L'Union européenne face aux défis de la sécurité, des migrations et des frontières
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat sur l'Union européenne face aux défis de la sécurité, des migrations et des frontières, à la demande de la commission des affaires européennes.
Nous allons procéder au débat sous la forme d'une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la Conférence des présidents.
Je vous rappelle que l'auteur de la demande du débat, disposera d'un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répondra pour une durée équivalente.
À l'issue du débat, l'auteur de la demande disposera d'un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes . - Je me réjouis qu'en cette journée européenne du 9 mai, nous puissions nous réunir pour parler d'Europe. Dans un contexte international instable, nos concitoyens attendent de l'Europe une protection effective.
La sécurité intérieure demeure la compétence des États membres mais l'Union européenne peut apporter sa plus-value. Après les attentats de janvier 2015 déjà, nous avions fait des propositions partagées par plusieurs États membres - ici même, lors d'une réunion interparlementaire organisée au Sénat sous la présidence de Gérard Larcher.
Nous prenons acte d'avancées telles que le doublement du budget d'Europol et la mise en place d'un groupe interparlementaire de contrôle - où nous représentent Mme Sophie Joissains et M. Jacques Bigot.
Europol s'est dotée d'un centre européen de lutte contre le terrorisme, elle conduit avec succès des opérations de grande envergure, notamment contre Daech, et son rôle est désormais incontournable dans l'échange d'informations, grâce à son système Siena. Cependant, des difficultés demeurent : 85 % des données récoltées par l'agence émanent seulement de cinq États dont la France. Nous regrettons l'inertie de nos partenaires. Le Sénat demande la création d'un parquet européen : peut-on espérer une évolution positive sur ce dossier ? Le PNR (Passenger Name Record) européen pâtit quant à lui du retard pris par les PNR nationaux. Autre enjeu, d'importance croissante : la cybercriminalité.
Europol s'est également dotée d'un centre de lutte contre la cybercriminalité, il est souhaitable que chacun des États membres en fasse autant d'ici fin 2019, comme nous avons notre Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi).
L'Union européenne doit contribuer davantage à la sécurité extérieure. Avec l'opération Barkhane, la France défend l'ensemble de l'Europe. Le président Larcher leur a témoigné directement le soutien du Sénat lors de sa récente visite au Tchad et au Niger. Nous attendons un soutien plus fort de nos partenaires. Nous devons progresser vers une Europe de la Défense, qui soit complémentaire de l'OTAN. Nous devons aller vers une mutualisation des moyens, une interopérabilité, une action commune en matière de recherche et de développement, un rapprochement de nos industries de défense.
Nous appuyons le lancement d'une coopération structurée entre vingt-cinq États membres, la mise en place d'un Schengen militaire ainsi que d'un fonds de défense, doté de 13 milliards d'euros. Les Européens doivent conduire ensemble des opérations militaires. Madame la Ministre, pouvez-vous nous en dire plus ? La présence du Royaume-Uni est essentielle en matière militaire.
Le défi migratoire préoccupe également nos concitoyens, ils attendent des réponses européennes.
Les moyens budgétaires et humains de Frontex ont été augmentés - enfin - : la Commission européenne propose une enveloppe de 21,3 milliards d'euros, soit multipliée par 2,6 par rapport à l'enveloppe actuelle, et un corps de 10 000 garde-frontières d'ici 2027. Le Fonds Asile et migrations serait porté à 10,4 milliards d'euros. Tout ceci va dans le bon sens : le Gouvernement soutient-il ces orientations ?
Il faut interroger le cadre juridique dans lequel Frontex conduit son action. Quid de l'accès aux bases de données, instrument indispensable pour que cette action soit opérationnelle ? Qu'en est-il de la possibilité pour l'agence d'intervenir de façon quasi automatique dans un État qui serait défaillant pour assurer la protection effective de sa portion de frontière extérieure ? Qu'en est-il des procédures de retour groupé ?
La refonte du système d'asile est un autre enjeu majeur. La question des relocalisations, particulièrement délicate, a suscité des frictions. Où en sommes-nous sur ce point ?
J'ai relu le discours prononcé par Robert Schumann, le 9 mai 1950, au Quai d'Orsay : il parlait déjà d'un plan d'investissement pour l'Afrique. L'idée a été reprise par Nicolas Sarkozy. L'Allemagne ne l'a pas suivi, je le regrette.
