Quelle politique d'attractivité de la France à l'égard des étudiants internationaux ?
M. le président. - L'ordre du jour appelle un débat sur le thème « Quelle politique d'attractivité de la France à l'égard des étudiants internationaux ? », à la demande du groupe SOCR.
Mme Sylvie Robert, pour le groupe socialiste et républicain . - À mon tour de vous souhaiter une excellente année.
Le titre II du livre premier du code de l'éducation est limpide : « le service public de l'enseignement supérieur veille à favoriser l'inclusion des individus sans distinction d'origine, de milieu social et de condition de santé », « contribue à l'attractivité et au rayonnement des territoires aux niveaux local, régional et national » et « assure l'accueil des étudiants étrangers, en lien avec le réseau des oeuvres universitaires et scolaires ». Or, il y a quelques semaines, a été annoncée une hausse des frais d'inscription pour les étudiants extracommunautaires. Cette mesure soudaine, pour ne pas dire brutale, consiste à multiplier par quinze les frais d'inscription sans qu'aucune étude d'impact n'ait été réalisée, sans qu'aucune concertation n'ait été menée avec la communauté universitaire, les syndicats étudiants et la représentation nationale. Présidents d'université et étudiants demandent un moratoire, un mouvement de désobéissance se dessine. D'où ce débat par lequel le groupe socialiste souhaite obtenir des réponses argumentées du Gouvernement.
Pourquoi cette hausse ? En quoi améliorera-t-elle l'attractivité de la France ? A priori, cela semble contre-intuitif quand la moitié des étudiants internationaux viennent du continent africain et 40 % disent consentir des sacrifices financiers pour étudier dans l'Hexagone. N'oublions pas cette réalité.
Selon le baromètre de Campus France de 2018, les principaux freins à des études en France sont le coût de la vie, les complexités administratives, notamment pour obtenir un visa et la difficulté d'accès à un premier emploi. La hausse des frais d'inscription renforcera la barrière économique. Si la France occupe la quatrième place pour l'accueil des étudiants étrangers dans le monde et la première hors des pays anglophones, avec 300 000 étudiants étrangers, c'est justement parce qu'elle constitue un contre-modèle au modèle anglo-saxon, abordable et de qualité.
Comment atteindre, dans ces conditions, l'objectif de 500 000 étudiants étrangers en France en 2027 ? L'effet d'éviction risque d'être massif ; les 30 000 bourses prévues, soit à peine 6 % du total, ne suffiront pas à le contrebalancer.
La qualité de la formation, premier facteur d'attractivité, nécessite des moyens importants. L'augmentation des frais d'inscription des étudiants extracommunautaires apportera des ressources propres aux établissements, encore faut-il qu'elle n'annonce pas un désengagement de l'État de l'enseignement supérieur.
La question de l'attractivité est intimement liée à celle de l'accueil. S'il est heureux que l'exécutif simplifie la politique de visas dans le cadre du plan « Bienvenue en France » quand les étudiants étrangers sont pris dans un maelstrom administratif en arrivant, qu'en est-il du logement ?
Enfin, l'attractivité d'un pays, c'est aussi une question d'image, d'âme. La nôtre sera écornée dans le monde francophone par cette décision : l'égalité républicaine, l'accès universel au savoir sont mis en cause.
La France doit rester elle-même ; il y va de son honneur, de sa singularité et de sa force d'attractivité. Les étudiants étrangers d'aujourd'hui sont nos ambassadeurs de demain, ne leur envoyons pas le message que notre pays est réservé à certains d'entre eux. J'espère que le Gouvernement reviendra sur ses décisions sans s'abriter derrière le paravent de l'autonomie des universités. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et CRCE ; Mme Mireille Jouve applaudit également.)
Mme Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation . - À mon tour de vous souhaiter une très belle année 2019. Le premier mérite de ce débat est de clarifier les choses, entre la réalité de la stratégie gouvernementale et certaines interprétations qui en sont faites.
