Organisation du système de santé (Procédure accélérée - Suite)
M. le président. - L'ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote par scrutin public solennel sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à l'organisation à et à la transformation du système de santé.
Seconde délibération
M. le président. - Auparavant, la commission des affaires sociales demande qu'il soit procédé à une seconde délibération de l'article 28. (Mouvements à gauche)
Je rappelle qu'en application de l'article 43, alinéa 4 du Règlement, tout ou partie d'un texte peut être renvoyé, sur décision du Sénat, à la commission, pour une seconde délibération, à condition que la demande de renvoi ait été formulée ou acceptée par le Gouvernement.
Le Gouvernement accepte-t-il cette demande de seconde délibération ?
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. - Oui.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - C'est glorieux !
Mme Laurence Rossignol. - Quelle honte !
Mme Agnès Buzyn, ministre. - Sur l'interruption volontaire de grossesse, je ne peux être suspectée d'aucune façon. (On ironise sur les bancs du groupe SOCR.) Chacun le sait, je suis particulièrement attachée à l'amélioration des droits sexuels et reproductifs des femmes. Le délai de recours à l'IVG varie selon les pays, tout comme les systèmes de prise en charge. Mon objectif premier est que toutes celles qui le souhaitent puissent bénéficier d'une IVG sûre et de qualité, dans tous les territoires.
Je serai intraitable et me battrai inlassablement car les menaces pesant sur ce droit sont constantes - l'actualité internationale le montre.
Nous devons poursuivre nos efforts pour assurer une offre de proximité diversifiée, réelle et accessible, répondant aux besoins des territoires. Je reviendrai présenter au Parlement les résultats de l'enquête lancée auprès des ARS sur les difficultés d'accès à l'IVG. Voilà pourquoi j'ai soutenu l'amendement de Mme Rossignol rétablissant le rapport du Gouvernement au Parlement sur cette question. Il sera rendu en fin d'année.
Mais j'estime, en conscience et en responsabilité, que les conditions dans lesquelles le Sénat s'est prononcé vendredi dernier sur l'allongement du délai pour recourir à une IVG n'étaient pas satisfaisantes (On ironise sur les bancs du groupe SOCR.) - d'abord compte tenu des circonstances particulières du vote, ensuite parce que le projet de loi concerne l'organisation des soins. (On se récrie sur les bancs du groupe SOCR.)
Je sais cependant que cette demande d'allongement du délai est soutenue par le Planning familial, acteur incontournable du droit des femmes, dont je recevrai les représentants. Je veux réunir les conditions pour que le débat ait lieu dans un cadre plus adapté. (Mme Marie-Pierre de la Gontrie s'exclame.) L'importance du sujet le justifie. Aussi le Gouvernement est-il favorable à une seconde délibération. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UC, LaREM et Les Indépendants)
Mme Laurence Rossignol. - Je salue les applaudissements soutenus dont la ministre vient de bénéficier de la part de la droite... (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. François Grosdidier. - Nous ne sommes pas sectaires, nous !
Mme Laurence Rossignol. - Les conditions de vote sur l'amendement étendant le délai de recours à l'IVG n'auraient pas été satisfaisantes ? Pourquoi ne pas en dire autant des votes sur les autres amendements adoptés le même jour ? Parce que ces amendements-là vous convenaient, à vous et à la droite sénatoriale ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et CRCE)
Ce vote serait moins légitime parce que nous étions vingt-deux dans l'hémicycle ? En réalité, à la différence des autres votes sur l'IVG, celui-ci a été le fait des présents, et non des absents que l'on fait voter par scrutin public ! Le Sénat est bien le seul endroit où les absents ont toujours raison ! (On renchérit sur les bancs des groupes SOCR et CRCE.)
Nous n'aurions pas assez débattu ? Il y a de nombreux sujets sur lesquels nous ne sommes pas tous très informés. Mais l'allongement de deux semaines du délai de recours à l'IVG est un sujet sur lequel nous avons travaillé, c'est un sujet connu, identifié dans des cercles qui ne sont peut-être pas ceux que vous fréquentez, chers collègues... (Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains ; applaudissements sur les bancs des groupes CRCE et SOCR) mais que moi je fréquente, comme ceux du Planning familial.