Le sommet de La Valette a été l'occasion d'engagements. Qu'en est-il ? (Applaudissements sur de nombreux bancs)
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes . - Je suis heureuse d'être avec vous en cette journée de l'Europe. Le sujet d'aujourd'hui est une priorité du Gouvernement, ainsi que de la Commission européenne, qui propose d'accroître sensiblement les moyens communautaires dans le cadre financier pluriannuel 2021-2027 - avec un fonds multiplié par 2,6 pour les frontières et 1,8 pour la sécurité intérieure. Le corps de garde-frontières et garde-côtes serait porté à 10 000 hommes d'ici 2027. Bref, ce budget protège, agit et défend.
L'Union européenne reste très mobilisée face à la menace terroriste, pour contrôler l'espace européen. Le PNR européen est une avancée majeure ; il devra être transposé d'ici le 25 mai. Pour aider les pays européens qui ne l'ont pas encore transposé, nous proposons des coopérations bilatérales. Nous pressons également la Commission et les États membres pour que le système d'entrées-sorties prévu pour les ressortissants des États tiers soit élargi aux ressortissants européens.
Nous poursuivons la lutte contre le financement du terrorisme. Nous agirons avec la Commission pour lutter contre les matières premières d'explosifs et la radicalisation sur Internet. Sur ce point nous encourageons la Commission à aller au-delà d'une approche centrée sur la contribution volontaire des acteurs du numérique à une autorégulation et à prévoir la mise en place de moyens contraignants pour améliorer la détection automatique et la suppression des contenus illégaux.
Nous soutenons depuis le début le Parquet européen, dont les compétences seraient étendues à la lutte contre la criminalité grave ayant une dimension transfrontalière et le terrorisme. La Commission nous entend.
Autre outil dont nous disposons : Europol, qui joue un rôle irremplaçable pour le partage des informations, comme fin avril contre la propagande de Daech. Nous devons y renforcer notre place - j'en ai parlé avec Catherine De Bolle, avant même sa prise de fonctions.
Enfin, gardons à l'esprit le développement de l'Europe de la défense. L'initiative européenne d'intervention, annoncée par le président de la République en Sorbonne, est en cours d'adoption par les États intéressés. Elle complètera la coopération structurelle permanente pour mieux programmer, planifier, partager nos informations, avec des pays membres ou non de l'Union européenne. Nous travaillons à son articulation avec la coopération structurelle permanente.
Le Gouvernement vous rejoint, Monsieur le président Bizet, sur l'importance du corps de garde-côtes et de garde-frontières européen. Il sera doté de capacités nouvelles : analyse de vulnérabilité, reconduites à la frontière, action d'urgence en cas de défaillance d'un État sur accord du Conseil.
La Commission propose de porter leur nombre de 1 500, dont 170 Français, aujourd'hui à 10 000 au-delà des 5 000 que nous avions inscrits dans notre proposition. Certains États membres sont toutefois mal à l'aise avec cette proposition.
Sur le plan interne, nous avons besoin de faciliter la possibilité de réintroduction des contrôles aux frontières internes lorsque le besoin s'en fait sentir, en particulier en raison de la menace terroriste. Cependant, une politique migratoire européenne ne peut réussir sans partenariat avec les pays d'origine et de transit. La France a montré le chemin depuis le sommet restreint organisé à Versailles en août 2017.
Nous nous sommes dotés de moyens importants qu'il faut réabonder avec le Fonds fiduciaire d'urgence, nous avons besoin d'un dialogue migratoire plus exigeant s'agissant des migrations économiques illégales et de dispositifs permettant de mieux protéger ceux qui peuvent prétendre au bénéfice de l'asile en veillant à éviter qu'ils risquent leur vie sur la route, en Libye ou en Méditerranée.
Nous souhaitons que le sommet européen de juin avance sur la réforme du régime d'asile européen. Nous soutenons les efforts de la présidence bulgare sur le règlement de Dublin, pour un mécanisme graduel de solidarité obligatoire selon la gravité de la crise. Nous travaillons à ce sujet avec nos partenaires allemands. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et UC ; M. Jean Bizet, président de la commission, applaudit également.)
Mme Colette Mélot . - La semaine passée, l'Assemblée nationale a introduit dans le projet de loi Immigration un article sur les migrations climatiques, première occurrence de la notion dans notre droit.
