Interdiction des violences éducatives ordinaires

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative à l'interdiction des violences éducatives ordinaires.

Discussion générale

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé .  - Rousseau rassemble sous le vocable d'éducation « tout ce que nous n'avons pas à notre naissance et dont nous avons besoin étant grands ». L'éducation est le lieu où se structure l'identité du jeune enfant, où s'affirment son libre arbitre et sa capacité de jugement. En cela, le « temps éducatif » est vécu du côté de l'enfant et de l'adulte comme un apprentissage où chacun s'expose à l'autre et confronte ses représentations, ses désirs.

Dans la relation éducative, le parent doit savoir se faire pédagogue. On ne peut élever un enfant sans se référer à des principes, à des savoir-être. L'objectif est immense : faire de l'enfant un être autonome, capable de socialité, portant au coeur l'idéal de fraternité.

La qualité première du pédagogue, c'est d'avoir le souci constant de la cohérence entre les principes affichés et les méthodes employées. L'ascendant de l'adulte sur l'enfant est, dans ces circonstances, inévitable. Il a le devoir de fixer le cadre éducatif. Tout le paradoxe est là : l'autonomie de tout enfant se construit dans la dépendance. Pour cette raison, l'éducation relève d'un art, décrit par Rousseau dans l'Émile : « Prenez une route opposée avec votre élève ; qu'il croie toujours être le maître, et que ce soit toujours vous qui le soyez. »

Le parent accompli comme le bon éducateur doit savoir faire oublier la tutelle qu'il exerce sur son enfant. Les violences éducatives, à l'inverse, exacerbent cette relation d'assujettissement : elles ont souvent des effets irréversibles chez l'enfant. Elles sont le symptôme des difficultés rencontrées par les parents dans l'éducation de leurs enfants.

« II y a beaucoup de choses terribles dans ce monde, mais la pire est qu'un enfant ait peur de son père, de sa mère ou de son professeur » a écrit Janusz Korczak, l'un des plus grands pédagogues du siècle dernier. Agnès Buzyn l'a rappelé en novembre dernier : on n'éduque pas par la peur. La peur, on s'y enferme et on y étouffe.

Les coups, les raclées, les fessées sont autant de stigmates que l'enfant devra porter, toute sa vie.

Selon la Fondation pour l'enfance, 85 % des parents français ont déjà eu recours à des violences éducatives ordinaires. 75 % des maltraitances infantiles sont le fait de punitions éducatives corporelles. Plus de 50 % des parents ont frappé leur enfant avant l'âge de 2 ans, persuadés que l'éducation qu'ils ont reçue leur a été utile et profitable.

Rien n'est plus faux que l'idée selon laquelle les violences éducatives ordinaires forgeraient le caractère. En 2013, la Fondation de France avait lancé une campagne choc contre les mauvais traitements éducatifs.

Études à l'appui, nous savons aujourd'hui qu'une éducation punitive a des conséquences désastreuses sur le développement, la santé mentale et la stabilité affective de l'enfant. Des conséquences à la fois immédiates et de long terme : elles portent sur toute la vie du sujet qui aura eu à essuyer des humiliations et des châtiments corporels dans sa prime enfance.

À court terme, on observe une hausse des comportements agressifs chez les enfants ayant subi des violences, un risque accru de troubles cognitifs.

À long terme, on peut observer une baisse de l'estime de soi, l'augmentation des comportements antisociaux, l'augmentation de la prévalence de troubles mentaux et addictifs et pour les cas les plus graves une déficience mentale liée à une réduction de la zone grise du cerveau, un risque d'obésité plus élevé ainsi que des troubles cardiovasculaires.

Les anciens enfants battus comme Thierry Beccaro, que j'ai reçu au ministère il y a quelques semaines, ont également pu témoigner des phénomènes de cercle vicieux auxquels ils se sont trouvés exposés. Les enfants victimes de violences familiales sont susceptibles de devenir des adultes constamment habités par la peur, l'insécurité.

Une fois qu'un coup est porté à son enfant sous couvert éducatif, le risque d'aller crescendo est évidemment présent et peut mener au pire. Début mai, un rapport m'a été remis sur les morts violentes d'enfants. L'enquête révélait que, parmi les 72 morts violentes d'enfants observées en moyenne chaque année, plus de la moitié avaient subi des violences graves et répétées dans un contexte de violences conjugales avant leur mort.

Les études observent aussi un risque de reproduction des actes de maltraitance d'une génération à l'autre. Il y a donc urgence à agir. Il y a urgence à casser les dynamiques de reproduction de la violence.

