SÉANCE

du jeudi 22 novembre 2018

24e séance de la session ordinaire 2018-2019

présidence de Mme Hélène Conway-Mouret, vice-présidente

Secrétaires : M. Joël Guerriau, M. Dominique de Legge.

La séance est ouverte à 11 heures.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Projet de loi de finances pour 2019

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de finances pour 2019, adopté par l'Assemblée nationale.

Discussion générale

M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances .  - Je suis très heureux, avec le ministre des comptes publics, de vous présenter notre projet de loi de finances pour 2019.

Je souhaiterais rappeler d'où vient notre pays en matière de finances publiques. La situation de nos finances publiques est le résultat d'une lente dégradation depuis dix ans, que résument trois chiffres : 33, 3 et 3. Notre dette publique a bondi de 65 à 98 % du PIB en dix ans, soit 33 points de plus. La dépense publique est passée de 52 à 55 % de notre richesse nationale, soit + 3 %. Les prélèvements obligatoires sont passés de 42 à 45 % de notre richesse nationale, soit + 3 %.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances.  - Et on continue !

M. Bruno Le Maire, ministre.  - Voici la réalité brute des finances publiques telles que nous les avons trouvées.

Notre objectif est d'inverser cette tendance dont nous sommes tous collectivement responsables. Nous dépenserons moins et mieux, réduirons la dette mais aussi les impôts et les taxes des Français - on voit bien ce qui se passe actuellement, les impôts et les taxes, ça suffit ! (On applaudit ironiquement sur de nombreux bancs.)

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général.  - Bravo ! (Ironique)

M. Philippe Dallier.  - Chiche !

M. Simon Sutour.  - L'essentiel, c'est de le dire avec assurance !

M. Bruno Le Maire, ministre.  - Je suis heureux que vous applaudissiez car chacun, sur ces bancs, porte une responsabilité dans la dégradation des finances publiques. (Exclamations sur de nombreux bancs)

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général.  - Pas moi !

M. Bruno Le Maire, ministre.  - Nous sommes sortis de la procédure pour déficit excessif en passant sous les 3 % pour la première fois depuis dix ans - je suis heureux que vous applaudissiez l'inversion de la tendance.

Le cap de la restauration des finances publiques et de la croissance française sera tenu avec une baisse de 0,5 point de chômage et une relance industrielle inédite depuis dix ans.

Le cap de la relance de la croissance et de la création d'emplois est le bon. Le secteur industriel est particulièrement concerné. Pour le relancer, nous devons poursuivre la politique de compétitivité par la réduction des charges et continuer d'investir dans la recherche et l'innovation. On recense un million d'emplois industriels en moins depuis dix ans, un centaine d'entreprises industrielles qui ferment chaque année - je l'ai vu en particulier sur mon territoire, l'Eure, où des vallées entières ont perdu leurs industries, conséquence des mauvais choix économiques qui ont été faits pendant des années.

Nous inversons la tendance avec la restauration des marges des entreprises, une fiscalité adaptée à l'emploi, l'intervention du fonds pour l'innovation de rupture, abondé grâce à la vente d'actifs que nous jugeons non stratégiques pour l'État.

L'environnement international est instable avec un risque de guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis, mais aussi les conséquences du Brexit dans l'Union européenne, ou encore la situation en Italie.

Nous faisons des choix politiques simples et forts.

Premier axe, une meilleure rémunération du travail : il faut que ceux qui travaillent soient mieux payés. C'est le sens de la suppression des cotisations patronales à l'assurance chômage dès le 1er novembre, de la suppression des charges sociales sur les heures supplémentaires, de la suppression du forfait social de 20 % sur l'intéressement dans les entreprises de moins de 250 salariés. Nous voulons que tous ceux qui travaillent constatent à la fin du mois que leur salaire net augmente.

Deuxième axe : l'investissement. C'est le but de la sanctuarisation du CIR et du suramortissement pour la robotisation et la digitalisation. La France compte 180 robots pour 10 000 salariés alors que l'Italie en compte 200 et l'Allemagne 340 ! Or les robots conduisent à un travail de meilleure qualité et, contrairement à ce que certains pensent, à plus d'emplois.

Troisième axe : l'environnement. Nous faisons des choix difficiles, en particulier la convergence de la fiscalité du diesel et de l'essence tout en accompagnant les Français. Il est indispensable d'accomplir cette transition énergétique, tout en permettant aux Français les plus modestes d'être soutenus dans ce mouvement. (Vives exclamations à droite ; M. Albéric de Mongolfier, rapporteur général, ironise.) La transition énergétique ne pourra être réussie que si nous maintenons une politique nucléaire forte et performante.

Le GIEC le dit : pas de lutte contre le réchauffement climatique sans un nucléaire performant et stable.

MM. Jean-Pierre Grand, Loïc Hervé et Jean-Paul Émorine.  - Très bien !

M. Bruno Le Maire, ministre.  - Nous améliorons l'accès à l'éco-prêt à taux zéro, nous doublons la prime à la conversion de véhicule pour les gros rouleurs et les plus modestes. Les entreprises seront sollicitées avec le report au 1er octobre des quatre points d'allègement supplémentaires sur les charges sociales.

Grâce à ce choix, les objectifs seront tenus, soit 2,8 % de déficit public en 2019, réduit à 1,9 % si l'on enlève les conséquences du CICE, soit le taux le plus bas depuis 2001. La dette publique sera réduite à 98,2 %.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général.  - Brillant !

