La juste mesure du bénévolat dans la société française
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat sur : « La juste mesure du bénévolat dans la société française », à la demande du groupe UC.
Mme Nadia Sollogoub, pour le groupe Union Centriste . - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) Je remercie notre président d'avoir accepté d'organiser le présent débat sur la « juste mesure du bénévolat » et pas seulement le bénévolat ; j'en rêvais comme bénévole dans la Nièvre : je rêvais de pouvoir un jour porter cette voix-là, ces mots-là, à la tribune du Parlement.
Le bénévolat est un maillage discret, subtil, mais omniprésent et indispensable dont la perception varie selon le lieu où il est exercé et l'expérience de chacun. Comme l'amour, comme la générosité, il ne se quantifie pas. Je ne vous donnerai donc aucun chiffre. Je choisirai donc une méthode inversée. Mais que se passerait-il si le bénévolat, notamment associatif, disparaissait de notre société ? Les associations culturelles, sportives, sociales et solidaires jouent un rôle indispensable. Il ne resterait, sans elle, plus grand-chose de notre vie quotidienne. Ce serait la fin du nombre d'activités artistiques, sportives, de commémorations, d'aide aux devoirs, de visiteurs dans les Ephad, de bibliothèques, etc. Si la Croix-Rouge, les Restos du coeur, l'Ordre de Malte et Emmaüs n'existaient pas, que se passerait-il ? Une révolte d'affamés ?
Je tiens à cet égard à votre disposition le témoignage de l'employée d'une petite bibliothèque communale, où 600 livres sont empruntés chaque année pour 502 habitants. En 2017, elle a dû signer une convention avec la bibliothèque départementale, créer une adresse mail, saisir des données, communiquer des chiffres par habitant - tout ceci pour quoi ? Des heures de travail, sans pouvoir mesurer le pourquoi - si vous pouvez m'éclairer, Monsieur le ministre... Un point de lecture de proximité est indispensable, mais il ne faut pas décourager les bénévoles qui s'y investissent plus par trop de paperasserie.
En milieu rural, la plupart des élus sont bénévoles. Sans bénévolat, il n'y aurait plus d'élections. Les élus ont donné quatre dimanches à cette activité en 2017.
L'entretien des communes comme le champ de la sécurité civile repose sur le bénévolat. Bernadette, maire d'une commune rurale depuis vingt ans, ne touche aucune indemnité. Elle offre gracieusement timbres et vins d'honneur et son mari tond les pelouses avec son tracteur. Son cas n'est pas unique, bien au contraire, mais il n'est pas visible depuis Paris.
Prendre la juste mesure du bénévolat, c'est comprendre qu'il porte notre pays à bout de bras. Le sous-estimer serait prendre un risque de paralysie générale.
Ce n'est pas en additionnant plusieurs pauvres qu'on fait un riche. Il faut au contraire soutenir les bénévoles. Qui pour remplacer le mari de Bernadette qui tond la pelouse communale ? Un agent, puis deux, pour le remplacer en cas de congés, sans compter l'achat du tracteur, son entretien et le carburant...
« Se sentir utile et faire quelque chose pour les autres, voilà notre moteur », disait un président d'association.
Préservons le bénévolat, trésor inestimable. Avant de décourager définitivement les bénévoles français, que l'État fasse ses comptes : a-t-il les ressources nécessaires pour le remplacer ? (Applaudissements sur les bancs des groupes UC et Les Républicains)
M. Michel Savin . - Il y a une semaine, le Sénat a adopté la proposition de loi favorisant l'engagement associatif. J'espère qu'elle sera bientôt inscrite à l'Assemblée nationale, afin de donner un nouvel élan au mouvement associatif.
La France est riche de son dynamisme associatif. Mais il est difficile de fidéliser les bénévoles et de recruter des dirigeants. Certaines réponses sont apportées dans la proposition de loi.
Le bénévolat sportif est spécifique : nombre de bénévoles ont des responsabilités d'encadrement, sans reconnaissance. Travaillons sur le compte d'engagement citoyen.
La France accueillera la Coupe du monde de football féminin dans très peu de temps, l'Euro de volley à l'automne, les championnats d'Europe d'athlétisme en 2020, la Coupe du monde de rugby en 2023, les Jeux Olympiques et Paralympiques en 2024. Ces derniers mobiliseront 70 000 bénévoles.
