Politique migratoire
M. le président. - L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat sur la politique migratoire de la France et de l'Europe, en application de l'article 50-1 de la Constitution.
M. Édouard Philippe, Premier ministre . - Le président de la République a souhaité un débat parlementaire annuel sur la politique migratoire de notre pays. L'exercice est difficile ; il a ses limites, mais il est profondément utile.
Les questions migratoires suscitent en effet davantage l'affrontement - angélisme d'une part, postures clivantes de l'autre - que le consensus. Je me retrouve dans les propos de Michel Rocard, qui voulait « assurer le triomphe de la conception républicaine ouverte de la Nation, celle qui assure des droits pour chacun et fait accepter des devoirs pour tous ».
Certains observateurs regrettent que le calendrier des actions n'ait pas été annoncé dans les moindres détails. Mais on nous aurait dit que le débat était faussé. J'assume que pendant 72 heures, ce débat ait lieu, avant d'en venir, rapidement, au temps des décisions.
Nous pouvons ainsi partager un diagnostic documenté et construire ensemble des réponses ; débattre du sujet dans sa globalité, depuis la relation avec les pays d'origine jusqu'à l'intégration sur le territoire ou l'éloignement.
Nos concitoyens parlent de ces sujets. Parfois, ils n'en parlent plus - et ce n'est pas plus réjouissant. J'ai le souvenir, lors du grand débat, qu'une simple phrase pouvait être immédiatement partagée par tous comme un non-dit qui faisait consensus. Je ne suis pas sûr que ce soit préférable à la tenue d'un débat public devant la représentation nationale.
Nos concitoyens nous écoutent, ils écoutent aussi ceux qui disent les peurs ou les chances : fantasme du grand remplacement ou appel généreux et général à ouvrir grand les frontières. Il est plus difficile d'agir avec équilibre et bon sens. C'est pourtant l'unique manière de bâtir une Europe forte et solidaire, attractive sans être débordée ni repliée sur elle-même.
Notre politique migratoire doit s'inscrire dans le contexte mondial et européen. Depuis deux ans, nous mettons cette question au coeur de nos relations diplomatiques avec les pays d'origine et de transit, avec quelques succès. Ainsi, le nombre de laissez-passer consulaires a augmenté de 60 %. Nous en demandions peu et en obtenions moins encore, ce qui décourageait les demandes. Nous revenons sur cette mauvaise mécanique.
L'aide publique au développement doit être mobilisée au service de notre stratégie migratoire, avec des engagements réciproques. Cette approche sera déclinée dans le projet de loi de finances et dans un projet de loi de programmation et d'orientation qui viendra en 2020.
Nous assumons de faire de l'aide publique au développement l'un des éléments de notre politique migratoire globale.
La situation de l'Europe est particulière. Nous ne sommes plus au coeur de la crise des réfugiés de 2015-2016, mais le problème demeure.
Après l'Europe de la libre-circulation, nous devons construire l'Europe de la protection des frontières extérieures et traiter le problème des mouvements secondaires, symptôme d'une gestion insuffisamment coordonnée.
Dès que la nouvelle Commission européenne sera installée, nous plaiderons pour un renforcement de la protection des frontières extérieures et une réforme du régime d'asile européen. Nous veillerons à un bon équilibre entre responsabilité et solidarité.
Nous devons aussi mieux accueillir et mieux intégrer. Cela suppose d'abord de réduire les délais d'instruction des demandes d'asile. Aussi 150 nouveaux officiers de protection ont-ils été recrutés à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) ainsi que les agents nécessaires à l'ouverture d'une 23e chambre de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). Les délais sont stabilisés mais pas raccourcis car si l'instruction est plus rapide, le contentieux s'allonge, à cause d'une grève mais aussi de la contestation massive des décisions.
La loi du 10 septembre 2018 a fixé comme objectif un délai moyen de six mois pour l'ensemble de la procédure.
Mieux accueillir, c'est surtout mieux intégrer ceux qui ont vocation à rester. Nous avons donné une nouvelle ambition au contrat d'intégration républicaine, qui repose sur trois piliers : langue française, travail et valeurs républicaines. Le nombre d'heures d'enseignement de la langue française a doublé.
Quant à nos valeurs, elles ne sont pas négociables, qu'il s'agisse de laïcité ou de droit des femmes. Si elles sont universelles, elles ne sont pas toujours connues. Cela demande, pour certains, une forme d'éducation républicaine. Tous les étrangers qui arrivent en France ne sont pas comme Albert Cohen débarquant à Marseille de Corfou, qui vouait un amour inconditionnel à la France à laquelle il avait élevé un petit autel, rassemblant Victor Hugo, Jeanne d'Arc ou Napoléon. On ne demande pas à ceux qui arrivent d'apprendre par coeur Les Contemplations - sans pour autant les en dissuader ; nous leur demandons néanmoins d'adhérer aux valeurs qui ont fait la France.
Point d'intégration durable et réussie sans accès au monde du travail. Nous avons ajouté un volet insertion professionnelle au contrat d'intégration républicaine, réduit de neuf à six mois le délai pour accéder au marché du travail. Il faut faire plus et mieux. Les procédures d'accès des étrangers au monde du travail doivent être repensées. Je propose que nous réinventions le système d'autorisation de travail pour les métiers en tension.
Assumons un pilotage par objectifs de l'admission au séjour. La logique des quotas ne saurait s'appliquer en matière d'asile ou d'immigration familiale mais nous devons pouvoir dynamiser les procédures en fonction des filières professionnelles et fixer des objectifs, en nombre d'étudiants accueillis, de « passeports talents » délivrés, ou sur la part de l'immigration qualifiée au sein de l'immigration professionnelle.
L'accès à la nationalité ne doit pas être un angle mort. J'ai dit mon opposition à la suppression du droit du sol mais je suis favorable à ce que nous élevions les critères de naturalisation par décret, notamment sur la maîtrise de la langue. Il n'y a pas de tabou non plus sur l'immigration familiale : nous lutterons contre les fraudes et les abus et resserrerons les critères là où cela s'avère nécessaire.
Pour bien accueillir, il faut mieux maîtriser les flux migratoires. Les mouvements migratoires secondaires contribuent à saturer notre système d'asile : en 2018, 30 % des demandeurs d'asile avaient déjà déposé une demande dans un autre État membre et ne relevaient donc pas de la responsabilité de la France. Beaucoup viennent de pays que l'Ofpra considère comme sûrs.
Nous devons assurer une plus grande convergence européenne des conditions d'accueil des étrangers. Nous voulons que la France ne soit ni moins accueillante, ni moins attractive que ses voisins. Christelle Dubos évoquera l'accès au système de santé, et nous débattrons en loi de finances des pistes envisagées.
Maîtriser les flux migratoires, c'est aussi améliorer l'éloignement des étrangers en situation irrégulière. Nous avons renforcé nos outils juridiques avec la loi du 10 septembre 2018 et les éloignements contraints ont augmenté de 20 % en deux ans ; la tendance se poursuit en 2019. Nous augmentons le nombre de places de rétention administrative.
Nous devons répondre à la problématique des MNA (mineurs non accompagnés). « Tous les crimes de l'homme commencent au vagabondage de l'enfant », écrivait Victor Hugo. Nous avons créé un outil technique d'appui à l'évaluation de la minorité pour lutter contre la fraude et avons renforcé notre solidarité financière vis-à-vis des départements. Il faut aller plus loin, déployer cet outil sur tout le territoire, redéfinir les critères de la répartition des mineurs entre départements. Nous échangeons avec l'ADF et présenterons bientôt des solutions.
Il faut aussi répondre aux problèmes des territoires d'outre-mer. Pour Mayotte, nous avons mobilisé les forces armées, engagé une coopération renforcée avec l'Union des Comores et adapté les modalités d'accès à la nationalité pour les étrangers nés à Mayotte - je salue ici le travail mené par Thani Mohamed Soilihi.
Nous travaillons aussi avec le Sri Lanka pour limiter les départs de migrants en direction de La Réunion. Je n'oublie pas non plus la Guyane où nous avons expérimenté l'instruction des demandes d'asile en deux mois : le signal a été clair et les demandes ont diminué sensiblement. Nous étendrons ce dispositif aux départements des Antilles.
Je ne sais si les échanges ici seront aussi vifs qu'à l'Assemblée nationale, mais j'espère qu'ils seront féconds en solutions.
