Violences sexuelles sur mineurs en institutions
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle le débat sur les conclusions du rapport d'information « Violences sexuelles sur mineurs en institutions : pouvoir confier ses enfants en toute sécurité », à la demande de la mission commune d'information.
Mme Catherine Deroche, présidente de la mission commune d'information . - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ainsi que sur le banc de la commission) Les violences sexuelles sur mineurs sont une réalité difficilement concevable : comment imaginer que les plus innocents et les plus vulnérables soient victimes de telles agressions ?
Majoritairement commises dans le cadre familial, elles surviennent aussi dans les institutions qui les prennent en charge. C'est à cette deuxième catégorie que s'est intéressée notre mission dont le rapport d'information a été adopté le 28 mai dernier.
Les abus sexuels au sein de l'Église catholique ont en effet incité le Sénat à constituer une mission commune d'information sur le thème, après que le groupe Les Républicains ait demandé une commission d'enquête.
Le périmètre de la mission commune d'information a finalement été élargi à toutes les structures accueillant des enfants, associations sportives, services de l'aide sociale à l'enfance, établissements d'enseignement culturel et artistique, colonies de vacances, centres aérés. Elle a mené cinquante auditions et effectué trois déplacements. Je tiens à remercier les trois rapporteures : Marie Mercier, spécialisée dans le droit pénal en la matière, Michelle Meunier, qui nous a apporté sa connaissance des politiques de protection de l'enfance et Dominique Vérien qui connaît bien les modalités de prise en charge des auteurs. Nous avons fait 38 propositions, en gardant en tête l'intérêt des victimes : libérer la parole, soulager du traumatisme de l'agression, éviter que de tels faits se reproduisent.
Il n'y a pas d'éléments chiffrés sur ces violences, c'est pourquoi la mission réclame la création d'un observatoire. Les données existent pour les colonies de vacances et les centres aérés, mais pas en milieu sportif. Or nous savons que la relation de proximité qui s'établit entre un entraîneur et un jeune athlète peut favoriser l'apparition de phénomènes d'emprise pouvant déboucher sur des agressions.
Il nous paraît souhaitable de généraliser les meilleures pratiques afin de construire autour des jeunes de notre pays un environnement aussi sécurisant que possible.
Une formation et une sensibilisation adaptées sont indispensables. Le Fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (FIJAISV) doit être utilisé pour éviter que ceux qui y figurent n'entrent au contact avec des mineurs.
La mission commune d'information a consacré une large part de ses travaux aux abus commis au sein de l'Église catholique et des autres cultes. L'agression sexuelle commise par un religieux est particulièrement dévastatrice pour la victime car à la violence physique et à la violence psychologique s'ajoute un abus spirituel qui peut être extrêmement déstabilisant.
L'Église nous a semblé prendre conscience de la réelle gravité du problème et a affirmé la volonté de mettre un terme à l'omerta qui avait longtemps prévalu ; nous avons pris acte de la volonté d'indemniser les victimes, même pour des faits prescrits.
Nous espérons que la commission Sauvé proposera des mesures complémentaires.
Concernant les établissements destinés aux mineurs en situation de handicap, il semble qu'il n'y avait pas de vraie prise de conscience de ce problème à la hauteur de la vulnérabilité du public qu'ils accueillent. Il faudrait renforcer le contrôle au moment du recrutement.
Nous espérons que le Gouvernement tiendra compte de nos recommandations, notamment dans le plan sur les mille premiers jours de l'enfant qui fait suite au plan interministériel de mobilisation et de lutte contre les violences faites aux enfants 2017-2019 porté par Mme Rossignol lorsqu'elle était ministre en charge de la famille.
Soyez assuré, monsieur le ministre, du soutien du Sénat à une politique ambitieuse de protection de l'enfance. Un consensus devrait être trouvé autour de quelques orientations fortes et d'un ensemble de mesures concrètes. (Applaudissements)
M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé . - En octobre dernier, votre mission commune d'information a choisi de prolonger la réflexion ancienne du Sénat sur ce sujet par une réflexion approfondie sur les violences sexuelles sur mineurs.
