Questions d'actualité
M. le président. - L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement.
Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat, sur le site Internet du Sénat et sur Facebook.
Au nom du Bureau du Sénat, j'appelle chacun de vous, mes chers collègues, à observer au cours de nos échanges l'une des valeurs essentielles du Sénat : le respect des uns et des autres, ainsi que le temps pour permettre à chaque collègue de bénéficier de la diffusion complète de sa question et de la réponse.
Situation à Notre-Dame-des-Landes
M. Laurent Duplomb . - (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Le sujet est sérieux mais votre légèreté, Monsieur le Premier ministre, m'invite à vous poser une charade. Mon premier est une commune de Loire-Atlantique ; mon deuxième est le résultat d'un fiasco politique du précédent quinquennat ; mon troisième est une zone de 1 600 hectares où les forces de sécurité ne parviennent pas à rétablir l'ordre républicain et où pourtant le facteur, empêché, ne faisait qu'apporter des aides sociales aux occupants illicites... Mon quatrième est une zone où le droit de propriété est bafoué par des zadistes construisant des abris en toute illégalité. Mon tout est une zone de non-droit où nos forces de l'ordre sont attaquées alors qu'elles accomplissent avec courage leur mission au nom de l'État !
Les Français sont choqués et exaspérés. Monsieur le Premier ministre, comptez-vous enfin rétablir l'ordre public à Notre-Dame-des-Landes ? (Vifs applaudissements et « Bravos » sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. Édouard Philippe, Premier ministre . - Je vous félicite pour votre formidable charade. C'est un sujet très ancien, Monsieur le Sénateur (Marques d'ironie à gauche) Il date non de plusieurs mois ni de plusieurs années, mais de plusieurs décennies, donc bien avant le précédent quinquennat. Les premières occupations ont commencé au début des années 2000.
Le 17 janvier dernier, nous avons pris une triple décision : abandonner le projet d'aéroport, proclamer la vocation agricole des terres, mettre fin à l'occupation illégale, et longue - qu'aucun des précédents gouvernements n'avait souhaité ou pu faire cesser.
Notre premier objectif, dans l'opération conduite sous le commandement du directeur général de la gendarmerie nationale et suivie quotidiennement par le ministre de l'Intérieur, c'est de rétablir la liberté de circulation et de mettre fin à l'occupation sans titre. Nous ne pouvions pas commencer l'expulsion avant la fin de la trêve hivernale, car la loi nous l'interdit - et dans ma position peut-être plus que dans la vôtre, on se doit de respecter pleinement les règles en vigueur. Notre tâche est de faire appliquer le droit.
C'est ce que nous faisons : 29 constructions illégales ont été évacuées. Vendredi dernier, avec le ministre de l'Intérieur, j'ai rencontré les agents de l'État qui, avec le plus grand professionnalisme, gardent leur calme face aux provocations et aux assauts, alors qu'ils comptent plusieurs blessés et qu'ils sont sous une pression constante.
Hier, Nicolas Hulot s'est rendu sur place pour expliquer aux occupants que, soit ils respectaient la loi, soit ils seraient expulsés. Nous le ferons avec le souci d'éviter les incidents. Nous le ferons sans charade, sans légèreté, avec la force tranquille qui fera que vous ne pourrez pas douter de notre détermination. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et sur quelques bancs des groupes RDSE et UC)
M. Laurent Duplomb. - Nous n'avons pas la même vision de la situation.
L'image que vous donnez d'un État de droit bafoué est insupportable, vous n'avez pas mis fin à l'occupation illégale et vous avez accordé un passe-droit jusqu'au 31 mars dernier. Vous mobilisez 2 500 gendarmes bridés face à 150 zadistes, vous vous félicitez du démantèlement de 29 squats, alors qu'il y en a 99 : si c'était une note, ce serait 7 sur 20, pas de quoi recevoir les félicitations !
