Disponible au format PDF Acrobat


Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Secrétaire du Sénat (Remplacement)

Orientation des mobilités (Procédure accélérée - Suite)

Explications de vote

M. Jean Louis Masson

M. Jean-François Longeot

M. Jérôme Bignon

M. Patrick Chaize

M. Frédéric Marchand

Mme Éliane Assassi

M. Michel Dagbert

M. Éric Gold

Scrutin public solennel

Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports

Conseil européen des 21 et 22 mars 2019

Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes

M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances

M. André Reichardt, vice-président de la commission des affaires européennes

M. Philippe Bonnecarrère

Mme Colette Mélot

M. Claude Haut

M. Pierre Ouzoulias

M. Simon Sutour

M. Franck Menonville

M. Jean Louis Masson

M. Pascal Allizard

Mme Catherine Fournier

M. Christophe Priou

M. Édouard Courtial

Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes

Collectivité européenne d'Alsace (Procédure accélérée)

Discussion générale

Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales

Mme Agnès Canayer, rapporteur de la commission des lois

Exception d'irrecevabilité

M. François Grosdidier

Mme Jacky Deromedi

Question préalable

M. Jean Louis Masson

Discussion générale (Suite)

M. Alain Marc

Mme Patricia Schillinger

M. Pierre-Yves Collombat

Mme Laurence Harribey

Mme Josiane Costes

Décès d'un ancien sénateur

Collectivité européenne d'Alsace (Procédure accélérée - Suite)

Discussion générale (Suite)

M. Jean Louis Masson

M. Claude Kern

Mme Catherine Troendlé

M. Guy-Dominique Kennel

M. Jacques Bigot

M. André Reichardt

M. François Grosdidier

Renvoi en commission

M. François Grosdidier

Mme Muriel Jourda

Discussion des articles

ARTICLES ADDITIONNELS avant l'article premier

ARTICLE PREMIER

M. Jean Louis Masson

M. Max Brisson

M. André Reichardt

M. René Danesi

Mme Fabienne Keller

M. Daniel Gremillet

M. Pascal Savoldelli

M. Olivier Jacquin

M. Jean-Marc Todeschini

M. Mathieu Darnaud

Mme Frédérique Espagnac

M. Jacques Bigot

M. Pierre-Yves Collombat

M. Jean-François Husson

M. Marc Laménie

Annexes

Ordre du jour du mercredi 3 avril 2019

Analyse des scrutins publics




SÉANCE

du mardi 2 avril 2019

77e séance de la session ordinaire 2018-2019

présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires : M. Yves Daudigny, M. Guy-Dominique Kennel, Mme Patricia Schillinger.

La séance est ouverte à 14 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance est adopté.

Secrétaire du Sénat (Remplacement)

M. le président.  - Conformément à l'accord intervenu entre les présidents de groupes politiques en début de triennat, Mme Patricia Schillinger remplace Mme Mireille Jouve en qualité de secrétaire du Sénat depuis le 1er avril 2019 à 0 heure.

Orientation des mobilités (Procédure accélérée - Suite)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote par scrutin public solennel sur le projet de loi, modifié par lettre rectificative, d'orientation des mobilités.

Explications de vote

M. Jean Louis Masson .  - Ce texte présente des aspects positifs mais aussi d'autres qui sont très négatifs.

Nous avons beaucoup parlé de problèmes d'environnement en lien avec les mobilités mais seulement des petits. Rien sur les cargos au fuel lourd, rien sur le transport aérien alors qu'il représente 25 % de pollution de plus ces dix dernières années ! Pire, quand il existe des taxes sur les carburants, le kérosène n'est même pas assujetti à la TVA ! Qu'on ne dise pas que l'on veut réduire la pollution si l'on n'agit pas à ce niveau-là.

Même chose sur les poids lourds, ils polluent 100 fois plus que la voiture diesel ! Et personne n'a le courage de rétablir l'écotaxe votée à la quasi-unanimité sous la présidence Sarkozy. Cette loi de progrès a été complètement zappée, au prétexte qu'il y avait les agités des bonnets rouges (Rires ironiques sur les bancs du groupe Les Républicains) et que le Gouvernement avait changé ; et puis, l'ancienne majorité a fait de la surenchère et à tout cela s'est ajoutée, on n'avait vraiment pas besoin de ça, Ségolène Royal (Rires ironiques sur les bancs du groupe SOCR). Depuis, aucun gouvernement n'a même été prêt à laisser les régions l'expérimenter.

Les poids lourds qui circulent en Allemagne du Nord au Sud paient bien une écotaxe, la LKW-MAUT ; rien chez nous quand ils traversent l'Alsace et la Lorraine, pas même les taxes sur les carburants puisqu'ils se ravitaillent au Luxembourg pour faire d'une traite la route jusqu'en Espagne. (Applaudissements sur les bancs des non-inscrits)

M. Jean-François Longeot .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) Un Français sur quatre a été contraint de refuser un emploi ou une formation, par manque de solution de mobilité. La mobilité est à la croisée de nombreuses thématiques : perspectives d'emploi, innovations numériques, protection de l'environnement, respect des données personnelles. Trente-six ans après la dernière grande loi sur les transports, il était grand temps de revenir sur les grandes transformations affectant ce secteur.

Près de 4 Français sur 10 estiment n'avoir aucune alternative à la voiture. Le manque de solutions de mobilité est vécu comme une source d'inégalités entre individus et entre territoires, il crée un sentiment d'assignation à résidence. Le groupe UC partage pleinement les objectifs de ce projet de loi : il fallait penser un système de mobilité qui ne soit plus un frein à l'autonomie et à l'emploi.

Le groupe UC se réjouit que ce texte ait été examiné en première lecture au Sénat qui l'a amélioré pour que soit mieux prise en compte la ruralité. À une approche classique par mode de transport, le Sénat a substitué une approche multimodale par territoire. Désormais, l'ensemble des territoires disposera d'une autorité organisatrice de la mobilité (AOM), contre 20 % auparavant. Même satisfaction sur la prise en compte de la densité de population pour la péréquation verticale ; l'ouverture du transport scolaire, en milieu rural, ou à des personnes âgées, isolées ou fragiles à l'initiative de Mme Vullien ou encore la possibilité de décaler les horaires d'entrée et de sortie des établissements scolaires pour optimiser le transport scolaire.

Deuxième sujet sur lequel le Sénat a renforcé le texte, la transition énergétique. Les transports représentent 33 % de la consommation énergétique en France en 2015 et 39 % des émissions de gaz à effet de serre. Nous avons ajouté aux objectifs de la programmation des infrastructures la lutte contre le changement climatique et la pollution atmosphérique et inscrit l'objectif de diminution des émissions de gaz à effet de serre dans les objectifs de la programmation des investissements dans les transports. Le soutien à la filière hydrogène, la possibilité donnée aux collectivités d'appliquer la taxe de séjour aux navires de croisière les plus polluants, ou encore, la possibilité laissée aux communes de créer des voies et des stationnements réservés aux véhicules en fonction de leurs émissions de polluants sont des mesures pragmatiques.

Enfin, nous avons voulu garantir les financements. Dès 2020, 500 millions d'euros manqueront à la programmation pluriannuelle des infrastructures de transport. Je salue le travail exemplaire de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable qui a sanctuarisé les ressources de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf).

Nous regrettons cependant que certaines dispositions de l'avant-projet de loi n'aient pas été retenues, dont l'expérimentation du micro-péage urbain. Le droit à la différenciation n'est certes pas l'objet de ce texte mais cette question, alors que l'on examine ce soir le texte sur la Collectivité européenne d'Alsace, est, pour le groupe UC, un corollaire qui permettrait un nouvel approfondissement de la décentralisation.

M. Loïc Hervé.  - Très bien !

M. Jean-François Longeot.  - Le Sénat a donc été force de proposition sur ce texte mais aussi artisan d'un compromis équilibré. En donnant aux présidents de département et préfets la main sur la limite des 80 km/h, nous sortons par le haut d'un débat manichéen que nous aurions pu éviter. Merci à M. Raison !

Le groupe UC votera ce texte en première lecture en attendant des clarifications sur son financement en seconde lecture. (Applaudissements sur les bancs du groupe UC et sur quelques bancs du groupe RDSE)

M. Jérôme Bignon .  - Ce texte est attendu par les Français et les collectivités. Depuis trop longtemps, certains de nos territoires vivent mal leur isolement. La mobilité, et la sémantique compte, est la condition de la liberté et de l'égalité ; elle doit être durable, effective pour tous nos concitoyens.

Nous nous réjouissons que ce texte ait d'abord été examiné au Sénat. Notre assemblée l'a amélioré mais il reste des incertitudes. L'affectation d'une fraction de taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) à l'Aftif est utile mais 500 millions d'euros par an resteront à trouver. Nous comprenons la contrainte budgétaire mais ne pas investir aujourd'hui, c'est s'exposer à payer plus demain. Les infrastructures ont besoin de moyens, nous devons être vigilants sans tomber dans le concours Lépine de la nouvelle taxe.

Nos collectivités peuvent faire plus, elles le font déjà, elles ont néanmoins besoin de moyens de flexibilité. L'adaptation de la compétence mobilité s'imposait. Paris n'est pas la Corrèze et la baie de Somme n'est pas la région lyonnaise.

Nous avons également amélioré le texte sur son volet écologique en promouvant les moyens de transport propres grâce à la possibilité de cumuler forfait mobilité durable et abonnement aux transports collectifs. Dommage, toutefois, que la prise en charge du premier par l'employeur n'ait pas été rendue obligatoire. La lutte contre le dérèglement climatique doit être une priorité. Le vélo reste trop peu utilisé dans notre pays. Qui aurait pensé il y a vingt ans, dans cet hémicycle, que nous légiférerions sur le vélo ? Être moderne et ouvert, c'est savoir se saisir de sujets contemporains.

L'intermodalité est évidemment un des piliers de ce texte. L'ouverture des données est cruciale en la matière et nous regrettons la frilosité de certains sur ce point.

Ce texte fait confiance aux territoires, c'est à l'échelle locale que l'on est le plus à même d'organiser les mobilités. Nous nous réjouissons que le Gouvernement ait autorisé les régions à se saisir de la gestion des lignes fines - et je pense, bien sûr, aux dessertes d'Abbeville et du Tréport.

Ce texte devra être repris et complété, en particulier sur les aspects financiers. En dépit de ses imperfections, il contient de nombreuses dispositions prometteuses : plus de flexibilité, plus d'intermodalité, plus de confiance dans les collectivités territoriales et plus d'écologie. Le groupe Les Indépendants le votera. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Indépendants ; MM. Patrick Menonville et Frédéric Marchand applaudissent également.)

M. Patrick Chaize .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Au risque de manquer d'audace, mon propos résumera la position du groupe Les Républicains. Pour rester dans le style académique, je commencerai par féliciter le rapporteur Mandelli (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) en y associant Gérard Cornu, qui a rapporté la loi pour un nouveau pacte ferroviaire et Louis Nègre, qui n'a pu nous faire profiter de son expérience à cause de la loi sur le cumul des mandats. Je salue également Mme Françoise Gatel et M. Benoît Huré. (Applaudissements sur les bancs du groupe UC)

Les louanges que j'adresse au rapporteur ne sont pas un exercice imposé car tout était réuni pour que ce texte se transforme en chemin de croix : peu de temps de préparation, une évolution dans la dernière ligne droite, une situation politique particulière avec la crise des gilets jaunes, un sujet sensible au Sénat puisqu'il touche aux collectivités.

Le risque était de faire de ce projet de loi un cahier de doléances législatif, composé de 348 remontrances. Nos collègues de l'Ardèche ont obtenu un traitement particulier, qui s'explique par la situation de leur territoire. Autre exception, la ligne Lyon-Turin mais c'est pour honorer les engagements internationaux que la France a pris depuis 1991.

Nous nous félicitons de l'affectation intégrale de la hausse de TICPE au financement des infrastructures de transport ainsi que de la consécration du deuxième scénario du Conseil d'orientation des infrastructures. Madame la ministre, vous avez pris l'engagement de ne pas transférer de compétences sans ressources adaptées mais les moyens manquent toujours à ceux qui mettront en oeuvre la compétence mobilité.

Toujours en ce qui concerne le transfert aux EPCI de la compétence mobilité, le transfert pourra se faire jusqu'au 1er juillet 2021, et non plus au 1er janvier 2021.

Un mot sur la régulation des opérateurs de free floating, elle était inéluctable. Notre rapporteur a apporté une réponse équilibrée qui ne fera obstacle ni au développement des mobilités douces ni à l'exercice des prérogatives communales et intercommunales.

Sur l'amendement de MM. Raison, Fichet et Mme Vullien sur les 80 km/h, certains parlent de populisme et de démagogie ; c'est toujours le cas lorsqu'on traite d'un problème qui ne concerne pas les zones urbaines.

Le Sénat n'a pas voulu de l'ovni législatif que représentait la charte facultative pour les plateformes de mise en relation. Quelle aurait été sa force alors que la jurisprudence est en pleine effervescence ?

Dernier écueil que le Sénat a su éviter : la boulimie fiscale. Que de nouvelles taxes ont été proposées ces derniers jours !

Sur le Lyon-Turin, madame la ministre, vous vous êtes engagée à ce que la France se joigne à la demande de l'Italie pour solliciter le financement à hauteur de 50 % de la part de l'Union européenne. C'est un enjeu de report modal, comme le souligne l'amendement de notre collègue Bruno Gilles sur la traversée de Lyon et le port de Marseille. Plus de 3 millions de poids lourds passent par les vallées alpines.

Enfin, madame la ministre, je vous renouvelle ma demande de rencontre sur la question du contournement ferroviaire de Lyon qui inquiète les élus de l'Ain. Le tracé actuel ne peut être accepté en l'état, on ne peut transférer les contraintes des uns vers les autres.

Malgré toutes ces incertitudes, le groupe Les Républicains votera ce texte amendé. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UC, Les Indépendants et LaREM)

M. Frédéric Marchand .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM) Un homme est fait pour être mobile, tout le malheur vient de l'immobilité, disait Jacques Brel. Ces deux dernières semaines, notre assemblée n'a jamais cédé à la tentation de l'ornithorynque. Nous avons argumenté sans relâche, dans un climat serein, pour donner corps à cette belle loi d'orientation des mobilités.

Nous devons beaucoup à ceux qui étaient aux commandes pour prendre une métaphore, aux commandes de véhicules propulsés par une énergie renouvelable propre bien évidemment. À vous, madame la ministre, d'abord, qui avez réussi les Assises de la Mobilité et su écouter les sénateurs. Au rapporteur qui a su associer tous ceux qui le souhaitaient au débat ; humanité et fermeté, telles ont été ses qualités. Au président Maurey, dont chacun connaît l'appétence pour le sujet des mobilités.

Le Sénat, une fois de plus, a fait oeuvre utile. Il y a eu la réforme de la SNCF, il y aura la LOM. Il a su s'emparer d'un sujet essentiel, dans l'intérêt des territoires et de nos concitoyens. La copie que nous livrons à l'Assemblée nationale doit permettre d'aborder la problématique sous tous les angles. Nos collègues députés, et je salue la présence du député Jean-Marc Zulesi dans nos tribunes, pourront aller plus loin grâce à nos propositions sur le rôle à donner aux AOM pour répondre aux attentes de mobilités du quotidien, sur les mobilités des personnes en situation de handicap ou à mobilité réduite, sur les outre-mer, sur l'ouverture des données, sur les mobilités partagées, sur le réseau des recharges électriques ou encore sur la création du forfait mobilités durables.

Sur le sujet du free floating, notre assemblée a malheureusement cédé à l'émotion au détriment de la concertation avec les acteurs. Elle n'a pas souhaité fixer dans le marbre l'interdiction de la vente des véhicules à essence et diesel à horizon 2040, la neutralité carbone et la baisse de 50 % des émissions du transport aérien à horizon 2050. Je le regrette, le sujet dépasse les considérations partisanes.

Je me félicite que la notion de mobilité inclusive se soit substituée à celle de mobilité solidaire. En 2019, une personne sur quatre a refusé un travail ou une formation, faute de pouvoir se déplacer.

La pratique du vélo est encouragée, le Sénat a su faire preuve d'audace dans ce domaine. Sa vélo-compatibilité sera complète, monsieur le président Larcher, quand une flotte de vélos électriques sera mise à disposition des sénateurs et de leurs collaborateurs.

La boîte à outils qu'est ce projet de loi sera efficace si les AOM disposent de moyens, et nous avons entendu les engagements de la ministre ; elle sera efficace s'il est procédé à des expérimentations avant toute modélisation ; elle sera efficace si l'Assemblée nationale et le Sénat continuent à tout mettre en oeuvre pour privilégier les mobilités du quotidien. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM ; MMLoïc Hervé, Jean-Marc Gabouty et Yvon Collin applaudissent également.)

Mme Éliane Assassi .  - Le débat d'idées est la marque du Sénat. Une fois encore, nous avons prouvé l'utilité de la Haute Assemblée...

M. Roger Karoutchi.  - Très bien !

Mme Éliane Assassi.  - ... en ces temps où le Gouvernement affiche un certain mépris, mêlé de rancoeur, à l'égard de notre institution. Multiplication des ordonnances, modification de projets de loi par lettre rectificative, introduction par amendement de dispositifs fondamentaux pour s'exonérer d'une étude d'impact et d'un avis du Conseil d'État, ces méthodes, nous les avons dénoncées en déposant une motion. Nous maintenons que le Gouvernement aurait dû attendre la fin du grand débat pour nous soumettre un texte. L'égalité d'accès aux services publics, la justice fiscale, le coût des transports et une transition écologique qui ne rime pas avec déclassement social, aucune de ces questions essentielles n'est traitée dans ce projet de loi.

Pas de recettes nouvelles non plus pour les infrastructures de transport, c'est le statu quo ; vous avez refusé notre proposition d'écotaxe et de rénovation du versement transport. Quand la fiscalité écologique qui rapporte plus de 30 milliards d'euros cessera-t-elle d'être un alibi pour alimenter le budget de l'État ?

Pour autant, il y a eu des avancées. Certaines de nos propositions ont été reprises sur la relance des TET et des trains de nuit, sur le fret ferroviaire qui ne doit être considéré sous le seul prisme des autoroutes ferroviaires, sur l'utilisation des données personnelles afin qu'elles ne soient pas captées par les GAFA, sur la place du vélo ou encore sur la suppression de la charte facultative pour les plateformes numériques.

Madame la ministre, votre vision va à l'encontre de la nôtre qui privilégie un transport en réseau sur notre territoire, avec un service effectué par des agents publics. Le covoiturage, le vélo, la trottinette électrique ne font pas la maille ; ils ne s'inscrivent qu'en complément de modes de transports structurants, dont le ferroviaire.

Madame la ministre, vous ne pouvez pas faire passer le désengagement de l'État pour le monde du futur car c'est bien de cela dont il est question. Le couple intercommunalité et région signe le dépérissement du trio État, département et commune. De même, la fermeture des lignes capillaires et des gares conduit à la rétraction du réseau, comme nous l'avions prédit, ...

M. Martial Bourquin.  - Très juste !

Mme Éliane Assassi.  - ...alors que la SNCF prospecte déjà en Espagne. Quel intérêt y a-t-il à la mettre en concurrence avec la RATP ? Quel gâchis de temps et d'argent ? Il faudrait, osons le mot, un monopole public. Les élections européennes approchent, c'est l'occasion de mettre fin à ce dogme de la libéralisation à tous crins dans l'intérêt de nos concitoyens.

Quant à votre sac à dos social, ce n'est qu'un parachute percé ! (Moues sur les bancs du groupe Les Républicains) La concurrence n'a d'autre fonction que d'apporter de nouveaux profits aux acteurs privés en mal de dividendes.

Ce modèle détruit ce qui nous est commun, ce qui fonde la République. Quand nos concitoyens n'ont pas tous les mêmes droits, et ce sera le cas avec un service public à géométrie variable, le pacte républicain est rompu. Ajoutez à cela la provocation sur le droit de grève et notre rejet total du Charles-de-Gaulle Express, vous comprendrez les raisons pour lesquelles nous voterons contre. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe CRCE ; Mme Nelly Tocqueville et M. Martial Bourquin applaudissent également.)

M. Michel Dagbert .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) Après le discours que le président de la République a prononcé à Rennes en juillet 2017, nous pouvions comprendre la pause sur les grands chantiers d'infrastructures. Les gouvernements successifs avaient travaillé à réaliser la France de la grande vitesse, ce que nous n'avons pas à regretter car nous y avons gagné en temps de trajet et mis en valeur un savoir-faire qui s'exporte. Cependant, durant la même période, l'ensemble du réseau a pâti d'un sous-investissement. La crise de 2008 a eu un impact sur les allocations aux collectivités territoriales et l'entretien des routes.

