, UC et Les Républicains)
M. Bernard Buis . - Le rapport dont nous débattons a été adopté à l'unanimité. Merci à Nicole Bonnefoy pour son travail.
En juillet, lors du débat de la loi Énergie, nous étions tous d'accord : le risque climatique n'est plus à démontrer. En octobre 2018, le groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat a publié un rapport qui alerte sur les multiples conséquences du réchauffement.
Pour les citoyens, ce sont des catastrophes qui affectent leur vie, leur emploi ; pour les parlementaires, ce sont de nombreuses sollicitations du fait des difficultés à se faire indemniser.
Le 5 février dernier, mon collègue Théophile publiait son rapport sur les sargasses en Caraïbe. Leur prolifération, liée à la hausse des températures et aux activités anthropiques est une catastrophe pour les pays de la Grande Caraïbe. Je salue l'accompagnement de l'État sur cette question, qui a créé en octobre 2018 un plan national d'intervention, engagement renouvelé par le Premier ministre en Guadeloupe, il y a quelques jours, lors de la conférence internationale organisée par le Gouvernement français et le Conseil régional de Guadeloupe. Mais il aura fallu attendre plusieurs années.
En juin dernier, le nord de la Drôme a été dévasté par un orage de grêle d'une violence inégalée. Le Gouvernement a répondu rapidement aux agriculteurs, proclamant l'état de catastrophe naturelle, mais pour certaines communes seulement. En outre, les procédures lourdes ralentissent l'indemnisation et mettent en grande difficulté le secteur agricole.
Agriculteurs, particuliers, entrepreneurs et maires doivent être accompagnés dans leurs démarches. La photo des installations sinistrées n'est souvent pas facile à produire. De tels phénomènes requièrent de la rapidité et de la simplicité. Nos élus locaux doivent avoir les moyens de diminuer leur vulnérabilité et de protéger les agriculteurs.
M. Guillaume Gontard . - Cette mission d'information n'a pas ménagé ses efforts. Le dérèglement climatique mérite que nous nous unissions pour y faire face. Avec ce rapport, le Sénat remplit son rôle de chambre haute, capable de s'extraire des urgences du temps présent pour anticiper les évolutions à venir.
Chacun constate la recrudescence des aléas climatiques : fissures dues au retrait des argiles, coulées de boue ou orages dévastateurs. Le rapport propose de développer le fonds Barnier - dont le Gouvernement devrait cesser de siphonner les ressources, et de renforcer aussi le régime des calamités agricoles.
La proposition 25 du rapport est claire : ouvrir l'indemnisation dès que l'exploitation est atteinte par une perte de rendement ou une perte de produit brut.
Aujourd'hui, la totalité des productions étant intégrée dans le calcul, et non uniquement celles impactées par la catastrophe naturelle, certaines exploitations se voient exclues du régime alors qu'elles ont subi une perte de rendement très importante sur certaines cultures seulement. Il en résulte le paradoxe que ce sont les exploitations en polyculture qui sont les plus pénalisées par le système. C'est aberrant : vous devez corriger cela.
Le Gouvernement n'a aucune réponse pérenne à la sécheresse, ni de court ni de moyen terme. Il faudrait pourtant promouvoir des cultures moins gourmandes en eau.
La grêle est uniquement couverte par le régime assurantiel privé, la garantie TGN et par des contrats grêle spécifiques. Sa recrudescence augmente le coût des assurances qui représente parfois la moitié du bénéfice annuel d'un petit arboriculteur.
Des classements d'intensité pour les épisodes de grêle existent. Météo France devrait les mettre en oeuvre. Nos agriculteurs doivent être protégés.
Votre Gouvernement passe trop de temps à vouloir simplifier, en supprimant des normes, au risque de ne plus protéger. Ubu n'a jamais gouverné la France. Les normes ne sont pas là pour compliquer les choses, mais pour protéger.
Madame la ministre, saisissez-vous de ce rapport clé en main. (Applaudissements sur le banc de la commission)
M. Alain Fouché . - Il devenait urgent de dresser un état des lieux en cette matière. Merci à M. Vaspart et à Mme Bonnefoy pour leur travail remarquable.
Les catastrophes naturelles ne sont pas nouvelles, mais elles se multiplient et s'intensifient.
Le Gouvernement prévoit une augmentation d'un degré de la température sur notre planète pour 2050. Ce sera plutôt deux degrés, et vers 2030, ce qui est une catastrophe.
Avec la commission du développement durable, j'ai vu les effets de ce réchauffement sur l'océan Arctique. La situation est dramatique et la responsabilité en incombe aux humains.
