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Table des matières
Mesures d'urgence économiques et sociales (Procédure accélérée)
Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur de la commission des affaires sociales
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé
Ordre du jour du mardi 15 janvier 2019
SÉANCE
du vendredi 21 décembre 2018
46e séance de la session ordinaire 2018-2019
présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires : Mme Annie Guillemot, M. Guy-Dominique Kennel.
La séance est ouverte à 16 heures.
Le procès-verbal de la précédente séance est adopté sous les réserves d'usage.
Mesures d'urgence économiques et sociales (Procédure accélérée)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant mesures d'urgence économiques et sociales.
Discussion générale
Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail . - La ministre Buzyn et moi-même, au nom du Gouvernement, vous remercions, monsieur le président, d'avoir oeuvré à un débat de qualité sur ce projet de loi dans un contexte d'urgence. Ce débat a lieu quelques heures après le vote à l'Assemblée nationale.
Cette discussion s'inscrit dans le prolongement d'un échange constant entre les rapporteurs Véran et Vanlerenberghe, dans l'intérêt d'une discussion organisée dans un esprit de responsabilité, alors que le climat de méfiance, d'ironie et, parfois de violence physique contre des parlementaires est alimenté par le buzz et les clashs.
Or, notre engagement commun pour les responsabilités politiques, tient à notre conviction commune qu'il faut créer du lien entre concitoyens et élus, territoires, générations.
Nous saluons aussi votre démarche parlementaire qui a pour objectif d'apporter collectivement des réponses, en vue d'une société d'émancipation par le travail. Le Gouvernement a engagé, voici 18 mois, une transformation de notre modèle économique et social, pour tirer le meilleur parti de la mutation économique, sociale et technologique du monde. Dédoublement des classes de CP et CE1, reprise en charge de 100 % des soins dentaires et prothèses auditives, complémentaires santé à un euro par jour, réforme de la formation professionnelle, développement des territoires : toutes ces mesures convergent, pour que nos concitoyens, en particulier les plus vulnérables, maîtrisent les mutations du monde, plutôt qu'ils ne les subissent. Mais les effets de cette transformation s'inscrivent dans le temps long, et certains de nos concitoyens n'ont pas ce temps ; leur horizon, c'est parfois le 15 ou le 20 du mois. Comment se projeter dans ces conditions ? Comment ne pas être inquiets pour l'avenir des générations futures ? Comme l'écrivait André Gide, « le présent serait plein de tous les avenirs si le passé n'y projetait déjà une histoire ».
Beaucoup de nos concitoyens se désespèrent de ne plus pouvoir espérer ; la conséquence en est le mouvement des gilets jaunes qui réclament des réponses, fortes et rapides. Le 10 décembre, le président de la République a donc décrété l'état d'urgence économique et sociale dont ce projet de loi est la traduction.
Il contient quatre mesures.
D'abord une exonération complète d'impôt et de charges, y compris de CSG et de CRDS, sur une prime exceptionnelle de fin d'année jusqu'à 1 000 euros, pour les salaires jusqu'à trois SMIC - la prime pourra être versée dans ces conditions jusqu'au 31 mars prochain.
Ensuite, la défiscalisation totale des heures supplémentaires, sous plafond de 5 000 euros. Cette mesure initialement prévue dans la loi de financement de la sécurité sociale 2019, est avancée au 1er janvier prochain, 29 millions de Français sont potentiellement concernés ; le gain de pouvoir d'achat dépend des rémunérations ; pour un salarié gagnant 1 500 euros nets par mois et qui effectuerait deux heures supplémentaires par semaine, le gain serait de 500 euros annuels.
La troisième mesure vise les retraités, qui ont perçu la hausse de la CSG comme injuste même si les 40 % plus modestes en étaient exemptés. Cette exemption est élargie ; 5 millions de retraités en bénéficieront. Moins de 30 % des foyers fiscaux avec un retraité auront une CSG à 8,3 %.
Une hausse de la prime d'activité, enfin, qui relève du pouvoir réglementaire - aussi l'article 4 prévoit-il un rapport sur les résultats de cette hausse ; 100 % des personnes seules avec enfant, sans autre revenu que leur salarie, auront 100 euros en plus ; 100 % aussi des couples à 2 SMIC sans enfant auront 200 euros supplémentaires par mois. Cela touche ces couples qui craignent chaque fin de mois.
Mais les mesures d'urgence ne suffisent pas, il faut répondre à tous ceux qui n'arrivent pas à joindre les deux bouts. Nos concitoyens demandent des réformes profondes non pas seulement pour eux, mais avec eux. C'est l'objet du grand débat national, décidé par le président de la République ; il aura lieu sur tout le territoire, j'invite chacun de vous à y participer, car il est important d'écouter ce qui se passe sur le terrain. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)
M. Jean Bizet. - Il est temps de s'en apercevoir !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur de la commission des affaires sociales . - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) Reconnaissons que le calendrier imposé au Parlement illustre bien l'urgence mentionnée dans le titre de ce projet de loi.
Heureusement, il est court : quatre articles brefs. Je remercie les services du Gouvernement d'avoir répondu rapidement à mes questions. Je salue aussi l'esprit d'ouverture du rapporteur de l'Assemblée nationale, Olivier Véran.
J'espère que cet esprit perdurera avec l'Assemblée nationale et le Gouvernement. Il y a autant de talent et de compétences au Parlement que dans les cabinets ministériels. Nous n'en serions pas là si vous nous aviez entendus, ainsi que vos prédécesseurs, en particulier sur la hausse de la CSG et le gel des taxes sur le carburant. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC, ainsi que sur quelques bancs du groupe SOCR)
Le premier article prévoit une prime exceptionnelle pouvant aller jusqu'à 1 000 euros exonérés de toute imposition.
Le deuxième devrait satisfaire Roger Karoutchi puisqu'il exonère les heures supplémentaires de cotisations salariales jusqu'à 5 000 euros net sur une année - mais non les cotisations patronales, il n'y a donc pas d'incitation à privilégier les heures supplémentaires à l'embauche de nouveaux salariés.
L'article 3 revient au taux de CSG de 6,6 % pour les retraités dont le revenu fiscal de référence est inférieur à 2 000 euros pour une personne seule et 3 060 euros pour un couple.
L'article 4 demande un rapport au Parlement dans les six mois - demande pour une fois tout à fait opportune - sur la revalorisation de la prime d'activité. Il est essentiel d'améliorer le taux de recours à cette prime, voire de la rendre automatique.
Les amendements de l'Assemblée nationale n'ont pas altéré l'économie générale du texte.
Le projet de loi s'inscrit dans un plan plus vaste, d'un coût total de 10,3 milliards d'euros, y compris la fiscalité énergétique.
M. Jean-Claude Requier. - Il faudra les trouver...
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. - La niche Copé sera assouplie, pour environ 200 millions d'euros.
Il reste un trou de plus de 6 milliards d'euros qui devrait porter le déficit public à 3,2 % de PIB, au lieu des 2,8 %.
Tout ce que vote le Parlement devra être compensé par la sécurité sociale puisque ce texte n'est pas un PLFSS. Chacun, je le rappelle, doit financer ses pertes - si l'on veut respecter le texte que nous avons adopté sur les nouvelles relations entre l'État et la sécurité sociale - faute de quoi le retour à l'équilibre de la sécurité sociale, annoncé en début d'automne, risque de s'éloigner.
Ce texte répond à plusieurs préoccupations exprimées par le Sénat, en revalorisant la prime d'activité des travailleurs les plus modestes, en n'augmentant pas la CSG sur les retraités. C'est pourquoi la commission des affaires sociales, cependant sans enthousiasme, a adopté le texte sans modification et préconise une adoption conforme. (Applaudissements sur les bancs des groupes UC, LaREM et Les Républicains)
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. - Une motion d'irrecevabilité a été présentée ; je sollicite une suspension pour son examen par la commission.
M. le président. - Soit.
La séance, suspendue à 16 h 25, reprend à 16 h 30.
Exception d'irrecevabilité
M. le président. - Motion n°15, présentée par Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
En application de l'article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi portant mesures d'urgence économiques et sociales (n° 233, 2018-2019).
Mme Éliane Assassi . - La motion que nous présentons, spontanée, est le fruit d'une grande incompréhension et d'une certaine colère. Ce projet de loi nous est soumis dans la plus grande précipitation avec une grave remise en cause de notre droit d'amendement.
Rappelons le contexte social du débat : nous assistons à une véritable révolution citoyenne d'ampleur, un mouvement social inédit qui bouscule les dogmes libéraux. Il porte sur le pouvoir d'achat et sur la justice fiscale et aspire à la participation des citoyens au débat, mais aussi à la prise de décision. Le peuple n'en peut plus de ces institutions qui autorisent les reniements, qui éloignent les élus, sans parler de la posture jupitérienne du président de la République. L'abstention croissante aux élections en est un signal fort, nous le disons depuis longtemps.
Le peuple tente de reprendre la main en rappelant avec force sa volonté de vivre dignement, en montrant son ras-le-bol de l'exposition indécente des richesses et sa volonté de démocratie. Le référendum d'initiative populaire est plébiscité par 78 % de nos concitoyens.
Les mesures annoncées par le président de la République sont notoirement insuffisantes et relèvent de la manipulation des chiffres. Aucune planification financière n'a été prévue, les riches continuent d'être protégés.
Or, le financement est un élément clé du débat : qui doit financer ces mesures - la collectivité, ou les plus riches ?
Nos amendements portent sur la mise à contribution de l'ISF, d'une taxe spécifique pour financer ces mesures d'urgence, et sur la mise à contribution de ce qui tient lieu désormais de CICE, véritable manne pour les entreprises. Sans doute nos amendements seront-ils déclarés irrecevables, ce principe ayant été décidé avant même le dépôt de ces amendements, car le président de la commission des affaires sociales a indiqué ce matin que tout amendement ne portant pas sur le corps du texte serait repoussé pour des raisons d'urgence. (M. Alain Milon, président de la commission, le conteste.)
Monsieur le président du Sénat, dans le projet de loi de révision constitutionnelle, vous avez mis en avant la défense du droit d'amendement - que le Gouvernement entendait limiter en instaurant, à l'article 41-3 de la Constitution, l'irrecevabilité de tout amendement sans lien direct avec le texte en discussion. La contradiction serait manifeste si vous permettiez l'adoption conforme d'un texte qui ne met en cause ni le patronat, ni les plus riches. Quelle atteinte à la démocratie également avec ce texte qui rogne sur notre droit d'amendement ! Le Gouvernement prône un grand débat, mais tue dans l'oeuf celui que nous devrions avoir ici même !
