Conseil européen des 17 et 18 octobre 2019
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle le débat à la suite de la réunion du Conseil européen des 17 et 18 octobre 2019.
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes . - Lors du débat préalable au Conseil européen, vous vous étiez préoccupés des points à l'ordre du jour : l'agenda européen, le cadre financier pluriannuel (CFP), la demande de négociations d'adhésion de l'Albanie et de la Macédoine du Nord, et bien sûr le Brexit.
Le président de la République s'est exprimé en conférence de presse. La nouvelle présidente de la Commission européenne, Mme Ursula von der Leyen, a présenté son nouvel agenda, avec notamment son nouveau « pacte vert » pour une neutralité carbone en 2050. Elle souhaite mettre en place un mécanisme d'inclusion carbone aux frontières et un marché de permis carbone ETS.
Elle a rappelé la priorité au numérique et annoncé qu'elle réviserait le régime d'asile, à la suite de notre débat dans l'hémicycle sur la politique migratoire. L'Europe, selon elle, doit affirmer sa place, arrêter sa propre ligne de défense économique et ainsi gagner en souveraineté.
Le Conseil a débattu du futur CFP. Les échanges ont confirmé les divergences sur le volume global et les priorités à financer, anciennes ou nouvelles, les ressources propres et les rabais.
Le président de la République a rappelé que la France veut le maintien de l'enveloppe de la PAC sans opposer premier et second piliers. Le budget de la PAC ne représente que 0,3 % de la richesse européenne, que nous devons répartir et allouer à 80 % du territoire européen. Nous avons besoin de soutenir le revenu et l'investissement des agriculteurs, pour les aider à faire face aux risques du climat, des productions et des marchés.
Nous voulons augmenter les ressources propres car notre contribution nationale et les prélèvements sur recettes (PSR) doivent être limités et verdir les aides jusqu'à atteindre 40 % des dépenses compatibles avec la lutte contre le changement climatique. La discussion se poursuivra lors du prochain Conseil, pour un accord début 2020. Nous devons faire mieux qu'en 2014, quand nous avions pris beaucoup de retard à déployer les politiques européennes.
Je crois utile de clarifier les conclusions du Conseil sur l'élargissement !
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. - Très bien !
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État. - On a parlé à tort d'un veto français. Pour qu'il y ait veto, il faut un vote. Or il n'y en a pas eu. Par ailleurs, les positions étaient trop divergentes. Certains États membres voulaient commencer tout de suite les négociations avec l'Albanie et la Macédoine du Nord, d'autres avec ce dernier État uniquement, d'autres enfin souhaitaient poser des conditions supplémentaires. La France a proposé une approche positive et crédible, pour renforcer l'attachement de ces pays des Balkans à l'Union européenne ; afin que les réformes demandées soient pleinement mises en oeuvre ; et que le processus d'adhésion soit refondé pour éviter que les peuples - surtout les jeunes et les classes moyennes - perdent espoir et émigrent massivement. Le sommet Union européenne-Balkans se tiendra sous présidence croate à Zagreb en mai 2020.
Le Brexit est le feuilleton qui nous tient tous en haleine. Il a moins fait l'objet de discussions au Conseil que depuis lors, puisque le Conseil s'est réuni quelques heures après le bon accord négocié par Michel Barnier, qui traite le problème de la frontière irlandaise, celui du consentement démocratique en Irlande du Nord et celui d'une relation équilibrée entre le Royaume-Uni et l'Union européenne. La France a particulièrement insisté sur le fait que cette relation future devra être loyale, équilibrée et sans divergences excessives avec nos normes sociales, fiscales et environnementales.
Ce soir même a eu lieu un vote encourageant, puisqu'il indique qu'il y a une majorité au Parlement britannique en faveur des objectifs de l'accord. Là où ce Parlement se divise, et où l'incertitude grandit, c'est sur la rapidité de son examen. Mais nous devons clarifier échéances et enjeux, sinon la situation s'enlisera. Grâce au président de la République qui a tenu ferme sur le texte de l'accord, nous avons fait d'énormes progrès ces dernières semaines. Nous devons tenir compte des conséquences de l'incertitude sur les entreprises et la population et en sortir, car elle est toxique et angoissante.
La solution de ce soir ouvrirait une extension, mais pour quoi faire ? Le temps seul ne résoudrait rien ; il faut une décision politique. Les Britanniques doivent recréer les conditions d'un accord.
Nous ne pouvons rester spectateurs d'un processus dont rien ne ressort ; une extension n'est acceptable que si elle est justifiée et si nous en comprenons les raisons.
Les chefs d'État et de gouvernement ont échangé sur la politique étrangère - en Syrie et sur les forages turcs en Méditerranée.
Le Conseil européen a condamné très fermement à l'unanimité les opérations militaires unilatérales de la Turquie en Syrie. Il a demandé la cessation des opérations, le retrait ferme et définitif des forces en présence. Tous les États membres ont suspendu les licences d'exportation d'armement vers la Turquie et un appel collectif à la réunion de la coalition internationale contre Daech a été lancé afin que ceux qui hier combattaient ensemble prennent leurs responsabilités.
Le Conseil a adopté des mesures ciblées contre les forages illégaux turcs en Méditerranée orientale et réaffirmé la solidarité de l'Union européenne avec Chypre.
La nouvelle Commission ne pourra pas prendre ses fonctions le 1er novembre, mais le 1er décembre, si les trois nouvelles candidatures sont présentées dans les deux prochaines semaines. C'est essentiel afin que le Conseil, le Parlement et la Commission puissent faire ce que nous attendons d'eux, à savoir proposer des projets européens et les mettre en oeuvre. (Applaudissements sur le banc des commissions, ainsi que sur les travées des groupes LaREM et UC)
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées . - Merci de ce compte rendu clair. Le Conseil européen devait ouvrir une nouvelle page, mais nous laisse un sentiment mitigé. Alors que la France a regagné du crédit en Europe, il faut faire attention aux maladresses.
Je ne reviendrai pas sur le refus de la candidate française. Savez-vous si notre futur commissaire aura le même portefeuille élargi ou si cet épisode aura affaibli durablement notre position à Bruxelles ?
Sur l'élargissement, il y a à tout le moins un problème de méthode, nous n'avons pas mis les formes, avec une victoire à la Pyrrhus, consistant pour la France à avoir raison seule contre tous. Il y a les faits, leur perception par la presse mais aussi les retours que nous avons de toutes parts, de la Suède jusqu'à l'Italie, qui montrent que la position française n'est pas comprise.
