SÉANCE

du jeudi 17 mai 2018

84e séance de la session ordinaire 2017-2018

présidence de M. David Assouline, vice-président

Secrétaire : Mme Mireille Jouve.

La séance est ouverte à 14 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Repenser la politique familiale

M. le président.  - L'ordre du jour appelle un débat sur le thème : « comment repenser la politique familiale en France ? », à la demande du groupe LaREM.

Mme Patricia Schillinger, pour le groupe LaREM .  - Depuis la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale, ont été engagés plusieurs travaux ayant trait à la politique familiale : la mission interministérielle sur la lutte contre la pauvreté des enfants et des jeunes, la mission d'information de l'Assemblée nationale sur les allocations familiales, la négociation de la nouvelle convention d'objectifs et de gestion avec la Caisse nationale des allocations familiales, la CNAF, et, au niveau européen, la discussion de la directive sur la conciliation entre vie privée et vie professionnelle.

Le sujet est au coeur de l'actualité sans que le Parlement ne soit pour autant saisi d'un texte. D'où ce débat pour partager certains constats et dégager des pistes d'amélioration.

À sa refondation en 1945, la politique familiale française a eu pour premier objectif historique le soutien à la natalité par la compensation financière des charges des familles ; à partir des années soixante-dix, l'accent a été mis sur l'aide aux familles les plus modestes et, depuis plus de vingt ans, sur la conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle. À cela, il faut ajouter la pérennité financière de la branche famille. Avec 59 milliards par an, soit 2,7 % du PIB, la France est en tête, au sein de l'OCDE, pour les aides fiscales et dans la moyenne par les prestations monétaires et en nature : nous faisons mieux que les Italiens et les Espagnols, mais moins bien que les Danois.

Si le bilan est favorable, il existe des marges de progression. Nous devons lutter de manière accrue contre la pauvreté des familles, notamment monoparentales. Selon l'Insee, les familles représentent 66 % de la population vivant sous le seuil de pauvreté en août 2017. La pauvreté frappe 19,6 % des enfants et 39,3 % des enfants dans les familles monoparentales.

Des mesures ont été prises dans la loi de financement : majoration de l'aide à laquelle les familles monoparentales peuvent prétendre au titre de la garde de leur enfant ou encore harmonisation des conditions de ressources. Doit-on, peut-on s'en tenir là ? Quand la pauvreté des enfants reste à un niveau préoccupant, il faut, à mon sens, revoir les instruments consacrés à la politique familiale pour les adapter à la priorité de la lutte contre la pauvreté. La question ne se limite pas, tant s'en faut, à la question de l'universalité des allocations familiales que je soutiens.

Nous devons également améliorer la capacité d'accueil des moins de 3 ans : en 2015, on comptait 56,6 places pour 100 enfants. Une famille sur deux est touchée par ce manque de solution. Or le maintien et l'évolution des femmes dans la sphère professionnelle dépendent de la possibilité de les soulager des charges familiales.

Bref, Madame la Ministre, quelles mesures pour lutter plus efficacement contre la pauvreté subie par les enfants ? Faut-il verser les allocations familiales dès le premier enfant ? Cibler les jeunes ménages ? Voire prévoir l'attribution d'une allocation fixe par enfant ? Quelle est la position du Gouvernement sur la directive européenne en discussion ? Voilà les questions à nous poser pour élaborer une réforme de notre politique familiale qui devra être l'occasion d'un rattrapage pour l'outre-mer. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, UC ; M. Marc Laménie applaudit également.)

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé .  - Merci de me donner l'occasion de débattre du sens et des objectifs de la politique familiale, qui a beaucoup évolué au fil du temps, comme la famille. On peut, on doit aller plus loin.

La politique familiale constitue un pilier majeur de la sécurité sociale ; elle représente un instrument puissant de réduction des inégalités et d'aide à la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale. La correcte articulation de ces objectifs est l'originalité de la politique familiale française. S'il faut la repenser, je ne prône pas de bouleversement majeur - je suis attachée à son équilibre.

