Lutte contre la manipulation de l'information (Nouvelle lecture - Procédure accélérée)
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture de la proposition de loi et de la proposition de loi organique, adoptées par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatives à la lutte contre la manipulation de l'information. Il a été décidé que ces deux textes feraient l'objet d'une discussion générale commune.
Discussion générale commune
M. Franck Riester, ministre de la culture . - La manipulation de l'information constitue une menace pour nos démocraties. L'élection présidentielle brésilienne a illustré l'utilisation qui peut être faite des réseaux sociaux pour diffuser massivement et rapidement de fausses informations. Avant les Midterms aux États-Unis, Twitter a supprimé des milliers de comptes automatiques, prétendument démocrates, qui incitaient à l'abstention. Cette nuit encore, Facebook a bloqué des centaines de comptes étrangers soupçonnés d'ingérence.
Les fausses informations brouillent les frontières entre le vrai et le faux, sapent la confiance dans l'information et menacent, à terme, la stabilité de nos démocraties. Elles nous intiment d'agir. L'Assemblée nationale s'est saisie du sujet avec ces propositions de loi que le Gouvernement soutient. Un débat au Sénat en première lecture les aurait enrichies... Je respecte votre décision, mais la regrette, car il serait dangereux de ne rien faire.
J'entends vos débats, légitimes, contre le référé judiciaire mais son contenu a été explicitement circonscrit depuis à la seule période électorale. Après le vote définitif, nous évaluerons le dispositif pour l'améliorer si besoin.
La lutte contre la manipulation de l'information est un combat au long cours ; la loi n'est pas la seule réponse que nous apportons.
La défense d'une presse pluraliste de qualité est notre première arme, et je salue l'appel de Reporters sans frontières pour un pacte international sur l'information et la démocratie, première pierre d'un cadre international en la matière. La France s'engage à mobiliser sur ce sujet.
Les aides au pluralisme de la presse sont sanctuarisées à hauteur de 16 millions d'euros dans le budget 2019. Nous réformerons prochainement la loi Bichet pour moderniser la distribution de la presse ; 2 millions d'euros supplémentaires seront mobilisés pour l'AFP en 2019 et nous défendons à Bruxelles un droit voisin au bénéfice des éditeurs de presse.
Les débats à l'Assemblée nationale ont fait apparaitre un consensus sur la déontologie de la presse. La mission confiée à Emmanuel Hoog fera des propositions concrètes dès janvier 2019, afin de restaurer la confiance entre les Français et les médias.
L'éducation aux médias a vu sa place renforcée dans la proposition de loi ; elle deviendra un élément obligatoire des programmes scolaires. Le ministère de la Culture double sa participation financière, et financera un grand programme de service civique pour l'éducation aux médias.
N'attendons pas une réponse européenne qui tarde à venir. La France a toujours été pionnière en matière de régulation, elle se bat pour la taxation des GAFA, pour la protection numérique du droit d'auteur, pour une lutte efficace contre les discours de haine sur Internet. Donnons l'impulsion, expérimentons, inspirons les réponses européennes.
Certes, chère Catherine Morin-Desailly, l'Union européenne représente la bonne échelle de régulation - je pense notamment à la directive e-commerce. Mais nous ne devons pas rester inactifs à l'échelon français. Les instances européennes pourront s'inspirer de notre exemple. Les initiatives récentes au niveau européen convergent d'ailleurs avec nos ambitions. Le 25 octobre 2018, la résolution relative à l'affaire Cambridge Analytica a été adoptée par le Parlement européen ; le 26 septembre, la Commission a publié un code de bonnes pratiques destiné aux plateformes, mais sans objectif mesurable ni caractère contraignant...
Il serait dangereux de s'en remettre naïvement à l'autorégulation des plateformes. Facebook a récemment renforcé l'information sur la provenance des articles partagés sur son réseau. Ces initiatives vont dans le bon sens. Les plateformes numériques prennent conscience de leur responsabilité sociétale et démocratique et de l'urgence à agir. Elles reconnaissent le bien-fondé d'une transparence sur les contenus d'information sponsorisés, notamment en période électorale.
Avec ce texte, nous l'inscrivons dans la loi. L'internaute sera informé de l'utilisation de techniques publicitaires pour promouvoir un contenu ; le montant du sponsoring sera rendu public et les pouvoirs publics pourront mieux veiller au respect des règles de financement électoral.
Nous inscrivons dans la loi un devoir de coopération des plateformes, avec un cadre de régulation basé sur la responsabilisation, souple et exigeant, différent de celui qui s'applique aux médias traditionnels. Les propositions de loi optent pour un dispositif de co-régulation : choix des modalités pour lutter contre les fausses informations, obligation de rendre compte au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA). On évite ainsi à la fois la propagation de la désinformation mais aussi l'émergence d'une censure privée, opaque et arbitraire.
Tout géants qu'ils soient, les GAFA ne sauraient échapper à la régulation. Internet est un espace public, soumis à des règles. Je connais l'engagement de la présidente Morin-Desailly et de votre commission de la culture, pour que nous prenions en main notre destin numérique ; vous avez toujours défendu votre souveraineté numérique, y compris dans le cadre des marchés publics. Merci de votre engagement.
Protéger nos concitoyens, protéger leur liberté, tel est l'objectif de ces propositions de loi, que j'aurais souhaité voir le Sénat examiner.
Je veux croire que le projet de loi de réforme de l'audiovisuel que je défendrai l'année prochaine nous permettra de renouer le fil d'un dialogue fructueux. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM ; Mme Colette Mélot applaudit également.)
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication sur la proposition de loi . - Je félicite notre nouveau ministre de la culture et lui souhaite toute réussite dans ses fonctions.
Le 26 juillet, le Sénat a adopté à la quasi-unanimité une motion tendant à opposer la question préalable à ce texte. Réunie le 26 septembre, la CMP n'a pu logiquement aboutir à un accord et l'Assemblée nationale a adopté le texte le 9 octobre en nouvelle lecture.
Le Sénat est conscient du danger que fait peser la manipulation de l'information sur nos sociétés ; la question fait consensus.
Ce phénomène est issu d'une composante ancienne, la médisance, la diffamation. Il est difficile, comme en témoigne une large jurisprudence bâtie autour de la loi de 1881, de faire la part des choses entre liberté d'expression, volonté de nuire, simple erreur.
Le débat à l'Assemblée a montré la difficulté de définir une fausse information. Le problème tient à une nouvelle composante : la capacité des réseaux sociaux à amplifier massivement ces discours.