Nous espérions une grande loi-cadre qui prenne en compte toutes les mobilités, sans exception. Le ferroviaire, avec la loi de l'an dernier, le vélo avec le plan Vélo et l'aérien en ont été exclus. Votre texte, soumis à l'épreuve de Bercy et de Matignon, laisse pendante la question du financement. Pourquoi avoir refusé le principe d'un grand emprunt ? La question de la contribution financière des poids lourds étrangers qui empruntent nos routes aurait aussi mérité d'être traitée.

M. Albéric de Montgolfier.  - Merci Mme Royal !

M. Michel Dagbert.  - Espérons que l'euro-vignette sera bientôt mise en place.

Nous regrettons le passage à 72 heures du délai de préavis de grève dans les transports publics. Cela relève plus du dogme que de la réalité vécue : les usagers disent être davantage affectés par les pannes et les retards. Dans ces conditions, difficile de ne pas y voir une atteinte portée au droit de grève.

L'amendement voté à l'article 2, n'a d'autre objectif que de réduire la participation des employeurs de 50 % sous couvert de favoriser le télétravail ; il privera de recette l'AOM.

À mon tour de féliciter le président et le rapporteur de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Je vous remercie également, madame la ministre, pour votre sens de l'écoute.

Nous avons obtenu des avancées : pérennisation dans la loi du conseil d'orientation des infrastructures, sanctuarisation des ressources de l'Afitf, nouveaux moyens de financement pour les collectivités, mécanisme de solidarité pour les territoires ruraux les plus en difficulté, fléchage de 0,3 % pour les AOM qui n'organisent pas de transports de manière régulière. J'approuve également la suppression de la charte facultative que j'avais qualifiée de disposition « Canada dry ».

Autre motif de satisfaction, la reconnaissance de la nécessité de développer le transport fluvial. L'inscription dans la loi du Canal Seine Nord ne lève pas les incertitudes quant à son financement. Avec le Lyon-Turin, il constitue un dossier faisant l'objet d'engagements internationaux.

Malgré l'esprit d'ouverture et la qualité du travail du rapporteur et l'implication forte de mes collègues, le dogmatisme de la majorité sénatoriale conduira le groupe socialiste et républicain à s'abstenir. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et CRCE ; exclamations sur les bancs des groupes UC et Les Républicains)

M. Éric Gold .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE) Présenté comme le projet de loi le plus ambitieux depuis la loi de 1982, ce texte n'est pourtant pas une révolution. Néanmoins, nous sommes nombreux à saluer son orientation stratégique qui met l'accent sur les mobilités du quotidien. Un double enjeu se dessine : désenclaver le territoire en luttant contre la pollution des transports.

Le nombre de morts sur les routes a augmenté de manière inquiétant depuis le début de l'année. Cela nous rappelle que toute politique de prévention doit s'accompagner d'une politique de répression efficace. Début mars, 75 % des radars étaient encore endommagés. Il faut engager des réparations et des mesures de protection ou de remplacement au plus vite. Ce sont les capacités d'investissement de la France en matière de transport qui sont en jeu. L'instabilité des amendes radars constitue un manque à gagner pour l'Afitf. Si le cap est fixé, il reste à le financer. D'où le choix que nous avons fait de sanctuariser dans la loi les ressources de l'Afitf.

Le Sénat a aussi renforcé les moyens des collectivités pour qu'elles puissent investir leur mission d'autorité organisatrice de mobilité. Votre objectif est de couvrir 100 % du territoire en AOM, madame la ministre ; nous en prenons acte.

Une fracture croissante divise la France des métropoles et celle des territoires, affectée par des décennies de sous-investissements. La décentralisation renforcée prend forme peu à peu ; notre collègue Dantec l'a rappelé, elle doit aller de pair avec une péréquation renforcée et une solidarité nationale assumée.

La voiture reste le mode de déplacement domicile-travail privilégié par plus de 70 % des actifs. Nous devons donc renforcer le maillage territorial des lignes ferroviaires. Les petites lignes qui structurent l'espace seront un maillon essentiel de la mobilité de demain, elles doivent être préservées. Nous saluons l'adoption d'un amendement, porté notamment par notre groupe, qui autorise la gestion de certaines lignes par les régions qui en feront la demande ainsi que de la possibilité de concomitance des travaux de modernisation et de régénération sur les lignes d'équilibre du territoire.

En revanche, nous aurions voulu des engagements plus forts sur la vente de véhicules thermiques - ils représentent encore 94 % du parc actuel. Malgré une délivrance soumise au bon vouloir de l'employeur, le forfait mobilités durables est un signal positif à destination des moyens en faveur du respect modal. Autres signaux positifs : l'inscription de la diminution des émissions de gaz à effets de serre parmi les objectifs poursuivis par la stratégie et la programmation des investissements de l'État dans les transports, le rehaussement des obligations de part minimale de véhicules à faibles émissions dans les flottes d'entreprises ainsi que les mesures visant à réduire la pollution des navires. Sur la proposition du RDSE, le Sénat a également étendu à tous les territoires la possibilité de créer des zones à faibles émissions. Il le fallait pour des raisons de santé publique, comme il fallait encourager la pratique du vélo.

Au total, 23 amendements du groupe RDSE ont été adoptés. Nous voterons ce texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE et LaREM)

Scrutin public solennel

M. le président.  - Nous allons procéder, dans les conditions prévues à l'article 56 du Règlement, au scrutin public solennel sur l'ensemble du projet de loi d'orientation des mobilités.

Je remercie nos collègues MM. Yves Daudigny, Guy-Dominique Kennel et Mme Patricia Schillinger, secrétaires du Sénat, qui superviseront ce scrutin.

Une seule délégation de vote par sénateur est admise.

La séance, suspendue à 15 h 30, reprend à 16 heures.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°73 :

Nombre de votants 345
Nombre de suffrages exprimés 266
Pour l'adoption 248
Contre    18

Le Sénat a adopté.

(Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, UC, RDSE et sur quelques bancs du groupe Les Républicains)

M. le président.  - Je salue la qualité du travail des rapporteurs, du président de la commission et de l'ensemble des participants à nos débats.

Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports .  - Ce texte est essentiel pour résorber les fractures territoriales et sociales qui minent notre pays, et les difficultés exprimées par nos concitoyens dans le cadre du grand débat, grâce à ses réponses concrètes aux besoins de mobilité du quotidien. Il respecte les grands équilibres que j'ai défendus.

Je me félicite du consensus sur le principe structurant qu'est la couverture complète du territoire par des AOM, afin que, demain, plus aucun Français ne soit laissé sans solution ; de l'intérêt du Sénat pour les mobilités actives, telles que le vélo, mais aussi, plus généralement, pour la transition écologique ; de la priorité qu'il a donnée aux transports du quotidien dans la programmation.

Les questions du financement, du free floating, de la billettique seront à approfondir à l'Assemblée nationale. Pour le reste, je me félicite à nouveau de la richesse de nos débats et salue la mobilisation de votre assemblée sur ce texte. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SOCR et des bancs du groupe LaREM à ceux du groupe Les Républicains)

La séance est suspendue à 16 h 5.

présidence de M. Thani Mohamed Soilihi, vice-président

La séance reprend à 16 h 15.

Conseil européen des 21 et 22 mars 2019

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat à la suite de la réunion du Conseil européen des 21 et 22 mars 2019.

Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes .  - Je suis très heureuse d'être avec vous de retour de Berlin après ma prise de fonctions ; très heureuse aussi de vous rencontrer dans ce nouveau format de débat postérieur au Conseil européen.

Ce Conseil européen des 21 et 22 mars a donné lieu à d'importantes décisions.

Mme May a demandé le report de la sortie du Royaume-Uni jusqu'au 30 juin. Sous l'impulsion du président de la République, deux délais ont été mis en place : jusqu'au 22 mai, en cas de vote favorable à l'accord de la Chambre des communes avant le 29 mars ; jusqu'au 12 avril dans le cas contraire, puisque c'est la date limite pour que Londres décide d'organiser des élections européennes.

Or, le 29 mars, il a manqué 58 voix à Mme May. Il lui en manquait certes 149 le 12 mars et 230 le 16 janvier, mais nous savons bien que 58 voix, cela reste considérable... Où en sommes-nous aujourd'hui ? Trois scénarios se dessinent.

Le premier peut être qualifié d'optimiste. Si Mme May l'emporte sur le plan tactique, c'est-à-dire si les conservateurs favorables au Brexit prennent conscience des risques, un vote favorable interviendra avant le 12 avril. C'est peu probable, mais pas impossible.

Cela reposerait sur un vote pour une union douanière qui rendrait possible un ralliement à l'accord de retrait initial.

Deuxième scénario : pas de vote positif sur l'accord de retrait, et Mme May refuse, lors du sommet européen du 10 avril, d'engager le Royaume-Uni dans de nouvelles élections européennes. Si le Royaume-Uni restait État membre dans ces conditions et que rien n'était fait, les actes que prendrait le Parlement européen seraient entachés de nullité. Nous sommes alors dans le no deal ; le Royaume Uni sort de l'Union sans accord et on appliquerait alors les sept ordonnances préparées sur la base de la loi d'habilitation que vous avez votée. Tout est prêt pour cela, notamment la mise en place des contrôles douaniers.

Le troisième scénario est plus complexe, plus mouvant ! Mme May demande une extension longue et organise des élections européennes. Cette hypothèse - qui serait mal comprise des Britanniques - doit être très encadrée, afin que le Royaume Uni ne soit pas tout à fait traité comme les autres États membres : Londres ne saurait en effet influer sur le choix de la future Commission, peser sur les décisions les plus substantielles, comme le cadre financier pluriannuel.

Nous sommes donc dans une période incertaine. L'Union européenne doit rester unie et déterminée et surtout refuser toute renégociation de l'accord de retrait et toute extension longue sans solution durable et crédible.

Ce débat ne doit pas nous faire perdre de vue l'objectif central d'une relance européenne. Le sommet des 21 et 22 mars a permis à la France de défendre plusieurs initiatives lancées par le président de la République dans sa tribune pour une renaissance européenne.

Un débat s'est ouvert sur une politique européenne ; le Conseil européen a demandé à la Commission européenne une vision stratégique de long terme incluant le soutien aux nouvelles technologies, et le passage en revue des politiques européennes qui contribuent au développement de l'industrie, notamment la politique de la concurrence - filtrage des investissements , défense du multilatéralisme commercial.

Deuxième sujet abordé lors de ce Conseil européen : la stratégie climatique de long terme et l'objectif de neutralité carbone en 2050, que la France souhaite voir adopté par l'assemblée générale de l'ONU.

C'est un objectif inclus dans notre programmation pluriannuelle de l'énergie.

Troisième initiative française : une banque européenne du climat.

Troisième sujet abordé au Conseil, la lutte contre la désinformation, enjeu essentiel de notre liberté démocratique. Le président de la République a demandé le déploiement d'experts en cas de cyberattaque lors d'élections.

Nous oeuvrons aussi à la convergence économique et sociale au sein de l'Union, pour nous doter d'un bouclier social européen à travers, notamment, la création d'une Autorité européenne du travail. Nous reviendrons sur ces sujets lors du sommet informel de Sibiu le 9 mai, puis, en juin, lors de l'adoption du programme stratégique 2019-2024.

La France souhaite s'appuyer, dans ce travail, sur les consultations menées dans notre pays, mais aussi sur les attentes et préoccupations exprimées par nos concitoyens, à travers le grand débat national, mais aussi par les consultations citoyennes, qui se sont tenues en Europe au second semestre 2018, pour établir la feuille de route stratégique 2019-2024.

Dernier point : le Conseil européen a échangé sur ses relations avec la Chine, pour préparer le sommet UE-Chine du 9 avril. La Chine est à la fois un partenaire et un concurrent. L'Union européenne et les Vingt-Sept doivent défendre fermement leurs intérêts économiques et stratégiques et exiger de la réciprocité dans l'accès aux marchés. « Le temps de la naïveté de l'Union envers la Chine est révolu », a dit le président de la République. C'est dans cet esprit qu'il a organisé une rencontre avec le président Xi Jinping, la chancelière Merkel et le président Juncker. La signature par le vice-Premier ministre italien d'un accord de participation aux projets des routes de la soie souligne à quel point il est indispensable de renforcer encore la coopération européenne dans ce domaine avant le Sommet « 16 + 1 » du 12 avril en Croatie. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe LaREM ; on applaudit aussi sur les bancs du groupe Les Indépendants, ainsi que sur plusieurs bancs des groupes RDSE, UC et les Républicains)

M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées .  - Permettez-moi, madame la ministre, de vous adresser nos voeux de bonne chance et réussite dans vos nouvelles fonctions. Je vous souhaite d'avoir une vision claire du projet européen, qui nous importe tant.

L'Union européenne, hélas, se fragmente. Elle recentre une grande partie de son attention sur le Brexit alors que des défis immenses l'attendent, si elle veut préserver son modèle économique et social, ses valeurs et sa capacité à compter dans la compétition internationale.

Pour la troisième fois consécutive, le Parlement britannique a rejeté l'accord de sortie. L'Union européenne a souhaité que le Royaume-Uni reste maître de son destin, mais nous subirons tous les conséquences de ses choix. Entre 2016 et 2018, les décisions britanniques ont déjà fait perdre 6 milliards d'euros aux exportateurs français.

Outre ses effets économiques, le Brexit est une aberration géostratégique. Le Royaume-Uni doit pouvoir conserver son rôle essentiel dans l'architecture de sécurité et de défense européennes.

L'unité européenne est également mise à mal par l'accord bilatéral que l'Italie a signé avec Pékin, alors que la Chine place ses pions aux endroits stratégiques de la planète, investissant à Trieste ou installant ses soldats à Djibouti, où j'étais il y a quinze jours avec le président de la République, et où nous peinons à maintenir 1 400 soldats. Elle investit massivement dans les infrastructures, en échange d'endettement, donc de dépendance. Elle multiplie cette stratégie à l'envi, invoquant le multilatéralisme, comme l'a fait le président Xi Jinping au Sénat, mais pratiquant systématiquement des relations bilatérales déséquilibrées.

Autre priorité, l'Europe et les nations qui la composent doivent assumer collectivement le rôle de deuxième puissance économique mondiale. Nous devons aider nos entreprises à se projeter au niveau international. L'échec de la fusion entre Alstom et Siemens doit nous servir de leçon pour changer les règles.

L'Union européenne ne pourra surmonter son décrochage, qu'en regroupant ses forces et en mettant un terme aux divisions. L'Union européenne est à un tournant de l'histoire. C'est dire l'importance de la tâche qui attend l'Union européenne et les États membres après l'élection au prochain Parlement européen. (Applaudissements depuis certains bancs du groupe SOCR jusqu'à la droite)

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances .  - Je vous salue particulièrement, madame la ministre. Le dernier Conseil européen a été quelque peu mouvementé en raison du Brexit et des échéances électorales qui ralentissent certains dossiers.

Le Conseil a approuvé les recommandations sur la politique économique de la zone euro faites dans le cadre du semestre européen. Le ralentissement observé en 2018 se poursuit en 2019, avec une croissance attendue de 1,3 %. Le Gouvernement devrait communiquer sous quinzaine son programme de stabilité et son programme national de réformes qui seront débattus en séance. Or la taxe d'habitation, entre autres, n'est toujours pas financée ; la commission des finances sera particulièrement vigilante sur les prévisions budgétaires pour 2019.

Le Conseil européen a invité la Commission à présenter un plan d'action d'ici 2020 et envisagé le passage à la majorité qualifiée en matière fiscale. Or il faudrait pour cela l'unanimité...

Certaines mesures, telle la taxation du numérique, semblent hélas enterrées. Les États membres questionnent à présent les fondements du droit européen de la concurrence. Voyez la fusion ratée entre Alstom et Siemens. L'unité des États membres a cependant été mise à l'épreuve par l'adhésion de l'Italie aux nouvelles routes de la soie ouvertes par la Chine.

L'interminable feuilleton du Brexit a encore pris une large place dans les discussions ; il pourrait, si le Royaume-Uni ne s'acquittait pas de son engagement de 50 milliards d'euros pour financer le divorce, raviver les tensions financières entre les États membres.

Alors que la participation de la France s'établit déjà à plus de 20 milliards d'euros, comment compenserait-on le retrait du Royaume-Uni ? Quel regard le Gouvernement porte-t-il sur un Brexit sans accord, de plus en plus probable ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains, ainsi que sur quelques bancs des groupes SOCR, RDSE, UC)

M. André Reichardt, vice-président de la commission des affaires européennes .  - Je vous souhaite à mon tour, au nom du président Bizet, qui m'a confié l'honneur d'introduire ce débat, le plus grand succès dans vos nouvelles fonctions.

Ce Conseil européen a consacré plus de temps que prévu au Brexit, mais la stratégie face à la Chine et la politique économique de l'Union européenne n'ont pas été pour autant éludées.

Le séquençage retenu protège le Royaume-Uni des risques juridiques inhérents à sa sortie. Aux Britanniques de se positionner avant le 12 avril. Au-delà, se posera le problème des élections européennes. Le dispositif - d'inspiration française dit-on - apparaît bien conçu pour une situation bien confuse.

Deuxième motif de satisfaction : le front uni affiché face à la Chine. Les Vingt-Huit semblent prendre progressivement conscience que la Chine est à la fois partenaire politique, concurrent économique et rival systémique. Le président de la République a tenu à conforter l'image d'une Europe unie, invitant Mme Merkel et M. Juncker à Paris. La signature du mémorandum italien et les positions de l'Europe centrale nous obligent toutefois à la vigilance. Le prochain sommet en format « 16 + 1 », entre la Chine et les pays d'Europe centrale et orientale, devra se conformer aux décisions issues du sommet UE-Chine qui se tiendra juste avant. Il y a là un progrès, mais la vigilance reste de mise. Et l'arrivée des réseaux 5G sera un prochain test.

Le Conseil européen a enfin misé sur l'union économique et monétaire, le marché unique, la politique industrielle, la politique numérique et la politique commerciale comme leviers de puissance. C'est notre principal motif de satisfaction à l'égard d'un Conseil européen qui n'aura pas été que celui du Brexit. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe UC)

M. Philippe Bonnecarrère .  - Mes félicitations, d'abord, madame la ministre.

Difficile d'échapper au Brexit. Sommes-nous prêts à un no deal ? Je serai plus prudent que la ministre. Les cinq ordonnances ne suffiront peut-être pas : nous ne serons prêts que si le Royaume-Uni l'est aussi. Et nombre de nos entreprises ont perdu les savoir-faire liés à la gestion des frontières douanières.

Le modèle parlementaire britannique, si longtemps admiré, souffre, à l'évidence. Les commentaires sévères abondent. Je ne les partage pas. Partout en Europe, pas uniquement au Royaume-Uni, il est devenu difficile de passer des accords et de faire des compromis. Voyez nos propres difficultés à répondre à la crise des gilets jaunes par des arbitrages acceptés par l'ensemble de notre archipel social. L'idée que le passage par le peuple s'impose pour contourner les représentants impuissants est ravageuse. Notre modèle historique de prise de décision est attaqué. Les difficultés britanniques révèlent les nôtres et réciproquement.

Mais le Brexit vampirise aussi la réflexion, l'énergie et l'action de l'Union européenne. Il y a tant de sujets passionnants à traiter, à construire ! J'ai apprécié votre souci, madame la ministre, d'élargir le spectre aux questions climatiques et de lutte contre la désinformation. Je remercie également nos orateurs des commissions pour le souffle qu'ils ont donné à notre débat en l'élargissant à la défense, aux perspectives financières, au numérique, à la Chine. (Applaudissements sur les bancs du groupe UC, ainsi que sur plusieurs bancs depuis ceux du groupe SOCR jusqu'à la droite)

Mme Colette Mélot .  - Tel un feuilleton sans fin, les rebondissements du Brexit se suivent. Les Vingt-Sept ont proposé la date du 12 avril en cas de no deal, plus cohérente juridiquement, et celle du 22 mai en cas d'adoption de l'accord.

Je commence à douter du comportement des élus britanniques, qui mettent en danger leurs concitoyens, leurs entreprises, leurs partenaires historiques. À quelques semaines d'une échéance électorale essentielle pour l'Europe, c'est inacceptable. Les Vingt-Sept doivent rester unis et garder la main sur le calendrier, pour ne pas compromettre l'installation du futur Parlement européen qui aura en effet beaucoup à faire. Le Royaume-Uni est à présent placé devant ses responsabilités.

Deuxième point abordé par le Conseil : les relations de l'Union européenne avec la Chine - sur lequel j'avais alerté la ministre Loiseau avant le Conseil européen. La concurrence déloyale de la Chine est un sujet essentiel.

Le président Xi Jinping a été accueilli par un front commun formé par la France, l'Allemagne et l'Union européenne. Le 9 avril prochain, lors du sommet Union européenne-Chine, il faudra faire passer un même message de fermeté.

Troisième point : la résilience économique de l'Europe.