Les bénévoles doivent pouvoir valoriser leur engagement. En 2016, les fonctionnaires de l'Urssaf ont déclenché un contrôle sur le statut des bénévoles lors de l'Euro 2016, soupçonnant du travail dissimulé. Qu'en est-il aujourd'hui ?
Les responsables syndicaux disposent de jours de congé rémunérés supplémentaires, notamment dans le cadre de leur formation. Il me semble normal et souhaitable que les dirigeants associatifs bénéficient de même d'un à trois jours de congé rémunérés par an. Ils ont des responsabilités importantes devant être retenues. Ils ont droit à des formations. Quelles solutions préconisez-vous, monsieur le ministre ?
Il faut aussi mieux former les bénévoles pour que leurs missions soient accomplies dans les meilleures conditions. Nous avons déposé des amendements. On pourrait en ce sens recourir davantage au mécénat de compétences. Je souhaite que le Gouvernement écoute le Parlement et que l'avenir du bénévolat soit encourageant et concret. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC)
M. Bernard Buis . - Selon Léon Bourgeois, qui a introduit le mot « solidarité » dans le vocabulaire français, « l'association, c'est l'apprentissage de la vie sociale, c'est faire sur un petit espace, dans un petit domaine, l'image réduite, visible pour quelques-uns de ce que doit être la grande société humaine. ».
L'association a l'intérêt collectif pour matière et le civisme pour manière. Or 25 % des Français participent à des associations, soit bien plus que la moyenne européenne dans ce « petit domaine » qui repose sur des « collectifs de volontés ».
Il existe autant de bénévoles que d'associations avec des raisons d'engagement différentes. On ne s'engage pas pour les mêmes raisons dans la Croix-Rouge française, une association du judo ou une association de parents d'élèves. Alors que nos concitoyens se détournent des syndicats, ils plébiscitent toujours les associations.
Dans une époque dont on fustige volontiers l'individualisme, le regard vers l'autre, la gratuité, le don de soi et le désintéressement participent à l'engagement bénévole. La majorité présidentielle défend ces valeurs. Il faut accompagner ces bénévoles. Voilà l'objectif de la feuille de route du Gouvernement. Le recrutement est difficile, les raisons de s'engager ne manquent pas. C'est pourquoi le groupe LaREM a soutenu la proposition de loi sur l'engagement associatif.
L'enthousiasme pour le bénévolat est justifié. Les associations participent pleinement au maillage territorial, des métropoles aux territoires les plus ruraux. Réjouissons-nous de cet engouement, tout en restant à notre place de législateurs. Le Gouvernement et le Parlement veillent à leurs devoirs et missions d'intérêt général.
L'association ne peut assumer ce qui relève des prérogatives de l'État. Un engagement associatif est nécessairement libre, gratuit et désintéressé. Mais l'association peut être un mode de gouvernance utile pour l'État - la solidarité, le logement, le travail, l'insertion sont les plus subventionnés - ce qui justifie l'abondement des crédits aux associations en 2018 ou le maintien du crédit d'impôt en 2019 sur les taxes sur les salaires.
Mais l'association ne peut se substituer l'État, elle ne peut pas offrir l'égalité devant le service public ni la continuité de celui-ci. Le bénévolat contraint des aidants est cependant préoccupant. Le législateur et le Gouvernement peuvent faire en sorte que cet oxymore ne désigne plus la réalité. Nous espérons que les 360 millions d'euros supplémentaires déployés par Agnès Buzyn pour les Ehpad y remédieront.
La juste place du bénévolat, c'est la liberté, quand l'État assume toutes ses responsabilités et poursuit sa mission d'émancipation avec ferveur.
Mme Céline Brulin . - Je remercie les collègues du groupe UC de mettre le bénévolat au coeur du débat. De très nombreuses missions sont confiées aux bénévoles : sport, soutien scolaire, sapeurs-pompiers volontaires... Les élus locaux exercent aussi leur mandat de manière quasi bénévole. Quinze millions de bénévoles remplacent parfois la puissance publique, comme le Téléthon qui récolte des millions d'euros, Les Restos du coeur, la Journée des oubliés des vacances du Secours populaire, qui offre le dépaysement à des milliers d'enfants, le temps d'une journée...