En 2008, la révision constitutionnelle défendue par le président Sarkozy et son ministre des Relations avec le Parlement, M. Karoutchi (Sourires), limitait le droit d'amendement - et le Sénat, avec son rapporteur, Jean-Jacques Hyest, avait obtenu la rédaction actuelle de l'article 45 de la Constitution : en première lecture, il reste possible de déposer tout amendement qui présente un lien, même indirect, avec le texte déposé. Le site internet du Sénat l'indique précisément, en ajoutant même que l'existence d'un lien direct ou indirect s'apprécie à travers un faisceau d'indices : l'intitulé, l'exposé des motifs et le texte lui-même.
Pouvez-vous maintenir que nos amendements ne répondent pas à ce faisceau d'indices ? Ce n'est pas sérieux. Nous assistons en fait à un coup de force - mais la « trêve des confiseurs » ne justifie pas ce viol de la Constitution !
Je vous appelle solennellement à la responsabilité. Un vent se lève dans notre pays, qui ne perdra pas de sa force dans les jours à venir. Décevoir l'attente des citoyens par des mesures de cadenassage scellera l'absence de crédibilité du Sénat. Monsieur le président du Sénat, levez les irrecevabilités ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)
M. Alain Milon, président de la commission. - Mme Assassi et ses collègues se sont livrés à un travail remarquable. Cependant, l'article 48 de notre Règlement précise qu'un amendement est recevable s'il s'applique effectivement au texte. Ce n?est pas le cas des vôtres d'où l'irrecevabilité.
Quant à votre motion, j'emploierai l'argument qui était le vôtre contre la question préalable au projet de loi de financement de la sécurité sociale : il faut pouvoir débattre, donc recevoir le texte... Avis défavorable. (Quelques applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC)
Mme Muriel Pénicaud, ministre. - Avis défavorable, pour la même raison : le Gouvernement préfère le débat.
M. Roger Karoutchi. - Remettons les pendules à l'heure. Les articles 40 et 41 de la Constitution s'appliquent à tous. La réforme constitutionnelle de 2008 a renforcé les droits du Parlement, elle a accru le temps de parole et le pouvoir d'amendement de l'opposition ; cependant, elle a aussi prévu les cas d'extrême urgence. Nous l'avons vu en 2008, lorsque nous avons sauvé le système bancaire français. Tous les présidents de groupe, y compris ceux des groupes communistes, étaient présents autour du président Sarkozy. Ils se sont tous accordés sur la nécessité d'appliquer des mesures d'urgence.
Mme Éliane Assassi. - Ce n'est pas le sujet de la motion !
M. Roger Karoutchi. - Lorsqu'il y a urgence, personne ne comprendrait que l'on fasse de la politique politicienne.
Bien sûr, nous pourrons discuter lors du collectif budgétaire. Pour l'heure, respectons les attentes urgentes des Français, ne les décevons pas ! (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UC, LaREM, Les Indépendants et RDSE)
Mme Laurence Cohen. - Les explications du M. Karoutchi sont sans rapport avec l'argument de Mme Assassi. Quand on nous recommande un vote conforme, qu'attend-on du Sénat ?
M. Jean Bizet. - Dans la responsabilité.
Mme Laurence Cohen. - À l'Assemblée nationale, une majorité de députés vote sans broncher tout ce que propose le Gouvernement. Et le Sénat suivrait ? C'est remettre en cause tout notre travail, accompli ici dans l'hémicycle, lors de l'examen du PLF et du PLFSS. Nous vous avions recommandé de modifier vos orientations politiques, nous avons des propositions concrètes. Vous ne nous avez pas écoutés. Et voilà que vous brandissez les mesures d'urgence.
Les parlementaires ne sont pas à vos ordres ! (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)
La motion n°15 n'est pas adoptée.
M. le président. - Madame Assassi, nous avons en commun un profond attachement au droit d'amendement et je l'ai prouvé.
Mme Éliane Assassi. - Pas ici !
M. le président. - Pour autant, le Conseil constitutionnel est de plus en plus sévère sur les irrecevabilités, nous l'avons constaté dans le texte EGalim. En 2015, M. Karoutchi, encore lui (Sourires), et Alain Richard avaient appelé à une application plus stricte des irrecevabilités constitutionnelles. L'enjeu touche au Parlement et à la démocratie représentative, qui n'exclut en rien les citoyens. Croyez bien que lorsque nous examinerons la révision constitutionnelle, nous pourrons reprendre nos arguments. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UC, LaREM, RDSE et Les Indépendants)
Discussion générale (Suite)
M. Alain Milon . - Il y a peu de doute sur l'issue de nos travaux. Le Sénat devrait adopter ce projet de loi comme l'a fait ce matin la commission des affaires sociales.
Notre volonté est l'apaisement après ces semaines de conflit qui relèvent plus de l'autodestruction que de l'élan créateur. La France est rongée par l'intranquillité, pour reprendre le mot de Pessoa. La possibilité d'un avenir meilleur semble évanouie. Nous connaissons tous ce paradoxe français d'une relative satisfaction individuelle côtoyant une déprime collective. Et nous entendons souvent cette idée que le pays se perd, que les choses ne pourraient être pires, et qu'il faudrait tout jeter aux orties.
Ces dernières semaines ont montré l'extrême sensibilité fiscale qui règne désormais : le poids des prélèvements et leur complexité alimentent la méfiance et le sentiment d'injustice. Dans ce contexte, l'augmentation de la CSG a nourri une exaspération pesante. La délicate promesse d'une augmentation du pouvoir d'achat associée à ces changements fiscaux n'a pas convaincu. Le pouvoir d'achat dépend avant tout de l'emploi et de la croissance. Or elle nous fait défaut depuis dix ans. Avoir mis le doigt dans l'engrenage d'une augmentation du pouvoir d'achat financée par une augmentation de la dette était pour le moins hasardeux de la part du Gouvernement.
Nous avons vécu les gilets jaunes ; nous risquons de vivre les habits bleus, les blouses blanches...
Quant au style, nous le payons au prix fort. René Char évoquait l'hémophilie politique des gens qui se pensent émancipés - et qui, épris de l'humanité plutôt que de l'homme, abaissent le second pour élever la première...
Certains de nos concitoyens se sont sentis abaissés, ce sentiment, bien plus que l'insuffisance de revenus, est difficile à réparer.
Oui, nous voterons ce texte s'il peut contribuer à l'apaisement, sans enthousiasme cependant - et avec d'autant plus de facilité que nous sommes déjà allés dans le même sens lors des lois financières.
Il ne s'agit pas ici d'un débat technocratique. Le « trou de la sécurité sociale » parle à nos concitoyens, alimentant la crise de la confiance dans l'action publique. La commission des affaires sociales demande que la compensation évite de passer par de nouvelles niches fiscales. Elle s'est également opposée à la sous-indexation des mesures sociales.
Les annonces présidentielles ont été entourées de confusions. La lutte contre le chômage doit rester notre priorité.
Oui, donc, nous adopterons ce projet de loi. Avons-nous réellement le choix ?
À nos concitoyens et à nos mandants, nous devons écoute et empathie, mais aussi respect et vérité. L'investissement dans l'éducation et la santé, voilà ce qui restaurera la confiance, plus que ce paquet de mesures, voilà ce qui contribuera à l'émancipation sociale.
Le rétablissement de la confiance demandera du temps. Espérons que nous en aurons assez et que nous disposerons de marges d'action. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UC et Les Indépendants ; M. André Gattolin applaudit également.)
M. Martin Lévrier . - En 1985, Coluche lançait les Restos du coeur. En 1995, Chirac, candidat à la présidence de la République, nous parlait de la « fracture sociale ». Aujourd'hui, des hommes et des femmes en souffrance revêtent une chasuble de haute visibilité pour être vus mais surtout entendus. Pendant des décennies, on a cherché à soigner ; les mesures prises n'ont pas guéri pour autant et les plaies sont béantes.
Plutôt que de nous dédouaner, l'heure est venue d'assumer en dépassant toutes nos différences politiques. La détresse de nos concitoyens ne date pas d'hier, ni d'avant-hier.
Aujourd'hui, ce projet de loi apporte des réponses concrètes, visibles, qui devront être suivies par d'autres grâce au grand débat national.
Il nous faut aujourd'hui répondre à l'urgence sociale pour apaiser, pour mieux soigner, mieux panser. Si nous échouons, nous ne pourrons éloigner le tumulte et la fureur qui ont vu le jour en marge de ce mouvement.
Ce projet reprend les quatre mesures annoncées par le président de la République. Les deux premières sont sociales.
Objet du rapport prévu à l'article 4, l'augmentation immédiate de la prime d'activité pour les plus modestes de 90 euros - soit 100 euros nets avec la hausse du SMIC, entraînera une hausse du nombre de foyers bénéficiant de la prime d'activité, de 3,8 millions à 5 millions. Pour un couple sans enfant percevant jusqu'à 1 560 euros nets, ce sera 100 euros en plus. Une mère célibataire avec enfants percevant 2 000 euros nets, gagnera 100 euros de plus, elle aussi. C'est donc une réponse sociale pour les travailleurs les plus modestes, bien au-delà du SMIC.
Deuxième mesure sociale : nous nous sommes trompés sur la CSG des retraités, nous l'assumons. (Mme Laurence Rossignol et M. Jean-François Rapin ironisent.) L'article 3 revient au taux de 6,6 % jusqu'à un seuil de 2 000 euros net de pensions pour un retraité célibataire. Ainsi, 70 % des foyers de retraités ne seront plus concernés par le taux maximal de la CSG.
L'entreprise doit, elle aussi, prendre ses responsabilités. (« Ah ! » sur les bancs du groupe CRCE) Les entreprises ont été consolidées, durant ces 18 derniers mois : elles ont retrouvé leurs marges, sont redevenues compétitives, mais les embauches patinent. Il y a un vrai décalage avec l'urgence sociale du moment. (Même mouvement) Pourtant, une Nation ayant un tissu d'entreprises qui se portent bien permet à tous de mieux vivre.