Notre seul mot d'ordre doit être l'adaptation. Il faut renforcer l'information des élus locaux, des professionnels et des citoyens en matière de prévention et d'indemnisation.
Nous devons privilégier le financement et la rapidité d'action. Nous soutenons à ce titre les constats de la mission d'information : l'efficacité et la transparence doivent être de mise. Même chose pour le secteur agricole. Un partage des bonnes pratiques et une solidarité accrue sont nécessaires.
Nous ne sommes qu'au début de cette évolution. Le dispositif de déclaration de catastrophe naturelle ainsi que le fonds Barnier doivent être réformés.
Dans la Vienne, en 2017, la moitié des communes ont été déclarées en état de catastrophe naturelle, et 3 600 dossiers ont été déposés. 2019 s'annonce encore pire.
Les citoyens veulent que l'importance des dégâts soit prise en compte.
Un système juste et transparent d'indemnisation et le développement d'une culture du risque sont nécessaires. Nous vous faisons confiance. (M. Yves Bouloux et Mmes Évelyne Perrot et Nicole Bonnefoy applaudissent.)
Mme Évelyne Perrot . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Je peux en témoigner, depuis le village dont j'ai été maire pendant vingt-cinq ans, les aléas climatiques frappent notre pays. L'agriculture est un livre ouvert dont la lecture est simple : les prairies sont desséchées, certaines récoltes sont catastrophiques, sans parler des forêts, grandes oubliées de l'État.
L'impact du changement climatique, sur le nombre et l'intensité des catastrophes naturelles, est perceptible et ne peut que s'aggraver. D'ici 2050, le montant des sinistrés liés aux catastrophes naturelles devrait augmenter de 50 %. Éduquons les élus locaux à une culture du risque. Une cellule de crise devrait être aussitôt mise en place, pour que l'élu puisse avoir dans l'heure des informations et des orientations à suivre. Chaque mairie devrait réaliser une étude des sols donnant la qualité de ses parcelles, évitant de ce fait des constructions en zones à risques et simplifiant ainsi la politique de prévention et d'aménagement durable des territoires.
Certains drames auraient pu être évités si nous avions pris en compte la sagesse ancestrale. Le rapport préconise une journée nationale de la prévention avec un temps prévu dans les établissements scolaires.
Toutes les communes devraient avoir un plan communal de sauvegarde : la commune ainsi dotée peut envisager un maillage de son territoire, élus et habitants bénévoles diffusant les consignes données par le maire.
Les grandes difficultés de l'après-crise sont aussi signalées par le rapport qui demande un système d'indemnisation plus efficace.
Dans mon département, j'ai constaté que des mini-cyclones frappaient à quelques centaines de mètres des capteurs de vent qui ne signalaient aucune donnée sortant de l'ordinaire.
Une clause d'appel, en cas de non-reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle, devrait être mise en place.
Enfin, ce rapport préconise d'accroître le soutien financier apporté par le fonds Barnier aux travaux des particuliers et la création d'un volet spécifique à la sécheresse.
Le changement climatique nous concerne tous, comme un alignement de dominos.
Merci à Mme la rapporteure pour son travail que je soutiens pleinement. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; Mmes Nicole Bonnefoy, Gisèle Jourda et M. Yves Bouloux applaudissent.)
M. Yves Bouloux . - Il est pertinent d'aborder, après la loi Engagement et proximité, la question de l'aménagement du territoire au regard des risques climatiques.
Précipitations, vagues de chaleur, sécheresses, submersions marines nous imposent de dessiner un nouveau paradigme pour l'action publique.
Le sujet des catastrophes naturelles renvoie forcément à nos territoires dans toute leur diversité.
Nous ne sommes pas égaux face aux aléas ; les territoires n'ont pas tous le même niveau de préparation. Dans la Vienne, en 2018, sur 266 communes, 144 ont fait l'objet d'un arrêté de déclaration de catastrophe naturelle pour la sécheresse, les inondations et les coulées de boue.
Devant ces menaces désormais banales, et néanmoins potentiellement graves, les élus locaux doivent être soutenus et bénéficier des moyens nécessaires pour préparer et anticiper.
Dans le projet de loi Engagement et proximité, seul l'article 18 autorise les départements par dérogation à aider les entreprises dont l'appareil de production aurait subi des dommages dus aux catastrophes naturelles. Mais les risques climatiques restent insuffisamment intégrés dans les politiques d'aménagement du territoire. L'État n'a pas engagé les moyens nécessaires pour réagir dans ces circonstances, et le plafonnement du fonds de prévention des risques naturels majeurs est condamnable.