Trois chantiers mobiliseront toute mon attention. D'abord, le soutien à la parentalité qui est, si vous me le permettez, le parent pauvre de la politique familiale. Les prestations monétaires, la garde d'enfants sont essentielles mais il faut aussi des lieux de médiation pour échanger sur la fonction parentale, trouver des conseils et exposer ses difficultés sans être jugé sur le modèle de la Maison verte de Françoise Dolto. Les crèches peuvent jouer ce rôle. J'ai décidé, dans le cadre de la future convention avec la branche famille, de consacrer davantage de temps, dans les établissements d'accueil des jeunes enfants, pour les échanges avec les parents. C'est aussi le rôle des PMI. La visite à domicile durant les premiers jours de l'enfant est cruciale. Avec l'Association des départements de France, je travaille à rénover les missions de ces centres en les allégeant de certaines tâches qui se justifient moins.

Ensuite, l'intérêt de l'enfant. La politique familiale s'est construite sur le soutien à la natalité, en se focalisant sur l'adulte. Mais l'enfant ? Il a des besoins propres. Comme Janusz Korczak, je crois qu'il faut se mettre à la hauteur de l'enfant... non pas se baisser mais s'élever jusqu'à lui. Je serai attentive à tout ce qui peut le blesser et à l'écoute de leurs besoins : jouer, partir en vacances, apprendre, découvrir. La stratégie de lutte contre la pauvreté comme la nouvelle convention avec la CNAF mettront l'accent sur le soutien à l'apprentissage précoce du langage en crèche, le soutien aux activités extrascolaires, le financement de projets pour les adolescents. Ces projets semblent parfois minuscules à notre échelle mais ils ont du sens parce qu'ils permettent à tous les enfants de s'émanciper. Il y a des sujets plus difficiles : les violences faites aux enfants. Nous avons beaucoup de chemin à parcourir sur la formation, la levée de certains tabous, la mise en réseau pour mieux protéger et éviter le pire. J'attends, sur ce sujet, les conclusions d'un important rapport de l'IGAS.

Enfin, mieux accompagner le moment des ruptures : les séparations, la survenue d'une maladie, le décès d'un proche ou l'annonce du handicap d'un enfant. Je rends hommage à la Caisse nationale d'allocations familiales, à l'engagement de ses agents mais il lui faudra aller plus loin. Cloisonnement, démarches inutiles, contrôles superflus, rien ne justifie cela ; il s'agit d'un défaut de nos organisations et encore souvent d'une conception assez paternaliste de la solidarité. Allègement des démarches, développement des téléprocédures, information sur les droits et établissement d'une relation de confiance, tous ces chantiers figureront dans la future convention. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, SOCR, Les Indépendants, RDSE et UC)

Mme Nadine Grelet-Certenais .  - La maternité, la parentalité et la charge des personnes sont des facteurs discriminants dans la vie professionnelle des femmes. Elles se voient contraintes de travailler à temps partiel voire de renoncer à leur travail.

En avril 2017, la Commission européenne a présenté un projet de directive bien inspiré. Elle propose une meilleure indemnisation du congé parental qui pourrait être fractionné, un congé paternité de dix jours rémunéré au moins à hauteur de la prestation de maladie - soit le double d'aujourd'hui et, enfin, cinq jours de congé rémunérés par an pour s'occuper d'un proche dépendant.

Cependant, plusieurs pays, dont la France, s'opposent à l'harmonisation du congé parental pour des raisons financières. La grande cause nationale serait-elle sacrifiée sur l'autel budgétaire ? Alors que 96 % des congés parentaux sont pris par les mères et 4 % par les pères, nous avons une occasion de rééquilibrer la donne.

En 1791, Olympe de Gouges écrivait dans la Déclaration des droits des femmes et de la citoyenne que « la liberté et la justice consistent à rendre tout ce qui appartient à autrui ». Madame la Ministre, en approuvant cette directive, vous feriez honneur à cette devise en libérant les femmes de ce fardeau héréditaire. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et CRCE ; Mme Patricia Schillinger applaudit également.)