Je salue les conclusions du Conseil visant à mettre en place une véritable politique industrielle. Je serai attentive aux mesures concrètes destinées à la mettre en oeuvre. Des pistes ont déjà été proposées par un groupe interne à la Commission, dont il faudra s'inspirer. Une révision de la politique de concurrence s'impose pour trouver un nouvel équilibre entre ouverture et protection du marché européen, et que ne se reproduise pas l'affaire Alstom-Siemens.

Puissent les décisions avoir des effets concrets. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Indépendants et sur quelques bancs du groupe RDSE ; M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général, applaudit également.)

M. Claude Haut .  - Le groupe LaREM vous adresse à son tour ses voeux de réussite, madame la ministre.

Le débat nous donne l'opportunité de nous exprimer sur le Conseil européen, ainsi que sur le feuilleton du Brexit.

Le Brexit a largement occupé les discussions et des conclusions ont été adoptées pour trouver un accord clair. L'accord de retrait ordonné n'est pas renégociable. L'incertitude est montée d'un cran avec le vote à la Chambre britannique ; le Parlement britannique n'est pas non plus parvenu à se mettre d'accord sur les huit options alternatives de retrait proposées par des parlementaires.

Notre débat est donc, de fait, devenu un débat préalable au Conseil européen du 10 avril réuni en urgence par Donald Tusk pour anticiper la date fatidique du 12 avril. La piste d'un no deal est plus que jamais possible. Dans une communication du 25 mars, la Commission européenne a indiqué avoir finalisé ses préparatifs d'un Brexit sans accord. Le Gouvernement français s'y est préparé avec un texte présenté du Conseil des ministres le 27 mars dernier et la publication de trois décrets et d'un arrêté. Madame la ministre, comment jugez-vous le niveau de préparation de nos entreprises à un no deal ?

Une extension longue ne peut être envisagée qu'en cas de plan alternatif crédible voté par les députés britanniques. Mais comment croire qu'il est encore possible ? Le Parlement britannique nous dit non à un no deal, non à une union douanière, non à un deuxième référendum. Le bateau semble naviguer sans capitaine à son bord. Madame la ministre, quelle position adoptera la France lors de ce sommet extraordinaire du 10 avril ?

Quant à la préparation du sommet bilatéral Chine-Europe, elle représente un défi colossal. Alors que jusqu'ici l'Europe s'est surtout distinguée par un manque de ténacité et d'unité, le dialogue entre les deux parties est incontournable pour la définition des équilibres mondiaux - comme notre président de la République l'a rappelé le 26 mars dans une conférence de presse conjointe avec Xi Jinping et Angela Merkel. La coopération doit respecter les intérêts européens. Nous devons renforcer la cohésion entre États européens, car l'initiative italienne ne peut faire naître que de l'inquiétude. La prise de conscience s'opère, c'est une bonne chose. La Commission préconise avec justesse plus de réalisme, plus de transparence et moins de distorsion concernant les aides d'État. Quant au Parlement européen, inquiet des menaces pour la sécurité liée à la présence technologique croissante de la Chine dans l'Union européenne, il exhorte les États européens à se coordonner.

Comment la France accueille-t-elle la proposition de la Commission européenne sur une approche concertée concernant les réseaux 5G ? Comment le Gouvernement opérera-t-il l'évaluation demandée par la Commission européenne à chaque État, sur les risques liés aux infrastructures des réseaux 5G ?

N'ayons pas peur d'affirmer nos valeurs européennes de démocratie, de liberté et de paix, tout en défendant nos intérêts. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM ; M. Yvon Collin applaudit également.)

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes.  - Très bien !

M. Pierre Ouzoulias .  - Quelle que soit l'issue des négociations en cours, quelles que soient les conditions de la décision britannique, le moment est historique. Il serait trop simple d'expliquer le repli britannique par l'isolationnisme atavique d'une nation insulaire, ou, comme je l'ai entendu dans cette enceinte, par l'irrationalité d'un peuple et de sa classe politique offrant à une Europe sage et raisonnable le spectacle du « suicide d'une nation ».

Je suis consterné par ceux qui souhaitent que le Brexit punisse les Britanniques au point de dissuader tout autre peuple de suivre ce qui serait le mauvais chemin - et qui, ce faisant, oppose aux Britanniques cette fameuse formule d'une de leurs fameuses dirigeantes : « Il n'y a pas d'alternative ».

M. Jean-Claude Juncker a de son côté déclaré : « Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens »... Ici se dissimule cette idée pernicieuse que le problème de la démocratie, ce serait le peuple - et que tout serait plus simple si la politique était l'affaire des seuls spécialistes. Aux passions barbares et irrationnelles des multitudes incapables d'apprécier la justesse des moyens destinés à leur prospérité, il faudrait substituer le gouvernement des experts détenteurs de la seule vérité et agissant pour le bien de l'humanité selon des règles économiques inspirées du seul bon sens.

Or, qu'elle déplaise n'y change rien, la rationalité d'un peuple repose sur l'appréciation de ses conditions de vie et sur l'espoir d'offrir à ses enfants un monde meilleur. Tel était au moins le sens du projet européen de 1957, qui, dans les traités de Rome, fixait aux États membres l'objectif d'améliorer les conditions de vie et d'emploi de leurs peuples et de réduire les écarts de développement.

Les États de 1957 forment un ensemble homogène au sortir de la guerre. L'élargissement de l'Europe a été accompagné dans sa première étape avec l'adhésion de l'Espagne, du Portugal, de la Grèce et de l'Irlande par des aides structurelles fortes. Or, ces politiques d'accompagnement ont disparu lors de l'intégration des pays de l'Est, alors qu'elles étaient encore plus nécessaires. Dans le nouvel ensemble très hétérogène ainsi formé, les disparités économiques et sociales ont entretenu des processus de mise en concurrence des individus, des entreprises et des territoires qui ont, in fine, considérablement accru ces inégalités.

Les mécanismes économiques déstabilisateurs inhérents à la mondialisation ont eu pour conséquence un déclassement social des populations au sein des États européens. C'est ainsi que s'explique le vote britannique : la rationalité du peuple britannique s'est exprimée pour condamner une dégradation de ses conditions d'existence qu'elle attribue à l'Europe parce qu'elle a bien perçu que sa logique économique obéissait aux mêmes dogmes que celle que leur avaient imposée les gouvernements de Margaret Thatcher.

Le président de la République l'a déclaré le 6 novembre 2018 : « Il faut entendre les peurs des peuples face à une Europe ultralibérale qui ne permet plus aux classes moyennes de bien vivre ». (M. André Gattolin approuve.) Les engagements dans les traités de Rome n'ont pas été tenus et les populations souhaitent que l'Europe, refondée sur son projet initial, organise notre espace commun sur d'autres règles que celles que tentent de nous imposer les États qui nous livrent une guerre commerciale totale.

Nous ne pourrons poursuivre ce projet européen sans les peuples. Les habitants de Stoke-on-Trent ont voté à plus de 60 % contre l'Europe. Leurs raisons sont multiples, mais tous partagent le même désespoir devant la fermeture des dernières industries et le déclin inexorable de leur territoire. Il est grand temps d'entendre leur souffrance si nous voulons continuer à espérer dans l'Europe ! (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)

M. Simon Sutour .  - Madame la ministre, je vous félicite à mon tour pour votre nomination.

Le dernier Conseil européen a été marqué par les votes de la Chambre des Communes qui ont refusé l'accord européen ainsi que toute alternative. Quelle tristesse ! Les conséquences d'un Brexit, qu'il soit dur ou non, ne seront bonnes pour personne.

Le Conseil européen a aussi abordé d'autres points, comme la mise en place d'une politique industrielle européenne ou la lutte contre les changements climatiques. On ne peut que se féliciter de ce volontarisme.

L'Europe doit protéger les États contre la concurrence déloyale de la Chine et des États-Unis. Le prochain Conseil européen des 20 et 21 juin s'y emploiera. Il sera l'occasion d'entrer dans le concret avec les perspectives budgétaires 2021-2027.

Un nouveau Parlement européen aura été élu et il sera temps de reparler de la PAC. L'ancienne ministre parlait d'une diminution de 15 % alors que le ministre de l'agriculture évoque plutôt 5 %. Qu'en est-il ?

Aux côtés de la PAC, il ne faut pas oublier la très importante politique de cohésion, qui réduit les écarts de richesse entre les États européens. Le flou le plus total règne sur le cadre financier pluriannuel. Or quand il y a un flou, il y a un loup... et qu'un mauvais coup se prépare.

Mme Loiseau, désormais candidate aux élections européennes, vient de déclarer qu'elle ne souhaitait pas que l'argent de l'Europe serve à construire des autoroutes en Slovaquie... C'est désobligeant pour ce pays et inquiétant pour le nôtre. Il est absurde d'opposer ainsi solidarité et compétitivité. L'aide apportée par l'Europe pour le développement des infrastructures n'a pas été une si mauvaise chose : il n'est qu'à voir le développement qu'ont connu l'Espagne, la Grèce et le Portugal. Dans mon département, le désenclavement d'Alès par une 2x2 voies a relancé l'industrie locale.

Depuis vingt ans, les dirigeants européens n'ont eu de cesse de transformer la politique de solidarité en politique de compétitivité. L'idée serait de créer une enveloppe unique pour le fonds de soutien avec trois pistes de financement : l'utilisation des 25 milliards d'euros du fonds de soutien aux réformes structurelles, le refléchage des fonds prévus pour les Vingt-Sept en prêt garanti par le budget européen. Paris a obtenu que la gouvernance de cet instrument soit financée par un accord intergouvernemental. Si la proposition de la Commission européenne est approuvée, cela valide un principe de porosité des fonds vers l'aide structurelle. Si l'on conjugue la conditionnalité du versement des fonds à la création d'un fonds dédié, les aides telles que nous les connaissons dans nos territoires disparaîtront purement et simplement, c'est un danger bien réel. Le groupe qui rassemble les partis socialistes au Parlement européen propose au contraire de développer les politiques de cohésion.

Le refus par le Parlement d'un principe de macro-conditionnalité doit être pris en compte car il n'est pas acceptable que la Commission européenne puisse intervenir au niveau des régions en cas de non-respect de leurs obligations budgétaires par les États. Valider ce lien ira à l'encontre du développement de nos territoires.

Conditionner les aides, c'est faire payer aux citoyens les turpitudes de leurs dirigeants. La politique de cohésion est menacée et l'on n'en parle pas. Le groupe socialiste se battra pour le maintien des fonds de cohésion. Quelle est la position du Gouvernement sur ce point ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)

M. Franck Menonville .  - Madame la ministre, je vous souhaite une pleine réussite dans vos nouvelles fonctions.

Le terme du 29 mars est échu et le Royaume-Uni n'est toujours pas sorti de l'Union européenne. Malgré la détermination de Theresa May, le Parlement britannique n'a pas voté l'accord. La Premier ministre a changé la donne en mettant sa démission dans la balance, mais le flou subsiste.

Les Vingt-Sept doivent préserver les élections européennes et plaider pour une alternative claire. Les Britanniques doivent clarifier leur position, soit dans des élections anticipées, soit par un nouveau référendum.

Même si les États membres se préparent au pire des scénarios, sommes-nous certains d'avoir cerné toutes les difficultés posées par la fin d'une relation qui dure depuis 1973 ?

Madame la ministre, votre prédécesseur avait, le 14 mars, donné quelques informations au Sénat de la circulation des marchandises et des personnes. Avez-vous de nouveaux éléments sur les moyens de contrôle aux frontières ?

Au-delà de l'économie, la sortie du Royaume-Uni est une affaire politique qui laissera des traces. Nous sommes en train de perdre l'une des plus anciennes démocraties parlementaires avec laquelle nous partageons nombre de valeurs. Je m'interroge quant à la future place du Royaume-Uni dans la politique européenne de défense.

Sans accord, qu'adviendra-t-il du cadre des relations Union européenne/Royaume-Uni ? La contribution européenne reste fondamentale même si perfectible. L'Europe s'est construite sur une idée de paix partagée. Comme l'a rappelé un eurodéputé britannique, le Brexit représente un avertissement pour les peuples d'Europe. Nous ne devons jamais prendre pour acquis la paix et la prospérité. Nous avons eu des réussites sur la politique de migrations. Mais les atermoiements ont ouvert une brèche pour les populistes.

Quant à la taxation des GAFA, l'Europe doit montrer un visage uni. C'est une question d'équité fiscale. Soyons vigilants sur la régulation de l'économie en ligne et sur la désinformation. Concernant le dossier Huawei, Bruxelles souhaite une démarche coordonnée sur l'évaluation des réseaux 5G.

Est-ce que cela suffira, alors que les États-Unis nous mettent en garde ?

PAC, enjeux de défense et de sécurité, politique industrielle : ces enjeux exigent une réflexion suivie. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE)

M. Jean Louis Masson .  - J'ai déjà dit à cette tribune que sur le Brexit, les torts sont partagés. Certes la Chambre des communes a des allures de foire d'empoigne, mais des responsables européens, en particulier Michel Barnier, ont mis de l'huile sur le feu en menaçant de créer une frontière intérieure au Royaume-Uni.

L'affaire du « backstop » est un scandale absolu ! C'est se moquer des Nord-Irlandais, car tout le monde sait qu'ils souhaitent rester associés à la Grande-Bretagne... L'attitude des dirigeants européens a été machiavélique dans cette affaire - et c'est ce qui explique que nous en soyons là.

Madame la ministre, j'ai demandé à Mme Loiseau comment seraient répartis les sièges au Parlement européen après le départ des Britanniques - elle m'a répondu une chose et son contraire, en bref, n'importe quoi. (Exclamations à droite et au centre)

J'aimerais que l'on ne m'interrompe pas, au vu du temps qui m'est imparti !

M. le président.  - Il est échu...

M. Jean Louis Masson.  - C'est scandaleux ! Ceux qui nous donnent des leçons aujourd'hui, sont bien mal placés pour le faire !

M. Pascal Allizard .  - La Chine est désormais un acteur économique et politique global après une montée en puissance à bas bruit. Même l'hyperpuissance américaine a du mal à y résister. Les nouvelles routes de la soie, ce projet tentaculaire, mobilisent des milliards de dollars d'investissements sur plusieurs décennies, avec des conséquences géopolitiques majeures. Elles s'accompagnent d'une montée en puissance militaire pour sécuriser ses ressortissants. La Chine tisse ainsi un vaste réseau à travers le monde. Qui se souciait, en son temps, de la prise de contrôle du port du Pirée ? (M. Simon Sutour le confirme.)

Désormais la Chine tourne ses appétits vers Trieste. Forums Chine-Pays d'Europe centrale et orientale (PECO), dialogue de haut niveau... Les PECO s'en remettent désormais aux États-Unis et à l'OTAN pour leur sécurité, à la Chine pour leur prospérité... Quel échec pour l'Europe !

Soyons lucides et solidaires. L'Union européenne est le premier partenaire commercial de la Chine. Mais il y a des rééquilibrages à opérer : quelle stratégie globale pour les exportateurs européens par continent ? La France se donne-t-elle vraiment les moyens d'agir ? Attention à la cession d'infrastructures stratégiques, potentiellement déstabilisatrice. Attention aussi aux transferts de technologie forcés.

L'Union européenne ne saurait non plus se faire instrumentaliser par Washington dans sa guerre commerciale avec Pékin. Serons-nous acteurs ou spectateurs de cet affrontement ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

Mme Catherine Fournier .  - Le Royaume-Uni devait sortir de l'Union européenne le 29 mars. Jusqu'à quand en restera-t-il membre ? Madame la ministre, je vous alerte sur l'impact social et humain de cette absence de décision.

Mon département, le Pas-de-Calais, sera une victime toute désignée d'un Brexit dur.

Les exportations françaises vers le Royaume-Uni représentent 31 milliards d'euros - soit 7 % de nos exportations totales ; 30 % de la pêche française se fait dans les eaux territoriales britanniques, 42 % des produits alimentaires importés par les Britanniques viennent de l'Union européenne ; ces chiffres sont impressionnants.

Malgré les mesures de préparation, les filières les plus touchées par un no deal sont inquiètes. Le maintien régulé des flux, la pérennité des voies commerciales sont cruciaux.

Depuis le 4 mars, les agents des douanes françaises se sont mis en grève en guise d'alerte.

Les Britanniques, importateurs, doivent contrôler les flux entrants. Le Calaisis, et plus largement, la côte d'Opale est menacée d'engorgement rapide de par sa position d'entonnoir. Sans décision forte de l'État, l'impact en termes d'image et d'écologie de longues files de camions sera désastreux.

Les entreprises, elles, sont dans l'incertitude, ce qui nuit à l'investissement.

Madame la ministre, avez-vous à coeur de défendre nos territoires ? (Applaudissements sur les bancs des groupes UC, Les Républicains et RDSE)

M. Christophe Priou .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Madame la ministre, félicitations et bienvenue devant notre assemblée.

Les intérêts stratégiques de l'Union européenne à protéger, notamment dans le domaine maritime, sont énormes. Pourrions-nous avoir une stratégie maritime européenne intégrée, tenant compte du fait que les océans sont le vecteur de la mondialisation ?

Or, ce volet est insuffisamment pris en compte. La Chine se positionne dans plusieurs ports européens. L'Italie est le premier pays du G7 à intégrer, par un accord du 23 mars, le projet chinois de nouvelles routes de la soie. Gênes et Trieste deviennent des points d'entrée.

Il faut de l'ambition et un calendrier précis pour y faire face.

Le 21 mars, une agence britannique s'associait à une homologue chinoise pour la recherche sur l'éolien en mer - alors que les Britanniques sont déjà au premier rang mondial. Que n'avançons-nous pas sur le sujet ? La Compagnie maritime d'affrètement -Compagnie générale maritime (CMA-CGM) a commencé à explorer les alternatives au fioul lourd en testant les bio-carburants - l'échouage récent qui souille le littoral atlantique et bientôt l'Espagne nous en dit l'urgence.

Mais il faut aussi penser un espace européen de sécurité maritime. Les échanges de données doivent notamment être développés. Dans son avis au Roi en 1629, Richelieu écrit : « La première chose qu'il faut faire est de se rendre puissant sur la mer, qui donne entrée à tous les États du monde ».

Chers collègues, le XXIsiècle sera maritime. La tâche est immense. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur quelques bancs du groupe UC)

M. Édouard Courtial .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) « L'Europe, quel numéro de téléphone ? » Plus de 40 ans après avoir été prononcée, cette phrase de Kissinger est plus que jamais d'actualité.

L'Europe n'a pas de front commun face aux ambitions chinoises ; dès lors, comment blâmer l'Italie ? Nos divisions et contradictions créent des opportunités nuisibles à long terme.

L'initiative du président de la République de recevoir Xi Jinping avec Angela Merkel et Jean-Claude Juncker va dans le bon sens mais ne suffit pas. Nous devons nous doter d'objectifs stratégiques communs alors que les investissements chinois dessinent un nouvel ordre mondial.

Les routes de la soie concernent plus de 70 % de la population mondiale, 75 % des ressources énergétiques, 55 % du PIB mondial. Les financements totaux pourraient dépasser le trillion annuel.

D'où la nécessité d'un partenariat commercial fondé sur la réciprocité des ouvertures de marché et des transferts technologiques contrôlés.

Comme le dit si bien Sun Tzu, « celui qui n'a pas d'objectifs ne risque pas de les atteindre » ! (Applaudissements à droite et au centre)

Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État .  - Merci de votre accueil démocratique, républicain et chaleureux. Soyez rassuré, monsieur Courtial : le président de la République et moi-même avons des objectifs !

Monsieur Cambon, le fonds de défense sera doté de 4 milliards d'euros pour la recherche et 9 milliards d'euros pour les équipements, sur la période 2021-2027.

Monsieur de Montgolfier, il y a quand même eu des progrès en matière fiscale, notamment avec le projet BEPS, la liste des pays non coopératifs mais aussi sur la TVA, avec la directive sur les droits voisins. Le président de la République soutient la proposition de la Commission européenne d'une décision à la majorité qualifiée sur les sujets fiscaux. Nous travaillons à convaincre nos partenaires.

Sur le numérique, 23 des États européens sont sur la même ligne que la France. Si un accord à l'OCDE est trouvé, il remplacera la taxe temporaire votée par la France - il y aura un amendement dans ce sens au projet de loi présenté par Bruno Le Maire.

Monsieur Reichardt, la France a eu des initiatives heureuses en associant l'Europe au sommet franco-chinois.

Monsieur Bonnecarrère, j'ai rencontré ce matin mon homologue allemand Mickael Roth. Nous avons défini une liste de domaines où nous souhaitons que l'Europe avance.

Mme Mélot, sur les plateformes en ligne, nous allons prochainement déposer un projet de loi contre la haine en ligne.

M. Haut, l'approche concertée de la Commission européenne sur la protection des réseaux 5G est à saluer, mais il faut la mettre en oeuvre. La 5G doit être déployée selon des critères définis par une proposition de loi du Sénat, qu'il nous appartiendra de porter au niveau européen.

