SÉANCE

du jeudi 26 juillet 2018

17e séance de la session extraordinaire 2017-2018

présidence de M. Jean-Marc Gabouty, vice-président

Secrétaires : Mme Jacky Deromedi, M. Joël Guerriau.

La séance est ouverte à 10 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Accord avec l'Autriche sur les personnes en situation irrégulière

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement fédéral autrichien relatif à la réadmission des personnes en situation irrégulière.

Discussion générale

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères .  - Nous voilà réunis pour examiner ce projet de loi de ratification d'un accord franco-autrichien relatif à la réadmission des personnes en situation irrégulière.

Cet accord a été signé en 2007, et actualisé en 2014 - il a donc traversé les majorités -, afin de faire évoluer un cadre établi en 1962. Il est analogue à d'autres que nous avons signés avec une vingtaine d'États membres de l'Union européenne dont la Suède, le Portugal, l'Espagne ou l'Allemagne, et n'a donc rien d'exceptionnel.

Il oblige d'abord l'Autriche à réadmettre ses propres ressortissants qui se trouveraient en situation irrégulière sur notre territoire, et inversement. Il s'agit de personnes frappées d'interdiction de séjour en complément d'une peine ou faisant l'objet d'une mesure d'expulsion pour des raisons d'ordre ou de sécurité publics. Ce sont des cas très rares - sept ont été recensés ces trois dernières années.

L'accord reprend ensuite les dérogations prévues par la directive Retour de 2008, permettant à la France et à l'Autriche de réadmettre des ressortissants de pays tiers qui ont séjourné ou transité par leur territoire avant d'aller sur celui de l'autre partie. Depuis 2015, la France a saisi l'Autriche d'une quarantaine de demandes de réadmission chaque année, essentiellement des ressortissants afghans, algériens, kosovars et pakistanais. Ce nombre n'a pas vocation à évoluer significativement.

Dernier cas de figure prévu par l'accord : le transit via la France ou l'Autriche de personnes en cours d'éloignement vers un pays tiers décidé par l'autre partie.

L'obligation de réadmission ne vaut bien sûr pas lorsque les personnes sont apatrides ou se sont vu reconnaître le statut de réfugié. Pour les demandeurs d'asile, c'est le règlement Dublin III qui prévaut.

Les dix articles assortis d'annexes et protocoles fixent les règles procédurales et les garanties de droit relatives à l'établissement de l'état civil et de la nationalité, ainsi qu'à la protection des données à caractère personnel. Il s'agit donc d'un texte à la portée limitée, qui actualise un accord très ancien pour le mettre en conformité avec le droit européen.

Notre partenaire autrichien a notifié à la France le 17 septembre 2015 l'achèvement de sa procédure interne - qui ne passait pas par le Parlement. Le temps que mettent, chez nous, de telles procédures, nous est souvent reproché : il serait bon de réfléchir aux moyens d'y remédier.

Un mot du contexte. Cet accord s'inscrit dans une actualité marquée par les sujets migratoires, même si, depuis 2015, les flux de migration depuis les frontières ouvertes ont été réduits, grâce au travail de stabilisation mené avec les États partenaires du Sud de la Méditerranée.

Il y a un mois, souvenez-vous, nous nous préoccupions de la capacité de l'Europe à relever des défis qui nous sont largement communs. Le destin de l'Europe et du continent africain sont liés : nous réussirons ensemble ou nous échouerons ensemble. La France plaide pour un partenariat eurafricain ambitieux, pour une aide publique au développement plus rapide et opérationnelle, car ces jeunes ne se lancent pas sur les routes de la liberté, ils empruntent les routes de la nécessité, comme l'a dit le président de la République.

Nous travaillons avec l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) et le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) pour identifier, depuis le Niger et le Tchad, ceux qui relèveraient du droit d'asile et les acheminer.

La politique française est empreinte d'humanité et de fermeté à la fois. La France est engagée pour renforcer l'efficacité de Frontex. Reste à monter en puissance en termes de moyens.

Dans ce débat parfois passionnel, tenons-nous en aux faits, à la raison, au pragmatisme, veillons à préserver la dignité humaine comme la souveraineté nationale et européenne.