Quels engagements le Gouvernement prend-il pour s'adapter à cette réalité ? Quel soutien aux territoires ? Comment prendre en compte les sols argileux dans l'aménagement du territoire ? Comment systématiser l'assistance des préfets aux maires des communes sinistrées ? Le Gouvernement engagera-t-il une révision des plans de prévention des risques naturels (PPRN) ? Lancera-t-il une campagne pour inciter les maires à se doter d'un plan de sauvegarde ? (Mme Nicole Bonnefoy applaudit.)
M. Claude Bérit-Débat . - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) Le changement climatique accroît la fréquence des catastrophes naturelles, qui affectent en particulier l'agriculture.
Nos politiques publiques ne sont plus adaptées à la gravité de la situation. Avec le groupe socialiste, nous avions pris ce problème à bras-le-corps en déposant une proposition de loi de 2015 proposant notamment la mutualisation des risques agricoles et en mettant en place un fonds de stabilisation des revenus agricoles.
Le rapport de Nicole Bonnefoy va dans le même sens. Je suis favorable au déplafonnement de la contribution additionnelle au FNGRA et à l'interdiction de tout prélèvement sur son fonds de roulement pour alimenter le budget de l'État. Il est alimenté par les agriculteurs via la contribution additionnelle aux primes d'assurance. Cet argent doit leur revenir ! Ce prélèvement est incompréhensible car le fond ne dispose pas des moyens pour faire face à la survenance de crises d'ampleur dont la fréquence est de plus en plus importante.
En 2017, seuls 29,4 % des surfaces agricoles hors prairie étaient couvertes par une assurance. Je suis pour le subventionnement de ces assurances de 65 % à 70 %, comme l'autorise le règlement Omnibus. Le ministre de l'Agriculture avait engagé une consultation du monde agricole sur la refondation des outils de gestion des risques qui a pris fin en septembre. Pouvez-vous nous dire quels en sont les résultats ?
Mon département, la Dordogne, n'est pas épargné par le phénomène de retrait puis gonflement des argiles, qui produisent des fissures a posteriori.
Comme le préconise le rapport, il est temps de prendre des mesures à la hauteur de l'urgence de la situation. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et LaREM ; M. Yves Bouloux applaudit également.)
Mme Nadia Sollogoub . - Je reprends les propos de mon collègue Cazabonne qui n'a pu intervenir ce soir. En tant que Girondin, il souhaitait évoquer le recul du trait de côte notamment sur la façade Atlantique, et l'immeuble du Signal à Soulac-sur-Mer, devenu le symbole national de ce phénomène ; la répétition des averses de grêles détruisant les vignobles ; les violentes tempêtes dévastant la haute forêt landaise ; la fragilisation du bassin d'Arcachon.
En tant que membre de la mission d'information, il souligne que les 55 propositions du groupe de travail illustrent bien la complexité des sujets.
À titre personnel, je souhaite insister sur l'insuffisance et la lourdeur des procédures.
Ainsi, en 2016, dans ma commune, une route s'est effondrée dans la rivière. Pour financer sa réparation, un coefficient de vétusté a été appliqué : à quoi cela sert-il, puisqu'il faut reconstruire une route neuve ? Une commune dans la Nièvre a vu son cimetière endommagé par une tornade, or les cimetières ne sont pas assurables... Que faire ?
Certaines catastrophes naturelles comme les tornades ne figurent pas dans le classement Catnat. Comment y remédier ? Faut-il que les communes s'équipent d'anémomètres pour en faire foi ?
Les associations sont des courroies de transmission de premier ordre pour faire remonter les informations et conseiller utilement les victimes de catastrophes naturelles. Elles permettent tout simplement de tenir quand le désespoir est là. Nous saluons Gérald Grosfilley qui préside l'association « Les Oubliés de la canicule », dont certains membres sont en tribune.
Ce dossier est sensible et les faiblesses des dispositifs doivent être corrigées. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Jean-Michel Houllegatte applaudit ; applaudissements sur le banc de la commission)
M. Jean-François Husson . - Une nouvelle fois, nous abordons les questions relatives à l'environnement et une fois encore, l'actualité nous rappelle l'impérieux devoir d'agir. Nos concitoyens du Sud de la France sont touchés par des inondations de grande ampleur. Le rapport Bonnefoy-Vaspart fera date.
Le régime de reconnaissance des catastrophes naturelles doit être amélioré, c'est certain. Ce rapport ne doit pas être un rapport de plus, mais un rapport pour faire mieux. L'immobilisme serait coupable.