Monsieur Ouzoulias, il n'a jamais été question de pénaliser les Britanniques.

M. Pierre Ouzoulias.  - Je l'ai lu !

Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État.  - Le plan stratégique 2019-2024 s'appuiera sur des consultations européennes ; c'est un progrès démocratique. Je débats avec vous sur les sujets européens aujourd'hui ; c'est une dynamique à entretenir.

Monsieur Sutour, les propositions initiales de la Commission diffèrent selon que l'on parle en valeur ou en volume... La France a une position claire : la stabilité des fonds PAC en valeur, ce qui est légitime au sein d'un budget en expansion.

Bien sûr, nous voulons conserver une politique de cohésion ambitieuse, mais il faudra faire des arbitrages budgétaires. Nous nous réjouissons que les régions en transition soient plus largement définies. Derrière la conditionnalité, il y a le respect de l'État de droit et des valeurs démocratiques. Le président de la République souhaite y ajouter des critères sociaux.

M. Simon Sutour.  - Les citoyens de ces pays, qui n'ont pas forcément voté pour leurs dirigeants, en pâtiront !

Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État.  - La conditionnalité n'est pas faite pour pénaliser ces citoyens mais une règle sans sanction n'a aucune valeur... Avec mon homologue allemand, nous insisterons sur le respect des valeurs européennes et de l'État de droit.

Monsieur Menonville, notre partenariat stratégique avec le Royaume-Uni doit être préservé, notamment sur la sécurité et la défense. Les accords du Touquet, entre autres, sont essentiels. Nous pouvons encore faire beaucoup dans un cadre bilatéral, en matière de renseignement notamment. Jean-Yves Le Drian y travaille.

À M. Masson, qui a quitté l'hémicycle, je dirai que le travail de Michel Barnier est à saluer, au contraire. (MM. Jean Bizet, Simon Sutour et André Gattolin applaudissent.) L'acte européen est clair sur les conséquences électorales : si le Royaume-Uni quitte l'Union européenne, le nombre de sièges sera redistribué à la proportionnelle ; s'il reste, ce sera le statu quo.

MM. Courtial, Priou et Allizard ont évoqué le contrôle des investissements chinois. Le filtrage des investissements lorsque des intérêts stratégiques sont en jeu est un bon début ; c'est une restriction importante, dans un système fondé sur la liberté. Il nous faudra avoir une vision collective sur les points d'entrée, sur la politique maritime et de rayonnement.

Madame Fournier, pour avoir passé une partie de mon enfance dans le Calais d'avant le tunnel sous la Manche, je mesure bien le risque d'engorgement. Calais voit passer 60 % des flux de marchandises rentrant dans la zone euro. Les agents des douanes sont préparés et tout le Gouvernement, de même que Rodolphe Gintz, directeur des douanes, est mobilisé. Notre ambassade au Royaume-Uni déploie également des efforts considérables pour informer et accompagner nos concitoyens résidant au Royaume-Uni et nos entreprises et assurer le suivi d'un éventuel accord diplomatique...

Merci de cet échange. Je reste à votre disposition. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et RDSE, ainsi que sur le banc de la commission ; M. Éric Jeansannetas applaudit également.)

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes .  - Merci à tous pour vos contributions. J'insisterai sur deux points.

Le Conseil européen a d'abord invité la Commission à élaborer une stratégie industrielle à long terme et à mieux faire appliquer les règles au marché unique. Il demande que l'accent soit mis sur l'économie de services, l'union des marchés de capitaux et de l'énergie, sur une fiscalité juste et efficace. Conforter la puissance économique européenne passe par l'approfondissement de l'Union économique et monétaire, une politique numérique tournée vers l'avenir et une politique commerciale ambitieuse.

Les conclusions du Conseil ont été complétées pour préciser que le cadre réglementaire de l'Union européenne serait adapté aux évolutions technologiques. Le Conseil appelle la Commission à mieux encadrer les aides d'État, dans un sens propice à l'innovation.

Les règles européennes de concurrence semblent en effet décalées. Le refus opposé par la Commission à la fusion Alstom-Siemens a ranimé le débat. Dans leur manifeste conjoint de février dernier, les ministres français et allemand de l'économie suggèrent un pouvoir d'évocation du Conseil. La commission des affaires européennes du Sénat a confié au groupe de travail sur la stratégie industrielle qu'elle a créé avec la commission des affaires économiques une réflexion sur ces questions.

Sur le dossier Huawei, l'approche européenne semble satisfaisante, mais je crains qu'en matière de souveraineté numérique, les portes dérobées ne soient pas toutes sécurisées.

Le Conseil européen de mai devra reprendre la discussion sur le changement climatique, la lutte contre la désinformation et le Brexit.

Souhaitons qu'il trouve une issue clarifiant l'avenir, consolidant le fonctionnement de l'Union et lui permettant de s'atteler à sa nécessaire refondation.

Je vous souhaite à mon tour le meilleur, madame la ministre. J'ai hâte que nous parlions du jour d'après - après le Brexit... Le Royaume-Uni restera à quelques miles des côtes normandes : il faudra des accords bilatéraux pour régir nos rapports.

M. le président.  - Veuillez conclure.

M. Jean Bizet, président de la commission.  - Nous souhaitons retricoter les mailles du filet franco-allemand, qui repose sur la confiance mutuelle. (Applaudissements)

La séance est suspendue quelques instants.

Collectivité européenne d'Alsace (Procédure accélérée)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi relatif aux compétences de la Collectivité européenne d'Alsace, en procédure accélérée.

Discussion générale

Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales .  - Ce projet de loi revêt une importance particulière au vu de l'action que le Gouvernement souhaite mener à l'égard des territoires. Il s'agit, dans l'esprit du droit à la différenciation consacré par le projet de révision constitutionnelle, d'apporter des réponses institutionnelles aux besoins spécifiques des territoires. Sans provoquer un big bang des compétences, il s'agit d'ajuster ce qui peut l'être.

Ce projet vient répondre à une attente des départements alsaciens. Il est le fruit d'un processus de co-élaboration avec les parties prenantes. Il s'agit, en somme, de faire du cousu main qui s'appuie sur une initiative locale.

Depuis l'échec du référendum de 2013 qui visait à créer une collectivité territoriale unique regroupant le conseil régional d'Alsace ainsi que les départements du Haut-Rhin et du Bas-Rhin, et depuis la création de la région Grand Est, l'Alsace n'a cessé de revendiquer une évolution institutionnelle permettant de donner corps au « désir d'Alsace ».

Mme Catherine Troendlé.  - Absolument.

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Le préfet de région Marx, chargé de mener la concertation, a proposé un rapprochement des deux départements dans un nouveau département, lequel se verrait confier, dans le cadre du droit à la différenciation, des compétences complémentaires essentielles au vu de son caractère transfrontalier.

Je me suis rendue à de nombreuses reprises sur le terrain et ai travaillé en lien étroit avec Élisabeth Borne et Jean-Michel Blanquer.

Une déclaration commune a été conclue le 29 octobre et signée par le Premier ministre et les exécutifs des collectivités territoriales. Elle trouve à présent sa traduction dans ce projet de loi.

Première étape de la Collectivité européenne d'Alsace : le regroupement des conseils départementaux du Haut-Rhin et du Bas-Rhin en un seul, par le décret du 27 février, après délibération favorable des deux conseils départementaux le 4 février.

Deuxième étape : le transfert de compétences particulières en matière de coopération transfrontalière, de bilinguisme, de tourisme et de transports.

Troisième point : le développement des politiques culturelles, économiques et sportives, qui font l'objet d'un travail approfondi et donneront lieu à des actes réglementaires.

Les articles premier, 2 et 3 de ce projet de loi sont relatifs aux compétences, les articles 4 et 5 au personnel, l'article 6 aux modalités de compensation des transferts, les articles 7 et 8 aux dispositions transitoires, les articles 9 et 10 aux ordonnances nécessaires pour garantir le bon fonctionnement de la Collectivité européenne d'Alsace et régir le transfert des routes.

Au 1er janvier 2021, la Collectivité européenne d'Alsace exercera le socle classique des compétences départementales auxquelles s'ajouteront des compétences en matière transfrontalière, selon un principe de chef de filât de la collectivité sur son territoire. Elle établira un schéma alsacien de coopération transfrontalière et pourra décliner un volet opérationnel sur les projets structurants en matière de santé, mobilité, de formation professionnelle. Elle pourra ainsi se voir déléguer, par l'État, la région ou des EPCI des compétences pour leur mise en oeuvre. Le système de délégation ad hoc est valable pour toutes les collectivités concernées.

Des compétences sont spécifiques au bilinguisme, les Alsaciens ayant beaucoup insisté sur le facteur de mobilité professionnelle que constitue la langue allemande.

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Avec Jean-Michel Blanquer, nous avons particulièrement travaillé pour développer l'enseignement de l'allemand en complémentarité des enseignements nationaux. La Collectivité européenne d'Alsace pourra créer un vivier d'enseignants afin d'aider l'Éducation nationale à accélérer les recrutements. Nous sommes engagés à obtenir des progrès à la hauteur des besoins.

En matière touristique, la Collectivité européenne d'Alsace animera et coordonnera l'action des collectivités, en cohérence avec le schéma régional de développement du tourisme et des loisirs.

Le projet de loi acte le transfert des routes nationales et autoroutes non concédées situées en Alsace, sur lesquelles la Collectivité européenne d'Alsace pourra lever des ressources spécifiques contribuant à maitriser le trafic routier de marchandises. Il s'agit de régler un problème qui préoccupe les Alsaciens depuis longtemps.

Mme Catherine Troendlé.  - Absolument !

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Par ailleurs, la Collectivité européenne d'Alsace pourra transférer des portions de voies à l'eurométropole de Strasbourg. Là encore, le Gouvernement a cherché à faire du sur-mesure pour l'Alsace, comme il souhaite le faire sur l'ensemble du territoire, dans la logique de différenciation.

Ce projet de loi est un point d'équilibre, concret et pragmatique, élaboré avec les principaux intéressés. Je souhaite rester dans une fidélité constante au processus politique qui a abouti à la déclaration commune du 29 octobre 2018. Nous avons évité les écueils et sommes arrivés à un projet cohérent qui répond au désir d'Alsace. Continuons sur cette voie. (MM. René Danesi, Guy-Dominique Kennel et Mme Patricia Schillinger applaudissent.)

Mme Agnès Canayer, rapporteur de la commission des lois .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) L'histoire mouvementée de l'Alsace, son identité, ses particularités géographiques et son bilinguisme ont fortifié l'affectio societatis qui justifie la reconnaissance du « désir d'Alsace ». Cette spécificité a été exacerbée par le redécoupage des régions en 2015 qui a dissout l'Alsace dans la région Grand Est - contre l'avis du Sénat. (M. André Reichardt renchérit.)

Tout s'accélère en janvier 2018 avec la mission confiée au préfet Marx, qui préconise, le 15 juin, la fusion des deux départements auxquels seraient confiées des compétences nouvelles.

Le 29 octobre est signée une déclaration à Matignon, fruit d'une intense négociation entre le Gouvernement et les présidents des départements alsaciens et de la région Grand Est. Cet accord, ciselé à la virgule près, prévoit la création au 1er janvier 2021 de la Collectivité européenne d'Alsace qui bénéficiera, outre les compétences départementales, de prérogatives particulières, qui restent à vrai dire cosmétiques. (M. André Reichardt approuve.)

Le 4 février, les deux départements délibèrent pour demander leur fusion, à une très large majorité dans le Bas-Rhin et à l'unanimité dans le Haut-Rhin.

Créée par le décret du 27 février, cette nouvelle Collectivité d'Alsace est un département « plus », mais pas plus que cela. Son nom pouvait prêter à confusion, c'est pourquoi la commission des lois au Sénat a préféré l'appellation plus rigoureuse de département d'Alsace.

Mme Catherine Troendlé.  - À tort !

Mme Agnès Canayer, rapporteur.  - Ce problème sémantique ne doit pas cacher l'enjeu du débat, à savoir les nouvelles compétences données à la collectivité.

Comme tout compromis, ce texte suscite de vives insatisfactions, tant de la part de ceux qui souhaitent une collectivité à statut particulier que de ceux qui réclament les mêmes avantages que l'Alsace

S'il ne résout pas les difficultés nées du redécoupage des régions et de la loi NOTRe, il est attendu par de nombreux élus alsaciens car il donne du contenu à l'entité Alsace. Reste qu'il ne peut être déconnecté de l'acte III de la décentralisation ni du droit à la différenciation qui a vocation à s'appliquer à tous les départements.

La nouvelle « Alsace » doit être considérée comme une expérimentation dans cette perspective, sur laquelle travaille une mission présidée par M. Darnaud. (Marques d'approbation sur les bancs du groupe Les Républicains)

En conséquence, je vous propose d'accepter le compromis négocié par les élus alsaciens et le Gouvernement et largement amélioré par le Sénat. Nous sécurisons notamment dans la loi les dispositions électorales prévues dans les ordonnances.

Le transfert de la compétence coopération transfrontalière est essentiel pour répondre aux spécificités alsaciennes. La commission des lois a souhaité donner à la collectivité des moyens de l'exercer dans le cadre d'un schéma de coopération transfrontalière, et a autorisé les EPCI à déléguer tout ou partie de leurs compétences à la Collectivité européenne d'Alsace.

Le développement du bilinguisme est un autre point essentiel. La collectivité d'Alsace pourra recruter un vivier d'enseignants germanophones et organiser un enseignement complémentaire sur le temps périscolaire, dans les établissements.

Afin d'amplifier ces dispositions pragmatiques, la commission des lois a souhaité inscrire dans la loi le principe de chef de filât. Elle a introduit un article autorisant la création de chaînes de télévision régionales.

Avec plus de 20 millions de visiteurs par an, le tourisme constitue en Alsace un secteur économique majeur. Conformément à la déclaration commune de Matignon, le Sénat a densifié la compétence du département d'Alsace en matière de promotion de l'attractivité de son territoire et prévu la création d'un Conseil de développement.

Le transfert d'autoroutes au département - seule véritable innovation - est justifiée par la nécessité de réguler le trafic de marchandises, déporté des routes allemandes sur les routes alsaciennes. Il faut toutefois accompagner ce transfert de moyens pour permettre à la nouvelle collectivité d'endiguer la circulation des camions : créer une nouvelle catégorie d'autoroutes départementales ; sécuriser le transfert du personnel affecté aux voiries pour éviter les problèmes rencontrés en 2004 ; compenser le transfert de charges par des ressources équivalentes, conformément à l'article 72-2 de la Constitution. C'est le sens de l'article 6 qui prévoit une compensation de charges à hauteur de la moyenne des cinq années précédentes pour les investissements, de trois années pour le fonctionnement. Le Sénat a ajouté que cette compensation ne pourra être inférieure aux montants de 2018.

M. André Reichardt.  - Très bien.

Mme Agnès Canayer, rapporteur.  - La création d'une écotaxe reste bien vague et soulève de nombreuses questions. La commission des lois ne l'a pas supprimée mais sera vigilante sur sa mise en oeuvre ainsi que sur la continuité des engagements de l'État sur l'A355.

Ce texte autorise l'Alsace à expérimenter de nouvelles compétences pour renforcer l'attractivité économique de son territoire. Reprenant les dispositions adoptées en juin dans la proposition de loi sur l'équilibre territorial et la vitalité démocratique, nous avons souhaité que le département d'Alsace puisse octroyer des aides aux entreprises, sur délégation de la région.

Enfin, la commission a réintroduit dans le corps du texte plusieurs dispositions électorales prévues par ordonnance.

En adoptant ce texte, le Sénat remplit parfaitement son rôle de Chambre des territoires. Entendant le « désir d'Alsace », il a amplifié les compétences du nouveau département. Il a aussi entendu la volonté légitime des autres départements de voir leur spécificité reconnue au nom de la différenciation. L'expérience alsacienne devra nourrir le débat sur l'acte III de la décentralisation. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains ; M. Claude Kern et Mme Élisabeth Doineau applaudissent également.)

Exception d'irrecevabilité

M. le président.  - Motion n°1, présentée par M. Grosdidier.

En l'application de l'article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi relatif aux compétences de la Collectivité européenne d'Alsace (n° 413, 2018-2019).

M. François Grosdidier .  - Ce projet de loi est une mauvaise réponse à de bonnes questions. Une réponse qui n'est pas constitutionnelle ! La question est celle du désir d'Alsace. Cependant, le sentiment est partagé par tant de Français dont l'identité territoriale a été rayée de la carte par la création de nouvelles régions, découpées sur un coin de table, sous François Hollande.

M. André Reichardt.  - Tout à fait !

M. François Grosdidier.  - La question, c'est celle du besoin de décentralisation, de subsidiarité, de circuits courts dans les décisions publiques. Les Alsaciens vont vite se sentir bernés...

Le régime institutionnel français, dans les faits, est une forme de césarisme technocratique - même si cette tendance n'est pas la vôtre, madame la ministre, qui représentez une tradition centriste, parlementaire et décentralisatrice.

Le mouvement des gilets jaunes a révélé cette crise de la démocratie représentative. Une démocratie parlementaire entravée, l'Assemblée nationale étant transformée en chambre d'enregistrement et le rôle du Sénat contesté par l'exécutif, une démocratie locale corsetée et étouffée, une démocratie sociale bloquée. De tous les territoires montent un désir de reconnaissance, une soif de liberté et de décentralisation.

Il est vrai que les Alsaciens, qui ont une identité culturelle forte, le disent plus fort que les autres. On le sait depuis 1918, Paris a toujours davantage entendu les revendications bruyantes des Alsaciens que les pâles suppliques des Mosellans. (Exclamations ; Mme Catherine Troendlé s'étonne.)

M. Bruno Sido.  - Ce n'est pas normal !

M. François Grosdidier.  - Ces justes revendications portées par les Alsaciens sont partagées par tous les Français. Le Gouvernement ne peut satisfaire ceux qui parlent plus fort en frustrant les autres ; cette inégalité de droit serait anticonstitutionnelle.

La loi permet déjà de fusionner Bas-Rhin et Haut-Rhin en un seul département. Le discours du Gouvernement est un enfumage. Il appelle « collectivité européenne » ce qui n'est qu'un département, comme l'a rappelé le Conseil d'État.

Il fait croire que subsistent deux départements ? À l'heure des regroupements, Colmar ne restera pas longtemps une préfecture...

Mme Catherine Troendlé.  - C'est ce qu'on verra !

M. François Grosdidier.  - Nos collègues alsaciens ne s'y trompent pas et demandent que l'Alsace soit érigée en collectivité à statut particulier - ce qui est constitutionnellement impossible. Les collectivités à statut particulier existent en France métropolitaine sur critère démographique ou physique, pas sur critère culturel. Bretons et Basques seraient tout aussi fondés à le demander !

Mme Catherine Troendlé.  - Parfaitement !

M. François Grosdidier.  - Il faut plus de liberté pour tout le monde et pas seulement pour les Alsaciens.

Impossible, constitutionnellement, de donner des prérogatives au seul département d'Alsace ; cela créerait une rupture de l'égalité des droits entre départements. (Mme Catherine Troendlé le conteste.)

L'Alsace et la Moselle sont dans la même situation culturelle, linguistique, juridique et géographique. Plus de 100 000 Mosellans franchissent tous les jours la frontière pour aller travailler au Luxembourg ou en Allemagne.

Ce texte permettrait à l'Alsace de mettre en place l'écotaxe que le Gouvernement n'a pas souhaité inscrire dans le projet de loi Mobilités adopté cet après-midi même. En permettant l'écotaxe en Alsace et pas en Lorraine, le Gouvernement favorisera le déport du trafic Nord-Sud de l'A35 vers l'A31 au détriment des Lorrains.

M. Jean-Marc Todeschini.  - Eh oui !

M. François Grosdidier.  - Même sans ce déport, les investissements sur les plateformes multimodales à Bettembourg au Luxembourg vont aggraver la situation. Les nouvelles routes de la soie arrivent à Rotterdam et se prolongent à Bettembourg ; de là, les camions empruntent l'A31 !

La violation du principe républicain d'égalité va entraîner des désordres considérables sur le terrain. Tous les territoires de la République française souhaitent plus de libertés mais sans rupture d'égalité ; je le dis fraternellement à mes collègues alsaciens. Il nous faut un texte de portée générale, pas ce projet de loi générateur d'inégalité et anticonstitutionnel. (M. Pierre-Yves Collombat applaudit.)

Mme Jacky Deromedi .  - Selon François Grosdidier, le texte accorderait à l'Alsace des compétences spécifiques de manière injustifiée, inopérante et inconstitutionnelle. Cette interprétation de la Constitution est restrictive ; en nous dessaisissant, nous risquerions de passer à côté d'un texte intéressant de près les collectivités territoriales. L'Alsace ne serait pas le premier territoire à se voir doter de compétences dérogatoires au droit commun. Il n'est qu'à voir la Corse, Paris ou Lyon, sans parler de l'outre-mer.