Réformer le processus d'adhésion pour qu'il soit plus politique, rigoureux, réversible et adapté à la situation de chaque pays, nous y sommes favorables. L'élargissement ne peut plus être automatique. Alors que le Brexit s'annonce être un séisme, que les négociations sur le budget sont âpres, d'aucuns voudraient encore élargir l'Union européenne. Des élections anticipées risquent d'avoir lieu en Macédoine du Nord, car nous avons fragilisé le Premier ministre et le courageux élan de l'accord de Prespa. Pourquoi avoir refusé de dissocier les deux pays, Macédoine du Nord et Albanie ?
Je plaide pour un statut intermédiaire, d'association pleine et entière, véritable antichambre pour les candidats, en fonction des efforts accomplis par chaque pays pour lutter contre la criminalité, maîtriser l'immigration, respecter les ratios économiques et monétaires...
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. - Très bien !
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. - Le Gouvernement est-il prêt à faire sienne cette proposition ?
Le Brexit nous laissera Tous perdants, comme l'indiquait le titre d'un récent rapport du groupe de suivi que j'anime avec Jean Bizet.
Ne vous laissez pas dévorer par les péripéties quotidiennes de ce feuilleton interminable. Un dumping fiscal, social et réglementaire risque de se créer avec un nouveau « Singapour sur Tamise » à nos portes. Au-delà du court terme, il faudra refonder une relation solide avec le Royaume-Uni, dans le domaine de la défense notamment. Les 27 devront rester aussi solidaires que depuis deux ans, grâce au travail remarquable de Michel Barnier, qui a réussi à aboutir à un accord.
Une refondation de l'Europe est nécessaire et le groupe de suivi su Sénat proposera bientôt une feuille de route sur ce sujet. (Applaudissements sur plusieurs travées des groupes Les Républicains, UC et LaREM, ainsi que sur le banc des commissions)
M. Vincent Éblé, président de la commission des finances . - Le Conseil européen a été marqué par le feuilleton du Brexit. Le rapporteur général de la commission des finances nous avait prévenus d'éviter de tirer des conclusions hâtives sur le Brexit. Il avait raison ! Une nouvelle fois, tous les pronostics ont été déjoués. La Chambre des communes a réservé son vote à une date ultérieure, puis voté pour cet accord tout en rejetant le calendrier prévu...
Selon Jean-Yves Le Drian, qui s'est exprimé à l'Assemblée nationale, une nouvelle extension n'est pas justifiée. Quelle est la position française à la suite de ces rebondissements ?
La solution du backstop proposée par l'Union européenne n'a pas été conservée. Cela évite le rétablissement d'une frontière en Irlande mais avec des arrangements douaniers complexes. Toutes les garanties sont-elles prévues, compte tenu du fait que les contrôles sur les normes du marché unique seront effectués par des agents britanniques ?
Le Parlement européen s'organise, examinant une proposition de règlement sur la solidarité entre États membres. L'impact du Brexit pourrait atteindre 0,5 % du PIB pour la France. Quel soutien financier la France pourrait-elle obtenir ?
Après un échange de vues sur le cadre financier pluriannuel, le Conseil européen a invité la présidence finlandaise à présenter des propositions sur le volume et les priorités. Les États membres ont donné leurs lignes rouges, mais les incertitudes demeurent alors que le temps presse. Des concessions peuvent-elles être obtenues d'ici à la fin de l'année ? (Applaudissements sur le banc des commissions)
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes . - Le Conseil européen a été un épisode important de la saga du Brexit. Comme Christian Cambon, je souhaite rendre hommage à Michel Barnier, qui a su rester ferme sur ses trois objectifs : préserver la paix, assurer l'intégrité du marché unique et garantir les conditions d'une concurrence équitable.
Le « super samedi » a été très décevant car le Parlement britannique a adopté un amendement reportant le vote. Aussi le Premier ministre a-t-il été contraint de solliciter un troisième report du Brexit.
L'unité des 27, acquis du Brexit, pourrait éclater s'il fallait se prononcer sur l'extension du délai prévu à l'article 50, qui impliquerait de nommer un commissaire britannique. Comment conjurer ce scénario catastrophe ?
Sur l'élargissement, prenons garde à l'isolement. La France a eu des exigences louables sur les conditions à l'adhésion. Sans doute faut-il dénoncer l'incohérence de ceux qui veulent élargir sans augmenter le budget, et cesser de faire de l'élargissement un instrument de politique étrangère. Mais il ne faut pas tarder à tendre la main à des pays comme l'Albanie et surtout la Macédoine du Nord, qui voient leur jeunesse quitter massivement leur pays. (M. Olivier Cadic applaudit.)
D'autres pays pourraient bien prendre notre place. (M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, le confirme.)
Il faut une réaction européenne claire à la provocation turque sur le territoire même de l'Union avec les forages illégaux d'hydrocarbures dans la zone économique exclusive (ZEE) chypriote, même si elle est d'une autre nature que l'offensive en Syrie. Nous devons marquer notre solidarité tout en évitant l'escalade. L'Union européenne doit avoir une réponse claire, appropriée et progressive. Cette question sensible a été soulevée lors de la récente session d'automne de l'assemblée parlementaire de l'OSCE, où notre...
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. - Excellent...
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. - ... collègue Pascal Allizard, ici présent, a joué un rôle majeur.
Que pouvons-nous attendre de l'Union européenne sur ces sujets ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi que sur le banc des commissions)
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État. - Sur le portefeuille du prochain commissaire français, nous cherchons à nous assurer que l'industrie, le numérique, la défense y figurent bien. Nous ne cherchons pas seulement une figure, mais quelqu'un capable de gagner la confiance du Parlement sur des objectifs ambitieux.
C'est bien pour nous assurer que la nouvelle commission soit opérationnelle et dans une configuration de plein exercice que nous avions fixé la date du 31 octobre.
Bien sûr, la future relation avec les Britanniques devra être construite, dans tous les domaines, notamment la défense, mais aussi les relations extérieures, la sécurité, la culture, l'éducation, la recherche. Nous travaillons afin que les délais soient les plus courts possible. Si le Royaume-Uni est encore membre de l'Union européenne après l'entrée en fonction de la nouvelle Commission, aujourd'hui fixée au 1er décembre, la question de la nomination d'un commissaire britannique se posera et il faudra une réunion à l'unanimité de tous les chefs d'État et de gouvernement. D'où des procédures longues et complexes qui nous éloignent de nos priorités.
Pourquoi avoir refusé de découpler les élargissements ? Car, le président de la République l'a dit, il eût été funeste de laisser l'Albanie au milieu du gué - sachant qu'il existe des minorités albanaises dans tous les pays de la région. Notre ambition, c'est de travailler avec ces pays pour les accompagner.