Si l'Europe a accueilli plus d'un million de migrants depuis 2015, quelque 143 millions de personnes, selon la Banque mondiale, seront forcées à migrer d'ici 2050 à cause du changement climatique. Le manque de nourriture, de ressources en eau, les canicules et les cyclones bouleverseront la géographique du monde tel que nous le connaissons.
Les Nations unies ont prévu des programmes de réinstallation. Madame la Ministre, la Banque mondiale estime que 80 % des migrations climatiques pourraient être évitées avec les bonnes politiques : quelle est la position de la France sur les migrations climatiques ? (Quelques applaudissements sur les bancs des groupes Les Indépendants et UC)
Mme Nathalie Loiseau, ministre. - On constate les plus graves de ces difficultés dans le Pacifique - où des États insulaires sont menacés de disparition - et le Sahel. L'Agence française de développement dédie 50 % de ses fonds à des programmes de lutte contre le changement climatique.
Pour l'Union européenne, cette proportion n'est que de 20 %. Nous souhaitons que des actions de lutte contre le changement climatique représentent la même part que l'aide française.
Mme Colette Mélot. - Je ne peux qu'insister sur l'importance de l'aide au développement.
M. Jean-Noël Guérini . - Le solde migratoire explique l'essentiel de la hausse de population depuis les années 1990. Cependant, les conflits dans le monde et l'ampleur des persécutions auxquelles on assiste depuis 2015, représentent un défi nouveau. Des initiatives ont été prises, en particulier l'accord de mars 2016 avec la Turquie, ou encore la création de hotspots.
Sans promettre ce que nous ne pouvons assumer, nous avons un devoir d'humanité tout en restant fermes sur nos frontières. Non pour les transformer en barrières infranchissables, mais pour nous donner les moyens d'accueillir dignement les migrants - plutôt que dans les parcs parisiens ou sur les bouches de métro. Il faut être ferme contre les passeurs, contre ceux qui aident les passages illégaux, aussi bien que contre ceux qui se substituent à l'État pour prétendument contrôler les frontières...
Après le constat d'échec du règlement Dublin III, quelle politique européenne mener ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE)
Mme Nathalie Loiseau, ministre. - Vous le rappelez : l'Union européenne a pris des mesures depuis 2015 : accords avec la Turquie notamment, dont trois milliards d'euros d'aides pour ce pays qui accueille le plus grand nombre de réfugiés au monde.
Après le sommet de La Valette, nous avons dédié des fonds d'aides aux pays de départ, notamment pour les jeunes - qui sont les plus dynamiques et les plus tentés par le départ. Nous travaillons aussi, dans la discrétion et bilatéralement, sur le retour et la réadmission, trop longtemps confrontés à des obstacles.
Nous luttons aussi contre les passeurs. Il faut encore améliorer la coopération au sein de l'Union européenne et avec les pays d'origine et de transit contre le trafic d'êtres humains, cette gangrène qui est le deuxième trafic illégal le plus lucratif au monde.
M. Thani Mohamed Soilihi . - Selon l'Eurobaromètre, les migrations et la sécurité sont depuis 2016 les principales préoccupations des Européens. Le principal défi est de renforcer la souveraineté du continent. Sujet que Mayotte, région ultrapériphérique (RUP), connaît bien : la pression migratoire y est sans précédent, et l'insécurité croissante. Il y a urgence à nouer des accords internationaux pour enrayer la saturation des services publics et la violence réunies par l'immigration irrégulière dans l'île - qui ont été à la source du mouvement social qui s'est élevé à Mayotte dans les derniers mois. Que faire pour y parvenir, Madame la Ministre ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM, M. Jean-Pierre Sueur et Mme Fabienne Keller applaudissent également.)
Mme Nathalie Loiseau, ministre. - Le Gouvernement a pleinement conscience de la situation à Mayotte. Le 21 mars dernier, les Comores ont pris des mesures inacceptables de non-réadmission : nous restons décidés à les faire lever, dans une logique responsable d'État à État, avec l'objectif de lutter contre les filières et de stabiliser les relations entre Mayotte et les Comores.
Nous avons pris des mesures concernant les visas. Les deux ministres des affaires étrangères se sont rencontrés le 19 avril dernier ; le dialogue continue.