Je suis sûr que la Haute Assemblée a une contribution originale à apporter au débat, en exprimant le ressenti des territoires et des élus locaux. L'équilibre et l'efficacité de notre politique dépendront de la qualité de nos échanges. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, Les Indépendants, RDSE et sur plusieurs travées du groupe UC)
M. Christophe Castaner, ministre de l'intérieur . - Notre politique migratoire est une question globale. Elle ne concerne pas un seul ministère ni une seule politique publique mais demande une approche globale.
Le sujet appelle à la sérénité et au sérieux. Parler d'immigration, c'est souvent parler de sa propre histoire. Abordons la question par les faits, loin des a priori et des idées reçues.
La question est internationale, et d'abord européenne. Schengen s'est construit sur deux piliers : la libre circulation à l'intérieur de l'Union et la protection des frontières extérieures. Or certaines, que nous appelons frontières « vertes », sont insuffisamment contrôlées. Le président de la République s'est donc engagé très tôt pour la réforme de Schengen : centres contrôlés aux frontières extérieures, création d'une agence européenne de l'asile, prise en charge financière.
En corollaire, nous devons revoir nos règles sur l'asile. Le règlement de Dublin, simple en principe, s'est avéré très difficile à appliquer dès lors que les arrivées sont massives, on l'a vu en Italie et en Grèce.
Le principe de solidarité entre États membres est compromis. À La Valette, nous avons esquissé quelques solutions ; au conseil JAI, hier, nous avons plaidé pour une réforme globale sur deux fondements : solidarité et responsabilité.
Dès l'installation de la nouvelle Commission, la France sera au rendez-vous et proposera des solutions. Des règles effectives doivent déterminer les compétences respectives des États membres pour l'examen des demandes. Pour réduire les mouvements secondaires, nous proposerons par exemple qu'un demandeur d'asile ne puisse bénéficier des conditions matérielles d'accueil que dans le pays responsable de sa demande.
Nous ne pouvons pas débattre de la politique migratoire sans partir des faits. Le premier, ce sont les entrées régulières sur le territoire. En 2018, 256 000 personnes sont arrivées, dont 90 000 au titre de l'immigration familiale, un chiffre stable, 83 000 étudiants et 33 000 personnes pour motifs économiques ; ces deux derniers chiffres sont en nette hausse, reflet des choix que nous avons faits.
Ces 256 000, c'est deux fois la demande d'asile. Avec 123 000 demandes, celle-ci a augmenté de 20 % en France l'an dernier, alors qu'elle baissait en Allemagne de 18 %. Autre singularité, un quart de la demande d'asile en France provient de pays qualifiés de « sûrs » par l'Ofpra et la jurisprudence du Conseil d'État, notamment d'Albanie et de Géorgie, pays depuis lesquels la demande est en forte augmentation.
Ajoutons que 30 % des demandeurs ont déjà fait une demande dans un autre État membre de Schengen. C'est la défaillance de Dublin. Il est possible que notre système d'asile soit en partie dévoyé, et nos préfectures comme notre système de santé sont sous pression.
Nous nous sommes emparés de ces questions dès le début du mandat en augmentant les capacités d'hébergement. La loi Asile et Immigration est désormais pleinement entrée en vigueur, les moyens ont été au rendez-vous. L'allongement de la durée maximale de rétention de 45 à 90 jours a permis des éloignements ; près de 3 000 OQTF ont été prises. Les lois de finances ont concrétisé l'effort : 480 nouvelles places en CRA, 229 millions d'euros supplémentaires pour l'allocation pour demandeur d'asile (ADA), 3 000 places en centre d'accueil de demandeurs d'asile (CADA) et 5 000 d'hébergement pour les réfugiés.
Avec Laurent Nunez, nous multiplions les déplacements pour renforcer la coopération avec les pays d'origine. Nous utilisons toutes les options pour lutter contre l'immigration irrégulière : aide au retour volontaire, contrôle des frontières intérieures, éloignements forcés, dont le nombre a augmenté de 10 % en 2018.
Nous pensons notre politique d'immigration pour réussir notre politique d'intégration, dont les crédits budgétaires ont crû de 75 % depuis 2017. Les heures de français et d'instruction civique ont été doublées. Nous avons renforcé les programmes d'insertion professionnelle et comptons aller plus loin encore, notamment pour les femmes et les réfugiés qualifiés. Nous allons simplifier les procédures et revoir la liste des métiers en tension.
Il faut aussi prendre en compte le souhait de nombreux réfugiés de résider dans des grands centres urbains. Nous recevrons les maires, avec Julien Denormandie.
La politique migratoire est une clé pour notre pacte républicain, pour notre intégration, pour la confiance entre les citoyens et leurs dirigeants. Nous ne transigerons pas sur nos valeurs. Regardons la question en face, sans passions ni fantasmes. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, RDSE, Les Indépendants et sur plusieurs travées du groupe UC)
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes . - La question de l'immigration est un sujet de préoccupation pour les citoyens et les élus que vous représentez. Il est donc important d'en revenir aux faits. Nous avons besoin de clarté.
Quelle est la situation réelle ? Les mouvements migratoires vers l'Europe sont passés de 1,82 million en 2015 à 180 000 en 2018 - dix fois moins ! Et la baisse est actuellement de 29 % pour 2019. Mais cela peut changer, d'autant que la situation n'est pas stabilisée en Syrie. Je condamne à ce propos l'offensive turque au nord de ce pays. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM ; M. Ronan Dantec applaudit également.)
En France, les demandes d'asile augmentent de 22 %, alors qu'elles baissent de 10 % en Europe. Un quart de ces demandes émanent de ressortissants de pays d'origine sûrs, Albanie, Géorgie en particulier.
Clarté sur nos valeurs et nos principes. Nous devons toujours rappeler ce que nous sommes et y rester fidèles. N'oublions pas nos valeurs humanistes, les principes auxquels la France a adhéré au niveau international et européen, et qui nous obligent. Ceux qui pensent que la nation française s'est construite dans le repli et le rejet de l'autre se trompent : son identité a été forgée par la contribution irremplaçable de femmes et d'hommes venus d'ailleurs.
Clarté enfin sur nos grandes orientations. Notre système d'accueil et d'intégration est mis à l'épreuve. Il nous faut agir, maintenant, pour conserver notre capacité à accueillir ceux qui ont droit à l'asile, à intégrer ceux qui ont obtenu la nationalité française ou un titre de séjour. Agir surtout en Europe, sous peine de voir Schengen imploser et l'Union européenne se défaire. Ni indifférence ni résignation. Il faut à la fois de l'humanité envers ceux que nous accueillons et de la fermeté envers les passeurs et trafiquants.
M. Philippe Bas. - En même temps !
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État. - Nous devons être à la fois efficaces et justes (M. Philippe Bas le confirme.) et prendre en compte les géographies : il n'y aura de vraie solution que si les Européens agissent ensemble.
En amont d'abord : l'aide publique au développement, qui a un effet sur les migrations. La France s'est engagée à réinstaller 10 000 réfugiés en 2018 et 2019, nous aidons nos partenaires du Sud à maîtriser les migrations, en agissant sur les causes premières des flux et en redonnant aux populations des perspectives dans leur pays. C'est pourquoi l'APD sera portée à 0,55 % du PIB d'ici la fin du quinquennat. (M. Yvon Collin s'en réjouit.)
Nous plaidons pour que le prochain cadre financier pluriannuel prévoie des instruments de financement dotés de moyens à la hauteur des enjeux et qui intègrent les questions migratoires.
Agir ensemble ensuite face aux situations d'urgences. Les morts en Méditerranée - encore 2 000 en 2018 - sont insupportables. Il convient de mettre en place un mécanisme de sauvetage et de débarquement efficace et pérenne. Le 23 septembre, des avancées ont été proposées à La Valette, confirmées par une dynamique positive au conseil JAI : une dizaine de pays se déclarent prêts à participer au prochain débarquement.
M. Bruno Retailleau. - Sur 27 ?
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État. - Il s'agit d'un mécanisme temporaire et volontaire. Cela concerne 600 personnes en France, 300 en Allemagne, 60 au Luxembourg. Il n'y a pas de submersion, n'en déplaise à certains, mais un enjeu humanitaire.
Nous devons mieux contrôler les frontières européennes. Frontex pourra mobiliser dix mille garde-frontières. Schengen est boiteux : la jambe de la liberté de circulation intérieure est forte, la jambe de la protection des frontières extérieures est faible. Il faut refonder le système pour préserver la liberté de circulation. (M. André Gattolin approuve.)