Bref, ce que font aujourd'hui la droite sénatoriale et le Gouvernement réunis n'est qu'une petite combine de procédure pour s'opposer à une avancée très attendue sur l'IVG. (Applaudissements sur les bancs des groupes CRCE et SOCR)
M. le président. - J'ai été saisi par le groupe Les Républicains d'une demande de scrutin public sur la seconde délibération. (On ironise à gauche.)
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Courage, fuyons !
À la demande du groupe Les Républicains, la demande de seconde délibération sur l'article 28 est mise aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°147 :
Nombre de votants | 320 |
Nombre de suffrages exprimés | 319 |
Pour l'adoption | 232 |
Contre | 87 |
Le Sénat a adopté.
M. le président. - Conformément à l'article 43, alinéa 5, de notre Règlement, lorsqu'il y a lieu à seconde délibération, les textes adoptés lors de la première délibération sont renvoyés à la commission, qui doit présenter un nouveau rapport. La commission va donc se réunir.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. - Nous aurons besoin d'une demi-heure au plus.
La séance, suspendue à 15 h 15, reprend à 15 h 55.
ARTICLE 28
M. le président. - Amendement n°A-1, présenté par M. Milon, au nom de la commission des affaires sociales.
Supprimer cet article.
M. Alain Milon, rapporteur de la commission des affaires sociales. - Cet article introduit contre l'avis de la commission et du Gouvernement, qui prolonge de deux semaines le délai d'accès à l'IVG, ne se rattache au projet de loi que de manière très ténue, du fait de la présence, à l'article 17, d'une mesure de simplification supprimant l'obligation pour les professionnels de santé de réaliser, à des fins statistiques, un bulletin papier pour chaque IVG.
Il intervient sans aucune concertation préalable sur ce sujet, notamment avec la communauté scientifique et médicale.
Ce n'est pas dans ces conditions ni dans ces circonstances, au terme de l'examen d'un texte portant sur l'organisation du système de santé, qu'un débat sur le délai d'accès à l'IVG doit être mené et tranché.
Mme Agnès Buzyn, ministre. - Avis favorable.
Mme Éliane Assassi. - L'IVG fait l'objet de multiples campagnes visant à remettre en cause ce droit. Car l'IVG est un droit !
M. Rachid Temal. - Bravo !
Mme Éliane Assassi. - La proposition d'allonger le délai de deux semaines émane de professionnels de santé, du Planning familial. Cet amendement s'inscrit pleinement dans le débat sur la désertification médicale : c'est la pénurie de médecins et de structures pratiquant l'IVG qui rend nécessaire ce délai supplémentaire !
Présente vendredi, je considère que les débats se sont bien déroulés et que le Sénat a voté en responsabilité. L'argument du faible nombre de sénateurs dans l'hémicycle ne tient pas, car rien n'empêchait la commission ou le groupe Les Républicains de demander un scrutin public. Pourquoi ne l'avez-vous pas fait ?
La privatisation d'ADP a été votée à l'Assemblée nationale en présence de 45 députés, à 6 heures du matin, et vous n'avez pas demandé de seconde délibération pour autant... (Applaudissements sur les bancs des groupes CRCE et SOCR)
M. Bruno Sido. - Cela n'a pas la même gravité.
Mme Éliane Assassi. - ... car la majorité à l'Assemblée nationale et le Gouvernement y étaient favorables ! Il y a bien deux poids, deux mesures.
Cette seconde délibération est un coup de force contre l'expression démocratique de notre Haute Assemblée. (Applaudissements sur les bancs des groupes CRCE et SOCR)
Mme Laurence Rossignol. - Nous avons passé cinq jours la semaine dernière à chercher des solutions contre la désertification médicale et, en ce qui me concerne, contre les conséquences des fermetures massives de maternités sur l'accès à l'IVG. Je regrette que mon amendement instaurant un centre de planification et d'orthogénie dans chaque hôpital de proximité ait été rejeté. S'il avait été adopté, peut-être ne parlerions-nous pas dans les mêmes termes de celui-ci.