Il y a urgence à voter une proposition de loi d'interdiction des violences éducatives ordinaires qui permettra à notre pays de faire un pas de plus vers la traduction effective de nos engagements internationaux dans le droit interne.

Il y a, dans notre pays, une absence d'interdiction formelle des violences éducatives ordinaires. En droit interne, il subsiste dans notre jurisprudence ce droit de correction, totalement anachronique. Cela a conduit, en 2015, le Comité européen des droits sociaux à constater la violation de l'article 17 de la Charte sociale européenne par la France. En vertu de cet article, la France comme tous les autres États membres « doivent s'engager à prendre toutes les mesures nécessaires et appropriées pour protéger les enfants et les adolescents contre la négligence, la violence ou l'exploitation ». Notre pays reste l'un des cinq derniers pays européens à ne pas avoir intégré dans son droit cette interdiction.

Nous allons fêter, en novembre prochain, le trentième anniversaire de la Convention internationale des droits de l'enfant. La France peut-elle décemment célébrer cet anniversaire sans respecter l'article 19 qui dispose que « les États parties prennent toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l'enfant contre toute forme de violence, d'atteinte ou de brutalités physiques ou mentales » ? En votant cette loi, nous voulons que la France se rapproche de l'avant-garde des pays promouvant une éducation sans violences.

En tant que signataire de la CIDE, notre rôle est de récuser le droit des parents à faire souffrir leurs enfants. Notre rôle est d'exiger au nom des enfants, un droit absolu à la dignité et à l'intégrité physique. II y a là un signal extrêmement fort adressé aux jeunes et futurs parents de notre pays.

Nous souhaitons promouvoir une éducation bienveillante, fondée sur la confiance, le dialogue et le respect mutuel. Janusz Korczak aimait à comparer l'enfant à cet étranger plongé « dans une ville inconnue dont il ne connaît ni la langue, ni les coutumes, ni la direction des rues ». Pour s'orienter, l'enfant a besoin de repères, il doit pouvoir trouver une oreille attentive et une main réconfortante tout au long de sa vie, une vie faite de joies et d'erreurs, car l'erreur est le sel de l'apprentissage.

Nos maîtres d'école ressassaient que la répétition est l'art de la pédagogie. Cet art requiert de la patience, de la méthode, une attention quasi éthique portée à l'autre : en un mot de l'amour. C'est d'ailleurs ce terme qu'emploie le préambule de la CIDE pour décrire l'atmosphère familiale dans laquelle devrait grandir chacun de nos enfants.

Le législateur n'a certainement pas vocation - ni même le mandat - d'instituer l'amour comme fondement de la relation filiale, Il a en revanche la capacité de mieux aider les parents dans la conception de leur projet parental, C'est le sens de la politique de « soutien à la parentalité » que je porte à la tête du secrétariat d'État à la protection de l'enfance.

Je partage, avec mes collègues du ministère de la Santé et des Solidarités une conviction : on ne naît pas parent, on le devient. L'apprentissage de la parentalité relève d'un équilibre ténu entre confiance en soi et capacité à répondre aux besoins de l'enfant. Les violences éducatives sont l'expression d'un déséquilibre affectant la nature même de la relation parents-enfants.

La prévention des difficultés éducatives des parents constitue le socle de la politique de protection de l'enfance : une politique de soutien à la parentalité efficace rendrait superflues les mesures de protection.

Nous voulons d'une politique sociale qui puisse répondre aux besoins de chaque famille, qui puisse offrir une réponse aux questions des jeunes parents. Protéger les enfants, cela commence parfois par mieux accompagner les parents dans leur projet d'être parents. C'est tout l'objet du « parcours 1 000 jours » sur lequel nous travaillons, qui s'étire du quatrième mois de grossesse aux 2 ans de l'enfant. C'est en effet lors de ce parcours que tout se commence tant sur le plan de la santé de l'enfant, de son développement ou de sa stabilité affective. C'est aussi là que se forgent, que s'installent les inégalités sociales.

Pour ces raisons, c'est sans doute lors de ces « 1 000 premiers jours » que le parent a le rôle le plus décisif et que pèse sur lui les plus grandes appréhensions : comment donner la première tétée puis le premier biberon ? Que faire face à un bébé qui ne cesse de pleurer et pourquoi il ne faut pas le secouer ? Comment faire concorder le cycle de vie du bébé avec ses propres impératifs ?