J'ai bien noté vos 38 propositions, qui traitent de la formation des professionnels, de la prise en charge des victimes mais aussi des auteurs.
Les pistes que vous lancez rejoignent des réflexions menées au sein de mes services.
Le plan de lutte contre les violences faites aux enfants que j'annoncerai en novembre prolongera, je l'espère, le plan lancé par la ministre Rossignol en 2017, centré sur les violences intrafamiliales, trop longtemps taboues.
Le chemin est long pour libérer la parole des enfants, lutter contre les violences qu'ils subissent en tout lieu. La société entière doit être mobilisée. Soyez assurés de ma volonté d'y engager tout le Gouvernement. Un intense travail interministériel est conduit.
Vous proposez de créer un observatoire national des violences sexuelles sur mineurs, mais nous disposons déjà d'un Observatoire national de l'enfance en danger, outil utile et précieux articulé avec les observatoires départementaux de protection de l'enfance, certes perfectible, notamment au plan de la gouvernance ou du croisement des données. Il faut appréhender plus finement les violences sexuelles sur mineurs, sans pour autant créer un nouvel organisme.
L'observatoire, dans son dernier rapport, dévoile des chiffres édifiants : 22 000 mineurs victimes de violences sexuelles en 2017, en hausse de 10 %, par rapport à 2016, 2,5 mineurs sur 1 000 ont déclaré être victimes de violences sexuelles, cette même année.
Pour autant, il n'est pas forcément nécessaire de modifier encore le droit. Mieux vaut appliquer celui qui existe. Il est trop tôt pour faire le bilan de la loi Schiappa du 3 août 2018, qui renforce la pénalisation des violences sexuelles sur mineurs en la faisant aller jusqu'à dix ans d'emprisonnement, précise la contrainte morale et allonge les données de prescription. Le Gouvernement va confier à la députée Alexandra Louis une mission d'évaluation de cette loi.
Quant au contrôle des antécédents judiciaires des personnes en contact avec les mineurs, il est insuffisant, par méconnaissance des administrations. L'Éducation nationale et les sports ont néanmoins déployé des moyens à la hauteur de l'enjeu, ce qui n'est pas le cas de la santé.
Madame la présidente, j'arrive au bout de mon temps de parole...
Mme la présidente. - Oui, de huit minutes...
M. Adrien Taquet, secrétaire d'État. - Je reviendrai donc sur les autres aspects que je souhaitais développer dans mes réponses aux questions.
Nous ne réussirons à combattre le fléau qu'en mobilisant le législateur, les associations, les professionnels et tous les citoyens.
M. Jean-Louis Lagourgue . - Les mineurs handicapés sont particulièrement exposés au risque de violences sexuelles en institutions. La mission commune d'information (MCI) a perçu un décalage entre cette vulnérabilité et la faiblesse des contrôles au moment du recrutement dans les établissements médico-sociaux.
Il faut appliquer strictement les contrôles prévus par la loi, en les complétant par une information claire sur les procédures, un accès au FIJAISV pour le recrutement et l'extension du contrôle aux employés des prestataires de services des établissements.
Quelles sont vos intentions vis-à-vis de ces propositions ? Quelles mesures envisagez-vous et dans quels délais ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur le banc de la commission)
M. Adrien Taquet, secrétaire d'État. - Les femmes handicapées subissent la double peine : elles sont cinq fois plus victimes de violences sexuelles que les autres. Je suis très sensible à la question des mineurs handicapés. Député, j'avais défendu des amendements à la loi Schiappa prévoyant un référent sur les violences, notamment sexuelles, dans chaque établissement médical et socio-médical. Il a été rejeté par le Sénat, si je ne me trompe. Les Apprentis d'Auteuil l'ont mis en place et des dispositions analogues figurent dans le plan que je présenterai en novembre.