M. Bruno Le Maire, ministre.  - Non, ce n'est pas suffisant, mais, Monsieur le rapporteur général, la dette publique résulte de la politique des dix dernières années. Et nous, nous ne proposons pas un chèque énergie de 15 milliards d'euros : il faut être cohérent ! (Vives protestations sur les bancs du groupe Les Républicains) Les prélèvements obligatoires diminueront aussi passant de 45 à 44,2 %. Vous voulez aller plus loin, sachez que vous me trouverez toujours à vos côtés pour dépenser moins, mais pas pour un chèque énergie à 15 milliards !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général.  - Ce n'est pas la proposition du Sénat.

M. Gérald Darmanin, ministre.  - C'est celle d'un certain Laurent Wauquiez...

MM. Roger Karoutchi et Jean-Paul Émorine.  - Vous êtes au Sénat !

M. Bruno Le Maire, ministre.  - La baisse d'un point des prélèvements obligatoires, promise par le président de la République, sera tenue.

Il nous faut aussi consolider la zone euro et une convergence fiscale. Certains partenaires européens nous expliquent que la force de la zone euro viendra des efforts de chaque État. S'il est essentiel que chaque État respecte les règles auxquelles il a librement consenti, cela n'exclut pas la nécessité d'une convergence européenne pour échapper au dumping fiscal ; il est indispensable que nous construisions une union de marchés de capitaux. Il est indispensable enfin que nous mettions en place un budget de la zone euro qui rassemble l'ensemble des investissements, c'est par cette voie que nous provoquerons un choc économique.

Les changements ne vont pas vite, ils vont très vite. Les choix que nous ferons en matière de finances publiques doivent nous libérer de la dette et nous redonner notre souveraineté économique, ceci pour avoir les moyens d'innover, mais d'accompagner ceux qui ont le plus besoin de la solidarité nationale. (Faibles applaudissements sur les bancs du groupe LaREM ; MM. Michel Canevet, Jean-Claude Requier et Mme Fabienne Keller applaudissent également.)

M. Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics .  - Après Bruno Le Maire qui a traité des sujets macroéconomiques, je préciserai les priorités fiscales et budgétaires du Gouvernement en soulignant le travail que nous avons fait la semaine dernière autour du PLFSS mais aussi du PLFR qui s'est borné à constater la sincérité du projet de l'an passé.

Conformément aux promesses du président de la République, nous finançons la compensation de la suppression de la taxe d'habitation, et nous transformons le CICE en allègements de charges pour les entreprises. Nous avons sincérisé le budget en procédant à des réformes structurelles et en inscrivant la dette de SNCF Réseau au budget de l'État. Personne n'avait osé le faire jusqu'ici.

En 2018, nous avions prévu une croissance de 1,7% - ce fut le cas. Les hypothèses de déficit public sont de 2,8 % - ce serait beaucoup moins si nous n'avions pas choisi la sincérité en transformant le CICE en allègement de charges. (M. Vincent Éblé, président de la commission des finances, en doute.) Nous sommes donc en réalité en dessous des 2 %.

Que signifie un déficit à 1,9 % en 2019 ? En 2017, la Cour des comptes a constaté un déficit à 3,4 %, elle a critiqué l'insincérité du budget - nous le ramenons à 1,9 %, hors CICE, quel chemin parcouru ! Et nous considérons, nous, que la sincérité est le moins que le Gouvernement, doit au Parlement.

Nous poursuivons en continuant de réduire la dépense publique : elle ne progressera que de 0,6 % en 2019, tendance la plus faible depuis quinze ans.

Je m'étonne du débat que nous avons eu lors du PLFSS où, quand nous nous proposions de limiter les prestations de retraite pour tenir les dépenses, le Sénat a choisi de taxer les complémentaires santé et de retarder le départ à la retraite : il faut plus de courage ! (Protestations à droite)

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général.  - Vous le proposerez dans un an !

M. Roger Karoutchi.  - Ce n'est pas une taxe, c'est un prélèvement !

M. Gérald Darmanin, ministre.  - Et maintenant, vous soutenez le chèque carburant de M. Wauquiez. (Les sénateurs du groupe Les Républicains se récrient.)

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général.  - Non !

M. Gérald Darmanin, ministre.  - Ce n'est pas un gros mot, Wauquiez !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général.  - D'autant moins que vous l'aviez soutenu longtemps !

M. Gérald Darmanin, ministre.  - L'an passé, nous avions avancé trois points de méthode : plus de sincérité dans les comptes publics, plus de lisibilité et moins de verticalité dans les relations entre l'État et les collectivités territoriales.

Nous tenons nos engagements. La sincérité : pour la première fois depuis l'instauration de la LOLF, nous ne proposons aucun décret d'avance. Une politique fiscale plus simple : nous supprimerons une vingtaine de petites taxes inefficientes qui obscurcissent la lisibilité des finances locales. Nous favorisons la contractualisation avec les collectivités locales les plus importantes qui ont su limiter leurs dépenses publiques sans limiter leur dotation.

Ce budget confirme les engagements du président de la République, par des mesures en faveur des ménages et des entreprises. Nous conjuguons la baisse des cotisations sociales et la désocialisation des heures supplémentaires ce qui signifie que, pour les entreprises, le projet de loi de finances allège les charges.

Avec la loi Pacte, la marque France est plus attractive avec un environnement fiscal simplifié, des effets de seuils supprimés et une meilleure répartition entre capital et travail, avec le développement de la participation.

Ce budget confirme les engagements sociaux du Gouvernement, après que le PLFSS, notamment, a augmenté le minimum vieillesse pour ses quelque 550 000 bénéficiaires, et augmenté aussi la prime à l'activité. Nous voulons aussi assurer des versements plus justes aux Français, avec la contemporanéité des prestations et le prélèvement à la source. La fiscalité agricole, qui a suscité des débats dans le PLFSS, est favorable à l'activité. Nous aurons aussi à débattre des aides fiscales en outre-mer.

