Attribution de la carte du combattant aux soldats engagés en Algérie
M. le président. - L'ordre du jour appelle les explications de vote et le vote sur la proposition de loi visant à attribuer la carte du combattant aux soldats engagés en Algérie après les accords d'Évian, du 2 juillet 1962 jusqu'au 1er juillet 1964.
Explications de vote
M. Philippe Mouiller, rapporteur de la commission des affaires sociales . - (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC) Il est des mesures qui font consensus mais qu'aucun gouvernement ne met en oeuvre ; ainsi, de l'attribution de la carte de combattant aux engagés en Algérie après juillet 1962. Je salue donc l'initiative de Dominique de Legge qui répond à une demande récurrente du monde combattant et met un terme à une injustice criante, souvent dénoncée au Sénat.
La carte du combattant ouvre droit à des avantages symboliques et matériels : retraite annuelle de 750 euros et demi-part fiscale supplémentaire. Créée à la suite de la Première Guerre mondiale, cette carte a été étendue aux conflits ultérieurs. En 1993, elle a été attribuée aux soldats de la quatrième génération du feu qui participent aux opérations extérieures. Mais la reconnaissance de la qualité de combattant aux jeunes appelés qui ont participé aux opérations de maintien de l'ordre en Afrique du nord a été plus difficile.
Un titre de reconnaissance nationale a d'abord été créé en 1967. En 1974, la carte du combattant a été attribuée aux seuls militaires ayant servi jusqu'au 2 juillet 1962, date de l'indépendance. Or le retrait des troupes françaises a été progressif, jusqu'au 1er juillet 1964.
M. Charles Revet. - Absolument !
M. Philippe Mouiller, rapporteur. - Plus de 75 000 soldats français ont été déployés sur cette période. Leur présence est tout à fait assimilable à une opération extérieure - plus intense et dangereuse que d'autres. C'est une question d'équité entre générations du feu, d'égalité entre frères d'armes car avec la « carte à cheval », un soldat arrivé en Algérie le 30 juin 1962 a la carte du combattant tandis que son compagnon d'armes, arrivé le 3 juillet, en est privé.
Lors de l'examen du projet de loi de finances 2018, la secrétaire d'État aux anciens combattants s'était engagée à évaluer le coût de la mesure, sachant que le nombre de bénéficiaires potentiels est inférieur à celui des titulaires de la carte qui décèdent chaque année.
Le Premier ministre a annoncé son intention de mettre en oeuvre cette mesure. En commission, Mme Darrieussecq nous a demandé d'attendre la prochaine loi de finances. En espérant que cette mesure sera mise en oeuvre par voie réglementaire avant l'aboutissement de la proposition de loi, je vous propose néanmoins de réaffirmer la volonté du Sénat d'accorder aux anciens combattants la reconnaissance que nous leur devons et d'adopter ce texte qui a recueilli l'unanimité en commission. (Applaudissements)
M. Benjamin Griveaux, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, porte-parole du Gouvernement . - Je vous prie d'excuser Mme Darrieussecq, retenue en Normandie par les cérémonies du 6 juin.
La mesure introduite par cette proposition de loi est soutenue par le Gouvernement sur le fond ; le président de la République, pendant la campagne, s'était engagé à réparer cette injustice. Les militaires français présents sur le sol algérien après le 2 juillet 1962, ont, depuis 2002, le titre de la reconnaissance de la Nation.
Vous avez évoqué, Monsieur Mouiller, la « carte à cheval » et l'inégalité de traitement qu'elle induit. Mme Darrieussecq a rencontré près de trente délégations départementales d'anciens combattants ; le ministère des armées a constitué trois groupes de travail sur la réparation et les pensions, la quatrième génération du feu et les blessés et invalides. La carte du combattant pour les appelés d'après juin 1962 était la demande prioritaire des associations d'anciens combattants.