Première adaptation, celle des procédures de reconnaissance en catastrophe naturelle aux nouvelles données environnementales. Le critère d'anormalité est aujourd'hui dépassé compte tenu de la forte intensité et de la répétition des phénomènes. Il faudrait créer une nouvelle catégorie de sinistres directement liée aux impacts du changement climatique. Il faut repenser toute la philosophie du dispositif catastrophe naturelle en musclant les dispositifs préventifs, en simplifiant les procédures d'indemnisation et en prévoyant un meilleur accompagnement après les sinistres.
Deuxième adaptation, celle des régimes d'indemnisation qui reposent essentiellement sur le pouvoir réglementaire. Il serait pertinent de repenser l'articulation des régimes indemnitaires entre ce qui doit relever de la solidarité nationale et ce qui dépend du régime assurantiel.
Enfin, il faut développer la culture du risque. Dans le Grand Est, le Bureau des recherches géologiques et minières (BRGM) a révisé la cartographie des risques de mouvements de terrain... qui datait de 1970 ! Pourquoi avoir tant tardé ? Parce que les budgets sont insuffisants, les ingénieurs manquent. La culture du risque, ce n'est pas jeter la pierre à telle ou telle collectivité, mais c'est leur donner les moyens de se protéger en ayant accès à une information fiable.
Redéfinir le régime de catastrophe naturelle, c'est aussi revoir nos règles d'urbanisme et notre régime d'indemnisation. Je souhaite que le Gouvernement nous annonce le plus tôt possible qu'il est prêt à mener cette réforme attendue par tous. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur le banc de la commission)
Mme Gisèle Jourda . - Merci au président et aux membres de la mission d'information pour le sérieux qui a présidé à nos travaux ainsi qu'à la rapporteure.
Il y a un an, l'Aude était frappée par des inondations meurtrières qui ont causé 15 morts, touché 250 communes sur les 348 du département et engendré une pollution à l'arsenic dans la vallée de l'Orbiel issue des mines d'or de Salsigne.
En ce mois anniversaire, je souhaiterais faire référence à un rapport sur la gestion des crises du 15 octobre 2018 rédigé par le Conseil général de l'environnement et du développement durable et par l'Inspection générale de l'administration. Ce rapport met en lumière de multiples lacunes et des faiblesses d'organisation qui illustrent la pertinence des recommandations de notre mission.
Les outils majeurs que sont le plan Orsec départemental et les plans communaux de sauvegarde ont montré leurs failles dans l'Aude. Pas moins de 133 PCS n'avaient pas été révisés depuis 2013. Une de nos propositions consiste à lancer une campagne de sensibilisation par le préfet auprès des maires et à prévoir un délai de révision de deux ans.
L'information des élus est un deuxième point qui mérite une véritable professionnalisation. Le centre opérationnel départemental a été activé trop tardivement. Des mesures d'accompagnement systématique des élus locaux dans le cadre d'une cellule de soutien sont indispensables.
Le rapport est accablant sur la mauvaise interprétation du phénomène par Météo France et sur le manque d'anticipation dramatique du passage de vigilance orange à vigilance rouge. D'où la nécessité de développer une culture du risque chez nos concitoyens.
Dans la vallée de l'Orbiel, un suivi du parc industriel est indispensable et j'appelle à la constitution d'une commission d'enquête sur le sujet. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR, LaREM et UC et sur le banc de la commission)
M. Didier Mandelli . - La semaine dernière, le sud de la France connaissait à nouveau des inondations meurtrières. L'année 2018 a été la plus chaude jamais enregistrée en France. Elle est aussi au quatrième rang des années les plus sinistrées depuis 1946. Notre pays n'est plus à l'abri des aléas climatiques, qui ont coûté 1,8 milliard d'euros aux assurances en 2018.
Le rapport Vaspart-Bonnefoy met parfaitement en exergue la gravité de la situation en suggérant des mesures pragmatiques pertinentes.
La culture du risque, dans de nombreux pays qui font face depuis plusieurs années à des catastrophes climatiques de grande ampleur, doit être pleinement développée en France comme le recommande la mission d'information. Cette sensibilisation doit se faire au niveau national mais également local. Il faut accompagner les élus locaux et les sensibiliser en amont.
Le Fonds Barnier créé par la loi du 2 février 1995 est le principal instrument financier de la politique de prévention des risques naturels.