Je ne peux laisser dire que l'allongement du délai à quatorze semaines appellerait un nouvel allongement à seize puis à dix-huit semaines, et ainsi de suite. C'est mal connaître les femmes. Plus vite une femme qui ne peut garder un enfant avorte, mieux c'est ! (Exclamations à droite) Aucune ne se dit, voyant qu'il lui reste deux semaines avant de demander une IVG, qu'elle a le temps de partir en vacances... (Protestations à droite)
Quelque trois à cinq mille femmes partent chaque année avorter à l'étranger. Soit par manque d'accès aux soins, en raison de la désorganisation des services ou du manque de médecins - les vacances d'été sont dramatiques, de ce point de vue - soit pour des raisons personnelles. Les trois quarts des femmes qui pratiquent un avortement sont sous contraception ; elles ne comprennent pas tout de suite qu'un retard de règles est dû à une grossesse. Sans parler des mineures qui ne savent pas ce qui leur arrive et ont peur d'en parler... Voilà de bonnes raisons d'allonger le délai de recours à l'IVG de deux semaines, comme c'est le cas dans bien d'autres pays.
Chers collègues, votre décision accroîtra les injustices sociales. Celles qui en ont les moyens iront à l'étranger - merci aux pays voisins de faire ce que l'on ne veut pas faire... - et les autres se débrouilleront !
Madame la ministre, votre liste aux Européennes a promu le pacte Simone Veil, le bouquet législatif, la solidarité entre toutes les femmes de tous les pays d'Europe pour de meilleures lois sur l'IVG. Quel message envoyez-vous à présent ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et CRCE)
Hier, dans le Journal du Dimanche, Mme Schiappa appelait la gauche à rejoindre le parti unique En Marche. Si En Marche, c'est cela, non merci ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et CRCE)
Mme Françoise Laborde. - Sur un sujet aussi important et sensible, prenons de la hauteur et débattons de façon dépassionnée. Le droit à l'IVG a été considérablement amélioré ces dernières années : passage de dix à douze semaines de délai en 2001, gratuité pour toutes les femmes en 2013, suppression de la condition de détresse en 2014, suppression du délai minimal de réflexion d'une semaine en 2016, autorisation pour les sages-femmes de pratiquer une IVG médicamenteuse et, pour les centres de santé, une IVG instrumentale en 2017, extension du délit d'entrave aux sites anti-avortement insidieux...
M. Roland Courteau. - C'est la gauche !
Mme Françoise Laborde. - Notre groupe, après en avoir longtemps débattu, ne prendra pas part au vote, comme il n'a pas pris part au vote sur la seconde délibération. En effet, le Sénat a rétabli l'article 27 qui prévoit la remise d'un rapport sur l'accès effectif à l'IVG dans les territoires, y compris les refus de certains praticiens de la pratiquer.
Il nous apparaît indispensable de prendre le temps d'une réflexion très approfondie sur un tel sujet, notamment au regard de ce qui se pratique chez nos voisins - il y a mieux, mais il y a aussi pire. Le présent projet de loi n'est pas le bon véhicule législatif. Donnons-nous le temps et les moyens de nos ambitions dans le futur projet de loi bioéthique. Nous ne voulons pas rentrer dans des polémiques qui ne nous semblent pas constructives. (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE, LaREM et sur quelques bancs du groupe UC)
Mme Corinne Imbert. - Ce sujet relève en effet plus d'une loi bioéthique et ne doit pas être traité au détour d'un texte sur l'organisation du système de santé.
Fin 2000, le Comité consultatif national d'éthique (CCNE), saisi par le président de l'Assemblée nationale et le président du Sénat sur l'allongement de dix à douze semaines, estimait que la question devait « relancer les interrogations sur les circonstances et les facteurs qui conduisent plus de 200 000 femmes par an à vouloir interrompre leur grossesse » et concluait que le débat se situait en amont et non pas seulement sur l'allongement du délai légal. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains ; Mme Esther Benbassa s'exclame.)
Mme Laurence Cohen. - En résumé, il est urgent d'attendre !
Les associations, le Planning familial nous alertent : le droit à l'IVG est remis en cause. (Exclamations à droite) Trois à cinq mille femmes se rendent chaque année à l'étranger pour avorter. Cela peut vous choquer, mais ce sont des faits ! Nous avons passé cinq jours à parler de l'offre de soins sur nos territoires. Pourquoi faudrait-il une loi à part pour l'IVG ?
La ministre nous promet une commission d'experts pour dresser un état des lieux. C'est la réponse systématique - mais les parlementaires, les associations sont aussi des experts ! Quand il s'agit du droit des femmes, on trouve toujours à imposer des limites...