Mme Dominique Vérien . - Je salue la présence dans les tribunes d'une classe du lycée Saint-Étienne de Sens, dont la professeure a choisi notre mission d'information pour montrer comment se construit une politique publique. (Applaudissements)
La peine est censée suffire à éviter la récidive. Mais quel sens donner à deux ans d'enfermement pour un pédophile, qui pourra à loisir, dans sa cellule, regarder la chaîne Gulli et feuilleter le magazine Parents, sans probablement voir de psychiatre pour lequel les délais d'attente en prison sont de l'ordre de dix-huit mois, s'il accepte cette prise en charge, pourtant indispensable?
À la prison de Joux-la-Ville, dans l'Yonne, les détenus participent à des groupes de parole sur la perception du corps et de la sexualité. À Lyon également, une telle prise en charge donne de bons résultats. Tous les condamnés ne relèvent pas d'un tel besoin de soins. Comment identifier ceux qui en relèvent, et comment les prendre en charge au plus vite en prison ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d'État. - La loi de 1998 a instauré un dispositif commun à la santé et à la justice pour l'accompagnement thérapeutique des auteurs de violences sexuelles. Mais cette prise en charge est insuffisante. Un protocole santé-justice prévoit la mise en place par l'ARS de protocoles locaux, avec des centres de ressources pour les intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles (CRIAVS) constitués en réseau.
Une action a été engagée pour renforcer la prise en charge sanitaire des auteurs de violence à leur sortie de prison. La question des auteurs potentiels des violences doit être traitée dans la phase de prévention afin d'éviter tout passage à l'acte.
Mme Marie Mercier . - Prévenir pour protéger : au bout de plusieurs mois de travail, cette nécessité a fait consensus. Mais nous ne savons pas comment faire. Comment accompagner un adulte dont on sait qu'il est attiré par les jeunes enfants ? Lui-même sait que ce n'est pas acceptable, mais il ne sait pas à qui s'adresser. Le dispositif allemand Dunkelfeld pourrait servir de modèle. Il s'agit d'une ligne téléphonique joignable 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, par ces jeunes adultes en souffrance, qui leur offre une écoute et leur propose un accompagnement thérapeutique. Un Dunkelfeld à la française est-il possible et aurait-il votre soutien ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d'État. - Le Dunkelfeld, cette zone d'ombre que vous évoquez, est en effet un service d'écoute et d'accompagnement, anonyme et gratuit, à destination des adultes attirés par les mineurs avant leur passage à l'acte, mais aussi après. Ce type de dispositif participe au processus de révélation du phénomène. Des sites comme « PedoHelp » qui oriente les personnes pédophiles vers des professionnels ou « une vie » qui s'adresse aux soignants sont aussi des outils utiles.
Un réseau d'écoute existe en France. L'idée d'un numéro vert et d'une campagne d'information est en cours d'examen. Mes équipes y travaillent.
Mme Marie Mercier. - Vous n'avez pas parlé de « moyens » et je vous en remercie. Ils doivent être à la hauteur de l'enjeu. De telles initiatives constituent non pas une dépense, mais un investissement pour l'avenir, car il s'agit de prendre soin de nos jeunes.
Mme Michelle Meunier . - La parole s'est libérée. D'abord dans le clergé catholique, ensuite ailleurs. Elle ne doit pas être vaine et pour cela nous devons apprendre aux enfants à parler de ce qui leur arrive et aux adultes à les écouter. La plateforme du 119 doit être renforcée. L'information et la sensibilisation doivent être accrues pour mieux la faire connaître. Comment ferez-vous ?
Aucun enfant ne doit pâtir des hésitations des adultes. Nous devons renverser les mentalités et en finir avec l'idée que nous nous occuperions de ce qui ne nous regarde pas.
M. Adrien Taquet, secrétaire d'État. - Cette question de la parole est centrale. Oui, il faut libérer la parole dans notre pays. Et ce que vous faites au sein de cette mission d'information contribue à la libérer. Plus de 60 % des appels au 119 ne donnent pas lieu à une écoute, ce qui n'est plus acceptable. Il faut écouter et traiter tous les cas. J'ai annoncé que les moyens du 119 seraient renforcés dans ce but.