Et cela permet à notre société de tenir, quand certains ont comme modèle un monde mercantile où tout se vend. Le modèle fécond et spécifiquement français de l'association loi 1901 à but non lucratif est à vivifier.
Le Parlement doit encourager le bénévolat et susciter de nouvelles vocations, pour éviter tout dévoiement.
Encourageons le bénévolat. La loi a établi un compte engagement citoyen, qui se traduit dans des droits à formation et à congés supplémentaires, la valorisation des acquis de l'expérience et la troisième voie d'accès aux concours de la fonction publique. Pour les étudiants, la loi Égalité et citoyenneté a rendu possible la validation du bénévolat en crédits ECTS.
Cependant, nombreux sont ceux qui méconnaissent ces outils. Faisons-les connaître et allons plus loin pour concilier réellement engagement bénévole et vie professionnelle, avec des horaires personnalisés ou en élargissant les possibilités de congés spécifiques. Reconnaissons à sa juste valeur le bénévolat, et formons les bénévoles.
Quelle société voulons-nous ? On constate un tassement du bénévolat chez les seniors. Selon France bénévolat, seraient en cause le durcissement des conditions de départ en retraite et la nécessité pour les retraités de travailler, non pour « mettre du beurre dans les épinards », mais bien pour accéder aux épinards...
Nous devons aussi interroger les voies intermédiaires entre bénévolat et travail salarié, telles que les missions de service civique, qui pourraient donner lieu à des abus. Il convient de les traquer. Et gare à ne pas lier le bénévolat et les aides sociales comme le voulait le Premier ministre.
Encourageons le bénévolat, sans en trahir le sens ! (Applaudissements sur les bancs des groupes CRCE, RDSE et UC ; MM. Michel Savin et Jean-Raymond Hugonet applaudissent également.)
M. Maurice Antiste . - Je remercie le groupe UC de son heureuse initiative. Soixante-cinq mille associations naissent chaque année ; plus d'un million sont en activité, qui emploient 1,8 million de salariés et regroupent environ 16 millions d'adhérents de plus de 16 ans.
Loin des clichés, les Français ont à coeur d'être utiles à la société, conformément aux valeurs fondamentales de l'engagement associatif, la fraternité et la solidarité.
En outre-mer, les nombreuses difficultés de nos territoires - emploi, vie chère, précarité, pauvreté - participent de l'engouement pour les associations promouvant la culture, l'éducation, le social, la santé, l'environnement, la défense des droits, les loisirs...
En Martinique, le rythme de création d'associations est plus soutenu qu'en métropole. L'on y compte entre 7 000 et 8 000 associations de toutes tailles, animées par 68 000 à 76 000 bénévoles auxquels s'ajoutent 10 000 salariés.
Cependant, ces associations ont vu leur objet évoluer. Elles répondent à la crise sociale et économique en raison du désengagement de l'État. Nous avons besoin des associations. Les bénévoles s'engagent pour une cause.
Mais le monde associatif et le bénévolat sont en danger, étant de plus en plus dépendants des cotisations et des dons, devenus de plus en plus rares. Le Gouvernement a supprimé 45 millions d'euros de réserve parlementaire directement versés aux associations, sans alimenter suffisamment le fonds pour le développement de la vie associative (FDVA) - à hauteur de 25 millions d'euros seulement.
S'y ajoute la poursuite de la réduction des emplois aidés, pourtant indispensables au fonctionnement des banques alimentaires, représentant une baisse de 2,8 milliards d'euros de crédits dédiés. Les crédits budgétaires de la mission Sport, jeunesse et vie associative ont également été réduits. Il faut savoir que 90 % des associations ont moins de 50 000 euros annuels de budget, et que 50 % des associations n'ont même pas 10 000 euros de budget. Cela doit nous interpeller. Réfléchissons à de nouvelles sources de financement, et faisons des propositions cohérentes pour créer un vrai statut du bénévole. Agissons pour la reconnaissance des compétences acquises par les bénévoles - via des diplômes universitaires ou la valorisation des compétences. Recentrons ainsi la vie citoyenne au coeur de la société et de la politique, à sa vraie place ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et RDSE ; M. Pierre Ouzoulias applaudit aussi ; on applaudit également sur quelques bancs du groupe UC.)