Bien que son périmètre ait été élargi à plusieurs reprises, l'État n'a cessé de puiser dans les caisses de ce fonds pour alimenter son budget ; en 2018, il l'a plafonné à 137 millions d'euros, engrangeant chaque année des sommes croissantes pour son propre budget. Il faut rendre à ce fonds ses moyens d'action en le déplafonnant. C'est un levier indispensable pour que nos collectivités puissent se prémunir contre les évènements à venir.
Je suis élu de Vendée, département touché par la tempête Xynthia et par l'érosion côtière. Les études sur ces phénomènes doivent être poursuivies et démultipliées, notamment pour nos 375 communes littorales. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur le banc de la commission)
Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire . - Je remercie le président et la rapporteure de la mission d'information, ainsi que ses membres, pour ces travaux. Les risques climatiques affectent tous nos territoires, de la Guadeloupe où j'étais ce week-end, à l'Hérault où je me suis rendue la semaine dernière. Ces risques affectent nos côtes mais aussi nos territoires continentaux. Ils peuvent engendrer une grande détresse chez nos concitoyens, agriculteurs ou entrepreneurs.
L'impact de ces risques est accru sous l'effet du dérèglement climatique. Nous devons adapter notre système d'accompagnement et d'indemnisation. Évolution des localisations, fréquence accrue, ou intensité des épisodes, nous devons prendre en compte ces évolutions.
En France, nous consacrons dix fois plus de moyens à l'indemnisation qu'à la prévention.
Nous avons la chance de disposer en France d'outils de prévention des risques et de maîtrise de l'urbanisation qui ont fait leurs preuves depuis de nombreuses années.
Notre première priorité devrait être de renforcer nos capacités de prévision. Nous le faisions à travers le projet d'acquisition d'un super calculateur de Météo France pour un coût de 144 millions d'euros et la modernisation du réseau des radars météos.
Nous avons aussi engagé un travail pour mieux connaître les risques glaciaires et prévoir les mesures de protection adéquates.
M. Husson a raison : la prise en compte et la connaissance des risques nouveaux sont essentielles. Nos opérateurs devront y être attentifs et diffuser largement les données dont ils disposeront.
Il nous faut également accompagner les collectivités dans leur démarche de prévention et de réduction de la vulnérabilité.
Oui, monsieur Bouloux, l'élaboration de PPRN dans les zones les plus exposées est une priorité. Cependant l'élaboration de ces documents peut susciter des tensions locales, dès lors par exemple qu'on interdit certaines urbanisations. Les plans communaux de sauvegarde sont un autre outil dont nous disposons : préfectures et intercommunalités, mais aussi établissements publics territoriaux de bassin (EPTB) peuvent appuyer les communes dans le processus de leur élaboration.
L'accident de Lubrizol a récemment mis en exergue les risques industriels et a montré la nécessité de revoir nos dispositifs d'alerte. Nos concitoyens ne connaissent pas forcément, en effet, la signification des sirènes.
Il nous faut conforter le dispositif des programmes d'action pour la prévention des inondations (PAPI) qui permet de faire émerger, à l'initiative des collectivités de véritables projets de territoire, cofinancés par le Fonds Barnier. Ce dispositif a mobilisé 2 milliards d'euros d'investissements depuis sa création, dont 800 millions d'euros apportés par le fonds Barnier.
Une mission d'inspection me remettra prochainement les résultats de ses travaux sur le sujet. C'est un outil précieux qui permet de financer des actions de réduction de la vulnérabilité.
Oui, monsieur Mandelli, les ressources du fonds sont plafonnées. Ses dépenses, 200 millions d'euros, excèdent l'abondement de 131 millions d'euros par an, mais sa trésorerie lui permettra de financer les actions de prévention nécessaires en 2020.
Il faudra réfléchir à l'adéquation entre les dépenses de ce fonds et ses ressources dans le cadre de la loi de finances pour 2021.
Nous avons engagé dans la loi ELAN une refonte de la prévention du risque de retrait-gonflement des argiles, imposant une réglementation unifiée pour les constructions neuves dans les zones exposées. Cela ne résoudra pas la situation pour les habitations existantes. Chaque année, 400 millions d'euros de dégâts liés à ce risque sont indemnisés grâce à la solidarité nationale ; en revanche, je suis réservée quant à l'utilisation du fonds pour des travaux préventifs sur des constructions non résilientes : ils sont très coûteux.
Le projet de loi sur les risques majeurs outre-mer sera l'occasion de renforcer la culture du risque au sein des populations. Les « journées japonaises » en Guadeloupe sont utiles pour informer à la fois les élèves et les populations éloignées des messages de prévention.