Le budget prévoit d'importantes augmentations de crédits. Les domaines régaliens, avec 1,7 milliard d'euros supplémentaires pour les armées, soit un budget total de 36 milliards d'euros ; 400 millions d'euros supplémentaires consacrés à la mission « Sécurité » pour un budget de 14 milliards d'euros et un budget de 7,3 milliards d'euros pour la justice, soit 1 300 emplois en plus et des moyens pour l'immobilier pénitentiaire.

Enfin, le budget d'investissement est tourné vers l'avenir ; il croîtra deux fois plus vite en 2019 qu'en 2018, avec les investissements d'avenir. La loi sur l'économie circulaire, la loi sur les mobilités et le renforcement du prêt à taux zéro sont traduits, en avance, par des engagements financiers.

Le ministère de l'Éducation nationale et celui de l'Enseignement supérieur connaissent la plus forte hausse depuis des années, avec un milliard d'euros supplémentaire - c'est nécessaire aux réformes et à l'accueil de 40 000 étudiants de plus chaque année.

Ce budget sert également la transformation de l'action publique. Il y aura 4 200 suppressions de postes en net, conformément à la trajectoire de 50 000 emplois de fonctionnaires en moins au terme du quinquennat.

Nous devons réfléchir à la réforme de l'audiovisuel public, et à son financement, dans le cadre du projet de loi sur la fiscalité locale, présenté le 17 avril prochain en conseil des ministres. Le recouvrement de l'impôt sera simplifié. Pôle Emploi sera réformé et la présence diplomatique doit être redéployée.

Je serai heureux, avec Bruno Le Maire et Olivier Dussopt, de débattre de tous ces sujets avec vous, avec l'objectif du redressement de nos comptes publics. (M. Julien Bargeton applaudit.)

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances .  - (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC) Le Gouvernement vient de nous présenter son deuxième budget de plein exercice, qui devait confirmer sa volonté réparatrice. Ce budget, malheureusement, déçoit : des prélèvements obligatoires qui restent très élevés, aucune réforme d'envergure, aucun bouleversement fiscal - mais des mesures qui ne servent, au mieux, qu'à faire du rendement.

L'embellie économique de l'an passé se poursuit, mais l'économie française croît deux fois moins vite qu'en 2017. Le scenario du Gouvernement est jugé crédible par le Haut Conseil aux finances publiques, car ce scénario, révisé à la baisse, reste prudent. C'est heureux, tant les facteurs de risques sont nombreux : guerre commerciale, pétrole, Italie, Brexit...

Les inquiétudes sont nombreuses dans la population avec la hausse du prix du carburant et le prélèvement à la source dès janvier. Le déficit augmente à cause du relâchement de l'effort sur les dépenses. La suppression complète de la taxe d'habitation n'est pas financée, sinon par du déficit. Le reste de la zone européenne est pourtant à l'équilibre.

M. Bruno Le Maire, ministre.  - Et l'Italie ?

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général.  - D'après le FMI, la France devrait payer 31 milliards d'euros d'intérêts de plus que l'Allemagne en 2022.

Peu de réformes structurelles, mais des rabots, des fusils budgétaires à un coup comme le renforcement du cinquième acompte sur les entreprises.

Le logement et l'emploi doivent, une fois encore, faire toujours plus d'efforts.

L'État, une fois encore, compte surtout sur les partenaires sociaux et les collectivités territoriales pour équilibrer les comptes publics - et il capte l'essentiel des nouveaux besoins de financement, pour un déficit qui, à 99,1 milliards d'euros, est le 45e budget déficitaire... Quant aux recettes fiscales de l'État, elles progressent de 18 milliards, c'est dire qu'on est loin de la décrue des prélèvements obligatoires !

La hausse de la TICPE pèse sur les Français qui vivent à la campagne. Relisez le compte rendu de l'année dernière, les rapports de Jean-François Husson et moi-même : nous parlions de bonnets rouges, ce sont finalement les gilets jaunes qui se manifestent, mais ils confirment ce que nous disions : en cas de hausse du prix du pétrole, la trajectoire adoptée l'an passé, contre laquelle nous avions votée, n'est pas tenable ! Mais vous continuez à la hausse ! Errare humanum est, sed perseverare diabolicum ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Jean-François Husson.  - Très bien !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général.  - Je ne suis pas favorable à une fiscalité affectée. Mais présenter la TICPE comme une taxe écologique, c'est une escroquerie. Les Français ruraux qui sont frappés n'ont pas d'autre choix que la voiture, car 40 % de nos compatriotes n'ont pas accès facile aux transports en communs.

Pas un mot sur le service national universel, dont les 2 à 4 milliards ne sont pas financés. Les vraies réformes de structures restent à faire, en priorité la diminution de la masse salariale de l'État qui représente 40 % des dépenses, soit 140 milliards ; 4 164 emplois en moins, c'est insuffisant, 90 % de l'effort reste à produire sur le reste du quinquennat pour atteindre la cible de 50 000 emplois en moins.

Pourtant la masse salariale continue d'augmenter de 1,6 % cette année. Nous avons eu le plus grand mal à obtenir des détails sur le plan Action publique. Nous présenterons des amendements notamment pour allonger la durée du travail dans la fonction publique, y porter le nombre de jours de carence à trois, et diminuer les effectifs des administrations centrales - qui continuent de croître.

Quant aux 6 milliards d'euros de pouvoir d'achat supplémentaire dont le Gouvernement se prévaut, ils correspondent pour deux tiers à la compensation de la hausse de la CSG et des prélèvements obligatoires accentués - et vous ne dites rien du quasi-gel des allocations et pensions...