L'article 34 de la Constitution confie au législateur le soin de déterminer les principes fondamentaux de la libre administration des collectivités territoriales. Mais l'article 72 n'exclut pas l'ajustement de certaines compétences des collectivités de droit commun, dont les départements. De plus, dans une décision de 1991, le Conseil constitutionnel a estimé que le principe d'égalité ne s'opposait pas au règlement différent de situations différentes au nom de l'intérêt général.

Mme Catherine Troendlé.  - Absolument !

Mme Jacky Deromedi.  - Certes, le choix du Gouvernement pour l'Alsace n'est peut-être pas le plus intuitif, mais le Conseil d'État n'y a cependant vu aucun risque d'inconstitutionnalité. L'absence d'une réforme globale des collectivités n'interdit en rien une loi d'une portée plus limitée. Refuser d'examiner ce texte ne serait pas une réponse mesurée.

Le transfert des compétences relatives au transport ne constitue pas une entorse à l'unité et l'indivisibilité de la République. Compte tenu de la situation particulière du corridor rhénan, le sujet mérite d'être débattu.

Adopter cette motion écarterait le Sénat de l'élaboration d'un texte important pour l'Alsace et pour les collectivités territoriales en général. Le décret instituant la collectivité d'Alsace ayant été adopté, nous ne pouvons l'ignorer par principe.

M. Jean-Marc Todeschini.  - Et pourquoi ?

Mme Jacky Deromedi.  - Prenons le temps d'y travailler et de faire entendre la voix du Sénat, au service de l'Alsace et de toutes nos collectivités. Je vous invite à rejeter cette motion. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains et sur quelques bancs du groupe UC)

Mme Agnès Canayer, rapporteur.  - Avis défavorable. Le Sénat remplit sa mission de chambre des territoires en adoptant un texte mesuré.

L'Alsace est un département « plus », mais pas plus. La Constitution n'interdit pas au législateur de conférer des compétences particulières à une collectivité territoriale, à condition que cela soit justifié par une différence de situation ou un motif d'intérêt général. Le Conseil d'État a reconnu les particularités de l'Alsace ; en outre, les compétences transférées restent très limitées.

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - La constitutionnalité de l'octroi de compétences supplémentaires à la Collectivité européenne d'Alsace est un point de droit sur lequel le Gouvernement a pris soin de saisir le Conseil d'État. Dans son avis du 7 décembre 2017, celui-ci a considéré que certaines différences dans la répartition des compétences étaient possibles dès lors qu'elles restaient limitées et conformes au principe d'égalité tel qu'interprété par le Conseil constitutionnel. Celui-ci a jugé dans sa décision du 6 mai 1991 sur la loi instaurant la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale (DSU) qu'il ne s'opposait pas à ce que le législateur traite différemment des situations différentes, pourvu que la différence de traitement soit en rapport avec l'objet de la loi. C'est le cas de l'Alsace !

Dans son avis sur le projet de loi, le Conseil d'État a parfaitement reconnu ce principe sur la question des routes. Il a reconnu la situation particulière des deux départements en matière linguistique. Rien d'inconstitutionnel dans le transfert des compétences à l'Alsace.

Vous indiquez que certaines dispositions du projet de loi ne seraient pas normatives. Il apparaît au Gouvernement que le législateur reconnaît les spécificités alsaciennes. Quant à étendre les bénéfices de compétences similaires à d'autres départements frontaliers ou fortement marqués culturellement, le Gouvernement considère que l'exercice de compétences supplémentaires doit être accordé à la demande des collectivités territoriales concernées. Je suis à votre disposition.

La révision constitutionnelle offrira des possibilités de différenciation plus larges. Par conséquent, le Gouvernement souhaite le rejet de votre motion.

Mme Laurence Harribey.  - Entre Jacky et Didier, mon coeur balance... (Sourires) C'est une affaire territoriale qui divise profondément des membres d'un même groupe. Ayons, dans ce cas, recours à la raison ! (Exclamations sur divers bancs) Cette motion pose un problème juridique : on peut certes pointer des affirmations incantatoires dans le texte, mais justement elles sont sans prise juridique et donc non exorbitantes. Il n'y a pas de problème d'irrecevabilité. Le groupe SOCR votera donc contre cette motion.

M. André Reichardt.  - Je m'exprime ici sur les trois motions.

Monsieur Grosdidier, je comprends votre initiative - j'ai même envisagé quelque chose d'analogue - tant ce texte est loin des attentes des Alsaciens. Ils n'ont pas demandé une collectivité européenne d'Alsace. Dans leur grande majorité, les Alsaciens veulent un retour à leur organisation antérieure. Mais il est préférable de travailler à l'enrichissement de ce texte pour répondre à ce désir d'Alsace. C'est un acte de foi dans nos débats !

Le travail du rapporteur, de la commission des lois, peut encore être prolongé pour enrichir ce texte, sans léser nos amis Lorrains ou Champardennais.

J'aurais certes préféré une remise à plat de la loi NOTRe ; en attendant, faisons de cet examen un laboratoire des travaux à venir.

M. Jean-Marie Mizzon.  - J'ai beaucoup de sympathie pour les Alsaciens - et singulièrement pour les sénateurs alsaciens... (Sourires) Mais il arrive que je ne les rejoigne pas. Quelqu'un disait : l'amoureux qui espère est plus heureux que celui qui a obtenu. (Mouvements divers) Nous reviendrons sur le terrain juridique...

M. Jean-François Husson.  - C'est sûr !

M. Jean-Marie Mizzon.  - ... mais soyez patients !

J'attire votre attention sur les dégâts collatéraux. Les gens sont las des réformes territoriales qui se sont succédé. En bon français : arrêtez de nous embêter ! (Applaudissements sur divers bancs au centre et à droite)

Les poids lourds qui empruntent la rive gauche du Rhin pour éviter la taxe imposée sur la rive droite se reporteront, demain, sur le sillon lorrain.

Le fond doit toujours l'emporter sur la forme. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes UC  et RDSE ; Mme Gisèle Jourda applaudit également.)

La motion n°1 n'est pas adoptée.

Question préalable

M. le président.  - Motion n°159, présentée par M. Masson.

En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi relatif aux compétences de la Collectivité européenne d'Alsace (n° 413, 2018-2019).

M. Jean Louis Masson .  - Je soutiens à 100 % les aspirations des Alsaciens à retrouver leur région. Nos divisions sont la faute du Gouvernement !

M. Pierre-Yves Collombat.  - C'est vrai ! (On renchérit sur divers bancs.)

M. Jean Louis Masson.  - Le Gouvernement dit qu'il répond à leurs attentes ; je regrette que Mme le rapporteur lui emboîte le pas, comme si tout allait bien : c'est un mensonge ! À 80 %, d'après les sondages, les Alsaciens estiment que la région Grand Est, c'est la chienlit. Les deux tiers veulent retrouver leur région.

Madame la ministre, vous répondez n'importe quoi. (On se récrie sur plusieurs bancs.) Mais si, vous répondez à côté de la plaque ! Il y a deux solutions : soit supprimer tout de suite la région Grand Est, soit soumettre la question à un référendum entre votre petit bricolage et le retour à une région Alsace...

M. Bruno Sido.  - Très bien !

M. Jean Louis Masson.  - Comme vous savez que vous brusquez les Alsaciens, vous n'en voulez pas ! J'ai décidé de m'investir sur ce dossier. Le Gouvernement Valls a lancé la course au gigantisme en créant des entités régionales démesurément étendues au mépris de l'article L4122-1 du code général des collectivités territoriales selon lequel les habitants sont consultés sur le redécoupage de leurs régions.

Mme Nathalie Goulet et M. Claude Kern.  - Très juste !

M. Jean Louis Masson.  - Cela repose sur l'idée fausse que les regroupements engendreront des économies d'échelle ; un rapport de la Cour des comptes a montré qu'il n'en était rien, et que la fusion avait même créé des surcoûts !

M. Bruno Sido.  - C'est vrai !

M. Jean Louis Masson.  - Le cas de l'ancienne région Alsace est le plus emblématique : on a étouffé l'idée séculaire d'une région pour créer une entité démesurée, deux fois plus grande que la Belgique, pourtant divisée en trois, la Wallonie, la Flandre et Bruxelles... Il faut 3 h 34 pour rallier Troyes à Strasbourg en voiture, 4 heures en train, contre 1 h 58 de Troyes à Paris en voiture et 1 h 23 en train ! Le journal Les Dernières Nouvelles d'Alsace a même révélé le 18 juillet 2018 que les frais de déplacement de la région Grand Est avaient bondi de 51 % en 2017 par rapport au total des trois anciennes entités...

M. Bruno Sido.  - Et voilà !

M. Jean Louis Masson.  - Comme en Corse, la population alsacienne est très attachée à son territoire, son identité, ses spécificités linguistiques et religieuses. Selon un sondage de l'IFOP, 66 % des Alsaciens veulent une région Alsace de plein exercice : deux sondages menés par BVA et un autre institut, jusqu'en février 2019, l'ont attesté. Il n'y a aucune ambiguïté.

Mais le microcosme politique est plus divisé : les calculs politiciens sont à l'oeuvre, l'intérêt personnel l'emportant sur l'intérêt général.

Trois courants sont hostiles : les élus socialistes qui ne veulent pas désavouer le Gouvernement Valls, les sénateurs LaREM et Modem s'alignent sur le Gouvernement, enfin les élus Les Républicains sont divisés, car la région est présidée par l'un des leurs ! Jean Rottner, après avoir lancé une pétition pour le maintien d'une région Alsace de plein exercice, a tourné, une fois à la tête de la région Grand Est... (Exclamations)

Le président de la République est pénétré de l'idée, très répandue dans les milieux parisiens, que plus une région est étendue, mieux elle est gérée.

Le Gouvernement craint, lui, d'ouvrir la boîte de Pandore des revendications territoriales. Il propose une pompeuse appellation de collectivité européenne d'Alsace, à laquelle l'État et la région Grand Est délégueraient quelques compétences marginales. C'est un leurre, pour masquer la réalité : celle d'un département de droit commun ! Avec le logo de l'Alsace sur les plaques minéralogiques, les Alsaciens voient loin ! (Mme Catherine Troendlé proteste.)

L'Alsace resterait en fait inféodée au Grand Est ; les territoires des deux autres anciennes régions resteraient englués dans le Grand Est, trop grand pour permettre la moindre gestion de proximité. Seuls le Gouvernement et quelques profiteurs sont satisfaits.

M. le président.  - Veuillez conclure...

Mme Catherine Troendlé.  - C'est fini ! (On renchérit sur plusieurs bancs de part et d'autre de l'hémicycle.)

M. Jean Louis Masson.  - Seule vraie solution, une région Alsace de plein exercice, pour une gestion de proximité au plus près des réalités du terrain.

Mme Catherine Di Folco.  - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) D'après cette motion, ce texte ignore la volonté des Alsaciens. Certes, les changements de la carte des régions ont causé des frustrations. Pour autant, le Sénat n'ignore pas le désir d'Alsace des élus et des citoyens alsaciens.

Le projet de loi entame l'aménagement d'un ensemble alsacien pour commencer à y répondre. Refuser de discuter ce début de réponse, c'est ne pas répondre à des questions immédiates et concrètes.

De plus, le décret de mise en place de la nouvelle collectivité territoriale a déjà été pris. Le Sénat ne peut laisser la main à l'Assemblée nationale (Mme Catherine Troendlé approuve.) alors que l'article 24 de la Constitution lui assigne la représentation des collectivités territoriales de la République.

La question de l'Alsace ne cessera pas de se poser, même si le Sénat refuse de discuter ce texte. C'est pourquoi nous voterons contre ce projet de loi.

Mme Agnès Canayer, rapporteur.  - La commission n'a pu examiner formellement cette motion, mais s'est prononcée sur la question préalable de M. Grosdidier, retirée depuis.

Monsieur Masson, si vous aviez écouté ce que j'ai dit en discussion générale, vous auriez entendu que nous sommes moyennement enthousiastes. Puis, on peut rester courtois, rien ne vous oblige à vous enfermer dans une attitude belliqueuse.

Même d'ambition limitée, ce texte ne saurait être rejeté en bloc, surtout amélioré par la commission.

Mme Catherine Troendlé et M. Bruno Sido.  - Très bien !

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Le Gouvernement est contre.

Mme Véronique Guillotin.  - Attachée à la discussion, le groupe RDSE votera contre cette motion.

Il est faux de dire que la région Grand Est n'a pas dégagé d'économies de fonctionnement. Au contraire, elles s'élèvent à 10 millions d'euros par an depuis sa création, 100 millions d'euros en tout en incluant les investissements, notamment dans les transports.

Le groupe qui a fait scission, ce sont cinq membres sur la centaine qui composent le conseil régional. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE)

M. le président.  - Je rappelle qu'il n'y a qu'une seule explication de vote par groupe... (M. Daniel Gremillet, qui avait demandé la parole au nom du groupe Les Républicains, indique qu'il la cède à M. René Danesi)

M. René Danesi.  - Merci. Ce que dit la motion de la volonté des Alsaciens est vrai, mais la politique, c'est l'art du possible.

Le Gouvernement n'a pas voulu pour l'Alsace le même statut que pour la Corse, Paris et Lyon. Il a eu tort. Cela aurait eu le mérite de la clarté et de la simplicité. Mais les deux conseils départementaux d'Alsace ont choisi le pragmatisme, et je propose de les suivre. Le texte marque une avancée, malgré tout, par rapport à la situation actuelle. Votons contre cette motion.

La motion n°159 n'est pas adoptée.

Discussion générale (Suite)

M. Alain Marc .  - Après l'échec du référendum en 2013 et l'entrée en vigueur de la nouvelle collectivité territoriale régionale en 2016, les élus alsaciens ont voulu redonner à leur territoire une identité forte, historique, linguistique et culturelle.

Le Gouvernement a décidé, à la demande des élus locaux, par un décret du 27 février 2019, de fusionner les deux départements, à partir du 1er janvier 2021, en une « collectivité européenne d'Alsace ». Le projet de loi en tire les conséquences techniques, sur l'action frontalière, la promotion des langues régionales, le tourisme, la voirie, etc. Mais les apports sont modestes en réalité. Aussi me réjouis-je que la commission des lois ait enrichi le projet de loi, en consolidant les compétences de la nouvelle collectivité et en lui donnant les moyens de les exercer.

Le nom de département d'Alsace est juridiquement plus exact. En déléguant aux EPCI à fiscalité propre les compétences relatives au schéma, la commission a fait preuve de souplesse et de réalisme. Elle a en outre renforcé d'autres compétences, notamment sur les langues régionales.

Les politiques de développement économique ont été assouplies sur une base conventionnelle. De même, la commission a renforcé la clause de sauvegarde sur les emplois transférés par l'État. En outre, elle a souhaité garantir au nouveau département alsacien la compensation intégrale des charges nouvelles qui lui incomberont en raison du transfert de la voirie nationale non concédée, conformément à l'article 72-2 de la Constitution.

Enfin, le Conseil de développement auprès du département accompagnerait la mise en oeuvre des transferts de compétences.

Toujours très attentif au besoin de proximité qui s'exprime en Alsace et sur l'ensemble du territoire, le groupe Les Indépendants votera ce texte enrichi par la commission des lois.

Mme Patricia Schillinger .  - Il est demandé au Sénat d'accompagner les Alsaciens et leurs élus qui portent leur désir d'Alsace plus fermement encore depuis la fusion des régions et qui partagent un projet de collectivité répondant aux demandes des habitants.

La Collectivité européenne d'Alsace est un leurre ou une tromperie pour certains, un risque de désintégration de la Nation pour d'autres. Mais l'opposition entre universalisme et particularisme est stérile. L'Alsace veut écrire une nouvelle page de son histoire. Pierre Pflimlin disait : « Je suis Européen parce que je suis Alsacien. »

La Collectivité européenne d'Alsace s'inscrit dans la continuité des engagements pris par le président de la République à savoir accompagner les initiatives au niveau local sans pour autant provoquer un big bang des compétences. Ce projet est le fruit d'un long travail des élus locaux. Je rends hommage à Brigitte Klinkert et Frédéric Bierry, qui ont consacré tant d'heures et tant de kilomètres à des centaines de rencontres avec les habitants. Je remercie également Jean-Luc Marx, le préfet de la région Grand Est, missionné dès janvier 2018. Madame la ministre, vous vous êtes rendue à de nombreuses reprises sur le terrain, en lien étroit avec Élisabeth Borne et Jean-Michel Blanquer.

Les élus et le Gouvernement ont su écouter le désir d'Alsace pour élaborer un projet cousu main avec cette collectivité européenne d'Alsace au socle de compétences enrichi.

Ce projet a fait l'objet d'une déclaration commune en octobre dernier que ce projet de loi traduit juridiquement.

Je salue les avancées rendues possibles par la commission. À titre personnel, je souhaite que les amendements alsaciens soient adoptés, afin que la Collectivité européenne d'Alsace soit la promesse heureuse d'un avenir serein.

Mais pourquoi débaptiser à Paris ce qui a été nommé en Alsace ? Au nom de quoi balayer d'un revers de main le fruit d'un accord patiemment construit ? Le Conseil d'État a relevé un risque de méprise mais le Gouvernement et les élus ont tranché. Imposer aux Alsaciens, en fin de parcours, un nom qu'ils n'ont pas choisi serait une marque de mépris qui affecterait longtemps l'image de notre assemblée...

M. Jean-Marc Todeschini.  - On tremble !

Mme Patricia Schillinger.  - Puisse le Sénat devenir la cigogne qui livrera un nouveau-né à la maison ! (Sourires) Comme le dit le proverbe alsacien, « quand les cigognes sont là, le monde est en bon état ». (Même mouvement) Pour une Alsace sereine, plutôt qu'une Alsace libre ! (M. François Patriat applaudit.)

M. Pierre-Yves Collombat .  - Pardonnez-moi, je ne suis pas une cigogne... (Sourires) Au nom du droit à la différence territoriale, ce bricolage législatif, ni fait ni à faire, est une nouvelle étape de l'organisation du démembrement de la République une et indivisible qui porte le nom de France. Une entreprise ancienne, dont la loi NOTRe a marqué un temps fort. En l'espèce, une différenciation, assortie, comme d'habitude, du désengagement de l'État : transfert des routes qui n'en ont pas encore fait l'objet, des autoroutes, de l'enseignement des langues et des classes bilingues, on peut craindre la suite... que serait un nouvel acte de décentralisation dont voici le prélude !

Revenir par la loi sur les décisions référendaires qui déplaisent devient une fâcheuse manie...

Deuxième curiosité : la Collectivité européenne d'Alsace cohabitera avec les services de l'État.

Troisième étonnement : que changera la nouvelle organisation territoriale, de même que la désignation d'un chef de file ? La vraie solution serait de revenir à notre tradition administrative qui a su concilier petites nations locales et grande nation, en revenant sur la répartition bureaucratique des compétences entre région et département, la suppression de la compétence générale des départements, bref, en revenant sur les boursouflures récentes qui ont compliqué la gestion locale.

Le jacobinisme français est une combinaison de centralisme et de liberté locale : voyez notre commune, disposant d'une autonomie bien supérieure à ses homologues anglaise, allemande ou américaine ! Comme l'a montré Pierre Grémion, dans le système administratif classique, le préfet n'est pas que la courroie de transmission, c'est aussi le porte-parole des territoires et des élus auprès de l'Union européenne, qui disposerait initialement de moyens financiers et d'ingénierie. Les lois de décentralisation de 1982 et 1983 ont trouvé un équilibre, que les réformes Sarkozy, Hollande et Macron n'ont fait que détricoter.

Selon Jérôme Fourquet, la France serait devenue un archipel d'îles et d'îlots sans lien entre eux, une nation multiple et divisée, autre chose qu'une Nation.

N'entendant pas participer à cette entreprise de destruction, le groupe CRCE ne votera pas ce texte qui révèle bien les intentions de ses auteurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)

Mme Laurence Harribey .  - Le texte procède logiquement du décret du 27 février 2019 et tente, par des formulations alambiquées, de résoudre la question du statut institutionnel alsacien, qui ne satisfait apparemment personne.

Non Alsacienne, je retiendrai trois éléments : l'échec du référendum de 2013, le traumatisme de la création de la région Grand Est, et enfin ce projet de loi, qui fait suite à la déclaration dite de Matignon d'octobre 2018.

Ce texte a donc un volet classique, juridique, et un volet plus politique, qui tente de donner corps à une nouvelle collectivité appuyée sur un socle de compétences départementales et enrichie de compétences, mais sans fondement juridique clair. La commission a clarifié les choses en renommant, à notre initiative, la Collectivité européenne d'Alsace « département d'Alsace ».

Celui-ci serait chef de file pour la coopération transfrontalière. Or celle-ci ne concerne pas que l'Alsace. En l'état, c'est insuffisamment précis. L'article 13 du traité d'Aix-la-Chapelle - certes non encore ratifié - insiste sur la nécessité d'adapter la législation pour surmonter les obstacles à la réalisation de projets transfrontaliers.