Notre mission d'accompagnement est à ce titre essentielle voire vitale en ce qui concerne la prévention du syndrome du bébé secoué. Je conçois cette politique de soutien à la parentalité comme reposant sur deux outils : une protection maternelle et infantile (PMI) mieux soutenue financièrement et rebâtie autour de ses missions historiques de prévention et le « passeport 1 000 jours », permettant une meilleure coordination des actions de soutien à la parentalité : carnet de santé dématérialisé, informations, services à destination des jeunes parents. L'ensemble de ces services sera structuré autour d'un principe : l'éducation bienveillante.

L'éducation bienveillante est au coeur de notre nouvelle approche des politiques de l'enfance. Le vote de cette proposition de loi constitue une avancée importante.

Ce texte a aussi vocation à graver dans le marbre une égalité de droits entre enfants et adultes. Permettez-moi ici de saluer le travail exemplaire de la députée Maud Petit à l'initiative de cette proposition de loi et celui de Laurence Rossignol.

Être parent, c'est être garant du respect des droits de ceux qui sont à sa charge. Être parent, c'est respecter l'enfant pour ce qu'il est et aussi en tant qu'être en devenir. L'enfance est un âge de la vie, avec ses valeurs, ses sensibilités, ses aspirations et ses stratégies sociales. L'enfant n'est en aucun cas inférieur à l'adulte : une telle conception de l'enfance mène au pire, par exemple à justifier un droit de correction.

Le message de prohibition figurera, grâce à cette proposition de loi, dans le code pénal, en appui de l'article 222-13. Pour lui donner une meilleure visibilité, nous le ferons également figurer en première page des carnets de santé.

Le poids de la culture et des traditions n'est pas négligeable. La violence est alimentée, confortée par une certaine tolérance de l'opinion publique. Il suffit d'observer la légèreté de ton, privilégiée par certains, pour vanter les vertus du châtiment corporel. Le vote de cette proposition de loi est une première pierre à l'édifice du soutien à la parentalité. Notre tâche, à présent, est de changer les pratiques et le regard de nos concitoyens sur les faits de maltraitance.

Nous devons, à présent, parler d'aventure éducative. On ne peut, à ce titre, que se remémorer les très belles lignes de Janusz Korczak pour entrevoir le plus beau et difficile métier de parent : « Vous dites : c'est fatigant de fréquenter les enfants. Vous avez raison. Vous ajoutez : parce qu'il faut se mettre à leur niveau, se baisser, s'incliner, se courber, se faire petit. Là vous avez tort. Ce n'est pas cela qui fatigue le plus. C'est plutôt le fait d'être obligé de s'élever jusqu'à la hauteur de leurs sentiments. De se hisser sur la pointe des pieds pour ne pas les blesser ».

J'aimerais vous dire ma fierté de soutenir cette proposition de loi. Elle répond à notre engagement en faveur d'une société sans violences faites aux enfants, d'une société qui est plus attentive à la parole de l'enfant. Je vous invite à l'adopter le plus largement possible.

(Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, SOCR et sur quelques bancs du groupe UC)

Mme Marie-Pierre de la Gontrie, rapporteure de la commission des lois .  - Le 5 mars dernier, nous adoptions à l'unanimité la proposition de loi de Laurence Rossignol contre les violences éducatives ordinaires, alors que l'Assemblée nationale adoptait un texte identique de Maud Petit quelques semaines auparavant.

Les violences éducatives ordinaires, cela recouvre les cris, les violences, les coups, les gifles, les insultes. Ces deux textes affirment la non-violence comme principe fondamental de l'éducation.

Or 85 % des parents ont recours à la violence dans l'éducation de leurs enfants, et pour 50 % avant l'âge de deux ans. Il faut une prise de conscience collective : la violence n'est pas acceptable, qu'elle soit exercée à l'encontre d'un adulte ou d'un enfant. C'est le sens de la démarche conjointe de l'Assemblée nationale et du Sénat. La neurobiologie montre que le stress peut ralentir le développement cérébral de l'enfant. La banalisation du recours à la violence peut, en outre, avoir des effets sur le comportement de l'adulte, y compris sur les violences conjugales.

Selon la Fondation pour l'enfance, 75 % des maltraitances ont débuté dans un contexte de punitions corporelles. Elles en constituent le terreau. Il ne s'agit donc pas ici d'un sujet anodin ou anecdotique, comme certains pourraient parfois penser. Nous avons, en tant que législateurs, la responsabilité de nous assurer de la protection des plus vulnérables. Or notre droit est aujourd'hui insuffisamment protecteur à leur égard. Certes, le code pénal prohibe toutes les violences commises sur des mineurs et sanctionne leurs auteurs par trois ans d'emprisonnement, cinq ans lorsque ces violences sont commises par un ascendant, donc le parent. Mais la Cour de Cassation affirme un droit à la correction sans conséquence pour l'enfant, proportionné aux manquements. C'est créer une forme de violence nécessaire et acceptable pour l'éducation des enfants.