La parole doit aussi être protégée. On ne recueille pas celle d'un enfant de 3 ou 4 ans comme celle d'une autre personne qui se rendrait dans un commissariat. Nous allons multiplier les cellules d'écoute spécialisées dans les commissariats et les unités médico-judicaires spécialisées. Notre connaissance des situations est imparfaite. Nous engagerons dans le cadre de la stratégie de protection de l'enfance la modernisation d'un certain nombre de Cellules de recueil des informations préoccupantes (CRIP) qui constituent un maillon important de notre dispositif de signalement.
La campagne d'information sur le 119 aura lieu en novembre.
Mme Michelle Meunier. - Nous sommes à quelques semaines de l'examen du budget pour 2020. Nous serons nombreux à veiller à ce que nos propositions et nos ambitions communes s'y traduisent concrètement.
Mme Françoise Laborde . - Les 36 propositions de la mission d'information contribueront à briser un tabou et à engager une politique globale de prévention de la pédocriminalité. Les propositions du rapport ne sont pas suffisantes concernant les violences intrafamiliales envers les mineurs. Elles méritent d'être encore davantage traitées, même si je sais que la mission d'information portait sur les institutions.
Je regrette que mes amendements durcissant les peines contre les violences à caractère incestueux n'aient pas été adoptés lors de l'examen de la dernière loi sur la justice. Que comptez-vous faire pour prévenir ce fléau ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d'État. - La seule étude épidémiologique sérieuse sur l'inceste est américaine.
Elle conclut à 6 % de personnes victimes. Une étude déclarative française aboutit au même taux, soit 4 millions de personnes. L'inceste est le tabou des tabous car il sape l'institution sacrée qu'est la famille.
J'ai rencontré de nombreux acteurs qui oeuvrent dans ce domaine, dont Laurent Boyet. Toutes les mesures que nous prendrons pour lutter contre les violences sexuelles sur mineurs auront aussi vocation à traiter ce fléau.
Libérer la parole reste là encore le levier essentiel à actionner, cette fois-ci au sein de la famille. Or le verrou dans le cercle familial est probablement le plus difficile à faire sauter. C'est un travail de fond que nous allons entreprendre, aux côtés des mesures précises que nous annoncerons.
Mme Françoise Laborde. - L'examen de la résolution 751 que je viens de déposer sur la surqualification pénale de l'inceste nous donnera l'occasion de poursuivre ce débat.
Je salue la création d'un groupe de travail au Sénat sur le signalement dans les professions qui ont une obligation de secret.
Monsieur le ministre, j'espère que vous serez de notre côté, car en tant que parlementaires nous sommes limités par l'article 40 de la Constitution.
M. Thani Mohamed Soilihi . - Le 5 septembre dernier, un protocole de signalement des violences sexuelles a été signé entre le procureur et l'archevêque de Paris pour une expérimentation d'un an. Il contribuera à responsabiliser les parties prenantes.
Cependant, un tel dispositif met en lumière les manques législatifs en la matière. Dénoncer les infractions sur mineurs ne suffit pas à établir un cadre législatif suffisant.
Le rapport recommande une obligation de signalement dans toutes les institutions. Qu'en pensez-vous ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d'État. - Le protocole conclu entre l'Église et le parquet facilite le signalement. Des dispositions existent déjà dans le droit. C'est surtout le partage d'information qui fait défaut.
Le secteur médical, pourtant en position privilégiée pour repérer les maltraitances, connaît un taux de signalement faible. Introduire une obligation de signalement au titre judiciaire n'est pas forcément la bonne solution, ce peut être contre-productif puisque la centralisation ne se fait plus à la CRIP et la justice serait engorgée de façon verticale par des informations ne se recoupant pas. J'ajoute qu'une telle situation entraînerait des placements judiciaires intempestifs.
En revanche, un travail est engagé pour sensibiliser les professionnels et pour que les institutions fassent remonter les informations en interne.