Une étude statistique poussée, ciblée sur les appelés qui, à la différence des engagés, ne peuvent avoir la carte du combattant au titre d'un autre conflit, a identifié 75 319 appelés ayant été déployés en Algérie entre juillet 1962 et juillet 1964. Au vu de l'évolution démographique, il y aurait en 2019 un total de 49 819 bénéficiaires potentiels, en droit de percevoir la retraite du combattant.
Le coût budgétaire prévisionnel serait de 30 millions d'euros en moyenne en année pleine, auxquels s'ajoute un coût fiscal annuel de 30 millions d'euros.
L'extension envisagée se fera à législation constante, sur le fondement de l'article L311-2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre. Les accords d'Évian peuvent être regardés comme relevant des engagements internationaux de la France, une des conditions d'attribution de la carte. Il n'est donc pas nécessaire de passer par une loi, la mesure sera prévue dans la loi de finances pour 2019 et mise en place par voie réglementaire. (Murmures sur les bancs du groupe Les Républicains)
Votre proposition de loi va dans le sens de l'action du Gouvernement, nous nous en félicitons et ne doutons pas de votre plein et entier soutien. Merci de votre intérêt partagé pour le monde combattant. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)
M. Jean-Noël Guérini . - (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE) Au cours du siècle dernier, la France a pansé les plaies des conflits qui l'ont ruinée. Il y a eu quatre générations de soldats engagés en opérations extérieures.
Nous n'ignorons rien des imperfections du régime de reconnaissance ; il revient au législateur de les corriger. Comme vous le savez, le droit de réparation n'a été concédé qu'en 1974 aux anciens combattants d'Afrique du Nord.
Ce n'est qu'avec la loi du 18 octobre 1999 que la « guerre d'Algérie » a été ainsi dénommée ; auparavant, on ne parlait que des opérations d'Afrique du Nord. Il faut mieux réparer. Il faut pour cela reconnaître la réalité du terrain, ce que n'aurait pas fait la loi de 1974, en prenant en compte la présence des 75 000 militaires encore déployés en Algérie après les accords d'Évian, dont 535 sont morts avec des drames comme le terrible massacre d'Oran du 5 juillet 1962 ou le terrible sort des Harkis.
Avec mes collègues du RDSE, nous considérons comme un devoir l'attribution de la carte du combattant aux soldats engagés en Algérie entre le 2 juillet 1962 et le 1er juillet 1964. La carte dite « à cheval », quoique légitime et bienvenue, ne suffisait pas puisqu'elle créait une nouvelle injustice.
Accéder à cette revendication du monde combattant coûtera 37,5 millions d'euros pour les pensions et 30 millions d'euros au titre de la demi-part fiscale pour les anciens combattants.
Longtemps, les débats parlementaires sur l'Algérie ont été passionnés ; c'est que cette guerre n'a pas seulement opposé deux peuples, mais des Français aux Français et des Algériens aux Algériens. Certains d'entre nous ont vécu ce conflit au plus près.
Cette proposition de loi est donc bienvenue ; le temps a permis de conduire ce travail de mémoire, dans la sérénité. C'est ainsi que nous approuverons cette initiative. (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE, LaREM et UC)
M. Michel Savin. - Très bien !
Mme Patricia Schillinger . - Notre Nation va enfin accorder à nos combattants la reconnaissance symbolique et financière à laquelle ils aspirent légitimement. Grâce à cette proposition de loi et surtout à la décision du Gouvernement d'inscrire budgétairement son coût : 37,5 millions d'euros en coût budgétaire et 30 millions d'euros en coût fiscal. Sans cette décision, la proposition de loi n'aurait pas pu avoir d'effet.
Saluons l'engagement de Mme Darrieussecq d'engager une concertation qui a permis de chiffrer le coût et d'en sécuriser le financement auprès du Premier ministre.
Le Parlement est dans son rôle en déposant une telle proposition de loi ; il est heureux que Gouvernement et Parlement se retrouvent sur ce point. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM ; MM. Jean-Paul Emorine, Charles Revet, Alain Milon, président de la commission, et Philippe Mouiller, rapporteur, applaudissent aussi.)