Cette proposition de loi ne modifie par le code pénal mais complète l'article 371-1 du code civil, lu aux futurs époux lors de la cérémonie du mariage, qui définit l'autorité parentale et assigne des obligations de protection de l'enfant. Sa nouvelle rédaction exclut les violences physiques ou psychologiques sur l'enfant.

Sans prétendre régler à lui seul le problème de la violence éducative, inscrire dans la loi un principe qui constitue le coeur d'une éducation bienveillante, permettra d'accompagner le changement social déjà à l'oeuvre, et de lui donner un fondement juridique.

Inscrire dans la loi de façon explicite l'interdiction de toute violence permettra une évolution de la jurisprudence qui ne pourra plus s'abriter derrière un attribut implicite de l'autorité parentale pour justifier l'existence d'un droit de correction.

Ce texte nous mettra aussi en cohérence avec nos engagements internationaux. L'interdiction de toute violence est posée notamment par la Convention internationale des droits de l'enfant, que la France a ratifiée en 1990 et dont on fête cette année le trentième anniversaire. Cette convention prévoit une obligation pour les États parties de prendre toutes les mesures législatives « pour protéger l'enfant contre toute forme de violence, d'atteinte ou de brutalités physiques ou mentales ».

La France a été rappelée à l'ordre à plusieurs reprises ; 23 des 28 États membres ont aboli les violences éducatives ordinaires - la Suède depuis 40 ans - et c'est le cas de 54 pays à l'échelle mondiale.

Il ne s'agit pas de s'immiscer dans le quotidien des familles mais de provoquer une prise de conscience collective.

L'article premier de cette proposition de loi reprend mot pour mot le texte voté le 5 mars par le Sénat, jumeau de celui de l'Assemblée nationale. Il comporte deux articles complémentaires : l'un instaurant une obligation de formation des assistantes maternelles, l'autre un rapport remis par le Gouvernement au Parlement sur le soutien à la parentalité. Certes, le Sénat n'aime pas les demandes de rapport, mais cet article ne pose pas de frein à l'adoption du texte.

La commission a adopté à l'unanimité ce texte, sans modification. Le Sénat, par son vote, inscrira dans la loi l'interdiction de toute violence dans l'éducation des enfants. Ne passons pas à côté de cette occasion. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)

M. Dany Wattebled .  - (M. Loïc Hervé et Mme Brigitte L'herbier applaudissent.) Cette proposition de loi permet à la France de se conformer à ses engagements internationaux ; il mettra fin à la jurisprudence pénale reconnaissant aux parents un droit de correction des parents ; il prévoit également la formation des assistantes maternelles sur ce thème.

Oui, maltraiter un enfant est intolérable, mais ce énième texte anti-fessée est-il indispensable alors que l'article L. 222-13 du code civil interdit déjà toute violence envers les enfants ?

Ce texte est avant tout symbolique et pédagogique. Mais la loi ne saurait être floue ou imprécise : le texte ne définit pas les violences éducatives ordinaires ni ne prévoit de sanctions pénales.

Nous convenons tous qu'aucune violence physique ou psychologique envers les enfants n'est acceptable ni excusable. Mais le groupe Les Indépendants a un sentiment mitigé sur ce texte dont le premier article a déjà été adopté dans les mêmes termes par les deux assemblées.

Néanmoins, pour mettre fin à la navette et respecter nos engagements internationaux, nous voterons ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Indépendants)

Mme Pascale Gruny .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Nous nous retrouvons quatre mois seulement après avoir voté une proposition de loi socialiste presque identique. Nos concitoyens doivent se demander si nous ne pourrions pas passer plus de temps à lutter contre la vraie violence, telle la maltraitance envers les enfants ou les violences faites aux femmes.

Comme nous l'avions dit, cette proposition de loi n'apporte rien de révolutionnaire. L'article premier complète le 371-1 du code civil en précisant que l'autorité parentale s'exerce « sans violences physiques ou psychologiques ». Nous ne pouvons qu'y souscrire car toute violence laisse des traces parfois irréversibles chez les enfants. Mais notre droit interdit déjà les violences sur les enfants et ce texte n'est assorti d'aucune sanction. Tâchons de rendre ce qui existe mieux appliqué... L'énoncé proposé se borne à faire un rappel aux futurs pères et mères. N'est-ce pas là plutôt la fonction d'un discours politique plutôt que celle d'un texte civil ? La loi doit avoir une portée certaine.