Ce n'est pas forcément le statut qui compte ; il faut assurer à ces pays un accès graduel, séquentiel, petit à petit, aux différentes politiques de l'Union européenne : PAC, politique de cohésion, pour finir par l'accès au marché européen.
La population doit en voir les bénéfices concrets, au lieu du dispositif actuel purement juridique.
M. Jean-Yves Leconte. - Plus personne n'y croit !
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État. - Nous avons relancé le plan d'engagement de l'AFD.
M. Simon Sutour. - Ce n'est pas crédible !
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État. - Si nous ne voulons pas que la Chine, la Russie, la Turquie y construisent les infrastructures...
M. Simon Sutour. - C'est justement ce à quoi aboutira votre politique !
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État. - ...il faut, comme l'a dit le président de la République aux ambassadeurs, nous réinvestir dans les Balkans...
Je ne crois pas que la bonne politique soit d'envoyer un formulaire avec 6 000 questions, en s'en lavant ensuite les mains... Si nous voulons arrimer les pays à l'Europe, il faut des politiques concrètes et non de l'hypocrisie.
Il est gênant d'entendre que l'élargissement serait le seul moyen de notre politique extérieure.
M. Simon Sutour. - C'était un engagement pris après la guerre dans l'ancienne Yougoslavie !
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. - Il faut fixer la jeunesse dans ces pays !
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État. - S'il y a d'autres leviers que de parler marchés publics et recrutement des fonctionnaires ! Il faut allier le concret au juridique. Il convient aussi d'avancer sur le CFP. La proposition de la présidence finlandaise n'a fait consensus qu'en ceci qu'aucun pays n'est d'accord avec ce qui est sur la table. Un budget se construit, et pas à partir d'un chiffre à la double décimale près. Nous devons reprendre la discussion avec une méthode différente : que reconduire et que mener de nouveau, avec quels objectifs, et quelles ressources, car l'Union européenne n'a pas de ressources propres ? La France ne doit pas entrer dans des discussions de boutiquiers. Il s'agit de politique avant tout. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)
M. Philippe Bonnecarrère . - (Applaudissements sur les travées des groupes UC, LaREM et sur le banc des commissions) Priorité au Brexit ! Première suggestion : ce qui sera retenu, ce n'est pas l'exégèse des positions sur le délai mais l'unité des 27. Peu importe le délai si nous voulons l'unanimité.
M. Olivier Cadic. - Bravo !
M. Philippe Bonnecarrère. - Si le Brexit se déclenche le 31 octobre, et que le 4 ou 5, il ne se passe rien, j'entends déjà le ricanement des extrêmes sur le mode « on nous avait menti » et nous retomberons dans la perte de confiance en la parole publique, qui n'est pas un mince problème aujourd'hui.
Le Brexit étant entouré d'un halo d'incrédulité, nos PME ne sont pas préparées. Dans le nouvel accord, pour certains, l'Irlande du Nord est dedans ; pour d'autres, en dehors. Pas besoin d'être un grand juriste pour savoir qu'une telle ambiguïté dans un contrat est dangereuse. (M. Olivier Cadic renchérit.)
Est-ce un bon accord ? Un accord est certes préférable à un no deal. Mais il faudra bien expliquer aux citoyens ce qu'il en est.
Examiner le détail de l'accord, comme s'y attelle le Parlement britannique, pourra aussi être du ressort du Parlement européen, le moment venu, même si c'est exclu au Parlement français, en raison de nos règles institutionnelles. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur le banc des commissions)
M. Olivier Cadic. - Bravo !
Mme Véronique Guillotin . - Alors que la date butoir du 31 octobre approche, le doute subsiste. Le débat d'hier aux Communes ne l'a pas dissipé. Berlin a ouvert la voie à un report technique. Le Brexit étant l'otage de la politique intérieure britannique, nous devons appeler le Royaume-Uni à ses responsabilités. Nous devons avancer, car l'Union européenne a d'autres chantiers.
Sur le CFP, mon groupe sera attentif aux grandes masses du budget. La mutualisation des moyens pour répondre aux défis communs est une bonne chose. Mais n'abandonnons pas pour autant la PAC et la politique de cohésion. J'ai entendu que le montant du budget de la PAC était moins important que ce que l'on faisait avec. Oui, mais une PAC plus verte ne sera pas gratuite ! Attention à aux accords de libre-échange, à la lumière de l'accord avec le Mercosur - contre lequel les agriculteurs se sont mobilisés ce matin même - qui pourrait fragiliser encore plus les filières du sucre et des bovins. Le RDSE a déjà alerté le Gouvernement par une résolution européenne du Sénat le 27 avril 2018.
La sous-consommation des crédits de la politique de cohésion est due à une gestion interne peu efficace. Colette Mélot l'a bien montré dans son rapport, il est urgent de revoir l'autorité de gestion des fonds européens de cohésion.
Quelques souhaits sur le programme stratégique : oui aux règles plus équitables dans le domaine économique. Il faut favoriser un champion européen dans le domaine de l'intelligence artificielle pour éviter la domination américaine et chinoise. Mais cela implique de déroger à certaines règles concernant la concurrence, louables par ailleurs pour le marché intérieur, qui bloquent la constitution de leaders européens. Les projets importants d'intérêt européen commun (PIIEC) mentionnés à l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ne suffisent plus, dans la guerre commerciale actuelle.
Enfin, le groupe RDSE partage la position du chef de l'État sur l'élargissement, qui ne peut être poursuivi sans une amélioration de notre capacité à agir en commun. Tirons les leçons de notre passé récent pour faire de l'Union européenne une véritable zone de prospérité. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et UC)
M. André Gattolin . - On vilipende souvent la qualité de la production audiovisuelle européenne. Une série espagnole, La Casa de papel, connaît pourtant un énorme succès international. La quatrième saison, attendue par tous, a été décalée de quelques semaines, attisant l'impatience de ses millions de fans européens. À la fin de la troisième saison, les braqueurs, issus de toute l'Europe, tels des Robins des bois anti-systèmes, provoquaient un casse de la banque centrale espagnole pour faire main basse sur son trésor et imprimer de nouveaux billets, pendant leur prise d'otages. Mais le sang avait coulé pour la première fois. Sortiraient-ils indemnes de cette affaire ?