Bref, nous regrettons que ce projet de loi ait été vu comme l'occasion de doter l'Alsace d'un nouveau statut et saluons sa nouvelle appellation. En fonction des avancées obtenues en séance, le groupe socialiste affinera sa position définitive sur ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)

Mme Josiane Costes .  - Nous sommes avant tout des Républicains : la loi doit être appliquée en toute circonstance. Législateurs, nous devons en outre examiner ce texte au regard du respect du principe d'égalité.

Nous ne sommes pas opposés par principe à la fusion des deux départements, si elle est accompagnée de garde-fous, mais nous nous interrogeons sur l'opportunité de légiférer dès maintenant sur le cas alsacien, alors que la révision constitutionnelle en cours de navette prévoit un droit à la différenciation des collectivités, que le régionalisme progresse et que le Conseil d'État a émis des réserves.

Certains arguments nous semblent également caducs. Dialoguer d'égal à égal avec les Länder allemands ? C'est le but du Grand Est ! Et la Moselle est tout autant concernée. Le bilinguisme concerne aussi toutes les régions frontalières.

Pourquoi ce périmètre pour le numérique, la culture et les transports ? La Moselle en serait exclue. C'est l'opposé de la vision d'une République une et indivisible, qui doit être ouverte à 360 degrés.

Quant au sujet des poids lourds qui traversent notre territoire, c'était l'objet de la loi d'orientation des mobilités, question d'ailleurs renvoyée aux conclusions du grand débat.

Pour le groupe RDSE, la vraie question de ce projet de loi est celle du droit à la différenciation. La création d'une nouvelle collectivité d'Alsace est une première étape vers un nouvel acte de décentralisation, très attendu par les élus locaux, et auquel nous sommes très favorables. Nous espérons toutefois que cela ne prélude pas à la sortie de l'Alsace de la grande région. La décentralisation sera au coeur de la révision constitutionnelle.

Compte tenu de ces réserves, le groupe RDSE attendra les débats pour se prononcer. (Mme Mireille Jouve applaudit.)

La séance est suspendue à 20 heures.

présidence de Mme Hélène Conway-Mouret, vice-présidente

La séance reprend à 21 h 30.

Décès d'un ancien sénateur

Mme la présidente.  - J'ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Philippe François, qui fut sénateur de la Seine-et-Marne de 1983 à 2004.

Collectivité européenne d'Alsace (Procédure accélérée - Suite)

Mme la présidente.  - Nous reprenons la suite de la discussion du projet de loi relatif aux compétences de la Collectivité européenne d'Alsace, en procédure accélérée.

Discussion générale (Suite)

M. Jean Louis Masson .  - Les débats sont instructifs. J'ai expliqué que pour beaucoup d'élus régionaux, le Grand Est est un fromage où chacun fait son trou. On nous dit en conséquence que tout va bien, qu'il ne faut surtout pas créer une région Alsace de plein exercice. Je ne suis pas surpris. Chacun voit son intérêt politique ou matériel.

Le président de la région a complètement retourné sa veste ! Heureusement pour lui qu'il n'y a pas de nationalité alsacienne : il en serait déchu pour haute trahison. Il a dit partout qu'il fallait se battre à la mort pour la région Alsace, qu'il fallait signer la pétition, et une fois président de la nouvelle région Grand Est, il dit le contraire !

L'honnêteté en politique, ce n'est pas cela. Il faudra des clarifications politiques, chez les élus alsaciens comme ceux du reste de la région qui souffrent de cette aberration.

Mme la présidente.  - Il faut conclure.

M. Jean Louis Masson.  - Il n'y a aucune proximité. Changeons de braquet.

M. Claude Kern .  - Pour bien comprendre la raison d'être du texte, il faut revenir au péché originel : la carte des régions issue de la loi du 16 janvier 2015 après des débats enflammés et un dernier mot de l'Assemblée nationale.

Le Sénat, en décembre 2014, avait adopté une carte préservant la région Alsace. S'il avait été écouté, nous n'en serions pas à la Collectivité européenne d'Alsace.

On nous avait promis que la nouvelle région Grand Est ferait faire 10 milliards d'euros d'économies, voire, pour certains, 55 milliards d'euros. Nous les attendons toujours. Dans certaines régions, les dépenses ont même augmenté. Je ne suis toujours pas à l'aise avec cette région Grand Est trop vaste et dépourvue d'affectio societatis.

Le désir d'Alsace, que ressentent 84 % des Alsaciens, évoqué par la ministre, aurait pu prendre d'autres formes que la Collectivité européenne d'Alsace, sorte de fiction améliorée de département ; j'aurais préféré une collectivité à statut particulier.

Cependant, le compromis du 29 octobre est tout de même satisfaisant. Je soutiens donc ce projet de loi, malgré mes réserves sur le texte initial considérablement amélioré par notre rapporteure. Sans être alsacienne, elle a su en saisir les enjeux et faire preuve de pragmatisme.

Le nouvel article 2 bis prévoit que la Collectivité européenne d'Alsace peut se voir déléguer par la région les aides aux entreprises ; d'autres départements pourraient bénéficier d'un tel transfert, à titre expérimental ; c'est la deuxième fois que le Sénat rectifie une orientation néfaste de la loi NOTRe, qui a réduit à peau de chagrin les compétences économiques des départements.

L'article 3 attribue la police de la circulation sur les autoroutes non concédées au président de la collectivité.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois.  - Merci !

M. Claude Kern.  - Je me félicite que la rapporteure ait donné un avis favorable à mon amendement sur l'article 8.

J'en viens au plus sensible : l'intitulé de la nouvelle collectivité : Collectivité européenne d'Alsace, qui figure dans la déclaration du 27 octobre 2018, et dans le décret du 27 février qui fusionne les deux conseils départementaux, non les deux départements. Comment défendre un autre intitulé pour un Alsacien ?

Le groupe socialiste a déposé un amendement créant un département d'Alsace, malheureusement adopté. Je soutiendrai les amendements rétablissant l'intitulé de Collectivité européenne d'Alsace, même si je crois que toutes les collectivités territoriales ont une mission européenne.

À cette exception, le texte a été enrichi sans remettre en cause les équilibres du texte initial. Je le voterai donc. (Applaudissements sur les bancs du groupe UC)

Mme Catherine Troendlé .  - C'est la chronique d'une mort annoncée. Nous ne voulons pas d'un département d'Alsace, qui ne réponde pas au désir d'Alsace exprimé par les Alsaciens.

La Collectivité européenne d'Alsace doit être dotée de compétences supra-départementales dans le transfrontalier, le tourisme, le bilinguisme et la mobilité : c'est l'acte I, conclu le 29 octobre. Acte II : les décrets et votes des départements. Nous voici, mes chers collègues, réunis pour écrire l'acte III : transposer ces compétences élargies à d'autres territoires. Cet évènement historique pourrait se terminer par un drame comme par un espoir. Des milliers d'Alsaciens ont exprimé un désir qui appelle une réponse institutionnelle.

Merci à la rapporteure de son écoute, et d'avoir repris à son compte certains de mes amendements. J'en proposerai un conférant à la Collectivité européenne d'Alsace la mise en oeuvre du schéma de coopération transfrontalière.

Il faut aussi lutter contre le déport routier, compenser les investissements dans les voies routières confiées à la collectivité, prendre en charge le surcoût des opérations inscrites au contrat de plan 2015-2020 et qui seront transférées. La création d'une collectivité territoriale unique, originale, ne fusionne toutefois pas les entités administratives. Je présenterai donc un amendement pérennisant la préfecture du Haut-Rhin en tant que chef-lieu de la nouvelle collectivité.

Ce texte, après tant d'attentes déçues, doit être ambitieux. Contribuons-y ensemble. (M. Philippe Bas, président de la commission, applaudit ; quelques applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains également)

M. Guy-Dominique Kennel .  - En 2013, nous proposions une vraie région Alsace avec des conseillers territoriaux pour élus. Cela eût été la meilleure solution. Mais le référendum ne l'a pas validé - échec douloureux - et le 1er janvier 2016, la région Grand-Est fut créée.

En janvier 2018, le Gouvernement confiait une réflexion au préfet de région, Jean-Luc Marx, sur l'avenir du territoire. Celui-ci constatait que le désir d'Alsace dépassait le plan institutionnel, et préconisait l'attribution de compétences nouvelles à la future collectivité.

Madame la ministre, vos déplacements en Alsace, les nombreuses réunions organisées et vos déclarations ont entretenu un espoir qui cédait au doute le 29 octobre 2018, avec une déclaration légère, voire transparente. Doute aussi sur votre volonté d'aller plus loin.

Aujourd'hui, avec ce texte, le doute a disparu et c'est la déception qui s'installe. Déception sur la Collectivité « européenne », la notion de chef de filât sur la politique transnationale, sans vraie capacité à décider et un transfert de compétences qui n'est en fait qu'un transfert de charges, sans doute 50 millions d'euros sur les autoroutes non concédées.

Déception aussi sur les quatre domaines où s'exerceront les compétences de la collectivité, le tourisme, le sport et le bilinguisme.

Déception, enfin, sur le choix des ordonnances alors que de nombreuses mesures pourraient être précisées dans la loi.

L'Alsace ne souhaite pas se singulariser, mais être une terre d'expérimentation au profit de tous. Se sentir Corse, Savoyard, Berrichon ou Alsacien, c'est avant tout se sentir français.

Madame la ministre, l'Alsace vaut mieux, la France vaut plus ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Les Républicains)

M. Jacques Bigot .  - (Applaudissements sur les bancs socialistes) L'Alsace, elle aussi, est riche de sa diversité : il y a même des socialistes ! Essayons de trouver un point d'accroche dans ce débat.

L'Alsace est une vallée rhénane de 2 millions sur un territoire restreint. Le désir d'Alsace est logique ; mais rappelons que le Haut-Rhin a voté contre le regroupement avec le Bas-Rhin ; que la rivalité entre Colmar et Mulhouse a vite émergé.

En adoptant la loi NOTRe, nous n'avons pas prévu une seule agence régionale de santé, un seul rectorat dans la région Grand Est. Richard Ferrand veut une loi des territoires ; mais il faut surtout de la proximité dans les décisions. Nos concitoyens le réclament.

Je suis pour une collectivité regroupant les deux départements. Mais ne l'appelons pas Collectivité européenne d'Alsace : la rapporteure elle-même a reconnu que ce n'était rien de plus qu'un nouveau département. Reconnaissons-le. Certains Alsaciens, Guy-Dominique Kennel le rappelait, souhaiteraient une collectivité territoriale à statut particulier. Là, nous risquons d'entretenir une confusion ou une incompréhension. On pourrait imaginer une « collectivité européenne » si, au sortir de ce débat, l'Alsace avait une vraie compétence transfrontalière, en organisant par exemple des échanges d'enseignants avec les Länder, des collaborations hospitalières. C'est ce que je proposerai dans des amendements.

Faisons ensemble ce débat sur la décentralisation, plutôt que de nous battre sur un nom qui va tromper les Alsaciens. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)

M. André Reichardt .  - La Collectivité européenne d'Alsace est une mauvaise réponse à une bonne question. Les Alsaciens n'ont jamais demandé la Collectivité européenne d'Alsace issue de l'accord de Matignon mais - à plus de 83 % selon un sondage - une collectivité territoriale disposant des pouvoirs de l'ancienne région d'Alsace, et pour les deux tiers la sortie de la région Grand Est. Comme tous les Français, ils n'ont pas accepté le découpage absurde et arbitraire issu de la loi NOTRe. Ils souhaitent le retour à une collectivité territoriale qui a un sens, par un nouvel acte de décentralisation.

Hormis la gestion des autoroutes non concédées, aucune nouvelle compétence n'est transférée à cette nouvelle entité.

Ce texte divise dans la région Grand Est. Il ne satisfera personne. Pire, il pose des difficultés juridiques soulignées par le Conseil d'État. Améliorons le texte en faisant de la Collectivité européenne d'Alsace une collectivité territoriale à statut particulier au sens de l'article 72 de la Constitution. Ce serait un signe fort du Sénat. La chambre des territoires est-elle prête à saisir cette occasion ?

M. François Grosdidier .  - Ce projet de loi est effectivement une mauvaise réponse au désir d'Alsace. D'autres désirs sont aussi légitimes. Le conseiller territorial respectait la subsidiarité et assurait la proximité. Son abolition a conduit le Gouvernement socialiste à créer d'immenses régions. L'actuel Gouvernement les a hélas maintenues.

Les élus, accaparés par la réforme des structures, n'ont plus le temps pour leur mission de proximité, pour répondre tout simplement aux demandes de leurs mandants.

Les autres régions européennes ne sont pas forcément immenses - voyez le land de Sarre qui compte moins d'habitants que la Moselle mais dont le budget par habitant est dix fois supérieur à celui de la Moselle et de la région réunies... L'État ne parvient pas à assumer correctement ses missions régaliennes, l'armée, la justice, la police par exemple, mais il ne lâche pas prise, y compris sur ses compétences décentralisées ! Une commune ou un EPCI ne peuvent plus éditer un PLU sans qu'un fonctionnaire de la DDE vienne lui expliquer comment le zoner. Les départements deviennent des agents d'exécution de la technostructure pour les politiques sociales - et même chose pour la formation ou d'autres politiques publiques.

Ces problématiques n'ont pu échapper à la commission des lois, qui semble ouverte à accorder plus de libertés à d'autres territoires que la seule Alsace.

Renvoi en commission

Mme la présidente.  - Motion n°2, présentée par M. Grosdidier.

En l'application de l'article 44, alinéa 5, du Règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, le projet de loi relatif aux compétences de la Collectivité européenne d'Alsace (n° 413, 2018-2019).

M. François Grosdidier .  - J'ai déjà souligné les faiblesses de ce texte. Au-delà de la question juridique et institutionnelle, le fait de réserver certaines prérogatives à l'Alsace va créer des frustrations. Les grandes régions ont été découpées en dépit du bon sens. Hélas, le texte, qui ne porte que sur l'Alsace, est difficilement amendable, sauf à l'étendre aux autres départements. La question du périmètre et des compétences des grandes régions ne devrait pas être taboue. Elle mériterait un autre projet de loi, pas d'être traitée ce soir par voie d'amendements.

Mme Muriel Jourda .  - Dans l'exposé de la motion, notre collègue fait état d'une injustice en ce que d'autres départements, comme la Moselle, ne bénéficieraient pas des mêmes avantages. Si l'Alsace et la Moselle partagent le régime concordataire, on voit mal le rapport avec les compétences transférées dans ce texte - et il faut voir que les départements et la Moselle sont loin d'être identiques. Il y a des particularités alsaciennes, nées de l'histoire, mais aussi une situation bien particulière - par exemple pour le transport routier.

La fusion des deux départements est acquise. Les présidents des deux conseils départementaux et de la région l'ont acceptée. Le décret est publié. Nous avons maintenant à discuter des compétences, de la migration du personnel et des moyens. Un renvoi en commission n'aurait nul sens. Le Sénat doit exercer son rôle qui est de traiter des difficultés des collectivités - voter la motion, ce serait refuser que nous jouions notre rôle. (M. Philippe Bas, président de la commission, le confirme.)

Mis devant le fait accompli, nous devons considérer ce projet de loi comme une réponse ad hoc au désir d'Alsace.

Pour autant, la question d'un élargissement de la décentralisation demeure légitime, même si le temps n'est pas venu.

Les solutions proposées par le projet de loi ne sont pas idéales mais elles sont un premier pas vers les Alsaciens.

Je vous invite à ne pas adopter la motion.

M. Philippe Bas, président de la commission.  - Merci de cette invitation.

Mme Agnès Canayer, rapporteur.  - Avis défavorable. Ce texte est un premier pas, un compromis. Nous devons en discuter, pas le renvoyer en bloc. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains ; Mmes Patricia Schillinger et Véronique Guillotin applaudissent également.)

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - De nombreux sénateurs ont salué le travail de la commission des lois sur ce texte. Il est donc inutile de l'y renvoyer.

La motion n°2 n'est pas adoptée.

Discussion des articles

ARTICLES ADDITIONNELS avant l'article premier

L'amendement n°44 n'est pas défendu.

Mme la présidente.  - Amendement n°30 rectifié, présenté par MM. Masson et Reichardt et Mme Kauffmann.

Avant l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

La présente loi n'entre en vigueur qu'après que les pouvoirs publics ont organisé une consultation des électeurs du département d'Alsace. Cette consultation, dans une logique de référendum local, a pour objet de demander aux Alsaciens s'ils souhaitent le rétablissement d'une région Alsace de plein exercice.

M. André Reichardt.  - Le Conseil d'État a dit que la Collectivité européenne d'Alsace était un département créé par fusion de deux départements. Nous souhaitons une consultation des Alsaciens sur le rétablissement d'une région de plein exercice.

Mme la présidente.  - Amendement n°6 rectifié bis, présenté par MM. Masson et Reichardt et Mme Kauffmann.

 Avant l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Dans les trois mois suivant la promulgation de la présente loi, une consultation dans une logique de référendum est organisée dans le ressort territorial du département d'Alsace. Son objet est de permettre aux électeurs concernés de dire s'ils souhaitent que le territoire de cette collectivité sorte de la région Grand Est à compter du 1er janvier 2021.

M. André Reichardt.  - Nous proposons d'organiser une consultation dans le ressort territorial du département d'Alsace, pour que les électeurs disent s'ils souhaitent une sortie de la région Grand Est à compter du 1er janvier 2021.

Mme la présidente.  - Amendement n°29 rectifié, présenté par MM. Masson et Reichardt et Mme Kauffmann.

 Avant l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Une consultation est organisée dans un délai de trois mois à compter de la promulgation de la présente loi afin que les électeurs inscrits sur les listes électorales du département d'Alsace donnent leur avis sur le rétablissement de l'Alsace en tant que région de plein exercice avec corrélativement sa sortie de la région Grand Est.

M. André Reichardt.  - Défendu.

Mme Agnès Canayer, rapporteur.  - Défavorable aux trois amendements. Ne redécoupons pas les nouvelles régions, alors qu'elles ne sont pas stabilisées.

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Avis défavorable sur les trois amendements.

M. Pascal Savoldelli.  - Avec ces amendements, vous nous demandez de refaire le référendum de 2013 (Les auteurs des amendements le contestent.). Nous souhaitions le respect du résultat d'alors, alors que certains le contestaient en soulignant la faible participation - avouez que c'est assez rare qu'un élu retourne à une élection en disant qu'il a été élu par trop peu de votants... Nous voulions que le vote soit respecté, et nous voulons encore que le peuple soit consulté - alors nous voterons ces amendements.

M. Jean Louis Masson.  - Monsieur Savoldelli, en 2013, la consultation portait sur la fusion des deux départements, ce n'est pas la même chose ici !

Il y a évidemment un désir d'Alsace, ce projet de loi y répond de manière très modeste. On peut le voter, mais rien n'empêche de permettre, en plus, aux Alsaciens de s'exprimer par référendum. En fait, parmi ceux qui veulent faire ce petit pas que le Gouvernement propose, il y a les gens honnêtes, qui acceptent la consultation des Alsaciens - et il y a ceux qui la refusent, parce qu'en fait, ils veulent surtout en rester à ce tout petit pas et ils ne le disent pas ! Alors je le dis directement : n'étouffons pas le débat et consultons les Alsaciens !

M. André Reichardt.  - Monsieur Savoldelli, nous ne voulons pas refaire le référendum de 2013 car il s'agissait alors de fusionner les départements en créant un conseil d'Alsace. Ce n'est pas ce que nous proposons ici - où nous leur demandons s'ils veulent retrouver leur région d'Alsace. (Exclamations sur les bancs du groupe CRCE)

M. René-Paul Savary.  - On pourrait être tenté de voter l'amendement n°30 rectifié. Cette région Grand Est a été constituée contre beaucoup d'habitants. J'ai dit à l'époque de la loi NOTRe, qu'une grande métropole européenne n'avait pas besoin d'une grande région, qu'elle était attractive même si le territoire régional était peu étendu. C'est le cas de Strasbourg, raison pour laquelle je n'étais pas favorable à la création de la région Grand Est. En Alsace, il y a 220 habitants par km2, 100 en Champagne-Ardenne et en Lorraine. Ces deux anciennes régions ont un PIB très inférieur à celui de l'Alsace et un taux de chômage très supérieur. J'habite à 100 km de Paris, mais ma capitale régionale est Strasbourg. Je ne voterai pas cet amendement : pourquoi seuls les Alsaciens donneraient leur avis - mais pas les Champardennais ni les Lorrains ?

L'amendement n°30 rectifié n'est pas adopté.

M. Jean Louis Masson.  - Je suis partisan d'un référendum dans toutes les régions pour revenir aux anciennes régions. Ce fut une gigantesque erreur ! Nos concitoyens le savent : ils ne connaissent pas leurs conseillers régionaux, ni ce qu'ils font...