En outre, quelle est la définition des violences éducatives ordinaires ? À un moment donné, il faut bien savoir dire non... N'est-ce pas François Bayrou qui, en 2002 au cours de la campagne présidentielle, avait giflé un enfant dans la rue pour l'empêcher de lui faire les poches ? Ne faut-il pas un geste ferme pour empêcher un enfant de toucher à une plaque de cuisson ou à une prise ?

Qu'est-ce qu'une violence ? Quels gestes n'en font pas partie ? Ce texte n'apporte aucune définition.

Les Français en ont assez des textes qui prétendent les rééduquer. Le rôle du politique est aussi de respecter la liberté éducative des parents. Bien sûr, parfois, il faut de l'aide et je salue l'article 2 dont je souhaite qu'il s'accompagne de mesures concrètes de soutien à la parentalité. N'opposons pas les bons qui seraient contre les violences et les méchants qui y seraient favorables. Nous sommes tous opposés aux vraies violences contre les enfants.

Par souci de cohérence, nous voterons ce texte car il correspond peu ou prou à ce que nous avions voté il y a quatre mois. Et même s'il revêt un caractère essentiellement symbolique, il a au moins le mérite de rappeler une règle de bon sens, dont la violation est déjà sanctionnée par la loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

Mme Patricia Schillinger .  - Pour la deuxième fois en quatre mois, nous examinons un texte ambitionnant de faire disparaître les violences éducatives ordinaires.

L'article 371-1 du code civil est ainsi réécrit, ce que notre groupe approuve. C'est plus que symbolique car le juge pénal, le JAF et le juge des enfants devront en assurer l'application.

Nombre d'études révèlent les graves conséquences des violences éducatives sur le développement de l'enfant : atteinte à la confiance en soi, culpabilisation, troubles du comportement et de l'apprentissage, encouragement à percevoir la violence comme un mode acceptable de règlement des différends, potentielle transmission intergénérationnelle de la maltraitance. Aussi, il est important d'être plus volontariste encore pour informer et sensibiliser l'ensemble de notre société aux vertus d'une éducation bienveillante et non violente, ce qui n'exclut pas pour autant la discipline.

Mais l'autorité n'est pas la violence, dans la famille comme ailleurs.

Notre groupe votera ce texte en félicitant celles et ceux qui ont oeuvré au rapprochement des deux textes, au premier rang desquels notre rapporteure.

Mme Esther Benbassa .  - M. le président Bas n'est pas là... Il y a quelques mois, à l'initiative de Laurence Rossignol, nous adoptions un texte sur les violences éducatives ordinaires. La présente proposition de loi est très similaire.

Depuis les années 1980, de nombreux pays ont adopté une législation abolitionniste, tels la Suède en 1979, la Finlande en 1983 et la Norvège en 1987. Actuellement, trente-deux des quarante-sept États membres du Conseil de l'Europe ont interdit les châtiments corporels à l'encontre des enfants. Il est temps que la France se dote d'un dispositif analogue.

De nombreux neurologues et pédopsychiatres y voient même un impératif de santé publique. En effet, l'agressivité et les sévices habituent les enfants aux relations de domination et d'humiliation, ce qui se répercute sur les rapports sociaux.

Les travaux de Françoise Dolto avaient permis en déconstruisant, dès le début des années soixante-dix, l'idée que l'éducation devait se conjuguer avec l'autorité et les punitions. Ses travaux ont permis à l'enfant d'accéder au statut de personne à part entière. Il était temps de mettre fin à cette autre composante du patriarcat qu'est le droit de correction.

Il faudrait également dire un mot des violences ordinaires subies par les mineurs étrangers isolés, les enfants placés et les pupilles de la Nation. Deux enfants meurent chaque semaine de violences éducatives et 73 000 en sont victimes par an.

Beaucoup reste à faire en la matière : développons en particulier les aides à la parentalité, dans tous les milieux, aisés comme défavorisés.

Affaire privée, dira-t-on. Il y a quelques décennies, on considérait aussi les violences conjugales comme une affaire privée, on admettait un droit de correction du mari. Contrairement aux femmes qui, face aux violences conjugales, peuvent partir ou divorcer, les enfants n'ont pas la possibilité de quitter le foyer... C'est donc à la société de lutter contre la banalisation des violences.