L'Italie, la Grèce, l'Espagne qui ne peuvent tout gérer : il faut de la solidarité. Les demandes dans plusieurs pays ne sont plus acceptables. C'est l'enjeu de la révision du règlement de Dublin, pour harmoniser nos systèmes nationaux et lutter contre les mouvements secondaires.
Ursula von der Leyen a annoncé un pacte sur l'immigration, nous la soutiendrons. Il y a unanimité en Europe sur la nécessité de réformer asile et immigration.
Notre modèle d'accueil et d'intégration est l'honneur de la République. Nous devons tout faire pour en préserver la viabilité. Nous avons besoin de vous, élus des territoires, qui portez un regard que je sais sérieux et informé sur ces questions. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, RDSE, Les Indépendants, UC ; Mme Catherine Di Folco applaudit également.)
Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé . - Travailleuse sociale pendant vingt ans, j'ai vu ce que l'incompréhension peut provoquer comme rejet de l'autre et comme dégâts pour notre cohésion sociale. Nous ne devons pas laisser la question de l'immigration à une famille politique qui dupe les Français.
Le président de la République n'a pas éludé le sujet, affirmant que la question migratoire est l'autre grand combat européen, avec le climat.
L'enjeu dépasse nos frontières ; l'Europe doit maîtriser les flux migratoires pour mieux accueillir.
En France, nous pouvons en être fiers, chacun peut accéder aux soins ; la couverture maladie ne dépend pas de l'emploi ou du statut. La protection est assurée, quelle que soit la nationalité, aux titulaires d'un titre de séjour, aux réfugiés ou aux demandeurs d'asile. Pour les migrants en situation irrégulière, nous avons l'AME. Elle nécessite une présence de trois mois sur le territoire et est délivrée sous condition de ressources, faute de quoi seuls les soins urgents sont pris en charge.
En France, on ne laisse pas des gens périr parce qu'il leur manque le bon tampon, Mme Buzyn l'a dit. L'AME répond à des impératifs de santé publique mais aussi d'économies : la prise en charge tardive d'une maladie est toujours plus coûteuse.
Pourtant, les caricatures circulent encore. Le niveau de prise en charge par l'AME est moins important que celui des assurés en situation régulière, qui bénéficient de la CMU-C. La PMA, les médicaments remboursés à 15 %, les cures thermales, les frais dentaires et d'optiques, les soins à visée esthétique ne sont pas pris en charge.
Mme Françoise Férat. - Encore heureux !
Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État. - Certains prétendent que les étrangers en situation irrégulière auraient un large accès aux prestations sociales. C'est faux : ils n'ont droit à aucune prestation hormis la prise en charge de leurs soins.
Pour les personnes en situation régulière, nous appliquons les principes constitutionnels et les règles internationales. Reste que la plupart des minimas sociaux sont soumis à des conditions de résidence plus restrictives que pour les Français. Ainsi, il faut cinq ans de résidence sur le territoire pour percevoir le RSA.
Les personnes migrantes sont souvent les plus vulnérables ; il faut aller vers elles pour qu'elles puissent accéder aux soins et aux droits. Nous avons structuré un parcours de santé des primo-arrivants et augmenté les moyens des permanences d'accès aux soins de santé, les PASS, qui accueillent de manière inconditionnelle. Je salue le travail des travailleurs sociaux qui, sur le terrain, trouvent des solutions pour que la cohésion sociale soit autre chose qu'un mot.
Pour autant, nous n'excluons pas d'identifier certains abus. C'est une question d'efficience et de confiance dans notre système.
L'AME représente 848 millions d'euros, c'est beaucoup - même si la dépense par bénéficiaire est équivalente à celle d'un assuré dont la santé est pourtant bien moins dégradée.
Une mission a été confiée aux inspections générales. Nous refuserons toute solution basée sur la participation financière des bénéficiaires, qui ne ferait que reporter les coûts de prise en charge sur les soins urgents, comme l'a montré l'introduction d'un droit de timbre en 2011. La mission étudie d'autres pistes, comme l'ajustement du panier de soins pris en charge.
Nous attendons ses conclusions mais renforçons d'ores et déjà les contrôles car l'AME et les soins urgents ne doivent pas être détournés. Les contrôles a priori sur les ressources ou a posteriori sur ceux qui la sollicitent le plus permettront de lutter contre la fraude, comme le regroupement dans trois caisses primaires d'assurance maladie. Il faut éviter que des étrangers bénéficiant d'une assurance privée dans le cadre d'un visa Schengen ne le dissimulent pour bénéficier de l'AME en France. Voilà comment nous voulons redonner confiance dans un système auquel nous sommes attachés.
Le nombre de demandes d'asile émanant de pays sûrs - donc voués à être repoussés - conduit à s'interroger sur l'affiliation directe à l'assurance maladie dès la demande d'asile déposée. Une étude approfondie est en cours.
Lutter contre les fraudes, c'est lever une suspicion qui nuit à tous les autres ; ce n'est pas remettre en question l'accès à la santé pour tous.
Faire vivre les grands principes sans être naïf, c'est être fidèle à nos valeurs sans céder aux discours de peur. Notre exigence doit être celle de la justice envers les plus vulnérables, pour les accueillir conformément à l'image que nous nous faisons de la France. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et RDSE ; Mme Michèle Vullien applaudit également.)
M. Jean-Yves Leconte . - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) Le président de la République s'est livré à une action de populisme d'État qui a étonné et choqué ; heureusement le débat à l'Assemblée nationale a été mesuré.
N'ayons pas l'accueil honteux : assumons nos valeurs. Pourquoi ne pas attendre l'évaluation de la loi Collomb de 2018, et ses mesures controversées sur l'allongement des durées dans les centres de rétention ?
Les associations, les collectivités territoriales, les citoyens qui accueillent devraient être accompagnés par l'État. La France ne doit pas être ni plus ni moins attractive que ses voisins, avez-vous dit à l'Assemblée nationale. Certes, mais sur tous les aspects, renforçons son attractivité.
Monsieur le Premier ministre, vous avez donné mission au Conseil d'État de simplifier le droit des étrangers. Est-ce une marque de votre humour bien connu ? La loi Collomb a créé une usine à gaz pour contourner les exigences de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) et de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA).
L'asile qui protège le combattant de la liberté est un droit et un devoir. Toutes les migrations ne peuvent être mises sur le même plan, mais l'asile est un droit relevant de la Convention de Genève et l'immigration est une politique.
L'immigration, ce fut aussi une richesse pour notre pays dans les années de croissance. C'est encore le cas au Canada, où elle est source de prospérité.
La loi Cazeneuve a parié sur le fait que plus de droits, c'était plus d'efficacité dans le traitement des demandes d'asile ; mais vous avez réduit les moyens, compliqué les conditions de rétention des personnes.
Que la Géorgie et l'Albanie soient dans le trio de tête des demandes d'asile est problématique, certes. Mais il faut développer la coopération avec ces pays et plus largement avec l'Europe de l'Est et des Balkans. Il faut aussi signer avec ces pays des accords de sécurité sociale pour répondre aux difficultés actuelles.
Le système européen d'information et d'autorisation concernant les voyages (ETIAS) permettra bientôt de vérifier le droit d'accès à l'espace Schengen. Frontex a été renforcé depuis 2016.
L'Europe n'est pas un problème pour mener notre politique d'immigration mais une solution. La Turquie n'a plus la capacité de porter seule les flux migratoires ; l'Espagne doit accueillir beaucoup d'immigrants, notamment du Venezuela et du Nicaragua.
Dublin a mis les pays du sud de l'Europe en première ligne ; ceux-ci n'imaginaient pas devoir un jour mettre en place des hotspots et enregistrer les arrivées. En outre, il y a des mouvements secondaires, mais il faut distinguer ceux qui présentent des demandes dans deux pays de ceux qui passent simplement d'un pays à l'autre, lorsqu'ils ont été déboutés du premier. Or, Dublin ne fait pas la différence. Il faut donc revoir le dispositif.
Il ne faut pas non plus stigmatiser des pays européens qui n'ont pas la même histoire que nous. C'est pourquoi une coopération renforcée est possible. Certains pays qui ne peuvent traiter correctement les demandes d'asile doivent y échapper. Une cour européenne du droit d'asile devrait être créée pour humaniser le traitement des demandeurs.