M. le président. - Veuillez conclure.
M. Laurent Duplomb. - Est insupportable, encore, votre pratique du deux poids deux mesures : d'un côté les Français obligés tous les jours de respecter les règles sous menace de sanction telle la perte de points sur leur permis de conduire, de l'autre, les zadistes obligés à rien ! (Exclamations sur les bancs des groupes SOCR et CRCE, où l'on indique que le temps imparti à l'orateur est écoulé.) Vous les autorisez même à régulariser une hypothétique installation agricole avec un dossier de deux pages jusqu'au 23 avril, alors qu'une installation agricole, partout ailleurs, nécessite un dossier de plus de 50 pages et plus de 8 mois de délai ! (Mêmes mouvements, couvrant la voix de l'orateur ; applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
Relance de la construction européenne
M. Vincent Capo-Canellas . - Le président de la République s'est adressé mardi au Parlement européen. Dans la lignée des discours d'Athènes et de la Sorbonne, il a plaidé pour une Europe plus forte, démocratique, souveraine, protectrice, une Europe puissance qui est aujourd'hui confrontée aux replis démocratiques et aux égoïsmes nationaux. Je suis convaincu que la souveraineté européenne nous permettra de défendre notre singularité culturelle, nos libertés, notre protection sociale, en même temps que la paix et la stabilité internationale.
Hélas, l'Europe politique semble figée, le projet européen patine, et les extrêmes progressent tandis que les partis traditionnels hésitent. Or l'immobilisme n'est plus une option quand le monde change. La France, elle, avance des idées nouvelles : mise en commun de moyens financiers, protection de nos pépites technologiques, politique migratoire commune, moyens militaires d'échelle européenne pour crédibiliser une posture diplomatique commune. L'heure n'est plus au repos ni au sommeil, les Européens doivent démontrer qu'ils peuvent affronter ensemble les vrais défis du présent que sont l'immigration, la sécurité, la gouvernance démocratique.
Le président de la République rencontre aujourd'hui la chancelière Merkel. La France et l'Allemagne doivent élaborer une politique commune. Quels moyens se donne la France pour convaincre ses partenaires européens de la suivre dans ses projets de refondation de l'Europe, Monsieur le Ministre ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UC)
M. Benjamin Griveaux, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, porte-parole du Gouvernement . - L'Europe est à l'arrêt depuis trop longtemps. Chaque élection européenne le montre : l'abstention progresse. Mais les racines du mal sont profondes et mêlées : incapacité des États membres à s'entendre sur un haut niveau de protection des peuples européens ; bureaucratie européenne éloignée, qui empêche parfois plutôt qu'elle n'encourage ; facilité de langage qui attribue les succès aux gouvernements nationaux et les échecs à Bruxelles.
Il faudra lutter contre les populismes, qu'ils viennent de l'extrême gauche (On se récrie sur les bancs du groupe CRCE.) ou de l'extrême droite !
C'est le sens des consultations populaires lancées hier à Épinal. Les sujets sont nombreux : migrations, sécurité, zone euro, numérique. J'invite chacun d'entre vous à y participer, nous sortirons grandis du débat et nous ferons oeuvre utile pour les générations à venir. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)
Mme Éliane Assassi. - Nous n'allons pas faire la campagne électorale d'Emmanuel Macron, tout de même !
Seconde journée de solidarité
M. Martin Lévrier . - Depuis vingt ans, le problème de la dépendance se pose et avec d'autant plus d'acuité que nous réfléchissons à nouveau à la fin de vie et à l'euthanasie.
À l'heure où l'espérance de vie s'accroît - en 2050, 5 millions de nos concitoyens auront plus de 85 ans, contre 1,5 million actuellement - n'est-il pas temps de se pencher sur la question du bien vieillir ? Le président de la République a annoncé la création d'un cinquième risque. Pour le financer, vous avez, Madame la Ministre des solidarités, proposé un deuxième jour non payé, ce qui revient à deux minutes par jour par salarié - et rapporterait trois milliards d'euros, couvrant les besoins.