Merci, enfin, pour le travail accompli par votre commission. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et UC et sur le banc de la commission)

M. René Danesi, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées .  - En effet, ce projet de loi est avant tout technique. L'accord qui lie nos deux pays depuis 1962 ne concerne qu'un très faible nombre de personnes. Ces trois dernières années, la France n'a saisi l'Autriche que d'une quarantaine de demandes de réadmission en moyenne chaque année. Et ce nombre n'a pas vocation à évoluer de manière significative.

La commission des affaires étrangères avait donc proposé un examen en forme simplifiée. Deux présidents de groupe ont toutefois demandé le retour à la procédure normale, davantage pour débattre en séance publique du contexte politique que de l'accord lui-même, adopté à une très large majorité en commission.

Cet accord a été signé le 30 octobre 2014 et ratifié par l'Autriche dès 2015. Son inscription tardive à notre ordre du jour n'est pas sans conséquence puisque le contexte politique a radicalement changé.

Mme Hélène Conway-Mouret.  - Bien sûr...

M. René Danesi, rapporteur.  - Au cours des trois dernières années, l'Autriche, pays de 8,75 millions d'habitants, a enregistré 148 000 primo-demandes d'asile, contre 238 000 pour la France. L'Autriche a accordé le statut de réfugié à plus de 83 000 personnes ; la France, huit fois plus peuplée, à 102 000 réfugiés...

Mme Hélène Conway-Mouret.  - Voilà !

M. René Danesi, rapporteur.  - L'Autriche est l'un des États de l'Union qui, proportionnellement, a accueilli le plus d'immigrés.

Chacun connaît le résultat des élections législatives autrichiennes d'octobre dernier. Les partis de la coalition aujourd'hui au pouvoir avaient proposé de durcir les conditions d'accueil et d'asile, ainsi que la politique de retour. Mais ils n'avaient pas affiché la volonté de revenir sur les engagements européens de l'Autriche en matière d'accueil de migrants.

Qu'en est-il des récentes propositions du nouveau chancelier, Sebastian Kurz ? L'Autriche assure la présidence de l'Union européenne pour le second semestre 2018. Dans une note confidentielle révélée par la presse, Vienne propose aux États membres que les demandes d'asile soient traitées dans des centres établis hors de l'Union, et que le droit d'asile soit limité aux personnes respectant les valeurs et les droits fondamentaux de l'Union, sans toutefois définir clairement ce critère.

Le 5 juillet dernier, devant notre commission des affaires européennes, l'ambassadeur d'Autriche en France, Walter Grahammer, confirmait l'existence de cette note, en précisant qu'une présidence n'a pas vocation à imposer ses idées mais à dégager une majorité.

Après l'épisode de l'Aquarius, le dernier Conseil européen a adopté une position commune. D'une part, il prévoit la création de plateformes régionales de débarquement en dehors de l'Union pour étudier les situations des migrants. Le Maroc et la Tunisie ont dit leur refus. L'Italie suggère d'en installer une en Libye, qui peine à reconstruire un État.

D'autre part, le Conseil prévoit l'ouverture dans les États membres, sur une base volontaire, de centres contrôlés permettant de séparer les réfugiés éligibles à la protection des migrants économiques. La Commission européenne prendra en charge le coût de ces centres.

La question migratoire menace de diviser l'Union européenne. Elle sera au coeur des élections de l'an prochain. C'est pourquoi notre commission des affaires étrangères a demandé la tenue d'un débat en séance publique sur ce sujet dès le mois d'octobre.

La portée du présent texte est toutefois beaucoup plus limitée.

Premièrement, l'accord oblige chaque partie à réadmettre ses propres ressortissants se trouvant en situation irrégulière sur le territoire de l'autre partie. Ces cas sont très marginaux.

Deuxièmement, il oblige les parties à réadmettre des citoyens de pays n'appartenant pas à l'espace Schengen lorsqu'ils ont séjourné ou transité par leur territoire. Là encore, le nombre de demandes est faible.

Troisièmement, il encadre le transit via la France ou l'Autriche d'une personne en cours d'éloignement vers un pays tiers décidé par l'une ou l'autre des parties.