Faute de marges de manoeuvre, vous transférez du pouvoir d'achat d'une catégorie à l'autre, plutôt que de l'augmenter. Les classes moyennes, les retraités et les classes populaires sont les grands perdants de ce bonneteau fiscal et budgétaire. Pour un ménage se chauffant au fioul domestique et roulant au diesel, la perte de pouvoir d'achat était de 136 euros l'an passé, et elle sera de 538 euros l'an prochain ! Nous vous proposerons donc de geler la TICPE, conformément au vote contre que nous avons pris l'an dernier.

Un mot sur le gasoil non routier, dont la taxation augmente très brutalement, au détriment de la compétitivité de nos industries, en particulier. Certes, c'est une niche, qu'il faut discuter. Mais comment les PME peuvent-elles absorber ces taxes augmentées ? La commission des finances a donc déposé un amendement à destination des agriculteurs destiné à adoucir la hausse des taxes.

Quelques semaines après l'examen du projet de loi sur la fraude, le groupe de suivi sur la fraude a décidé de se saisir du dossier des arbitrages sur dividendes révélé par Le Monde et autres - qui permettent à des non-résidents d'échapper à l'impôt en vendant opportunément leurs actions pendant la période d'imposition. Un amendement remédiera à ces techniques frauduleuses. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur quelques bancs du groupe UC ; M. Vincent Éblé, président de la commission des finances, applaudit également.)

M. Vincent Éblé, président de la commission des finances .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) Merci à mes collègues de la commission, mobilisés depuis plusieurs semaines ; plus de 500 personnes ont été entendues par les rapporteurs et notre commission a tenu quelque 40 heures d'audition en réunion plénière.

La loi de finances est un acte fort et structurant de notre vie politique. Le cadrage macroéconomique marque une déception : la prévision de croissance est de 1,7 %, au lieu de 1,9 % prévu en juillet. Les efforts de redressement des finances publiques ne sont pas au rendez-vous.

Sous le précédent quinquennat, le déficit est passé de 5 à 2,7 %, en diminuant chaque année. En deux ans, vous le faites passer de 2,7 à 2,8 %, et la dette continue d'augmenter !

Les suppressions d'impôts qui ne bénéficient qu'aux plus privilégiés ont un coût non négligeable, comme la suppression de la taxe d'habitation, qui met à mal l'autonomie des collectivités territoriales. Que dire de la hausse de la CSG pour les retraités et elle de la TICPE et la suppression de l'exonération du gasoil non routier ?

La fiscalité des ménages augmente de 6,6 milliards d'euros sur deux ans, alors que les solutions alternatives n'existent pas encore.

Les Français ne sont pas satisfaits, il n'est pas besoin d'aller les rencontrer sur nos ronds-points pour le savoir. Vous rabotez les budgets logement et emploi : c'est bien la preuve que ce sont les plus modestes qui souffriront le plus de vos réductions de dépenses.

J'ai dû menacer de faire usage des pouvoirs que me donne la LOLF pour obtenir le rapport du comité « Action publique 2022 ». Le Parlement n'a-t-il pas à réfléchir sur ces questions - pourquoi nous refuser des informations utiles ? J'avais déposé un amendement l'année dernière obligeant l'administration à fournir à la commission des finances les codes sources des mesures fiscales proposées, mais il avait été repoussé par l'Assemblée nationale ; je le présenterai à nouveau cette année.

Le Sénat a travaillé depuis plusieurs années sur la lutte contre la fraude fiscale avec notamment des mesures contre la fraude à la TVA des plateformes en ligne. Il a aussi enrichi le projet de loi de lutte contre la fraude. Les membres du groupe de suivi au sein de la commission des finances proposeront une fois de plus une initiative transpartisane pour soumettre les dividendes versés à des ressortissants étrangers à une véritable retenue à la source. Sinon, nos concitoyens ne comprendraient pas.

J'espère que, malgré nos divergences, nous saurons nous réunir autour de cette ambition. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR et sur quelques bancs des membres du groupe Les Républicains de la commission des finances)

Question préalable

Mme la présidente.  - Motion n°I-658, présentée par Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi de finances pour 2019, adopté par l'Assemblée nationale.

M. Éric Bocquet .  - Loin de nous l'idée d'esquiver le débat avec cette question préalable. Bien au contraire, nous voulons un point d'étape dix-huit mois après l'avènement du nouveau monde.

Exaspération ! Voilà le sentiment qui prédomine face à la politique de votre Gouvernement. Il semble loin le temps de 2017 où, après une victoire obligée, le président de la République obtint une victoire législative pour mener son programme.

Cet argument des engagements tenus, sans cesse ressassé depuis, commence à souffrir de n'avoir été partagé que par un peu plus de 15 % du corps électoral.

Force est de constater, depuis les rues de nos villes jusqu'aux péages d'autoroutes en passant par les portes des usines, que nous sommes à la recherche de ces fameux 15 %.

La suppression de l'ISF n'a profité qu'à 350 000 ménages sur près de 40 millions de foyers fiscaux.

Quant à l'exonération de la taxe d'habitation, que changeait-elle à la situation de ceux qui ne la payaient déjà pas ?

En revanche, la limitation de la taxe sur les dividendes - qui explosent - aura coûté 2 milliards d'euros aux deniers publics au profit des mieux nantis. Or le Gouvernement entend encore charger la barque en augmentant la fiscalité écologique. Mais cette fiscalité n'a d'écologique que le nom et son affectation est sujette à caution.