Souvent en première ligne sur l'érosion du trait de côte, les collectivités territoriales sont démunies. Une mission confiée au député Stéphane Buchou rendra ses conclusions sur le sujet dans les prochaines semaines. Nous donnerons alors aux territoires des leviers d'action.
S'adapter, c'est aussi accompagner territoires et habitants frappés par une catastrophe naturelle quand la prévention n'a pas suffi.
Votre rapport montre que les principes de l'indemnisation doivent être préservés. Mais soyons lucides : le coût des dommages augmente, la population concernée s'élargit et la valeur des biens se renchérit...
Ces deux dernières années le coût des catastrophes naturelles a atteint des montants très élevés : 3 milliards d'euros en 2017, 2 milliards d'euros en 2018. Ces montants seront multipliés par deux en 2050. Depuis 1982, le coût moyen de l'indemnisation des inondations est de 554 millions d'euros et celui des sécheresses de 409 millions d'euros par an.
Seul un effort accru de prévention permettra de faire face à ces coûts sans diminuer l'indemnisation.
Je partage le constat : les concitoyens et les élus veulent une indemnisation efficace, réactive et transparente. L'application e-contrat permet de constituer un dossier dématérialisé, avec un traitement accéléré. Les décisions sont désormais motivées et l'expertise est à la disposition des collectivités territoriales. Un réexamen de la demande est déjà possible, mais nous sommes prêts à envisager un nouveau mécanisme d'appel.
Sur les dossiers sécheresse, vous soulignez la lenteur des procédures de reconnaissance : une réforme de la méthodologie d'instruction simplifie les critères pris en compte, ce qui devrait accélérer le traitement. La fin de la modulation des franchises dans certains cas, la prise en compte des frais de relogement d'urgence, mesures évoquées dans votre rapport, me semblent intéressantes. Il faut aussi améliorer la couverture assurantielle, surtout dans les territoires ultramarins.
Les services du ministère des finances ont commencé, depuis la demande du président de la République en septembre 2018 à Saint-Martin, à réfléchir à des dispositifs plus incitatifs à l'assurance. Les dispositions législatives pourront figurer dans le projet de loi Risques majeurs outre-mer ; d'autres mesures sont réglementaires.
Votre rapport évoque aussi les agriculteurs, pour qui il faut repenser les mesures de protection et d'indemnisation, mais aussi les pratiques agricoles elles-mêmes. Le ministre de l'Agriculture a lancé une consultation sur les outils de gestion ; il présentera demain une synthèse des retours, et traitera de certaines mesures figurant dans votre rapport.
Le dispositif des calamités agricoles ne prend en compte que les pertes de fonds liées à un orage de grêle ; les pertes de récolte font l'objet de contrats spécifiques souscrits par seulement 60 % des agriculteurs.
La sénatrice Carrère s'est fait l'écho des difficultés d'indemnisation pour catastrophes naturelles. Nos services en sont pleinement conscients et travaillent à réduire ces délais.
Je relaierai aussi les préoccupations exprimées par Nadia Sollogoub.
L'adaptation de nos territoires consistera à inventer ensemble de nouveaux leviers d'action : évolution du régime des catastrophes naturelles, érosion du trait de côte, etc.
Vos contributions dans ces domaines, à travers votre rapport, seront extrêmement utiles. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, SOCR et UC ; M. Yves Bouloux applaudit également.)
Prochaine séance aujourd'hui, mercredi 30 octobre 2019, à 15 heures.
La séance est levée à 1 h 20.
Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,
Jean-Luc Blouet
Chef de publication
Annexes
Ordre du jour du mercredi 30 octobre 2019
Séance publique
À 15 heures
Présidence : M. Gérard Larcher, président
Secrétaires : Mme Jacky Deromedi - M. Éric Bocquet
1. Questions d'actualité au Gouvernement
À 16 h 30 et le soir
Présidence : Mme Catherine Troendlé, vice-présidente
M. Vincent Delahaye, vice-président
2. Débat sur les conclusions du rapport : « Donner des armes à l'acier français - Accompagner la mutation d'une filière stratégique » (Mission d'information sur les enjeux de la filière sidérurgique dans la France du XXIe siècle : opportunité de croissance et de développement)
3. Débat sur le thème : « Quel avenir pour l'enseignement agricole ? » (Demande du groupe CRCE)
4. Proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, pour le renforcement des sanctions adoptées par le Conseil européen contre des responsables des violations des droits humains au Venezuela et pour soutenir les États signataires de l'enquête auprès de la Cour pénale internationale (n°639, 2018-2019) (Demande du groupe UC)
Analyse des scrutins publics
Scrutin n°17 sur l'amendement n°10 présenté par M. Jean-Bernard Magner et les membres du groupe SOCR, tendant à la suppression de l'article premier de la proposition de loi tendant à assurer la neutralité religieuse des personnes concourant au service public de l'éducation.