Ces stipulations, similaires à celles des accords de même nature conclus ces dernières années, sont encadrées par le droit européen. Elles fixent les règles procédurales, mentionnent les garanties de droit relatives à l'établissement de l'état civil et de la nationalité et à la protection des données à caractère personnel, et encadrent les prérogatives des éventuelles escortes policières.

Le texte ne concerne ni les apatrides, ni les réfugiés, ni les demandeurs d'asile qui sont soumis à des règles spécifiques. Il actualise l'accord de 1962 pour le mettre en conformité avec le droit européen.

La commission préconise l'adoption de ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UC, RDSE et LaREM.)

M. André Gattolin .  - Le projet de loi clôt la renégociation d'un instrument bilatéral qui a débuté il y a plus de dix ans. C'est pourtant un exemple classique d'accord du type de ceux signés avec une vingtaine d'États membres de l'Union européenne. L'Autriche l'a ratifié en 2015, avant l'arrivée au pouvoir de l'actuelle coalition.

Cet accord ne pose pas de difficultés notables : sa portée est marginale, compte tenu du faible nombre de réadmissions annuelles. Chaque partie devra réadmettre ces ressortissants en situation irrégulière se trouvant sur le territoire de l'autre partie à la suite d'une mesure d'éloignement - sept personnes ont été concernées en trois ans, et réadmettre ceux de pays tiers ayant séjourné ou transité préalablement sur le sol de l'autre partie. Ce cas concerne une quarantaine de personnes chaque année depuis 2015.

Cette révision a une portée technique : il fallait actualiser l'accord de 1962 rendu caduc par la création de l'espace Schengen.

Autre changement de contexte : l'arrivée au pouvoir en Autriche de la coalition de droite et d'extrême-droite, le FPÖ dirigeant les ministères de l'intérieur, de la défense et des affaires étrangères, alors que l'Autriche prend la présidence du Conseil. Le chancelier Kurz a ainsi proposé un axe des volontaires Rome-Vienne-Berlin pour défendre une ligne dure en matière migratoire.

Ne laissons pas ce contexte empoisonner pour autant nos relations bilatérales avec l'Autriche. Le 5 juillet, devant la commission des affaires européennes, l'ambassadeur autrichien a redit la volonté de son pays de respecter le cadre institutionnel et les valeurs européennes. Lors des petits-déjeuners du mouvement européen, il a réitéré ces assurances.

En 2015, année migratoire record, l'Autriche a accueilli le deuxième plus grand nombre de demandeurs d'asile rapporté à sa population : 35 000 réponses positives, pour 88 000 demandes - bien plus que la France. Le chancelier Kurz a réaffirmé son attachement au projet européen dans le contrat de coalition et a détaché le ministère des affaires européennes de celui des affaires étrangères, dirigé par le FPÖ.

Sur plusieurs grands dossiers - climat, environnement, taxation du numérique, calcul à haute performance - l'Autriche est un partenaire sur lequel nous savons pouvoir compter.

Refusant de l'ostraciser, le groupe LaREM soutient donc un dialogue constructif avec un pays au carrefour de l'Europe. Le groupe LaREM votera ce texte. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UC)

M. Fabien Gay .  - Depuis 1962 la France et l'Autriche sont liées par un accord de réadmission. Ce texte est purement technique : il prend acte de la non-conformité avec le droit européen des conventions de 2007 et 2014. Le groupe CRCE a voulu un débat parce qu'il ne flotte pas pour autant au-dessus de la réalité : un contexte particulièrement préoccupant en Autriche et en Europe.

Alors que, proportionnellement, l'Autriche a accueilli plus de réfugiés que la France depuis 2015, les élections législatives d'octobre dernier rebattent forcément les cartes. La coalition entre l'ÖVP et le FPÖ a élargi la liste des pays sûrs, remplacé l'aide financière par une aide en nature, augmenté les expulsions.

La présidence autrichienne du Conseil participe au renfermement de l'Europe sur elle-même. Autriche, mais aussi Hongrie, Italie, Slovaquie, Pologne, Finlande, Bulgarie, Allemagne : l'Europe est au bord du gouffre, elle se construit une forteresse, loin des idéaux de Robert Schuman.