Si une loi est nécessaire, nous ne pouvons que la soutenir. (Applaudissements sur les bancs des groupes CRCE et SOCR)

Mme Maryse Carrère .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE) Pour Françoise Dolto, « l'enfant dès son plus jeune âge est un être de langage, il convient de l'écouter avec sérieux. II est à égalité d'être avec un adulte, à ce titre il est un analysant à part entière. ». Nous étions à la fin des années soixante-dix.

II faudra ensuite attendre 1989 pour que soit adoptée la Convention internationale des droits de l'enfant qui viendra consacrer l'enfant comme une personne à part entière.

Définir et renforcer les droits des enfants, c'est faire un pas vers l'égalité, leur donner une vraie place dans la société et prendre en compte l'importance de cette étape où va se développer leur perception des autres. Cette prise en compte est primordiale, car c'est dans cette période de l'enfance que l'individu acquiert les valeurs et les normes et les internalise.

Les violences éducatives ordinaires affectent l'estime de soi, le développement, favorisent l'agressivité et contribuent à répandre la violence.

Si certains pays comme la Suède ont légiféré à ce sujet depuis près de 40 ans, la France elle, continue de violer ses engagements internationaux.

Le code pénal réprime certes les violences à l'égard des plus jeunes, mais rien n'existe en matière civile. Il s'agit ici de poser un interdit pour orienter les pratiques sur le long terme, dans un pays où 85 % des parents ont recours à la fessée. Certes, élever un enfant n'est pas toujours chose aisée, mais des méthodes plus douces et vertueuses existent.

Si j'en reviens au texte, outre la disposition prévoyant que l'autorité parentale s'exerce sans violence, ce dernier prévoit également une sensibilisation aux violences éducatives ordinaires lors de la formation des assistants maternels. Ils peuvent ainsi mieux identifier l'impact de telles pratiques sur l'enfant et développer un environnement éducatif plus sain. Ce texte vient apporter de nouveaux droits aux enfants, et prendre en compte leur intérêt supérieur conformément à la Convention internationale des droits de l'enfant.

Aux magistrats de la chambre criminelle de la Cour de cassation de se saisir de cette loi pour mettre fin à ces pratiques d'un autre temps.

Le Défenseur des droits préconise à présent que les établissements hospitaliers et les conseils départementaux désignent des référents, ou que la loi interdise toute rétention administrative pour les enfants.

Nous sommes passés, dit Pierre Verdier, à une conception de l'intérêt de l'enfant à une définition de ses droits.

Une remarque de forme pour finir : je regrette que nous nous prononcions deux fois sur le même texte...

Le groupe RDSE votera bien sûr ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE)

Mme Élisabeth Doineau .  - Eh oui, en mars dernier, je terminais mon intervention par une critique, que je reformule donc : il est regrettable d'examiner parallèlement deux textes identiques. Cela abime le Parlement. Quelle image renvoyons-nous donc ? Certes, la pédagogie est l'art de la répétition, mais nous aurions pu faire autrement sur ce sujet sociétal.

Violenter son enfant, c'est le marquer pour longtemps. L'idée de la campagne de la Fondation pour l'enfant a fait son chemin. La violence n'est plus considérée comme une pratique éducative, grâce aussi à des livres, des émissions et des podcasts qui prônent la parentalité bienveillante.

Les chiffres donnés par M. le ministre et Mme la rapporteure sont éloquents. Je n'y reviendrai pas.

Depuis quelques années, les neurosciences ont démontré que la maltraitance détruit des neurones utiles pour la mémoire, la concentration, les capacités relationnelles. Elle agit aussi sur les neurones miroirs, qui conduisent l'enfant à reproduire les comportements des parents. La bienveillance est la clé d'une éducation réussie.

En conséquence, les services compétents en matière de petite enfance proposent des guides et des ateliers à la parentalité qui constituent une véritable formation à être ou à devenir parents.

Un travail de sensibilisation de large envergure auprès des jeunes, futurs adultes et parfois futurs parents, reste également à imaginer, même s'il existe déjà des groupes de paroles, des ateliers, des consultations PMI, des lieux d'accueil enfants-parents... Le 27 mars dernier, monsieur le ministre, vous lanciez une concertation sur la protection de l'enfance. J'ai assisté la semaine dernière aux restitutions d'une partie de ses travaux par six groupes de travail. Ils concluaient à la nécessité de maintenir un environnement stable et sans violence pour l'enfant.