La stratégie « Bienvenue en France » est une première ; aucun gouvernement n'avait fait jusqu'ici de l'accueil des étudiants étrangers une priorité. C'est que nous vivons une révolution silencieuse : la jeunesse du monde est de plus en plus nombreuse à accéder aux études supérieures et de plus en plus nombreuses à faire tout ou partie de ses études à l'étranger. Ils sont 5 millions dans le monde actuellement, ils seront 9 millions en 2025.
La France sera-t-elle au rendez-vous de cette explosion de la mobilité étudiante ? Les États-Unis ont choisi la fermeture, le Royaume-Uni traverse une profonde période d'incertitude ; la Chine, la Turquie, l'Arabie Saoudite, l'Iran développent une politique dynamique, voire agressive, d'accueil. Nous avons des atouts : notre culture, notre patrimoine, notre offre de formation. Nous avons aussi des faiblesses : nous accueillons souvent mal ces étudiants. En dépit des efforts qui ont été fournis, étudier en France est un parcours du combattant qui commence avec la demande de visa et se poursuit avec la recherche d'un logement, l'ouverture d'un compte en banque et l'inscription administrative. Les étudiants étrangers sont souvent livrés à eux-mêmes là où les étudiants français à l'étranger sont accompagnés de bout en bout.
L'enjeu est d'être à la hauteur des normes internationales de l'accueil. Nous voulons porter le nombre d'étudiants étrangers en France à 500 000 en 2027, loin des caricatures. Nous devons développer des formations en langue étrangère ; la francophonie est une chance mais cela n'exclut pas de développer, pour ceux qui ne connaissent pas notre langue, des formules d'apprentissage intensif au français et des formations en langue anglaise à chaque fois que cela a du sens.
Pour accueillir mieux et davantage d'étudiants étrangers, il faut des moyens. Cette année, 10 millions d'euros sont débloqués pour créer des guichets uniques qui soutiendront les étudiants étrangers dans leurs démarches administratives et leur recherche de logement et des formations en français langue étrangère. La labellisation « Bienvenue en France », qui sera ouverte dans les prochains jours, témoignera de l'engagement des établissements d'enseignement supérieur.
Cela étant, soyons clairs, si nous voulons un financement durable pour l'accueil des étudiants étrangers, nous n'avons pas d'autre choix que de mettre en place un véritable modèle redistributif avec des frais d'inscription différenciés qui s'accompagnera d'un triplement des bourses et des exonérations pour garantir qu'aucun étudiant qui souhaite choisir la France ne soit écarté pour des raisons financières. En vertu du principe d'autonomie des universités, de larges possibilités d'exonérations existent pour les étudiants internationaux accueillis dans le cadre de conventions entre établissements et dans celui d'Erasmus +. Près de 25 % des étudiants internationaux concernés par la différenciation des frais d'inscription bénéficieront d'exonérations. Reste qu'il revient à chaque établissement d'élaborer sa stratégie internationale et d'identifier ses besoins en bourses et en exonérations. Le débat sur les modalités de financement de la politique d'accueil ne doit pas nous faire oublier l'objectif : mieux accueillir. Il doit être l'occasion de répondre aux inquiétudes : sur l'accompagnement des étudiants étrangers déjà présents en France qui, il faut le répéter, ne seront pas concernés par la différenciation des frais d'inscription ; sur les doctorants étrangers qui, pour une grande partie d'entre eux, verront leurs frais d'inscription pris en charge comme nous l'avons souhaité.
Nous pouvons nous retrouver autour d'une même ambition : faire pleinement rayonner notre enseignement supérieur dans un monde où la mobilité des étudiants internationaux connaît une accélération sans précédent.
Mme Mireille Jouve . - Le 19 novembre, le Premier ministre a annoncé l'augmentation des frais d'inscription des étudiants extracommunautaires à la rentrée prochaine afin de financer l'amélioration de leur accueil. La conférence des présidents d'université (CPU), dès le 13 décembre, a demandé la suspension de cette décision. Les facultés d'Aix-Marseille et Clermont-Ferrand ont annoncé qu'elles n'appliqueraient pas la mesure.
Madame la ministre, vous lancez une concertation en indiquant qu'elle n'a vocation à mettre en cause ni le principe de la majoration ni son calendrier. La CPU demande une discussion au cadre élargi. Y êtes-vous prête ? (M. Jean-Yves Leconte applaudit.)