Rien à voir avec cette autre grande série, au succès d'audience garanti, mais britannique cette fois, le Brexit, toujours aussi palpitante, (Sourires) car personne n'en connaît la fin, tant les rebondissements sont nombreux...Peut-être vous, madame la ministre, en savez-vous un peu plus ? Y aura-t-il une cinquième saison ? (Rires)
Pardonnez mon ton quelque peu farceur et primesautier, (Sourires) mais au bout d'une douzaine de prises de parole en séance publique sur le sujet, mon imagination est moins débordante que celle des auteurs de cette série britannique... (Même mouvement) Pourtant, j'ai la chance d'échanger fréquemment avec l'ancien ministre des Affaires européennes de Tony Blair, Denis MacShane, europhile convaincu et inventeur du mot « Brexit », qui a publié un livre intitulé Brexeternity ou Un Brexit sans fin... (Nouveaux sourires) Il considère que son pays pourrait encore consacrer dix ou quinze ans de plus à des débats passionnés sur le sujet. Mais on constate une inflexion.
N'en déplaise aux « réalités alternatives » chères à Donald Trump, les rêves des Brexiters ont tous du plomb dans l'aile. À commencer par le projet d'une nouvelle Association européenne de libre-échange (AELE), le référendum britannique n'ayant pas fait école, même dans les États gouvernés par des forces eurosceptiques.
L'idée d'un modèle Singapour - rêve irréaliste selon le Premier ministre de ce pays - ou celle d'un Commonwealth revisité - alors que le Canada, l'Australie et la Nouvelle-Zélande viennent de signer des accords de libre-échange avec l'Union européenne - n'ont pas plus de consistance.
Les discussions avec l'Inde ont montré que le préalable d'ouvrir les frontières britanniques aux quelque 1,3 milliard d'Indiens ne laisse guère d'avenir à l'idée de resserrer les relations bilatérales. Même chose pour l'accord « phénoménal » dont parle Donald Trump et dont le Trésor britannique estime qu'il serait défavorable aux Royaume Uni.
« Il n'y a pas d'alternative », disait Margaret Thatcher. Aujourd'hui, le Royaume-Uni est nu. Son destin est incertain. Mais nous aurons toujours la gentillesse d'accueillir nos amis britanniques s'ils voulaient revenir. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM et sur le banc des commissions ; M. Olivier Cadic applaudit également.)
M. Jean Louis Masson . - Les Eurocrates et Europhiles ont tendance à donner des leçons de démocratie, et auraient le monopole de la démocratie et de la volonté populaire.
Pour moi, la démocratie honnête, c'est de respecter la volonté du peuple, dans les urnes, et donc par référendum. C'est la raison pour laquelle Eurocrates et Europhiles ont peur des référendums. Ils souhaitent passer au-delà de la tête de ce que souhaite le peuple.
J'ai toujours trouvé scandaleux l'attitude du président Sarkozy...
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. - Ce n'est pas bien ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Jean Louis Masson. - ... qui a bafoué le résultat du référendum, en signant le traité de Lisbonne, après avoir changé trois virgules.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. - Cela a été efficace !
M. Jean Louis Masson. - C'est une honte pour la démocratie ! C'est la même chose au Royaume-Uni. Le peuple anglais s'est prononcé.
M. André Gattolin. - Britannique !
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État. - Les Écossais n'étaient pas d'accord !
M. Jean Louis Masson. - Tout le monde essaie de bafouer ce que le peuple anglais a dit.
Les députés anglais, désavoués par le référendum, ont essayé de contourner le système, et l'Union européenne a apporté de l'eau au moulin du blocage du Brexit.
Mme la présidente. - Veuillez conclure.
M. Jean Louis Masson. - J'ai peu de temps.
Mme la présidente. - Votre temps est dépassé de trente secondes.
M. Jean Louis Masson. - Puisqu'on ne peut plus parler, je reviendrai...
M. Pierre Laurent . - Que retenir du Conseil européen ? On ne sait plus par quelle impasse commencer tant la construction européenne s'enfonce chaque jour un peu plus dans la crise...
On nous annonçait la sortie du tunnel des négociations sur le Brexit, mais Boris Johnson a été désavoué samedi. Il méprise tellement le Parlement qu'il a envoyé plusieurs courriers au nom du Royaume-Uni à ses partenaires européens. Il joue de tous les leviers pour laisser le maximum de liberté au Royaume-Uni pour développer le dumping social et fiscal. Des pans entiers ne sont plus dans l'accord mais dans la déclaration politique, comme tout ce qui concerne les droits sociaux. Tout annonce une sortie par le bas. La crise n'a pas fini de rebondir, l'Union européenne paiera un prix exorbitant.
L'impasse européenne n'est pas seulement britannique. Les 27 n'ont pas pu s'accorder sur le CFP tant sur le montant et le contenu de la PAC que les fonds structurels. La France veut maintenir les budgets et augmenter les dépenses de sécurité et défense sans avoir obtenu une augmentation du budget de l'Union européenne. Ce désaccord budgétaire reflète les désaccords fondamentaux sur les grands objectifs.
Pendant ce temps, Christine Lagarde est confirmée comme gouverneure de la Banque centrale européenne (BCE) sans que le rôle de la BCE ne soit remis en cause, alors que ce serait urgent en ces temps de détresse sociale et de taux zéros que d'orienter les richesses vers la dépense sociale et la transition écologique.
Impasse syrienne enfin. Le Conseil européen n'a pas ouvert la voie à une offensive diplomatique d'ampleur pour protéger les Kurdes, à un nouveau système de sécurité collective émancipée de l'OTAN. L'Union européenne est tétanisée par les décisions américaines et turques en Syrie. La France se satisfait de la réunion annoncée par le président de la République entre Erdogan, Merkel, Johnson et lui-même ; cela fait rêver pour sauver la paix ! L'Europe est dans la crise et dans l'impasse.
Il y a dix ans, nous avions proposé des états généraux de la refondation européenne, on nous traitait d'anti-européen. Repenser l'Europe est urgent, mais pas pour réchauffer les plats.
À quand un Conseil européen parlant de la fusion Alstom-GIE, d'une nouvelle politique industrielle, de l'accident ferroviaire des Ardennes, de la colère des agriculteurs contre le CETA, de la colère des communes et de la réorientation des fonds structurels européens pour plus de services publics, à quand un conseil européen qui parlera des priorités des Européens et non pas d'une marchandisation capitaliste à bout de souffle ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)
M. Franck Menonville . - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants et RDSE) En trois ans et demi, le Brexit a connu de multiples rebondissements. L'accord de retrait est qualifié de raisonnable, d'équilibré et de respectueux des engagements européens. Les yeux se sont tournés vers Westminster, où le Parlement britannique n'avait pas été réuni un samedi depuis la guerre des Malouines en 1982.