M. Fabien Gay. - Qui en jugera ?
M. Martin Lévrier. - L'État maintient le cap, grâce aux allègements de charges. Cela doit les amener à assumer une nouvelle responsabilité sociale, tel est le sens des articles premier et 2. La prime exceptionnelle défiscalisée instituée par le premier est inédite. Les heures supplémentaires sont exonérées de toute charge salariale et d'imposition sur le revenu, jusqu'à 5 000 euros net sur une année, par le second. Pour un travailleur gagnant 1 500 euros nets par mois et effectuant deux heures supplémentaires par semaine, ce sera 500 euros de gain de pouvoir d'achat sur un an.
L'État ne renonce pas à ses promesses, qui permettent aux entreprises de retrouver le chemin de la croissance. Celles-ci doivent s'emparer de leur rôle social et non seulement capitalistique. (Marques d'appréciation et d'ironie sur les bancs du groupe CRCE)
Ce sont elles, et elles seules, qui doivent déterminer la juste rémunération du travail pour relancer avec nous l'ascenseur social. Sur cet esprit de confiance renouvelée, le groupe LaREM votera ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)
Mme Laurence Cohen . - Le 16 octobre dernier, le président de la République déclarait qu'il refusait de se soumettre et de changer de politique. Deux mois plus tard, après une très large mobilisation populaire, il a dû, pour la première fois depuis son élection, reculer sur la taxe sur l'énergie et faire quelques concessions sociales.
Le mouvement des gilets jaunes a fédéré les luttes et montré qu'il était possible d'ouvrir une brèche dans la muraille jupitérienne. Mais le Gouvernement n'a pas pris, hélas, la mesure des revendications des gilets jaunes en faveur du pouvoir d'achat et de la justice fiscale, pourtant clairement articulé dans leurs cahiers de doléances, afin que « les gros paient gros et les petits, petit ».
M. Macron, le président de la finance, a refusé de revenir sur ses cadeaux fiscaux sans contrepartie aux plus fortunés. Il est pourtant insupportable que le PDG de LVMH gagne en un jour plus d'une année du salaire moyen dans son entreprise ou que le PDG de Carrefour gagne 553 fois le SMIC !
M. Jean Bizet. - Ce n'est pas la même compétence.
Mme Laurence Cohen. - Les richesses gigantesques produites dans notre pays ne profitent qu'aux actionnaires du CAC 40. Le Gouvernement a refusé de s'y attaquer pour préférer des fausses solutions. Notre groupe, comme la majorité du Sénat, s'était opposé à la hausse de la CSG. Il a fallu attendre le 10 décembre pour que le président de la République reconnaisse l'injustice de cette mesure.
Sur le SMIC, les annonces sont une escroquerie : au lieu d'une véritable hausse de salaire, la prime d'activité ne concerne que les personnes gagnant moins de 1 500 euros nets pour les personnes seules et 2 200 euros pour les couples, hors fonctionnaires, alors que 40 % d'entre eux sont au niveau du SMIC et près de 75 % des agents territoriaux.
La défiscalisation et la désocialisation des heures supplémentaires sont aussi un leurre, car elles se feront au prix de 19 000 chômeurs en plus, d'ici 2020, selon l'OFCE. Madame la ministre, comment cela sera-t-il appliqué au personnel soignant et non soignant des hôpitaux et des Ehpad, où les heures supplémentaires se multiplient sans compensation ? Comme lors du débat du PLFSS 2019, je le redis, votre Gouvernement, en utilisant le budget de la sécurité sociale pour renflouer les caisses de l'État, se livre au plus grand hold-up du siècle au détriment des assurés sociaux.
Nos concitoyens ne sont pas dupes ; les plus fortunés ont droit à toutes vos largesses : remboursement du CICE pour 2018, baisse, voire suppression, des cotisations patronales pour 2019. Mesure inique, adoptée ici même, avec la droite sénatoriale !
Au total, ce sont 40 milliards d'euros avec le CICE, 4,4 milliards d'euros avec la suppression de l'ISF, au détriment d'une politique de justice sociale pour toutes et tous. En face de ces fastueux cadeaux, des miettes.
Pourtant, avec le renoncement au dogme sacro-saint des 3 % de déficit public, la brèche est ouverte ; vos premiers reculs en appellent d'autres. L'argent existe pour répondre aux besoins des populations et non pour le détourner vers la finance au détriment de l'humain et de notre planète. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE, ainsi que sur quelques bancs du groupe SOCR)
M. Yves Daudigny . - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) « Les pays développés dont l'impôt sur le revenu des personnes physiques est relativement peu progressif ont peut-être la possibilité de relever les taux marginaux d'imposition supérieurs sans entraver la croissance économique. Différents types d'impôts sur la fortune peuvent aussi être envisagés. » C'est ce que dit un rapport du Fonds monétaire international, dont la directrice, Christine Lagarde, a déclaré quelques semaines plus tard à Paris : « Les élites n'ont pas conscience de ce qui se passe ! ».
Mme Nathalie Goulet. - Elle ne paie pas d'impôts !
M. Yves Daudigny. - Nous devons placer en priorité l'objectif de justice fiscale. De couacs en démentis, le Gouvernement répond à cette urgence avec trois petites mesures. Que n'avez-vous écouté, ne serait-ce qu'un peu, le Sénat qui vous avertissait des risques de dislocation du pacte social ? (M. Roger Karoutchi renchérit.)
Pourquoi avoir ignoré la proposition constructive d'un leader d'une centrale syndicale ? Pourquoi avoir désindexé des retraites, pensions et prestations familiales ?
Sur les 10 milliards d'euros que coûteront ces mesures, 6 milliards viendront alourdir le déficit et la dette. Pourquoi ? Parce que le Gouvernement s'entête, avec le doublement du CICE pour 2019 notamment, dans la non-contribution des plus aisés qui l'enferme dans une équation impossible. Dans le contexte européen où le besoin d'autorité l'emporte sur celui de liberté, les fondements de notre vivre ensemble et de notre démocratie pourraient en être gravement ébranlés.
(Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR ; Mme Esther Benbassa et M. Pierre Laurent applaudissent aussi.)
Mme Véronique Guillotin . - (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE) Dans quelques heures, devrait s'achever le premier chapitre d'un épisode inédit qui fera date ; par l'ampleur de la mobilisation sociale et de la colère, par le désespoir ressenti, par la violence inacceptable, que nos forces de l'ordre ont contenue avec professionnalisme et sens du devoir.
Ce projet de loi ne suffira peut-être pas à éteindre la crise sociale. Nous retrouvons les attentes fortes, les revendications nombreuses, souvent hétéroclites, parfois contradictoires, de nos concitoyens, dans les cahiers de doléances, qui mettent encore une fois les maires en première ligne. Les signaux ne manquaient pas : le Sénat s'en était déjà fait l'écho, et mon groupe en premier lieu, en proposant de réduire, dans un esprit constructif, les fractures territoriales et sociales. Face à l'urgence sociale, bien réelle, et à une action publique devenue déconnectée, hypertrophiée, illisible, les citoyens demandent avant tout à vivre dignement de leur travail.
Fait exceptionnel, notre groupe votera, à l'unanimité sauf une abstention, ce texte qui va dans la bonne direction, amélioré par les amendements des députés qui en apportent plus de clarté.
Des miettes, un écran de fumée, ces 10 milliards d'euros ? On l'a dit. L'accélération du calendrier pour la hausse de la prime d'activité, l'annulation de la hausse de la CSG pour les retraités, tout cela donnera du pouvoir d'achat à ceux qui en ont le plus besoin.
Mais ne soyons pas naïfs : ces avancées tardives ne suffiront pas à elles seules à répondre à un malaise plus profond.
La prime de pouvoir d'achat favorise les salariés d'entreprises prospères. Attention à ne pas ajouter des frustrations aux colères qui se sont exprimées. Nos concitoyens veulent des actes, de l'efficacité, des résultats mesurables dans leur vie quotidienne, mais sont en attente d'écoute, d'empathie et veulent surtout une autre façon de gouverner, garantissant davantage de liberté et d'équité.
Pour paraphraser Marcel Gauchet, il faut collectivement réenchanter la démocratie par l'invention de nouvelles formes d'action publique.
M. Jean-Claude Requier. - Très bien !
Mme Véronique Guillotin. - Le grand débat national ne doit pas être bâclé. Le Sénat y tiendra toute sa place. Comme disait Nelson Mandela : « Nous travaillerons ensemble pour soutenir le courage là où il y a la peur, encourager la négociation là où il y a le conflit, donner l'espoir là où règne le désespoir ». (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE)
M. Stéphane Ravier . - En quelques mois Emmanuel Macron et son orchestre auront plongé le pays dans une triple crise : économique, sociale et identitaire, à laquelle s'est ajoutée la pire de toutes pour le Gouvernement, la crise de confiance. Face à ce qui ressemble de plus en plus à une bande de pieds nickelés, mieux vaut avoir le pied marin ! Chaque jour voit son cafouillage, son rétropédalage et Édouard Philippe va plus souvent à Canossa qu'à Matignon. Ex-petit bijou de navigation politique, le bateau ivre qu'est devenue la Macronie, ressemble de plus en plus au Pitalugue - les amateurs de Pagnol me comprendront ! Qu'ils portent un gilet jaune, une blouse blanche ou un uniforme bleu, nos compatriotes ne sont plus dupes de ces bonimenteurs, qui accordent d'un bout de doigt ce qu'ils avaient déjà pris et reprendront doublement, entre la bûche et le gâteau des rois.
Pourtant, de l'argent il y en a : 15 millions d'euros en faveur des migrants pour les aider à trouver un emploi (Protestations sur les bancs du groupe CRCE) - les chômeurs apprécieront. La gigantesque fraude aux aides sociales représente la bagatelle de 20 milliards d'euros par an, scandale qui mérite assurément une commission d'enquête parlementaire.
Le Rassemblement national est le seul à proposer depuis des décennies à la fois le RIC, la proportionnelle à toutes les élections...
Mme Éliane Assassi. - Il ne veut pas augmenter le SMIC !
M. Stéphane Ravier. - ... la suppression des taxes confiscatoires et la restauration de la confiance démocratique par et pour le peuple souverain.
Pour répondre symboliquement à la détresse identitaire, il faut d'abord défendre nos traditions et nos racines.