Mme Frédérique Vidal, ministre. - Le Premier ministre a annoncé dès le départ une concertation mais non pour revenir sur une décision arbitrée en interministériel puisque les ministères des Affaires étrangères, de l'Intérieur et de l'Enseignement supérieur sont concernés. Les universités sont des opérateurs de l'État ; en tant que tels, il est normal qu'elles soient consultées sur les modalités d'application d'une décision du Gouvernement. Je leur ai demandé de faire des propositions pour accueillir plus d'étudiants internationaux. Certaines demandent déjà 15 000 euros à des étudiants internationaux pour des diplômes d'établissement sans que cela choque personne... Cela représente 50 millions d'euros de ressources propres pour les universités. Nous voulons, avec la mise en place de ce système redistributif, que tous les étudiants internationaux soient bien accueillis, et pas seulement ceux qui ont les moyens de régler 15 000 euros.
Mme Catherine Morin-Desailly . - Les étudiants internationaux représentent une chance pour la France, ils rapportent plus à notre économie qu'ils nous coûtent. Demain, ils seront de précieux ambassadeurs de notre pays, de notre langue, de notre culture et de nos valeurs. Le Brexit et la politique de Donald Trump sont autant d'occasions de faire valoir la destination France.
Madame la ministre, je comprends votre démarche. Pour renforcer l'attractivité de la France, le Sénat a soutenu la création de champions de l'enseignement supérieur : les PRES de Valérie Pécresse puis les communautés d'universités et établissements, les ComUE, de Geneviève Fioraso. Comment ces efforts se traduisent-ils dans les classements internationaux, notamment celui de Shanghai ? Les grandes écoles, qui bénéficiaient d'une belle réputation à l'étranger, n'y ont-elles pas perdu un peu de leur âme ?
Mme Frédérique Vidal, ministre. - Selon les sites, l'attractivité internationale a été confiée aux ComUE ou est restée au sein des établissements. Dans tous les cas, les ComUE ont bénéficié de la présence des écoles, comme membres associés, qui ont une politique d'accueil plus ancienne et développée. Les ComUE peuvent également afficher des formations comprehensive, multidisciplinaires, qui correspondent aux demandes des étudiants étrangers.
Malheureusement, la plupart des classements ne considèrent pas les ComUE comme des établissements d'enseignement supérieur et de recherche en tant que tels. Nous faisons en sorte que cela devienne le cas.
Mme Colette Mélot . - La France, quatrième pays d'accueil des étudiants étrangers, accuse un décrochage depuis 2011, malgré des coûts de scolarité demeurés bas. Nous devons mener une stratégie plus offensive.
Dans le contexte actuel, il est inconcevable de demander au contribuable français de financer la formation des étudiants extracommunautaires. Nous sommes favorables à une modulation de leurs frais d'inscription pour se rapprocher du coût réel des formations. Cela est possible à trois conditions : augmenter le nombre de bourses au mérite, notamment pour les étudiants venant de pays francophones ; investir dans la qualité de l'offre et écarter de la mesure les étudiants qui ont obtenu un bac français et les doctorants. Plus de 40 % de nos doctorants sont des étudiants étrangers, ne nous privons pas de ces talents.
Mme Frédérique Vidal, ministre. - Une fois de plus, les établissements, qui auront la main sur la politique d'exonération et de modulation des frais de scolarité, pourront parfaitement tenir compte du mérite des étudiants.
Les droits d'inscription des doctorants internationaux seront conçus pour ne pas décourager leur venue, en particulier pour ceux bénéficiant de contrats doctoraux gouvernementaux, de financements ANR ou européens.
Reste qu'il revient aux établissements de définir leur politique d'accueil et leurs priorités de recrutement. Au niveau national, la seule distinction que nous puissions opérer est entre étudiants extracommunautaires et communautaires.