Le rapport du centre d'analyse, de prévision et de stratégie du ministère de l'Europe et de l'Institut de recherche stratégique de l'École militaire, présenté à la conférence des ambassadeurs le 28 août 2018, confirme le lien entre manipulation et intérêt commercial. Il rappelle que les manipulations commerciales peuvent avoir des effets politiques bien réels, et que les manipulations politiques peuvent faire gagner de l'argent aux médias, aux plateformes, voire à des adolescents macédoniens.
Coexistent donc une logique ancienne et une réalité nouvelle.
Aujourd'hui se tiennent les Midterms américains. Fin juillet, Facebook annonçait avoir détecté une campagne d'influence et lancé une « course aux armements » pour contrer les manipulations.
Le candidat élu au Brésil ne disposait que d'un accès limité aux médias traditionnels ; il a gagné, sans débat télévisé, grâce à une campagne sur internet, sans crainte de contradiction. Beaucoup de Brésiliens sont d'ailleurs persuadés que ses propos virulents sont eux-mêmes des « infox ».
Bref, nous sommes entrés dans l'ère de la post-vérité. Nul, au Sénat, ne sous-estime la gravité du phénomène.
Nous assistons à une prise de conscience au niveau mondial. L'opinion est de plus en plus sensibilisée à l'influence des plateformes. Le rapport du 20 septembre sur la lutte contre le racisme et l'antisémitisme en ligne propose un statut particulier « d'accélérateur de contenus », que j'approuve pleinement.
Facebook a créé une salle de crise pour les Midterms, d'autres plateformes ont signé le code de bonnes pratiques contre la désinformation, dans la perspective notamment des élections européennes de 2019. La Commission européenne fera une évaluation en décembre. Mariya Gabriel, commissaire chargée du numérique, insiste sur la transparence des publicités politiques sponsorisées, la démonétisation des contenus visant à désinformer, la réduction des faux comptes et des bots, la promotion des outils à destination des citoyens.
Difficile, cependant, de faire confiance à l'autorégulation du secteur. De nombreuses plateformes cherchent à se refaire une virginité.
Le Sénat ne refuse pas de voir la réalité en face, au contraire ! Mais évitons d'apporter une simple réponse de circonstance avec un texte potentiellement dangereux pour la liberté d'expression - M. Frassa y reviendra.
Nous devons agir à plusieurs niveaux, et travaillerons avec vous, monsieur le ministre, sur les projets de texte que vous avez cités, en attendant un travail collégial au niveau européen. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UC et sur plusieurs bancs du groupe SOCR)
M. Christophe-André Frassa, rapporteur de la commission des lois sur la proposition de loi organique et rapporteur pour avis sur la proposition de loi . - En première lecture, je vous avais invités, avec la commission de la culture, à rejeter ces textes par l'adoption de deux questions préalables, la nouvelle procédure de référé nous apparaissant inaboutie, inefficace et potentiellement dangereuse.
Le Sénat ayant massivement rejeté ce texte - 288 voix contre 31 -, je pensais, naïvement, que le Gouvernement et l'Assemblée nationale cesseraient de s'entêter. Mais, on le sait depuis saint Augustin, « Humanum fuit errare, diabolicum est per animositatem in errore manere » (Sourires et marques d'admiration) et le texte nous revient inchangé sur le fond, malgré les 23 amendements adoptés par l'Assemblée en nouvelle lecture - sur un texte non modifié par le Sénat.
En particulier, l'Assemblée a tenté de donner une portée plus opérationnelle à la définition des fausses informations susceptibles de donner lieu à référé. Elle a également créé une voie d'appel, la cour d'appel se prononçant dans les 48 heures suivant sa saisine.
Reste que les textes demeurent inaboutis, et je vous proposerai à nouveau de les rejeter en adoptant une question préalable.
À la suite de la publication des « Macron Leaks » pendant la campagne électorale de 2017, la Commission de contrôle de la campagne électorale avait demandé aux médias de ne pas diffuser des données obtenues frauduleusement. La publication de fausses nouvelles ayant eu pour effet de fausser un scrutin électoral est réprimée par l'article L. 97 du code électoral. La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse permet également de réprimer les propos sciemment erronés, diffamatoires, injurieux ou provocants. Enfin, la loi de confiance dans l'économie numérique de 2004 aurait pu être renforcée. Mais cet arsenal n'a pas été utilisé : le Gouvernement et l'Assemblée nationale ont préféré créer ex nihilo un dispositif bancal, la définition des fausses informations ayant été plusieurs fois modifiée, en commission puis en séance...
L'Assemblée nationale est encore revenue sur le texte en nouvelle lecture. Malgré l'avis de la rapporteure de sa commission des lois, Naïma Moutchou, le Gouvernement a souhaité conserver le droit commun de quinze jours pour le délai d'appel. Quelle précipitation, quelle impréparation !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. - C'est vrai !
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - Ces textes seront inefficaces contre les vraies menaces. Attaquons-nous plutôt aux racines du symptôme, interrogeons-nous sur les raisons du complotisme, de la défiance envers les élites politiques et intellectuelles. Je doute que la réponse répressive soit la plus efficace contre ceux qui tentent de décrédibiliser la parole publique.
Les manipulations de l'information sont clandestines. Elles ne sont évidentes ni pour le public ni pour les victimes. Elles ne peuvent donc être appréhendées par un dispositif judiciaire exigeant de rapporter la preuve contraire et a priori des allégations proférées.
Comment les contrer en 48 heures ? Le juge des référés est celui de l'évidence. Y a-t-il tromperie des électeurs en cas d'allégation manifestement erronée ou outrancière ?
Vous parlez, monsieur le ministre, d'un premier pas vers la responsabilisation des plateformes. Mais seule une régulation européenne sera efficace, pas un dispositif franco-français. Votre solution inefficace risque en outre de porter atteinte à la tradition française de liberté d'expression en matière politique.
Car ces textes risquent bien d'être instrumentalisés au détriment de la liberté d'expression. Sera concernée toute allégation, même satirique ou parodique, « de nature » à altérer la sincérité d'un scrutin à venir. Quid de l'intention de celui qui diffuse l'information ?
Le texte permet à n'importe qui de saisir le juge des référés : c'est une porte ouverte aux instrumentalisations !
Comment le juge des référés pourrait-il, en 48 heures, établir a priori l'altération d'un scrutin qui n'a pas eu lieu ? Le juge judiciaire et le juge électoral pourraient se contredire. Quid alors de la sincérité du scrutin, de la légitimité du gagnant ? Il y a bien là un danger démocratique.