Je me permets de souhaiter à tous, parlementaires et personnel du Palais, ainsi qu'à nos compatriotes, un joyeux Noël ! (« Oh ! » sur les bancs du groupe CRCE)
Mme Laurence Rossignol. - Comme l'on dit dans Le Père Noël est une ordure, « Joyeux Noël Felix » ! (Sourires)
M. Alain Fouché . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Indépendants) Le contexte est préoccupant, avec la violence qui a pris le pas sur le débat démocratique, certains irresponsables extrémistes appelant à la disparition de nos institutions républicaines, avec la montée d'une colère populaire qui couve depuis plus de trente ans. Le Gouvernement, qui a sa part de responsabilité, doit reprendre la main, pour sortir de cette crise par le haut en s'appuyant sur les corps intermédiaires. Comme l'a dit le président Malhuret, c'est au Parlement qu'on fait la loi, pas sur les ronds-points.
M. Jean-Claude Requier. - Très bien !
M. Alain Fouché. - Le Sénat a été force de proposition tout au long de la crise, notamment depuis l'examen du budget. Heureusement, mais un peu tard, un grand nombre de ses propositions ont été retenues par le Gouvernement qui a fini par geler la hausse de la fiscalité énergétique. Quel est le déclencheur de la crise, sinon une écologie trop punitive ? La voiture n'est pas un ennemi, c'est le gagne-pain de millions de nos concitoyens. Or ils sont traités comme des vaches à lait. Je pense au contrôle technique, à la hausse du prix du carburant, aux 80 kilomètre-heure sur les routes nationales, dont le président de la République aurait dit récemment que c'était « une connerie » !
Le Gouvernement reprend des propositions du Sénat, c'est bien. Mais il faut aller plus loin, proposer des alternatives crédibles, des filières industrielles d'avenir, pour répondre au malaise d'une population qui ne se sent pas écoutée par ceux qui les dirigent. La transition énergétique, ne doit pas se résumer à toujours plus de normes et de sanctions. C'est au Gouvernement de faire des propositions concrètes pour répondre au malaise profond de nos concitoyens et à leurs revendications légitimes.
Tel est l'objet de ce projet de loi, qui est d'une urgence capitale pour mieux rémunérer le travail d'abord.
Il permettra une augmentation du pouvoir d'achat de plus de 2 % - c'est une première avancée.
Il faut aussi faire un geste pour les retraités les plus modestes. L'augmentation de la CSG est ainsi annulée pour les retraités dont la pension est de moins de 2 000 euros. Si on l'avait fait plus tôt, il n'y aurait pas eu toutes ces manifestations.
Écoutons les parlementaires, les élus, les corps intermédiaires, les citoyens et le peuple. Sinon, la porte est ouverte aux extrêmes. En démocratie, le pouvoir ne peut ignorer les forces vives de la Nation.
Nous voterons ce projet de loi attendu par nos concitoyens, mais tout reste à faire. Irez-vous plus loin que ces mesures de crise pour sortir enfin la France de l'ornière ? Ne perdons plus de temps ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Indépendants ; quelques applaudissements sur les bancs des groupes UC et Les Républicains)
M. Olivier Henno . - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) Franchement, celle ou celui d'entre nous qui aurait annoncé, en première lecture du budget, que le Sénat serait appelé à voter le 21 décembre, sur une diminution de CSG pour les retraités les plus modestes, proposition du Sénat ; sur la défiscalisation des heures supplémentaires, retour à la loi TEPA ; sur la valorisation de la prime d'activité, une reconnaissance pour M. Martin Hirsch ; tout cela, sur proposition du président de la République et du Gouvernement... Celle-là ou celui-là serait passé pour un bizuth, un sénateur inexpérimenté et fantaisiste !
Et pourtant, nous allons voter ce texte à une large majorité. Il y a urgence, car le danger est grand pour notre pays et pour la République, où règne un malaise profond, surgi d'un sentiment de relégation, d'une détresse sociale et d'un refus de l'impôt, qui forment ensemble un cocktail explosif.
Nous sommes favorables à l'augmentation de la prime d'activité, car le travail, pour les emplois qualifiés, paie trop peu, voire de plus en plus mal. Vice-président du département du Nord, chargé du RSA et de la lutte contre l'exclusion, je peux comprendre la colère et la rage longtemps refoulées, qui s'expriment, à cause du manque d'écoute et de la rigidité du Gouvernement.
La Commission nationale du débat public (CNDP) et le Sénat ont souligné la sensibilité de la fiscalité économique. Ils n'ont pas été écoutés par le Gouvernement.
Le financement de ces dépenses ne peut pas se faire en augmentant la dette d'aujourd'hui, fardeau des générations à venir, qui représente les impôts de demain.
Non, ce ne serait pas responsable. Nous devons réduire la dépense publique sans attendre. L'heure est grave, nous devons être à la hauteur. Cependant, comme nous abordons une période festive par nature, en guise de cadeau, je rappellerai pour conclure que nous célébrons aujourd'hui la journée mondiale de l'orgasme ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UC ; marques de surprise, rires et exclamations sur divers bancs, qui se prolongent tandis que l'oratrice suivante monte à la tribune.)
Mme Laurence Rossignol . - Je propose qu'on ne décompte pas ce temps d'orgasme de mon temps de parole... (Sourires)
Vous croyiez que la France était prête à renoncer à son histoire sociale, avec son identité, ses 36 000 communes, ses services publics, son goût de la justice, pour la convertir selon le modèle anglo-saxon : le contrat plus que la loi, les prestations sociales comme simple filet de sécurité pour les plus pauvres, la flat tax en lieu et place d'une politique fiscale redistributive. Et les Français d'attendre dans la plaine en regardant les premiers de cordée... Le XXIe siècle commençait le 7 mai 2017 !
C'était insoutenable, mais vous ne l'aviez pas compris. Obnubilés par la mise en conformité de la France avec le modèle libéral, vous êtes passés à côté des besoins de justice sociale, de la contestation d'un système économique intrinsèquement injuste. Cette semaine, vous auriez pu corriger votre politique fiscale. Le Sénat avait voté à l'unanimité une disposition contre les montages fiscaux utilisés par les actionnaires pour mettre leurs portefeuilles à l'abri, en les exilant, pour les ramener au moment où les taxes sont les plus faibles. Vous l'avez vidée totalement de sa substance à l'Assemblée nationale pour favoriser l'évasion fiscale...
Mme Nathalie Goulet. - Exact !
Mme Laurence Rossignol. - Vos mesures d'urgence ne sont pas nouvelles. C'est deux tiers de Sarkozy, un tiers de Hollande !
La prime exceptionnelle, c'est une sorte de téléthon : « à votre bon coeur, patron, merci notre bon maître ! »
La saison 1 du quinquennat s'achève ce soir. Vous abordez 2019 sous haute surveillance démocratique et sociale.
Vos palinodies ne méritent pas que l'on s'y arrête. Trop de communication, d'amateurisme, d'improvisation. Que dire du faux bras de fer contre le président de la République et la technostructure... qui ne manque pas de sel quand on connaît l'intéressé et son entourage ! Vous avez augmenté les policiers : quid du personnel des hôpitaux et des Ehpad ?
Il faudra être vraiment très persuasifs pour convaincre que votre réforme des retraites n'a pas pour seul but de réduire le montant des pensions et lever la présomption d'injustice qui pèse désormais sur votre politique ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR et sur plusieurs bancs du groupe CRCE)
Mme Nathalie Goulet . - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) Le Sénat votera votre texte. Mais nous allons dépasser les 100 % d'endettement, et les 3 % de déficit public.
L'Assemblée nationale a accepté une taxe nationale sur les GAFA prônée notamment ici par Mme Lienemann. Sur quelle base légale sera-t-elle appliquée au 1er janvier ?
L'Assemblée nationale a complètement siphonné l'article additionnel du Sénat sur la taxe sur les dividendes, qui aurait pu rapporter entre un milliard et trois milliards d'euros - voté à l'unanimité des groupes ici représentés, sur la base des travaux du groupe de suivi de la fraude fiscale de notre commission des finances. Pourquoi le Gouvernement l'a-t-il accepté ?
L'Assemblée nationale a aussi retoqué notre demande de rapport sur la fraude documentaire à l'Insee. Or, en 2011, les services du ministère enregistraient 17,6 millions d'inscriptions en NIR de Français nés à l'étranger ou d'étrangers, dont 10 % étaient estimés frauduleux, selon l'expertise d'une équipe de la PAF, qui avait détecté 2 103 dossiers pouvant être qualifiés comme tels.
Il y a deux ans, le 16 décembre, je demandais ici au Gouvernement où en était la question. On m'a répondu que 500 dossiers avaient été radiés... Il est clair qu'entre 1,8 million de numéros d'un côté, et 500 radiations de l'autre, le compte n'y est pas ! La presse s'est emparée du sujet depuis lors et les réponses de vos services varient à chaque journaliste !
Si des progrès ont été faits sur le flux, ce que je vous concède volontiers, je vous propose un petit calcul de niveau CM2 : si l'on considère un stock de 17,6 millions d'inscrits et 2 103 dossiers vérifiés par semaine, il faudra 8 360 semaines, soit 160 ans pour contrôler tout ce stock ! Il est faux de dire que ce contrôle a eu lieu.
Pour la transparence, notamment sur le logiciel utilisé par le service administratif national d'identification des assurés (Sandia), accédez donc à notre demande d'enquête ! C'est en luttant contre la fraude documentaire, fiscale et sociale que nous réussirons à calmer la fronde actuelle des gilets jaunes et répondrons à leur attente, si forte, de justice sociale. (Applaudissements sur les bancs des groupes UC, Les Indépendants, RDSE et sur quelques bancs du groupe Les Républicains)
Mme Michelle Meunier . - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) Le mouvement des gilets jaunes, né de la base, répercuté par les réseaux sociaux, spontané, massif, est sans précédent. Il est aussi largement représenté par des femmes dont l'implication a été saluée.
Ces employées, ouvrières, salariées le disent sans fierté ni honte : elles n'y arrivent plus, contraintes d'économiser sur le strict nécessaire. Beaucoup d'entre elles sont des mères seules : à 85 %, ce sont des femmes qui sont à la tête de familles monoparentales. Nous ne découvrons pas cette situation. Leur précarité exige des réponses d'ampleur.
Or la simple augmentation de la prime d'activité ne suffit pas ; il faudrait notamment prendre en compte la charge d'enfants.
En 2015, 56 % des salariés hommes ont eu recours aux heures supplémentaires contre 38 % de femmes. Leur défiscalisation est donc une mesure d'inégalité.
Au moment où cette part de la population précarisée se réapproprie son pouvoir d'agir, et crie son sentiment d'abandon, cette injustice peut être comprise comme de la provocation ou de l'amateurisme. En tout cas, cela ne répond pas aux attentes. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR ; Mme Éliane Assassi applaudit également.)