Il faut aussi garantir au demandeur d'asile la même liberté d'installation en Europe qu'à un citoyen européen. Enfin, il faut développer les visas pour l'asile dans le cadre de cette coopération renforcée. Il n'est pas logique que ceux qui se trouvent dans nos rues soient des dublinés qui ne savent pas où aller.
Quelques rappels : l'AME est essentielle. 50 % des pathologies du sida touchent des étrangers. C'est donc une question de santé publique. Moins de 30 000 personnes obtiennent un premier titre de séjour pour raisons économiques chaque année. Pourquoi des quotas ? La Pologne en a vingt fois plus.
Le nombre d'étudiants brésiliens s'est réduit de 40 % cette année... voilà les effets de votre politique d'attractivité ! Les conditions du regroupement familial sont très défavorables.
Arrêtons aussi de dire que le droit du sol s'applique en France : c'est le double droit du sol. Il ne suffit pas de naître en France pour devenir Français.
Je mentionnerai aussi les conditions terribles dans les campements : il a fallu un mort récemment à Saint-Herblain pour que la préfecture décide de procéder au recensement des besoins. Espérons que le Gouvernement ne fait pas qu'exploiter la situation avant les municipales. M. Griveaux n'a pas échappé à ce travers hier...
Pour réussir l'intégration, il faut arrêter de faire « bienvenue chez Kafka » : les mineurs isolés accompagnés par les départements sont, à 18 ans, laissés à eux-mêmes, les difficultés d'accès au travail favorisent l'émergence de réseaux et de l'esclavage moderne. Il n'y a pas d'intégration sans égalité de droits. C'est important pour les personnes qui naissent en France et n'ont pas connu leur pays d'origine.
Que dire des files d'attente, qui conduisent beaucoup à se retourner contre l'État ?
Il est essentiel de faire preuve de courage : l'asile n'est pas une charge, mais un devoir.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Ce n'est pas le problème !
M. Jean-Yves Leconte. - Chacun doit se sentir citoyen du monde. N'ayons pas peur, donnons-nous les moyens pour faire en sorte que l'asile soit assumé, que l'immigration soit une chance.
M. le président. - Il faut conclure.
M. Jean-Yves Leconte. - J'ai noté, monsieur le Premier ministre, que votre discours avait évolué par rapport à celui du président de la République. L'État doit s'attacher, dans un cadre européen, à ce que l'immigration soit un vecteur de progrès (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR ; Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. Jean-Claude Requier . - (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE) En juin dernier, vous vous êtes engagé, monsieur le Premier ministre, à tenir un débat annuel sur la politique migratoire. Nous nous félicitons de cette discussion, alors qu'il faut réaffirmer et appliquer les valeurs républicaines.
La question migratoire nourrit le populisme en France et chez nos voisins et engendre même des fractures au sein de l'Union européenne. Le groupe RDSE aborde ce débat sans angélisme ni aveuglement.
Depuis le pic migratoire de 2015, les arrivées aux frontières de l'Europe ont beaucoup faibli mais les drames continuent : récemment, 18 noyades au large de Casablanca.
Le premier facteur de l'immigration est économique, ou pour tout dire la volonté de vivre dignement. Dans le monde, 800 millions de personnes vivent encore dans un dénuement total. Il y a trop d'États faillis ou en conflit pour constater une baisse du nombre d'immigrés, d'autant que le nombre de réfugiés climatiques va augmenter.
Avant ce débat, il eut été utile de dresser un bilan de la loi de 2018.
La politique d'immigration a pour premier axe la coopération pour réduire les flux : accords avec la Turquie, hotspots, création du centre européen de lutte contre le trafic des migrants, relocalisations. Mais qu'en est-il de la lutte contre les trafiquants, du déploiement de garde-frontières ?
Quant à l'accueil, sommes-nous en mesure de le faire dignement ? Comment pouvons-nous intégrer ? Tout peut être discuté, dans le cadre des valeurs républicaines. Je songe notamment à l'AME, qui doit être préservée mais réformée et mieux calibrée. Nous attendons les conclusions de la mission d'inspection mandatée par Mme la ministre de la santé.
Le regroupement familial est stable depuis 2013 : environ 90 000 admissions par an, sur un total de 256 000 titres de séjours délivrés en 2018. Durcir les conditions de regroupement familial n'est pas la bonne solution pour réguler l'immigration légale.
Peut-être pourrions-nous introduire, comme l'Allemagne, le critère d'une maîtrise minimale du français et du respect des valeurs de notre République.
Il n'est pas illégitime de fixer des priorités en fonction des besoins de notre économie, comme le font d'autres pays.
Quant au droit d'asile, des marges d'amélioration existent, même si nous nous félicitons de l'amélioration du traitement des dossiers et de l'augmentation des capacités d'hébergement des demandeurs d'asile.
Le règlement de Dublin n'est pas digne de la solidarité européenne. Espérons que l'accord de répartition, signé fin septembre à La Valette, portera ses fruits.
L'Aide publique au développement (APD) est une priorité, notamment en Afrique subsaharienne. Avec 0,44 % du revenu national brut, nous sommes loin de l'objectif de 0,7 % fixé par l'OCDE. Le Gouvernement a néanmoins fait un effort.
Dans un monde de plus en plus ouvert, les migrations ne cesseront jamais ; l'intégration doit trouver un nouveau souffle.
Ni angélisme ni catastrophisme, mais un humanisme réaliste. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE ; Mmes Martine Filleul et Françoise Férat applaudissent également.)
M. Alain Richard . - Tenons ce débat à la bonne hauteur. Un État démocratique doit pouvoir décider quelles personnes il accueillera et quel accès aux droits il leur accordera. La limitation et la régulation des entrées sont dans la nature même d'un État souverain. (M. Bruno Retailleau approuve.)
Tous les pays neufs qui se sont peuplés par l'immigration, sur le modèle des États-Unis dès le XVIIIe siècle, ont fixé des limites aux droits d'entrée en les adaptant selon les périodes.
Nous-mêmes avons conscience de la nécessité de faire respecter de telles limites pour l'accès à notre sol.
Seules les doctrines extrémistes réclament l'abandon de toute frontière et de tout contrôle territorial. Ceux qui les défendent ne sont d'ailleurs pas les plus pacifistes lorsqu'ils défilent dans nos rues. La régulation est la condition pour que la France assure avec succès l'intégration républicaine.
Il y a environ 250 000 à 320 000 immigrants par an en France, en prenant en compte les estimations des entrées irrégulières. C'est un facteur de tensions, notamment sur le logement et les services publics de l'enseignement et de la santé.
Réguler les entrées est la condition première d'une intégration accomplie. La convergence est facile sur le principe ; les divergences commencent quand il faut fixer le nombre souhaitable et les moyens concrets de reconduite.
Monsieur le Premier ministre, vous avez évoqué des quotas ; ils ne sont pas souhaitables pour les rapprochements familiaux, les accès aux études supérieures et les demandes d'asile. Quant à l'immigration professionnelle, elle représente à peine plus de 10 % des entrées.
L'asile politique est une obligation pour protéger les personnes menacées dans leur vie par la violence régnant dans leur pays. En revanche, la lucidité oblige à constater que les deux tiers des demandes sont jugées, après enquête de l'Ofpra, injustifiées. L'abus du droit d'asile est un défi à notre système de droit. Il faut réexaminer rigoureusement le traitement des demandes, les modalités de contrôle et l'efficacité des renvois : 50 000 à 70 000 de déboutés du droit d'asile restent, chaque année, sur notre territoire. Il faut que la loi soit appliquée, comme le font nos voisins qui ne connaissent pas ce phénomène.
Autre préoccupation, les arrivées massives et organisées par des filières de mineurs isolés, qui détruisent leur passeport dès la frontière franchie et se rendent directement vers le service d'aide à l'enfance à leur arrivée. Pas moins de 15 000 à 20 000 jeunes par an seraient concernées. La situation est-elle analogue chez nos voisins ? Je ne le crois pas. Il n'est pas concevable que nous échouions à mettre en oeuvre des mesures dont la nécessité est partagée.
Enfin, la politique européenne de l'immigration. Schengen, Dublin sont des traités, laborieusement négociés entre États souverains.
Le groupe LaREM ne peut qu'encourager les efforts du Gouvernement au niveau européen pour trouver des accords, mais que fera-t-on tant que les pays membres ne voudront pas signer ? En attendant, il faut renforcer la coopération bilatérale pour renforcer un contrôle qui nous échappe.
