Lutte contre la pollution et recyclage du plastique
M. le président. - L'ordre du jour appelle un débat sur la lutte contre la pollution et le recyclage du plastique, à la demande du groupe socialiste et républicain.
Mme Angèle Préville, pour le groupe socialiste et républicain . - Longtemps, nous avons cru que jeter ne prêtait pas à conséquence. Et ce matériau fantastique qu'est le plastique est devenu notre trouble-fête ; nous le retrouvons jusque dans nos assiettes. La faute à une consommation effrénée, à des usages éphémères : une bouteille pour un repas, un gobelet pour quelques gorgées...
Images terribles : un cachalot échoué dont l'estomac contient plus de 15 kg de plastique dont un filet de pêche de 13 m, une tortue à la carapace en forme de 8 qui a grandi sanglée par un anneau de canette. On recense des centaines d'espèces touchées par l'enchevêtrement et l'ingestion. Insouciance coupable, aveuglement incompréhensible, inconséquence condamnable. Par facilité, confort, hygiénisme excessif, il y aura, si nous ne faisons rien, plus de plastique que de poissons dans les océans en 2050.
Après la Deuxième guerre mondiale, le plastique, robuste et coloré, a peu à peu remplacé tous les autres matériaux. La France produit 5 millions de tonnes de plastique par an ; dans le monde, ce sont 10 tonnes par seconde. Depuis 1950, nous avons produit 8,3 milliards de tonnes, dont la moitié depuis 2000. Au total, seulement 9 % ont été recyclés, 12 % incinérés et le reste est dans la nature. On a vu un sac entier dans la fosse des Mariannes, à 10 000 m de profondeur !
En France, à peine plus de 20 % sont recyclés. La gestion non réglementée conduit à des déversements à ciel ouvert qui atteignent les aquifères et les plans d'eau. Les courants marins ont provoqué la formation de 5 continents plastique où flottent en moyenne 500 000 fragments par km2. Le plus important, celui du Pacifique nord, appelé le septième continent, couvre 7 millions de km2, l'équivalent d'un tiers de l'Europe ou de 6 fois la France. Notre mer Méditerranée présente, en certains endroits, des concentrations en microplastiques quasi-identiques à celles du fameux continent plastique au large de Nice et Cannes.
Le plastique n'est pas biodégradable, il restera toujours du plastique. Il se fragmente seulement, en morceaux de plus en plus petits. Dans sa fabrication entrent des additifs - anti-UV, antistatique, retardateurs de flamme et j'en passe. Ces additifs sont des perturbateurs endocriniens qui affectent la fertilité et le système nerveux ; ils sont classés parmi les cancérigènes. Une récente étude sur l'eau embouteillée a révélé une contamination microplastique dans 93 % des bouteilles pour 11 marques testées.
Les plastiques récoltés pour le recyclage nécessitent des décontaminations coûteuses. Ce que nous appelons recyclage plastique est en réalité du décyclage et une bouteille en plastique ne peut pas se recycler à l'infini. Qu'en est-il des vêtements produits à partir de matière recyclée ? Le polaire, tant vanté, se révèle être une source de polluant lors de passages en machine à laver où se détachent des fibres minuscules par abrasion qui polluent l'eau.
M. Roland Courteau. - Juste !
Mme Angèle Préville. - Chaque jour, la station d'épuration de Nice envoie ainsi 6 milliards de fibres en mer.
Au-delà, ces minuscules et invisibles fragments de plastique contamineront de façon invasive toute la chaîne alimentaire. Ces petits radeaux fixent les polluants persistants, les PCB et les dioxines.
La France est au 28e rang de l'Union européenne en matière de recyclage de plastique. Elle a même reporté à 2021 l'interdiction des pailles en plastique. L'enjeu est pourtant d'éviter une crise sanitaire sans précédent.
Attachons-nous à réduire de manière drastique notre consommation de plastique, en conservant seulement les plastiques irremplaçables et recyclés en circuit fermé comme c'est le cas pour les bouteilles. Ne tombons pas dans l'illusion du tout recyclage. Mieux vaut, comme le Costa Rica, interdire les plastiques à usage unique. Il est temps de mettre en place une véritable politique de lutte contre les plastiques par une réduction à la source et de la porter au niveau international. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et Les Indépendants ; MM. Éric Gold et Hervé Maurey applaudissent également.)