Résultat du scrutin
Nombre de votants : 330
Suffrages exprimés : 302
Pour : 121
Contre : 181
Le Sénat n'a pas adopté
Analyse par groupes politiques
Groupe Les Républicains (144)
Contre : 143
N'a pas pris part au vote : 1 - M. Gérard Larcher, président du Sénat
Groupe SOCR (71)
Pour : 68
Abstention : 1 - M. Bernard Lalande
N'ont pas pris part au vote : 2 - Mmes Viviane Artigalas, Gisèle Jourda
Groupe UC (51)
Pour : 11 - MM. Philippe Bonnecarrère, Olivier Cadic, Bernard Delcros, Mmes Nassimah Dindar, Nathalie Goulet, MM. Jacques Le Nay, Pierre Louault, Gérard Poadja, Mmes Nadia Sollogoub, Sylvie Vermeillet, Michèle Vullien
Contre : 15 - Mme Annick Billon, MM. Olivier Cigolotti, Yves Détraigne, Daniel Dubois, Mmes Françoise Férat, Catherine Fournier, MM. Claude Kern, Michel Laugier, Mme Anne-Catherine Loisier, MM. Jean-François Longeot, Jean-Claude Luche, Pierre Médevielle, Jean-Marie Mizzon, Mmes Catherine Morin-Desailly, Sonia de la Provôté
Abstentions : 16
N'ont pas pris part au vote : 9 - Mme Jocelyne Guidez, M. Jean-Marie Janssens, Mme Sophie Joissains, MM. Nuihau Laurey, Pascal Martin, Hervé Maurey, Mmes Évelyne Perrot, Lana Tetuanui, M. Jean-Marie Vanlerenberghe
Groupe RDSE (23)
Pour : 3 - MM. Henri Cabanel, Ronan Dantec, Joël Labbé
Contre : 16
N'ont pas pris part au vote : 4 - MM. Jean-Pierre Corbisez, Éric Jeansannetas, Olivier Léonhardt, Jean-Yves Roux
Groupe LaREM (23)
Pour : 23
Groupe CRCE (16)
Pour : 16
Groupe Les Indépendants (13)
Contre : 2 - MM. Alain Marc, Franck Menonville
Abstentions : 11
Sénateurs non inscrits (7)
Contre : 5
N'ont pas pris part au vote : 2 - MM. Xavier Iacovelli, Stéphane Ravier
Scrutin n°18 sur l'article premier de la proposition de loi tendant à assurer la neutralité religieuse des personnes concourant au service public de l'éducation.
Résultat du scrutin
Nombre de votants : 322
Suffrages exprimés : 285
Pour : 165
Contre : 120
Le Sénat a adopté
Analyse par groupes politiques
Groupe Les Républicains (144)
Pour : 132
Contre : 3 - Mme Agnès Canayer, MM. François Grosdidier, André Reichardt
Abstentions : 8 - Mme Laure Darcos, M. Marc-Philippe Daubresse, Mmes Catherine Dumas, Nicole Duranton, M. Michel Magras, Mmes Viviane Malet, Marie Mercier, M. Cédric Perrin
N'a pas pris part au vote : 1 - M. Gérard Larcher, président du Sénat
Groupe SOCR (71)
Contre : 62
N'ont pas pris part au vote : 9 - Mme Viviane Artigalas, MM. Marc Daunis, Alain Duran, Mme Gisèle Jourda, MM. Bernard Lalande, Christian Manable, Mme Marie-Pierre Monier, M. Franck Montaugé, Mme Angèle Préville
Groupe UC (51)
Pour : 13 - Mme Annick Billon, MM. Olivier Cigolotti, Yves Détraigne, Daniel Dubois, Mmes Françoise Férat, Catherine Fournier, M. Michel Laugier, Mme Anne-Catherine Loisier, MM. Jean-François Longeot, Jean-Claude Luche, Pierre Médevielle, Jean-Marie Mizzon, Mme Sonia de la Provôté
Contre : 9 - MM. Philippe Bonnecarrère, Olivier Cadic, Bernard Delcros, Mmes Nassimah Dindar, Nathalie Goulet, MM. Pierre Louault, Gérard Poadja, Mmes Nadia Sollogoub, Sylvie Vermeillet
Abstentions : 19
N'ont pas pris part au vote : 10 - Mme Jocelyne Guidez, M. Jean-Marie Janssens, Mme Sophie Joissains, MM. Nuihau Laurey, Pascal Martin, Hervé Maurey, Mmes Évelyne Perrot, Lana Tetuanui, M. Jean-Marie Vanlerenberghe, Mme Michèle Vullien
Groupe RDSE (23)
Pour : 13
Contre : 3 - MM. Henri Cabanel, Ronan Dantec, Joël Labbé
Abstentions : 3 - Mme Maryse Carrère, M. Joseph Castelli, Mme Véronique Guillotin
N'ont pas pris part au vote : 4 - MM. Jean-Pierre Corbisez, Éric Jeansannetas, Olivier Léonhardt, Jean-Yves Roux
Groupe LaREM (23)
Contre : 23
Groupe CRCE (16)
Contre : 16
Groupe Les Indépendants (13)
Pour : 2 - MM. Alain Marc, Franck Menonville
Contre : 4 - MM. Jérôme Bignon, Emmanuel Capus, Joël Guerriau, Mme Colette Mélot
Abstentions : 7
Sénateurs non inscrits (7)
Pour : 5
N'ont pas pris part au vote : 2 - MM. Xavier Iacovelli, Stéphane Ravier
Scrutin n°19 sur l'ensemble de la proposition de loi tendant à assurer la neutralité religieuse des personnes concourant au service public de l'éducation.