Les textes sont explicites. Il s'agit surtout de mieux les faire connaître et respecter, et d'améliorer la coordination.
Mme Esther Benbassa . - Pas moins de 265 000 personnes se sont estimées victimes d'abus sexuels en France en 2017. C'est un phénomène de masse. Des vies sont brisées dès l'enfance.
Quelle réponse le Gouvernement apporte-t-il pour lutter contre cette pandémie ? Quelle réponse aux enfants souffrants de traumatismes durables ?
La mission d'information a mis en valeur l'absence de moyens pour lutter contre les violences sexuelles sur mineurs. Le chemin est encore long pour que nous donnions aux victimes le suivi qu'elles méritent.
Comment mettre fin aux déserts médicaux, notamment en matière de psychiatrie infantile ? Prévoyez-vous la gratuité des frais médicaux du traitement psychologique dans la prise en charge des victimes ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d'État. - Le plan de lutte contre les violences que nous présenterons en novembre mettra l'accent sur la prévention. À chacun de nos déplacements, on me fait part du problème de la prise en charge des psychotraumas et de la pédopsychiatrie, qui bénéficiera du plan d'investissements de 100 millions d'euros pour la psychiatrie annoncé par Agnès Buzyn. Nous travaillons à mettre en place des équipes psychomobiles pour les enfants victimes. Nous avons créé dix postes de chefs de clinique l'an dernier et en créons à nouveau dix cette année. Nous ouvrirons dix centres de prise en charge traumatique.
Le coût des soins psychologiques doit être expertisé. Nous devons aussi étudier la formation des professionnels. Une expérimentation est en cours, « Écoutez-moi », pour une durée de trois ans, avec un suivi interministériel.
Mme Esther Benbassa. - Prévoyez-vous la prise en charge intégrale des frais médicaux psychologiques ? Vous n'avez pas répondu. (On feint de s'en étonner à droite.) Nous y serons attentifs lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Mme la présidente. - Le ministre ne peut pas vous répondre. Il a épuisé son temps de parole. (Mouvements divers)
Mme Annick Billon . - Je salue le travail accompli par la mission d'information. La question du signalement a suscité des débats. La disposition adoptée par le Sénat tendant à introduire dans le cadre de la loi pour prévenir les violences sexuelles et sexistes l'obligation de signalement avait ensuite été retirée. Le signalement ne doit pas être associé à la délation. Il s'agit au contraire de sauver des vies. Seulement 5 % des enfants victimes de violences sexuelles sont détectés par les médecins. En outre, le nombre de médecins scolaires a baissé de 25 %.
Quelle est la position du Gouvernement sur l'introduction dans le code pénal d'une obligation de signalement faite aux professionnels de santé ?
Des moyens financiers seront-ils dégagés pour renforcer la médecine scolaire ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d'État. - Seul un Français sur quatre appelle le 119 en cas de suspicion de violences sexuelles. Je le dis solennellement, la responsabilité repose sur chacun d'entre nous. Il n'est pas question de délation, seulement de protéger les enfants.
Les textes existent. Une obligation de dénoncer s'impose, y compris pour les médecins. Les outils sont bien là. Il faut les faire connaître. Systématiser le signalement pourrait avoir des effets pervers.
Dans le plan 2017-2019 de Mme Rossignol, la mise en place d'un référent sur les violences sexuelles est prévue. Ce pourrait être l'interlocuteur privilégié pour faire remonter les signalements.
Mme la présidente. - Je salue en tribune les membres du conseil municipal de Ranspach-le-Bas, auquel j'appartiens. (Sourires et applaudissements)
M. Bernard Bonne . - La consultation du FIJAISV, qui contient plus d'informations que le casier judiciaire, est loin d'être systématique. Seul le fichier n°2 du casier judiciaire est interrogé concernant les professionnels recrutés dans les établissements d'accueil des jeunes enfants ou destinés à travailler auprès d'enfants handicapés. Même chose pour l'agrément des assistantes maternelles par le conseil départemental.