Certes, les recettes fiscales de l'État ont un caractère d'universalité qui ne souffre d'aucune contestation. Mais l'affectation demeure possible, comme avec la taxe sur la consommation énergétique. Ainsi avons-nous un compte d'affectation spéciale (CAS) « transition énergétique » et dont plus de 7 milliards de recettes sont constitués d'un prélèvement de 39,75 % sur les recettes des taxes sur l'essence. Mais cela fait trois ans que ce CAS sert de compte réservoir - c'est un comble ! - d'où le reversement cumulé d'1,8 milliard au budget général. L'urgence écologique s'incline une nouvelle fois devant la petite cuisine budgétaire.

L'impôt sur les sociétés va rapporter, si tout va bien, 31,5 milliards en 2019, soit 1,3 % du PIB, montant rare en Europe. Cet impôt a surtout besoin d'une sacrée modification d'assiette pour que les PME n'aient pas l'impression de payer plus que les grands groupes qui ont recours au prix de transfert, au shadow banking, le double irlandais et le roboratif sandwich hollandais. (Sourires)

La TICPE va rapporter 37,7 milliards. Avec la TVA induite, on se retrouve avec une recette fiscale de 45 milliards, soit une fois et demie l'impôt sur les sociétés, qui connaît certaines exceptions stupéfiantes. Certaines se comprennent mais les récentes évolutions du tarif de la taxe posent question, notamment avec la fameuse contribution climat énergie. Analysant l'article 9 de la loi de finances initiale pour 2018, notre Rapporteur général indiquait : « Eu égard au caractère contraint de leur consommation énergétique et à leur faible capacité d'investissement en rénovation énergétique des logements ou en véhicules économes en énergie, les ménages ayant les revenus les plus faibles seront naturellement davantage impactés par une hausse de la fiscalité énergétique ». C'est la conclusion à laquelle est arrivé l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Selon l'Observatoire : « l'impact selon les déciles de ménages varie d'un facteur 4 entre le premier et le dernier décile. Les dépenses d'énergie de chauffage, considérées dans cette estimation comme incompressibles, contribuent fortement à ces disparités ». Continuer ainsi nous ferait aller au-devant de grandes difficultés.

Il y a de moins en moins de logique à consacrer la TICPE à compenser aux collectivités locales le RSA ou la prise en charge de l'autonomie et de la dépendance. Alors que nous devrions solliciter la sécurité sociale, la solidarité et la mutualisation, nous accablons de taxes l'automobiliste ou le locataire. La contribution climat énergie n'est pas consacrée à la transition énergétique, et son produit a sans doute alimenté quelques entreprises énergivores en allégements de cotisations sociales. Plus elle augmentera, plus elle servira à maintenir des milliers de salariés au Smic, puisque ce niveau de rémunération est désormais libéré de toute contribution patronale au financement de la sécurité sociale...

Dans un récent rapport sur le projet de loi Mobilité, le Conseil économique social et environnemental recommande d'utiliser de manière exclusive le produit des taxes sur la consommation énergétique en faveur de la mobilité. C'est de bon sens. Nous en avons besoin pour financer des plans climat, air, énergie, territoriaux, des plans de déplacements doux. Nous en avons également besoin pour financer des réseaux de transports collectifs dignes, dont les réseaux ferrés, pour promouvoir des circuits alimentaires courts.

Aucun de ces enjeux, pas plus que les attentes sociales en matière d'emploi, d'action sociale, de logement, ne trouvent place dans cette loi de finances. Nous ne pouvons donc que vous inviter à la rejeter en adoptant cette question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général.  - Ne me tentez pas ! (Sourires) Je souscris assez au texte de la motion. Cependant, nous divergeons quant aux conclusions.

Mme Éliane Assassi.  - Cela nous rassure !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général.  - Nous souhaitons amender la loi de finances pour améliorer le pouvoir d'achat des Français et la compétitivité de nos finances. À notre grand regret, avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre.  - Le Gouvernement ne pense pas qu'on puisse se passer de budget.

M. Bocquet est cohérent avec la ligne du CRCE et celle défendue par les députés communistes. Nous ne partageons pas vos constats. J'invite la majorité des sénateurs à prendre part au débat qui promet d'être long et passionné.

Mme la présidente.  - Un scrutin public ordinaire est de droit.

La motion tendant à opposer la question préalable est mise aux voix par scrutin public.

Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°24 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 343
Pour l'adoption   16
Contre 327

Le Sénat n'a pas adopté.

Discussion générale (Suite)

M. Didier Rambaud .  - « C'est une maxime constante et reconnue dans tous les États du monde que les finances en sont la plus importante et la plus essentielle partie. C'est une matière qui entre en toutes les affaires ». Ces recommandations de Colbert doivent nous guider lors des débats à venir. Ne sacrifions pas l'avenir au présent et les intérêts généraux aux requêtes particulières. L'intérêt général de la France, c'est celui de la prospérité de tous les Français et de tous les territoires. C'était l'objet central de la loi de finances pour 2018, et c'est toujours le cas. Les premiers textes financiers du Gouvernement mettent en lumière la constance et la clarté des choix. Les Françaises et les Français, les salariés comme les entrepreneurs en ont besoin de visibilité et de stabilité qui ont pu manquer par le passé.

La trajectoire fiscale est simple : baisse du taux de prélèvement obligatoire d'un point et financement des investissements productifs, baisse de la fiscalité des ménages de 6 milliards d'euros par la suppression de la taxe d'habitation et la baisse des cotisations à l'assurance chômage et maladie. La suppression de la taxe d'habitation représentera 22 milliards de baisses d'impôt pour les Français, intégralement compensée aux communes.

M. Philippe Dallier.  - On ne sait pas trop comment !

M. Didier Rambaud.  - Le taux d'IS sera ramené à 25 % pour remettre notre pays dans la moyenne européenne.

Nous voulons que tous soient inclus dans l'économie : la meilleure réponse à la pauvreté, c'est l'emploi. Le travail doit financer autrement que par l'impôt et la dette la protection que nous devons à tous nos compatriotes.