Mon amendement n°6 rectifié bis prévoit l'organisation d'un référendum. C'est important pour l'Alsace car ce texte les concerne au premier chef.

L'amendement n°6 rectifié bis n'est pas adopté.

M. Jean Louis Masson.  - Je constate que bien peu de collègues veulent l'expression du suffrage universel...

Mme Catherine Troendlé.  - Ça n'a rien à voir !

M. Jean Louis Masson.  - Les gilets jaunes ont raison : si on permettait les RIC, le Parlement n'étoufferait pas ainsi l'expression de la démocratie.

L'amendement n°29 rectifié n'est pas adopté.

ARTICLE PREMIER

M. Jean Louis Masson .  - (Exclamations ironiques à droite) On a le droit de s'exprimer ! Cet article est emblématique de ce que sera la position du Sénat sur le texte. Je ne me fais pas trop d'illusion : le vote sur celui-ci déterminera le vote sur les autres.

Un rappel cependant. Au début, on a dit que l'État et la région Grand Est transféreraient des compétences à la pseudo-collectivité d'Alsace. Mais le Grand Est n'a rien voulu transférer ! Le grand département d'Alsace restera sous tutelle de la région. Je ne cautionnerai pas cet étouffement de l'Alsace, contre lequel la population se bat courageusement.

Le Grand Est est une chienlit, un désastre pour les départements qui la composent. Je ne voterai pas cet article.

M. Max Brisson .  - Avec Frédérique Espagnac, nous sommes élus d'un département bien éloigné de l'Alsace.

Il y a quatre ans, 5 000 personnes défilaient à Bayonne pour une collectivité à statut particulier. À la place, nous avons eu la communauté d'agglomération du Pays basque, avec ses 158 communes et 238 délégués.

M. Pierre-Yves Collombat.  - Qui ne marche pas !

M. Max Brisson.  - Un statut de droit commun non dérogatoire, inadapté à une situation particulière du fait de sa langue, de sa culture et de son caractère transfrontalier.

La création d'un département unique d'Alsace est nécessaire face à une refonte de la carte régionale qui l'a balayée d'un trait de plume. Mais sans compétences nouvelles, c'est un trompe-l'oeil.

L'amendement n°44, qui prévoyait une vraie collectivité à statut particulier, avait mes faveurs. À défaut, donnons de vraies compétences à la Collectivité européenne d'Alsace en matière d'éducation, de politique linguistique, de culture et de gestion transfrontalière - sans cela, nous allons provoquer bien des désillusions. Le Sénat est la chambre des territoires ; ils ont besoin de liberté et, pour certains, d'un statut particulier qui n'altère en rien leur intégration dans la collectivité nationale. (MM. André Reichardt, René Danesi et Mme Frédérique Espagnac applaudissent.)

M. André Reichardt .  - Cet article avait à mes yeux peu d'intérêt. Il se contente de faire référence, pour le bilinguisme, à une convention quadripartite déjà signée. Heureusement, la commission des lois lui a donné quelque contenu en prévoyant notamment des échanges d'enseignants avec les Länder voisins ou des classes bilingues.

Allons plus loin en créant une collectivité à statut particulier, au sens de l'article 72 de la Constitution et en transférant de nouvelles compétences.

Je ne comprends pas que trois de mes amendements aient été déclarés irrecevables au titre de l'article 40, alors qu'ils avaient précédemment été examinés en commission des lois... C'est une limitation inacceptable du droit d'initiative parlementaire, la jurisprudence de la commission des finances sur l'article 40 doit être révisée.

M. René Danesi .  - La plupart des régions frontalières de notre pays ont une histoire douloureuse. Celle de l'Alsace éclaire son particularisme et son attachement à l'Europe. Après le désastre de 1870, l'Alsace-Moselle est cédée à l'Empire allemand. En réaction à la germanisation, elle développait un désir d'autonomie. Après 1918 et le retour à la France, elle a résisté au centralisme jacobin. L'annexion par l'Allemagne nazie en 1940 et l'incorporation de force dans l'armée allemande - 42 000 Alsaciens morts et disparus sous cet uniforme - explique l'adhésion de l'Alsace à l'idée européenne, jugée seule à même d'éviter une nouvelle tragédie. Pierre Pflimlin a obtenu que le Parlement européen soit installé à Strasbourg, symbole de la réconciliation. C'est cet ancrage européen de l'Alsace qui a sauvé le référendum de 1992.

Concrètement, 25 500 Alsaciens travaillent quotidiennement en Allemagne, plus de 32 000 en Suisse alémanique. La coopération transfrontalière est ancienne et intense. Notre langue régionale s'exprime par écrit en allemand standard, en oral par des dialectes. Le mot « Européenne » dans l'intitulé de la collectivité n'est pas une incantation mais une réalité vécue et même une nécessité.

Mme Fabienne Keller .  - Merci, chers collègues non Alsaciens, de votre participation à ce débat. Merci, madame la ministre, de vos visites de terrain, du temps consacré à ce dossier et de l'écoute accordée aux élus.

M. Pascal Savoldelli.  - Est-ce la sénatrice ou la candidate qui parle ?

Mme Fabienne Keller.  - Le travail mené par les deux collectivités a abouti, le 29 octobre, à un accord signé à Matignon entre les présidents des départements du Haut-Rhin et du Bas-Rhin, le président de la région Grand Est et le Premier ministre, en présence des parlementaires des deux départements. Un projet cousu main, avez-vous dit.

Je salue notre rapporteur qui, venue du Havre, s'est passionnée pour la question.

Les quatre compétences transférées sont un socle qui pourra être conforté ultérieurement. Ce texte est un exemple de ce que pourrait être la différenciation. Il revient au Sénat, chambre des territoires, d'être le facilitateur de ce premier pas, de donner un signe en permettant aux collectivités de choisir leur avenir.

M. Daniel Gremillet .  - Lors du redécoupage des régions en 2015, les populations de Champagne-Ardenne, de Lorraine et d'Alsace n'ont pas été écoutées. La seule région où le débat a été confisqué et le choix de la capitale a été imposé d'en haut, c'est le Grand Est !

M. Jackie Pierre.  - Exact !

M. Daniel Gremillet.  - Ce débat ne concerne pas que l'Alsace. Il s'agit de la France, une et indivisible.

Trois ans après le redécoupage des régions, faisons attention : la marge de manoeuvre est très étroite. Les Alsaciens ont soif d'Alsace, certes, mais les huit autres départements doivent eux aussi être respectés dans leurs aspirations. (Mme Véronique Guillotin applaudit.)

M. Pascal Savoldelli .  - « Les vérités sont malades, les mensonges le sont aussi. » Madame la ministre, vous n'honorez pas le Parlement. Désir d'Alsace, particularisme, identité : très bien. Mais si tout a été réglé à Matignon, à quoi sert le Parlement ? Pourquoi y passer des heures ?

Selon un communiqué du Conseil des ministres, ces dispositions préfigurent le principe de différenciation des compétences des collectivités territoriales proposé par le Gouvernement dans le cadre de la révision constitutionnelle. Il ne s'agit pas de désir d'Alsace ! Vous nous manipulez avec cette affaire. Vous paralysez le Parlement au moment où l'Assemblée nationale débat du grand débat. (M. Laurent Duplomb approuve.)

Que se passe-t-il à Matignon ? Prépare-t-on les municipales ? Négocie-t-on des places, des villes ? Et l'on prétend se soucier du débat citoyen, du Parlement ? (Mouvements divers) Vous nous trompez sur la sincérité du projet de loi ! Vous faites passer la révision de la Constitution avant même que le Parlement n'en parle, avant même le retour sur le grand débat. Vous êtes dans le mensonge, madame la ministre. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE et sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains)

M. Olivier Jacquin .  - Merci à nos amis alsaciens d'avoir attiré l'attention du Gouvernement sur les spécificités des territoires transfrontaliers. Avec des mobilités augmentées, des frontières plus perméables, les échanges s'intensifient. La Lorraine est frontalière de la Belgique, de l'Allemagne, du Luxembourg. Pourquoi pas un schéma de coopération transfrontalière pour elle également ? Ou pour tout le Grand Est ?

Pour la Meurthe-et-Moselle, le voisinage du Luxembourg est une chance mais aussi une difficulté. Le précédent Gouvernement avait d'ailleurs envisagé une zone franche fiscale. Depuis deux ans, on nous promet une réflexion sur le co-développement, on nous fait attendre. La décentralisation est une exigence. C'est pourquoi je proposerai un élargissement de la coopération transfrontalière à notre département.

M. Jean-Marc Todeschini .  - Ce projet de loi ne satisfait personne : ni les Alsaciens, divisés, ni les autres départements du Grand Est. Ce n'est pas ceux qui crient le plus fort qui doivent davantage être écoutés, même si je comprends le désir d'Alsace. Les autres territoires que l'Alsace ne sauraient être méprisés.

Votre projet de loi, madame la ministre, est de la poudre de perlimpinpin ! Nous n'acceptons pas de faire éclater la région Grand Est, d'ailleurs présidée par un Alsacien qui a succédé à un Alsacien.

Il y a d'autres départements frontaliers dans le Grand Est qui ont les mêmes problématiques que l'Alsace, à commencer par la Moselle ! Tous doivent être traités pareillement.

Ce projet de loi habilite à prendre par ordonnance les dispositions permettant à la Collectivité européenne d'Alsace d'instaurer une taxe sur le transport routier. Madame la ministre, ce sera une catastrophe pour les quatre départements lorrains ! On ne peut déjà plus circuler entre Nancy, Metz et Luxembourg le matin et le soir. L'A31 sera saturée. Je vous invite à étendre le champ de cette ordonnance aux quatre départements lorrains.

M. Mathieu Darnaud .  - Sur la forme, la démarche me gêne. J'entends le désir d'Alsace. Nous sommes tous d'accord pour éviter de reproduire les erreurs de la loi NOTRe, que nous cherchons régulièrement à ajuster.

On ne peut poser la question d'une collectivité alsacienne à statut particulier sans étendre le débat à notre architecture institutionnelle. Ne séparons pas les sujets ! Ils méritent une approche globale. Sinon, nous nourrirons les mêmes regrets que pour la loi NOTRe ou la fusion des régions. Les élus nous demandent de légiférer avec bon sens, et je regrette que nous passions à côté de l'exercice. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains ainsi que sur les bancs du groupe CRCE ; Mme Josiane Costes applaudit également.)

Mme Frédérique Espagnac .  - Max Brisson a évoqué le Pays basque, qui a revendiqué la collectivité à statut particulier. Nous débattons, ce soir, de l'évolution institutionnelle de notre pays, de la décentralisation que réclament nos concitoyens, au-delà des revendications des gilets jaunes. J'ai confiance en la ministre pour échanger avec nous.

Un territoire transfrontalier a des spécificités. Ainsi, il est logique de se faire soigner dans un hôpital en Espagne si c'est le plus proche.

Donnons toute leur place aux cultures, aux traditions qui font la richesse de notre pays. Nous avons négocié des expérimentations linguistiques pour des enfants à l'école publique, qui risquent d'être remises en cause.

Mme la présidente.  - Concluez.

Mme Frédérique Espagnac.  - Ce débat doit concerner tout le territoire.

M. Jacques Bigot .  - La déclaration commune de Matignon a été signée par le Premier ministre, le ministre de l'Éducation nationale, le ministre des Transports et vous-même, madame la ministre, mais pas par le ministre des Affaires européennes, en campagne pour les élections européennes. Or la question transfrontalière est centrale ! Direz-vous, madame la ministre, quel contenu le Gouvernement compte donner à ce sujet ? L'ARS Grand Est applique de manière restrictive l'accord de coopération entre la France et l'Allemagne. Et comment, sans tenir compte des besoins spécifiques, améliorer les corrélations en matière de travail, de Land à région ? Au-delà du désir d'Alsace, à la veille des élections européennes, il faut un désir d'Europe ! C'est vrai pour le Nord-Pas-de-Calais, le Pays basque, les territoires limitrophes de l'Italie. Sur les sujets transfrontaliers, le Gouvernement est absent. Ce n'est pas une oligarchie technocratique centralisée qui nous fera avancer. (M. Jean-Pierre Sueur applaudit.)

M. Pierre-Yves Collombat .  - Il ne s'agit pas d'une question locale mais nationale : comment concilier République unitaire et particularités locales ? (MLaurent Duplomb approuve.)

Nos ancêtres y étaient parvenus mais leur oeuvre a été massacrée par les charcutages, les découpages vides de sens qui ont détruit cet équilibre.

MM. André Reichardt et Philippe Bas, président de la commission.  - Très bien !

M. Pierre-Yves Collombat.  - Depuis dix ans, les évolutions de périmètre et de compétence nous accablent. Ne nous contentons pas de fausses solutions comme celle que propose ce texte, de lois imbéciles présentées comme un moindre mal... Je rappelle que seuls 43 sénateurs ont, à l'époque, refusé de voter la loi NOTRe. (M. Loïc Hervé rappelle qu'il en était.) Nous ne voulons pas de ces soins palliatifs qui n'aboutiront qu'à un monstre de complexité.

M. Jean-François Husson .  - Comme l'a dit M. Darnaud, nous ne sommes pas au niveau des enjeux. Le Gouvernement, privé de vision, avance à tâtons. D'autres territoires que l'Alsace sont européens ! Le Gouvernement prend la responsabilité de démembrer une région déjà bancale, créée sur un coin de table par le précédent gouvernement.

Depuis le 15 novembre, les gilets jaunes expriment leur colère mais celle née de la loi NOTRe est plus ancienne. Or le Gouvernement y répond en faisant des propositions ponctuelles au fil des demandes, sans rien remettre en cause au fond. Il ne faut pas éloigner les Français et les territoires. L'État devrait être visionnaire, stratège, garantir le respect des libertés et l'équité entre territoires. Mais le Gouvernement n'est pas au rendez-vous. Vous faites fausse route. Prenez le temps, avec le Parlement et les élus, de poser les choses sereinement !

M. Marc Laménie .  - Ce débat est important et suscite des réactions légitimes. J'ai le plus grand respect pour le travail de la commission des lois, mais le grand débat favorise l'amalgame sur beaucoup de sujets. Dans les Ardennes, nous avons défendu la création de la région Grand Est. Chaque département possède ses particularités géographiques, culturelles, historiques, son identité. Reconnaissons qu'avec les grandes régions, il est parfois difficile de s'y retrouver. L'essentiel, c'est la confiance.

La séance est suspendue pour quelques instants.

Mme la présidente.  - Amendement n°8, présenté par M. Masson et Mme Kauffmann.

Supprimer cet article.

M. Jean Louis Masson.  - M. Collombat a rappelé à juste titre que tout le monde a voté cette loi NOTRe dont on se plaint tant. Nous n'étions que 49 sur 348 à voter contre !

La quasi-totalité des intervenants se disent hostiles à la fusion autoritaire des régions qui a été imposée par la loi. Nous avons ici l'occasion de réparer cette erreur - mais personne ne le veut ! C'est le double langage perpétuel ! Si l'on est partisan de la fusion autoritaire des régions, il ne faut pas ensuite venir s'en plaindre.

Je soutiens la proposition de notre collègue Collombat qui respecte l'identité des collectivités et donne satisfaction à tous. Mieux vaut revenir sur cette loi imbécile que de proposer de misérables bricolages !

Mme la présidente.  - Amendement identique n°139, présenté par M. Collombat et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

M. Pascal Savoldelli.  - Nous n'avons aucune garantie d'égalité entre territoires avec ce texte qui ouvre la porte à la révision constitutionnelle. Disons la vérité ! Ayons un débat respectueux et argumenté sur la révision constitutionnelle !

On nous dit que tout est réglé, que tout le monde est d'accord... Mais voyez l'étendue de l'habilitation des articles 9 et 10 ! Où est la confiance ? L'aspiration majoritaire des Alsaciens ? N'aurait-il pas fallu tirer une fois pour toutes les enseignements de la loi NOTRe au lieu de se renvoyer perpétuellement la balle ?

Élu départemental en Île-de-France, j'estime qu'il aurait mieux valu redonner la compétence générale aux deux départements alsaciens. Supprimons cet article qui empiète sur la révision constitutionnelle !

Mme Agnès Canayer, rapporteur.  - Avis défavorable. L'article premier constitue le coeur du projet de loi ; il prend en compte la spécificité alsacienne.

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Le Gouvernement est défavorable à ces amendements. Il a présenté un projet de loi à la demande des Alsaciens et à la suite du rapport du préfet de région.

La Collectivité européenne d'Alsace est créée à droit constant, le Conseil constitutionnel l'a validée. Ses compétences sont celles d'un département, auxquelles s'ajoutent des compétences liées à sa situation particulière. Nous n'entendons pas cependant réserver à l'Alsace la spécificité des relations transfrontalières. Certains orateurs ont évoqué d'autres régions frontalières.

M. Loïc Hervé.  - Parce qu'elles existent.

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Un accord entre la France et le Luxembourg sur les questions de transport vient d'être présenté en conseil des ministres. Nous serons attentifs aux demandes des autres départements frontaliers.

M. Pascal Savoldelli.  - Voilà la vérité !

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Certains m'ont déjà sollicitée, c'est légitime. Mais aujourd'hui, nous parlons de l'Alsace et le Gouvernement soutiendra les Alsaciens jusqu'au bout dans leur désir d'Alsace. (Mmes Patricia Schillinger et Fabienne Keller applaudissent.)

M. Jackie Pierre.  - Pourquoi pas une collectivité européenne du Grand Est ?

M. Pascal Savoldelli.  - Quel aveu ! Je ne peux plus vous accuser de mensonge ! Vous venez de reconnaître que n'importe quel département, au nom d'un particularisme, pourra demander un statut particulier. Alors, pourquoi pas la communauté européenne du Val-de-Marne, du Nord ou que sais-je encore ? Vous êtes en train de nous faire modifier la Constitution ! Vous essayez de nous diviser ! Je ne savais pas qui parlait tout à l'heure : la sénatrice ou la candidate d'En Marche aux Européennes ?

Mme Fabienne Keller.  - C'est brillant...

M. Pascal Savoldelli.  - Notre temps de parole est limité !

M. Jean Louis Masson.  - Je ne comprends pas, madame la ministre : quand un département demande quelque chose, on l'écoute ? Mais le département de la Moselle a demandé les mêmes compétences. L'Allemagne est frontalière de l'Alsace et de la Moselle, laquelle est aussi frontalière avec le Luxembourg, comme l'Alsace l'est de la Suisse.

Le Gouvernement se moque du monde en disant qu'il examinera les autres demandes. Une fois la loi votée, il les jettera à la poubelle. Vous enfumez tout le monde ! Ne croyons pas que les Basques obtiendront satisfaction. Pourquoi pas une collectivité européenne de Moselle ? Nous l'avons demandée pourtant. Vous n'avez jamais prononcé le mot de Moselle ! Où voulez-vous aller ? Si vous voulez nous enfumer, autant nous le dire.

M. Mathieu Darnaud.  - Il n'y a pas d'ambigüité sur les souhaits des uns et des autres quant à l'évolution de leur territoire. On ne légifère pas à la découpe. Le sujet, c'est la France. Va-t-on légiférer sur les désirs successifs des territoires ? Combien allons-nous examiner de textes et quelle sera la cohérence de l'ensemble ? Le constat d'échec de la loi NOTRe est commun, partagé par le ministre Lecornu qui a admis qu'il fallait « traiter les irritants de la loi NOTRe ».

La question n'est pas le fond du texte. Mais le président de la République lui-même a indiqué, dans le grand débat, sa volonté d'aborder dans son ensemble la question de la décentralisation de nos institutions. Pourquoi légiférer maintenant ? Il n'y a pas urgence.

M. Max Brisson.  - J'ai appris ce soir qu'un département devait demander une autorisation pour exercer la coopération transfrontalière... Je n'ai pas besoin d'autorisation pour aller voir le président de la Communauté autonome basque ou le député du Guipúzcoa.

Le problème, c'est l'asymétrie entre la France et ses voisins, qui ont construit des autonomies. Je plains mes amis Alsaciens, otages des contradictions d'un Gouvernement trop centralisé. Soutenons les libertés des territoires en leur donnant éventuellement un statut particulier. Une République différenciée n'en sera que plus forte et plus belle ! (Mme Fabienne Keller, M. André Reichardt  et Mme Catherine Troendlé applaudissent.)

M. Guy-Dominique Kennel.   - Je m'avoue un peu perdu... (Sourires) Le débat irrite, et soulève beaucoup de passions, mais je ne suis même pas sûr qu'il méritait d'exister. Oui, madame la ministre, les départements ont demandé ce texte... mais ils ne voulaient de fusion qu'assortie à des compétences supplémentaires. Il me semblait que la loi promise, condition de l'engagement des deux départements dans la fusion, c'était cela.