Cette solution de solidarité financera-t-elle le cinquième risque ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé . - Le nombre de personnes âgées et des personnes âgées dépendantes augmente. Nous devons trouver de nouvelles pistes pour améliorer la prise en charge, nous en avons déjà débattu. C'est un impératif vis-à-vis de nos aînés et de leurs familles. Le président de la République a repris la piste d'une deuxième journée de solidarité. C'en est une parmi d'autres, il nous faut les examiner toutes.
Nous devons plus largement trouver les moyens d'accueillir les personnes âgées dépendantes, au-delà du circuit domicile/Ehpad. Les moyens des Ehpad ont déjà été accrus.
Le Gouvernement de M. Raffarin a déjà créé une journée de solidarité qui avait rapporté 2,3 milliards d'euros. Nous devons aussi travailler pour améliorer la situation des aidants. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)
Carte des zones défavorisées simples (ZDS)
Mme Nathalie Delattre . - Monsieur le Ministre de l'agriculture, nous avons été nombreux à nous interroger sur la nouvelle carte des zones défavorisées simples (ZDS), maintenant connue et transmise à Bruxelles. Certaines communes en sont exclues telles que Saint-Christophe-de-Double en Gironde, alors qu'elle est environnée de communes qui sont inscrites sur cette carte.
Au niveau national, le nombre de communes bénéficiaires augmente, mais il baisse dans certains départements. En Gironde, 241 éleveurs étaient en ZDS, répartis sur 165 communes. Avec la nouvelle carte, ce sont seulement 183 éleveurs qui toucheront l'indemnité compensatoire de handicap naturel ; 58 éleveurs perdront ainsi en moyenne 5 800 euros chaque année, et certains, 10 000 euros.
Quelles mesures prendrez-vous pour que ces déclassés ne deviennent pas des délaissés ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE et sur quelques bancs du groupe Les Républicains)
M. Christophe Castaner, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement . - Ce n'est pas la première fois que vous nous interrogez sur ce point sensible. L'Alpin que je suis le sait bien. La cartographie date d'une quarantaine d'années. Depuis quinze ans, la Cour des comptes européenne nous demandait instamment de l'adapter aux réalités actuelles, mais nous repoussions le problème.
Beaucoup de bénéficiaires potentiels étaient exclus du dispositif. Avec la nouvelle cartographie, 14 133 communes et les agriculteurs pourront bénéficier de ces aides contre 10 429 auparavant, c'est un tiers de plus. Certaines communes sortent du dispositif.
À Saint-Christophe-de-Double comme ailleurs, la sortie se fera en tuilage avec des dispositifs d'accompagnement pour éviter que cela soit trop pénalisant.
Dimension écologique de la future proposition de résolution de la France sur la PAC
M. Guillaume Gontard . - Je veux d'abord dire le soutien du groupe CRCE aux cheminots, étudiants et enseignants qui manifestent cet après-midi pour défendre le service public, qui est le patrimoine de ceux qui n'en ont pas ! (Ironie sur les bancs du groupe Les Républicains ; applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)
Monsieur le Ministre d'État, j'imagine votre déception devant le faible enthousiasme du président de la République pour l'écologie. Nous ne pouvons plus nous permettre le mépris envers les tentatives de ceux qui osent un changement radical en matière agricole - comme c'est le cas à Notre-Dame-des-Landes ! (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains).
La renégociation de la PAC est l'occasion de promouvoir un autre modèle. Dans six semaines, les grandes lignes seront fixées. Peu d'information filtre, sinon la rumeur d'une baisse de 3 milliards d'euros de crédits - laquelle a suscité une résolution européenne du Sénat, le 12 avril, demandant au Gouvernement de défendre une PAC plus ambitieuse que dans l'exercice précédent, où l'agrobusiness l'a emporté sur les petits paysans et la transition vers une agriculture durable.