Cette année encore, la DGF est sanctuarisée à 27 milliards d'euros. Avec la DETR, le DPV et le DESIL, le soutien à l'investissement reste élevé et les collectivités ont une visibilité à long terme sur leurs recettes.

Autre objectif, nous devons changer de modèle : arrêter de financer le déficit par la dette - qui frôle les 100 % du PIB. Cette année, les dépenses publiques stagnent à 0 % en volume et le déficit public est réduit à 1,9 %, en retranchant le CICE, contre 3,4 % il y a 20 mois. La dépense publique diminuera de 3 points sur le quinquennat.

Malgré une dépense publique la plus élevée d'Europe, nos services publics sont-ils les meilleurs ? Qu'en pensent les enseignants, les juges, les policiers et les gendarmes ? L'État doit mieux faire pour transformer ses missions pour réaliser des économies, recentrer ses actions, transformer le service public grâce au numérique. Mieux faire, c'est aussi répondre aux enjeux de protection des Français. Le budget des armées connaît une augmentation inédite depuis la Guerre froide : 2 % du PIB ; l'engagement du président de la République se concrétise. Les forces de gendarmerie et de police seront également renforcées : rappelez-vous les 13 000 postes supprimés entre 2007 et 2012.

Ne sacrifions pas l'avenir au présent : c'est un devoir vis-à-vis des générations futures. On peut croire au progrès comme l'ingénieur Cyrus Smith, le héros de Jules Verne ; on peut croire aussi, comme Clifford D. Simak que l'humanité sera un jour une légende racontée par les chiens...

Parlementaires, nous devons accompagner les changements à venir. L'Agence internationale de l'énergie prévoit qu'en 2040, un véhicule sur deux dans le monde sera électrique.

La sagesse du Sénat doit être au service de l'intérêt général et de la Nation. Nous resterons attentifs à ce que de nouvelles mesures ne viennent pas sacrifier l'avenir. Nous veillerons à ce que l'environnement soit pris en compte : 50 000 personnes meurent chaque année de la pollution de l'air !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général.  - (Ironiquement) Applaudissements nourris !

M. Pascal Savoldelli .  - Les simulations montrent que le revenu moyen des ménages serait inférieur en 2016 de 1,2 % à celui de 2008. Sans les réformes fiscales intervenues entre ces deux dates, le revenu des ménages aurait été supérieur de 1,4 % en 2016.

Les effets des réformes de 2017 diffèrent selon le niveau de vie des ménages mais ont un impact quasi nul sur les inégalités de niveau de vie.

Toutes les données que je viens de citer viennent d'une note de l'Insee publiée avant-hier. Cette étude démontre que les quelques garde-fous pour freiner le développement des inégalités ont sauté en 2017 et un nouveau projet de société est à l'oeuvre depuis, violent pour les classes populaires, doux pour les entreprises et les nantis : c'est de l'ultra-libéralisme sans limite.

Dans la loi de finances pour 2013, on avait prévu de percevoir des recettes importantes avec l'impôt sur le revenu, l'impôt sur les sociétés, la TVA et la TICPE. Nous avions une prévision de remboursement de 85 milliards d'euros pour les dégrèvements d'État et près de 20 milliards pour les collectivités locales. La part de la fiscalité indirecte était déjà importante, mais dans un contexte très différent de celui d'aujourd'hui. L'impôt sur le revenu rapportera l'année prochaine 70,5 milliards, l'impôt sur les sociétés 31,5 milliards, TVA 167 milliards, TICPE 17 milliards. Par ailleurs, le montant des remboursements et des dégrèvements continue son ascension. On peut noter que 100 milliards d'euros sont fléchés vers les entreprises, 17,5 milliards vers les ménages et 13,5 milliards vers les collectivités. On constate aussi un effondrement du produit de l'impôt sur les sociétés : en quatre jours et demi, les sociétés ont fini de payer leur impôt, soit le 6 janvier de chaque année... En revanche, nous assistons à la persistance de la fiscalité indirecte avec un niveau exceptionnellement élevé de recettes de TVA, cet impôt injuste entre tous, et de fiscalité énergétique. L'État rembourse 53,5 milliards de TVA aux entreprises et affecte 36,3 milliards au CICE. On aura ni plus ni moins que 90 milliards de TVA ristournés ! Les ménages salariés et retraités y laisseront 65 milliards d'euros en ristourne aux actionnaires des entreprises ! C'est l'équivalent d'un impôt invisible de 1 500 euros par ménage et par an ! Vous offrez à nos compatriotes une sorte d'enfer fiscal, où le prélèvement se concentre sur les consommateurs. L'impôt sur le revenu est rendu moins progressif avec la CSG comme seule base dynamique.

Vous consolidez la dette sociale de la Cades et imposez de nouveaux droits de consommation sur l'alcool, le tabac, les boissons gazeuses et bientôt sur l'air qu'on respire !