La Sénat est attaché aux libertés fondamentales ; c'est pourquoi je vous propose d'adopter la question préalable. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC)
Exception d'irrecevabilité
Mme la présidente. - Motion n°2, présentée par M. Kanner et les membres du groupe socialiste et républicain.
En application de l'article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat déclare irrecevable la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, relative à la lutte contre la manipulation de l'information (n°30, 2018-2019).
Mme Sylvie Robert . - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) Félicitations, monsieur le ministre, pour votre nomination. Les chantiers qui vous attendent sont nombreux. La lutte contre les fausses nouvelles en est un. La réponse juridique que vous y apportez ne nous semble pas efficace. C'est pourquoi, comme en première lecture, notre groupe défend cette motion.
La liberté d'expression est un droit fondamental mais pas absolu, conformément à la Déclaration des droits de l'homme de 1789 : la libre communication des pensées et des opinions est l'un des biens les plus précieux de l'homme, mais liberté d'opinion et d'expression reposent sur une éthique de responsabilité.
Notre droit positif repose sur cet équilibre entre consécration de la liberté d'expression et répression de ses abus - équilibre que rompt ce texte. Le Conseil constitutionnel rappelle que la liberté d'expression et de communication est d'autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l'une des garanties du respect des autres droits et libertés : elle est un droit éminemment ordonnateur.
Or ces textes portent des entraves disproportionnées aux libertés d'expression, d'information et de la presse, d'autant que les « fausses informations » que vous pénalisez ne sont même pas clairement définies ! Dès lors, comment caractériser clairement des infractions pénales ? Attention à ne pas ouvrir la boîte de Pandore, en offrant des instruments qui pourraient être détournés à des fins non démocratiques.
Nous devons être prudents et ne pas insulter l'avenir. Or vos solutions sont constitutionnellement chancelantes.
Ainsi, le texte risque de porter atteinte à la liberté du commerce et de l'industrie ainsi qu'à la liberté d'entreprendre. L'obligation de transparence imposée aux plateformes en période électorale est justifiée, selon le Conseil d'État, par la nécessaire « information éclairée des citoyens », mais celle-ci n'est pas définie ; on risque une condamnation de la Cour de justice de l'Union européenne.
Des médias pourraient être privés d'une exposition « juste et équitable » par le juge des référés ou par décision unilatérale du CSA. Sans parler de la disparité de traitement entre services conventionnés, inclus dans le champ d'application de la proposition de loi, et services autorisés, diffusés par voie hertzienne, hors périmètre du texte de loi. Encore une rupture d'égalité manifeste en termes de libre concurrence.
La faculté de résiliation unilatérale de la convention par le CSA interroge. Le Conseil constitutionnel a censuré des dispositions conférant un pouvoir de sanction disproportionné à une autorité administrative indépendante. Depuis 2008, grâce à un amendement des sénateurs socialistes, le législateur a compétence pour les règles relatives au pluralisme et à l'indépendance des médias ; veillons à ne pas entrer dans le champ de l'incompétence négative.
Les sources de contentieux pourraient être multiples compte tenu du flou de nombreuses dispositions ; la notion de « fausses informations », le coeur même du texte, n'a pas été définie.
Il y a danger à légiférer sans prendre le temps sur un sujet aussi sensible. Sophocle disait : « Pour agir avec prudence, il faut savoir écouter ». J'espère que vous saurez écouter le Sénat. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR et sur quelques bancs des groupes RDSE et UC)
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Une motion identique a été rejetée en première lecture car son adoption aurait pour effet d'interrompre la discussion. Notre commission y est donc défavorable, même si je reconnais la pertinence de certains de vos arguments. Nous vous proposerons une question préalable à l'issue de la discussion générale.
Mme Annick Billon. - Très bien.
M. Franck Riester, ministre. - Le Gouvernement souhaite que le débat ait lieu. Dans son avis, le Conseil d'État n'a pas soulevé de question d'inconstitutionnalité. Avis défavorable.
La motion n°2 n'est pas adoptée.
Discussion générale commune (Suite)
M. David Assouline . - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) Le Gouvernement sollicite à nouveau le Sénat après l'échec en CMP mais l'essentiel a été dit en première lecture. Le Sénat n'a pas été entendu. Vous vous acharnez à faire passer coûte que coûte un texte promis par le président de la République, malgré les alertes des spécialistes, notamment des journalistes, malgré son inutilité, voire sa dangerosité.
Aucun travail transpartisan n'a été mené, aucun consensus n'a été recherché. Votre propre parti, monsieur le ministre, a voté contre en première lecture !
L'ampleur du danger nécessitait d'autres réponses, que vous avez énumérées d'ailleurs, qui ne sont pas dans la loi : éducation aux médias, pacte international, décisions au niveau européen... Les plateformes agissent déjà en bloquant des comptes. Cette loi ne changera rien !
Nous avons l'habitude d'étudier le fond des textes et de les améliorer. Si tout le Sénat refuse la discussion, c'est que le danger est réel : laisser croire qu'avec ce texte, on luttera efficacement contre les fausses informations. Celles-ci n'apparaissent pas dans le mois qui précède l'élection, mais bien avant !
Le référé donnera au juge 48 heures - quatre jours avec l'appel - pour faire retirer un contenu. C'est dérisoire, d'autant que sa décision devra être bordée par moult critères. En cas de doute, de flou, le juge préférera ne pas retirer lesdites informations, qui pourront ainsi être légitimées aux yeux du public, tout comme celles qui n'auront pas fait l'objet d'une saisine.
Bref, cette proposition de loi est aussi inutile que dangereuse. Au Brésil, des industriels ont acheté et diffusé des centaines de milliers de messages automatiques sur WhatsApp. Comment les contrer ? Ces messages sont dupliqués à l'infini !
Cette loi ne répond pas au problème, bien posé par le directeur du journal Le Monde : il faut d'abord se demander pourquoi les citoyens sont disposés à croire de fausses informations - donc se poser la question des valeurs qui animent notre débat public.
Aujourd'hui, des informations avérées, vérifiées, sont contestées et prétendues fausses, du seul fait qu'elles émanent du camp politique adverse. Des Brésiliens vont jusqu'à dire que le nouveau président brésilien n'a jamais tenu de propos homophobes ou misogynes - pourtant avérés ! C'est le rapport à la vérité qui est en cause.