Le vote de l'amendement Letwin plonge l'Europe dans l'incertitude, avec la demande d'un report du Brexit au 31 janvier 2020. Le président de la République Macron refuse un tel délai, sauf s'il est dûment motivé et nécessaire.
Les Européens méritent mieux que cette cacophonie. Le Conseil européen a apporté la preuve de la nécessité d'une Europe rassemblée et tournée vers l'avenir.
Le CFP nous engagera jusqu'en 2027. Nous attendons un cadre de négociations clair de la présidence finlandaise. L'Union européenne doit être ambitieuse, ce qui passe par un budget ambitieux. Les États membres et la France doivent améliorer leur système de déploiement des fonds européens. Des ressources propres seront également nécessaires pour renforcer ce budget.
Le budget doit préserver la PAC, indispensable, et la politique de cohésion, tout en mobilisant de nouvelles ressources pour l'environnement, le numérique, la sécurité et la défense.
Madame la ministre, comment vous en assurerez-vous ?
Ce Conseil a entériné la nomination de Mme Lagarde à la tête de la BCE, véritable fierté pour la France. Mais où en sommes-nous de la nomination du futur commissaire français ? Le Gouvernement doit nommer rapidement une personnalité incontestée et expérimentée.
L'Union européenne doit contribuer à la stabilisation du monde. Condamner l'offensive turque ne suffit pas, il faut agir ensemble.
L'Europe doit se renforcer avant de s'élargir ; il faut réformer le processus d'adhésion tout en tenant compte des efforts nord-macédoniens et albanais.
Le mandat de la nouvelle Commission sera déterminant pour l'avenir de l'Europe : il est avant tout question de redonner à l'Union Européenne sa place prépondérante sur la scène internationale. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants et LaREM et sur le banc des commissions)
M. Pascal Allizard . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Depuis des mois, nous suivons la situation au Levant et en particulier l'engagement de nos forces contre Daech. En réalité, les Européens pèsent peu dans la coalition : les Russes se sont imposés sur le terrain, puis la Turquie a pris la place des États-Unis.
Depuis l'Afghanistan et l'Irak, les États-Unis ne veulent plus s'investir dans des guerres coûteuses se situant dans des zones instables. Le président Trump prétend que le job est fait prétextant que Daech a été écrasé sous les bombes. Quid du sort des populations civiles et des djihadistes emprisonnés ?
La Turquie joue sa partie en solo, renvoyant les Européens à leurs propres turpitudes, paralysés par l'accord à haut risque sur les migrants.
En outre, Chypre se retrouve à nouveau aux prises avec les autorités turques dans un différend en matière d'espaces maritimes, exacerbé par la présence de gisements d'hydrocarbures dans ladite zone. Depuis quelques semaines, l'intrusion d'un navire de forage turc dans la zone économique exclusive chypriote contestée par la Turquie fait craindre une escalade régionale.
Le Conseil a mis en place des mesures restrictives. La France a dépêché des moyens navals sur place. Où en est-on ?
J'espère que les relations avec la Russie seront plus apaisées car un des dangers pour l'Union européenne est la convergence sino-russe. La Russie bascule vers son versant asiatique en soignant sa relation avec la Chine, même si la sinisation en cours de l'orient russe inquiète Moscou. Au Forum des Nouvelles Routes de la Soie puis au Forum économique de Saint-Pétersbourg, Russie et Chine ont affiché leur entente. C'est aussi le cas au sein de l'Organisation de coopération de Shanghai sur laquelle les deux pays ont pris le leadership. En septembre 2019, un exercice militaire à grande échelle russo-chinois s'est déroulé en Russie. De même, cet été, des patrouilles d'avions militaires chinois et russes ont été menées au large de la Corée du Sud et du Japon. Aujourd'hui, la base chinoise de Djibouti intéresse à l'évidence les Russes comme les bases russes de méditerranée orientale suscitent l'intérêt des Chinois.
Le message est clair : la convergence de ces deux États doit inviter les Européens à une plus grande coopération. Il faudra être attentif à la stratégie chinoise de division de l'Europe à travers les nouvelles portes de la soie.
Je salue la signature d'un accord nippo-européen sur les connectivités durables et les infrastructures de qualité.
Un autre danger pour le vieux continent est la convergence turco-russe qui au-delà de la seule Union européenne inquiète également l'OTAN, en particulier depuis l'achat par Ankara de systèmes antiaériens russes.
Madame la ministre, les technocrates qualifient de vide juridique les quelques espaces de libertés laissés par le législateur. Pourtant, en démocratie, la liberté devrait être la règle, et l'interdiction l'exception.
J'approuve vos positions sur l'élargissement.
Si nous ne prenons pas la mesure des choses, nous nous résignons à n'être plus que les clients et les sous-traitants des Chinois et des Américains, sous la pression continuelle des Russes. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. - Très juste !
M. Didier Marie . - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) Le Brexit a attiré l'attention des médias et du Conseil européen.
Je me félicite de la solidarité des 27 : l'Union européenne a assumé ses responsabilités. Chaque heure, nous découvrons les subtilités de la démocratie parlementaire britannique. Nous devons éviter un nouveau report et soutenons votre position, madame la ministre.
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État. - Merci.
M. Didier Marie. - Cette belle unanimité sur le Brexit ne peut être l'arbre cachant la forêt, alors qu'une nouvelle mandature s'ouvre. Mais les Européens sont paralysés par le manque de cohésion, tant interne que vis-à-vis de l'extérieur. Toute décision est au mieux reportée au prochain Conseil de décembre.
La présidente élue de la Commission prendra ses fonctions dans quelques jours, sans avoir bouclé son équipe. Affaiblie, elle est à la tête d'une Commission plus géopolitique que politique, de son propre aveu.
La France est tombée dans ce piège. Avec un Parlement européen, sans majorité, la Commission européenne risque de revoir à la baisse ses ambitions.
Le fragile équilibre du collège de la Commission, son organisation extrêmement pyramidale, la difficulté à discerner parfois les fonctions des uns et des autres, risquent de concourir à la neutralisation des initiatives indispensables à la relance européenne.
Le signal envoyé par le Conseil européen à son intention pourrait également réduire sa marge de manoeuvre. La France a une part de responsabilité dans cette situation. L'Union européenne ne peut être le terrain de manoeuvres incessantes et l'interventionnisme continuel du président de la République ne peut que se retourner contre notre pays.
La Commission ne peut être le secrétariat du Conseil - encore moins des États membres. L'indépendance du Parlement européen, avec un droit d'initiative propre, doit être défendue.