Après l'assemblée plénière du Conseil national de la protection de l'enfance hier, l'adoption de cette proposition de loi aujourd'hui, les assises nationales de la protection de l'enfance auront lieu les 4 et 5 juillet à Marseille. Avec ce texte, nous rejoindrons les 54 pays dans le monde qui ont interdit les violences éducatives ordinaires.

Le groupe UC votera cette loi. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes Les Républicains et UC)

Mme Michelle Meunier .  - « L'opinion publique est régulièrement choquée par le décès d'un enfant sous les coups de ses parents. Si, heureusement, les violences intrafamiliales ne tuent pas toujours, les spécialistes sont unanimes quant aux dégâts qu'elles occasionnent sur les enfants qui en sont les victimes.

Pour appeler l'attention de tous sur cet enjeu considérable, il faut compléter la définition de l'autorité parentale prévue à l'article 371-1 du code civil en précisant que, parmi les devoirs qui la composent, figure celui de s'abstenir de toutes les formes de violence et de violence sous toutes ses formes » a-t-on pu entendre lors des débats à l'Assemblée nationale... en 2016. Ainsi motivaient-ils l'ajout dans la loi Égalité et citoyenneté d'un alinéa à l'article 371-1 du code civil lu aux futurs parents à l'occasion de leur mariage. La victoire fut de courte durée. Saisi par certains parlementaires ici présents, le Conseil constitutionnel a préféré maintenir dans le secret des familles le droit à la correction. Or le privé est politique, mes chers collègues.

Je remercie Marie-Pierre de la Gontrie de nous proposer une autre voie pour avancer de manière efficace. C'est un moyen essentiel de changer le regard de notre société sur elle-même. Élever les enfants dans la violence, c'est dessiner trait à trait une société violente. Nos enfants se construisent par mimétisme. Karen Sadlier nous le rappelle : l'enfant confronté à la violence la banalise, en fait un mode d'expression.

Les pédiatres nous rappellent également que les traumatismes vécus dans l'enfance perdurent toute la vie : conséquences psychologiques comme somatiques. Leur prise en charge représente un coût pour la société. Voilà pourquoi il faut que notre société en prenne conscience et agisse.

Cette proposition de loi va dans le bon sens. Elle est nécessaire, mais pas suffisante : lorsque des situations de violence se font jour, elles doivent être signalées. Nous avons tous en tête des exemples de familles dans lesquelles on craint que l'enfant soit maltraité. Je tiens à rappeler l'obligation de tous de signaler les maltraitances à la cellule de recueil des informations préoccupantes. Ce signalement est également une obligation pour tous les professionnels qui s'occupent d'enfants.

Les récents travaux de notre assemblée sur les violences sexuelles faites aux enfants rappellent le rôle crucial du signalement. Il y va de la protection des enfants et de la rupture du continuum des violences.

Je fais un rêve : que nos enfants, bien éduqués, ne tolèrent plus la violence dans le monde, une fois devenus adultes, et forment une société de confiance où la parole des victimes est entendue et respectée. (Applaudissements sur les bancs des groupes CRCE et SOCR)

Mme Brigitte Lherbier .  - J'ai toujours été interpellée par les violences faites aux enfants. Universitaire, ma thèse de droit portait sur le placement des enfants en souffrance intrafamiliale : adjointe à la sécurité de la mairie de Tourcoing, j'ai eu l'occasion de réfléchir à la frontière, très fragile, entre le tolérable et l'inadmissible des violences faites aux enfants par leurs familles.

Il y a de cela quelques décennies, souvenez-vous : des maîtres nous faisaient venir au tableau pour nous frapper sur le bout des doigts ; d'autres nous faisaient faire le tour de la cour les mains sur la tête pour nous humilier aux yeux de tous, et les parents doublaient les punitions à la maison...C'était monnaie courante, personne n'y trouvait quoi que ce soit à redire. C'était « ordinaire » ! Que de chemin parcouru depuis ! Et pourtant il reste long.

Les violences ordinaires peuvent prendre des formes psychologique, physique, verbale. Ces pratiques sont transmises de génération en génération et inculquent de mauvais comportements. Un enfant exposé à des violences éducatives « ordinaires » - j'abhorre ce qualificatif ! - a des chances de les reproduire en grandissant.

Nous ne pouvons accepter que nos enfants soient les victimes invisibles de violences dégradantes.

La France interdit les violences aux enfants, est signataire de la CIDE mais les violences subsistent. L'article premier est particulièrement important et je voterai ce texte avec joie.