Mme Brune Poirson, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire . - Je vous propose un voyage aux origines du plastique. Il y a 1 600 ans, en Amérique du Sud, était réalisé le premier plastique, issu du latex, pour faire des balles ou des figurines. Issue de matières naturelles, il pouvait mourir en terre.
Chaque époque innove en fonction de ses besoins. L'augmentation de la population mondiale a accompagné la montée en puissance de la production du plastique fossile. À l'origine, c'était pour le meilleur : songeons à l'avancée médicale majeure qu'a représenté l'intubation. À cause des outrances de la société de consommation, la production plastique dépasse l'entendement : c'était, en 2016, 120 kg par Français et par an. C'est très clairement de la surconsommation. À l'échelle mondiale, nous déversons chaque minute l'équivalent d'un camion poubelle de plastique dans la mer. C'est insoutenable.
Face à cette situation, quel rôle pour l'État ? Que la France, ce petit pays, peut-elle faire ? Être exemplaire et mobiliser. Le président de la République a fixé deux objectifs très clairs : réduire de moitié la quantité de plastique en décharge et parvenir à 100 % de plastique recyclé d'ici 2025. Première victoire, la directive européenne sur la fin des produits à usage unique, portée par la France.
Notre stratégie décline plusieurs volets. D'abord, lutter contre les usages inutiles et superflus en supprimant les plastiques à usage unique mais aussi en transformant notre système de production. Ainsi de l'incohérence à commercialiser un brocoli bio dans une barquette en plastique... Nous voulons encourager la vente en vrac. D'ici cet été, je vous présenterai un projet de loi sur l'économie circulaire.
Deuxième pilier, le 100 % recyclé, au plus vite. Il faut, pour cela, nous assurer que les filières sont matures et que la demande en plastique régénéré croisse. C'est ce que nous faisons.
Dernier pilier, le boom de la recherche et développement dans le secteur, notamment les solutions biotechnologiques et chimiques, en s'appuyant sur les compétences innées de la nature car je suis persuadée qu'elle est notre meilleure alliée.
Une stratégie victorieuse est toujours servie par une méthode pragmatique, qui vise des résultats pratiques dans les plus brefs délais. L'objectif de 100 % de plastique recyclé paraît utopique mais les premiers résultats sont là. La feuille de route a mis les acteurs sous tension, des industriels du secteur se sont engagés à utiliser 1 million de tonnes de plastique recyclé d'ici 2020, contre 300 000 aujourd'hui. Il ne convient pas de brutaliser notre appareil industriel. Donnons plutôt des objectifs ambitieux aux filières tout en accompagnant l'adaptation par un système de bonus-malus et l'amélioration de la collecte.
Cette transformation est un vivier d'opportunités : une tonne de matière recyclée crée dix fois plus d'emplois qu'une tonne de matière enfouie. Ceux qui entrent dans la boucle de l'économie circulaire auront tout à y gagner ; pour les autres, la contrainte ira croissant.
Les 50 mesures de la feuille de route de l'économie circulaire sont en cours de mise en oeuvre à 95 %.
M. le président. - Veuillez conclure.
Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - Que les citoyens aient abordé, lors du grand débat, les questions des déchets et du plastique, qui n'étaient pas dans le cadrage présidentiel initial, dit toute l'importance du sujet.
M. Guillaume Gontard . - Je ne reviendrai pas sur l'aberration écologique qu'est l'usage du plastique. En quelques décennies, le plastique est devenu si incontournable qu'il semble impossible de s'en passer. Même pour supprimer les pailles en plastique, nous avons tergiversé et je ne parle pas de la difficulté à envisager, au sein même du Sénat, la fin des verres et bouteilles en plastique. (M. Roland Courteau approuve.) Pourtant le commerce international ne s'est pas effondré après l'interdiction des sacs en plastique !
Il est incompréhensible que la France recycle seulement un petit quart du plastique qu'elle produit. Nous sommes très loin de la moyenne européenne de 30 % et de l'Allemagne qui recycle plus de 40 %. Que penser des absurdités comme les fruits épluchés sous plastique ? Pourquoi ne pas inciter au recyclage par une consigne contre des tickets de transport comme à Sidney, Istanbul et Pékin ? Mais il faut aller plus loin et interdire le plastique non recyclable ; cela simplifierait les consignes de tri trop confuses.