La France, au lieu de voir une crise institutionnelle là où le Parlement n'a fait qu'exercer ses prérogatives, serait mieux avisée de plaider efficacement pour un cadre financier ambitieux, un green deal européen à hauteur des défis de la transition écologique et défendre le mieux-disant social européen.
L'Europe est dans l'urgence et a besoin d'un projet clair. Que compte faire la France ?
Le Conseil européen est incapable d'avoir une position claire sur l'invasion turque, alors que les Kurdes sont abandonnés honteusement par la coalition internationale.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. - C'est vrai !
M. Didier Marie. - En réponse à cela, on crée - tenez-vous bien - un groupe de travail. Que penser d'un Haut représentant qui déclare ne pas avoir de « pouvoirs magiques » ?
Le président de la République ne cesse de parler « d'autonomie stratégique européenne », mais en quoi consiste-t-elle réellement ?
Madame la ministre, quelles initiatives concrètes la France compte-t-elle prendre pour contribuer à un sursaut de l'Union européenne à l'égard de la Turquie et plus largement en matière de politique étrangère ?
Le Conseil, attentiste, est incapable de définir un programme commun. Le dispositif d'accueil des migrants est bienvenu mais temporaire et sur la base du volontariat. Nous n'avons que trop tergiversé face aux centaines de morts dans la Méditerranée. Réformons le règlement de Dublin, harmonisons les critères européens, créons des centres européens de premier accueil sur tous les points d'arrivée, ouvrons d'autres voies légales d'immigration, plus sûre, plus respectueuses, y compris pour les procédures de réinstallation.
L'Union européenne ne pourra relever ses défis qu'avec un budget ambitieux. Le Parlement européen a proposé un budget à hauteur de 1,3 % du revenu national brut de l'Union, contre 1,11 % recommandé par la Commission européenne. La Finlande, elle, propose un taux entre 1,03 et 1,08 % !
Face à l'urgence environnementale, mettons toutes les politiques européennes au service de la lutte contre le dérèglement climatique. Nous saluons la décision de nommer un vice-président exécutif pour le green deal, nous ne savons rien de ses modalités concrètes. Les premiers indices ne plaident pour l'instant pas en faveur d'un plan Climat qui permette de dégager 1 100 milliards d'euros par an, comme le prône la Cour des comptes européenne.
Pour que ces nouvelles priorités n'évincent les politiques traditionnelles, il faut de nouvelles ressources propres.
Si le président de la République ne se dit pas inquiet de l'absence de consensus, comment gérer ces incertitudes ? Nous ne pouvons plus être dans l'expectative et rester dans les logiques nationales. Il nous faut maintenant avancer pour consolider l'existant et bâtir des politiques nouvelles qui rétablissent la confiance dans l'Union européenne. Les forces populistes en réclamant des solutions nationales et un retour aux frontières mènent l'Europe au bord de la fragmentation et du déclin. Pour les faire reculer, nous devons cesser les logiques technocratiques et budgétaires et redonner corps à l'idée européenne.
L'Europe doit dépasser ses inerties, dépasser ses blocages. Pour cela, elle a besoin de la France. Nous attendons de l'exécutif des actes forts. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR ; M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes, applaudit également.)
M. Jean-François Longeot . - Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Indépendants) Je souhaite aborder trois grands thèmes.
Le CFP d'abord, qui soulève plusieurs questions. L'équation est complexe car il doit absorber le Brexit, intégrer de nouvelles politiques sans sacrifier les anciennes et sans réformer structurellement le financement du budget. Pour cela, comme l'a dit le président Macron, il faut à l'Union européenne des ressources propres et remettre en cause les rabais accordés à plusieurs États membres dont certains remontent aux années 1980.
Si les pistes de travail présentées par la Commission européenne en mai 2018 dévoilent un budget en hausse, porté à 1 135 milliards d'euros contre 959 milliards pour le précédent, la politique agricole commune verrait, pour sa part, son budget réduit, alors que l'agriculture devra relever à l'avenir de lourds défis : ruralité, nouveau modèle agricole, souveraineté alimentaire. Comment le Gouvernement voit-il les choses à ce propos ?
Deuxième question : quel est notre futur à 27 ? La politique de la concurrence industrielle condamne les Européens à ne jamais voir émerger de champions européens dans la compétition internationale. Nous sommes incapables de dépasser nos intérêts nationaux et de donner du sens au collectif.
Le second sujet porte sur l'inachèvement de l'Union économique et monétaire et sur les projets esquissés lors de ce Conseil européen. Le président de la République a évoqué une assurance chômage au sein de la zone euro, alors que l'instrument budgétaire de convergence et de compétitivité est à peine développé, et que l'Union bancaire est incapable d'assurer la stabilité du secteur bancaire en cas de crise économique.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. - C'est exact, malheureusement.
M. Jean-François Longeot. - Enfin, nous avons besoin d'une Europe qui protège. Le Brexit est le résultat d'un espoir nostalgique au retour à une souveraineté nationale fantasmée. Or, unis, nous sommes un des géants de la compétition internationale et du nouveau monde multipolaire tel qu'esquissé au lendemain de la chute de l'Union soviétique. Mais isolés, dans un imaginaire westphalien anachronique, nous ne pesons guère dans cette compétition internationale.
Face aux défis à relever, qu'il s'agisse des changements climatiques, des flux migratoires ou du bouleversement numérique, la souveraineté ne pourra s'exercer qu'à l'échelon européen. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Indépendants et RDSE ; M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes, applaudit également.)
M. René Danesi . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le point urgent de l'ordre du jour du Conseil européen était l'approbation de l'accord de sortie du Royaume-Uni, dont les députés britanniques font preuve d'une créativité incroyable pour reporter le Brexit et ne pas revenir aux urnes, recourant aux juges si nécessaire. Jusqu'à présent, le Royaume-Uni était cité comme le modèle de la démocratie parlementaire. Après ce triste feuilleton, ce ne sera plus le cas. (Sourires)
Mais trop souvent, les gouvernements tiennent les votes populaires pour quantité négligeable. Cela a commencé en 2005 avec la France et les Pays-Bas dont les référendums sur la Constitution européenne ont été contournés par les gouvernements et les Parlements. Aux États-Unis, c'est pire : élu par les « déplorables », l'élection de Trump a été immédiatement contestée, cette contestation se faisant là encore par les juges au besoin.
Avec le déclassement des classes moyennes et populaires, l'attitude désinvolte de l'élite politico-économique à l'égard du peuple nourrit les mouvements d'extrême gauche et d'extrême droite dans tout l'Occident.