Donald Trump a prétendu que la pluie s'est arrêtée lorsqu'il a pris la parole lors de son investiture. C'est faux ! Il a dit qu'il y avait plus de monde à son investiture qu'à celle de Barak Obama : c'est encore faux ! Mais on le croit...
Ce texte donne l'illusion de combattre ce phénomène, alors qu'il ne le fait pas. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)
Mme Mireille Jouve . - Le 26 septembre, sénateurs et députés ont constaté leur profond désaccord en CMP. Le 9 octobre, la chambre basse n'a que légèrement modifié son texte initial, sans prendre en compte les demandes constructives du Sénat.
Personne ne nie l'importance de préserver le débat public des fausses informations, et le Sénat s'y emploie : des sénateurs de tous bords, autour de la présidente Morin-Desailly, ont déposé une proposition de résolution européenne sur les obligations des hébergeurs, votée par une très large majorité.
Nous ne prétendons pas que l'arsenal juridique existant soit suffisant, ou que l'éducation aux médias ne soit pas un enjeu central. Mais nous ne nous retrouvons pas dans ce texte.
Le juge des référés ne pourra pas apprécier la fausseté d'informations en 48 heures, ni le caractère artificiel ou automatisé de leur diffusion.
En cas de flagrance, le dispositif est inutile. Sans flagrance, si le juge, par prudence, ne se prononce pas, il légitimera l'information diffusée...
Quant aux dispositions sur l'éducation aux médias, celles que le Sénat avait introduites en 2011 n'ont toujours pas été appliquées.
Nous nous félicitons de la mission confiée à Emmanuel Hoog, mais le combat est à mener au niveau européen.
Le groupe RDSE renouvellera donc son abstention sur les deux motions déposées par les commissions de la culture et des lois. Nous sommes par principe favorables au débat mais pour reprendre les propos de Philippe Bas, ces textes ne sont pas améliorables. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE et sur quelques bancs du groupe UC)
M. Stéphane Ravier . - Une pensée pour les victimes des récents effondrements d'immeubles à Marseille - j'espère que le bilan déjà dramatique de deux morts ne s'alourdira pas.
On dit et on lit tout sur les fake news. Dans l'ancien monde, on les appelait des racontars - ils n'ont pas empêché Emmanuel Macron d'être élu, à moins qu'ils ne lui aient permis d'être élu... Qui sait ?
D'après une étude du CNRS et de l'École des hautes études en sciences sociales (Ehess), 0,081 % des tweets relaient de fausses informations : il y a davantage de rumeurs et de manipulations dans Libération ou dans L'Humanité ! C'est peut-être que les politiques hésitantes mais toujours contraignantes du Gouvernement, déboussolent nos compatriotes qui n'accèdent pas à l'esprit complexe, pour ne pas dire tourmenté, d'Emmanuel Macron, et que fort de ce constat, certains sont tentés de penser que la vérité est ailleurs...
Ce texte participe de la dérive liberticide d'un pouvoir déjà à l'agonie : fermeture de réseaux sociaux aux militants qui ne pensent pas « comme il faut », persécution des partis d'opposition par les tribunaux médiatiques, de Fillon à Mélenchon en passant par Marine Le Pen.
Il est déjà possible de réprimer la diffamation. Que faut-il de plus ? Ce texte, en muselant l'information, rappelle furieusement les années trente. Je crains que l'habitude ne soit prise de museler le peuple et son droit de défendre ses aspirations profondes - aujourd'hui sa volonté de tourner la page de ce « nouveau monde », lequel est le plus grand fake politique du siècle ! Il est légitime que le peuple aspire à un réel changement quand vous vous contentez de coups de communication pour tenter de sauver l'ultra libéralisme et l'impérialisme de Bruxelles.
Pour répondre à une fake news lancée en son temps par François Mitterrand et reprise par Emmanuel Macron : non, le nationalisme, ce n'est pas la guerre ! Il n'est pas à l'origine des première et seconde guerres mondiales. C'est la finance apatride et l'impérialisme. Rétablissons plutôt l'échange contradictoire des points de vue et ne touchons pas à la liberté d'opinion, terreau indispensable des libertés démocratiques.
Mme Colette Mélot . - Lors des dernières élections présidentielles au Brésil, 100 000 comptes WhatsApp ont inondé le réseau de messages de soutien à Jair Bolsonaro. C'est illégal mais efficace. La propagande politique est vieille comme le monde. Mais depuis 2014, les ingérences répétées qui se sont produites en Ukraine, en Allemagne, aux Pays-Bas, en Grande-Bretagne et aux États-Unis ont prouvé que les démocraties occidentales, même les plus grandes, n'étaient pas intouchables - la tentative d'ingérence dans l'élection présidentielle française de 2017, nous a fait prendre plus concrètement conscience de notre vulnérabilité.
La diffusion des fake news est rendue possible par les réseaux sociaux et par la défiance à l'égard de nos élites. Une idée fausse, mais claire et précise, aura toujours plus de puissance dans le monde qu'une idée vraie, mais complexe, disait Alexis de Tocqueville à l'époque où les fausses informations circulaient encore à la vitesse des machines à vapeur. La généralisation des réseaux sociaux et des pratiques de sponsoring change la donne. Un quart de seconde suffit pour qu'une théorie complotiste traverse l'Atlantique.
Il est nécessaire d'agir ; le Sénat, le 26 juin, a mollement rejeté ce texte au lieu de l'amender. Notre groupe s'y est opposé. Le droit en vigueur est impuissant : la loi de 1881 date, justement, d'une époque où il n'y avait ni réseaux sociaux ni plateformes numériques. Il faut pouvoir priver les réseaux sociaux de la possibilité de faire dérailler une élection. N'attendons pas que le droit européen, qui a sa force d'inertie, évolue.
L'information est un enjeu et un instrument de pouvoir, sa manipulation un venin pour notre démocratie. La contribution de notre chambre aurait été d'autant plus importante que le sujet est sensible. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Indépendants ; M. André Gattolin applaudit également.)
M. André Gattolin . - Bis repetita. Nous revoici, devant ce texte contre la manipulation des informations. C'est le cours normal de la procédure législative et c'est très bien ainsi.
L'Assemblée nationale a modifié le texte en introduisant une procédure d'appel de la décision du juge des référés. Monsieur le ministre, vous avez annoncé la création prochaine d'un Conseil de déontologie des journalistes pour émettre des avis, qui seront utiles au juge des référés.