RUP, Mayotte bénéficie d'un soutien de 290 millions d'euros sur la période 2014-2020 - tous fonds confondus. Les Comores, elles, bénéficient du Fonds européen de développement (FED) à hauteur de 68 millions d'euros. Un accord transfrontalier alimente des actions en matière d'échanges commerciaux, de santé et de secours pour 16 millions d'euros entre les deux territoires.
Mme Esther Benbassa . - Je suis intervenue récemment pour un jeune homme originaire du Darfour, arrivé en France via Lampedusa, après des années dans un camp du Haut-Commissariat aux réfugiés au Tchad. Abdel, « dubliné », n'a jamais été en mesure de formuler une demande d'asile ! Cette situation, vous la connaissez bien. Il est temps de revenir sur le règlement Dublin.
Le Parlement examine en ce moment le projet de loi Asile, Immigration, lequel ne considère aucunement les négociations européennes.
Comment rendre le droit d'asile plus effectif en France ? La modification de son régime, en attendant, est purement électoraliste. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)
Mme Nathalie Loiseau, ministre. - Ce projet de loi est tout sauf électoraliste et démagogique, mais nous aurons tout le loisir d'y revenir lorsque ce projet de loi sera déposé au Sénat...
Un grand nombre de migrants ne souhaitent tout simplement pas déposer de demande d'asile dans le premier pays où ils arrivent - c'est sans doute le cas du jeune homme dont vous parlez. Certains font du shopping de l'asile.
Mme Sophie Taillé-Polian. - Du « shopping de l'asile » ?
M. Jean-Yves Leconte. - Tout le monde doit aller en Italie, c'est cela ?
Mme Esther Benbassa. - Comment osez-vous parler de « shopping » ?
Mme Nathalie Loiseau, ministre. - Je me suis rendue au sud Soudan, c'est la réalité. Si Dublin III ne fonctionne pas bien, c'est que certains États membres refusent d'accueillir les réfugiés. (MM. Loïc Hervé et Antoine Lefèvre renchérissent.)
La présidence bulgare a fait des propositions, telle la différenciation des obligations de solidarité selon la gravité de la crise et le pays. L'Italie ne dispose pas d'un gouvernement en mesure de faire des propositions. Nous l'attendons.
Mme Esther Benbassa. - Vous êtes dans la rhétorique, sans poser la question de l'accueil. Ensuite, comment osez-vous parler de « shopping » pour des gens dans la misère et le dénuement ? (Applaudissements sur les bancs des groupes CRCE et SOCR)
M. Pierre Ouzoulias. - Bravo !
M. Philippe Bonnecarrère . - Je poursuivrai sur le droit d'asile et sa réforme. Vous avez évoqué quelques perspectives, Madame la Ministre, mais j'attends d'autres impulsions.
Depuis le traité de Lisbonne, les questions relatives à l'asile ne sont pas soumises à la règle de l'unanimité, car elles relèvent des politiques communes : est-ce que cela ne facilite pas la réforme du règlement de Dublin ? Ensuite, quand des pays ne respectent pas leurs obligations, la question de la conditionnalité n'est-elle pas posée ? Enfin, j'aimerais avoir la confirmation que notre Gouvernement reste actif sur les réadmissions. À ma connaissance, cela ne fonctionne pas avec les pays du Maghreb et d'Afrique de l'Ouest. (Applaudissements sur les bancs du groupe UC)
Mme Nathalie Loiseau, ministre. - La majorité qualifiée s'applique en effet, mais, sur la révision du règlement de Dublin, les divisions sont fortes. Nous travaillons sur l'harmonisation des procédures, sur les délais, les critères - le projet de loi Asile et Immigration va dans ce sens. Mais il reste beaucoup à faire. Il est tentant de conditionner l'octroi de fonds européens aux États membres qui respectent leurs obligations de relocalisations. (M. Jean Bizet, président de la commission, le confirme.)
Le président de la République a aussi suggéré que l'accueil de migrants participe de la politique de cohésion et que les collectivités qui accueillent plus de migrants soient éligibles aux fonds de cohésion, ce sera autant de fonds qui n'iront pas aux pays qui refusent les migrants.
M. Philippe Bonnecarrère. - Nous soutenons la réforme du règlement européen mais restons dubitatifs sur l'utilité d'une réforme franco-française dans ce domaine.