Un mot sur la forme. Nous avons tous vu certains de nos amendements retoqués, mais celui-ci a passé le couperet de l'article 40 comme de l'article 45 et été considéré comme valide par la commission ! Il n'est pas venu en catimini. Pourquoi donc cette seconde délibération ? (Applaudissements sur les bancs des groupes CRCE et SOCR ; Mme Patricia Schillinger applaudit également.)
En résumé, le droit des parlementaires de l'opposition est surtout le droit de se taire ! (Applaudissements à gauche)
M. Alain Houpert. - J'interviens non en tant que sénateur mais en tant que praticien, radiologue. (Exclamations à gauche) J'ai à ce titre accompagné de nombreuses femmes dans leur projet d'IVG, j'ai ressenti leur douleur. À douze semaines, nous avons affaire à un embryon de 6,5 cm de distance crânio-caudale où l'on ne voit que le bourgeon germinal. À quatorze semaines, nous sommes face à un foetus, dont nous avons 99 % de chances de déterminer le sexe. Attention au risque d'eugénisme. (Exclamations à gauche)
Je ne suis pas un dangereux réactionnaire, j'interviens en tant que technicien (Mêmes mouvements) et je dis qu'il y a là un danger énorme. Comme disait Paul Valéry : il est urgent d'attendre et de réfléchir, dans la perspective de la loi bioéthique. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur plusieurs bancs du groupe UC)
Mme Annick Billon. - À titre personnel, je suis favorable au respect du droit à l'IVG pour toutes mais je souhaite un vrai débat sur ce sujet de fond. Tel n'est pas le cas aujourd'hui. Aussi je ne prendrai pas part au vote.
M. Rachid Temal. - Je ne suis pas médecin et m'exprime en tant que parlementaire. (M. Vincent Éblé applaudit.)
M. Gérard Longuet. - L'expérience ne nuit pas au débat !
M. Rachid Temal. - Cette seconde délibération repose sur une argutie juridique. Il y aurait donc de bons et de mauvais votes ?
Le discours de notre collègue Houpert revient à nier le droit des femmes à disposer de leur corps. Nous n'obligeons personne à quoi que ce soit, nous répondons à des situations de détresse ; nul eugénisme, simplement la garantie de pouvoir exercer un droit fondamental.
Il n'y aurait pas de lien avec le texte ? L'IVG est bien un sujet de santé publique ! Actons cette avancée. Je regrette que Mme Schiappa, qui prône les droits des femmes partout dans le monde, soit aux abonnés absents... Nous voulons adapter le droit à la réalité. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR et sur quelques bancs du groupe CRCE)
Mme Michelle Meunier. - C'est la première fois que je suis témoin de telles manoeuvres, la première fois que nous renvoyons une telle image. Cela ne grandit pas le Sénat.
Sur le fond, le dépassement des délais d'avortement est très souvent lié à la précarité sociale. Seules les plus aisées peuvent partir à l'étranger. Raison de plus pour faire progresser un droit arraché de haute lutte ! Inégalités sociales et territoriales : l'amendement de Mme Rossignol était pleinement dans le sujet. Je ne voterai pas l'amendement A-1. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)
Mme Monique Lubin. - Quand les collègues prennent la parole pour dire qu'en France, le droit à l'avortement n'est pas garanti et peut être remis en question, certains à droite sourient. Les propos de M. Houpert me confortent dans l'idée que le combat des pro-IVG est loin d'être gagné et que certains sont capables de remettre en cause ce droit fondamental. (Vives protestations à droite ; applaudissements sur les bancs du groupe SOCR ; Mme Patricia Schillinger applaudit également.)
Mme Sophie Primas. - C'est insupportable !
M. François Grosdidier. - C'est vous qui leur donnez des arguments !
M. Marc-Philippe Daubresse. - N'oubliez pas que c'est Simone Veil qui a porté le droit à l'IVG !
M. Michel Amiel. - Je parle non comme médecin mais comme parlementaire. Je me rappelle des débats de 1975, de l'avancée considérable que fut la loi Veil. Dans son esprit, l'IVG était une exception. C'est devenu un droit et c'est bien ainsi.
Mme Laborde a rappelé les évolutions du droit à l'IVG. L'allongement de douze à quatorze semaines n'est pas anodin et mérite une véritable réflexion. Certains cas, comme le viol ou l'éloignement trop important de l'accès aux soins, peuvent le justifier.