Mais, bis repetita, le Sénat dépose des questions préalables plutôt que d'amender les textes, en prétextant un danger pour la liberté d'expression. Bis repetita non placent, ces manoeuvres dilatoires ne nous séduisent guère.
Le rapporteur de la commission des lois affirme que le dispositif proposé manque sa cible, c'est son avis, seulement son avis. Mais trop souvent, l'argutie insidieuse remplace l'argumentation rationnelle. Méfions-nous de ceux qui prétendent détenir la seule vérité.
« Dans un monde réellement renversé, le vrai est devenu un moment du faux » écrivait Guy Debord. Nous n'en sommes pas là, mais les récentes élections montrent que le faux est désormais un moment de vrai.
L'argument de la précipitation, après six mois de procédure, commence à avoir bon dos. Rappelons que les textes ont été déposés mi-mars...
Celles et ceux qui rejettent ce texte en disant qu'il vaudrait mieux investir dans l'éducation aux médias ne se sont pas toujours mobilisés lorsque les moyens qui y étaient consacrés diminuaient...
On ne peut pas non plus s'en remettre à l'autorégulation. En vérité, on s'informe de moins en moins et on est de plus en plus informé par le biais de techniques qui s'imposent à nous. C'est un changement de paradigme qui nuit à la liberté de l'information. C'est pourquoi le groupe LaREM votera contre cette motion.
M. François Bonhomme. - Quel courage !
M. Pierre Ouzoulias . - Le président de la République, le 3 janvier, a déclaré qu'il voulait une loi avant la fin de l'année contre les fausses informations. Le Gouvernement a fait le choix d'une proposition de loi en procédure accélérée, évitant l'évaluation gênante des conséquences. Il est pourtant périlleux de se hâter dans des matières si délicates qui, parce qu'elles touchent aux fondements de notre démocratie, appellent de la concertation et de la circonspection.
L'Assemblée nationale a ficelé une proposition de loi d'initiative présidentielle, ensuite rafistolée, que votre ancien groupe, monsieur le ministre, a rejetée - vous-même n'avez pas voté... Sans rien écouter des réserves de fond émises à l'intérieur et à l'extérieur du Parlement, votre Gouvernement a décidé de poursuivre l'examen de ce texte, « à la hussarde ».
Le Sénat ne refuse jamais de débattre d'un texte et de l'amender. Le rejet rarissime du texte par les deux commissions concernées s'explique par un contenu inopérant et liberticide. La rapporteure de la commission des lois de l'Assemblée nationale a été sévère pour le Sénat, qu'elle a accusé de ne pas jouer le jeu et de faire un « choix de posture », alors que le rapporteur de la commission de la culture de l'Assemblée nationale a repris, volens nolens, certains de nos arguments.
La loi de 1881 permet déjà de réprimer la diffusion de nouvelles fausses : son article 27 dispose que « la publication, la diffusion ou la reproduction, par quelque moyen que ce soit, de nouvelles fausses, de pièces fabriquées, falsifiées ou mensongèrement attribuées à des tiers lorsque, faite de mauvaise foi, elle aura troublé la paix publique, ou aura été susceptible de la troubler, sera punie d'une amende de 45 000 euros ».
La place de l'adjectif a un sens : pour le législateur de 1881, le critère fondamental est l'intentionnalité, établie par l'expression de « nouvelles fausses » par opposition aux « fausses informations » que vous visez, alors qu'elles peuvent être produites de bonne foi. Le Conseil d'État vous a mis en garde contre l'imprécision de l'expression « fausse information ». Il a recommandé de circonscrire la cible aux cas manifestant une intention délibérée de nuire ; vous avez décidé de ne pas suivre sa recommandation. Peut-être avez-vous jugé qu'il s'agissait aussi d'un « choix de posture »...
La loi de 1881 est toujours opérante pour la presse, parce qu'elle a su trouver un compromis satisfaisant entre la défense de la liberté d'opinion et la lutte contre la diffamation. Pourquoi est-elle inefficace contre le flux des calomnies et des accusations malveillantes déversées par les plateformes des réseaux sociaux ? Parce que ces plateformes refusent d'être assimilées à ces organes de publication, de diffusion ou de reproduction visés par la loi de 1881 - et tant qu''elles refuseront toutes les responsabilités qui incombent à l'éditeur en arguant qu'elles ne font que mettre en relation des lecteurs et des producteurs de données, il n'y aura pas de solution légale pour tenter de réglementer leurs activités.
Comment croire que les plateformes s'astreindront à des règles de bonne conduite alors que leur modèle économique leur commande d'opérer au-dessus des lois ? La liberté d'expression mérite mieux que ce texte de circonstance. (Applaudissements sur tous les bancs, à l'exception de ceux du groupe LaREM)
Mme Sylvie Robert. - Très bien !
M. Michel Laugier . - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) Le 26 juillet dernier déjà, je disais qu'il n'y avait pas lieu de poursuivre l'examen de ce texte, en accord avec la plupart des professionnels interrogés. Il n'a que très peu changé.
Selon le rapport du Centre d'analyse, de prévision et de stratégie (CAPS) et de l'Institut de recherche stratégique de l'École militaire (Irsem), les fausses informations ne sont pas un phénomène nouveau. Leur activité récente est liée aux capacités rapides de viralité et à la crise de confiance que traversent nos démocraties.
Certes, la manipulation de l'information est un sujet majeur, mais ce texte n'y répond pas de manière satisfaisante.
Je ne peux donc que confirmer ce que j'ai dit devant votre prédécesseur, monsieur le ministre : ce texte est inutile, car la loi de 1881 vise déjà les délits commis par voie de presse « ou de tout autre moyen de communication ». Votre dispositif est inopérant : que vaut le retrait d'un contenu par une plateforme s'il a pu être diffusé par des millions d'utilisateurs ?
Le juge et le CSA reçoivent ici des pouvoirs qu'ils ne pourront exercer. La notion de « manipulation de l'information » étant très vague, le juge se déclarera souvent incompétent ; comment évaluer l'effet d'une information sur une élection qui n'a pas eu lieu ? Ce dispositif est dangereux. Il pourrait servir à taire certaines affaires et fait une scission entre le monde politique et le reste de la société. C'est un texte de protection des élus voté par des élus. Il fait une distinction entre les journalistes de supports print et les autres, pure players. Seuls ces derniers sont soumis au dispositif que vous nous présentez.
Le texte semble bien donc être une réaction épidermique qui ne s'attaque pas aux GAFA. Or c'est au niveau européen qu'il faut travailler ; la proposition de résolution européenne de la présidente Morin-Desailly va donc dans le bon sens.