Madame la ministre, que proposez-vous pour le commerce en vrac, seule alternative crédible ? Le Gouvernement vous soutient-il dans ce domaine ?
Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - C'est une question essentielle que le Gouvernement s'est posée dans les mêmes termes.
Nous nous sommes fixés pour objectifs de supprimer les plastiques inutiles, faire en sorte que les plastiques nécessaires soient recyclés à 100 % - nous avons mis en place un bonus-malus dans ce but - et allons identifier les meilleurs systèmes de collecte innovante et solidaire et, enfin, encourager massivement le réemploi et le vrac. Nous avons ainsi signé avec treize industriels un pacte national sur les emballages plastiques très ambitieux, avec des engagements publiquement vérifiés chaque année par des associations telles que WWF.
M. Joël Bigot . - Alors que débute au siège de l'Unesco une semaine scientifique où l'on portera haut la protection de la biodiversité, notre taux de recyclage du plastique effleure les 22 % alors que la moyenne européenne est à 31 %.
L'action diplomatique de la France, sous le précédent quinquennat, a été déterminante pour la réussite de la COP21. Mais qu'en est-il de nos actions concrètes ? Madame la ministre, vous avez signé fin février dernier, le pacte national sur les emballages plastiques qui invite les entreprises, sur la base du volontariat, à mettre en place des stratégies de gestion de déchets. Et les autres ? Celles qui ne sont pas volontaires et ne respectent pas leurs obligations légales prévues par la loi pour la transition énergétique de 2015 ?
Nous attendons avec impatience votre projet de loi sur l'économie circulaire, le premier jet était décevant.
Un projet de consortium visant à mettre en place une consigne sur les bouteilles plastiques serait à l'étude sans que les collectivités territoriales y soient associées. Pouvez-vous nous en dire plus ? La filière de collecte séparée pourrait être menacée, l'Ademe n'y est pas favorable.
Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - La feuille de route sur l'économie circulaire représente un changement majeur. Les collectivités territoriales se sont beaucoup impliquées comme les entreprises et les associations. Je m'étonne donc de votre remarque préliminaire, tant l'engagement de la France est grand.
Nous envisageons, en effet, une consigne sur les emballages plastiques et l'aluminium. Il y a d'abord eu des levées de boucliers des entreprises, mais aussi de l'administration et des collectivités. Aujourd'hui, c'est le contraire : il faut refréner les ardeurs des industriels pour maintenir les collectivités territoriales dans la boucle. Nous travaillons étroitement avec elles. Chaque acteur doit en avoir pour son argent.
M. Joël Bigot. - On a demandé aux collectivités des structures d'une capacité minimale de 30 000 tonnes. Si l'on met en place une consigne sur le plastique, il y aura un problème d'approvisionnement ; l'Ademe l'a bien noté. Autre sujet, la responsabilité des émetteurs ; elle est insuffisamment prise en compte.
M. Éric Gold . - Quelque 365 particules de microplastique par mètre carré et par jour ont été retrouvées dans la station météorologique de Bernadouze dans les Pyrénées située à 1 500 mètres d'altitude, dans une zone Natura 2000, à 5 kilomètres du village le plus proche. C'est dire qu'aucun territoire n'est à l'abri. Élu du Puy-de-Dôme, connu pour ses grands espaces et son air pur, je m'inquiète naturellement de ces résultats.
Les microplastiques s'accumulent dans les sols et cours d'eau ; ils sont transportés par le vent, l'eau, la neige. Ils s'intègrent durablement dans nos écosystèmes. Dans le Pacifique, 94 % des 2 000 milliards de déchets plastiques sont des microparticules. Ce sont les plus difficiles à traiter. Les risques pour la biodiversité sont majeurs. Les scientifiques prévoient une sixième extinction de masse. La filière cosmétique, les fibres synthétiques les utilisent massivement. Allez-vous contraindre les industriels à modifier leur mode de production ?
Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - Il existe des alternatives aux microbilles plastiques. La France a montré la voie en interdisant leur usage dans les cosmétiques par la loi Biodiversité de 2016. Nous voulons la généralisation de cette mesure au niveau européen. La Commission européenne a saisi l'Agence européenne des produits chimiques, qui a préconisé en janvier 2019 une restriction des microplastiques dans les cosmétiques mais aussi dans les détergents, fertilisants et pesticides.