Combien d'États européens sont responsables du retard de développement des pays du Sud, combien interviennent militairement dans les zones de départ des migrants ?

L'opposition stérile entre les réfugiés quittant une zone de conflit et les autres n'honore pas ceux qui l'entretiennent. En 2014, le Cameroun a adopté une loi antiterroriste condamnant à mort toute personne agissant contre le fonctionnement normal des services publics. En Mauritanie, l'esclavage existe toujours : 300 000 personnes sont ainsi exploitées. Faut-il s'étonner, lorsque 16 millions de personnes meurent de faim ou de soif dans le monde chaque année et 3,5 millions de maladies dont les traitements sont connus, que les candidats au départ vers l'Europe soient si nombreux ?

Les conclusions du sommet européen sur l'immigration sont marquées par un regain de vitalité réactionnaire. L'accord du 28 juin prévoit ainsi, au mépris de la sécurité des réfugiés, la création de centres contrôlés et de plateformes de débarquement dans des pays tiers comme la Libye ou l'Irak - sachant que viols, tortures et trafics sont monnaie courante dans les centres de rétention existants.

Il y a aussi les propos viennois sur des réfugiés « peu ou pas éduqués, les empêchant de vivre dans des sociétés ouvertes », qui rappellent les diplomates européens des années trente, effarés par le mauvais genre des réfugiés...

Une ministre française affirme qu'il ne s'agira pas de centres fermés, mais de centres dont les migrants ne pourront pas sortir... On marche sur la tête !

Il faut réfléchir à une coopération bilatérale et européenne en matière d'immigration, non bâtir des forteresses, dans un déni d'humanité, en ne laissant circuler que capitaux et marchandises. À quand une révision des règlements de Dublin ? L'accord du 28 juin est une étape dans la politique de dissuasion et d'empêchement des réfugiés, qui sonne comme une politique d'abandon.

Le groupe CRCE, sans surestimer la portée de cette convention, s'abstiendra. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)

M. Olivier Cadic .  - Sur le fond, ce texte ne pose pas de difficulté. La France et l'Autriche sont liées par un accord de 1962 concernant la réadmission des personnes en situation irrégulière ; il doit être mis en conformité avec le cadre juridique européen.

Ce texte arrive devant notre chambre trois ans après sa ratification par l'Autriche où, depuis, le contexte a certes changé. Le groupe UC suivra le rapporteur et votera ce texte.

Mais le contexte est crucial : sur le sujet ô combien brûlant des migrations, les solutions ne peuvent être qu'européennes.

Il faut refuser l'immigration irréfléchie, tout en réaffirmant notre soutien au droit d'asile. Ce droit est fils des populations déplacées de la Seconde Guerre mondiale. Pour parvenir au pouvoir, les populistes attribuent tous les maux de leur pays à l'immigration. Ce n'est pas nouveau. Enfant, dans les années soixante-dix, je lisais devant mon école ce slogan de Jean-Marie Le Pen : un million de chômeurs, c'est un million d'immigrés en trop.

L'absurde projet de déconstruction européenne que prônent les europhobes ne saurait brader les principes d'humanisme et de solidarité qui sont les fondements de notre Union. Face à cette menace, il faut poursuivre la construction européenne.

Un droit d'asile efficace a pour corollaire une définition stricte du statut de réfugié. C'est pourquoi il importe de modifier le règlement de Dublin. Son récent assouplissement, non plus que le triplement des effectifs de garde-côtes, ne suffisent pas : les réponses sont à chercher du côté du développement africain, et je me félicite de l'intégration du Fonds européen de développement dans le budget européen en 2021.

Les hotspots dans les pays de départ ne sont pas la solution. Des garde-côtes libyens ferment parfois les yeux sur les départs illégaux. Il faut les responsabiliser par le recours au droit.