Certaines structures, par manque de personnel, embauchent à titre temporaire des personnes sous-qualifiées et n'interrogent pas les fichiers. Le président du conseil départemental n'a alors aucun pouvoir.
Comment rendre obligatoire la consultation d'avant recrutement ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d'État. - Trois questions se posent concernant le FIJAISV : les conditions d'inscription, la consultation et les modalités de mise en oeuvre de la consultation. Nous voulons que ce fichier et le B2 du casier soient plus efficacement utilisés, même s'ils peuvent aussi être améliorés - et nous y travaillons avec le ministère de la Justice.
Il y a une absence de mécanisme de consultation automatique dans certaines administrations, contrairement à l'Éducation nationale ou au ministère des Sports.
Nous devons garantir, par une action interministérielle, une évolution positive à cet égard ; nous devons également réfléchir à la société que nous voulons pour nos enfants, entre protection des mineurs et libertés individuelles.
M. Bernard Bonne. - Le rapport de la mission d'information a montré qu'une télédéclaration, pour interroger le fichier, favoriserait une consultation simple. Il est légitime de savoir qui l'on emploie.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie . - Je veux débuter mon propos par une pensée solidaire pour les fonctionnaires de la préfecture de police de Paris, frappés par une attaque il y a quelques instants. Plusieurs sont décédés.
J'avais signé avec Laurence Rossignol une demande de commission d'enquête sur les abus sexuels dans l'Église catholique. Le Sénat a refusé. L'Australie a consacré 300 millions de dollars à ce fléau, identifiant 40 000 victimes ; l'Irlande a constitué une commission d'enquête gouvernementale ; aux États-Unis un procureur de Pennsylvanie a identifié 300 prêtres pédophiles ; la Belgique a constitué une commission parlementaire.
En France, c'est la Conférence des évêques de France qui a constitué la commission Sauvé, laquelle a déjà reçu 2 500 appels. Que fait l'État ? Le 119 porte sur la maltraitance d'aujourd'hui. Mais que fait l'État pour les victimes antérieures ? (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)
Mme la présidente. - Tout le Sénat s'associe à vos propos sur la mort de ces quatre policiers, auxquels nous rendons hommage.
M. Adrien Taquet, secrétaire d'État. - En 2018 a été révélée l'ampleur insoupçonnée des abus commis par des membres du clergé catholique dans notre pays. Un protocole a été signé entre le procureur et l'archevêque de Paris pour la transmission au parquet de tous les signalements, même en l'absence de plainte.
La commission présidée par Jean-Marc Sauvé bénéficie du soutien de l'Inserm, de la Maison des sciences de l'homme, de l'École pratique des hautes études, de la Chancellerie, des Archives nationales et départementales. La Chancellerie demandera au parquet de faire l'inventaire des faits dont il a eu connaissance.
Nous attendons les préconisations de cette commission.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Je suis très déçue par cette réponse, ou alors nous ne nous sommes pas compris. La commission Sauvé ne relève pas de l'État. Je parle aussi d'information et de communication : lorsque l'Australie consacre au problème 300 millions de dollars, ce n'est pas pour écrire une circulaire. Il faut que les victimes sachent qu'elles peuvent parler et être entendues.
Mme Chantal Deseyne . - La loi Schiappa comporte plusieurs avancées mais est loin de répondre aux attentes des victimes. Les jugements ne sont pas à la hauteur. Un grand-père, au Mans, a été condamné à huit mois avec sursis par le tribunal correctionnel, pour le viol de sa petite-fille de 8 ans, alors qu'il aurait encouru devant une cour d'assises trente ans de réclusion.
La garde des Sceaux a déclaré en juin que la loi Schiappa contenait des évolutions positives, dont les juges s'étaient emparés. Quel est votre retour ? La qualification de viol est-elle plus fréquente qu'auparavant ? Observe-t-on des condamnations pour des faits datant de plus de trente ans, ou ces affaires aboutissent-elles à des classements sans suite ?