M. Stéphane Piednoir . - La hausse des frais d'inscription, qui n'est pas la seule du plan « Bienvenue en France », suscite beaucoup d'émotion. Je partage le souhait de renforcer l'attractivité de la France mais je m'interroge sur la méthode de calcul qui a conduit à une multiplication par seize de ces frais. Pour être acceptée, la hausse des droits d'inscription doit être comprise et expliquée et, dans l'idéal, y compris à la Représentation nationale...
Mme Frédérique Vidal, ministre. - Le calcul n'a rien de compliqué : chaque année, l'investissement moyen par étudiant est calculé par l'OCDE et par l'État. Nous avons choisi de demander aux étudiants extracommunautaires de financer un tiers de cet investissement.
Pour eux, nous simplifions l'obtention d'un visa ; nous développons l'enseignement du français langue étrangère et les formations en anglais ainsi que les activités culturelles et sportives ; enfin, nous prévoyons la transformation automatique du visa de master et doctorat en visa de travail.
L'État continue de porter deux tiers de l'investissement.
M. Stéphane Piednoir. - Vous l'aurez compris, ma question ne portait pas sur le fond de la mesure mais sur la méthode. La CPU se plaint aussi du manque de concertation, un comble à l'heure du grand débat.
Mme Françoise Cartron . - L'accueil des étudiants étrangers, c'est aussi l'accueil des étudiants européens. Les jeunes apprentis du lycée Gustave Eiffel de Bordeaux, que j'ai rencontrés récemment, étaient enthousiasmés par leur expérience Erasmus +. Que du positif ! À quelques mois des élections européennes, quelle place la France entend-elle occuper au sein de ce réseau qui regroupe 33 pays ? Notre pays est le premier à envoyer des jeunes à l'étranger, mais il n'est que le troisième pays d'accueil derrière l'Espagne et l'Allemagne. Comment améliorer l'attractivité de la France dans le cadre de ce programme ?
Mme Frédérique Vidal, ministre. - L'amélioration de l'accueil concerne effectivement les étudiants extracommunautaires comme communautaires. Plus de 40 % des étudiants étrangers estiment que les démarches administratives sont un frein aux études en France ; 50 % d'entre eux citent aussi la difficulté à trouver un logement. La maîtrise de la langue constitue également une difficulté ; dans d'autres pays, davantage de formations sont proposées en anglais, ce qui facilite l'arrivée des étudiants internationaux. J'ajoute que la France a, pendant longtemps, organisé sa formation en semestres de façon rigide ; il était compliqué de s'y insérer. Aujourd'hui, les étudiants peuvent suivre des modules d'enseignement à la carte. Cela renforcera notre attractivité dans le cadre du programme Erasmus +.
M. Pierre Ouzoulias . - Madame la ministre, votre définition de la concertation est sidérante : vous prenez une mesure, nous discutons ensuite. Nous l'avions déjà constaté pour Parcoursup.
Les universités seront soumises à un barème national, elles ne pourront renoncer à percevoir ces droits que dans la limite de 10 % des étudiants, à l'exclusion des boursiers et des étudiants accueillis dans le cadre des conventions bilatérales. Or le Gouvernement a, pour des raisons budgétaires évidentes, intérêt à limiter au maximum les exonérations. Les universités qui ne voudront pas appliquer votre politique seront-elles obligées de s'y plier ?
Mme Frédérique Vidal, ministre. - Certains pays ont fait le choix de différencier les droits en fonction des disciplines, ce n'est pas le nôtre. Nous voulons un système redistributif.
L'attractivité de nos établissements doit avant tout reposer sur la qualité de leur formation, le taux d'insertion professionnelle de leurs diplômes. Tout cela est vrai mais les difficultés que les étudiants étrangers rencontrent à leur arrivée en France découragent. La caution Visale étendue à tous les étudiants extracommunautaires est un élément de réponse.
M. Pierre Ouzoulias. - Merci pour la clarté de votre réponse ! J'ai bien compris : le Gouvernement a pris l'engagement ferme d'accorder aux universités toutes les exonérations qu'elles souhaitent.