M. Éric Gold . - Après l'adoption de la proposition de loi, nous rendons hommage aux 13 millions de bénévoles qui font vivre le lien social dans nos territoires. La mobilisation qui a émergé et se poursuit depuis de nombreuses semaines interpelle sur l'accès aux services publics et la prise en charge des plus fragiles dans notre société. La fracture territoriale s'est aggravée.
Souvent, ce sont les associations et les bénévoles qui prennent le relais et créent du lien, en se substituant à l'État.
Le groupe RDSE se félicite de ces deux occasions de débattre du bénévolat sous toutes ses formes : la proposition de loi du 6 mars et le débat de ce jour.
Prendre « la juste mesure du bénévolat dans la société française », c'est regretter les 100 000 contrats aidés supprimés, dont un tiers bénéficiait au secteur associatif, soit 1,6 milliard d'euros de subventions indirectes en moins. Dans le secteur sportif, où les besoins d'accompagnement des jeunes sont immenses, les associations font aussi face à la baisse des dotations des collectivités territoriales et des dons, à la suite de la suppression de l'ISF.
Monsieur le ministre, un bénévole ou un volontaire en service civique n'ont pas vocation à se substituer à un salarié ; le bénévole a un temps d'engagement limité.
Une petite association doit dépenser temps et énergie pour remplir de nombreux dossiers de demandes de subvention, tout cela pour finalement obtenir quelques centimes d'euros d'une collectivité territoriale, au détriment du temps passé envers les adhérents. Le remboursement de frais à hauteur de 66 % de l'impôt sur le revenu ne couvre pas toutes les dépenses et ne concerne pas les non-imposables.
Le groupe RDSE a déposé plusieurs amendements à la proposition de loi de la semaine dernière, pour améliorer les droits des bénévoles. Une réflexion doit être menée pour limiter la crise des vocations !
Un quart des présidents d'association sont en poste depuis au moins dix ans. Élargissons le compte engagement citoyen et le congé engagement !
Souvent, nous le savons d'expérience, l'engagement associatif est le prélude d'un engagement politique. Être élu bénévole est un sacerdoce. Dans les petites communes rurales, les élus sont seuls face au citoyen, en raison du désengagement progressif de l'État. Je leur rends un hommage appuyé ; je redis que le Sénat souhaite les accompagner dans leur noble mission. Je salue aussi l'engagement des sapeurs-pompiers volontaires, sans limite, au service des autres, qui s'exerce dans des conditions de plus en plus difficiles.
Après 118 ans d'existence, la loi de 1901 montre toute sa pertinence. La liberté d'association, constitutionnelle, est incontournable en démocratie. Tâchons de la préserver du mieux possible ! (Applaudissements)
M. le président. - En lui souhaitant un joyeux anniversaire, je donne la parole à Claude Kern. (Applaudissements)
M. Claude Kern . - (Applaudissements sur les bancs des groupes UC et SOCR) Le secteur du sport regroupe 3,2 millions des 16 millions de bénévoles, soit l'équivalent de 274 000 emplois à temps plein, pour un poids économique estimé entre 5 milliards d'euros et 10 milliards d'euros. Il faut valoriser le bénévolat et former les bénévoles, malgré les menaces que constituent la suppression des contrats aidés et l'explosion de leur charge de travail. Le rôle social des clubs et associations de proximité n'est plus à prouver. Ils participent à l'éducation de nos enfants et ont un fort impact en matière de santé publique.
C'est particulièrement vrai dans les quartiers dits sensibles de Strasbourg et de sa région, avec « Unis vers le sport ». Je rends hommage aux petites associations sans salariés, reposant à 100 % sur le bénévolat, qui jouent un rôle crucial en fait de solidarité et de lien social.
Les bénévoles garantissent ainsi le bon fonctionnement du monde sportif. La fin des contrats aidés, la baisse drastique des dotations aux collectivités locales sont des coups portés à ce modèle. Si la charte du bénévolat adoptée dans le cadre de l'Euro 2016 a marqué une première étape utile, on doit aller plus loin. On ne peut plus faire l'économie d'un véritable statut du bénévole, en particulier dans la perspective de l'organisation des Jeux Olympiques.