J'ai demandé à la Commission de prévoir des mesures pour récupérer les microplastiques issus des textiles en machine. Dans le cadre du G7, nous soutenons également l'installation de filtres dans les machines à laver mais aussi dans les stations d'épuration.
M. Claude Kern . - Le plastique illustre notre économie linéaire. La France n'a pas su entraîner tous les secteurs économiques dans une dynamique d'écoconception et de recyclage. Les engagements pris se concentrent sur quelques annonces, ne traitent pas les plastiques non recyclables ou le partage des coûts entre amont et aval. Il faut renforcer la responsabilité des émetteurs.
Il faut imposer un plan de prévention et d'écoconception aux entreprises, mettre en place de nouvelles REP, entre autres. Comment entendez-vous, madame la ministre, poursuivre concrètement ces objectifs ?
Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - Oui, la France est en retard par rapport à ses voisins et par rapport à l'urgence. L'effort, pourtant, est réel et nous voyons les premiers résultats avec une augmentation de 12 % de l'usage de plastique recyclé. La loi qui arrivera avant l'été ira plus loin, en fixant notamment l'éco-contribution, fonctionnant comme une incitation à réduire l'utilisation du plastique.
Passer d'une économie linéaire à une économie circulaire est un changement profond et radical, mais urgent pour les Français et les entreprises. C'est également un encouragement à la création d'emplois non délocalisables et qui ont du sens.
M. Claude Kern. - Le septième continent plastique témoigne de l'urgence. Nous sommes très amers face au vote de l'Assemblée nationale contre celui du Sénat à propos des plastiques à usage unique, le jour même de la journée mondiale de mobilisation pour le climat.
M. Jérôme Bignon . - Le plastique ne disparaît pas, il se désagrège. La biodiversité en fait les frais. Le meilleur plastique est celui que l'on ne produit pas. En France, 75 % des emballages plastiques sont collectés mais seulement 26 % recyclés. Des progrès sont faits, grâce à l'utilisation de nouvelles technologies comme les enzymes bactériennes.
Problème fondamental, le plastique vierge coûte beaucoup moins que le plastique recyclé. Madame la ministre, allez-vous agir sur son prix, créer une filière de recyclage consolidée et lutter contre la pollution issue du retraitement ?
Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - Premièrement, des industriels de la filière se sont engagés à utiliser 1 million de plastiques recyclés, contre 300 000 actuellement. Ce qui est aujourd'hui volontaire deviendra obligatoire demain. Deuxièmement, un système de bonus-malus plus incitatif responsabilisera financièrement les fabricants. Celui qui a été fixé en janvier dernier sur les emballages en polyéthylène ne représente qu'un début.
Troisième élément, un taux minimum de plastique recyclé imposé, par exemple sur les bouteilles en plastique.
Enfin, d'autres leviers peuvent être mobilisés ; le label bas carbone pourrait être étendu au secteur du recyclage. Concernant le risque de pollution plastique dans les biodéchets, la loi prévoit une norme de compostage domestique plus exigeante que chez certains de nos voisins. Ces normes pourront être encore renforcées.
Enfin, j'ai missionné Alain Marois pour élaborer un pacte de confiance visant à renforcer les exigences de qualité de matières fertilisantes issues des biodéchets.
M. Jérôme Bignon. - N'oublions pas d'aider les collectivités territoriales à équiper leurs centres de tri en équipements innovants. Elles seront aussi une des clés du succès.
M. Jean-Marc Boyer . - Les images de bouteilles en plastique flottant sur les mers choquent, mais il ne faut pas céder pour autant au plastique bashing. Faisons le point sur la recherche, les dangers, avérés ou non, pour la santé, les alternatives innovantes, adaptées aux réalités.
S'il est urgent de trouver des solutions de substitution, n'oublions pas que le secteur du plastique représente des milliers d'emplois, notamment dans l'embouteillage.
Une société puydômoise produit des bouteilles issues à 100 % de plastique bio-recyclé. C'est une innovation porteuse, avec 6,3 milliards de tonnes de déchets plastiques. Quels moyens techniques et financiers l'État compte-t-il engager pour soutenir les solutions innovantes pour la transition énergétique, tout en tenant compte des réalités économiques ?
Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - Nous sommes pleinement conscients que des changements brutaux nuisent à l'acceptabilité sociale des politiques environnementales. Nous serons intraitables sur la pollution plastique, nous voulons aller au plus vite vers une économie circulaire, mais veillons à ne laisser personne sur le bord du chemin. Ainsi, avec Muriel Pénicaud, nous allons accélérer la formation et l'apprentissage dans la perspective d'éventuelles reconversions. La recherche de solutions innovantes bénéficie aussi du programme d'investissements d'avenir, d'autant que c'est dans le recyclage que se trouvent les emplois.
M. Frédéric Marchand . - Difficile, voire illusoire, de se passer complètement du plastique, tant il est omniprésent. Le plastique, c'est fantastique - mais catastrophique quand il n'est pas recyclé.
Pour atteindre l'objectif de 100 % de plastique recyclé, il faut faire entrer les industriels dans la boucle.
D'ici sept ans, il y aura deux fois plus de matières premières recyclées dans notre quotidien. Cela suppose d'améliorer la collecte et de mieux informer les consommateurs. Il faut encourager le développement des bioplastiques, dont la France produit deux millions de tonnes par an, soit 1 % du marché. Ils permettent de valoriser les biodéchets, un tiers des poubelles résiduelles des Français, via le compostage.
Quelles mesures pour rendre la collecte plus efficace et moderniser les centres de tri ?
Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - Merci pour votre soutien sans faille et sans concession à nos travaux sur la feuille de route sur l'économie circulaire.
Le terme « biodégradable » engendre une confusion car il laisse croire que ces plastiques peuvent être abandonnés dans la nature. Or ils ne se dégradent que dans des conditions très précises ; il faut un site industriel spécialisé ou un composteur individuel bien géré. Attention à ce que le remède ne soit pas pire que le mal ! C'est pourquoi il faut informer sur les produits. Nous intégrerons cette question dans notre projet de loi anti-gaspillage.
Nous accompagnons les collectivités territoriales dans le cadre du PIA et mettons à contribution les éco-organismes, avec des objectifs de performances.
M. Bernard Jomier . - J'ai le sentiment que nous sommes très forts pour fixer des objectifs à 2030, 2040, 2050. Mais quid de 2019 ? Nous faisons surtout des sauts de puce. Or dix sauts de puce ne vaudront jamais un bond de kangourou.
Ma question porte sur la santé. Les plastiques contiennent des substances - phtalates, bisphénol, trioxyde d'antimoine - qui ont été identifiées comme cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques. C'est notre mode de gouvernance en santé environnementale qui est en cause. Nous peinons à retirer les substances identifiées comme nocives. Comptez-vous modifier cette gouvernance ?
Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - J'estime avoir fait quelques bonds de kangourou. Certes, ils ne seront jamais suffisants. Mais nous oeuvrons au niveau international, même si c'est parfois à bas bruit : la France se mobilise à l'échelle européenne pour obtenir une stratégie transversale sur les perturbateurs endocriniens, dans les cosmétiques ou les jouets notamment.
Pour prendre des décisions, il faut des preuves scientifiques. Avec Mme Loiseau, nous avons insisté pour que l'EFSA, l'Autorité européenne de sécurité des aliments, rende son système d'évaluation des substances chimiques plus indépendant des industriels.
Nous voulons aller plus loin, y compris au niveau national. Ainsi, la France sortira du glyphosate d'ici trois ans contre cinq ans pour l'Union européenne - cela aurait été quinze ans sans la France. Je conclus en citant encore un saut de kangourou : les engagements à recycler sont passés de 300 000 tonnes de plastique à un million !
M. Bernard Jomier. - Le ministère de la Santé reste un ministère du soin, sans direction consacrée à la santé environnementale ; et que dire de la composition du conseil d'administration de l'Anses ou de la répartition chaotique entre les différents organismes ?
Mme Françoise Férat . - Nathalie Goulet a déposé une demande de commission d'enquête sur la lutte contre les déchets plastiques, à laquelle je me suis jointe.
La question est celle de l'acceptabilité par le consommateur. On demande aux industriels de réduire le poids de leurs emballages plastiques, mais c'est le consommateur qui décide. Certains rejettent les bouteilles plus légères, jugées trop bas de gamme.
Il faut que le consommateur change ses habitudes d'achat, accepte de voir ses produits favoris évoluer, se détourne des objets à usage unique. Des solutions existent !