Le Conseil européen a également renvoyé à plus tard l'ouverture des négociations d'adhésion avec l'Albanie et la Macédoine du Nord. Donald Tusk et Jean-Claude Junker n'ont pas réussi à surmonter le véto de la France, des Pays-Bas et du Danemark. C'est peu dire que ces deux États ne sont pas les meilleurs élèves de la classe préparatoire à l'Union européenne... L'Albanie, elle, se singularise par le nombre de ses ressortissants qui viennent demander l'asile politique en France : 7 133 demandes ont ainsi été enregistrées en France en 2018.
On relèvera aussi que l'Albanie, déjà membre de l'OTAN, et la Macédoine du Nord qui le sera d'ici peu, bénéficient de la part des États-Unis du programme d'aide appelé ERIP pour remplacer leur matériel militaire d'origine soviétique par du matériel américain. Pour ceux qui se posent la question de l'utilité de l'OTAN, voilà la réponse : alimenter les carnets de commande du complexe militaro-industriel des États-Unis.
Maintenant que les Britanniques sortent, l'Europe peut enfin s'approfondir comme le demandait Jacques Delors en son temps. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. - Bravo !
Mme Patricia Morhet-Richaud . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Avec le retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne tout doit être mis en oeuvre pour que la baisse des ressources ne soit pas synonyme d'une diminution de la prochaine programmation pluriannuelle de la PAC. Alors que l'agriculture française occupe la première place en Europe, la politique agricole est un enjeu majeur sur lequel la France doit peser de tout son poids.
Les nouvelles priorités de l'Union européenne ne doivent pas se faire au détriment des politiques traditionnelles et le volet agricole ne peut être une variable d'ajustement.
La souveraineté alimentaire doit être une priorité et conduire l'Europe à proposer une politique ambitieuse permettant de relancer la compétitivité des exploitations et leur capacité à investir et à se transformer, données essentielles d'une durabilité économique.
Les nouvelles orientations ne doivent s'appliquer que si elles sont jugées nécessaires et en parfaite adéquation avec les ambitions des États membres.
La simplification de la PAC est considérée comme « l'Arlésienne » car la bureaucratie a créé de véritables usines à gaz qui complexifient les processus, pour les agriculteurs mais aussi pour les États membres.
L'agriculture européenne rend des services à la société et à l'environnement. Les agriculteurs méritent donc une rémunération au titre des biens publics qu'ils produisent, les externalités positives, comme le stockage du C02 dans les sols par exemple.
Les questions environnementales doivent être appréhendées avec pragmatisme, en lien avec la recherche et l'innovation. L'agropastoralisme, par exemple, est une activité à la fois liée à son territoire et de son temps.
M. Jean-Paul Émorine. - Très bien !
Mme Patricia Morhet-Richaud. - Cette activité permet de conserver un tissu rural vivant et d'atteindre nos objectifs environnementaux, climatiques et de protection de la biodiversité. Aussi, il est essentiel que les surfaces pastorales obtiennent une meilleure reconnaissance.
La mise en oeuvre d'une politique Montagne utilisant de façon ciblée une partie des outils mis à disposition pour l'indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN) doit être prise en compte pour soutenir l'agriculture dans les zones défavorisées et à handicap.
Je me réjouis du lancement de l'observatoire européen des fruits et des légumes, secteur clé de notre agriculture. Il convient en effet de corriger les distorsions de concurrence sur les fruits - il faut le dire en cette période de récolte des pommes et des poires, notamment dans les Hautes-Alpes. Nous devons donc nous mobiliser pour que les États membres maintiennent le budget de la PAC. Nos agriculteurs méritent que l'on se batte pour eux et il en va de l'intérêt de la France. (Applaudissements nourris sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État . - En fin de semaine, nous devrons faire un point sur la nécessité de concéder une extension technique permettant à la Chambre des communes d'examiner l'accord sinon à un train de sénateur, du moins à un rythme adapté. Mais une extension pour renégocier l'accord ou gagner du temps n'est pas acceptable car l'accord est équilibré : l'incertitude n'est désormais plus de mise car elle pénalise des millions d'Européens.
Monsieur Éblé, le plan de contingence a donné lieu à des modifications de règlements pour engager des travaux aux abords des ports, mobiliser le fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP) pour la pêche en cas d'immobilisation de la flotte.
Nous voulons aussi l'application du fonds de solidarité de l'Union européenne (FSUE), destiné à aider les pays subissant des chocs non prévisibles. La France souhaite aussi la mobilisation du fonds européen pour l'ajustement à la mondialisation qui permet de répondre à des chocs commerciaux extérieurs. Au départ, la Commission européenne prévoyait des critères suffisamment restrictifs pour que personne n'en bénéficie. La France a plaidé avec un certain succès pour que la mise en oeuvre soit effective - qu'il y ait bel et bien des bénéficiaires en face. Je ne peux pas vous dire combien d'entreprises en bénéficieraient.
J'ai besoin de vous et de votre soutien. Si les Britanniques ne voulaient pas régler leur contribution de 12 milliards en 2020, nous nous opposerions au plan de la Commission qui consisterait à couper dans les dépenses à hauteur de 6 milliards d'euros et à appeler une contribution nationale exceptionnelle de 6 milliards d'euros, soit 1 milliard pour la France, ce qui serait insupportable.
Nous voulons que cela prenne la forme d'une avance, par exemple par la Banque européenne d'investissement (BEI), au capital de laquelle le Royaume-Uni a des parts. Ce sujet est hautement politique et je ne me vois pas revenir devant vous pour expliquer que nous devons encore faire des efforts.
Oui, monsieur Bonnecarrère, nous ne voulons pas d'une relation future marquée par la concurrence déloyale. Vous aurez à vous exprimer sur l'accord de libre-échange qui pourrait être négocié avec le Royaume-Uni.
Madame Guillotin, nous travaillons avec Jacqueline Gourault, Didier Guillaume, Muriel Pénicaud, avec les préfets et avec les élus pour recenser les démarches d'obtention des fonds européens qui seraient plus simples ailleurs qu'en France de manière à s'inspirer des exemples étrangers.
Beaucoup d'interventions ont évoqué des impasses ou des croisées des chemins pour l'Europe. Mais, avant de statuer sur l'élargissement au sein du Conseil européen, on devra s'atteler à la réforme des procédures internes de décision. Concernant la Commission, peut-on travailler avec un gouvernement où 30 membres sont à égalité totale ? Il faut retrouver de la capacité à agir, et à agir rapidement. Mme Merkel le disait lors de la nomination des top jobs : le problème n'est pas les hommes mais la capacité qu'on leur donne à prendre des décisions. C'est tout le rôle des futures conférences sur l'Europe.