M. Jean-Yves Leconte . - Le règlement Dublin III ne fonctionne pas, tout le monde en convient. Mais je m'interroge sur votre figure rhétorique consistant à dire qu'il faut renforcer la responsabilité des pays de premier accueil et la solidarité entre tous les États membres.
Le nouveau mandat Frontex communautarise la surveillance des frontières ; il est donc contradictoire de vouloir simultanément responsabiliser les pays de première entrée en Europe.
Quelles garanties aurons-nous que les procédures seront les mêmes dans chaque pays ? À ce stade, rien. (M. Roger Karoutchi doute que ce soit possible.)
Votre Gouvernement a fait voter une proposition de loi sur l'asile européen. Où est la crédibilité de la France si elle n'a de cesse de renvoyer les migrants en Italie ou en Allemagne ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)
Mme Nathalie Loiseau, ministre. - Renforcer les moyens de Frontex ne veut pas dire abdiquer toute responsabilité nationale en la matière. La réforme augmente les moyens humains de Frontex, mais aussi les moyens financiers alloués aux États de première entrée, Italie, Grèce, notamment. La France a rempli ses obligations en matière de réinstallation et de relocalisation vis-à-vis de la Grèce et de l'Italie. D'autres engagements ont été pris, des accords ont été voulus avec le Niger et le Tchad, et nous travaillons avec nos partenaires européens.
Nous sommes, je le crois, à la hauteur de nos valeurs.
M. Jean-Yves Leconte. - Vous ne m'avez pas répondu. Se cacher derrière la relocalisation pour ne pas réformer Dublin sera lourd de conséquences.
M. Philippe Pemezec . - On nous impose l'idée que l'immigration serait normale et que ce ne serait pas l'affaire des élus mais de fonctionnaires et d'associations, pourtant dénués de toute légitimité. Je m'y oppose totalement ! Je crois aux frontières qui permettent d'accueillir chez soi qui l'on souhaite. C'est ce qu'écrit Régis Debray. Les parlementaires devraient avoir leur mot à dire sur le sujet ! Au Canada, en Australie et en Nouvelle-Zélande, des quotas sont fixés par le Parlement. Quand y viendrons-nous en France, comme c'est aussi le cas en Autriche et peut-être bientôt aussi en Allemagne ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
Mme Nathalie Loiseau, ministre. - Vous examinerez dans quelques semaines le projet de loi Asile et Immigration : les parlementaires sont donc consultés sur ces aspects. Son contenu ne vous satisfait peut-être pas totalement ; les Français n'en ont pas moins voté, il y a un an, pour une majorité que ne reprenait pas votre idée de quotas. Sur le fond, ces quotas ne serviront à rien tant que les inégalités criantes et la détresse pousseront des migrants sur les routes.
M. Philippe Pemezec. - Comme je le craignais, c'est une réponse technocratique, qui creuse le fossé entre les Français et la technostructure. Le président Macron n'a sans doute pas été élu sur ces aspects. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. Dominique de Legge . - Entre 2016 et 2017, le nombre de demandeurs d'asile a augmenté de 17 %, les coûts de l'Allocation pour demandeur d'asile (ADA) de 9 %, les moyens de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) restent insuffisants et l'Aide médicale de l'État (AME) augmente elle aussi. Les pouvoirs publics peinent à endiguer ce flot humain de migrants qui n'ont plus rien à perdre... Vouloir tout attendre de l'Europe nous conduirait à l'inaction.
Que pensez-vous d'une modification de la durée de résidence en France pour obtenir la nationalité - par exemple la porter à huit ans comme en Allemagne ? Même question pour introduire une condition de maîtrise de la langue, pour rendre impossible de l'acquérir en cas de condamnation pénale, et enfin pour ne plus appliquer le droit du sol aux enfants nés de parents illégalement sur le sol français ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
Mme Nathalie Loiseau, ministre. - Mes propos n'ont pas été technocratiques. Pour avoir passé plusieurs années en Afrique subsaharienne, au Maghreb et visité bien des centres d'hébergement, je sais de quoi je parle - et je n'en parle pas de loin, bien à l'abri...
Que devraient dire les Allemands, qui ont accueilli plus d'un million de demandeurs d'asile en 2015 ? Qu'est-ce que l'Union européenne a à voir avec l'acquisition de la nationalité, qui est une compétence nationale propre ?