Avant de parler de fausses informations, il faudrait garantir la diffusion des vraies - il est temps d'assurer une parfaite distribution de nos journaux et magazines, de presse écrite, sur l'ensemble du territoire, en faisant évoluer la loi Bichet.
Je ne comprends pas cet entêtement à défendre un texte injuste, discriminatoire et dangereux. Nous voterons donc les motions. (Applaudissements sur les bancs du groupe UC et sur quelques bancs du groupe Les Républicains)
M. Jean-Pierre Leleux . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) En première lecture, ces deux textes nous ont semblé présenter de sérieux risques, appelant notre rejet. En nouvelle lecture, l'Assemblée nationale n'a corrigé son texte qu'à la marge ; faute d'études d'impact préalables, ces textes sont dangereux pour la liberté d'expression. Les députés nous reprochent notre refus d'amender, mais c'est que nous ne saurions améliorer un texte dont nous rejetons le fondement - consistant à vouloir empêcher la communication d'informations au moment des élections. Les outils actuels, tels le référé de droit commun ou les procédures d'injure ou de diffamation, sont tout à fait opératoires.
L'action en référé pendant les campagnes électorales et la régulation franco-française des plateformes sont inopérantes. Nous partageons donc les buts mais pas les outils. La difficulté de caractériser la « fausse information » est apparue dès le départ et les députés de la majorité ont beaucoup souffert pour traduire la promesse du président de la République. Les rédactions successives ont bien montré l'impréparation du Gouvernement et les hésitations liées aux risques d'atteinte à la liberté d'expression.
Votre rédaction ne retient aucune intention malveillante : la satire ou la parodie pourraient être poursuivies. Une information dérangeante mais vraie pourrait être interdite, faute de preuves. Les exemples ne manquent pas de scandales politiques qui auraient pu être traités comme des fake news à leur origine...
De quels moyens le juge disposera-t-il pour se prononcer en 48 heures ? Le remède risque d'être pire que le mal. Il aboutira à une publicité malvenue.
L'extension des pouvoirs du CSA et la régulation du numérique sont décidées sans aucune concertation.
Le Gouvernement demande au juge et au CSA d'être le gardien de la vérité, positive ou négative. Seule l'Allemagne a voté un texte similaire parmi tous nos voisins européens. Les autres pays l'ont refusé, au nom de la liberté d'expression. Nous refusons cette logique de contrôle de l'information. (Applaudissements sur tous les bancs, à l'exception de ceux des groupes LaREM et Les Indépendants)
M. Franck Riester, ministre de la culture . - Je veux faire preuve d'humilité : ce texte relève d'un vaste champ d'investigation. Nous ne prétendons pas épuiser le sujet. Mais une telle proposition de loi peut se saisir d'un ou plusieurs aspects - et si nous pouvons en régler certains, c'est toujours cela de pris !
Il y a eu des auditions, le travail parlementaire a eu lieu... Vous-mêmes considérez souvent qu'il faut aller vite. Dans ce dossier, nous n'avons pas procédé « à la hâte ».
Il n'y a pas de nouvelles sanctions dans ce texte. Vous mésinterprétez l'article premier, monsieur le rapporteur : les contenus satiriques ne seront pas concernés.
Non, monsieur Frassa, tout texte national n'est pas inutile. Le Parlement français ne doit pas se résigner à ne pas aborder des sujets qui seraient mieux traités au niveau européen... Sur le piratage, nos travaux législatifs, avec Hadopi, ont fait progresser l'Europe. Nous pouvons être ses aiguillons.
Monsieur Assouline, WhatsApp et les courriers électroniques, qui relèvent de la correspondance privée, posent des problèmes, certes, qui ne sont pas traités par ce texte - qui en traite d'autres. Travaillons-y ensemble. Ce texte n'est pas limité aux périodes électorales ; il traite une pluralité de situations.
Monsieur Ravier, vos attaques régulières sont inadmissibles... Dès ma prise de fonctions, j'ai affirmé que je serai toujours du côté de la liberté de la presse. Cela n'est pas en contradiction avec la mission de M. Hoog sur la déontologie des journalistes. Oui, les nationalismes mènent à la guerre, monsieur Ravier.
Le centenaire de la fin de la Grande Guerre, avec son cortège de souffrances, devrait nous inciter à toujours le répéter : le nationalisme conduit à la guerre.
Le ministère de la culture a créé, grâce au travail des archives départementales, en lien avec les archives nationales, un Grand mémorial des Poilus, portail numérique où chacun peut consulter 9,5 millions de matricules - je l'ai testé moi-même...
M. Max Brisson. - Quel rapport avec le sujet ?
M. Franck Riester, ministre. - Je veux saluer le travail du ministère de la culture. Et redire que le nationalisme conduit à la guerre ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM ; M. Robert del Picchia applaudit également.)
M. Philippe Bas, président de la commission des lois . - Nous serions les aiguillons de l'Europe ? Non, cette idée saugrenue n'est venue à aucun de nos partenaires européens. Nous sommes donc des isolés. (Mme Élisabeth Doineau, M. Jean-Raymond Hugonet, Mmes Christine Bonfanti-Dossat et Françoise Gatel applaudissent.)
Ce texte sera inutile, mais aussi dangereux : il restreindra la liberté d'expression.
M. Max Brisson. - Très bien !
M. Philippe Bas, président de la commission. - Les hésitations qui sont apparues lors de son écriture le montrent, les difficultés sont nombreuses. Rien n'est fait, par exemple, pour coordonner juge civil et juge électoral - ce dernier pouvant considérer que la fausse information n'a pas influencé l'élection... Le juge civil n'a pas à devenir l'arbitre des élections. Bien souvent, la frontière entre le faux et le vrai n'est que la traduction d'opinions divergentes. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC ; M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)
M. Franck Riester, ministre. - Ce n'est pas parce qu'aucun pays européen n'aurait pris un tel texte, que nous devrions nous empêcher de le faire nous-mêmes : nous pouvons être pionniers, précurseurs. J'entends des arguments contre l'article premier, mais ce n'est pas le seul de ce texte, et j'aurais aimé connaître vos contre-propositions, pouvoir débattre - et que le Sénat apporte sa pierre à l'édifice, comme c'est le fonctionnement normal du Parlement. J'espère que sur l'audiovisuel, nous pourrons procéder ainsi. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et Les Indépendants)
Question préalable sur la proposition de loi
Mme la présidente. - Motion n°1, présentée par Mme Morin-Desailly, au nom de la commission de la culture.