Mme Claudine Lepage . - L'augmentation des frais d'inscription pour les étudiants étrangers fait l'unanimité contre elle. Nombre d'universités, Rennes 2 est la dernière en date, ont annoncé qu'elles ne l'appliqueraient pas. J'ai entendu l'argument du coût comme gage de qualité, notamment auprès des étudiants chinois et indiens mais aucune étude ne montre que la hausse attirera des étudiants qui privilégient les universités anglo-saxonnes. En revanche, les étudiants plus modestes, notamment issus d'Afrique francophone pour lesquels les universités françaises constituent le premier choix, se sentent trahis. Omar, étudiant guinéen, affirme : « les choses sont claires maintenant, ils ne veulent pas de nous ». Que lui répondez-vous ?
Mme Frédérique Vidal, ministre. - Les universités, opérateurs de l'État, doivent porter les politiques publiques décidées par l'État. Comme tous les fonctionnaires, les professeurs, les maîtres de conférences et le personnel administratif et technique ont un devoir d'obéissance et de loyauté, sauf délit qu'il conviendrait alors de dénoncer.
Les étudiants francophones, en réalité, se répartissent dans l'ensemble des pays francophones, y compris en Belgique où les frais s'élèvent à 4 000 euros et au Québec où ils sont encore plus élevés ; certains d'entre eux choisissent même d'étudier dans des pays anglophones. La France ne représente pas toujours leur premier choix. Le coeur du sujet, c'est l'accueil et celui que nous offrons aux étudiants étrangers n'est pas digne de notre pays.
M. Claude Kern . - L'éviction des étudiants africains est souvent dénoncée par les détracteurs de la hausse des frais d'inscription mais le montant des frais d'inscription en France n'est que le septième critère de choix de la destination. En outre, 40 % des étudiants africains choisissent déjà des destinations payantes, comme les États-Unis, l'Australie ou la Grande-Bretagne, car ce qu'ils cherchent est d'abord un diplôme de qualité reconnu dans le monde. Finalement, cette critique témoigne d'une conception paternaliste et dépassée du continent africain. Que fera le Gouvernement pour rassurer ?
Mme Frédérique Vidal, ministre. - Il existe une tradition de coopération avec l'Afrique francophone mais aussi avec les Balkans et certains pays d'Asie. Nombre d'établissements français s'engagent dans des partenariats privilégiés, notamment avec le Maghreb. Tous sont maintenus, ils font l'objet de conventions. Le doublement des bourses confortera ces accords de coopération, notamment avec les pays africains.
Nous travaillons également, via l'Agence française de développement, à une politique de délocalisation des diplômes français pour que les pays puissent former, dans les domaines où ils en ont besoin, leurs jeunes qui n'ont pas forcément de quoi payer un billet d'avion et une chambre en résidence universitaire.
M. Jacques Grosperrin . - Lors de l'examen de la loi relative à l'orientation et à la réussite des étudiants, le Sénat avait adopté un amendement de notre collègue Paccaud augmentant les frais d'inscription des étudiants extracommunautaires. Le Gouvernement et sa majorité n'en voulaient pas, la CMP l'avait supprimé. Pourquoi accepter maintenant ce dont vous ne vouliez pas hier ?
Je m'étonne de la réaction de certains présidents d'université face à une nouvelle source de financement. J'espère que leur position n'est pas une posture politicienne.
Les frais d'inscription atteignent 24 000 euros aux États-Unis, 21 000 euros en Grande-Bretagne et 16 000 euros au Canada, contre 247 euros en France. Ce n'est même pas le prix d'un Smartphone ! En revanche, les étudiants étrangers se plaignent de la lourdeur des procédures administratives. Quel est votre plan pour un meilleur accueil ?
Le président de la République envisage de faciliter la délivrance de visas de longue durée. Ne faudrait-il pas plutôt être fermes sur ces visas et préférer multiplier les visas étudiants ?
Mme Frédérique Vidal, ministre. - Lors de l'examen de la loi, j'avais rappelé que la mesure était réglementaire, et non législative.
Les établissements modulent déjà les droits d'inscription : entre 15 000 et 20 000 euros pour un diplôme d'établissement ; par définition, non national. L'objectif du plan « Bienvenue en France » est de généraliser les aides à l'accueil que reçoivent les étudiants qui sont capables de payer ces sommes.