Fixer des principes clairs, combattre les contournements, dialoguer lucidement avec l'exécutif, voilà notre devoir. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM ; MM. Bruno Retailleau et Gérard Longuet applaudissent également ; quelques applaudissements sur les travées du groupe UC)
M. le président. - M. Ravier s'exprimera en son nom personnel.
M. Stéphane Ravier . - L'immigration est une chance pour la France ! Telle est la devise d'une classe politique qui a tout renié jusqu'à laisser mourir l'identité du peuple français et créé les conditions, notamment avec l'assistanat social et le droit d'asile, d'une véritable submersion migratoire. L'immigration n'est pas une chance pour nos compatriotes mais pour une caste politique, en lui permettant de sauver quelques élections avec ces nouveaux Français, pour d'autres elle a permis de recevoir des subventions publiques. En 2016, seuls 7 % des étrangers qui se sont installés chez nous étaient munis d'un contrat d'embauche. C'est une immigration de peuplement pour assistés sociaux, et non plus de travail (Exclamations sur diverses travées à gauche). Pour nos compatriotes, la facture est exorbitante. Je ne crois pas à la théorie du grand remplacement, je suis convaincu de sa réalité. (Huées sur toutes les travées) Je ne parlerai pas du bruit et des odeurs, si chers au président disparu, mais des centaines de zones qui sont devenues des enclaves étrangères où la haine de tout ce qui est français se répand comme une traînée de poudre.
Nos lois, notre culture, nos libertés, celles des femmes en particulier, sont rejetées et remplacées sous les coups d'un communautarisme islamiste militant. Notre unité nationale et républicaine est mise à mal.
Seuls ceux qui en ont les moyens en réchappent, et parmi ceux-là, vous tous, ou presque, mes chers collègues ! Seuls ceux qui en sont proches en souffrent. Si la classe politique est favorable au vivre ensemble, elle ne s'inflige pas le vivre avec. L'immigration, c'est comme les éoliennes : ceux qui les défendent refusent d'en avoir près de chez eux. (Huées)
M. Jean-Pierre Grand. - Scandaleux.
M. Stéphane Ravier. - Votre politique d'immigration, mes chers collègues, a aussi le coût du sang : du Bataclan à Nice, de Laura et Mauranne à Thimothy ou à Théo, c'est notre jeunesse qui est sacrifiée sur l'autel d'une idéologie destructrice. (Nouvelles exclamations scandalisées)
Sur le plan social, la politique d'immigration relève de la provocation. Alors que chaque jour de nouveaux sacrifices sont exigés des Français, l'immigration continue d'être un gouffre financier.
En quinze ans, le coût de l'AME est passé de 400 millions il y a quinze ans à 1 milliard d'euros aujourd'hui. Les Français ne s'y trompent plus, ou plutôt, vous ne les trompez plus ! Ils refusent ce suicide national. Voilà 40 ans qu'ils accueillent l'autre et ils se retrouvent menacés, en bute à un insupportable racisme anti Français, anti blanc, anti chrétien ! Nos compatriotes refusent de devenir des étrangers dans leur propre pays. Alors vous menacez, vous censurez et vous traînez devant les tribunaux ces résistants qui refusent de collaborer.
Comment pouvez-vous avoir les yeux aussi grands fermés devant ce phénomène unique dans l'histoire de l'humanité et des nations : celui de l'explosion démographique mondiale ! Loin d'en prendre conscience, et fidèle à son « en même temps » Emmanuel Macron parcourt l'Europe pour sanctionner les pays qui n'accueillent pas les migrants et il s'apprête à faire de Marseille un port d'accueil pour les clandestins de la Méditerranée. (Huées) Je continuerai à dénoncer cette provocation, même si cela doit me coûter une mise en examen comme c'est le cas aujourd'hui.
Face à ce danger mortel qui menace notre France de Charlemagne, de Charles Martel et de Charles Quint, personne ne nous fera taire. Avons-nous encore le droit de demeurer Français, selon nos traditions et notre identité ? Avons-nous le droit de transmettre à nos enfants ce que nous avons reçu de nos parents ? Nous connaissons la réponse et le sursaut national ne peut venir de vous.
Aussi, pour toutes les victimes de votre folle politique d'immigration, pour les victimes sociales, économiques, identitaires, pour toutes ces familles dont la vie a été détruite sous les coups de l'immigration sauvage, je vous demande, mes chers collègues, de gauche comme de droite car vous êtes tous responsables de ce désastre, je vous demande de vous excuser ! (Exclamations indignées sur toutes les travées)
Excusez-vous pour avoir menti ! Excusez-vous pour avoir trahi !
Rétablissez les frontières et mettez en place des quotas d'expulsion. Si vous ne renoncez pas à votre idéologie mortifère, la France vous maudira. (Mêmes mouvements ; Mme Claudine Kauffmann applaudit.)
Mme Éliane Assassi . - L'immigration n'est pas un tabou, mais votre totem. Alors que la loi Collomb a été promulguée l'an dernier, nous voici à nouveau à débattre.
Pourquoi un débat ? Est-ce pour revenir sur les mesures provocantes de la loi Collomb ou pour améliorer les conditions d'accueil dans les préfectures ?
Monsieur le ministre, je vous ai écouté : ce n'est pas votre cap. Les visées politiciennes et électoralistes que porte ce débat sont dangereuses : elles ouvrent les vannes d'une logorrhée haineuse et vulgaire.
La crise économique, sociale et environnementale que traverse notre pays est grave, à l'origine en particulier du mouvement des gilets jaunes Pourtant le débat national a montré que la question de l'immigration est loin d'être la première préoccupation des Français. Ces Français que le président essaie d'opposer aux immigrés, bien sûr responsables de tous les maux des classes populaires qui en seraient les victimes, les bourgeois étant exonérés de tout soupçon raciste... Au-delà du mépris indécent que révèlent de tels propos, ce discours est pour le moins simpliste, les immigrés constituant aussi le tissu social des classes populaires. Mieux vaudrait les aider en développant les services publics, les logements, les transports. En Seine-Saint-Denis, par exemple, le vivre-ensemble y subsiste. Il faut regarder les choses en face : l'immigration est un vrai sujet, mais pas un problème.
François Héran, professeur au Collège de France, titulaire de la chaire Migrations et sociétés, considère que s'il y a problème c'est parce que le diagnostic initial est faux : la France est loin d'être le premier pays d'Europe pour la demande d'asile : « Raisonner en chiffres absolus n'a aucun sens quand il s'agit de comparer des pays de taille inégale et de richesse variable ». Ainsi en passant des chiffres bruts aux chiffres relatifs, les 400 000 demandes enregistrées sur notre sol depuis janvier 2015 ne représentent que 10 % du total européen, et ils n'ont accru notre population que de 0,6 %, contre 2 % en Allemagne et 0,8 % dans l'Union européenne.
On nous dit que des facteurs exceptionnels mettraient notre pays en danger comme l'AME ou le regroupement familial. Ils servent surtout à stigmatiser encore et toujours l'étranger, jusqu'à la caricature. Le Gouvernement nous parle de « tourisme médical ». Mais réduire l'accès à la santé porte atteinte à la dignité individuelle. Mme Buzyn se veut rassurante, mais les conclusions des rapports demandés aux inspections interviendront juste au moment de l'examen du PLFSS, comme par hasard.
Tous ces reculs proposés au niveau national ne sont bien sûr que le reflet de la politique migratoire européenne en vigueur. L'approche uniquement sécuritaire de l'immigration par l'Union européenne est parfaitement assumée depuis la création de l'agence Frontex. La définition des pays d'origine sûrs devrait être revue. L'asile n'a été accordé qu'à 8 % des Albanais et 5 % de Géorgiens. Or ils sont victimes de vendetta, de discrimination à cause de leur orientation sexuelle ou leur engagement politique. D'autres pays, comme le Bénin, figurent pourtant sur cette liste, alors qu'ils sont bien moins sûrs.
Quant au règlement de Dublin, il est obsolète. En effet, il existe plusieurs centaines de milliers de personnes qui ne peuvent pas rentrer dans leur pays, mais qui ne trouveront jamais d'issue juridique et humaine à leur situation. Or, en 2017, la France a été la championne européenne des refus d'entrée aux frontières terrestres renvoyant massivement des personnes en quête de protection vers l'Italie.
Une interprétation plus large de la Convention de Genève serait bienvenue pour prendre en compte les nouveaux migrants climatiques. Plutôt que d'instaurer des quotas, suivons les principes que défend M. Régis Debray.