Durée de séjour minimale, vérification de la maîtrise de la langue ? C'est déjà le cas : pour obtenir la nationalité française, il faut cinq ans de résidence légale en France, il faut une connaissance suffisante de la langue, de l'histoire et de la culture française...
M. Roger Karoutchi. - Dans les textes ! Ce n'est pas ce qui se passe dans les faits !
Mme Nathalie Loiseau, ministre. - Je vous invite à vous pencher sur ce qui est effectivement demandé aux personnes qui sollicitent la nationalité française avant de poser vos questions.
M. Dominique de Legge. - Je croyais que les ministres au banc représentaient le Gouvernement... Je m'étonne que la ministre des affaires européennes n'ait pas de vision globale de la politique de la France pour défendre ses intérêts au niveau européen ! Décidément, nous sommes gouvernés par des technocrates. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. Olivier Henno . - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) L'Afrique subsaharienne est une bombe démographique : selon les Nations unies, sa population passera de 960 millions à 2 milliards d'habitants !
Il faut répondre à ce défi avec responsabilité, sous peine de voir les démocraties européennes submergées par le populisme. Faut-il s'obstiner à distinguer entre demande d'asile et immigration économique irrégulière ? Cela revient à accepter ceux qui meurent de peur, et à repousser ceux qui meurent de faim. Comment articuler la politique européenne d'immigration avec des politiques nationales très diverses, et avec les politiques des pays du Maghreb ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UC)
Mme Nathalie Loiseau, ministre. - Oui, il faut distinguer ceux qui sont persécutés en raison de leur race, religion, convictions politiques ou orientation sexuelle, qui relèvent de la convention de Genève, de ceux qui se cherchent un avenir différent ailleurs que dans leur pays d'origine et qui, pour certains, font le choix de l'immigration clandestine. Les deux démarches sont différentes.
L'avenir de la jeunesse de l'Afrique subsaharienne ou d'Asie du Sud, des plus courageux et déterminés, passerait forcément par l'exil ? Je ne peux me résoudre à ce fatalisme. Il est de notre responsabilité de pays partenaire d'oeuvrer à ce que la croissance économique de l'Afrique se traduise en développement humain, en possibilité de formation et d'emploi, en confiance dans l'avenir. Si l'Afrique se développe, nous avons un partenaire de croissance sur lequel s'appuyer. L'Europe ne peut pas accueillir tous les migrants. En outre, l'exil réduit le nombre de personnes qualifiées sur place et fait monter les tensions.
M. Olivier Henno. - La véritable frontière passera demain par le Sahara et non par la Méditerranée. D'où l'intérêt de relancer le partenariat euro-méditerranéen. (Applaudissements sur les bancs du groupe UC)
Mme Gisèle Jourda . - À l'aune des mutations politiques dangereuses que connaît la Turquie, le bien-fondé du pacte migratoire conclu avec ce pays sombre peu à peu. Or l'Union européenne l'a reconduit, en octroyant trois milliards d'euros supplémentaires pour aider la Turquie à accueillir les réfugiés syriens.
Des ONG ont appelé à une évolution juridique de ce pacte, qui repose sur le postulat erroné que la Turquie est un pays tiers sûr. La Turquie présente-t-elle un niveau de garantie et de protection pour les demandeurs d'asile identique à ce qu'accorde l'Union européenne ? Les Eurodéputés ne le pensent pas : le 25 avril dernier, ils l'ont retirée de la liste des pays d'origine sûrs, même si cela ne concerne que les nationaux turcs. Quel impact sur la situation actuelle ? Quelle est la position du Gouvernement français ?
Mme Nathalie Loiseau, ministre. - L'accord de mars 2016 a permis de baisser de 97 % les arrivées dans les îles grecques et divisé par dix les décès de migrants en mer Égée. Il a permis de lutter efficacement contre les filières de passeurs : nous sommes attachés à sa reconduction.
La Turquie est le pays qui accueille le plus grand nombre de réfugiés ; c'est un effort colossal. Nous avons des garanties sur la qualité de la protection qui leur est apportée. Les enfants sont scolarisés ; grâce au soutien de l'Union européenne, les réfugiés ont accès aux soins.
La discussion au Parlement européen que vous évoquez n'est en rien une décision.
L'aide européenne versée au profit des réfugiés va presque exclusivement à des acteurs non étatiques - collectivités locales et associations.