Au sein du groupe LaREM nous ne partageons pas tous le même point de vue. Je propose de débattre prochainement de ce sujet à l'occasion d'un temps réservé. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM ; MM. Alain Houpert, Philippe Pemezec et Mme Brigitte Micouleau applaudissent également.)
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Pourquoi une telle mise en scène ? Avec cette seconde délibération, vous rendez un mauvais service aux Françaises et à la France. Vous vous inscrivez dans le grand courant conservateur qui se développe partout en Europe, et surtout aux États-Unis. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. Bruno Sido. - Allons, bon !
Mme Sophie Primas. - Quel amalgame !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Depuis les débats de la loi Veil, on entend que la vie serait là dès la conception. Mais les Britanniques, les Espagnols, les Islandais ne sont pas moins humanistes, moins respectueux de la vie humaine que nous ! Scientifiquement, il n'y a rien de différent à avorter à douze ou à quatorze semaines.
La réalité, c'est que vous voulez faire reculer le droit à l'avortement ! (Vives protestations et huées à droite)
Le droit n'existe que dans la réalité, pas dans les textes. Or dans la réalité, vous faites reculer ce droit. Il doit s'appliquer partout, pour toutes. Vous creusez les inégalités et, au fond, remettez en cause la philosophie même de ce grand mouvement d'émancipation qu'était la loi Veil.
M. le président. - Il faut conclure.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Heureusement que la gauche était là à l'époque, et qu'elle l'est encore aujourd'hui ! (Applaudissements sur les bancs des groupes CRCE et SOCR ; huées à droite)
M. David Assouline. - Sur le fond, je rejoins l'argumentaire de Mme Rossignol. Mais la question est aussi de procédure. On nous dit que le débat n'était pas mûr et que le vote de vendredi dernier n'avait pas lieu d'être. L'amendement en question avait pourtant franchi la barrière de l'article 40 et de l'article 45 ; il n'a pas été jugé hors sujet. L'argument est fabriqué.
La majorité sénatoriale est de droite, soit, mais le vote est souverain, il n'a pas à être remis en cause. Il était tout à fait régulier. Revenir dessus, ce n'est pas banal.
M. Marc-Philippe Daubresse. - C'est la Constitution ! Quand on est vice-président, on devrait le savoir !
M. David Assouline. - J'espère que cela ne fera pas jurisprudence, sinon tout vote qui déplait à la majorité risque de subir le même sort ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)
Mme Samia Ghali. - Aux médecins, je voudrais dire que dans certains territoires, l'accès aux gynécologues relève du parcours du combattant. Dans les quartiers populaires comme dans les campagnes, il n'y a qu'un gynécologue pour cent mille habitants !
Mme Catherine Troendlé. - C'est vrai !
Mme Samia Ghali. - Cela signifie que le droit à l'IVG n'est effectif que pour certaines femmes : celles qui ont les moyens d'aller avorter à l'étranger. Les autres devront subir une grossesse non désirée. Songez-y, quand vous célébrez les femmes le 8 mars ! Ici, il s'agit de leur vie, de leur santé - de la protection de l'enfant aussi, car il n'y a rien de pire qu'un enfant qui n'est pas désiré et qui est abandonné. Ces sujets doivent tous nous interpeller, au-delà de nos divergences. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et CRCE)
Mme Corinne Féret. - Cette demande de seconde délibération renvoie une piètre image du Sénat. Vendredi, chacun s'est exprimé en conscience. Revenir sur ce vote n'est pas convenable.
Le droit à l'IVG est fondamental. Nous le considérons acquis, or il faut sans cesse le réaffirmer. L'allongement du délai de deux semaines est une mesure de justice sociale qui répond à la détresse des femmes qui n'ont pas les moyens de se rendre à l'étranger pour avorter. Comme le remboursement de l'IVG, c'est une réponse aux inégalités sociales qui entravent l'accès à l'IVG. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)
Mme Catherine Deroche. - Je voterai cet amendement. Quand on voit les problèmes de fond que pose l'article adopté vendredi, il est évident qu'il faut avoir un débat complet sur le sujet. (Protestations à gauche) Nous l'aurons ! On ne peut pas soupçonner Mme la ministre d'être hostile à l'IVG et aux droits des femmes ! N'inventez pas des choses qui n'existent pas. Il n'y a ici personne d'hostile à l'IVG. Notre groupe a une liberté totale de vote sur toutes les questions éthiques. Mais ne nous jetons pas à la figure des invectives qui ne s'imposent pas. Arrêtons les caricatures ! Je refuse d'être classée parmi les conservateurs hostiles à l'IVG ! (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC ; Mme Éliane Assassi proteste.)