Mme Cécile Cukierman . - Je regrette d'abord que les anciens combattants n'aient pas eu un secrétariat d'État dédié, bien que Mme Darrieussecq suive ces questions. Depuis 1974, les soldats qui étaient engagés en Algérie, Tunisie et Maroc jusqu'au 1er juillet 1962 bénéficient de la carte d'ancien combattant.
Cette proposition de loi vise à attribuer la carte de combattant aux appelés en Algérie de 1962 à 1964.
Si la fin de la guerre d'Algérie est officiellement datée aux accords d'Évian, les appelés y étaient encore 305 000 en juillet 1962, 103 000 en janvier 1963 et 50 000 en juillet 1964.
La loi de finances de 2014 a créé la carte dite « à cheval » pour les 11 000 engagés ayant servi avant et après le 1er juillet 1962.
Cette proposition de loi répond à une vieille revendication des associations que nous avons l'habitude de rencontrer. En 2018, pouvons-nous encore accepter que la carte ne soit pas attribuée aux militaires français ayant servi en Algérie entre 1962 et 1964 ? Ceux qui ont perdu la vie ont droit d'être dits morts pour la France, et les autres ont depuis 2001 un titre de reconnaissance de la Nation.
Nous sommes face à une aberration, puisque celui qui est arrivé sur place le 1er juillet 1962 a obtenu la carte du combattant, alors que celui qui est arrivé le 3 juillet 1962 n'a pu en bénéficier... Pourtant ils se trouvaient dans le même peloton et y ont effectué, ensemble, les mêmes missions, les mêmes jours, aux mêmes moments... Avec cette proposition de loi, il ne s'agit donc pas de réécrire l'histoire, mais d'harmoniser le statut des soldats ayant servi en même temps.
Nous avons pris connaissance de la décision du Gouvernement d'accorder la carte. Monsieur le Ministre, vous avez aujourd'hui l'opportunité de faire tout de suite ce que vous avez annoncé. Car les combattants vieillissent et disparaissent rapidement.
Le groupe CRCE votera ce texte tout en restant vigilant sur son exécution. (Applaudissements sur tous les bancs sauf sur ceux du groupe LaREM)
Mme Jocelyne Guidez . - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) Cette proposition de loi fait mentir la phrase de Benjamin Constant : « La reconnaissance a la mémoire courte ».
Le souhait que j'avais formulé à propos du budget 2018 se réalise : Je suis ravie de soutenir cette avancée, concrète, que j'ai cosignée. Née dans un milieu militaire, je ne pouvais être insensible à cette demande, si légitime. Nous croyons en la République de la dignité et de la justice, qui reconnaît tous ses combattants. Oublier le sacrifice et le courage des Français appelés en Algérie après les accords d'Évian était une injustice.
Je me réjouis que le Gouvernement soit sensible à cette cause. Geneviève Darrieussecq avait montré son sens de l'écoute lors du dernier débat budgétaire et je la crois sincère. Elle a indiqué que le sujet serait traité dans la loi de finances pour 2019. Mais il y a urgence : n'attendons pas la disparition des derniers soldats pour rétablir la justice. Ils ont tout donné, ne les oublions pas : ils sont la France.
L'enjeu, c'est le passé mais aussi l'avenir. La transmission de ce témoin aux générations futures est un enjeu important. Cette proposition de loi y contribue. N'oublions pas les noms, les visages, les vies de ces soldats.
Le groupe UC soutient ce texte et le votera. (Applaudissements sur tous les bancs sauf sur ceux des groupes SOCR et CRCE)
Mme Corinne Féret . - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) La demande à laquelle nous allons accéder n'est pas nouvelle. Nous allons réparer une inégalité persistante entre les militaires français selon que leur service a commencé avant ou après juillet 1962 - après cette date, ils furent pourtant 535 à perdre la vie.