La discussion générale est close.
Mme Muriel Pénicaud, ministre . - L'exonération de charges sociales et d'impôt sur le revenu pour les heures supplémentaires s'appliquera au 1er janvier. La prime de fin d'année pourra être versée jusqu'au 31 mars.
La baisse de la CSG pour certains retraités fera l'objet de remboursements rétroactifs à la fin mai, le droit s'appliquant au 1er janvier.
La prime d'activité sera reçue automatiquement le 5 février au titre du salaire de janvier pour les familles qui en bénéficient aujourd'hui. Les autres devront faire une déclaration avant le 25 janvier, sinon il y aura un décalage dans le temps.
Les mesures d'urgence ne sont, par définition, pas structurelles. Au total, ces 10 milliards d'euros représentent un effort massif, mais ne sont pas pour solde de tout compte ! Il y aura d'autres réformes. Nous attendons beaucoup du débat national, qui apportera des solutions de long terme et concrètes.
Ce débat sera territorial et les maires y joueront un rôle de premier plan. La question des déplacements sera centrale, car deux tiers des salariés vont au travail en voiture, certains par choix, tandis que d'autres y sont contraints, faute d'alternative. Nous ouvrirons dès janvier une concertation avec les partenaires sociaux et les collectivités territoriales sur ce sujet.
L'imposition des GAFA rapportera 500 millions d'euros en année pleine. L'impôt sur les sociétés réduit de 33 % à 31 % pour les quelque mille entreprises de plus de 250 millions d'euros de chiffre d'affaires, sera appliqué en 2020 et non en 2019, ce qui rapportera 1,8 milliard d'euros. La révision de la niche Copé rapporte 200 millions d'euros.
Les mesures d'urgence seront appliquées dès le début de l'année pour nos concitoyens, qui les attendent. Quant aux économies, elles devront faire l'objet d'un PLFR.
Oui, le déficit passera à 3,2 % mais il faut tenir compte de la fin du CICE, de sorte que nous sommes, structurellement, en dessous de 3 %.
Je passe maintenant la parole à Mme Buzyn... (Murmures)
M. le président. - C'est à moi de le faire et ce n'est pas la première fois cette semaine que j'ai l'occasion de le rappeler... (Sourires et exclamations)
M. Bruno Retailleau. - Deuxième rappel !
M. le président. - Avec tendresse en ce qui concerne Mme la ministre ...
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé . - Madame Goulet, les chiffres erronés qu'exploite le Front national sur les réseaux sociaux doivent être démentis. Le Sandia, que vous avez évoqué, est un service de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV). Le numéro d'identité qu'il attribue est soumis à un test de qualité. Ce contrôle, auquel vous avez fait allusion, porte sur des anomalies dans les dossiers, telles que des photocopies peu claires, des manques, etc. mais pas sur des fraudes caractérisées, qui sont beaucoup moins nombreuses que ce que vous alléguez, et en diminution constante.
Ce taux qui s'élevait à 10,3 % en 2011, est descendu à 4,23 % en 2018. Ces anomalies, je le répète, afin que les choses soient claires, ne sont donc pas des fraudes, au sens où vous l'entendez, lesquelles sont rarissimes ! Pour la délégation nationale à la lutte contre la fraude de l'assurance maladie, le montant de cette fraude est estimé à 244 millions d'euros, qui concernent les professionnels de santé, comme les assurés. La fraude par usurpation d'identité, faux documents, etc. représente 0,3 % de cette somme - soit moins d'un million d'euros. Il est temps que cessent ces faux bruits qui circulent sur internet ! (M. Martin Lévrier applaudit.)
M. le président. - La commission des affaires sociales doit maintenant examiner les derniers amendements déposés sur ce texte.
La séance, suspendue à 18 heures, reprend à 18 h 20.
Discussion des articles
ARTICLE PREMIER
M. Jean-François Longeot . - Les exonérations prévues à cet article sont réservées aux primes versées aux salariés dont la rémunération est inférieure à trois fois le SMIC. L'instauration d'un tel plafond est susceptible de créer un effet de seuil. Surtout, beaucoup d'entreprises ne pourront pas verser ces primes, le président de la CPME l'a souligné. Les plus petites, si tant est qu'elles disposent des fonds nécessaires, peineront à le faire dans les délais prévus : du 11 décembre au 31 mars. Ce que confirme le palmarès des entreprises qui se sont engagées à distribuer cette prime que l'on égrène depuis quelques jours : que des grandes ! Salariés des TPE et PME seront exclus, de même que les fonctionnaires.
Nous voterons cet article mais regrettons le mauvais calibrage de cette mesure.
M. Vincent Delahaye . - Le Sénat travaille en cette veille de trêve des confiseurs et nous en sommes heureux mais nous ressentons un certain malaise d'être mis au garde-à-vous devant le président de la République. Nous sommes dans un régime présidentiel et voici qu'il s'arroge, en plus, le pouvoir de dicter au Parlement des mesures qui doivent s'appliquer au premier janvier. Cela est très négatif pour la démocratie ; en particulier, la démocratie parlementaire. J'anticipe sur les bonnes résolutions de Nouvel an : que cette méthode soit exceptionnelle !
On peut craindre, comme mon collègue Longeot l'a dit, que la prime exceptionnelle ne bénéficie qu'aux salariés des grandes banques et entreprises. Surtout, elle représente une niche, que nous refusons par principe. Mais puisqu'elle est provisoire, nous la voterons.
Mme Esther Benbassa . - Après plusieurs semaines de mouvements sociaux d'une virulence rarement égalée, l'exécutif réagit enfin. Malheureusement, la réponse n'est pas à la hauteur. Les solutions proposées sont peu abouties, mal préparées et non budgétisées. Prenons la prime exceptionnelle : l'intention est louable mais quelle est l'efficacité économique d'un voeu pieux ? La carotte est maigre et porte un énième coup de rabot au financement de la sécurité sociale. Je ne peux voter contre mais regrette le caractère non coercitif de la mesure. En laissant aux entreprises l'initiative, le Gouvernement prend un pari risqué. Madame la ministre, au mieux, vous faites preuve de naïveté en croyant que tout le patronat se pliera à votre demande. Au pire, vous faites preuve d'insincérité le temps que la grogne sociale ne se calme. Nous resterons vigilants. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)
Mme Cathy Apourceau-Poly . - Une prime exceptionnelle, exempte d'impôt et de cotisations sociales, pourra donc être versée aux salariés. Visiblement, le Gouvernement n'a pas pris la mesure de la colère du peuple ! La prime est laissée au libre choix des employeurs ; c'est créer une nouvelle inégalité ; c'est diviser les salariés. Les salariés des TPE et PME, qu'auront-ils ? Et les fonctionnaires de catégorie C ?
Vous demandez aux retraités et allocataires de se serrer la ceinture et vous récompensez les entreprises par une incitation financière ! La mesure ne leur coûtera pas grand-chose mais videra les caisses de l'État et de la sécurité sociale. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)
Mme Corinne Féret . - Pourquoi les Français payés à 1 200 euros ou 1 300 euros n'auraient-ils pas droit à la prime ?
L'État employeur ne peut pas ne pas faire ce qu'il demande aux entreprises. M. Dussopt dit qu'il n'en aurait pas les moyens... Je n'en crois rien puisqu'il refuse de rétablir l'ISF.
Madame la ministre, vous nous répondrez certainement en citant le protocole carrières et rémunérations (PPCR) mais il a déjà été reporté d'un an. Cela fait douze mois que les fonctionnaires n'ont pas connu d'évolution de leur traitement.
Les fonctionnaires sont les oubliés, les punis de ce quinquennat ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)
M. Jean-François Rapin . - Le 10 décembre, le château de cartes s'est écroulé et personne ne peut s'en réjouir. Nous devons agir vite et fort en votant des mesures dans l'urgence.
La prime exceptionnelle est un dispositif intéressant. Le 7 décembre, une proposition de loi avait été déposée au Sénat pour créer un dispositif similaire. Le Gouvernement gagnerait à s'y intéresser : la mesure d'urgence qu'il propose doit être pérennisée et reconditionnée. Le délai de trois mois et le plafond de 1 000 euros sont un peu courts.
M. Daniel Gremillet . - Il faut créer des richesses si l'on veut redistribuer. Certes, il faut encourager les salariés à s'impliquer mais il faut aussi avoir conscience de la concurrence très forte à laquelle font face nos entreprises. En 2019, il faudra des mesures pour les aider à garder leur compétitivité.
M. Bruno Retailleau . - Une question simple sur cette prime et les heures supplémentaires défiscalisées. Avec la retenue à la source, comment cela se fera-t-il ?
M. le président. - Amendement n°11 rectifié, présenté par M. Daudigny et les membres du groupe socialiste et républicain.
Alinéa 5
Compléter cet alinéa par les mots :
, à l'exception des dispositions prévues à la première section du même chapitre V
Mme Nadine Grelet-Certenais. - Hier, à l'Assemblée nationale, il a été établi que le congé maternité est pris en compte dans le temps de travail effectif et qu'il faut en déduire que la prime prévue à cet article ne pourra pas être minorée du fait d'un congé maternité. Nous aimerions des garanties car le doute subsiste compte tenu de la jurisprudence - je vous renvoie aux décisions de la Cour de cassation du 11 avril 1991, du 1er décembre 2016 et du 19 décembre 2018 ainsi qu'à la décision de la Cour de justice de l'Union européenne du 14 juillet 2016.
Si la prime n'était pas versée aux femmes en congé de maternité, ce serait discriminatoire car le congé maternité est obligatoire.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. - À relire le texte voté à l'Assemblée nationale à 4 h 30 du matin, un amendement a été voté qui satisfait parfaitement le vôtre. Retrait ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre. - Cette nuit, en séance publique à l'Assemblée nationale, le groupe Nouvelle Gauche...
Voix sur plusieurs bancs du groupe SOCR. - Le groupe socialiste !
Mme Muriel Pénicaud, ministre. - ...a posé la même question. Le Gouvernement a modifié l'article premier pour préciser que les congés de maternité, de paternité, d'adoption, de maladie ou d'éducation des enfants sont assimilables à de la présence effective. Retrait.
L'amendement n°11 rectifié est retiré.