Le FDVA oeuvre de façon conséquente dans la formation des bénévoles, mais qu'en sera-t-il demain ? Comment le Gouvernement compte-t-il lever les obstacles administratifs et réglementaires pour un développement du bénévolat dans le sport ? Quelle stratégie de pérennisation de l'emploi ? Nous comptons sur vous ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UC)
M. Jérôme Bignon . - À mon tour de remercier le groupe UC. L'État n'a plus le monopole de l'intérêt général, disait déjà Camus.
Des cours sur l'économie sociale et solidaire et l'engagement sont dispensés dans les plus grandes universités et écoles.
« Être bénévole, c'est précisément être responsable », disait Saint-Exupéry, « c'est connaître la honte en face d'une misère qui ne semblait pas dépendre de soi. C'est sentir, en posant sa pierre, que l'on contribue à bâtir le monde. »
II ne s'agit pas de changer le monde, mais de redresser une injustice locale, d'améliorer le quotidien de quelques personnes, de trouver des solutions à un problème concret... Le dénominateur commun des bénévoles, c'est de tisser le lien social en servant une cause commune, qu'il s'agisse de construire une école au Burkina Faso ou de ramasser les algues vertes en Bretagne.
Les sapeurs-pompiers volontaires sont bénévoles pour la plupart ; la grande majorité des élus locaux aussi. Le secteur associatif est la partie immergée de l'économie marchande. Ma vie de bénévole m'a apporté tant de joie que je crois que la grande valeur du bénévolat est de rendre heureux, contre le narcissisme de la société.
Des chercheurs de l'école de médecine d'Harvard, en 2019, ont observé des personnes pour chercher la source du bonheur : ce serait la qualité dans leurs relations humaines, à rebours donc de la formule de Jean-Paul Sartre, pour qui « l'enfer, c'est les autres ».
La loi de 1901 a fait de la vie associative le creuset de la démocratie, en développant, à partir d'idées jugées utopiques a priori, grâce à l'engagement d'une multitude de personnes, des réalités concrètes, des améliorations du quotidien, des innovations, des pratiques nouvelles. Voyez les Restos du Coeur ! La loi contre le gaspillage alimentaire produit ses effets, et dans quelques mois, nous examinerons le projet de loi pour lutter contre le gaspillage des produits invendus.
La France ne peut se concevoir sans l'engagement de ces citoyens qui ne comptent ni leur temps, ni leur argent, pour donner de leur temps, de leur compétence et de leur générosité au profit de la solidarité nationale.
Le tissu associatif, ciment de la République, forme l'un des derniers remparts contre l'isolement, le populisme, la montée des égoïsmes. (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE et UC)
M. Arnaud Bazin . - La France compte plus de 16 millions de bénévoles, qui constituent le maillon essentiel de nombreux services publics. Plus de 30 % d'entre eux s'engagent dans le domaine social. C'est le cas de l'aide alimentaire, dont Éric Bocquet et moi-même, en tant que rapporteurs spéciaux de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », avons pu observer le fonctionnement, lors d'un contrôle budgétaire. Il s'appuie essentiellement sur 9 000 structures associatives, dont quatre grandes : la Fédération française des banques alimentaires, les Restos du Coeur, la Croix-Rouge française et le Secours populaire français - qui comptent plus de 200 000 bénévoles. Ceux-ci sont la clé du développement de ces structures. Comme les salariés sont peu nombreux, ils peuvent occuper toutes les fonctions : de la gestion, de l'approvisionnement à l'informatique, de la distribution au mécénat.
Les banques alimentaires comptent 90 % de bénévoles. Ces associations sont peu coûteuses au vu du service rendu et l'effet de levier de l'argent public consacré à leur action est considérable.
L'enjeu est de faire respecter les exigences administratives nationales et européennes, compte tenu de l'équilibre à trouver avec le travail de terrain, tout en garantissant la vie de ces associations, qui repose sur l'action bénévole, au service des plus vulnérables de nos concitoyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains, ainsi que sur plusieurs bancs depuis ceux du groupe SOCR jusqu'à ceux du groupe UC)
M. Jean-Jacques Lozach . - Les Français sont de plus en plus nombreux à vouloir agir pour les autres, que ce soit dans un cadre associatif ou non : on compte entre 13 millions et 18 millions de bénévoles, seuls ou au sein de 300 000 associations répertoriées.