Faisons enfin une véritable politique agricole commune qui réponde aux attentes de nos concitoyens en matière de santé, de qualité et de respect de l'environnement ! (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE ; M. Joël Labbé applaudit également.)
M. Nicolas Hulot, ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire . - Je souscris à la deuxième partie de votre intervention, pas à la première. Je fais le voeu que l'on passe enfin à une agriculture intensive en emplois et à faible taux de pesticides, et non l'inverse... (Applaudissements sur quelques bancs du groupe RDSE)
M. Jean Bizet. - Caricature !
M. Nicolas Hulot, ministre d'État. - Stéphane Travert dessine les perspectives d'une telle agriculture en ce moment même à l'Assemblée nationale. Un plan permettant d'éviter les importations de protéines végétales dignes de ce nom en sera la première pierre. Oui au commerce international, mais pas n'importe comment.
Deuxième axe : la promotion de modèles centrés sur la qualité, la réduction des pesticides et la protection de l'environnement. Les aides doivent être centrées sur le nouveau modèle protecteur des consommateurs et plus rémunérateur pour les agriculteurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM ; MM. Joël Labbé et Joseph Castelli applaudissent également.)
Droit d'asile et centre d'accueil de la Villette
M. Bernard Jomier . - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) Ils étaient quelques centaines, ils sont désormais deux mille, des hommes, des femmes, parfois des enfants, à s'entasser dans des tentes au bord d'un canal. Ce sont des migrants fuyant la violence de la guerre, de la pauvreté, d'une vie sans avenir. Notre politique migratoire ne peut s'exonérer du respect des droits fondamentaux. La maire de Paris a fait des propositions ; le Défenseur des droits a dénoncé des conditions de vie indignes, l'archevêque de Paris, venu à leur rencontre, a appelé à un effort de fraternité.
Quand allez-vous répondre autrement que par le silence ? Que comptez-vous faire pour mettre fin à ce campement indigne ? (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et CRCE ; M. Joël Labbé applaudit également.)
M. Rachid Temal. - Bravo !
M. Christophe Castaner, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement . - Le problème se pose en effet en termes d'humanité. La situation, provisoire, est due à la fermeture du centre d'accueil Dubois depuis le 31 mars dernier. En attendant son remplacement par un réseau de centres d'accueil en Île-de-France, la période de transition est délicate, pour les migrants - essentiellement des hommes majeurs - comme pour les riverains. Il faut héberger et orienter le plus rapidement possible, en fonction du profil et de la situation administrative de chaque migrant. (M. Pierre Laurent s'exclame.)
Nous avons collectivement déployé des efforts pour prendre en charge les arrivées ; des maraudes ont conduit à orienter 2 200 personnes vers les trois structures de jour. Des navettes circulent pour y conduire les migrants.
Mais disons-le sans naïveté, le campement de la porte de la Villette est pour l'essentiel composé de personnes qui refusent la mise à l'abri car elles veulent se soustraire aux contrôles...
M. Pierre Laurent. - C'est faux !
M. David Assouline. - Venez avec moi le visiter !
M. Christophe Castaner, secrétaire d'État. - ... et des filières organisent les départs vers le Pas-de-Calais et l'Angleterre.
Si la maire de Paris souhaite l'évacuation du campement, elle peut saisir le juge ; le Gouvernement appliquera les décisions de justice. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)
M. Bernard Jomier. - L'évacuation n'est pas une réponse durable. La fermeture du centre Dubois a été annoncée de manière brutale, sans explication. Le manque de clarté sème le trouble jusqu'au coeur de votre majorité. Vous dites vouloir concilier humanité et fermeté ? En réalité, c'est l'indignité et le désordre. L'équilibre promis n'est pas atteint, faute de respect des droits fondamentaux et d'une politique migratoire claire ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et CRCE ; M. Joël Labbé applaudit également.)