Il faut également soutenir la substitution des produits du pétrole par des biomatériaux issus de biodéchets. En outre, la plante capte le carbone lors de la photosynthèse. Quelque 70 % des familles de polymères sont susceptibles d'être biosourcées.
Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - Vous évoquez le rôle actif des consommateurs, ou consomm'acteurs. Pourtant, beaucoup de jeunes me disent qu'ils veulent agir sans attendre les industriels. C'est à l'État de donner aux uns et aux autres les moyens d'agir.
Nous avons commencé à agir concrètement. Les entreprises nous disent en effet que les consommateurs n'aiment pas les produits biosourcés, mais c'est le contraire qui est constaté lors des tests. Idem pour la lutte contre les invendus et le gaspillage. Treize entreprises ont signé l'ambitieux pacte national sur les emballages en plastique, dont les objectifs sont mis en oeuvre dès aujourd'hui. Cela suppose des changements d'habitudes drastiques - et les consommateurs franchissent le pas, notamment les jeunes.
Il faut encourager les plastiques biosourcés, mais être très attentifs aux conséquences négatives possibles sur la biodiversité.
M. Patrick Chaize . - Certains plastiques sont plus recyclables que d'autres. Le PET, 100 % recyclable, est la deuxième matière d'emballage recyclée après le verre. Il peut s'inscrire dans une économie circulaire vertueuse.
Afin de disposer sur le territoire d'un plastique recyclable de qualité, il faut développer nos performances de collecte en nous inspirant de la Suisse ou de la Belgique par la mise à disposition obligatoire de poubelles multiflux. Il faut mettre fin au plastique bashing qui est irréaliste.
Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - Nous voulons mettre en place une filière industrielle du recyclage ; j'y travaille avec le ministre de l'économie. Nous explorons des solutions pour améliorer notre système de collecte. Cette révolution sera compliquée mais nécessaire.
Quelque vingt projets de consigne d'aluminium et de plastique sont en cours de mise en place sur le territoire. Nous voulons utiliser les écomodulations pour que le plastique recyclé reste compétitif face aux variations du cours du pétrole.
Je sais qu'il y a des champions du plastique dans l'Ain, territoire très riche, que j'ai pu découvrir avec Jean-Michel Blanquer. J'espère m'y rendre bientôt à nouveau. Il s'agit de garder cet avantage tout en s'adaptant à l'économie du XXIe siècle.
M. Patrick Chaize. - Vous êtes bien sûr invitée dans l'Ain.
Il ne faut pas généraliser : certains plastiques ont des vertus, il faut pouvoir le dire.
M. Roland Courteau . - Je souhaiterais des précisions sur le devenir des recommandations de mon rapport pour l'Opecst.
Les résidus de plastique sont partout. Chaque seconde, 200 kilos de plastique se retrouvent dans l'océan. En Méditerranée, on compte 100 000 à 900 000 microdéchets plastiques par kilomètre carré - autant que de planctons ! On en trouve jusqu'à 1 500 mètres d'altitude dans les Pyrénées ariégeoises. Quel sera le coût sanitaire ?
Il faut sortir de notre culture du tout jetable, réduire la production à la source en favorisant les alternatives. L'enjeu est aussi dans la collecte et le recyclage qui ne peut être infini. Quelles alternatives au plastique ? Quid du principe pollueur-payeur ? Quand peut-on espérer un traité mondial sur le sujet ?
Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - Merci pour votre implication sur le sujet et pour vos propositions pragmatiques et concrètes.
La France a fait de la lutte contre la pollution plastique des océans une priorité. Ce sera un axe important du G7 à Biarritz. Nous espérons réunir 20 à 25 % des pays dans une coalition pour envoyer un message aux autres.
La France entend être un fer de lance en accueillant à Marseille le congrès de l'Union internationale pour la conservation de la nature, qui préparera la COP 15 de la biodiversité.
Sans attendre, la France a élaboré le pacte national contre les emballages plastiques pour lutter contre les plastiques sur la terre ferme : une fois dans les océans, il est trop tard.
M. Roland Courteau. - Le plastique est une bombe à retardement pour la Méditerranée, pour la faune, la flore et la santé humaine. Je m'interroge sur la polymérisation. Il faut une mobilisation des États riverains, et un leader : je compte sur la France.