La carte du combattant, la demi-part fiscale, ils y ont droit les uns comme les autres. Je me félicite que cette carte soit octroyée à 50 000 bénéficiaires à partir de 2019. Je l'avais demandée lors du budget 2018 et devant Mme Darrieussecq plus récemment.
Je rappellerai avant de conclure que lors du précédent quinquennat, il a été fait beaucoup : carte « à cheval », première étape vers la reconnaissance, revalorisation de 11 % des retraites des anciens combattants, abaissement à 74 ans de l'âge minimal pour la demi-part fiscale supplémentaire, refonte des aides sociales, travail mémoriel souhaité par un président Hollande qui a multiplié les signes forts.
Nous voterons cette proposition de loi notamment pour souligner l'importance du travail parlementaire dans ce domaine. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR ainsi que sur ceux des groupes RDSE et UC)
M. Joël Guerriau . - Cette proposition de loi fait oeuvre de justice et de bon sens, en répondant à une demande des associations d'anciens combattants, réparant une injustice envers les militaires français présents en Algérie après les accords d'Évian dont 535 sont morts, soit autant environ que dans les opérations militaires menées depuis 1964.
Le Parlement soutient cette mesure, les associations d'anciens combattants se sont mises d'accord mais les gouvernements successifs l'ont refusée. L'argument budgétaire ne vaut plus : les bénéficiaires ne sont plus nombreux, ils le seront de moins en moins puisqu'ils ont 80 ans, et la somme nécessaire est dérisoire : 70 millions environ, ce qui ne pèse pas face aux dépenses abyssales liées à la réparation des erreurs de gestion de l'État, Monsieur le Ministre. (M. Benjamin Griveaux, ministre, porte-parole du Gouvernement, sourit.)
L'argument diplomatique non plus ; cela ne nous brouillera pas avec l'Algérie ; le président de la République a raison de souligner les vertus de la franchise et de la vérité.
Notre groupe salue cette initiative qui illustre l'engagement des parlementaires et des sénateurs en particulier pour régler ce problème. Notre groupe la votera à l'unanimité en attendant la prochaine loi de finances. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)
M. Dominique de Legge . - La proposition de loi que j'ai déposée avec Philippe Mouiller, Charles Revet et Jean-Marie Morisset ne fait que reprendre une mesure réclamée depuis longtemps, notamment par M. Darmanin, votre collègue, alors député en 2012. Son dernier avatar fut la proposition de loi du député Gilles Lurton, très semblable au texte que nous examinons, privée de débat le 5 avril à l'Assemblée nationale, au motif qu'elle était « bien trop prématurée au regard de la politique » que la ministre « entendait mettre en oeuvre en faveur du monde combattant » !
Six semaines après, le Gouvernement annonçait l'inscription de cette dépense dans le prochain budget. Cette méthode n'est pas nouvelle : on l'a vue appliquée à de nombreux textes d'origine sénatoriale...
Monsieur le Ministre, vous dites que le déblocage est le fait du travail de la ministre ? Il n'était pas nécessaire de réunir des groupes de travail pour honorer une promesse faite par le président de la République bien avant qu'ils soient réunis !
M. Jean Bizet. - Très juste.
M. Dominique de Legge. - Ce n'est pas la première fois que le Gouvernement reprend subrepticement des mesures proposées par des propositions de loi... (Mme Patricia Schillinger le nie.) Comme si un texte n'avait de valeur que s'il était d'origine gouvernementale ou venait de la majorité à l'Assemblée nationale... (Applaudissements sur les bancs des groupes UC et Les Républicains) La méthode est un peu grossière. La proposition de loi a reçu 120 signatures de toutes formations politiques.
Il ne faut jamais redouter le débat parlementaire, Monsieur le Ministre, surtout sur un texte aussi consensuel.
Le Sénat veut parfois accompagner le président dans les promesses qu'il a faites. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC)
M. Charles Revet. - Je regrette de ne pouvoir expliquer mon vote...
La proposition de loi est adoptée.
M. le président. - Belle unanimité !
La séance, suspendue à 16 heures, reprend à 16 h 5.