Résultat du scrutin
Nombre de votants : 317
Suffrages exprimés : 277
Pour : 163
Contre : 114
Le Sénat a adopté
Analyse par groupes politiques
Groupe Les Républicains (144)
Pour : 130
Contre : 3 - Mme Agnès Canayer, MM. François Grosdidier, André Reichardt
Abstentions : 10 - Mme Laure Darcos, M. Marc-Philippe Daubresse, Mme Catherine Dumas, Nicole Duranton, MM Jacques Grosperrin, Jean-François Husson, Michel Magras, Mme Viviane Malet, Marie Mercier, M Cédric Perrin
N'a pas pris part au vote : 1 - M. Gérard Larcher, Président du Sénat
Groupe SOCR (71)
Contre : 56
N'ont pas pris part au vote : 15 - Mme Viviane Artigalas, M. Thierry Carcenac, Mme Hélène Conway-Mouret, MM. Yves Daudigny, Marc Daunis, Alain Duran, Mme Gisèle Jourda, MM. Bernard Lalande, Christian Manable, Rachel Mazuir, Mme Marie-Pierre Monier, M. Franck Montaugé, Mmes Marie-Françoise Perol-Dumont, Angèle Préville, M. Simon Sutour
Groupe UC (51)
Pour : 13 - Mme Annick Billon, MM. Olivier Cigolotti, Yves Détraigne, Daniel Dubois, Mme Françoise Férat, Catherine Fournier, M Michel Laugier, Mm Anne-Catherine Loisier, MM Jean-François Longeot, Jean-Claude Luche, Pierre Médevielle, Jean-Marie Mizzon, Mme Sonia de la Provôté
Contre : 9 - MM. Philippe Bonnecarrère, Olivier Cadic, Bernard Delcros, Mmes Nassimah Dindar, Nathalie Goulet, MM. Pierre Louault, Gérard Poadja, Mmes Nadia Sollogoub, Sylvie Vermeillet
Abstentions : 20
N'ont pas pris part au vote : 9 - Mme Jocelyne Guidez, M. Jean-Marie Janssens, Mme Sophie Joissains, MM. Nuihau Laurey, Hervé Maurey, Mmes Évelyne Perrot, Lana Tetuanui, M. Jean-Marie Vanlerenberghe, Mme Michèle Vullien
Groupe RDSE (23)
Pour : 13
Contre : 3 - MM. Henri Cabanel, Ronan Dantec, Joël Labbé
Abstentions : 3 - Mme Maryse Carrère, M. Joseph Castelli, Mme Véronique Guillotin
N'ont pas pris part au vote : 4 - MM. Jean-Pierre Corbisez, Éric Jeansannetas, Olivier Léonhardt, Jean-Yves Roux
Groupe LaREM (23)
Contre : 23
Groupe CRCE (16)
Contre : 16
Groupe Les Indépendants (13)
Pour : 2 - MM. Alain Marc, Franck Menonville
Contre : 4 - MM. Jérôme Bignon, Emmanuel Capus, Joël Guerriau, Mme Colette Mélot
Abstentions : 7
Sénateurs non inscrits (7)
Pour : 5
N'ont pas pris part au vote : 2 - MM. Xavier Iacovelli, Stéphane Ravier