Monsieur Gattolin, je suis parfois avec amusement la série du Brexit ; mais lorsque je rencontre les pêcheurs de Boulogne-sur-Mer, je vois bien qu'il n'y a pas à en sourire. Le processus sera long : nous devrons retricoter toutes nos relations culturelles, universitaires, sociales, économiques avec la Grande-Bretagne. J'ai grandi à Calais. Le tunnel sous la Manche existera toujours, les cinq millions de camions qui le traversent ne disparaîtront pas d'un coup. Il faudra signer un traité de libre-échange. Mais nous avons aussi signé des accords bilatéraux : l'année prochaine, nous fêterons l'anniversaire du traité de Lancaster House.
M. le sénateur Masson est parti... Précision sémantique : parlons des Britanniques, et non des Anglais, car les votes ont été divers en fonction des diverses provinces. Je ne crois pas que la comparaison entre 2005 et aujourd'hui soit de bon aloi : comme l'a dit le président de la République, nous ne nous opposons pas au résultat de ce référendum ; mais il faut que le processus aboutisse.
Monsieur Laurent, vous réclamez une nouvelle politique industrielle ou ferroviaire. Sur ces deux domaines, la Commission est en train de mettre à jour sa doctrine pour protéger les emplois. La France, de son côté, souhaite exporter ses dispositions sur l'intéressement et la participation, et veut un salaire minimum européen pour qu'aucun travailleur européen ne gagne moins que le seuil de pauvreté.
Monsieur Menonville, nous défendons la PAC et la politique de cohésion en apportant de la souveraineté et de la convergence. Montrons en quoi ces politiques sont pertinentes et répondent aux attentes de nos concitoyens.
PAC et politique de cohésion sont finançables avec 1 % du PIB, mais tout le reste doit être financé par des ressources propres. Ainsi, nous réconcilierons les pays contributeurs nets et les pays qui souhaitent de nouvelles politiques.
Monsieur Allizard, XI Jinping a été reçu à Paris avec Mme Merkel. La meilleure politique avec la Chine, c'est de construire une relation de partenaires économiques et commerciaux qui repose sur la réciprocité. L'un des buts du déplacement du président de la République en Chine est l'ouverture des marchés aux entreprises françaises.
On parle des forages de bloc 7 à Chypre. Le Conseil européen a décidé de sanctions contre ceux qui mènent ces forages. Il y va de la souveraineté territoriale d'un État membre.
Monsieur Marie, la France a une feuille de route, c'est le discours à la Sorbonne. Il a inspiré le discours d'Ursula von der Leyen. L'Union européenne doit se positionner sur les défis de son siècle : climat, numérique, dans un monde mouvant. Si nous ne répondons pas ensemble, nous ne tiendrons pas face à la concurrence.
Nous ne voulons pas signer un accord de coalition pour cinq ans, mais nous souhaitons un engagement collectif et de confiance envers la présidente de la Commission européenne pour disposer d'une majorité.
Chaque mois, je vais au Parlement européen à Strasbourg ; je me rends compte qu'il existe une majorité, sujet par sujet. C'est le travail que je mène aussi au Conseil. Cela nous demande plus de travail et d'agilité, mais les majorités moins visibles et automatiques n'en existent pas moins.
Nous pourrons trouver des contributions nationales pour les politiques actuelles et des ressources propres pour financer le coût des nouvelles politiques.
Monsieur Longeot, il vaut mieux un bon accord qu'un mauvais accord négocié trop vite. Vous m'en voudriez de brader la PAC ou les régions en transition ! Cependant, nous ne voulons pas prendre de retard.
Madame Morhet-Richaud, pour deux millions d'habitants, la Macédoine du Nord a reçu de l'Union européenne 664 millions d'euros de soutien entre 2014 et 2020, au travers de l'instrument de pré-adhésion. On est donc loin d'un désintérêt européen ! C'est un investissement collectif massif qui a été réalisé, et dont il faut tenir compte, tout en traitant le sujet juridico-politique de l'élargissement.
Merci de ces échanges et de votre soutien, dans une période où nous avons besoin d'une parole unie, claire et exigeante. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, RDSE et Les Indépendants, ainsi que sur quelques travées des groupes UC et Les Républicains ; M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes, applaudit également.)
Mme Pascale Gruny, au nom de la commission des affaires européennes . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Puisque le président Bizet m'a confié l'honneur de conclure, je vous remercie pour vos contributions à ce riche débat.
Le Conseil européen a relancé les négociations sur le CFP : la présidence finlandaise a fait l'unanimité contre elle ! C'est une déception, assortie d'une bonne nouvelle : tout reste ouvert. Il y va de la capacité d'action de l'Union européenne. Nous devons rester fermes et préserver la PAC pour assurer un niveau de vie correct aux agriculteurs, assurer notre souveraineté alimentaire et préserver l'environnement.
Nous devons supprimer les rabais - si nous ne le faisons pas au départ des Britanniques, nous ne le ferons jamais - et créer des ressources propres. Le CFP sera de nouveau débattu en décembre sous la nouvelle présidence de Charles Michel. Mais cela requiert l'unanimité.
En décembre, le Conseil devra décider du plan Climat. Cette convergence des dossiers financier et climatique est propice pour l'Union européenne. La transition écologique étant un enjeu de taille, elle doit continuer à se positionner comme leader de la mise en oeuvre de l'Accord de Paris. Un nombre croissant d'États se rallie à l'objectif de neutralité carbone en 2050.
L'Union européenne devra porter également son attention sur les océans. Mais la transition écologique devra être menée au même rythme partout dans l'Union européenne, pour éviter tout dumping.
Il faut des institutions en bon état de marche. Or la Commission européenne est encore incomplète. Nous attendons le nom du candidat français. Il est étrange que le président de la République semble avoir d'autres priorités, puisqu'il a proposé la création d'une nouvelle HATVP européenne, à l'issue du Conseil.
Donald Tusk a accepté le report de 90 jours du Brexit. Le monde ne l'attend pas : remettons donc l'Europe en action, et refondons-la, pour qu'elle se projette dans l'avenir. (Applaudissements des travées du groupe RDSE jusqu'à celles du groupe Les Républicains ; M. Didier Marie applaudit également.)
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. - Bravo !
Prochaine séance demain, mercredi 23 octobre 2019, à 15 heures.
La séance est levée à 23 h 45.
Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,
Jean-Luc Blouet
Chef de publication