Politique d'aménagement et d'équilibre des territoires
M. Alain Fouché . - La semaine dernière, les trois principales associations d'élus locaux dénonçaient une recentralisation du pays.
M. Philippe Dallier. - Elles ont bien raison !
M. Alain Fouché. - Malgré quelques annonces positives, comme le plan Action Coeur de ville ou le plan d'action pour les hôpitaux, les élus assistent impuissants à la fermeture d'écoles, à la suppression des contrats aidés, au déclassement des zones défavorisées, à la détresse agricole, à la désertification médicale, à la menace sur les petites lignes ferroviaires, le tout dans un contexte de baisse des dotations.
Il devient urgent d'adopter une vision nouvelle pour la ruralité. Sans services publics, sans Internet, sans hôpitaux, nos territoires ne seront pas attractifs. Il faut une réponse globale tenant compte de l'équilibre des territoires.
Quelles mesures concrètes pour éviter la dévitalisation des territoires ruraux ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Indépendants et sur plusieurs bancs des groupes UC et SOCR ; M. Éric Bocquet applaudit également.)
M. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires . - Vous appartenez au groupe République et territoires : tout un programme ! Ce que vous décrivez n'est pas nouveau, c'est le produit de décennies de creusement des inégalités dans notre République. Nous en sommes tous responsables.
Quelle politique de réparation ? J'ai lancé le plan Action Coeur de ville à Châtellerault, dans votre département. Sur la téléphonie mobile et le haut débit, nous sommes allés vite et fort pour contraindre les opérateurs à tenir leurs engagements. (Murmures sur divers bancs.) C'est la réalité ! La téléphonie fixe dans certains départements, dont le mien, va plus mal qu'il y a quelques d'années. Nous accélérons la desserte...
Le plan Santé de Mme Buzyn est une autre avancée.
En matière d'aménagement du territoire, nous avons dissocié la restructuration de la SNCF de la question des petites lignes - le président de la République l'a rappelé hier à Saint-Dié. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et RDSE)
M. Alain Fouché. - Vous dénonciez ces déséquilibres quand vous siégiez ici. Il faut une vision nouvelle de la ruralité, et plus de cohérence. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Indépendants)
Port du voile et sorties scolaires
M. Philippe Pemezec . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Quand on sait le combat que mènent les femmes musulmanes dans leur pays pour s'émanciper, on ne saurait éluder le débat sur le voile. Il prend tout son sens dans certains quartiers où le développement du communautarisme et la mise à mal quotidienne des valeurs de la République exaspèrent les habitants.
Le président de la République a semblé confirmer dimanche à la télévision la position du ministre de l'Éducation nationale selon laquelle les mères accompagnant les sorties scolaires devaient être considérées comme collaboratrices bénévoles du service public - donc ne pas porter le voile - mais s'est ensuite réfugié derrière la jurisprudence du Conseil d'État, qui est à géométrie variable.
Bref, les maires sont laissés seuls face à cette situation compliquée. On attise les haines, on abîme le bien-vivre. Que comptez-vous faire pour mettre un terme à ces ambiguïtés ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale . - Nous avons déjà fait beaucoup pour la laïcité à l'école en créant le Conseil des sages de la laïcité et les unités laïcité dans chaque rectorat pour aider les établissements à résoudre les problèmes ponctuels et veiller à une application homogène de la loi sur le territoire.
M. David Assouline. - Elles existaient déjà !
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. - Vous en verrez les effets au fil du temps. Je suis déterminé à faire respecter le principe de laïcité dans le système scolaire.