J'ai mis en oeuvre la compétence transfrontalière en tant que président du conseil général. Dans les réunions du Conseil Rhénan, les chefs des délégations allemande et suisse étaient des élus ; le chef de la délégation française, le préfet, venait avec le président de région et deux présidents des départements...Et pour toute décision, il fallait en référer à Paris. Quand les Allemands et les Suisses décidaient, nous étions corsetés.

« Chef de file » ne veut rien dire. C'est porter la plume et payer le café. Il faut une vraie délégation.

M. René-Paul Savary.  - Madame la ministre, votre mention des demandes des collectivités me trouble.

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Je n'ai pas parlé des collectivités !

M. René-Paul Savary.  - Votre solution a des limites. Il faudrait rendre à titre expérimental la compétence générale au département Alsace. C'est ce qui permet de prendre vraiment ses responsabilités. Le contrat que l'on nous propose est perdant-perdant pour les autres départements et pour l'Alsace, qui en réalité n'aura pas les mains libres. Ne trompons pas les Alsaciens.

Les amendements identiques nos8 et 139 ne sont pas adoptés.

Mme la présidente.  - Amendement n°62 rectifié, présenté par MM. Danesi et Kern, Mme Keller et MM. Brisson, Laménie et Sido.

I.  -  Alinéa 3

Remplacer le mot :

Département

par les mots :

Collectivité européenne

II.  -  Alinéas 5 à 7, 17 et 18

Remplacer les mots :

le département

par les mots :

la Collectivité européenne

III.  -  Alinéas 5 et 9

Remplacer le mot :

chargé

par le mot :

chargée

IV.  -  Alinéas 6 et 19, secondes phrases

Remplacer le mot :

Il

par le mot :

Elle

V.  -  Alinéa 7

Remplacer le mot :

associé

par le mot :

associée

VI.  -  Alinéas 9, 19 et 20

Remplacer les mots :

Le département

par les mots :

La Collectivité européenne

VII.  -  Alinéa 16

Remplacer les mots :

au département

par les mots :

à la Collectivité européenne

VIII.  - Alinéas 21,24 et 28

Remplacer les mots :

du département

par les mots :

de la Collectivité européenne

M. René Danesi.  - Cet amendement rétablit la dénomination « Collectivité européenne d'Alsace ». D'abord pour affirmer la dimension européenne de la collectivité : elle est chef de file en matière transfrontalière, et se voit reconnaître un rôle renforcé en matière de promotion des langues régionales.

La commission des lois a choisi de suivre le Conseil d'État qui lui préférait la dénomination « Département d'Alsace » mais n'étaye ses réserves d'aucun principe constitutionnel.

L'article L.3011-1 du code général des collectivités territoriales précise que seul un décret peut modifier la dénomination.

Enfin, la dénomination de Collectivité européenne d'Alsace mettra du baume au coeur des 85 % d'Alsaciens qui ne veulent pas être des grands-estiens.

Mme la présidente.  - Amendement identique n°113, présenté par Mme Schillinger et les membres du groupe La République En Marche.

Mme Patricia Schillinger.  - Cet amendement rétablit le nom de « Collectivité européenne d'Alsace » tel que figurant dans la version initiale de ce projet de loi pour désigner la collectivité née de la fusion des deux départements. Ce nom figure également dans la déclaration commune du 29 octobre 2018 signée par le Gouvernement et les présidents des départements du Haut-Rhin et du Bas-Rhin et de la région Grand Est, dans les délibérations des deux conseils départementaux du Bas-Rhin et Haut-Rhin adoptées le 4 février 2019, ainsi que dans le décret du 27 février 2019 portant regroupement des départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin.

Ce nom souligne la dimension européenne comme l'origine de compétences particulières. Le nom de département d'Alsace n'est pas conforme à la réalité territoriale et institutionnelle. La collectivité se voit accorder des compétences en plus de celles du département. La dénomination Collectivité européenne d'Alsace reflète le caractère novateur de la démarche. L'attente des Alsaciens sur ce sujet est forte : ne réduisons pas le désir d'Alsace à un désir de département.

Mme la présidente.  - Amendement n°84 rectifié bis, présenté par Mme Troendlé, M. Danesi, Mme Keller, MM. Kennel, Kern et Reichardt et Mme Schillinger.

Alinéa 9

1° Première phrase

Après le mot :

transfrontalière

Supprimer la fin de cette phrase.

2° Seconde phrase

Rédiger ainsi cette phrase :

A ce titre, le volet opérationnel de ce schéma définit lesdites modalités de la manière suivante :

Mme Catherine Troendlé.  - L'Alsace doit pouvoir agir dans l'ensemble des domaines transfrontaliers.

Mme la présidente.  - Amendement n°81, présenté par Mme Harribey et les membres du groupe socialiste et républicain.

Alinéas 20 à 28

Supprimer ces alinéas.

Mme Laurence Harribey.  - Cet amendement supprime les alinéas relatifs au conseil de développement : il est inutile de fixer dans la loi ce que des collectivités peuvent déjà librement mettre en oeuvre.

L'objet même de cet organisme supplémentaire contredit le principe selon lequel le développement économique relève du conseil régional.

Mme Agnès Canayer, rapporteur.  - La commission des lois a rendu un avis défavorable aux amendements nos62 rectifié et 113. À titre personnel, je n'étais pas favorable à la dénomination « département d'Alsace », certes plus claire juridiquement. Le nom Collectivité européenne d'Alsace est un nom propre sans incidence juridique : voyez la « métropole européenne de Lille » ou l'Euro métropole de Strasbourg.

L'amendement n°84 rectifié bis n'a pas la portée juridique que lui attribue son auteur : il ne donne pas à la Collectivité européenne d'Alsace la capacité d'agir dans l'ensemble des domaines relevant du transfrontalier. Avis défavorable.

Enfin, le conseil de développement d'Alsace est une instance de concertation bienvenue que soutient la commission des lois. D'où notre avis défavorable à l'amendement n°81.

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Bien entendu, avis favorable aux amendements nos62 rectifié et 113. Le nom de Collectivité européenne d'Alsace est issu d'une concertation ; le conseil départemental du Haut-Rhin l'a voté à la majorité absolue et celui du Bas-Rhin à une large majorité : il ne manquait que six voix. La démocratie est là. Le décret du 27 février reprend cette dénomination.

Enfin, l'Alsace a une dimension européenne très forte et l'Alsace a le droit de l'utiliser, tout comme Strasbourg ou Lille. Nous avons déjà l'exemple d'un territoire portant un nom particulier en raison d'une histoire particulière : le territoire de Belfort...

Mme Patricia Schillinger.  - Tout à fait !

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - L'amendement n°84 rectifié bis organise la tutelle de la collectivité sur d'autres : avis défavorable, c'est anticonstitutionnel.

Sagesse sur l'amendement n°81.

M. André Reichardt.  - En quoi la dénomination est-elle essentielle ? Le nom de Collectivité européenne d'Alsace cache seulement aux Alsaciens le fait que la nouvelle collectivité n'est qu'un simple département, pas le retour de la région Alsace. C'est une question de clarté.

Les Alsaciens s'intéressent avant tout aux compétences qu'aura cette collectivité. Je me battrai davantage sur ce point, comme sur l'obtention d'un statut particulier. Je voterai l'amendement n°84 rectifié bis. Ne mettons pas sous tutelle la coopération transfrontalière. Elle devra respecter le schéma régional, le Sraddet, etc. Où va-t-on s'arrêter ? Ayons le courage de dire « ça suffit » !

Je suis enfin favorable au conseil de développement qui a toute son utilité dans une collectivité à statut particulier.

Mme la Présidente. - Il est minuit. Je propose de poursuivre jusque vers minuit et demi. (Assentiment)

Mme Catherine Troendlé.  - Je n'ai pas cosigné les amendements Danesi et Schillinger. J'aurais voulu que la ministre réintroduise elle-même la dénomination de Collectivité européenne d'Alsace. Ainsi, nous aurions eu une preuve d'amour ! (Sourires) Mon amendement n°84 rectifié bis apporte une précision, qui permet une cohérence avec le schéma alsacien. Il ne s'agit pas de tutelle ! Je ne comprends pas votre argumentaire, madame la ministre.

M. Claude Kern.  - L'appellation Collectivité européenne d'Alsace appartient aux concepteurs du projet et aux élus des deux départements concernés. Le Sénat est garant des libertés et des responsabilités locales.

M. Jacques Bigot.  - Merci d'avoir rappelé, madame le rapporteur, la position de la commission des lois qui a repris celle du Conseil d'État. Soyons clairs avec les Alsaciens ! Les Hauts-Rhinois ont peur que ce qu'ils ont refusé en 2013 revienne.

Les circonscriptions administratives persisteront mais le terme « département » indique qu'il s'agira d'un département d'Alsace. Le fond, comme le dit André Reichardt, concerne les compétences. Or le transfrontalier reste faible - on ne le sent pas - et sur le sujet des routes, la taxe additionnelle est renvoyée aux ordonnances mais que diront les « technocrates » de Bercy d'une taxe sur les poids lourds étrangers transitant par la seule Alsace ? Appelons ce qui est un département par son nom !

M. Guy-Dominique Kennel.  - Peu importe l'emballage, l'essentiel reste le contenu. Je ne suis pas opposé au terme Collectivité européenne d'Alsace, mais il faut aller plus loin et ne pas corseter le chef de file. Laissons-lui une liberté d'initiative et de décision en matière transfrontalière : alors, l'appellation Collectivité européenne d'Alsace sera juste.

Mme Fabienne Keller.  - J'entends les arguments juridiques qui voudraient que l'on s'en tienne à « département ». Mais un nom a une dimension hautement symbolique. Il est lié au projet, à la vision approuvée il y a plusieurs mois par les élus alsaciens. Il a été voté à la majorité absolue par le conseil départemental du Haut-Rhin, et à une large majorité par celui du Bas-Rhin. Nos collègues doivent le comprendre.

Nous essayerons d'enrichir la Collectivité européenne d'Alsace par d'autres compétences ; c'est l'enjeu de cette nouvelle collectivité.

M. Jean-Marie Mizzon.  - Dans une société où prime la communication; les mots ont leur importance. L'Alsace est une marque. Le terme Collectivité européenne d'Alsace peut sembler plus vendeur ou plus flatteur, mais il ne dit pas la vérité qu'il recouvre. Ce soir, je ne vois pas le fil conducteur de la stratégie du Gouvernement.

André Maurois disait : « dans une discussion, le plus difficile n'est pas de défendre son opinion, c'est de la connaître. »

M. Jean-Pierre Sueur.  - Très bien !

M. Jean-Marie Mizzon.  - Je me demande si le Gouvernement a vraiment une opinion...

Mme Patricia Schillinger.  - Nos débats me rendent perplexes. Le Sénat représente les collectivités territoriales. Les élus alsaciens - représentant plus de 700 communes, ont choisi un nom, d'accord avec les deux collectivités du Haut-Rhin et du Bas-Rhin. Nous représentons les collectivités territoriales, mais nous nous déchirons, comme en 2013. Songeons à ceux qui nous regardent ! Si nous continuons ainsi, nos électeurs ne croiront plus à leurs élus ! Gardons ce nom pour envoyer un message fort aux Alsaciens !

M. Philippe Bas, président de la commission.  - La commission des lois s'est prononcée en faveur de la dénomination « département », mais le nom ne change pas le fait que cette collectivité territoriale sera hybride. C'est comme le pâté aux alouettes, pour lequel il faut un cheval et une alouette. (Sourires) Nous avons rajouté quelques alouettes pour faire bon poids ! Ce « département », c'est plus qu'un département, avec l'ajout de la promotion de l'attractivité, compétence de la région, du chef de filât en matière de bilinguisme, la coordination de la politique touristique, l'expérimentation des aides aux entreprises, la police de la route, etc. Il ne s'agit pas pour autant d'en faire une collectivité à statut particulier.

Le département a été créé par décret, il n'a nul besoin d'une loi. Si nous examinons un texte, c'est parce qu'il s'agit d'un peu plus : (Mme Catherine Troendlé approuve.) La commission des lois a participé à la dévolution de nouvelles compétences - police de la route notamment - sans accorder de statut particulier. Elle s'en est tenue à la dénomination de département. Si vous voulez aller plus loin, choisissez la dénomination qui vous convient en conséquence. (M. René Danesi et Mme Fabienne Keller applaudissent.)

Les amendements identiques nos62 rectifié et 113 sont adoptés.

(Mme Fabienne Keller, M. René Danesi et Mme Patricia Schillinger applaudissent.)

Mme la présidente.  - Par cohérence, dans les amendements adoptés, le terme « département » sera remplacé par celui de « Collectivité européenne d'Alsace ».

Après une épreuve à main levée déclarée douteuse, l'amendement n°84 rectifié bis, mis aux voix par assis et debout, n'est pas adopté.

L'amendement n°81 n'a plus d'objet.

Mme la présidente.  - Amendement n°101 rectifié bis, présenté par MM. Reichardt, Brisson et Daubresse, Mme N. Goulet, M. Kern, Mmes Billon et Berthet et MM. Milon, Laménie, Charon et Kennel.

Après l'alinéa 4

Insérer deux alinéas ainsi rédigés :

« Art. L. .... - Il est créé une collectivité à statut particulier, au sens de l'article 72 de la Constitution, dénommée « Collectivité européenne d'Alsace », en lieu et place des départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin.

« La Collectivité européenne d'Alsace s'administre librement dans les conditions fixées au présent titre, par la loi n°      du       relative aux compétences du département d'Alsace et par l'ensemble des dispositions législatives relatives aux départements non contraires au présent titre et à la loi n°       du        précitée.

M. André Reichardt.  - C'est un amendement essentiel qui a pour but de créer une collectivité à statut particulier au sens de l'article 72 de la Constitution. Dans sa déclaration de Matignon du 29 octobre 2018, le Premier ministre a indiqué qu'elle était du « cousu main » pour créer une collectivité dotée de compétences complémentaires, en partant des compétences départementales. N'est-ce pas la définition d'un statut particulier ? Une collectivité à statut particulier c'est une identité, un projet. Le Conseil d'État a indiqué que la Collectivité européenne d'Alsace était un département, puisque l'on pouvait ajouter des compétences d'intérêt général, d'une part, et spécifiques à ce territoire, de l'autre.

Sa jurisprudence peut s'appliquer. Or la commission des lois y a ajouté des compétences qui n'avaient pas de lien avec une quelconque spécificité alsacienne, notamment dans le domaine routier. Le statut particulier permettrait de régler ce problème juridique.

Mme Agnès Canayer, rapporteur.  - Cet amendement ne change pas grand-chose au projet de loi. Cette solution poserait plus de problèmes qu'elle n'en résoudrait en réalité. Si des compétences régionales étaient transférées, Strasbourg, capitale régionale, exercerait des compétences dans le Grand Est, sauf en Alsace. Avis défavorable.

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Vous avez admis vous-même qu'il ne s'agissait pas juridiquement d'une collectivité à statut particulier. Avis défavorable.

M. André Reichardt.  - Je pensais avoir dit le contraire ! Si on applique la jurisprudence du Conseil d'État sur l'affectation de compétences nouvelles à une strate de collectivités locales, surtout après les amendements adoptés par la commission des lois, il ne peut juridiquement s'agir que d'une collectivité à statut particulier.

Il ne s'agit pas de récupérer des compétences de la région, puisque celle-ci - c'est bien le drame - ne veut en donner aucune, mais d'exercer de nouvelles compétences.

M. Max Brisson.  - Le président Bas nous a habilement invités à choisir l'appellation Collectivité européenne d'Alsace en énumérant les compétences et en parlant d'un « département plus ». Mais qu'est-ce à dire ? Je sais ce qu'est un département, une région, une communauté à statut particulier : cela seulement est clair. Je soutiendrai l'amendement de M. Reichardt car il correspond à une réalité juridique.

M. Jean-Marc Gabouty.  - Je ne voterai pas l'amendement mais il a le mérite de la logique. Le département d'Alsace sera le seul à bénéficier d'un statut dérogatoire et à sortir du giron étouffant de la loi NOTRe. D'ailleurs, le projet de loi est discriminatoire pour les autres départements ! Si on accorde une telle dérogation, pourquoi ne pas créer la communauté laïque du Limousin ?

Je reconnais la logique de la démarche de M. Reichardt, qui est finalement l'aboutissement de celle du projet de loi.

M. Loïc Hervé.  - Nous avons longuement débattu du nom de la collectivité, et on nous a longuement expliqué qu'elle n'était qu'un département, avec quelques compétences accessoires en plus. Cependant ici, on nous dit que les compétences dévolues sont telles, qu'il faut une autre forme juridique que le département : l'amendement de M. Reichardt donne une autre consistance juridique à cette collectivité. Il change les termes du débat.

Demain, un amendement de M. Grosdidier, approuvé par la commission, élargira les compétences prévues à l'article premier à tous les départements transfrontaliers. C'est pourquoi je ne voterai pas l'amendement n°101 rectifié bis. Nous ne savons pas où nous allons.

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Le Gouvernement sait où il va : il traduit en loi l'accord du 29 octobre 2018.

La Collectivité européenne d'Alsace est, juridiquement, un département, avec des compétences en plus.

M. Pierre-Yves Collombat.  - Et les compétences partagées ?

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Monsieur Reichardt, le Gouvernement est opposé aux transferts que vous allez proposer. Les collectivités à statut particulier sont en réalité doubles : la Corse, la Martinique, la Guyane, Mayotte, sont un département et une région. Paris est une ville et un département ! La métropole de Lyon est un département et un ECPI.

M. René-Paul Savary.  - Je suis chagriné ; mes amis alsaciens ne veulent plus être grand-estois. Si l'on crée une collectivité à statut particulier, avec des compétences régionales, il faut revoir le mode d'élection pour éviter toute discrimination, et définir une nouvelle capitale. Et où serait sa capitale ? Sera-t-elle celle du Grand Est ? Ne créons pas de spécificités supplémentaires au détriment des autres départements. (M. Yves Détraigne applaudit.)

L'amendement n°101 rectifié bis n'est pas adopté.

Mme la présidente.  - Nous avons examiné 11 amendements ; il en reste 119 sur ce texte.

Prochaine séance aujourd'hui, mercredi 3 avril 2019, à 14 h 30.

La séance est levée à minuit quarante.

Jean-Luc Blouet

Direction des comptes rendus

Annexes

Ordre du jour du mercredi 3 avril 2019

Séance publique

De 14 h 30 à 18 h 30

Présidence : M. Jean-Marc Gabouty, vice-président

Secrétaires : Mme Annie Guillemot - M. Dominique de Legge

(Ordre du jour réservé au groupe socialiste et républicain)

1. Proposition de loi portant diverses dispositions relatives aux mentions et signes de la qualité et de l'origine valorisant les produits agricoles ou alimentaires, présentée par Mme Marie-Pierre Monier et plusieurs de ses collègues et proposition de loi tendant à abroger la loi n° 57-1286 du 20 décembre 1957 interdisant la fabrication de vins mousseux autres que la « Clairette de Die » à l'intérieur de l'aire délimitée ayant droit à cette appellation d'origine contrôlée, présentée par M. Gilbert Bouchet et plusieurs de ses collègues (texte de la commission n° 391, 2018-2019) (rapport commun)

2. Proposition de loi relative à l'affectation des avoirs issus de la corruption transnationale, présentée par M. Jean-Pierre Sueur et plusieurs de ses collègues (texte de la commission n° 406, 2018-2019)

À 18 h 30

3. Débat sur les enjeux d'une politique industrielle européenne.

Le soir

Présidence : M. Philippe Dallier, vice-président

4. Suite du projet de loi relatif aux compétences de la Collectivité européenne d'Alsace (procédure accélérée) (texte de la commission n° 413, 2018-2019).

Analyse des scrutins publics

Scrutin n°73 sur l'ensemble du projet de loi d'orientation des mobilités (procédure accélérée).

Résultat du scrutin

Nombre de votants : 345

Suffrages exprimés : 266

Pour : 248

Contre : 18

Le Sénat a adopté

Analyse par groupes politiques

Groupe Les Républicains (145)

Pour : 141

Contre : 1 - M. François Grosdidier

Abstentions : 2 - MM. Bernard Bonne, Marc Laménie

N'a pas pris part au vote : 1 - M. Gérard Larcher, président du Sénat

Groupe socialiste (74)

Abstentions : 74

Groupe UC (51)

Pour : 50

Contre : 1 - M. Jean-Marie Mizzon

Groupe LaREM (23)

Pour : 22

N'a pas pris part au vote : 1 - M. Dominique Théophile

Groupe du RDSE (22)

Pour : 20

Abstention : 1 - M. Olivier Léonhardt

N'a pas pris part au vote : 1 - M. Joël Labbé

Groupe CRCE (16)

Contre : 16

Groupe Les Indépendants (12)

Pour : 12

Sénateurs non inscrits (5)

Pour : 3

Abstentions : 2 - Mme Christine Herzog, M. Jean Louis Masson