M. Pierre Cuypers . - « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs ; nous sommes tous responsables », déclarait Jacques Chirac à Johannesburg en 2002. La lutte contre les déchets plastiques doit être une priorité pour l'Europe. Or à ce jour, seuls 26 % des emballages plastiques sont recyclés. Beaucoup ne le sont pas pour des raisons techniques ou économiques. Or les plastiques souillés par des déchets alimentaires pourraient être valorisés s'ils étaient biosourcés et compostables.
La loi impose le tri à la source et la valorisation des biodéchets d'ici 2023. Je salue ce dispositif qui toutefois ne se suffira pas à lui-même. Encourageons le compostage sur site qui favorisera l'acceptabilité par les agriculteurs.
Alors que le Gouvernement a reconnu la pertinence des plastiques biosourcés compostables, il fait peu de chose pour en favoriser le développement. Quid de la bio-économie ? Le Gouvernement fait une erreur d'appréciation en délaissant la filière de compostage. C'est une question de courage politique. Osez et nous vous suivrons !
Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - En 2002, les mots suffisaient. Nous devons aujourd'hui rentrer dans le dur !
L'évaluation de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte n'est pas très positive. Beaucoup de plastiques dits biodégradables ne le sont pas en réalité. C'est pourquoi il vaut mieux supprimer le plastique du quotidien, changer nos modes de vie.
M. Bernard Jomier. - Très bien.
Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - Cela dit, je sais qu'il existe des plastiques biosourcés, qui peuvent être utiles - mais leur développement ne doit pas se faire au détriment de la nature. On trouve encore trop de biodéchets dans nos poubelles : cela nous mène à incinérer de l'eau !
Pour avancer, il faudra changer en profondeur nos comportements. J'ai donc chargé Alain Marois de mettre en place un pacte de confiance pour trouver des solutions. La route est longue et les changements à apporter sont profonds. Nous avons besoin du Sénat pour travailler main dans la main avec les collectivités locales afin de trouver des solutions pérennes et efficaces.
M. Guillaume Chevrollier . - Le recyclage des plastiques, hors emballage, est compliqué du fait de leur variété. Il n'y a pas un mais des plastiques. Si nous les mélangeons avec d'autres pour diluer les éléments dangereux, on perd en traçabilité et on risque des effets délétères. Pour les plastiques issus des jouets ou des équipements sportifs par exemple, il faut donc préférer les boucles fermées, sous peine de perdre la confiance des consommateurs pour les plastiques issus de recyclage.
Jusqu'à présent ce plastique était exporté en Chine, qui a fermé ses frontières. Il faut donc booster les filières de recyclage dans ce domaine. Dans quelle direction travaille le Gouvernement ?
Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - La santé de nos concitoyens est une priorité absolue et totale. Les mêmes normes s'appliquent à tous les plastiques, recyclés ou non.
Vous vous demandez s'il est possible de recycler des objets composés de différents plastiques. Il y a des solutions, comme le bonus-malus ou la modulation de l'écoconception, pour décourager l'utilisation des plastiques non recyclables. Le plastique recyclé doit garantir un niveau de qualité sanitaire égal ou supérieur au plastique vierge.
Beaucoup de microplastiques se retrouvent dans la nature. Il faut changer notre modèle économique, notre manière de produire et de consommer si l'on ne veut pas les retrouver dans nos assiettes !
M. Guillaume Chevrollier. - Il faut agir autant en amont qu'en aval, favoriser l'écoconception, la recyclabilité, les produits démontables et lutter contre l'obsolescence programmée.
Mme Anne-Marie Bertrand . - L'utilisation croissante du plastique participe du changement climatique et menace la biodiversité. L'entreprise Sirap, dans les Bouches-du-Rhône, fabrique des emballages biodégradables et compostables. Or le pacte national sur les emballages interdit les emballages en polystyrène expansé, tout aussi recyclable que les autres polystyrènes, ce qui risque de fragiliser des entreprises volontaires. Ne pourrait-on exempter les entreprises qui proposent des gammes d'emballages écologiques pour encourager l'investissement et créer de l'emploi.
Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - Je vous répondrai cash : le polystyrène expansé ne se recycle pas, du moins à des coûts acceptables. Il n'y a pas de filière en France et il n'est pas possible d'en développer dans l'immédiat. Nous développons toute une palette de mesures pour favoriser l'utilisation de résines plus facilement recyclables. C'est aux industriels d'être créatifs. Nous leur fixons des objectifs ambitieux, ainsi qu'aux éco-organismes, aux collectivités locales et aux citoyens. Pour cela il faut fixer des priorités : c'est cela, le courage politique !
Mme Anne-Marie Bertrand. - Les salariés de ces entreprises sont conscients de la nécessité de changer de modèle de consommation. La transition écologique est l'affaire de tous.
M. Cyril Pellevat . - Pas moins de 2 milliards de tonnes de déchets sont produits chaque année dans le monde : 240 millions de tonnes de plastiques, dont 9 % seulement sont recyclés.
Ce plastique met quatre siècles à se dégrader et se retrouve dans des décharges sauvages et dans nos océans. Si les déchets en plastique ne sont pas recyclés, c'est soit qu'ils sont trop légers - les pots de yaourt - soit qu'ils sont trop complexes à traiter.
La Haute-Savoie, où vous êtes venue, souffre de cette pollution.
Il faut aussi lutter contre le suremballage, qui irrite les consommateurs, et contre les produits à usage unique.
Enfin, les bons gestes peuvent être acquis dès le plus jeune âge. L'État peut-il s'engager à éduquer au recyclage tous les enfants des écoles ?
Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - Merci de votre souci sincère pour ces questions. Vous avez raison, il faut supprimer les plastiques inutiles, les suremballages, les plastiques à usage unique. Dès l'année prochaine, les gobelets et les couverts en plastique seront interdits.
Nous favorisons le recyclage via les incitations à l'écoconception et l'amélioration de la collecte. Nous avons lancé des appels à manifestation d'intérêt pour inventer de nouveaux modes de collecte comme les consignes. Nous encourageons aussi le réemploi.
Sans attendre la loi, nous avons lancé un pacte sur les emballages avec treize entreprises.
La sensibilisation des enfants, c'est fondamental. Le ministre Blanquer réfléchit à des mesures. Dans l'Ain, nous y avons travaillé ensemble. Je serai ravie d'apprendre de vous ce que vous avez fait dans votre commune.
M. Jean-Michel Houllegatte, pour le groupe socialiste et républicain . - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) Ce débat, riche d'enseignements, aura permis de souligner l'urgence qu'il y a à agir pour éviter une catastrophe écologique et sanitaire. Autant de plastiques ont été produits dans le monde entre 2000 et 2016 qu'entre 1950 et 2000.
En 2016, il y a eu 310 millions de tonnes de déchets plastiques dont un tiers se retrouvent dans la nature. Pas moins de 150 millions de tonnes de plastiques se retrouvent dans les océans. Si rien n'est fait, la production mondiale de plastiques pourrait augmenter de 40 % d'ici 2030. En 2050, on pourrait avoir plus de plastiques que de poissons dans la mer !
La France n'est pas en avance, qui ne recycle qu'à 22 % contre 31 % dans les pays européens en moyenne.
Les discours changent cependant ; un certain plastique bashing se développe, qu'il faut effectivement nuancer.
Les mesures suivent. Le pacte que vous avez signé sur les emballages va dans le bon sens. Mais son approche volontariste et l'absence de contraintes risquent d'en limiter les effets.
Le recyclage n'est pas la panacée, d'autant qu'il n'est pas infini. Le meilleur déchet est celui qu'on ne produira pas. Il faut agir à la source, en produisant moins de plastique.
Si le plastique dans les océans provient en grande partie des pays en voie de développement, de nombreux pays, dont la France, exportent leurs déchets vers ces pays. C'est pourquoi de nombreuses organisations demandent un traité international juridiquement contraignant.
Il y a sur ces bancs un large consensus autour des trois piliers que vous avez présentés. Vous pouvez compter sur notre implication et celles des collectivités territoriales pour votre feuille de route pour une économie circulaire. Il faudra à la fois des mesures coercitives et incitatives.
Vous avez parlé de l'outrance de notre société de consommation ; il faut en effet promouvoir un autre modèle. Comptez sur nous pour prendre toutes nos responsabilités. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR ; M. Hervé Maurey applaudit également.)
Prochaine séance, jeudi 2 mai 2019, à 14 h 30.
La séance est levée à 19 h 35.
Jean-Luc Blouet
Direction des comptes rendus