M. Jean-Yves Leconte . - Les 16 000 bacheliers étrangers formés chaque année par le réseau de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) seront-ils soumis à l'augmentation des frais de scolarité ? Quid des lycéens étrangers vivant en France ?
La politique des bourses menée dans certains pays peut sembler intéressante, mais nous attirons tout particulièrement des étudiants issus d'une zone qui, si elle a un potentiel de croissance très important, est sensible au coût des études. Le Gouvernement pourrait, au minimum, revenir pour les pays concernés au tarif pour les Français afin que ces étudiants ne subissent pas de discrimination.
Mme Frédérique Vidal, ministre. - Nous avons discuté de la question des élèves du réseau de l'AEFE avec le ministère des Affaires étrangères. Les lycées français sont déjà payants. Peut-être parmi leurs élèves y en a-t-il qui ne peuvent supporter des frais élevés mais les établissements peuvent prévoir des droits différenciés en fonction des revenus. C'est le cas à Sciences Po ou à Paris Dauphine. Les établissements doivent s'emparer de cette question.
De nombreux accords existent entre les lycées français à l'étranger, qui comptent souvent d'excellents élèves, et des établissements d'enseignement supérieur. Les universités pourraient passer de telles conventions dans le cadre de leur stratégie d'attractivité.
Les établissements devront réfléchir aux disciplines dans lesquelles ils souhaitent développer des relations internationales fortes, car celles-ci supposent un flux régulier d'étudiants et des échanges entre enseignants-chercheurs.
M. Jean-Yves Leconte. - Je regrette cette réponse. Il aurait été si simple de répondre que tous les bacheliers seront accueillis au tarif français ! Comment espérer tenir la promesse présidentielle de doubler le nombre d'élèves dans le réseau AEFE si ces élèves sont discriminés ?
Quid, madame la ministre, des jeunes étrangers qui vivent aujourd'hui en France ? Tous ceux qui vivent sur le territoire de la République doivent être traités pareillement !
Vous confondez attractivité et multiplication des frais de scolarité par quinze ! L'exemple suédois est pourtant édifiant...
En cinq ans, nous avons régressé et sommes désormais talonnés par l'Allemagne et la Russie. (Marques d'impatience sur les bancs du groupe Les Républicains, où l'on signale que l'orateur a dépassé son temps de parole.) Ne dites pas que les ressources progressent : elles stagnent ! (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)
M. Jacques Grosperrin. - Et vous, avec François Hollande, qu'avez-vous fait ?
M. Pascal Allizard . - La Chine développe une stratégie d'attractivité à l'égard des étudiants étrangers, notamment des pays placés sur la route de la soie et en Afrique, qui doit nous interpeller.
L'espace francophone africain est particulièrement ciblé. Au moment où la France peine à maintenir sa présence militaire et diplomatique et à attirer les élites francophones, la Chine devient la destination phare des étudiants africains : la croissance des inscriptions ne s'y dément pas. Et si l'enseignement du français en Chine progresse, c'est pour préparer les conditions d'une implication croissante sur le continent africain.
Comment comptez-vous attirer les meilleurs étudiants de ces pays ?
Mme Frédérique Vidal, ministre. - Les droits différenciés n'ont pas de rapport avec la nationalité. Ils ne concernent bien évidemment pas les résidents en France ni les étudiants ayant débuté leur cursus.
Mes homologues de Côte d'Ivoire, du Sénégal ou de Tunisie souhaitent que les formations apportées à leurs jeunes puissent être utiles au développement de leur pays, en agriculture ou en agronomie notamment. Il s'agit pour nous de co-construire avec eux une vraie politique de développement, en ciblant les disciplines prioritaires.
M. Jacques Grosperrin. - Très bien !
M. Pascal Allizard. - Lors d'un déplacement en Chine, j'ai constaté que les étudiants du département de français étaient présentés comme les futurs cadres expatriés en Afrique francophone. Déjà, ce sont les Chinois qui gèrent à Djibouti le centre culturel français... Ils se débrouillent sans nous ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur quelques bancs du groupe UC.)