Jacques Chirac disait en 2000 que le temps de l'enfance est court et ne se rattrape pas. Donnons à nos enfants la possibilité de vivre ce temps si précieux pour leur épanouissement sans violences. (Applaudissements sur tous les bancs, à l'exception de ceux du groupe CRCE)

Mme Laurence Rossignol .  - C'est un moment très heureux que nous vivons au Sénat. Je dis à nos collègues qui s'émeuvent de nos deux votes : c'est comme deux lectures d'un même texte. Merci à Marie-Pierre de la Gontrie et au Gouvernement. Merci à Maud Petit, que je salue, à la tribune. L'essentiel est que le texte soit adopté.

Merci au président de la commission des lois, à la vice-présidente, au ministre, de leur soutien, aux membres des associations, à Edwige Antier, qui déposât la première proposition de loi, également présente aujourd'hui en tribune. C'est une loi historique, la suite d'une longue chaîne de textes remontant à celui du IVe siècle après J-C qui mettait fin au droit de vie et de mort du paterfamilias sur ses enfants. Je songe aussi à la loi de 1841 qui interdit le travail des enfants.

C'est une belle célébration du 100e anniversaire de la création par la Société des Nations du Comité international des droits de l'enfant, sur la base des travaux de Janusz Korczak sur la dignité de l'enfant. Qu'hommage lui soit rendu, lui qui a accompagné les enfants jusqu'aux camps d'extermination... 

Ce n'est pas la première fois que nous votons des limites à la liberté éducative. Le code Napoléon autorisait au nom de cette liberté le père à faire emprisonner son enfant pendant un mois sans justification ! Oui, la liberté éducative est limitée, notamment par le devoir d'instruire les enfants.

Un collègue parlait d'une « vraie » violence contre laquelle nous ne ferions rien. Or nous ne laissons pas nos enfants sans protection ; et est-il une « vraie » violence opposée à une « moindre » violence ? Si l'on définit la violence comme l'abus de force physique, il n'y a que des grandes violences pour l'enfant, car le rapport de force est disproportionné.

Il y a quelques années, de tels textes provoquaient des ricanements. Nous avons évolué, avec la société, l'opinion, le Sénat aussi et nous sommes mûrs pour que cette loi civile, et non pénale, soit désormais partagée par tous. (Applaudissements)

M. Marc Laménie .  - Je m'associe aux propos de mes collègues, huit sénatrices sur dix ! Je salue aussi le travail de la commission des lois. Merci, spécialement, parmi tous les parlementaires qui ont porté ce texte, à Maud Petit et Laurence Rossignol.

Monsieur le ministre, vous avez insisté sur l'accompagnement des parents, qui implique un travail pédagogique considérable. Il y a beaucoup à faire et je salue particulièrement, parmi vos actions, le passeport des 1 000 jours.

Il s'agit d'humains, de drames, bien sûr. Mais le volet financier est particulièrement crucial, qu'il concerne le budget de l'État ou celui de la sécurité sociale. Aidons les assistantes maternelles, les services des conseils départementaux qui travaillent dans l'ombre.

La commission des lois a été saisie au fond, car le code civil est modifié, mais toutes les commissions sont concernées.

Ne tombons pas dans la banalisation, alors qu'il y a derrière cette question des drames humains. Maire d'un village de 160 habitants de 2001 à 2017, j'ai eu l'occasion de citer à plusieurs reprises l'article 271-1 du code civil, lors des mariages que j'eus la chance de célébrer.

Le groupe Les Républicains votera ce texte. (Applaudissements)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

ARTICLE PREMIER

M. Olivier Paccaud .  - Il est des habitudes éducatives qui font mal. Fessées et petites gifles ne sont pas anodines. Elles fragilisent, sont parfois le terreau des comportements graves.

Que celui qui n'a jamais pêché jette la première pierre ! Il est aisé de donner des leçons de morale... Cette proposition de loi doit faire prendre conscience que jamais la violence n'est la solution.

Soyons cependant conscients de nos limites. En effet, il est une maltraitance sournoise, encore plus dangereuse : l'indifférence.

Jean-Jacques Rousseau, cité pour ses préceptes éducatifs, a peut-être bien écrit mais il a mal agi : il a abandonné tous ses enfants à l'assistance publique. À chacun ses maîtres !

L'article premier est adopté, de même que les articles premier bis et 2.

La proposition de loi est définitivement adoptée.

(Applaudissements unanimes)

Prochaine séance, demain mercredi 3 juillet 2019, à 14 h 30.

La séance est levée à 19 h 50.

Jean-Luc Blouet

Direction des comptes rendus