SÉANCE
du mercredi 3 octobre 2018
2e séance de la session ordinaire 2018-2019
présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires : M. Yves Daudigny, M. Joël Guerriau.
La séance est ouverte à 14 h 30.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Allocution du Président du Sénat à l'occasion des soixante ans de la Ve République
M. Gérard Larcher . - Demain, nous célébrerons le soixantième anniversaire de la Ve République. « Rendre la République forte et efficace », telle fut la volonté du général de Gaulle.
Le 4 septembre 1958, place de la République, il souhaita « que le pays puisse être effectivement dirigé par ceux qu'il mandate, qu'il existe au-dessus des luttes politiques un arbitre national, qu'il existe un gouvernement qui soit fait pour gouverner, que le Parlement et le gouvernement collaborent mais demeurent séparés quant à leurs responsabilités. Telle est la structure équilibrée que doit revêtir le pouvoir. »
En soixante années, marquées par des crises économiques, sociales et politiques, nos institutions ont toujours résisté aux chocs. Après quatre alternances politiques et trois cohabitations, notre Constitution a fait la démonstration de sa solidité. Je pense également à la fin du processus de la décolonisation, à la crise de mai 1968, ou encore, si près de nous, aux terribles événements qui frappent notre pays depuis janvier 2015.
À l'heure où certaines des grandes démocraties européennes fondatrices de l'idée d'Union européenne, connaissent l'instabilité, notre Constitution est une chance pour notre pays.
En 1958, en pleine crise institutionnelle, il fallait remédier à l'instabilité gouvernementale de la IVe République, qui paralysait le pays alors qu'il était confronté à des défis majeurs. La nouvelle Constitution allait donc renforcer le pouvoir exécutif et rompre avec ce qui était qualifié de « régime des partis » pour rendre l'action publique plus efficace.
Le président de la République devient un arbitre, tel que défini par le discours de Bayeux, au-dessus des partis politiques, et dispose de compétences propres. Après la révision constitutionnelle de 1962, il aura la légitimité du suffrage universel direct.
À vingt-quatre reprises, notre Constitution a été révisée pour renforcer l'État de droit avec l'élargissement des modalités de saisine du Conseil constitutionnel en 1974, pour se conformer à nos engagements européens et internationaux - je pense au Traité de Maastricht en 1992, pour consacrer le caractère décentralisé de notre République et les libertés locales en 2003 ou encore pour marquer notre attachement à certaines valeurs, je pense à la constitutionnalisation de l'abolition de la peine de mort en 2007.
Au fil du temps, avec la pratique mais aussi le passage au quinquennat et l'inversion du calendrier électoral, les équilibres de la Ve République ont évolué.
Pour reprendre la célèbre citation du sage Solon à laquelle le général de Gaulle faisait référence à Bayeux : « Quelle est la meilleure Constitution ? Dites-moi, d'abord, pour quel peuple et à quelle époque ?». Il s'est donc avéré nécessaire d'adapter notre système institutionnel pour rééquilibrer les pouvoirs. La meilleure illustration de cette adaptation est la loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République, issue des travaux de la commission dite « Balladur » : un pouvoir exécutif mieux contrôlé, un Parlement renforcé, des droits nouveaux pour les citoyens.
Mes chers collègues, renforcer les prérogatives du Parlement est en réalité indispensable à notre démocratie. Un gouvernement qui ne rend pas de comptes aux représentants du peuple, un gouvernement qui n'est pas régulé dans sa production législative, est un gouvernement contestable. Montesquieu le disait : « Pour qu'on ne puisse pas abuser du pouvoir, il faut que par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. ».
Préserver les pouvoirs du Parlement, c'est préserver les fondements de la démocratie représentative. Affaiblir le bicamérisme, c'est affaiblir tout le Parlement.
L'un des fondements de la Ve République, par-delà les vicissitudes de l'Histoire, c'est le bicamérisme, il est au coeur du discours de Bayeux où le général de Gaulle déclarait : « Il est entendu que le vote définitif des lois et des budgets revient à une assemblée élue au suffrage universel et direct. Mais le premier mouvement d'une telle assemblée ne comporte pas nécessairement une clairvoyance et une sérénité entières. Il faut donc attribuer à une deuxième assemblée, élue et composée d'une autre manière, la fonction d'examiner publiquement ce que la première a pris en considération, de formuler des amendements, de proposer des projets. ».
Le dialogue bicaméral et la navette parlementaire auxquels je suis très attaché, comme à la commission mixte paritaire, sont des conditions de la qualité de la loi. (Applaudissements sur tous les bancs, à l'exception de ceux du groupe LaREM)
Nous devons nous employer à ce que le Sénat, représentant les collectivités territoriales de la République, continue à incarner, par sa composition, l'ensemble des territoires de notre pays. Au prétexte de la réduction du nombre de parlementaires, on ne doit pas condamner au quasi-silence certains territoires français à faible démographie. (Applaudissements sur tous les bancs, à l'exception de ceux du groupe LaREM)
Ce lien avec les territoires confère aussi au Sénat un autre atout : la proximité avec les élus locaux, tous les élus locaux qui, à l'heure de la mondialisation, constituent un des socles fondamentaux de la cohésion nationale.
« Il n'est pas de République forte sans institutions puissantes » : je partage ce constat fait par le président de la République devant le Congrès en juillet 2017. La révision constitutionnelle devra s'inscrire dans la continuité de celle de 2008. Elle doit avoir pour objectif de mieux faire la loi, de réconcilier nos compatriotes avec leurs parlementaires et de préserver la représentation des territoires.
Le pouvoir constituant appartient au Parlement. Le Sénat a des propositions solides à faire, il sera au rendez-vous. Réformer la France est difficile, réviser la Constitution ne l'est pas moins. Il n'est pas facile de distinguer l'intangible de ce qui doit être modernisé, de résister à la pression de l'opinion publique tout en tenant compte de son aspiration au changement.
Le général de Gaulle, lors de sa conférence de presse du 31 janvier 1964, expliquait « qu'une Constitution, c'est un esprit, des institutions, une pratique », il est primordial de se souvenir de ce triptyque pour replacer au coeur du contrat républicain le renforcement indispensable de la confiance de nos concitoyens dans la République.
La place du Parlement au sein de nos institutions n'est pas un sujet mineur. Elle engage toute notre conception de l'équilibre entre les pouvoirs. Un anniversaire, c'est l'occasion de réfléchir à nos fondamentaux, à leur nécessaire évolution lorsque la société change, mais sans rien céder à l'esprit qui, il y a soixante ans, a inspiré la réforme de nos institutions. (Applaudissements sur tous les bancs ; Mmes les sénatrices et MM. les sénateurs des groupes Les Républicains, UC, Les Indépendants et RDSE se lèvent, suivis par ceux des groupes SOCR et CRCE)