M. Pierre Ouzoulias. - Bravo !
M. David Assouline . - Nous avons un dialogue de sourds. Le lien entre la hausse des frais d'inscription et l'amélioration des conditions d'accueil est-il démontré ?
Bien accueillir coûte cher, il faut organiser des cours de français, dites-vous. Vous allez donc faire payer aux étudiants africains ou maghrébins, déjà francophones, les cours destinés aux étudiants asiatiques... Quelle hypocrisie !
Dans un film ou un roman, l'histoire d'un jeune africain talentueux venu d'un village reculé qui s'accomplit grâce à ses études en France vous fait vibrer... Mais dans la réalité, vous faites tout pour que cela n'arrive jamais.
Un étudiant marocain, par exemple, doit déjà économiser deux années de salaire minimum pour obtenir son visa de longue durée, à quoi s'ajoute le coût de la vie... Et vous multipliez les frais par quinze ? Le résultat, c'est qu'il ira là où on lui déroulera le tapis rouge pour l'endoctriner comme dans les pays du Golfe ! Les valeurs françaises d'universalité interdisent une sélection par l'argent.
Mme Frédérique Vidal, ministre. - D'ores et déjà, 25 % des étudiants extra-communautaires sont exonérés ; pour les étudiants originaires d'Afrique francophone, ce taux est bien supérieur. Tous ne sont pas dans l'incapacité de venir : la preuve, c'est que nous accueillons 24 000 étudiants marocains...
M. David Assouline. - Ça, c'était avant !
Mme Frédérique Vidal, ministre. - ...dont beaucoup dans des écoles dont les droits d'inscription sont particulièrement élevés - je pense aux écoles de commerce. Les universités doivent pouvoir aussi accueillir dignement les étudiants internationaux et leur donner accès à d'autres disciplines. Cela suppose un système redistributif. (M. David Assouline s'exclame.)
M. Olivier Paccaud . - La France se trouve au pied du podium convoité de l'attractivité universitaire. Mais la concurrence est féroce et je crains que vos mesures ne suffisent pas à rétablir notre attractivité malgré notre glorieux passé, des enseignants de qualité et une langue intercontinentale. La France doit valoriser son savoir-faire d'orfèvre du plus prestigieux des minerais : la matière grise.
Notre rayonnement passe aussi par la présence de nos établissements à l'étranger, comme la Sorbonne, Abu Dhabi ou Centrale Pékin. Le Gouvernement accompagne-t-il suffisamment la création de ces campus délocalisés ?
Mme Frédérique Vidal, ministre. - C'est une partie intégrante du plan d'attractivité. Nos écoles et nos universités opèrent aussi des campus à Singapour, en Russie, au Vietnam, aux États-Unis...
Nous avons ouvert un hub en Côte d'Ivoire regroupant une cinquantaine de formations ; le Sénégal et la Tunisie devraient suivre à la rentrée 2019. Au total, nous investissons 20 millions d'euros par an. Ces campus préparent les étudiants à la mobilité et apportent l'excellence de la formation française à ceux pour lesquels la mobilité n'est pas possible.
M. Olivier Paccaud. - Outre le savoir-faire, il y a le faire-savoir. Vous devriez davantage communiquer sur ces initiatives.
M. Jean-Paul Émorine. - Très bien.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam . - Alors que le marché des jeunes étudiants à l'étranger pourrait doubler d'ici 2025 pour atteindre 9 millions, la France risque de décrocher. Le nombre d'étudiants étrangers accueillis y a baissé de 8,5 % entre 2011 et 2016 et nous ne sommes plus qu'au quatrième rang.
Plus que le nombre, l'enjeu est d'attirer les meilleurs étudiants. Hélas, la France est souvent un second choix. Je ne suis pas contre l'augmentation des frais de scolarité car le prix aussi véhicule une image de valeur. (Murmures ironiques à gauche) Encore doit-elle être compensée par une croissance des bourses. Or votre stratégie présente de ce point de vue trop de zones d'ombre. Quid du guichet unique, de la simplification des démarches, du financement du fonds d'amorçage « Bienvenue en France » ?
Enfin, si l'accueil des étudiants étrangers coûte chaque année 3 milliards d'euros, il en rapporte 4,65 milliards. L'enjeu est aussi économique !