Le sujet des mères voilées accompagnant des sorties scolaires n'est pas nouveau. En 2013, le Conseil d'État a émis un avis, non un arrêt, qui repose sur la notion de collaborateur bénévole du service public - laquelle emporte les mêmes obligations que pour les fonctionnaires et proscrit donc le port du voile. Le Conseil d'État précise que le chef d'établissement peut recommander aux accompagnatrices de ne pas porter le voile. Je les y incite, et clarifierai cette position dans une circulaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)
Plans régionaux de santé
Mme Sylvie Vermeillet . - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) Le conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté a rendu un avis négatif sur le projet régional de santé (PRS) de l'Agence régionale de santé (ARS), d'autres collectivités suivront. Dans la Nièvre, 70 maires et adjoints ont démissionné pour protester contre la fermeture des urgences de nuit de Clamecy. À Saint-Claude dans le Jura, un bassin de vie de 60 000 personnes est privé de maternité et de chirurgie, au mépris de la loi Montagne. Les pompiers multiplient les sorties pour acheminer les malades. Les collectivités payent pendant que l'État fait des économies.
Madame la Ministre, les ARS stérilisent et amputent les territoires sans anesthésie ! À force de fermer hôpitaux et maternités, vous éloignez toujours plus les patients des médecins. Allez-vous réviser les PRS élaborés de manière unilatérale ? Sinon, à quoi bon les soumettre au vote des assemblées locales ? (Applaudissements sur les bancs des groupes UC, Les Républicains ainsi que sur plusieurs bancs du groupe SOCR)
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé . - Vos propos comportent certaines contre-vérités. (Exclamations) Le ministère de la santé ne fait pas d'économies sur le dos des territoires : nous cherchons au contraire à les accompagner. Quand des maternités fonctionnent avec des mercenaires, c'est la sécurité des patients qui est en jeu ! Nous sommes obligés de fermer, non pour des raisons budgétaires mais démographiques, faute de médecins sur le terrain. Vous le savez, les postes ne sont pas pourvus. (Mouvements sur divers bancs) Les ARS veillent à la sécurité et à la fluidité des parcours de soins.
La région Bourgogne-Franche-Comté est très étendue et peu peuplée ; le PRS en tient compte. Ces plans ont été élaborés en concertation avec l'ensemble des professionnels de santé, pendant dix-huit mois. Ils seront soumis à la Conférence régionale de la santé et de l'autonomie, qui fédère l'ensemble des parties prenantes, le 28 avril.
Je déplore que votre région n'ait pas voté le PRS, le directeur de l'ARS est prêt à travailler avec les collectivités. Nos priorités sont la sécurité et la qualité des soins partout en France. J'y veillerai. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM ; protestations sur les bancs du groupe Les Républicains)
Mme Sylvie Vermeillet. - Le Sénat est l'assemblée des territoires. Auriez-vous besoin d'un ORL pour nous entendre ? Il faut se donner les moyens d'affecter des médecins là où sont les besoins. Fermer des hôpitaux ne fera pas disparaitre les patients ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UC, Les Républicains et SOCR)
Emploi et territoires
M. Frédéric Marchand . - Le 4 avril dernier, le Gouvernement a lancé, dans le Nord, le volet numérique du plan d'investissement dans les compétences. Ce sont 15 milliards d'euros qui seront consacrés à la formation d'un million de jeunes et d'un million de demandeurs d'emploi de longue durée faiblement qualifiés : à 80 %, des personnes n'ayant pas le baccalauréat.
Je me félicite que le Gouvernement intensifie l'effort de formation professionnelle des plus vulnérables, dans un contexte de bouleversements du marché du travail. Vous l'avez répété, Madame la Ministre : personne n'est inemployable. Un jeune décrocheur ou une employée au chômage peuvent devenir codeur ou web rédactrice ; le numérique ouvre les portes, quel que soit le niveau de qualification.
M. David Assouline. - La question ?
M. Frédéric Marchand. - Le président de la région Hauts-de-France, Xavier Bertrand, vous a présenté l'initiative Proch'Emploi qui vise à aider les entreprises qui peinent à recruter. Le dispositif des emplois francs va dans le même sens, celui d'une mobilisation générale et de solutions pragmatiques. Comment comptez-vous accompagner davantage encore le volontarisme des collectivités qui s'engagent pour l'emploi ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)
Mme Sophie Primas. - Donnez-leur de l'argent !
Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail . - Notre politique de l'emploi est centrée sur la stratégie de compétences, qui est aussi une stratégie d'inclusion, d'émancipation et de cohésion sociale. Je sais que personne ici n'accepte que 1,3 million de nos jeunes soient sans emploi ni perspective, qu'un habitant d'un quartier « politique de la ville » ait trois fois moins de chance de trouver un emploi que la moyenne, que le taux de chômage des non-qualifiés atteigne 18 %.
D'où le plan d'investissement dans les compétences, en partenariat avec les régions, qui sont en charge de la formation professionnelle. Des collectivités locales ont lancé des initiatives ; pour réussir, il faut que le mouvement aille dans les deux sens. La démarche de Xavier Bertrand dans les Hauts-de-France est bienvenue. À Clichy-sous-Bois, nous avons évoqué un partenariat avec les quartiers « politique de la ville ».
La politique de l'emploi n'est pas une affaire politicienne. Nous comptons sur toutes les bonnes volontés, à commencer par les collectivités locales. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM ; M. Joseph Castelli applaudit également.)
M. Rachid Temal. - Avec quel argent ?
Réforme de la justice
M. Xavier Iacovelli . - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) Madame la garde des Sceaux, vous présenterez bientôt un projet de réforme de la justice qui cristallise la colère des avocats, des magistrats et des greffiers. Ils redoutent la suppression des tribunaux d'instance, proches des citoyens et abordables, au profit d'une justice dématérialisée, voire déshumanisée.
Vous ne prenez pas en compte la fracture numérique. Les victimes devront déposer plainte en ligne, sans aucun accompagnement et avec des délais de réponse allongés. La révision des pensions alimentaires se fera sans le juge, à la discrétion de la CAF !
Pour être efficace, la justice a besoin de moyens humains et financiers. Le manque de clarté inquiète le monde judiciaire, l'atteinte à la justice de proximité inquiète les citoyens.
Pouvez-vous clarifier la position du Gouvernement ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice . - Je ne saurais clarifier quelque chose d'assez clair, compte tenu du nombre de fois où je l'ai répété : nous ne fermerons aucun tribunal d'instance. Les 300 tribunaux d'instance continueront à exister, à exercer pleinement leurs compétences, le personnel du ministère de la justice continuera à y être affecté.
J'étais hier au tribunal de Senlis, avant-hier à Marseille, encore ailleurs avant : partout, dans chaque tribunal, il existe un service d'accueil unique du justiciable dans lesquels des personnes physiques accueillent et orientent, dans le respect de la confidentialité.
Je ne serais pas complète si j'omettais de dire que les moyens de la justice augmentent considérablement : 1,6 milliard d'euros et 6 500 emplois supplémentaires sur cinq ans. Bien plus que ce que mon anté-prédécesseur avait pu rêver ! J'espère vous avoir rassuré. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et Les Indépendants)
M. Xavier Iacovelli. - Rassurez surtout le monde de la justice qui se mobilise dans les barreaux. Votre anté-prédécesseur avait augmenté le budget de la justice de 9 %, permettant de recruter magistrats et greffiers.
Votre silence sur les CAF ne laisse pas de nous inquiéter : il est donc bien question de sous-traiter la révision des pensions alimentaires ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)
Blocage des universités
Mme Brigitte Lherbier . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Le désordre règne dans les universités, bloquées par des poubelles, des chaises, des tables ; les cours et les examens sont suspendus. Le président de l'université de Lille s'inquiète des pratiques des bloqueurs, notamment sur le site de la faculté de droit, où j'ai longtemps enseigné.
Mme Esther Benbassa. - Sciences Po aussi est bloqué !