M. Bruno Retailleau. - C'est l'éloge des frontières !
Mme Éliane Assassi. - Pour lui, « La frontière rend égales, tant soit peu, les puissances inégales : les riches vont où ils veulent à tire-d'aile, les plus pauvres vont où ils peuvent en ramant, ceux qui ont la maîtrise des stocks peuvent jouer avec les flux en devenant encore plus riches, ceux qui n'ont rien en stock sont les jouets des flux ».
La France s'honorerait à faire des propositions pour accueillir efficacement ceux qui nous demandent asile, aide, respect et dignité. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SOCR)
M. Claude Malhuret . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants) Fallait-il ouvrir ce débat ? Pour les professionnels de l'indignation, c'est non. Le seul mot d'immigration, tel le marteau du médecin sur le tendon rotulien, déclenche la phrase réflexe : « Vous faites le jeu du Front national ». Les donneurs de leçons, qui aiment les mots pompeux, en ont trouvé un qui fait florès depuis quinze jours : Il paraît qu'Emmanuel Macron triangule. Ils veulent dire par là qu'il braconne sur les terres des autres. Quand les détenteurs du monopole du coeur comprendront ce qui les a entraînés en salle de réanimation idéologique : l'angélisme et le victimisme qui mettent les faits en fuite et qui ont conduit, en déclarant tabous l'immigration et d'autres sujets, à ce que les classes populaires leur tournent les talons. Le réel ne cessant pas d'exister parce qu'on l'ignore, on laisse à l'extrême droite le champ libre pour propager, avec une fixité de poteau indicateur, ses absurdités montées sur des échasses et ses pulsions xénophobes. Nous en avons eu un exemple tout à l'heure.
M. Loïc Hervé. - Absolument !
M. Claude Malhuret. - C'est ainsi que les populistes sont désormais aux portes du pouvoir. Je ne vois donc pas de raison de me mêler au choeur des pleureuses.
Bien sûr, ce débat n'est pas sans risques. Premier danger, les deux bouts de l'omelette comme disait Alain Juppé sont en embuscade. « Ouvrez les frontières ! » contre « Immigration zéro ! », les fonds de commerce du gauchisme irresponsable et de l'extrême droite intolérante - deux rhinocéros au cuir épais, à la vue basse et toujours prêts à charger - vont ressurgir. Et l'opposition républicaine, à gauche comme à droite, sera tentée de pimenter ses discours d'un peu de cette radicalité. Je voudrais inviter à y renoncer.
Voici quarante ans que l'immigration est l'exemple même de l'impuissance publique. Quarante ans que nous faisons ce que dénonçait Richelieu, qui disait : « Faire des lois et ne pas les faire exécuter, c'est autoriser ce qu'on veut interdire ».
Le deuxième danger c'est le risque Dalida : « Paroles, paroles » (Sourires).
M. Ladislas Poniatowski. - Avec l'accent !
M. Claude Malhuret. - Les Français veulent des actes. Ils ne veulent plus voir à la télévision des réfugiés noyés et échoués sur les plages. Ils ne veulent plus voir les pays européens se livrer à des querelles de cour d'école chaque fois qu'arrive un bateau de migrants. Ils ne veulent plus voir Calais et Vintimille. Ils ne veulent plus voir les centaines de tentes alignées le long des boulevards et des quais. Ils ne veulent plus voir les prostituées albanaises ou africaines, esclaves tragiques de mafias dont on avait cru notre pays débarrassé à jamais.
Ce que veulent les Français, c'est comprendre. Ils voient bien que le maintien des illégaux sur le territoire est un fléau pour les sans-papiers eux-mêmes, forcés à la précarité et à la clandestinité, et une épreuve pour la population, contrainte de voisiner avec les squats ou les ghettos. Ils souhaitent donc que les reconduites à la frontière soient effectives. Les Français ont compris que le sujet n'est pas seulement national mais européen, mais ils ne comprennent pas que l'Europe n'ait ni le mandat ni les moyens de le traiter. Frontex va passer de 2 000 à 10 000 agents. Très bonne nouvelle, mais moins bonne quand on apprend que ce chiffre sera atteint en 2027.
Les Français veulent qu'on trouve des solutions pour faire cesser le détournement des procédures d'asile. Quand les deuxième et troisième nationalités par le nombre sont les Albanais et les Géorgiens, pays considérés comme « sûrs », c'est le signe que les mafias et les passeurs ont mis la main sur le système.
Mais l'essentiel est ailleurs. Le président de la République l'a parfaitement compris, mais le sujet est tellement inflammable qu'il a dû l'aborder, comme dirait Nietzsche, avec des pattes de colombe. Il l'appelle l'insécurité culturelle. En langage direct, cela signifie la crise de l'intégration. Au début des années 1980 sont apparus deux mouvements de jeunes antiracistes. Leurs buts étaient les mêmes, mais les méthodes les opposaient. La première, France Plus d'Arezki Dahmani, avait pour mot d'ordre l'intégration républicaine. Son slogan : « Nous voulons le droit à la ressemblance ». La seconde, SOS Racisme, proposait le multiculturalisme. Abreuvée de subventions, surmédiatisée par tous les relais du jacklanguisme triomphant, elle fit une entrée fracassante dans le paysage politico-intellectuel. France Plus, privée de tous moyens, disparut. Au début des années 2000 un nouveau président d'SOS Racisme, Malek Boutih, homme de gauche responsable, propose un virage à 180 degrés, s'oppose à ce qui était devenu le politiquement correct multiculturel, condamne le différentialisme et fait l'éloge de l'intégration républicaine. Mais le mal était fait et Malek Boutih sera vite congédié. Le victimisme et le dolorisme sont devenus l'alpha et l'oméga du discours d'une certaine intelligentsia sur l'immigration. Un discours qui aboutit, au prétexte d'atténuer le déracinement des immigrés, à les laisser à la discrétion de leur communauté. Un discours qui, au nom de la tolérance, renonce à les protéger contre les abus de la tradition dont ils relèvent. C'est ainsi que la France est devenue un pays où montent chaque jour un peu plus le communautarisme.
Le défi de l'intégration, est immense, comme l'indiquent les sondages récents selon lesquels 27 % des musulmans pensent que la charia est supérieure aux lois de la République française. Mais ce chiffre montre aussi que la grande majorité d'entre eux pense le contraire. Et les très nombreux exemples chez les enfants et les petits-enfants d'immigrés de parcours scolaires et professionnels réussis apportent un démenti aux victimocrates qui expliquent l'échec de l'intégration par les obstacles rencontrés. Démenti encore plus éclatant, celui des centaines de milliers de boat-people asiatiques, arrivés eux aussi dans les années 1980 sans connaître un mot de notre langue. Dès la deuxième génération ils ont atteint le niveau d'études et de revenus des Français. Leur chance, c'est qu'ils avaient rêvé de notre modèle depuis des années contre la tyrannie qu'ils fuyaient par tous les moyens.
Voilà les défis qui vous attendent, monsieur le Premier ministre. Et l'on ne peut que vous souhaiter de les relever, parce que si, au bout de quarante ans, vous échouiez à votre tour, alors demain ce pourrait bien être aux rhinocéros à la vue basse que les Français s'en remettent pour les régler.
Les vagues précédentes d'immigration du début du XXe siècle concernaient des arrivants aux cultures proches des nôtres. Mais s'ils ont été à l'époque assimilés rapidement, c'est aussi parce que la France était sûre de son modèle républicain, de sa conception de la laïcité, de sa façon de vivre ensemble et de sa place dans le monde. Le plus grand défi aujourd'hui n'est-il pas de réussir l'intégration dans un pays qui voit ses valeurs s'estomper ? Le plus grand défi n'est-il pas celui de convaincre Français comme immigrés que ces valeurs ne sont pas seulement celles du passé, mais aussi celles de l'avenir ? Cette question est posée à chacun d'entre nous, à notre démocratie. (Vifs applaudissements des travées du groupe LaREM jusqu'à celles du groupe Les Républicains)
M. Philippe Bonnecarrère . - Comment convaincre nos concitoyens que notre pays a la volonté d'appliquer les règles qu'il a définies ? Notre groupe écarte tout déni et se veut force de propositions pour combattre le sentiment d'impuissance de l'État en matière de droit d'asile et de migrations. Le sujet de l'immigration touche à la Nation. Nous refusons l'alternative qui voudrait que l'immigration soit une chance ou un mal.
La modération des idées n'écarte pas la fermeté de l'action. En matière de droit d'asile, un « non » doit être un « non », un « oui » doit être un « oui ».