M. Yves Daudigny. - Nous nous abstiendrons sur l'article premier. La prime exceptionnelle, parce qu'elle est laissée au bon vouloir des entreprises, générera des injustices et des frustrations. Elle révèle l'idée que le travail ne suffit plus à assurer un salaire digne, que la part de rémunération échappant aux charges est de plus en plus importante. Écarter les entreprises de la contribution à la solidarité nationale mettra, un jour, en grande difficulté, notre sécurité sociale.
Mme Éliane Assassi. - Le versement de la prime exceptionnelle est facultatif. Celle-ci ne sera ni imposable ni soumise à cotisation sociale. Les entreprises qui avaient déjà prévu le versement d'une prime seront gagnantes-gagnantes... Les grands punis de cette mesure seront les fonctionnaires qui subissent, de surcroît, le gel du point d'indice. Les policiers, après une journée de mobilisation, viennent de voir leur rémunération mensuelle augmentée de 120 euros, parfait, mais l'on s'interroge toujours sur le paiement des 23 millions d'heures supplémentaires. Surtout, les fonctionnaires de l'Éducation nationale, les agents des collectivités et des hôpitaux sont-ils moins méritants ?
Nous nous abstiendrons.
Mme Catherine Deroche. - Un témoignage de Mme Di Folco : « Sésame autisme Rhône-Alpes », fin novembre, s'est engagé à verser une prime exceptionnelle. Il ne sera pas concerné par l'exemption de charges. Il se sent le dindon de la farce alors qu'il n'a pas, comme le Gouvernement, mis un temps fou pour prendre conscience des difficultés de ses salariés.
M. Serge Babary. - On peut se réjouir de la prime qui sera versée par la SNCF, Veolia, Orange, Engie, Total... Mais les fonctionnaires n'auront rien, non plus que les salariés des TPE et du monde agricole qui étaient sur les ronds-points. Le Gouvernement, avec cette prime, crée de l'inéquité entre les salariés.
Je m'abstiendrai donc.
L'article premier est adopté.
présidence de M. Vincent Delahaye, vice-président
ARTICLE ADDITIONNEL
M. le président. - Amendement n°12 rectifié, présenté par M. Daudigny et les membres du groupe socialiste et républicain.
Après l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au 3° de l'article L. 1142-1 du code du travail, après le mot : « rémunération, » sont insérés les mots : « de primes, ».
M. Rémi Féraud. - Cet amendement, comme le précédent, concerne les femmes enceintes et en congé maternité - congé légal et obligatoire. Nous ajoutons donc le mot « primes » ; elles aussi, doivent recevoir la prime exceptionnelle, sans quoi ce serait discriminatoire. Monsieur le rapporteur, madame la ministre, l'amendement adopté cette nuit à l'Assemblée nationale satisfait-il aussi celui-ci ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. - Je pose la même question au Gouvernement.
Mme Muriel Pénicaud, ministre. - Le droit en vigueur interdit que l'état de grossesse ait pour conséquence une baisse de rémunération entendue au sens large, primes comprises donc.
Monsieur Rapin, les particuliers employeurs sont bien concernés et pourront verser une prime défiscalisée. Les associations, les EPIC et les chambres consulaires aussi. Nous avons choisi un délai de trois mois après en avoir discuté avec les PME. La loi Pacte facilitera le partage de la valeur avec la suppression du forfait social.
Monsieur Retailleau, les heures supplémentaires défiscalisées n'entreront pas dans le calcul de l'impôt sur le revenu. Aucun problème ne se pose donc pour le prélèvement à la source.
Les règles de rémunération sont différentes dans la fonction publique. La prime d'activité et l'exonération des heures supplémentaires lui profiteront bien. Dans le cadre de la réforme du PPCR, plus de 800 millions d'euros sont prévus pour la hausse des traitements.
Cette prime exceptionnelle ne peut pas se substituer à une prime existante ou à une prime récurrente.
Enfin, cette prime exceptionnelle sera neutralisée dans le calcul de la prime d'activité.
L'amendement n°12 rectifié est retiré.
ARTICLE 2
M. Jean-François Longeot . - Vous faites un nouveau pas, dont je me réjouis, vers une mesure de la loi TEPA votée sous le président Sarkozy.
Mme Esther Benbassa . - Le président Macron, censément moderne, sort du placard une vieille recette libérale sur les heures supplémentaires. On sait les effets négatifs qu'elle a eus : elle a vidé les caisses de la sécurité sociale de 4 milliards d'euros et détruit 100 000 emplois sous Nicolas Sarkozy...
Mme Pascale Gruny. - Ce n'est pas vrai !
Mme Esther Benbassa. - Selon l'OFCE, avec cette mesure, ce serait 44 000 postes supplémentaires d'ici 2022.
Perçue comme un moindre mal, parce qu'elle a augmenté le pouvoir d'achat, sa suppression a été mal comprise par les Français sous la précédente mandature.
Nous aurions préféré une meilleure prise en compte de la pénibilité au travail. On sait que ce sont les travailleurs les plus précaires qui effectuent le plus d'heures supplémentaires au détriment de leur santé.
Mme Laurence Cohen . - « Travailler plus pour gagner plus »... En fait, ce dispositif appauvrit les salariés sur le long terme : des milliards manqueront aux services publics de proximité, aux hôpitaux, aux prestations sociales.
Sans coûter un centime de plus aux entreprises, cette mesure fait peser sur les salariés la responsabilité d'avoir un niveau de vie décent. Mieux vaudrait augmenter les salaires et, mes chers collègues, en 2018, réduire le temps de travail... (Marques d'ironie sur les bancs du groupe UC)
M. le président. - Amendement n°4 rectifié, présenté par Mme Cohen et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Après l'article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article 44 de la loi n° du de financement de la sécurité sociale pour 2019 est ainsi rédigé :
« Art. 44. - Au titre de 2019 et 2020, en application de l'article L. 161-25 du code de la sécurité sociale, les montants des prestations et des plafonds de ressources relevant du même article L. 161-25 sont revalorisés annuellement de 1,3 %, conformément au taux prévisionnel de l'inflation hors consommation de tabac pour 2019. »
M. Pierre Laurent. - Le code de la sécurité sociale prévoit que les prestations sont revalorisées annuellement pour prendre en compte l'inflation. Celle-ci sera de 1,3 % en 2019 mais le Gouvernement effectue une « augmentation maîtrisée » de 0,3 % - donc inférieure d'un point à l'inflation. En bon français, cela s'appelle une baisse de pouvoir d'achat.
Ne pas revaloriser, c'est porter un coup de rabot de plus à un système de solidarité déjà bien mal en point. Il faudrait assainir les finances publiques, dites-vous, quand nous vous proposons de nouvelles ressources en mettant davantage à contribution les plus fortunés, vous les refusez.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. - Le Conseil constitutionnel vient de censurer la désindexation pour 2020. Le Sénat, lors du vote du PLFSS 2019, avait proposé des mesures compensatoires, ce que vous ne faites pas. Aussi, avis défavorable.
Mme Agnès Buzyn, ministre. - Le Conseil constitutionnel a censuré l'article, sur la forme et non sur le fond. Toutes les prestations augmenteront de 0,3 %, soit la moyenne des évolutions constatées au cours des trois dernières années. Le Gouvernement a fait le choix d'un effort spécifique en direction des plus modestes. Les minima sociaux augmentent au rythme de l'inflation, avec un effort particulier sur l'allocation aux adultes handicapés et le minimum vieillesse qui augmentera de 100 euros en deux ans et demi.
Les personnes âgées sont les premières bénéficiaires des mesures d'amélioration de l'accès aux soins : prise en charge renforcée des pathologies chroniques, reste à charge zéro dès 2019 pour les prothèses auditives, du financement de la perte d'autonomie, de l'aide à la complémentaire santé, de la réforme des Ehpad.
Nous avons demandé aux complémentaires un effort exceptionnel : ne pas augmenter les cotisations pour les 5 millions de contrats d'entrée de gamme.
Mme Catherine Deroche. - Les personnes âgées ont intérêt à être malades !
M. Pierre Laurent. - Vous nous répétez ce que vous nous disiez pour le PLFSS. Prenez en compte ce qui se disait aux ronds-points, où il y avait beaucoup de retraités, puisque vous nous réunissez pour prendre de nouvelles mesures d'urgence, il faut autre chose !
L'amendement n°4 rectifié n'est pas adopté.
ARTICLE 3
Mme Laurence Cohen . - Dès le PLFSS 2018, nous avions dénoncé la hausse de la CSG, une CSG à laquelle nous sommes opposés par principe. Les hommes et femmes retraités, qui ont travaillé toute leur vie, se mobilisent depuis un an - et ce mercredi ils étaient encore devant Bercy en espérant être reçus. Ils ne veulent pas payer l'augmentation de pouvoir d'achat de ceux qui travaillent. L'exonération de l'augmentation de CSG concernera la moitié des retraités concernés et tant pis pour l'autre moitié, on n'en est plus à une inégalité près ! Il en aura fallu du décryptage pour comprendre la mesure de cet article 3, éphémère puisqu'elle expire fin 2019.
À moins que le Gouvernement les entende et supprime cette hausse pour tous les retraités et pour l'avenir et, pourquoi pas puisque c'est noël, revalorise les pensions.
Je regrette que le couperet de l'article 40 nous ait empêchés de proposer une suppression pure et simple de la CSG.
M. Ronan Dantec . - La hausse de la CSG, une des grandes erreurs du Gouvernement, est à la source du mouvement social. Je voterai donc cet article mais attention à ne pas oublier l'urgence climatique. Elle aussi, mobilise beaucoup ; la pétition « L'affaire du siècle » vient de passer le million de signatures. Si on retire des crédits à la transition, en particulier dans son volet territorial, on va au-devant d'explosions sociales.
M. le président. - Amendement n°13 rectifié, présenté par M. Daudigny et les membres du groupe socialiste et républicain.
I. - Alinéa 14
Rédiger ainsi cet alinéa :
« 2° D'autre part, sont inférieurs à 33 000 € pour la première part de quotient familial, majorée de 8 810 € pour chaque demi-part supplémentaire. Pour la Martinique, la Guadeloupe et La Réunion, les montants des revenus sont fixés à 36 101 € pour la première part, majorés de 9 689 € pour la première demi-part et 8 810 € pour chaque demi-part supplémentaire à compter de la deuxième. Pour la Guyane et Mayotte, ces montants sont fixés, respectivement, à 37 819 €, 10 133 € et 8 810 €.