Les associations ont perdu pourtant quelque 15 milliards d'euros en dix ans. La baisse des dotations aux collectivités territoriales, la réforme des rythmes scolaires, qui n'est plus appliquée que par une seule commune dans la Creuse, leur ont porté un rude coup, tout comme la suppression brutale et sans concertation de plus de 250 000 contrats aidés, qui a abouti à un transfert de charges vers les bénévoles, ou à la disparition d'activités. Ainsi, un sport, l'escrime, a tout bonnement disparu dans mon département, car il avait besoin d'un emploi aidé.
Toutes ces mesures menacent l'existence de nombreuses associations, en raison de leur impact non seulement financier, mais aussi moral.
La proposition de loi en faveur de l'engagement associatif adoptée mercredi dernier est une étape nécessaire mais pas suffisante. Attention : 40 % des responsables associatifs se disent inquiets de la crise des vocations, due à la pénalisation croissante des fonctions de direction. Le modèle le plus efficient est celui qui combine professionnels et bénévoles. On estime la valeur du bénévolat sportif, entre 5,2 milliards d'euros pour une valorisation au Smic et 10,1 milliards au salaire moyen de la branche ; dans le secteur culturel, les estimations vont de 3,6 milliards à 8,2 milliards d'euros.
Le mouvement sportif ne pourrait survivre sans eux. Le public et les licenciés poussent les bénévoles à se former, à s'adapter pour être plus efficients, et gagner en technicité. Il est de notre responsabilité de les y aider. J'espère que le futur service national universel suscitera des vocations d'implication bénévole. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe UC)
M. Olivier Cigolotti . - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) Le bénévolat est, avant tout, un don de soi, libre, consenti et gratuit. Son spectre est plus large que ce qu'on peut imaginer. De l'accompagnant sportif ou social aux interventions en établissement ou à l'ingénierie, chacun peut trouver la mission qui lui correspond.
Le bénévolat est la clé de voûte du fonctionnement des plus petites communes rurales dont les budgets sont serrés. Au lieu d'augmenter la fiscalité ou de rogner sur les dépenses, le bénévolat offre une troisième voie précieuse. Je pense aux citoyens qui mettent la main à la pâte en menant des travaux de voirie, de bâtiments, de décoration ou d'organisation, mais aussi aux élus qui ne perçoivent pas leurs modestes indemnités au maximum légal, par choix personnel.
Les élus multitâches sont ainsi juriste, inspecteur des travaux ou même psychologue. Je salue à cet égard les travaux de la mission sénatoriale sur les conditions d'exercice des mandats locaux. Dans ce domaine, les attentes sont fortes. Les regroupements au sein d'intercommunalités XXL ont suscité un sentiment de perte d'autonomie dont il faudrait mesurer le coût à l'échelle de chaque fusion.
Les sapeurs-pompiers volontaires, qui forment le socle du modèle français de secours et de gestion des crises, sont menacés par une directive européenne sur le temps de travail. (M. Roland Courteau le confirme.) Nous attendons du Gouvernement une prise de position forte sur ce dossier qui a fait l'objet d'une résolution européenne du Sénat. Bénévolat et volontariat maintiennent la proximité indispensable et oeuvrent en faveur d'une société de l'engagement, inclusive et davantage fraternelle. (Applaudissements sur les bancs des groupes UC et Les Républicains, ainsi que sur quelques bancs du groupe SOCR)
M. Jean-Raymond Hugonet . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Je salue l'initiative du groupe UC et de son président, Hervé Marseille. Oui, l'engagement dans le monde associatif est au coeur de la responsabilité sociale. Le bénévolat occupe une place spécifique dans la société civile, non concurrentielle au travail. Mais la vocation associative est en crise : les contraintes croissantes inhérentes à l'exercice des responsabilités freinent les bénévoles ; il est de plus en plus difficile de trouver des dirigeants. Le projet fondateur des associations n'est plus reconnu en tant que tel : elles ont pour but de faciliter le regroupement libre de citoyens pour proposer une action, un service à la collectivité.
La politique du Gouvernement a pour effet une baisse voire une disparition du salariat associatif. Les associations adoptent de plus en plus une attitude d'entreprises privées mises en concurrence si le bénévole devient un professionnel non salarié.
D'où cette question très paradoxale, et de plus en plus fréquente : « quelle contrepartie à l'engagement associatif » ? La boucle est bouclée !