Rappelons que l'Union européenne est le lieu où des millions de personnes rêvent de vivre ; plusieurs pays balkaniques veulent l'intégrer. Parce que l'Europe est la meilleure réponse à nos problèmes, la réciprocité et les partenariats entre États membres sont la voie de la paix et de la prospérité. (Applaudissements sur les bancs du groupe UC)

M. Yannick Vaugrenard .  - Ce texte est d'adaptation technique. L'accord signé en 2007 ne sera ratifié par la France qu'en 2018 : c'est très long. Par ailleurs, le texte n'échappe pas au contexte : celui d'une Autriche qui inquiète l'Europe qu'elle préside pour six mois.

C'est pourquoi Hélène Conway-Mouret et moi-même avons souhaité un échange plus long sur la question. Il aura lieu au mois d'octobre. L'Europe, comme le monde, est en crise ; son socle démocratique et pacifique vacille. L'Autriche est dirigée par une coalition de la droite et de l'extrême droite - le FPÖ, fondé en 1956 par d'anciens nazis et dirigé alors par un ancien de la Waffen-SS, détient à présent l'Intérieur, la Défense et les Affaires étrangères ; elle préside l'Union européenne depuis le 1er juillet. En 2000, la première arrivée de FPÖ au pouvoir avait suscité des manifestations monstres, une réprobation internationale et des sanctions européennes. C'était il y a dix-sept ans... La frilosité actuelle contraste avec l'hommage rendu il y a peu à Claude Lanzmann, réalisateur de « Shoah ».

Un vent mauvais souffle en Bulgarie, en Hongrie, en Pologne, en Finlande, et même en Italie. Le doute s'installe dans l'opinion sur la viabilité à long terme de l'Union européenne, sur sa capacité à protéger.

Nous pensions vivre sur un continent de paix éternelle, mais rien n'est jamais acquis ; les conditions économiques et sociales déterminant souvent le reste : rejet de la différence, scepticisme, désenchantement.

Nous subissons les conséquences de notre absence de courage politique : les côtes italiennes, nous l'avions oublié, sont aussi les côtes européennes !

Mme Hélène Conway-Mouret.  - Absolument.

M. Yannick Vaugrenard.  - Je reste convaincu que l'Europe sera sociale ou ne sera pas. Une réorientation est indispensable. Actons le fait que le Traité de Lisbonne permet à quelques-uns d'avancer avant que d'autres les rejoignent. Nous l'avons fait pour la monnaie, faisons-le pour le social, la recherche, l'environnement.

Depuis l'élection de Donald Trump, le doute et l'inquiétude dominent. Il a désigné l'Europe comme un ennemi économique, remis en cause la solidarité au sein de l'OTAN. Le fiasco d'Helsinki ajoute à la confusion. Nous risquons de retrouver les partenariats précaires et révocables d'avant la Seconde Guerre mondiale.

C'est au moment où l'Europe doit se ressaisir que l'Autriche prend sa présidence pour six longs mois. La vigilance doit être extrême, car on ne saurait transiger sur les principes. « Ceux qui oublient leur passé sont condamnés à le revivre », disait Primo Levi.

Quelle est la position de la France suite aux premières déclarations de l'Autriche sur la politique migratoire ? En 2000, il avait été décidé que les ministres d'extrême droite autrichiens ne seraient pas reçus par leurs homologues européens. Qu'en est-il aujourd'hui, Monsieur le Ministre ?

Réaffirmons la primauté des valeurs humanistes sur lesquelles s'est construite l'Union européenne et faisons nôtre la formule d'Erik Orsenna : « la mémoire, c'est la santé du monde ». (Applaudissements sur les bancs des groupes CRCE, SOCR et RDSE)

M. Claude Malhuret .  - Ce texte ne pose pas par lui-même de difficultés ; mais je comprends que nos collègues aient voulu s'en saisir comme prélude à une discussion plus large.

Faut-il refaire le match du projet de loi Asile et Immigration ? Un débat aura lieu à l''automne sur ces questions, à l'initiative du président Cambon ; c'est un cadre plus approprié.

Conséquence des défaillances de la politique migratoire commune, les politiques nationales se durcissent, y compris en Italie, en Allemagne et en France. La semaine dernière, les Allemands ont inscrit les pays du Maghreb comme pays sûrs, rendant quasi automatiques les refus de demandes d'asile ; nous attendons toujours la liste commune européenne... L'Italie veut désormais conditionner le débarquement des migrants sauvés par l'opération Sophia au partage de leur prise en charge. Les récentes élections traduisent le ras-le-bol des citoyens italiens face à l'abandon des autres Européens.