Mme Brigitte Lherbier. - Selon le renseignement territorial, les blocages sont le fait d'une poignée de personnes, souvent sans lien avec la sphère éducative : quelques milliers, face à 2,5 millions d'étudiants qui veulent travailler.
Le président de la République voulait célébrer mai 68 ? Il a été entendu ! Il a depuis dénoncé les manipulations politiques extérieures responsables des violences. Le Gouvernement entend-il, comme à Notre-Dame-des-Landes, se contenter de discours, ou va-t-il user de son autorité pour qu'une minorité militante ne gâche pas l'année universitaire de la grande majorité ? Que comptez-vous faire pour que les étudiants puissent étudier ? (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UC et Les Indépendants)
Mme Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation . - Je vous rassure : les examens se sont déroulés cette semaine à Lille en toute sécurité, quitte à être délocalisés. Les examens auront lieu partout. Nous nous y sommes engagés : il n'y aura pas de diplôme bradé ni d'année blanche.
Vous avez raison, les blocages sont le fait d'une petite minorité. (Exclamations sur les bancs du groupe CRCE) Les bloqueurs ne sont d'ailleurs pas toujours étudiants. Plutôt que de soutenir cette minorité, écoutons plutôt ceux, très majoritaires, qui souhaitent passer leurs examens normalement. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, Les Républicains, UC, Les Indépendants et RDSE) Je pense à tous ces étudiants, notamment boursiers ou qui travaillent pour payer leurs études, et qui veulent étudier et réussir leurs études.
Mme Esther Benbassa. - Les pauvres ! C'est du misérabilisme !
Mme Frédérique Vidal, ministre. - C'est pourquoi, je le répète, les examens se tiendront, il n'y aura pas d'année blanche. Il en va de la crédibilité de notre université. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et Les Indépendants)
Situation des territoires ruraux
M. Marc Laménie . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Une certaine France se sent oubliée. Une étude du Crédoc de novembre 2017 témoigne du sentiment d'abandon des territoires ruraux. Fermeture des commerces, des services publics : le désarroi est devenu détresse. Dans le Sud des Ardennes, des classes ferment alors que les communes ont investi dans les écoles. Le centre hospitalier de Charleville-Mézières va voir son financement baisser. La précarité frappe d'abord les gens en situation de fragilité psychologique.
L'abandon des territoires est-il inéluctable ? La reprise en main des collectivités locales par la haute administration est-elle positive ? Qu'avez-vous à dire aux maires ruraux, maintenant que vous avez quitté le Sénat ? (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC)
M. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires . - Monsieur Laménie, c'est toujours un plaisir de vous entendre. Nous avons été élus la même année et je salue votre constance.
Depuis 1999, le département des Ardennes perd un peu plus de mille habitants par an. Il pâtit de la désindustrialisation, avec un taux de chômage de 11,3 %, supérieur à la moyenne régionale. Les territoires sont toutefois diversifiés, et Rethel va mieux que Charleville-Mézières ou Sedan.
Les gros investissements sur l'A304 ou sur la ligne Charleville-Givet n'ont pas suffi à inverser la tendance. Je vous invite à travailler avec le député Jean-Luc Warsmann qui propose pour les Ardennes un plan stratégique 2022 ciblant les investissements publics prioritaires.
Ces départements qui vivent le déclin depuis vingt ans ont besoin du concours de l'État mais aussi de l'action de leurs forces vives, pour bâtir ensemble un plan constructif. (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE et LaREM.)
M. Bruno Sido. - Bravo.
M. Marc Laménie. - Les territoires ruraux ont un fort potentiel, leurs élus sont une chance pour notre pays. Ayons le courage de leur faire confiance et de leur donner les moyens de leur développement. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
La séance est suspendue à 16 h 5.
présidence de Mme Catherine Troendlé, vice-présidente
La séance reprend à 16 h 20.