Le projet de la loi de 1901 n'est plus respecté, lorsque la seule capacité technique est reconnue aux associations au détriment de leur capacité politique, au sens noble et large du terme, puisque l'État ne les finance plus que pour l'application de politiques sectorielles. Espérer enrayer ainsi l'hémorragie de responsables est illusoire. (Applaudissements)
M. Pierre Ouzoulias. - Très bien !
M. Cyril Pellevat . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Noble valeur, le bénévolat est en hausse : un Français sur quatre s'engage bénévolement. Traditionnellement privilégié par les retraités, l'engouement se fait de plus en plus sensible parmi les 15-35 ans.
Activités sociales caritatives, culturelles, sportives : en zone rurale, le bénévolat fait vivre le territoire, il est l'essence du tissu associatif.
Issu du monde associatif, je veux remercier tous les bénévoles pour leur engagement. Il est important d'encourager ce mode d'action. Les collectivités soutiennent leurs associations via des financements, la mise à disposition de locaux ou l'organisation de forums d'associations.
Selon une étude de 2018, 38 % des Français déclarent vouloir s'engager mais n'ont pas encore franchi le pas. Il serait à cet égard utile de développer les actions de sensibilisation à l'école ou à l'université, mais aussi en entreprise. Les pistes sont nombreuses.
Monsieur le ministre, seriez-vous favorable à une réduction d'impôt au profit des activités bénévoles, pour récompenser l'engagement associatif ? Actuellement, au-delà d'un seuil, les heures de bénévolat donnent droit à des heures dans le compte personnel de formation ; je propose de diminuer le nombre d'heures nécessaires pour y prétendre. Y seriez-vous favorable ? (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UC et Les Indépendants)
M. Gabriel Attal, secrétaire d'État auprès du ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse . - Je remercie le groupe Union centriste d'avoir pris l'initiative de ce débat, sur un sujet dont on ne parle pas assez. Le Gouvernement prend-il la juste mesure du bénévolat ? Oui ! La France compte 22 millions de bénévoles, représentant 1,425 million d'équivalents temps plein (ETP), qui mènent plus de 31,272 millions d'actions. Mais les chiffres ne sont pas suffisants pour mesurer la réalité du bénévolat, que connaissent bien les élus locaux.
Les bénévoles sont des personnes qui ne comptent pas leur temps, leur énergie ni, parfois, leurs moyens personnels à l'appui de leur engagement. Ils déboursent même souvent eux-mêmes les frais pour exercer leurs missions. Solidarité, lien, culture, sport, aide alimentaire, mémoire : c'est la vie même qui disparaîtrait de nos territoires sans bénévoles pour l'animer !
Les pouvoirs publics peuvent-ils imposer le bénévolat ? Non. Celui-ci procède d'un choix libre, d'une volonté de s'engager. En revanche, la puissance publique peut et doit susciter l'engagement, le favoriser dans la durée et le valoriser.
Susciter le bénévolat passe avant tout par l'éducation. C'est à l'école que l'on doit apprendre ce qu'est le fait associatif, ce qu'est l'engagement, ce que signifie donner du temps pour les autres. Je travaille avec Jean-Michel Blanquer pour développer les actions de sensibilisation tout au long de la scolarité, notamment dans le cadre de l'enseignement moral et civique. Des évolutions ont déjà eu lieu dans le primaire mais pour qu'il y ait un continuum dans l'engagement, il faut que l'école en soit le pivot.
Nous devons aussi soutenir le tissu associatif : comme l'a rappelé le sénateur Buis, l'État a ainsi rendu 1,4 milliard d'euros en trésorerie aux associations cette année par le biais de la transformation du CICE, dont ne bénéficiaient pas les associations, en réduction de charges sociales. Pour soutenir les associations qui ne fonctionnent qu'avec des bénévoles, nous nous appuyons sur le Fonds pour le développement de la vie associative (FDVA) qui a pris le relais de la réserve parlementaire. Certes, l'enveloppe est moindre, je l'avais regretté quand j'étais député, mais elle est ciblée sur les petites associations bénévoles alors que la réserve parlementaire concernait aussi les grands réseaux associatifs.