Le 12 juillet à Innsbruck, l'Autriche a proposé d'externaliser notre politique d'asile. L'irréalisme de cette proposition a été démontré : aucun pays tiers africain n'est prêt à héberger de telles plates-formes de retour. Méfions-nous des expédients séduisants et des solutions simplistes.

Entre le populisme migratoire et l'angélisme béat, il y a le pragmatisme. L'union et les égoïsmes nationaux ont échoué. Une solution collective reposant sur la solidarité et l'efficacité est cependant possible. Solidarité si chaque État prend sa juste part de l'immigration ; efficacité par un renforcement du budget consacré à ces questions : celui de Frontex est inférieur d'un tiers à celui de l'Allier...

Face aux fanatiques des murs et aux naïfs de l'accueil systématique, trouvons la juste voie, européenne et responsable. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UC ; M. André Gattolin applaudit également.)

M. Guillaume Arnell .  - Nous examinons ce projet de loi en-dehors du cadre de la procédure simplifiée, car certains de nos collègues ont souhaité débattre plus largement du sort des migrants. L'émergence de gouvernements très conservateurs au sein de l'Union européenne menace sa cohésion ; celui de l'Autriche, qui préside l'Union européenne, interroge quelque peu.

Allié à l'extrême droite, le parti conservateur du chancelier Kurz a durci sa politique migratoire, faisant craindre qu'il en aille de même pour la politique promue en Europe. Déjà proposée au Conseil européen du 28 juin, l'idée autrichienne de plateformes de retour hors Union européenne a été repoussée pour de bonnes raisons. Les pays qui pourraient être concernés par ces centres ont dit leur désaccord - au premier chef le Maroc et la Tunisie.

À ce stade, il n'est pas souhaitable d'aller dans cette direction, tant que les pays censés abriter ces plateformes ne sont pas aux standards européens pour la protection des droits : ce pourrait être contraire à la Convention européenne des droits de l'Homme.

Alors que les flux faiblissent, gardons-nous de la tentation des politiques radicales. Le principe de dignité doit prévaloir.

J'en reviens au présent projet de loi. Le RDSE ne voit aucun obstacle à son adoption. D'abord, sa portée est limitée ; le nombre d'éloignements vers l'Autriche se situe entre 30 et 40 par an.

Il s'agit ensuite d'actualiser un texte devenu obsolète.

L'accord contient en outre des stipulations assez classiques, comme la France en a signés avec une vingtaine d'autres États membres. Les trois cas de figure visés par l'accord ont été bien présentés par les orateurs précédents.

L'Autriche, malgré ses positions sur l'immigration, a fait ces dernières années des efforts plus importants que notre pays : selon Eurostat, le nombre de titres de séjour rapporté à la population était de 0,57 % en Autriche en 2016, contre 0,35 % en France.

Au reste, si l'Autriche ne respectait pas les règles européennes, elle serait passible de sanctions comme l'est actuellement la Hongrie de Viktor Orbán.

Le RDSE votera ce texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE et LaREM ; M. René Danesi, rapporteur, applaudit également.)

M. Robert del Picchia .  - René Danesi a parfaitement expliqué le contenu du texte et le contexte dans lequel il s'inscrit - c'est à cause de ce contexte que les groupes socialiste et communiste, républicain, citoyen et écologiste ont souhaité revenir en discussion générale. L'importance du texte en lui-même ne le justifiait pas mais le sujet est très important pour nos concitoyens ; 80 % des citoyens européens demandent à l'Europe d'en faire plus en matière migratoire. C'est devenu le test ultime de la capacité d'action de l'Union européenne, le gage de sa crédibilité.

Évidemment, il faut consolider la politique migratoire européenne et traiter le problème à la racine.