Vous travaillez à la construction d'un droit européen de l'immigration convergent. Entre le niveau le plus bas, celui d'un soutien logistique et financier, et le niveau le plus haut, avec l'agence européenne de l'asile et un droit 100 % européen, une coopération renforcée avec neuf pays permettrait de créer un premier cercle du droit d'asile fort de référentiels communs.
Une solution plus modeste serait de définir des critères communs des référentiels d'asile. En résumé, la convergence, faute d'unification.
Nous suggérons aussi un travail particulier avec les Allemands qui ont accueilli 1,6 million d'étrangers mais en ont débouté 700 000.
Dans une décision du 14 mai 1996, la Cour constitutionnelle fédérale a élargi considérablement la notion de pays tiers sûr, ce qui n'est pas permis dans notre droit constitutionnel. Peut-être devrions-nous rapprocher nos positions dans le cadre du travail réalisé au sein de la Conférence européenne des cours constitutionnelles.
Vous travaillez à la renégociation de l'espace Schengen. Il faudrait donner plus de moyens à Frontex à condition que la politique migratoire à appliquer soit clairement définie.
Une maîtrise d'ouvrage robuste dédiée à la mission d'interopérabilité est souhaitable.
Le droit d'éloignement est complexe et mobilise beaucoup de moyens. Nous saluons la mission de simplification que vous avez confiée au Conseil d'État.
La non-coopération des pays d'origine pose un problème majeur. Ce peut être traité en bilatéral en s'appuyant sur la conditionnalité des aides au développement. Cette conditionnalité serait efficace si elle était couplée à un haut niveau d'ambition sur le plan du développement à l'égard du Maghreb ou de l'Afrique, une sorte de « Routes de la soie à l'Européenne ».
Le groupe UC est plutôt favorable aux quotas même si nous en connaissons le caractère limité depuis la mission confiée à Pierre Mazeaud par Nicolas Sarkozy : ils ne seront opposables ni aux demandeurs d'asile ni aux demandeurs du regroupement familial. Nous sommes favorables à un débat annuel au Parlement.
Nous sommes ouverts à un statut de migrant temporaire avec permis de séjour et de travail à la manière d'une green card européenne.
Le regroupement familial, l'AME et la naturalisation sont des symboles. Le groupe UC est favorable à une analyse ciblée des conditions, sans remettre en cause le principe.
Nous sommes pour une simplification des différents régimes d'hébergement, bien trop complexe, avec des intitulés, des coûts, des prestations différentes. Nous suggérons de travailler bien plus en local sur l'intégration, par exemple sous la forme de contrats locaux d'intégration républicaine, selon les termes du ministre de l'Intérieur.
Un demandeur d'asile ne peut actuellement envisager de travailler avant un délai de six mois. Nous sommes favorables à la suppression pure et simple de ce délai qui a plus d'inconvénients que d'avantages. Quel intérêt de les priver de revenus ?
Enfin, nous sommes pour la transversalité. Nous faisons face à l'éternelle difficulté française des silos de décisions, chaque ministère (Affaires étrangères, Intérieur, Justice) ayant « ses » propres sujets. Le groupe UC insiste sur la nécessaire prise en charge transversale comme ce qui est fait pour l'Union européenne avec le Secrétariat général des affaires européennes (SGAE).
Recentrons et harmonisons le droit d'asile. Régulons l'immigration. Notre groupe est disponible pour y travailler. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur plusieurs travées des groupes RDSE, LaREM et Les Indépendants ; M. Jean-François Husson applaudit aussi.)
M. Bruno Retailleau . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Un débat sans vote nous laisse sans voix...
M. Julien Bargeton. - Vous avez seize minutes !
M. Bruno Retailleau. - C'est une commande du président de la République. Parfois la complexité de la pensée présidentielle nous laisse perplexes...
La loi Asile et Immigration a été promulguée il y a tout juste un an.
Elle a été qualifiée de « solide », mais d'une solidité telle qu'il faut la consolider et que le président de la République a reconnu devant la conférence des ambassadeurs, en votre présence, monsieur le Premier ministre, que c'est un échec. Oui, la France est le premier pays de rebond des déboutés du droit d'asile.
Amélie de Montchalin a évoqué le ciseau entre le flux européen qui baisse et le flux français qui augmente : plus 22 % de demandes en France, contre moins 17 % en Allemagne et moins 10 % en moyenne en Europe.
En politique, on est toujours comptable de ses décisions. Lors de l'examen du projet de loi, vous avez systématiquement refusé les propositions du Sénat sur l'expulsion ou le resserrement du regroupement familial que vous avez au contraire élargi - au même moment où les pays européens, non pas l'Italie de Salvini, mais la Suède, l'Allemagne, le resserraient. Quant à l'AME, nous votons chaque année, avec une régularité métronomique, sa transformation en aide médicale d'urgence et chaque année, avec la même régularité, vous la rejetez.
J'ai cru comprendre, selon leurs dernières déclarations, que le président de la République était plutôt pour, Mme Buzyn, plutôt contre. Bref, c'est ni oui ni non, bien au contraire ! (Sourires) Monsieur le Premier ministre, vous n'avez pas la majorité pour une politique de fermeté. Vous n'êtes pas dans une logique de rupture mais de posture. Vous semblez faire mais vous faites semblant. (Sourires)
Le sujet est mille fois explosif. Le choc de 2018 n'est rien à côté de ce qui viendra quand, à la fin du siècle, la population européenne aura perdu 100 millions d'habitants et l'Afrique en aura gagné 2 milliards... (Marques d'approbation sur certaines travées à droite) Auguste Comte dit que la démographie c'est le destin. Eh bien, l'honneur de la politique, c'est de traiter les causes, et non de s'attarder aux conséquences... (M. Bruno Sido approuve.) Où est notre politique familiale ? Elle est détricotée avec constance et vous avez continué le détricotage commencé par vos prédécesseurs. Oui, le phénomène migratoire est explosif, démographiquement, mais aussi politiquement : Chacun projetant dans le migrant ce en quoi il croit - qu'il soit érigé en bouc émissaire idéal, en figure de remplacement d'un prolétaire devenu introuvable ou en une ressource économique abondante et bon marché, taillable et corvéable à merci...
L'immigration de masse est le phénomène qui a le plus transformé notre société. Ce n'est pas moi qui le dis, mais Marcel Gauchet. Or cela s'est fait sans délibération du peuple français, sans doute pense-t-il mal...
Christophe Guilluy évoque dans son dernier livre l'un de ces grands sondages réalisés dans 25 pays par Ipsos. Seuls 20 % des sondés en Europe voient un impact positif de l'immigration. Mais seulement 11 % des Français !
Ne nous cachons pas derrière notre petit doigt ! Je comprends le point de vue du président de la République sur l'embourgeoisement de la société française, coupée en deux, entre les catégories supérieures éduquées qui se protègent de l'immigration par des stratégies d'évitement, résidentielles ou scolaires, quand les catégories populaires n'ont pas le moyen de financer des frontières invisibles. Le monde d'en-haut ne pourra pas éternellement prétendre rééduquer le monde d'en-bas ! Ce n'est plus possible : il faut réagir ! D'où les plafonds, votés au Parlement, que nous avons proposés avec François-Noël Buffet.
Monsieur le Premier ministre, vous n'avez pas peur de réfléchir aux quotas. Fichtre ! (Sourires) Oui, on doit réintroduire le sujet de l'immigration dans le débat démocratique au Parlement, sinon c'est dans la rue qu'il sera évidemment instrumentalisé.
La démagogie cessera quand la démocratie reprendra ses droits, quand sera mis fin à l'impuissance publique, au fiasco de la politique migratoire française. Il faut parler de l'immigration droit dans les yeux. Qu'est-ce que la bonne politique migratoire ? Elle ne peut être qu'humanitaire. Un Gouvernement n'est ni une ONG ni une église. Nous répondrons tous la même chose à la question : va-t-on laisser se noyer les pauvres gens ?
Or la politique, je le répète, ne traite pas seulement les effets, mais surtout les causes. Je vous accorde un satisfecit quand vous liez immigration et plan de développement des pays sources. Nous devons exiger une réciprocité. Pas de laisser-passer consulaire, pas d'aide au développement !
En quoi consiste une politique migratoire ? Des frontières claires, des lois qui sont appliquées et des valeurs républicaines.