Pour évaluer la loi de 2018, accepterez-vous un collège pluraliste, associant des députés et des sénateurs ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d'État. - J'ai entendu les débats à l'époque de l'examen de la loi Schiappa. Attendons les résultats de la mission d'Alexandra Louis. Je ne veux pas polémiquer, mais certains juges que je rencontre se félicitent de la correctionnalisation parce qu'elle accélère le passage des agresseurs devant la justice et permet des poursuites qui n'auraient, sinon, pas eu lieu.
La loi du 3 août 2018 apporte de réelles avancées. Des peines ont été aggravées et les délais de prescriptions allongés.
M. Xavier Iacovelli . - Tous les mois, la presse se fait l'écho de scandales insupportables. Le 23 septembre, au Mans, une éducatrice était démasquée ; le 25 septembre, un directeur de centre de loisirs dans les Yvelines était mis en examen pour le viol d'une fillette de 3 ans : il avait déjà été condamné en 2017 pour exhibition sexuelle.
Comment admettre qu'une personne ainsi condamnée travaille encore auprès des enfants ? Ne faut-il pas inclure l'exhibition sexuelle dans le FIJAISV ? Pourquoi des structures qui ont accès aux fichiers spécialisés ne les consultent pas ? Elles ne renouvellent pas non plus la consultation au cours de la carrière de leurs employés, si bien qu'elles ne savent pas si l'un d'eux a été condamné.
Dans le plan de lutte contre les violences sexuelles sur les mineurs que vous allez dévoiler à l'occasion du trentième anniversaire de la convention internationale des droits de l'enfant, allez-vous inclure des mesures à cet égard ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d'État. - Les affaires que vous évoquez sont en cours. Mais nous sommes tous bouleversés par ce genre de cas.
La loi Villefontaine du 14 mars 2016 a créé une obligation d'information du procureur vis-à-vis des administrations, en cas de condamnation. Dans les faits, on constate que cette disposition n'est pas toujours respectée, alors que l'administration de l'État est chargée du contrôle.
La possibilité pour l'employeur de consulter le fichier n'est pas toujours connue ; le délai de réponse est trop long et la personne est parfois déjà recrutée lorsque l'information arrive. Nous oeuvrons à rendre l'obligation plus effective.
Toutefois, le fichage de tous les condamnés ne résoudra pas à lui seul le problème. La prévention est indispensable.
L'inscription comme la consultation du fichier feront l'objet de mesures que j'exposerai le 20 novembre.
M. Michel Savin . - Le monde du sport n'est hélas pas épargné. Je salue les nombreux sportifs qui ont récemment dénoncé des abus - cette prise de conscience est une vraie avancée, tout comme la mobilisation des pouvoirs publics.
Nous manquons de données, notamment en raison de l'omerta qui règne généralement, les enfants se murant dans le silence.
L'association Colosse aux pieds d'argile rappelle que 10 % des sportifs et 13 % des sportives sont concernés. La plupart de ces actes ont lieu entre sportifs. Mais trop d'abus proviennent également d'entraineurs ou d'éducateurs. Depuis 2015, près d'une centaine d'entre eux ont été recensés, mais il demeure des trous dans la raquette. La ministre avait évoqué un contrôle du casier judiciaire des bénévoles encadrant les jeunes. Qu'en est-il ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d'État. - Nous avons travaillé sur les trois volets : prévention, signalement et contrôle. La formation des intervenants inclut désormais un module sur les violences sexuelles. Il est important pour l'éducateur de prendre conscience qu'il est en position d'autorité vis-à-vis des personnes qu'il encadre.
La ministre des Sports soutient financièrement Colosse aux pieds d'argile.
Nous proposons des fiches « réflexes », pour faciliter les signalements par les institutions, ainsi qu'un guide juridique pour les mineurs eux-mêmes.
Enfin, quelles sont les modalités les plus appropriées pour contrôler l'honorabilité des bénévoles ? Faut-il envisager une licence ? La question est en cours d'expertise.
Mme Nicole Duranton . - En 2017, 8 788 plaintes pour viols ont été déposées et 1 473 pour atteintes sexuelles.