Mme Françoise Gatel. - Certains ici pointent un problème réel : l'inégal accès sur le territoire à l'IVG. Personne n'a le monopole du coeur ni la capacité de faire la morale aux autres. (Nombreux applaudissements sur les bancs des groupes UC et Les Républicains)
Pourquoi 14 semaines seraient la réponse aux lacunes que vous pointez, à savoir les difficultés territoriales et sociales ? Je refuse d'être manipulée (Exclamations à gauche) et d'être traitée d'affreuse conservatrice alors que nous cherchons à comprendre. (Protestations à gauche ; applaudissements sur les bancs des groupes UC et Les Républicains)
M. Yves Daudigny. - Ni médecin ni femme (Sourires), je vous ferai part de la réaction sur internet d'une grande revue féminine - qui n'est pas connue pour être extrémiste - à l'article adopté vendredi : « le délai d'IVG allongé par le Sénat : un vrai plus pour les femmes », titrait-elle. « Cet amendement pourrait bien changer la vie de nombreuses femmes. Quand on découvre qu'on est enceinte et qu'on prend la décision d'avoir recours à une IVG, il faut garder en tête les délais. Jusqu'à maintenant l'IVG chirurgicale était possible que jusqu'à la douzième semaine de grossesse. Il fallait se lancer dans les démarches sans vraiment traîner et trouver l'établissement adéquat. C'est parfois beaucoup plus compliqué qu'auparavant, car de nombreux établissements qui pratiquaient l'IVG ont fermé. Les délais d'attente se révèlent souvent trop longs. Ces deux semaines supplémentaires pour avorter n'ont rien d'anodin ».
M. Pierre Laurent. - D'un côté, vous dites que le droit à l'IVG n'est pas en cause ; de l'autre, vous utilisez une procédure règlementaire exceptionnelle pour s'opposer à un article adopté en séance publique... Or, il ne s'agit pas de bouleverser la législation mais d'améliorer l'accès au droit à l'IVG.
Ce projet de loi ne va pas améliorer les conditions de recours à l'IVG alors que d'énormes problèmes sanitaires sont devant nous et que ce texte risque de les aggraver. Cet amendement protègerait davantage les femmes : or, vous dramatisez le débat ! Un droit n'a de sens que s'il se traduit dans la réalité.
Vous demandez du temps pour débattre de ce sujet, mais en même temps vous avez recours à la procédure accélérée. Une deuxième lecture aurait permis d'aller au fond des choses ! (Applaudissement sur les bancs du groupe CRCE et sur quelques bancs du groupe SOCR)
M. Roger Karoutchi. - Sur la forme, il ne s'agit pas d'une procédure exceptionnelle ! La demande de deuxième délibération figure dans la Constitution. Lors des lois de finances, c'est monnaie courante chaque année. Lorsque j'étais au Gouvernement, j'ai moi-même eu recours à cette procédure régulièrement. Nous sommes dans la logique parlementaire de la Ve République.
Je voterai l'amendement de la commission. Que ce soit sur l''avortement ou la fin de vie, nous avons besoin d'un texte bioéthique et nous avons besoin de temps. La loi Veil a été adoptée après 26 heures de débat. Ce n'est pas au détour d'un amendement qu'il faut tout changer. Un grand texte honorera le Parlement ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. Olivier Cadic. - Si nous étions vraiment progressistes, nous passerions de 12 à 24 semaines comme en Grande-Bretagne ou aux Pays-Bas.
L'IVG est un droit inaliénable des femmes à disposer de leur corps. À titre personnel, je ne voterai pas l'amendement de suppression, car je suis favorable aux 14 semaines.
En aucun cas, je jugerai ceux qui votent différemment. (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe UC dont ceux de Mme Annick Billon)
Mme Christine Prunaud. - Votre intervention, monsieur Karoutchi, met certains points au clair. Mais comment justifierons-nous notre revirement auprès de nos concitoyens ou du Planning familial ?
Je sais que quelques hommes et quelques femmes de droite sont favorables à l'IVG. Mais nous voulons ici traiter des cas de détresse, d'ignorance qui, à deux semaines près, détruisent la vie des femmes concernées.