Mme Frédérique Vidal, ministre. - La politique d'exonération et d'attribution des bourses est essentielle. Dans la plupart des pays européens, les droits d'inscription pour les étudiants extra-communautaires oscillent entre 6 000 à 8 000 euros. En Chine, les droits d'inscription pour les non-chinois s'élèvent à 4 000 euros - à rapporter au niveau de vie en Chine ! Mais ces ressources permettent une politique pro-active des bourses.
La France ne fait plus partie des vingt pays qui voient croître leur attractivité. Nous présentons un plan d'attractivité complet qui aborde la question des visas, des stages, de la caution logement.
Nous avons triplé les bourses et les exonérations sur fonds publics et investissons 20 millions d'euros pour les campus à l'international dans le but de doubler le nombre d'étudiants accueillis d'ici 2025.
M. Serge Babary . - La France risque de passer du quatrième au sixième rang des pays d'accueil. Je salue l'initiative du Gouvernement mais pas la méthode. Comme d'habitude, on annonce avant de se concerter avec des acteurs informés par la presse !
Plusieurs des mesures annoncées vont dans le bon sens. La France, où les études sont quasi-gratuites, est moins attractive que les États-Unis, le Royaume-Uni ou l'Australie, où les tarifs sont bien plus élevés. Paradoxalement, on espère gagner en attractivité en faisant payer davantage ! Dans les faits, un décret du 30 avril 2002 permet déjà de faire payer certaines formations.
Votre initiative est-elle à mettre en relation avec le courrier annonçant aux universités une dotation moindre compte tenu de cette nouvelle ressource ? Cette réforme serait-elle essentiellement budgétaire ? Je regrette que le ministère des Affaires étrangères et les acteurs sociaux et économiques des territoires d'accueil soient absents de la concertation.
Y a-t-il un cap politique ?
Mme Frédérique Vidal, ministre. - Résumer le plan « Bienvenue en France » à l'augmentation des frais d'inscription est un raccourci hasardeux. L'objectif est d'améliorer l'attractivité de la France. Les diplômes recherchés sont ceux qui permettent l'insertion professionnelle. Les établissements doivent veiller à l'accueil des étudiants internationaux inscrits dans les diplômes ad hoc mais également dans l'ensemble des formations proposées.
Il s'agit aussi de veiller à ce que ceux qui le peuvent participent au système redistributif pour assurer un financement pérenne de l'accueil.
Mme Sylvie Robert, pour le groupe socialiste et républicain . - Merci, madame la ministre, de vous être prêtée au jeu de ce débat. Il était important de l'avoir. À vous entendre, on croirait qu'il n'y a aucun problème, que tout va bien se passer. Pourtant, la conférence des présidents d'universités, les étudiants, les acteurs de la recherche expriment des questionnements, des doutes, des craintes. Nous avions besoin de comprendre les motivations du Gouvernement - pour ma part, je ne les ai toujours pas bien comprises.
Il aurait été intelligent que nous puissions, en amont de cette mesure, en discuter. Nous aurions pu nous demander quels sont les facteurs d'attractivité pour les étudiants étrangers. La concertation annoncée portera uniquement sur les modalités d'application de votre arrêté.
Ce qui manque surtout, c'est une étude d'impact qui nous aurait permis d'avoir une vision informée. Voyez ce qui se passe en Amérique du Nord : les étudiants se détournent massivement, et très vite, des États-Unis pour aller au Canada.
Une étude d'impact aurait pu nous éclairer sur les incidences des effets redistributifs dont vous parlez.
Il me semble que vous ne voulez pas tant augmenter le nombre d'étudiants étrangers que changer leur provenance.
Je crains que les universités qui vont supporter le coût d'une politique de sélection des étudiants étrangers ne voient certaines formations fragilisées.
Madame la ministre, je vous demande un moratoire, le temps de réellement examiner les incidences de cette mesure sur laquelle il serait sage de revenir, ne serait-ce que pour préserver la francophonie ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et CRCE ; Mme Mireille Jouve applaudit également.)
La séance, suspendue à 16 h 5, reprend à 16 h 20.