Quant aux frontières, il faut des contrôles qui commencent dans les profondeurs des territoires de transit ou d'origine. C'est pourquoi on doit généraliser les hotspots. Plus le contrôle est lointain, moins nous exposons les migrants aux périls auxquels les réduisent ces esclavagistes modernes, les trafiquants de marchandise humaine.
Dans quelques semaines, nous saurons si la nouvelle Commission européenne consacrera de vrais moyens à Frontex.
Assumons des opérations policières et militaires si besoin. Personne ou presque ne sait que l'opération Sophia a été lancée en juin 2015 par l'Union européenne ; elle prévoyait d'utiliser tous les moyens, y compris militaires, pour détruire les installations des esclavagistes. Elle a dû s'arrêter, il faut la relancer. On devrait d'ailleurs pouvoir saisir le Conseil de sécurité de l'ONU d'une résolution pour lutter contre ces filières. Enfin, trois protections valant mieux qu'une seule, outre les hotspots et Schengen, il faut défendre nos propres frontières et revoir de toute urgence, à cette fin, notre arsenal législatif, monsieur le Premier ministre.
Migrations, la France singulière publié par Didier Leschi, le directeur de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), pour la Fondapol, vous donnera de nombreuses pistes sur ce qu'ont fait d'autres pays comme l'Allemagne ou la Suède. (L'orateur montre ce document à la tribune.) En Allemagne, depuis l'accord de la grande coalition du 1er août 2018, ce sont 1 000 regroupements pour les réfugiés, pas plus. L'Allemagne le peut, pourquoi pas nous ?
L'impuissance est de notre propre faute. Ne nous défaussons pas sur l'Union européenne !
MM. Bruno Sido et Philippe Pemezec. - Mais oui !
M. Bruno Retailleau. - Deuxième point, il faut des lois et qu'elles soient appliquées. Il faut expulser les étrangers qui commettent des actes de délinquance grave, ainsi qu'une peine complémentaire et des moyens pour les expulsions : nous avons fait des propositions.
Aujourd'hui, le sentiment des Français est que l'immigration non maîtrisée fragilise notre société. L'étude Fractures françaises le montre : quelque 64 % des Français trouvent qu'on ne se sent plus chez soi comme avant. On peut le déplorer ou s'en indigner mais le chiffre est là ! Nous avons renoncé à assimiler et ne parvenons donc plus à intégrer. C'est un échec. Nous devons le regarder en face.
Nous devons aussi agir sans que notre bras tremble.
Il y a deux modèles. Le modèle du multiculturalisme est centrifuge et dresse les communautés les unes contre les autres.
Et il y a le modèle républicain, la citoyenneté. Nous avons trop renoncé. Nous devons tenir coûte que coûte et l'attentat à la préfecture de police nous appelle à cette Résistance.
Dominique Schnapper, que personne n'accusera d'extrémisme, l'a dit, l'assimilation pourrait être parfois une contrainte, mais c'est surtout une promesse généreuse, celle de devenir complètement Français. Oui, la générosité est une valeur française ; mais encore faut-il avoir quelque chose à donner, un patrimoine à partager, une histoire à transmettre. Rien ne serait plus inhumain, qu'un monde sans frontières, sans racines, qui dresserait les populations les unes contre les autres.
Alors, monsieur le Premier ministre, si vous souhaitez que ce débat ne soit pas qu'une habileté politique, agissez, décidez ! D'autres pays européens l'ont fait. N'ajoutez pas la défiance à la désespérance ! (Applaudissements nourris sur les travées des groupes Les Républicains et Les Indépendants ; quelques applaudissements sur les travées du groupe UC)
M. Édouard Philippe, Premier ministre . - Pas de consensus, mais des convergences. La définition d'une politique migratoire dans notre pays n'est pas consensuelle et personne n'est surpris qu'il n'y ait pas de consensus entre les positions de Mme Assassi et celles M. Ravier.
Mme Éliane Assassi. - Il y a même un grand fossé !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. - Certes. Ce dernier a cité Charles Martel, Charlemagne et Charles Quint... Il me semblait que ce dernier était en conflit avec la France, et même, si mes souvenirs sont exacts - je n'y étais pas... - (Sourires) François Ier avait plutôt cherché ses alliances vers l'Orient, vers la Turquie d'aujourd'hui... Le sujet est donc plus complexe qu'il n'est parfois présenté...
Je remercie l'ensemble des orateurs pour la qualité des propos tenus. C'est la meilleure façon de montrer que ce débat est utile. J'ai aimé entendre vos propositions.
Ce débat est utile et opportun, et pas seulement car c'était l'occasion d'entendre le président Malhuret citer Dalida... (Rires)
M. Loïc Hervé. - Avec l'accent !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. - ... Mais surtout on a dit beaucoup de choses. Ce n'est pas parce que l'on en a tant parlé, à l'Assemblée nationale comme au Sénat, que ce débat serait inutile. C'est que l'immigration est au coeur des interrogations françaises, d'un processus législatif massif, et de longue date.
Il serait extravagant de ne pas l'aborder. Beaucoup d'entre nous avons évoqué son impact sur la citoyenneté et la volonté de conjuguer d'un côté humanisme, fidélité à nos valeurs et de l'autre fermeté, capacité à agir et à ne pas nous voir imposer un droit de résider dans notre pays, en concevant la politique migratoire de la France dans cet équilibre, dans cette tension, difficiles à mettre en oeuvre, mais rappelés sur tous les bancs.
Cette convergence est réjouissante, prometteuse. MM. Richard et Bonnecarrère ont appelé de leurs voeux, comme le président Requier, le nécessaire rapprochement des politiques migratoires en Europe.
Beaucoup ont évoqué l'asile comme une question centrale. Nous devons utiliser les pistes à notre disposition et oeuvrer diplomatiquement en Europe à une harmonisation des procédures. Nous pourrions par exemple utiliser les instructions d'autres pays pour prendre les décisions qui nous reviennent.
Plusieurs intervenants ont posé la question de l'intégration, du creuset culturel, du partage effectif des valeurs au coeur de notre société.
L'intégration des étrangers en France a toujours été difficile. On croit parfois qu'elle était plus simple lorsqu'elle venait d'une zone géographique plus proche et de convictions religieuses plus proches, voire identiques aux nôtres.
Mais le modèle républicain n'était pas encore stabilisé lorsque les Italiens et les Polonais sont arrivés en France et leur pratique religieuse était différente ; cela a pu provoquer des réactions, des discriminations, des violences.
Quelles suites à donner à ce débat ? D'abord une logique de travail et non de posture - la posture, c'est toujours la position de l'autre. Nous cherchons des instruments efficaces qui prennent en compte des contraintes juridiques qui restent très fortes, car ancrées dans le passé, et dont il faut parfois se défaire. La décision de dispenser de visa les ressortissants de pays aspirant à entrer dans l'Union européenne comme l'Albanie en 2010, ce n'est pas ce Gouvernement qui l'a prise.
J'ai du mal à saisir, face à cette donnée - le grand nombre de demandeurs d'asile - comment l'on peut considérer qu'elle est compatible avec l'entrée dans l'Union européenne...
M. Bruno Retailleau. - C'est ni l'un ni l'autre !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. - Il faut choisir, là aussi, non pas des postures, mais un travail sérieux... Les dix pistes de Philippe Bonnecarrère sont très intéressantes et le Gouvernement est disponible pour travailler sur ces pistes et sur d'autres.
Nous avons déclaré être disposés à dialoguer avec les maires - car les procédures existantes ne sont pas satisfaisantes, je l'ai vécu en tant que maire : on leur demande parfois leur avis, mais souvent le retour d'information, le suivi ne sont pas là.
Quels textes pour notre action future ? Nous ne sommes pas là pour annoncer un grand texte qui constituerait un « grand soir » législatif. Mais l'année prochaine, la loi de programmation sur l'aide publique au développement (APD) permettra de mettre en oeuvre une articulation entre la politique migratoire et l'APD. Nous accompagnerons mieux les États dans la mise en place d'instruments qui leur seront utiles, ainsi qu'à la France - je pense à l'état civil et à la numérisation.
Des mesures sont de niveau réglementaire, du ressort du Gouvernement, d'autres pourront s'intégrer dans des instruments législatifs, après avoir été discutées à l'Assemblée nationale et au Sénat bien sûr.
Je vous remercie pour la qualité de ce débat. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, RDSE, Les Indépendants et UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains)
La séance est suspendue à 19 h 10.
présidence de Mme Catherine Troendlé, vice-présidente
La séance reprend à 19 h 20.