II. - Pour compenser la perte de recettes résultant du I, compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
... - La perte de recettes résultant pour les organismes de sécurité sociale du présent article est compensée, à due concurrence, par la création du taux du 1° du B du 1 de l'article 200 A du code général des impôts.
Mme Corinne Féret. - Depuis dix-huit mois, nous vous alertons sur les conséquences délétères de la hausse de la CSG. Vous l'annulez finalement en dessous de 2 000 euros. C'est insuffisant. Ce n'est pas une mesure de justice fiscale ; c'est juste un détricotage.
Je rappelle les propositions que le groupe socialiste avait portées dans le projet de loi de finances : un seuil de 3 000 euros pour l'annulation de la hausse de CSG, reprise dans cet amendement ; un grand plan d'un milliard d'euros pour les Ehpad et une revalorisation des retraites agricoles à hauteur de 85 % du SMIC.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. - Nous avons bien sûr un regard bienveillant sur cette proposition puisque le Sénat avait refusé la hausse de la CSG. Cependant, l'objet de ce projet de loi est de prendre des mesures d'urgence pour les plus modestes. Avis défavorable.
Mme Agnès Buzyn, ministre. - Avis défavorable. Les Ehpad ne concernent que 10 % des 15 millions de retraités de plus de 65 ans. Quand on parle de 3 000 euros, il s'agit du prix des Ehpad privés ; heureusement, les établissements publics et tous les établissements privés ne pratiquent pas ce prix. Nous ne souhaitons pas aller plus loin. Avis défavorable.
Mme Laurence Cohen. - Nous voterons cet amendement. Je suis atterrée, madame la ministre, de vous entendre dire que tout va très bien, madame la marquise, pour les retraités et pour les Ehpad. Ce n'est pas ce que nous avons vu au cours de notre tour de France des Ehpad.
Vos mesures représentent des efforts infinitésimaux, loin des conditions de vie réelles de nos concitoyens. Vous persistez, sans entendre la colère qui monte parce que les inégalités se creusent. Prendre en charge la dépendance, cela nécessite de l'argent et il y en a, nous l'avons montré dans nos propositions !
Mme Agnès Buzyn, ministre. - Il y a, fort heureusement, des aides pour la dépendance, madame Cohen. (Exclamations à gauche)
L'amendement n°13 rectifié n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°6 rectifié bis, présenté par Mme Cohen et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Alinéa 17
Compléter cet alinéa par les mots :
et jusqu'au 31 décembre 2022, le dispositif pouvant être à nouveau prolongé à cette date
Mme Céline Brulin. - Cet amendement prolonge à 2022 l'annulation de hausse de la CSG prévue par l'article 3.
Cette hausse a provoqué une première couche des colères dont la sédimentation a produit les gilets jaunes.
Le groupe CRCE vous avait pourtant alertée à chaque occasion sur les conséquences de cette mesure. Malheureusement, il a fallu une crise sociale majeure pour que vous y répondiez, avec des conséquences lourdes sur le plan social, mais aussi économique.
Et pourquoi restreindre l'annulation de cette augmentation dans le temps, et aux retraités touchant moins de 2 000 euros par mois ? En 2020, la hausse de la CSG grèvera toujours autant le budget de ces retraités - d'autant que la loi de finances vient de bloquer la revalorisation à 0,3 %, quand l'inflation prévue est d'au moins 1,3 %...
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. - Il y a un malentendu sur le texte : aucune trajectoire d'augmentation progressive du taux de CSG n'est prévue - au contraire de la fiscalité sur les carburants. Avis défavorable.
Mme Agnès Buzyn, ministre. - Même avis.
L'amendement n°6 rectifié bis n'est pas adopté.
L'article 3 est adopté.
ARTICLE ADDITIONNEL
M. le président. - Amendement n°9 rectifié, présenté par Mme Cohen et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Après l'article 3
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article L. 3231-4 du code du travail est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« À compter du 1er janvier 2020, le montant du salaire minimum de croissance servant de référence pour le calcul de l'indexation prévue au présent article ne peut être inférieur à 1 760 euros bruts mensuels dans le secteur privé. »
M. Guillaume Gontard. - Le 10 décembre, Emmanuel Macron disait vouloir que les Français et les Françaises vivent mieux de leur travail. C'est pourquoi cet amendement revalorise le SMIC de 200 euros, à 1 760 euros bruts mensuels à compter du 1er janvier 2020. Les inégalités sociales se creusent alors qu'on n'a jamais produit autant de richesses : c'est que les richesses sont de plus en plus mal réparties - et nos concitoyens demandent plus de justice sociale.
Il faut 1 424 euros nets pour vivre décemment, selon une étude récente de l'Observatoire des inégalités, les femmes subissent davantage les plus bas salaires : il est temps de donner à tous les moyens de vivre dignement du travail ! (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE ; Mmes Michèle Meunier et Nadine Grelet-Certenais applaudissent également.)
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. - Au-delà des questions politiques, cet amendement n'est pas opérant : croyez-vous vraiment que toutes les entreprises supporteraient une telle augmentation du SMIC ? (Exclamations à gauche) Avis défavorable.
Mme Muriel Pénicaud, ministre. - Le SMIC sera bien augmenté de 1,5 % au 1er janvier, soit 1 204 euros net mensuels. Ce nouveau barème s'appliquera à 1,6 million de salariés. Mais il y a un effet de diffusion sur 11 millions de salariés à travers les conventions collectives.
J'ai donc demandé d'accélérer les négociations de branche l'an prochain. Le patronat s'est engagé à négocier dans toutes les branches où le minimum professionnel est en deçà du SMIC.
Pour avoir de la croissance, il faut de l'emploi, donc de la compétitivité. Si l'on augmente brutalement le SMIC, on constatera beaucoup de licenciements chez les artisans et les petits employeurs.
Cette mesure répond à un constat : il est difficile de vivre de son travail aujourd'hui. C'est pourquoi nous agissons à la fois sur les salaires versés par les entreprises et sur la solidarité, via la prime d'activité, pour augmenter les revenus des travailleurs modestes.
Mme Monique Lubin. - Vous opposez la valeur travail à nos propositions. La vérité, c'est que beaucoup de salariés, ceux qui ont les tâches les plus pénibles et les moins intéressantes, n'arrivent pas à vivre de leur travail.
Vous attendez les négociations de branche ; mais commençons par valoriser le travail dans ce pays. Faisons des propositions aux employeurs pour qu'ils rémunèrent mieux leurs salariés. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR et sur quelques bancs du groupe CRCE)
M. Pierre Laurent. - L'augmentation des bas salaires est devenue taboue, au nom de la compétitivité. Mais le problème est bien là : des millions de salariés ne vivent pas de leur salaire aujourd'hui en France.
L'argument de la compétitivité ne tient pas - car les contraintes continues sur les salaires n'ont pas enrayé la perte d'emploi industriel depuis vingt ans !
Il faut changer de logique. La question se pose et va continuer de se poser dans toute l'Europe. Il y a un an, on ne pouvait pas toucher à la CSG des retraités ; vous y revenez ; il était impossible de parler de salaire ou d'augmentation du SMIC ; on en parle - et demain, vous devrez bien envisager une augmentation du SMIC ! (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE et sur quelques bancs du groupe SOCR)
Mme Pascale Gruny. - Vous parlez du salaire, mais les protestations massives ont commencé contre les taxes. Vous ne parlez que des entreprises du CAC 40, sans voir que notre tissu économique est fait de PME et de TPE, qui sont écrasées par les taxes. Votre discours est d'un autre temps et ne répond pas aux demandes des Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains ; M. Pierre Louault applaudit également.)
M. Yves Daudigny. - Oui, il y a un problème de répartition entre le capital et le travail. Certains avaient proposé une règle des trois tiers pour la répartition des dividendes : l'entreprise, les actionnaires et les salariés. Gérald Darmanin s'est tout récemment déclaré choqué par l'écart croissant entre dividendes et salaires - et il a vu que les demandes de plus de pouvoir d'achat portent la critique contre le système capitaliste. Il y a bien un problème de répartition de la richesse produite par les entreprises. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR ; M. Pierre Laurent applaudit également.)
M. Guillaume Gontard. - On ne peut pas augmenter les salaires, répétez-vous. Ce texte montre que l'on peut. Les gilets jaunes ont aussi revendiqué des hausses de salaires.
Votre refus d'augmenter le SMIC est un dogme. J'ai été responsable de SARL ; je sais ce qu'est la compétitivité. Or le CICE, c'est 40 milliards d'euros - et pour quel résultat ? Si cela marche, il faut le supprimer. Sinon, il faut des compensations, notamment en revalorisant les salaires.
Plusieurs pays européens augmentent leur salaire minimum - et ils en récoltent les fruits : vous devrez bien y venir ! (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)
L'amendement n°9 rectifié n'est pas adopté.
ARTICLE 4
Mme Esther Benbassa . - La hausse de 100 euros du SMIC a fait l'objet de tergiversations d'un exécutif désemparé.
Le Gouvernement semble avoir évité certains écueils, le Premier ministre a renoncé à l'augmentation du salaire minimum net par une augmentation de cotisations sociales.
Avec une prime d'activité à la base élargie, maîtrisée et plus lisible, le Gouvernement met en place un dispositif raisonnable, même si nous aurions préféré, comme chez nos voisins espagnols, une augmentation substantielle du salaire brut. Encore aurait-il fallu que l'exécutif ait du courage politique et le temps de la réflexion - et qu'il n'ait pas l'amateurisme dont il a fait preuve.
Le coût - 2,5 milliards d'euros - aurait pu être couvert par le rétablissement de l'ISF ou par une meilleure utilisation du CICE. Mais vous préférez l'insincérité budgétaire : nous en prenons bonne note.
Mme Cathy Apourceau-Poly . - Emmanuel Macron a annoncé, le 10 décembre, que les salariés au SMIC gagneraient 100 euros de plus par mois. Même moi, j'y ai cru ! Mais l'entourloupe est vite apparue. On n'attrape pas les mouches avec du vinaigre...
C'est la prime d'activité qui sera augmentée. De ce fait, beaucoup de femmes seront privées de toute augmentation, car la prime d'activité est une prestation sociale, dont le calcul fait intervenir le revenu du foyer, donc de l'époux.
Il aurait fallu individualiser la prime d'activité, comme nous le proposions avec un amendement malheureusement retoqué au nom de l'article 40.