Il est temps de dégager les mesures les plus appropriées, les secteurs prioritaires et les bonnes méthodes, pour ensuite les inscrire dans la loi.
Je salue le travail de la MCI qui prône la création d'un observatoire en charge d'une enquête sur le modèle de l'enquête épidémiologique « Virage », consacrée aux violences faites aux femmes.
Quelle est votre vision du futur observatoire ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d'État. - La mission d'information a été étonnée de voir à quel point nous disposons de peu de données sur les violences sexuelles sur mineurs et plus généralement sur la protection de l'enfance. J'ai eu le même étonnement à mon arrivée au ministère. On ne peut pas mener de politique publique sans connaissance précise des phénomènes ni des personnes concernées.
Toutefois nous disposons de quelques travaux, notamment une enquête du CNRS sur les violences incestueuses de 2017 ou l'enquête Violences et rapports de genre (Virage) de l'Institut national d'études démographiques (INED).
Je vous rejoins, nous devons améliorer notre connaissance de la protection de l'enfance. Ce sujet recoupe celui de la gouvernance de cette politique publique, conjointe entre l'État et les départements. Nous devons nous doter d'un outil de recherche statistique, qu'il s'appelle observatoire ou non. C'est l'un des projets pour 2020, pour une mise en place au 1er janvier 2021.
M. Stéphane Piednoir . - La mission d'information ne traitait pas des infractions sexuelles dans le cadre familial, de loin les plus nombreuses ; mais nos travaux ont porté sur la prévention. Or, en ce domaine, les enseignants ont un rôle non négligeable à jouer. Idem pour la détection.
La mission a dégagé des signaux d'alerte : variation brusque du niveau scolaire ou du comportement, gestes sexualisés sans rapport avec l'âge, etc. Nous avons constaté que l'éducation à la sexualité prévue dans le cadre scolaire est rarement dispensée. Or elle serait l'occasion d'indiquer aux enfants les limites que les adultes ne doivent pas franchir. Le Gouvernement compte-t-il activer ce levier ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d'État. - Oui. Les enseignants sont en position privilégiée et doivent être formés à la détection et la prévention.
D'ores et déjà, la formation initiale et continue des enseignants, inscrite dans le code de l'éducation, met l'accent sur la prévention des violences. La formation continue comprend le repérage de signaux d'alerte et la connaissance des dispositifs départementaux.
Tous les ans, un séminaire de formation à l'éducation à la sexualité est organisé pour les cadres de l'Éducation nationale. Les ressources doivent être mieux connues. Et souvent, il y a des lacunes dans la coordination. On fait toujours mieux quand on partage l'information !
Avec le ministre de l'Éducation nationale, nous travaillons à une meilleure sensibilisation des enfants dès la dernière année de maternelle. Nous l'annoncerons en novembre.
Mme Catherine Deroche, présidente de la mission . - Merci au président du Sénat et à la Conférence des présidents d'avoir organisé cette séance. Merci à tous les collègues présents, qui ont posé des questions très pertinentes. Merci, monsieur le ministre, pour vos réponses. L'exercice est difficile, dans le temps très contraint qui nous est alloué !
La lutte contre les violences sexuelles contre les mineurs est l'affaire de tous : Éducation nationale, mais aussi communes. Nous nous réjouissons qu'un membre du Gouvernement soit particulièrement chargé de ce problème.
Nous n'avons pas voulu revenir sur la loi Schiappa, très récente. Mais la commission des lois et la commission des affaires sociales ont accepté de former un groupe de travail spécifique pour se pencher sur cette question. Cette semaine, nous avons commencé nos auditions. Nous en avons déjà mené sept afin d'examiner la question de l'obligation du signalement par les professionnels et les ministres du culte - le secret sacerdotal est assimilé au secret professionnel.
Nous serons très attentifs à ce que les diverses charges qui pourraient être créées par vos décisions trouvent une correspondance budgétaire. (Applaudissements)
La séance est suspendue quelques instants.