Mme Agnès Buzyn, ministre.  - Le projet de directive présenté en avril étendait le congé parental jusqu'aux 12 ans de l'enfant. À notre sens, cela peut poser problème pour le retour à la vie civile ou plutôt professionnelle des femmes. Le compromis qui se dessinerait serait de laisser chaque État membre fixer eux-mêmes le niveau adéquat de rémunération du congé parental. La France s'est engagée sur une rémunération de 396 euros par mois pour les personnes qui ne travaillent pas. Notre souci est de veiller que cette directive n'aboutisse pas à éloigner les femmes du marché du travail. Nous voulons des évolutions qui correspondent à la vision du travail des femmes dans notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)

Mme Colette Mélot .  - Depuis la Libération, la politique familiale est l'un des piliers de la politique nationale. Le programme du Conseil national de la résistance en avait détaillé les aspects concrets. On lui doit le dynamisme de notre natalité dans notre pays - même si elle est moindre depuis quelques années. Elle a assuré la pérennité de notre système de retraite et accompagné les transformations sociales et économiques de notre société pendant plus d'un demi-siècle. La fin du quotient familial sous le précédent quinquennat a été un coup dur. Le Gouvernement d'Édouard Philippe a pris une décision courageuse dans le PLFSS 2018, en recentrant les aides de la politique familiale vers les familles dans le besoin, en particulier monoparentales.

Vous aviez annoncé, Madame la Ministre, que les familles les plus en difficulté pourraient bénéficier de 138 euros supplémentaires au titre du complément de mode de garde mais trouver une place en crèche est souvent un parcours du combattant. Madame la Ministre, pourquoi ne pas uniformiser les procédures d'admission pour soutenir plus particulièrement les familles en difficulté ?

Mme Agnès Buzyn, ministre.  - Je vous remercie de l'avoir souligné, j'ai effectivement demandé le recentrage de l'aide au mode de garde vers les familles monoparentales.

Nous voulons diversifier les modes de garde ; j'ai reçu, il y a peu, les associations représentatives des assistantes maternelles. J'ai également reçu l'Association des départements de France. La mixité sociale dans les crèches est effectivement un souci. Un groupe de travail a été mis en place avec Mme Schiappa. Nous ne pouvons pas faire preuve de coercition sur ce sujet, qui est à la main des élus locaux. Une charte, comprenant l'engagement à favoriser l'inclusion des familles les plus éloignées de l'emploi serait déjà une avancée.

Mme Véronique Guillotin .  - Depuis plusieurs mois, la France, avec d'autres, bloque l'accord sur l'harmonisation européenne du congé parental. Nul besoin de rappeler qu'il est pris à 96 % par les femmes et ce chiffre n'a pas évolué depuis dix ans. Son indemnisation, de moins de 400 euros par mois, est une des plus faibles de l'OCDE. Elle passerait à 950 euros en moyenne avec le projet de directive. En Allemagne, ces dernières années, la proportion de pères est passée de 3 % à 25 % avec la revalorisation du congé parental à 67 % du salaire net.

La facture, pour la France, pourrait se révéler moins forte que prévu puisque la pression sur le système d'accueil du jeune enfant serait allégée par la libération des places en crèche et que les recettes fiscales seraient augmentées. Le président de la République ne défend-il pas l'harmonisation européenne ? Ne veut-il pas l'égalité entre les femmes et les hommes ?

Mme Agnès Buzyn, ministre.  - La France ne bloque pas la directive mais recherche un compromis qui soit conforme à nos choix culturels en faveur de la liberté de choix des femmes et de leur inclusion professionnelle. En France, le congé parental est pris, en très grande majorité, par les femmes. Le président de la République privilégie le renforcement du congé maternité pour les indépendantes. Nous faisons des choix de société. Un compromis sera trouvé d'ici le 21 juin.

Toute notre politique vise à donner à chacun le choix. (M. Martin Lévrier applaudit.)

présidence de M. Gérard Larcher