Loin de se désengager, l'État subventionne les associations à hauteur de 4,5 milliards d'euros. C'est massif ! La dépense fiscale s'établit à 2,8 milliards d'euros. Ces chiffres peuvent sembler désincarnés, il me semble important de les rappeler néanmoins.
La puissance publique doit aussi s'attacher à rapprocher les futurs bénévoles des associations, comme l'appelait de ses voeux M. Pellevat. Le service national universel (SNU) sera ainsi un moyen de mettre en relation les associations avec les jeunes, via la mission d'intérêt général de quinze jours à réaliser notamment au sein d'une association. Trop de jeunes ne s'engagent pas car ils craignent de n'avoir rien à apporter ; le SNU les y encouragera. En outre, la plateforme numérique de la réserve civique permet aux volontaires de se géo-localiser pour trouver autour d'eux les associations qui ont besoin d'aide.
Le bénévolat a évolué. On s'engage moins sur la durée mais plus volontiers désormais de manière épisodique, en faveur de causes ponctuelles. Il importe donc d'indiquer aux Français les associations dans lesquelles ils peuvent s'engager.
Nous devons aussi aider les bénévoles à le rester. Ils ont notamment besoin de temps - or les dispositions de la loi Égalité et citoyenneté sur le congé d'engagement ne sont pas assez connues des salariés et des employeurs. Je lancerai bientôt une mission parlementaire pour y remédier. Le Sénat a adopté dernièrement un amendement prévoyant de rémunérer trois jours de congé d'engagement. J'y étais opposé car un engagement rémunéré est-il encore du bénévolat ? Cela se rapproche du mécénat de compétences... Nous réfléchissons à des pistes pour aller plus loin. Les associations, que je rencontre dans le cadre du grand débat, ont des propositions intéressantes, comme le don de RTT en faveur des salariés responsables associatifs.
Outre le temps, les bénévoles ont besoin d'une formation ; c'est notamment indispensable pour les responsables associatifs. Le FDVA a financé la formation de 160 000 bénévoles en 2018, pour un budget de 8 millions d'euros. C'est insuffisant, et ce budget sera porté à 10 millions d'euros dès 2019. C'est un engagement fort, dans un contexte budgétaire contraint.
Nous voulons identifier les comptes bancaires inactifs des associations pour les flécher vers le financement de la vie associative. Une proposition de loi, actuellement à l'Assemblée nationale, viendra prochainement au Sénat sur ce sujet.
Enfin, il nous faut permettre aux bénévoles de valoriser leur engagement. Le bénévolat permet d'acquérir des compétences qui peuvent être valorisées. On s'engage pour les autres, mais aussi pour soi, il faut l'assumer.
M. Pellevat propose de revoir les barèmes du compte d'engagement citoyen ; pourquoi pas. Nous allons l'élargir aux encadrants associatifs - encadrants sportifs et chefs et cheftaines scouts notamment - soit 70 000 bénévoles supplémentaires.
Pour valoriser l'engagement, il faut certifier les compétences acquises. Je suis favorable à la valorisation des acquis de l'expérience (VAE), mais le processus est long et « universitarisé ». Nous mettons en place des plateformes de certifications gratuites, via des modules numériques, permettant de certifier les compétences acquises par les bénévoles en matière de gestion de projet, de communication, de recherche de subventions, etc., qui sont utiles à leur insertion. Je travaille avec France bénévolat, ou la Jeune Chambre économique française - qui a développé le CV citoyen -, ainsi qu'avec les employeurs et les DRH. Le bénévolat permet d'acquérir un savoir-être dans un collectif, des compétences sociales très prisées des employeurs. Comme le disait un représentant du Medef, le bas du CV devient le haut du CV, car les employeurs regardent de plus en plus les expériences d'engagement.
En conclusion, le bénévolat est un beau sujet fédérateur, au-delà des désaccords sur tel ou tel point et des inquiétudes sur l'impact de certaines mesures fiscales sur le niveau des dons. Développer la vie associative, c'est développer la solidarité, le lien social. Je serai toujours disponible pour y travailler avec vous. Le bénévolat est une école de la citoyenneté et de la démocratie pour tous. (Applaudissements sur les bancs des groupes UC et LaREM)
Prochaine séance demain, jeudi 14 mars 2019, à 10 h 30.
La séance est levée à 17 h 50.
Jean-Luc Blouet
Direction des comptes rendus