Mon ami Éric Bocquet le disait ici il y a cinq ans lorsqu'il s'opposait à la mise en place de la contribution climat énergie : « Derrière l'article 20 se cache un nouvel alourdissement de la fiscalité indirecte pour les ménages. Le prix du plein d'essence ou de gazole, la facture de chauffage au gaz ou au fioul vont augmenter sans que les intéressés puissent y faire grand-chose. La grande remise à plat de notre système fiscal ne pourra ignorer la situation des familles contraintes d'utiliser leur véhicule personnel pour aller travailler ou dont les logements collectifs sont chauffés grâce au fioul ou au gaz. L'article 20 nous éclaire sur le sens de certaines réformes fiscales : avant deux ans, compte tenu de la montée en charge de sa composante carbone et des pleins effets du crédit d'impôt pour la compétitivité et pour l'emploi, la TICPE va se transformer en recette fiscale plus importante que l'impôt sur les sociétés. Une telle logique nous déroute quelque peu. En effet, le produit de cette hausse sera affecté non pas à la transition écologique, mais à la réduction des cotisations sociales des entreprises dans le cadre du trop fameux CICE. Les rôles sont donc clairement partagés : d'un côté, les entreprises collectent l'impôt et le facturent en dernier ressort au consommateur avant de percevoir le produit du CICE ; de l'autre, les consommateurs ont le droit de payer le tout directement ou indirectement, sans espérer autre chose qu'un hypothétique mouvement d'embauche dans le secteur privé. Nous ne pouvons évidemment que proposer la suppression de cet article qui pervertit totalement le bien-fondé de la fiscalité écologique et témoigne, une fois encore, du fait que l'approche fiscale des problèmes environnementaux n'est pas la bonne ».

J'ai jugé utile ce rappel, en ces temps où les amalgames faciles nourrissent l'antiparlementarisme et brouillent l'écoute que nous devrions avoir vis-à-vis des attentes de nos compatriotes.

Enfer fiscal pour le plus grand nombre, voilà ce que devient notre pays avec ce projet de budget !

J'entends qu'on se félicite de l'adoption du prélèvement à la source, mais il va permettre de faire 1,4 milliard d'économies sur les aides personnelles au logement. (M. Gérald Darmanin, ministre, le conteste.)

L'enfer doit bien avoir un paradis... La France est effectivement en train de devenir un paradis financier : 31,5 milliards d'impôt sur les sociétés et un peu moins de 30 milliards de fiscalité locale pèsent-ils beaucoup au regard des 100 milliards de remboursements et dégrèvements accordés aux entreprises, plus les allégements de cotisations sociales, les 34 milliards du régime des groupes et les 7 milliards de la niche Copé.

Nous ressemblons à un paradis financier pour actionnaires et individus fortunés, privés d'ISF, dotés d'un prélèvement forfaitaire et bientôt pourvus d'une exemption pour leurs donations !

C'est cette situation qui est dangereuse parce qu'elle aggrave les ressentiments déjà profonds dans notre société. Nous allons combattre cette évolution et montrer qu'une autre voie est possible face à cette politique, dont plus personne ne peut nier qu'elle est ultralibérale. Nous démontrerons les vertus de l'impôt, dès lors qu'il est juste et efficace. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)

M. Jean-Marc Gabouty .  - Le vote du budget est l'acte majeur de l'année. Replaçons-le dans le contexte historique, social et financier. L'environnement international n'a jamais été aussi perturbé : conflits au Moyen-Orient, isolationnisme des États-Unis, expansionnisme de la Chine et manque de cohésion de l'Europe... Le contexte national, c'est la dégradation de la maison France au début de ce quinquennat en termes de dette, de déficit public, de balance commerciale et de niveau de chômage. Malgré des efforts méritoires, les Gouvernements précédents n'ont pas réussi à inverser les tendances négatives de ces indicateurs.

C'est le défi de ce Gouvernement : réussir là où ses prédécesseurs ont échoué. Cela devrait conduire les opposants à plus de modestie mais aussi le Gouvernement à plus de prudence dans l'affirmation de ses certitudes.

Ce budget est de transition et de transformation : le déficit, à périmètre comparable, aurait été de 76,3 milliards d'euros soit 3,7 milliards de moins qu'en 2018.

Cette loi de finances nous inspire des satisfactions : le respect de la trajectoire de la loi de programmation des finances publiques 2018-2022, la construction budgétaire sur des hypothèses macro-économiques crédibles, le maintien des concours financiers de 40 milliards d'euros aux collectivités territoriales, une augmentation de 3 milliards du pouvoir d'achat et une baisse légère des prélèvements obligatoires.

Quelques interrogations cependant : la hausse de la TICPE, dont une petite partie seulement serait affectée à la transition énergétique et à l'Afitf. Cela gâche la pédagogie du Gouvernement et explique la grogne de nos concitoyens. La défiscalisation des heures supplémentaires m'inquiète car elle présente un effet d'aubaine et ne concerne que la moitié des salariés du secteur privé et empêche la création de 12 000 emplois par an.

Et des inquiétudes demeurent : le déficit budgétaire reste important, puisqu'il faudrait doubler l'impôt sur le revenu pour le combler ; la dette augmente, malgré les efforts. Les réductions d'effectifs dans la fonction publique sont insignifiantes, ce qui reporte à la deuxième partie du quinquennat les promesses du président de la République.

Les Français sont parmi les plus gros épargnants du monde, avec 5 100 milliards de patrimoine financier, hors immobilier. Il serait regrettable que les gains de pouvoir d'achat aillent directement vers l'épargne, à cause du pessimisme de nos concitoyens.

Le groupe RDSE ne remet pas en cause les orientations générales du Gouvernement ; nos amendements se bornent à des ajustements sans effet global. La majorité du groupe soutiendra le projet de loi de finances du Gouvernement.

M. Philippe Adnot .  - Un budget dont la plupart des missions seront adoptées est-il un bon budget ?

M. Philippe Dallier.  - Bonne question !

M. Philippe Adnot.  - Techniquement, oui, mais en fait, un bon budget est au service d'une bonne politique. Or, à travers ce budget, de vieux démons de Bercy semblent avoir pris le dessus. La suppression de la taxe d'habitation, plus que de satisfaire les promesses du président de la République, satisfait le vieux rêve de remplacer l'autonomie fiscale et financière des collectivités territoriales par des dotations qui les mettraient dans les mains de Bercy. C'est absurde et injuste, car cette suppression condamne les élus raisonnables qui n'avaient pas augmenté les impôts, et favorise ceux qui les avaient augmentés. Cette décision est injuste car elle donne plus de pouvoir d'achat à ceux qui ont les revenus les plus élevés : combien d'argent en plus pour ceux qui habitent dans des hôtels particuliers ? Il eut été plus juste d'établir un abattement forfaitaire pour tous.