En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, relative à la lutte contre la manipulation de l'information (n°30, 2018-2019).
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure . - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) Très solennellement, je veux rappeler que la question préalable n'est pas dans l'ADN du Sénat : nous aimons toujours débattre et améliorer les textes, quelle que soit la majorité de l'Assemblée nationale. (M. Philippe Bas, président de la commission, le confirme.)
Je sais que nous serons amenés, monsieur le ministre, à travailler ensemble ; mais sur ce texte, c'est impossible. La motion opposant la question préalable présentée en première lecture a été votée par 288 voix contre 31.
Si le constat est partagé, les solutions apportées par la proposition de loi ne le sont pas, ce que traduit la position du Sénat, sous deux aspects : d'une part, que le remède soit pire que le mal, d'autre part, que les solutions proposées ne soient que trop partielles.
L'article premier créé une procédure de référé qui présente plusieurs limites et risques. Mal calibrée, elle n'aura qu'une efficacité très réduite compte tenu de la vitesse de propagation des fausses informations dont aucune définition satisfaisante, en dépit des efforts de l'Assemblée nationale, n'a pu être trouvée.
Plus probablement, face à l'impossibilité de trancher en moins de 48 heures, le juge ne prendra pas les mesures de restrictions prévues, ce qui reviendra à décerner un brevet de respectabilité à l'information douteuse. À l'opposé, si le juge décide d'appliquer plus sévèrement le référé, il prendra le risque d'interférer dans le débat public en pleine campagne électorale, période durant laquelle la liberté d'expression est, par tradition républicaine, encore plus respectée.
De manière générale, les manipulations d'aujourd'hui sont complexes, multiformes, élaborées comme de vraies stratégies destinées à nuire, et il faut beaucoup de naïveté pour penser qu'un juge de l'urgence sera en mesure de les apprécier dans un délai si réduit.
Les faux comptes sur les réseaux sociaux sont de moins en moins détectables, des comptes bien réels peuvent être piratés. Les progrès de l'intelligence artificielle permettent des opérations de manipulation en profondeur, directement sur les forums. En un mot, le dispositif proposé, potentiellement dangereux, est probablement déjà dépassé.
Au reste, n'est-ce pas tomber dans un piège que de créer ce référé ? D'après le CAPS, « le véritable effet final recherché par les puissances étrangères à l'origine des manipulations de l'information [ne serait pas] tant de convaincre la population de tel ou tel récit que d'inciter les gouvernements à prendre des mesures contraires à leurs valeurs démocratiques et libérales ». Comment ne pas mettre ces propos en parallèle avec l'article premier de la proposition de loi, qui suscite une incompréhension si large ?
Les autres dispositions du texte, si elles prêtent moins le flanc à la polémique, n'en sont pas moins largement insuffisantes. Les nouveaux pouvoirs confiés au CSA par le titre II, des mesures qui n'ont pas été expertisées, trouveraient plutôt leur place dans la réforme de l'audiovisuel que le Gouvernement prépare depuis plusieurs mois.
La régulation des plateformes constitue bien le sujet central. La directive « e-commerce » de 2000 établit un régime d'irresponsabilité des hébergeurs qui prévient toute avancée sérieuse, comme le démontre la modestie des mesures prévues dans le texte.
Enfin, si le Sénat porte depuis longtemps un grand intérêt à la question de la formation au numérique et aux médias, et donc aux dispositions du titre III bis, des mesures très proches ont déjà été adoptées en 2011 lors de l'examen du « troisième paquet télécom » dont j'étais rapporteure. Malheureusement, sept ans plus tard, comme cela a été souligné dans mon récent rapport sur la formation à l'heure du numérique, il manque toujours un plan d'action global et stratégique. Nous y travaillons désormais de concert avec M. Blanquer, qui se montre sensible au sujet.
En nouvelle lecture, l'Assemblée nationale n'a pas fait évoluer son texte ; elle a considéré que le Sénat a pris une posture politique. Loin de là ! Nous proposons une stratégie plus efficace et plus courageuse en cette période charnière où la puissance des GAFA semble dominer nos sociétés, à la fois financièrement et culturellement. Ce modèle imposé, nous n'en voulons pas ; nous ne voulons pas d'un débat politique hystérisé, polarisé. Le premier rempart contre la désinformation, ce sont les journalistes. Nous suivrons avec intérêt les travaux de la mission que Mme Françoise Nyssen, votre prédécesseur, a confiée in extremis à Emmanuel Hoog, l'ancien président de l'AFP. Créer une autorité de déontologie de la presse, cette proposition avait été initialement faite par le président de Reporters sans frontières lors d'une table ronde au Sénat. Si cela était la solution, il aurait été utile de l'évoquer dès le début de la discussion.
Mais l'essentiel est d'agir au niveau européen. L'expérience allemande, qui n'a pas encore été évaluée, ne paraît pas convaincante en raison des risques de privatisation de la censure qu'elle fait peser. Le 27 septembre, j'ai déposé une proposition de résolution européenne sur la responsabilité partielle des hébergeurs. Quelque 87 sénateurs, de tous les bords politiques, l'ont cosignée ; la commission des affaires européennes l'a adoptée à l'unanimité, ce dont je la remercie. Nous ne pouvons pas laisser nos concitoyens, français comme européens, dépendre d'outils qu'il est si aisé de détourner de leur usage premier. Pour internet, le temps de l'innocence est achevé ; doit venir celui de la responsabilité. Ce chemin est exigeant, nous en avons pleinement conscience ; bien plus exigeant que cette aventure législative assez fruste. (Applaudissements sur les bancs des groupes UC et Les Républicains)
M. Franck Riester, ministre. - Avis défavorable.
M. David Assouline. - Le groupe socialiste votera la motion. Le principal rempart contre les fausses informations est, chacun doit le savoir et le mesurer, le travail d'une presse reconnue et pluraliste. Oui, il faut renforcer la déontologie, je suis d'accord. Il faut surtout, dans une période où l'on ne croit plus les journalistes, comme les élus d'ailleurs, arrêter d'attaquer les médias. Quand le président de la République s'en prend à eux pendant l'affaire Benalla, quand Jean-Luc Mélenchon appelle à « pourrir les journalistes », on mine le terrain démocratique. Peut-on tarir le flot des fausses informations ? On ne le peut pas sans atteindre à la vie privée. Par contre, nous jouons un rôle fondamental pour faire en sorte que les citoyens puissent à nouveau savoir où est le vrai, pour réhabiliter la raison dans le débat en cessant de l'alimenter par des violences et des caricatures.