L'Europe n'est pas restée inerte : depuis 2015, plus d'un million de migrants sont arrivés en Europe par la Grèce et les Balkans, 700 000 ont gagné l'Italie par la mer depuis 2011 ; mais aujourd'hui il y a bien moins de migrants qui arrivent en Europe - dix fois moins qu'en 2015 -, grâce au renforcement de la surveillance des frontières, du corps de garde-côtes, au développement de l'interopérabilité des systèmes nationaux, à la directive sur les armes, et à l'accord avec la Turquie.

Les difficultés sont toutefois loin d'être résolues. Notre pays est exposé aux flux secondaires, transitant par l'Italie - chacun sait comment le mécontentement s'est propagé dans les urnes, ici et ailleurs. Après la Hongrie, la Pologne, la Slovaquie, la partie occidentale de l'Europe est touchée à son tour.

Les problèmes se situent cependant dans les pays sources : coopération, aide au développement, Mme Merkel parlait même d'un plan Marshall pour l'Afrique.

La commission des affaires étrangères connaît bien la situation de la Libye, autrefois un verrou, devenue une pompe aspirante d'une immigration de travailleurs venus d'Afrique de l'Ouest et de réfugiés de la Corne de l'Afrique. L'économie de la migration y représente 20 % à 25 % du PIB, et implique une part importante de la population ! Le trafic alimente la corruption - un fonctionnaire gagnerait ainsi 140 euros par mois, ce qui l'incite à fermer les yeux sur l'action des réseaux contributeurs.

L'entrée dans les eaux territoriales libyennes reste un problème. Il y aurait 700 000 migrants en Libye, détenus dans des conditions épouvantables. Certains sont même revendus à des réseaux de traite.

L'action des garde-côtes a toutefois fait baisser les départs d'un tiers : de 180 000 en 2013 à 119 000 en 2017. Et les cinq premiers mois de cette année confirment cette tendance, avec l'arrivée de 13 500 migrants.

La stabilisation des flux reste fragile, dépendante notamment de la lutte contre les têtes des réseaux de passeurs. Les sanctions individuelles du Conseil de sécurité de l'ONU et les mandats d'arrêt contre 200 trafiquants libyens vont dans le bon sens. Il faudra faire plus : s'attaquer aux flux financiers.

La France contribue largement à stabiliser la zone sahélienne, avec les 4 500 soldats de l'opération Barkhane - auxquels je rends hommage. Sans un plan d'aide au développement de grande ampleur toutefois, l'Europe ne pourra juguler la crise.

Test définitif pour l'Europe selon Angela Merkel, l'immigration est l'occasion pour le continent de jouer son destin, comme l'a dit Bruno Retailleau. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains ; M. René Danesi, rapporteur, applaudit également.)

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État .  - Je remercie les orateurs pour ce débat. Nous faisons preuve de pragmatisme, tout en visant deux objectifs : la solidarité et l'efficacité.

Assurer la présidence de l'Union européenne conduit souvent les États à remiser leurs objectifs propres, car présider exige de concilier. La main n'a pas tremblé lorsqu'il a fallu évoquer l'article 7 du Traité sur l'Union européenne à l'égard de la Hongrie et de la Pologne. Il y a quelques jours, la Commission européenne a même saisi la CJUE pour examiner la législation hongroise en matière d'asile. L'Europe est constituée d'États de droit, c'est l'application de l'appareil juridique européen qui préservera nos valeurs.

Monsieur Vaugrenard, le boycott des ministres d'extrême droite, dans les années 2000, a-t-il eu le moindre effet ? Mieux vaut continuer à discuter, sans rien renier de nos principes - et en combattant pied à pied pour nos valeurs.

Je remercie la Haute Assemblée d'avoir fourni l'occasion de cet échange. Nous aurons l'occasion d'y revenir à la rentrée et je m'en réjouis. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et RDSE ; M. René Danesi, rapporteur, applaudit également.)

M. Yannick Vaugrenard.  - Je ne suis pas satisfait d'une partie de votre réponse, Monsieur le Ministre. En 2000, des ministres français avaient refusé de recevoir des ministres d'extrême droite autrichiens. L'histoire ne se répète pas mais il arrive qu'elle bégaie, et certains gestes sont très importants pour l'avenir de l'Union européenne.

La discussion générale est close.

Le projet de loi est définitivement adopté.