Votre mesure est en réalité infantilisante pour les femmes. De plus, elle introduit une confusion entre la rémunération du travail et la solidarité nationale.
M. Fabien Gay . - Les gilets jaunes montrent que les gens refont de la politique ; il y a beaucoup d'intelligence, de technicité et de compétences dans le peuple.
Entre 2009 et 2016, Total a versé 43 milliards d'euros de dividendes ; Sanofi, c'est 37 milliards d'euros de dividendes ; Engie, 25 milliards d'euros. Depuis la crise de 2008, les disparités de salaires se sont aggravées de 27 %.
Les gilets jaunes ont bien raison de poser cette question. On vous parle de démocratie ; vous répondez par de l'inégalité. La prime de Noël, c'est un facteur d'inégalité : les entreprises qui pourront ou voudront bien le faire le feront, généralement les grandes, mais pas les autres, souvent les petites.
De plus, la moitié des smicards seront exclus de la revalorisation de la prime d'activité.
Et qui paiera ? On annonce 500 millions d'euros pour les GAFA, mais comme il manque 7 à 8 milliards, au bout du compte les gens le paieront par l'impôt. Le foie gras et la dinde aux marrons n'étoufferont pas la colère sociale ! (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)
L'article 4 est adopté.
ARTICLES ADDITIONNELS
M. le président. - Amendement n°14 rectifié, présenté par M. Daudigny et les membres du groupe socialiste et républicain.
Après l'article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. - L'article 7 de la loi n° du de financement de la sécurité sociale pour 2019 donne lieu à compensation intégrale par le budget de l'État aux régimes de la sécurité sociale concernés pendant toute la durée de son application.
II. - Les articles du présent projet de loi donnent lieu à compensation intégrale par le budget de l'État aux régimes de la sécurité sociale concernés pendant toute la durée de son application.
III. - La perte de recettes résultant pour l'État des I et II est compensée, à due concurrence, par la création d'une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts du taux du 1° du B du 1 de l'article 200 A du code général des impôts.
Mme Angèle Préville. - Le pouvoir d'achat ne se limite pas à la fiche de paye. Les charges incompressibles pèsent lourdement sur les ménages. Le quinquennat de François Hollande avait réussi à réduire à 7,7 % la part des soins restant à charge des ménages : il faut préserver cet acquis.
Au lieu de quoi, vous aggravez les déficits, et vous prélevez sur les excédents attendus de la sécurité sociale : c'est un très mauvais coup à notre protection sociale. Notre amendement fait revenir ces excédents dans les caisses de la sécurité sociale.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. - La compensation est conforme à la loi Veil. Elle est de droit. Seule une loi de financement de la sécurité sociale peut revenir là-dessus. Avis défavorable.
Mme Agnès Buzyn, ministre. - Même avis.
L'amendement n°14 rectifié n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°10 rectifié, présenté par Mme Cohen et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Après l'article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le Gouvernement remet au Parlement un rapport relatif à l'incidence sur les finances publiques d'une hausse du SMIC de 200 euros nets.
M. Fabien Gay. - Si nous étions provocateurs, nous vous aurions proposé d'augmenter le SMIC de 200 euros, puis de faire un rapport sur cette mesure... Comme pour l'ISF, supprimé en une seconde, et qu'il faut évaluer maintenant !
Vous nous dites qu'augmenter le SMIC plomberait notre compétitivité. Allez au bout du raisonnement, en supprimant le salaire minimum. Mais si vous augmentez le SMIC de 200 euros, ce seront 200 euros immédiatement réinjectés dans l'économie. L'Espagne l'a fait. La France également en 1968, avec une hausse du SMIC de 35 % qui n'a pas plombé l'économie. M. Karoutchi m'approuve, qui mériterait de siéger à nos côtés. (Sourires sur les bancs du groupe Les Républicains ; M. Roger Karoutchi dément.)
Après 1968, il y a eu plus 10 % en 1981, mais aussi plus 4 % avec l'arrivée de M. Chirac, puis encore 2 % en 2012. Un coup de pouce du SMIC n'a jamais plombé l'économie, bien au contraire !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. - La commission est traditionnellement hostile aux rapports. Celui que vous proposez n'a pas lieu d'être puisqu'il n'y a pas d'augmentation du SMIC. Laissons le Gouvernement se concentrer sur le rapport évaluant la prime d'activité. Avis défavorable.
Mme Muriel Pénicaud, ministre. - Un rapport sur l'évolution du SMIC et ses incidences existe déjà. Avis défavorable.
M. Fabien Gay. - Monsieur le rapporteur général, quand la crise sociale est forte, ne répondez pas par la tradition : tout nous incite à bousculer l'ordre établi. Il faut augmenter le SMIC. Dans le cas contraire, nous le paierons très cher.
L'amendement n°10 rectifié n'est pas adopté.
Explications de vote
M. Patrick Kanner . - Il a fallu dix-huit mois pour que le Gouvernement constate l'urgence économique et sociale dans notre pays. Il n'avait fallu que quelques mois pour mettre en place le bouclier fiscal.
Alain Minc - un proche du chef de l'État...
M. Alain Joyandet. - Un proche de tout le monde !
M. Patrick Kanner. - Soit. M. Minc, à la veille du Congrès de Versailles, prédisait que si les inégalités se creusaient, il en résulterait un « spasme aux formes imprévisibles ».
Trop d'arrogance - trop « d'intelligence » ? En fait, vous vous êtes déconnectés des Français. Ils demandent de la justice, du respect, mais vous fragilisez toujours plus notre édifice social. On nous disait qu'on aurait Macron ou le chaos : nous avons eu les deux... Votre mouvement, venu de nulle part, est bousculé par une vague venue de partout...
Les fonctionnaires et une partie des salariés n'auront pas droit à la prime exceptionnelle. Le financement de vos mesures d'urgence repose trop sur la solidarité nationale, d'où notre projet référendaire.
Cependant les socialistes sont responsables. Nous nous abstiendrons. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)
M. Jean-Claude Requier . - Nous voterons ce texte à l'unanimité sauf une abstention. Il y a urgence. On nous parle de mesurettes ou de miettes. Des miettes à 10 milliards d'euros ce n'est pas rien.
M. Alain Joyandet. - C'est déjà une belle brioche !
M. Jean-Claude Requier. - Je tiens à saluer l'action du Sénat, à l'avant-garde sur bien des mesures. Comment comprendre alors que beaucoup de nos concitoyens veuillent le supprimer ? Nous portons la voix des territoires. Nous voterons ce texte qui apportera du réconfort à beaucoup. (Applaudissements sur les bancs du RDSE)
Mme Laurence Cohen . - Les réponses du Gouvernement ne sont pas à la hauteur des attentes. Elles donnent un semblant d'augmentation du pouvoir d'achat sans mettre à contribution les plus fortunés. Le Gouvernement doit cesser de refuser le débat sur le partage des richesses. Rien de conséquent ne pourra se faire tant que vous n'accepterez pas de taxer le capital.
Emmanuel Macron prétend que l'ISF ferait fuir les capitaux. C'est faux. En 2012, seuls 587 riches ont quitté le pays, soit un nombre stable, pour un manque à gagner de 270 millions d'euros. La suppression de l'ISF, elle, coûte 4,2 milliards d'euros par an à l'État, et pour quel gain ? Cinquante mille emplois créés. Chacun coûte donc 500 000 euros d'argent public, la note est salée ! De plus, la transformation de l'ISF en IFI a fait chuter de 10 % les dons des associations.
La mobilisation populaire vous a quand même fait franchir un pas. Nous nous abstiendrons, à la quasi-unanimité.
M. Bruno Retailleau . - Notre vote ne sera pas d'adhésion mais de responsabilité. Les mesures d'urgence sont financées à 60 % par la dette qui sera des impôts de demain, donc les gilets jaunes de demain... Ces mesures créeront des déceptions et des divisions entre les salariés, mais aussi entre les entreprises qui pourront distribuer des primes et celles qui ne le pourront pas.
N'oublions pas non plus le fort sentiment de relégation, voire d'abaissement dont souffrent les gilets jaunes.
Quand il y a un incendie, on ne jette pas d'huile sur le feu : on ne souffle pas sur les braises rougeoyantes de la colère. Il n'y aurait rien de pire que de vider de leur substance les annonces du président de la République française. Nous voterons donc ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et UC)
M. Vincent Capo-Canellas . - La procédure d'examen de ce texte a été très rapide. Il y avait urgence à répondre à la colère des gilets jaunes. Le Sénat a abordé l'examen de ce texte dans un esprit de responsabilité, désireux de sortir par le haut de cette crise qui ne doit pas durer. Qu'il s'agisse d'équité ou de partage des richesses, la réflexion devra être approfondie.
Nous faisons face à une situation pour le moins baroque : 10 milliards d'euros dépensés d'un coup, sans savoir comment ils seront financés.
Un collectif budgétaire sera indispensable à court terme. Le déficit a franchi la barre de 100 milliards d'euros, la dette celle de 100 % du PIB, les prélèvements obligatoires sont à 1 000 milliards d'euros. Il faudra revoir la stratégie financière. (Applaudissements sur les bancs des groupes UC et Les Républicains)
M. Michel Amiel . - En médecine, on distingue l'urgence et le fond. Les mesures d'urgence sont là pour répondre à une crise.
« La lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil », écrivait René Char. Tentons de comprendre cette lucidité pour lui apporter des réponses humaines et solides. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)
M. Alain Fouché . - Les gouvernements précédents ont leur part de responsabilité. Ce qui est proposé n'est pas le Pérou. Le climat est grave. Nous attendons plus du Gouvernement, mais nous voterons ce texte.
Le projet de loi est adopté.
Mme Muriel Pénicaud, ministre . - Mme Buzyn et moi-même tenions à saluer l'esprit de solidarité et de responsabilité des deux assemblées qui ont permis de voter ce texte. C'est tout à l'honneur de la démocratie représentative. Je vous souhaite de bonnes fêtes.
Prochaine séance, mardi 15 janvier 2019, à 14 h 30.
La séance est levée à 20 h 5.
Jean-Luc Blouet
Direction des comptes rendus
Annexes
Ordre du jour du mardi 15 janvier 2019
Séance publique
À 14 h 30
1. Débat sur la programmation pluriannuelle de l'énergie (demande du groupe Les Républicains)
2. Débat sur la gouvernance des grands groupes coopératifs agricoles (demande du groupe UC)
3. Débat sur les mobilités du futur (demande de la délégation sénatoriale à la prospective).