Nul besoin d'un rapport ou d'une commission ! Préservons les IVG dans de bonnes conditions. (Applaudissements sur certains bancs du groupe CRCE)
Mme Marie-Pierre Monier. - Je suis choquée d'entendre que cet amendement serait le fait d'une manipulation, au détour d'un vendredi matin.
Lorsque j'explique notre travail, je dis que nous travaillons les textes en amont : cet amendement était connu bien avant vendredi matin. Si c'était si important pour ceux qui protestent, ils n'avaient qu'à être en séance et à voter contre vendredi ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et CRCE)
Je suis sénatrice depuis 2014 mais cela fait bien longtemps que le Planning familial interpelle le Parlement sur cette question. Je voterai contre la suppression de cet article. (Nouveaux applaudissements sur les mêmes bancs)
M. Alain Milon, président de la commission. - Revenir sur une délibération est fréquent. Ainsi, le 16 juillet 2014, un amendement d'Yves Daudigny avait été voté à l'unanimité par le Sénat et la ministre, Mme Touraine, était revenu dessus en demandant une seconde délibération avec vote bloqué. (Protestations à gauche)
La très grande majorité des pays européens ont fixé un délai d'avortement à 12 semaines à compter du début de la grossesse, soit 14 semaines d'aménorrhées. C'est le cas en France depuis la révision du délai par la loi du 4 juillet 2001, mais également en Allemagne, en Belgique, en Italie, au Danemark, en Autriche...
Les quelques pays qui autorisent l'avortement au-delà de ce délai ne le font qu'à des conditions très restrictives : au Royaume-Uni, en Espagne et en Finlande, l'avortement doit en effet encore être justifié par des raisons socioéconomiques, c'est-à-dire le viol, ou le danger que peut représenter la grossesse pour la femme, que celui-ci intervienne avant 12 semaines ou entre 12 et 24 semaines.
Par comparaison, la législation française opère une distinction entre une IVG à la demande de la femme et une interruption médicale de grossesse (IMG) pour motif de santé de la mère ou du foetus, une nuance qu'on ne retrouve pas dans les législations britannique ou néerlandaise. En France, une IMG peut être pratiquée jusqu'à la fin de la grossesse, notamment pour des causes psychosociales, comme le viol, mais aussi en cas de détresse psychosociale comme la prise de drogues ou des indications psychiatriques. Au Royaume-Uni ou en Espagne, les IMG pour motif médical ne sont possibles que jusqu'à 24 semaines.
Si le délai de 12 semaines à compter du début de la grossesse a été retenu par la plupart des pays européens, c'est également pour des raisons de faisabilité technique. Le geste médical nécessaire pour une IVG après ce délai n'est plus le même, et le protocole doit être révisé compte tenu des risques importants pour la femme enceinte après ce délai.
Plus qu'une question de délai, c'est donc bien un problème d'accès à l'IVG qui se pose pour certaines femmes, et ce problème peut se poser à 12 semaines passées, mais aussi à 14 semaines et même à 16 semaines.
Pour répondre à ce problème de façon opérationnelle, il convient d'encourager les professionnels de santé à plus de réactivité lorsqu'il s'agit d'orienter ou de rediriger les patientes, en leur rappelant qu'ils doivent sensibiliser très tôt les patientes sur le respect des délais pour procéder à une IVG, en tenant compte du délai pour manifester son consentement. Il faut aussi permettre à plus de généralistes de suivre un diplôme interuniversitaire de gynécologie ou un DU en orthogénie.
Il convient également d'établir une cartographie précise des structures pratiquant les IVG et, enfin, sanctionner les professionnels de santé qui, après avoir exercé leur clause de conscience, méconnaissent l'obligation qui leur est faite de réorienter les patientes vers un médecin ou un centre susceptible de pratiquer l'IVG : la commission avait souhaité inscrire un pouvoir de pénalité pour les organismes d'assurance maladie à l'encontre des professionnels ne respectant pas cette obligation, mais le groupe CRCE s'y était à l'époque refusé. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur quelques bancs du groupe UC)
À la demande du groupe Les Républicains, l'amendement n°A-1 est mis aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°148 :
Nombre de votants | 312 |
Nombre de suffrages exprimés | 307 |
Pour l'adoption | 205 |
Contre | 102 |
Le Sénat a adopté et l'article est supprimé.
La séance, suspendue à 16 h 50, reprend à 16 h 55.