M. Marc Daunis. - Très bien !
Mme Michèle Vullien. - Monsieur le ministre, les fausses informations pullulent, effectivement. Je lis sur internet que vous seriez ministre de la culture et de la communication de la Grèce depuis 2018 ! (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe UC)
M. Pierre Ouzoulias. - Félicitations, c'est un beau pays !
M. Max Brisson. - Nous ne devons toucher à nos libertés que d'une main tremblante. Les lois qui encadrent notre liberté d'expression ont été écrites patiemment, elles n'ont jamais été des lois de circonstance, sauf au pire moment de notre histoire. Ne pensez-vous pas qu'il y a 100 ans, il n'existait pas de fausses nouvelles ? Des journaux tirant à des milliers d'exemplaires les diffusaient ; une édition le matin, une édition le soir, vendues par des vendeurs à la criée... Ne pensez-vous pas que les puissances étrangères ne cherchaient pas à interférer dans notre vie politique ? La grande peur de l'été 1789 n'a pas eu besoin d'internet. Les grandes lois de la IIIe République ont cherché à protéger les libertés avant de les encadrer. En votant la question préalable, le Sénat s'inscrit dans cette tradition pour que la France reste un pays de libertés. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC)
M. Philippe Bas, président de la commission. - Bravo !
M. Pierre Ouzoulias. - Monsieur le ministre, vous nous avez écoutés ; cela constitue déjà un changement de taille par rapport à votre prédécesseur. (Sourires) Merci ! Si la procédure accélérée n'avait pas été utilisée, vous auriez passé davantage de temps au Sénat, et je suis persuadé que nous serions tombés d'accord pour, ensemble, abandonner cette proposition de loi. (Sourires et applaudissements sur les bancs du groupe CRCE et sur quelques bancs des groupes SOCR et UC)
À la demande du groupe SOCR, la motion n°1 tendant à opposer la question préalable sur la proposition de loi est mise aux voix selon l'article 56 du Règlement du Sénat.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°8 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 320 |
Pour l'adoption | 289 |
Contre | 31 |
Le Sénat a adopté.
Mme la présidente. - En conséquence, la proposition de loi est rejetée. (Applaudissements)
Question préalable sur la proposition de loi organique
Mme la présidente. - Motion n°1, présentée par M. Frassa, au nom de la commission.
En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi organique, adoptée par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, relative à la lutte contre la manipulation de l'information (n°29, 2018-2019).
M. Christophe-André Frassa, rapporteur de la commission des lois sur la proposition de loi organique . - Monsieur le ministre, votre ralliement récent à ces deux textes m'amène à faire deux observations. D'abord, des débats, il y en a eu. Pour preuve, nous discutons de ces textes depuis deux heures et demie. Chacun a pu exprimer sa position, vous avez dit quelle était la vôtre, nous vous avons donné la nôtre. Nombreuses ont été les auditions à la commission de la culture et à la commission des lois. Tous nos interlocuteurs l'ont dit : ces textes visent à côté de la cible, ils sont dangereux par les mesures qu'ils veulent mettre en place et ne sont pas aboutis. Il ne revient pas au Sénat d'élaborer une étude d'impact ou de réécrire intégralement un texte, surtout lorsqu'il s'agit d'une proposition de loi qui fait l'objet d'une procédure accélérée...
M. Philippe Bas, président de la commission. - Évidemment !
M. Christophe-André Frassa, rapporteur sur la proposition de loi organique. - Ma seconde observation porte sur votre récent ralliement à ce texte. Mirabeau...
M. Philippe Bas, président de la commission. - Que d'érudition à la tribune cet après-midi !
M. Christophe-André Frassa, rapporteur sur la proposition de loi organique. - ... un jour où Louis XVI se plaignait de ce que les Jacobins étaient turbulents et, comme on le disait à l'époque, « lui mettaient la pression », (Sourires) donna ce conseil au roi : « Sire, nommez plus de Jacobins : plus ils seront ministres, moins ils seront Jacobins ». (Sourires) En juin 2018, vous déclariez que si les fake news étaient un problème, cette loi ne le résoudrait pas. Nous en sommes d'accord et ajoutons que nous ne pouvons pas accepter les menaces qu'elle fait peser sur la liberté d'expression et la liberté d'informer. Renforcer l'éducation aux médias, appeler à la vigilance de chacun eut mieux valu que cette loi bricolée.
La Commission européenne et le Conseil de l'Europe appellent à une action politique concertée sur les plateformes, mettent en garde contre le risque de censure. Certes, ce n'est pas parce que personne n'a légiféré sur le sujet que nous ne pourrions pas le faire. Du reste, les Allemands ont légiféré mais se sont bien gardés d'aller dans le domaine de la loi électorale.
Portalis, qui veille sur nos débats, conseillait, dans son discours préliminaire au Code civil, d'être « sobre de nouveautés en matière de législation » parce que, disait-il en substance, il est possible de calculer les avantages théoriques d'une nouvelle disposition mais non de connaître tous les inconvénients que la pratique seule peut découvrir. Fort de cette recommandation, je vous invite à voter la motion portant question préalable.
M. Franck Riester, ministre. - Avis défavorable.
M. David Assouline. - Rejeter cette loi, ce n'est pas nous laisser démunis contre les fausses informations. Il existe une loi ancienne sur la presse, le code pénal, un droit de l'internet - que nous avons créé avec la loi pour une République numérique.
Nous ne savons pas ce qui se fait à l'étranger ? Faux encore. L'Allemagne est le seul pays comparable au nôtre à avoir légiféré. De ce texte, elle attendait 20 000 plaintes, il y en a eu 200 seulement. Elle se demande s'il ne faut pas faire marche arrière. Les autres pays à avoir légiféré sont la Russie, la Chine... Sous couvert de lutte contre les fausses informations, ces pays musellent la liberté d'expression. Cette loi est dangereuse, pensez à l'utilisation qu'en feraient des antidémocrates s'ils venaient au pouvoir en France.
La motion tendant à opposer la question préalable sur la proposition de loi organique est mise aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°9 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 320 |
Pour l'adoption | 289 |
Contre | 31 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Mme la présidente. - En conséquence, la proposition de loi organique est rejetée.
La séance, suspendue à 17 h 5, reprend à 17 h 10.