La TICPE est la preuve de la course aux usines à gaz. Combien de fonctionnaires faudra-t-il pour contrôler que ceux qui habitent à plus de 30 km de leur travail n'habitent pas à 29 km ? En réalité la taxe pèse sur tous ceux qui habitent loin de leur emploi et des services.

Une bonne politique aurait consisté à ne pas faire s'effondrer le marché du diesel par des annonces intempestives et plomber le marché d'occasion : le parc va vieillir encore plus. Il aurait fallu utiliser l'argent des taxes pour construire des infrastructures facilitant les alternatives : combien de postes à hydrogène en Allemagne, et combien en France ? Combien pour les bornes électriques ? Mais les taxes ne servent pas à offrir des solutions nouvelles aux citoyens en matière de transport.

Devant le « ras-le-bol » exprimé par nos concitoyens, on a l'impression d'un affolement général et donc d'un accroissement de la complexité, d'un éloignement des centres de décision, de la volonté de la technocratie de vouloir faire le bonheur des citoyens et des collectivités à leur place et souvent contre eux.

Un bon budget technique n'est pas nécessairement un bon budget politique. Je le regrette car notre pays doit relever d'énormes défis. Rien n'est fait pour corriger le déficit de notre commerce extérieur (M. Charles Revet le confirme.), pourtant il n'est pas neutre en rapport à notre déficit public qui va atteindre 100 milliards et par rapport à notre endettement de 1 000 milliards. Il serait temps de se consacrer à l'essentiel : l'accroissement de la création de richesses. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Vincent Delahaye .  - « Il y a une addiction française à la dépense publique. Comme toute addiction, elle nécessitera de la volonté et du courage pour s'en désintoxiquer ». Ainsi parlait le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale.

Au regard de ce budget, la volonté et le courage semblent manquer avec pour résultat un État obèse écrasant l'activité économique par sa gloutonnerie fiscale.

Cette situation fait de la France le dernier de la cordée européenne. Pour preuve, depuis une semaine, nous vivons à crédit - seules la Pologne et la Roumanie font pire. Si nous n'étions pas seuls dans cette situation, cela irait, mais neuf pays de l'Union européenne sont excédentaires, et pas seulement l'Allemagne !

Maîtriser les dépenses ne suffit pas, il faut les réduire. Il faut le faire, et pas seulement le dire.

M. Gérald Darmanin, ministre.  - Vous proposez quoi ?

M. Vincent Delahaye.  - Vous verrez en cours de débat quelles sont nos propositions d'économies. J'espère que vous les approuverez.

L'État dépensera 24 milliards d'euros de plus en 2019 sur 30 missions, dont 20 sont à la hausse et 10 seulement à la baisse. Depuis 2006, la dépense publique a augmenté de 34 %, soit 300 milliards d'euros en plus ! En tenant compte de l'inflation et de la démographie, notre dépense publique serait réduite de 80 milliards, soit exactement le montant du déficit hors CICE.

Ce budget est avare d'économies : le président de la République s'était engagé à supprimer 50 000 postes durant le quinquennat : en deux ans, 6 000 postes l'ont été ; il faudra 17 ans à ce rythme... Depuis 1980, les emplois publics ont augmenté de 46 % contre une progression de la population de 23 %. Pour faire des économies, il conviendrait de réduire le périmètre de l'État. Il est temps d'agir pour alléger les dépenses et donc la fiscalité.

Souvenez-vous du mot de Clemenceau : « La France est un pays extrêmement fertile ; quand on y plante des fonctionnaires, il y pousse des impôts ». (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC)

M. Julien Bargeton.  - Et réciproquement !

M. Vincent Delahaye.  - Vous avez hérité du choc fiscal du quinquennat Hollande : 50 milliards d'impôts et de taxes supplémentaires !

M. Claude Raynal.  - Et Sarkozy ?

M. Vincent Delahaye.  - L'Insee a montré que le pouvoir d'achat des Français avait baissé de 440 euros par an entre 2008 et 2016. Cette année, vous proposez une hausse de la taxe carbone, ce qui est une supercherie et une punition. La TICPE est une taxe de rendement budgétaire et pas une taxe écologique, car 38 milliards d'euros sont reversés au budget général contre 7 milliards d'euros à la transition énergétique.

Son côté incitatif est faible, voire nul, et aucune solution alternative n'est prévue pour nos concitoyens. Personne n'est dupe de cette tromperie qui suscite la colère des Français, gilets jaunes ou pas.

Les dépenses d'aujourd'hui sont les impôts de demain. Le montant des impôts et des taxes collectés dépasse les 1 000 milliards d'euros. La France bat deux records : c'est le premier pays de l'Union européenne pour les impôts et les taxes et de l'OCDE pour les dépenses publiques, et le dernier pays à atteindre le jour de libération fiscale : nous commençons à gagner de l'argent le 27 juillet, avant, c'est pour l'État et la sécurité sociale.

Le budget est-il sincère ? Oui et c'est un progrès. Prudent ? Oui, mais peut mieux faire. Économe ? Non, et il faut changer cela, sans faire que la révolte fiscale ne gronde de plus en plus fort. (Applaudissements sur les bancs des groupes UC et Les Républicains)