SÉANCE

du mardi 27 mars 2018

69e séance de la session ordinaire 2017-2018

présidence de M. Thani Mohamed Soilihi, vice-président

Secrétaires : M. Éric Bocquet, Mme Catherine Deroche

La séance est ouverte à 14 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance est adopté.

Protection des mineurs victimes d'infractions sexuelles

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi d'orientation et de programmation pour une meilleure protection des mineurs victimes d'infractions sexuelles.

Discussion générale

M. Philippe Bas, auteur de la proposition de loi .  - Nous traitons cet après-midi d'une question très grave qui, heureusement, fait l'objet d'une prise de conscience aiguë dans notre société ces derniers mois. Le Sénat, chambre de réflexion, n'a pas souhaité faire d'annonces précipitées ou improvisées, mais prendre le temps de dresser un diagnostic et d'évaluer la faisabilité des mesures qu'il proposait. Le groupe de travail pluraliste animé par Marie Mercier a auditionné 110 personnes, quatre mois durant, pour aboutir à des propositions que nous traduisons dans cette proposition de loi, dix ans après la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance que j'avais eu l'honneur de présenter au Parlement.

Le constat est hélas sans appel. La moitié des victimes d'agressions sexuelles sont des mineurs. La moitié de ces agressions commises sur des mineurs sont le fait d'autres mineurs, très souvent dans le cadre familial. Seuls un petit nombre de ces faits donnent lieu à des poursuites. Ce n'est pas digne de la France.

Si nos lois pénales méritent d'être ajustées à la marge, il faut surtout développer la prévention et l'accompagnement des victimes.

En matière pénale, la proposition de loi porte le délai de prescription de vingt à trente ans à compter de la majorité de la victime. J'ai eu quelques hésitations sur ce point car le but est que la plainte soit déposée le plus tôt que possible, la véritable protection venant de la capacité de la victime et de son entourage à assumer la gravité de ce qui s'est produit sur le moment, pas après avoir souffert en silence pendant trente ans - administrer la preuve étant alors beaucoup plus aléatoire.

J'ai cependant compris que beaucoup de victimes refoulent leur agression au point de rentrer dans un processus de déni, ce que l'on qualifie d'amnésie post traumatique.

Certains souhaitent que le viol sur mineurs devienne un crime imprescriptible. La commission des lois n'y est pas favorable. Que dirions-nous aux parents d'enfants assassinés ou de victimes du terrorisme ? N'entrons pas dans la hiérarchie de l'horreur.

Nous avons souhaité aggraver les peines encourues en portant de cinq à sept ans d'emprisonnement la peine en cas d'atteinte sexuelle sur mineurs, soit dix ans en cas de circonstances aggravantes.

J'en viens à la répression des viols sur mineurs. La première exigence est de protéger les enfants, tous les enfants. Une victime de 15 ans et 1 mois mérite la même protection qu'une victime de 15 ans moins 1 mois.

Autre point à considérer : l'âge de maturité sexuelle n'est pas le même pour tous, ni sous tous les cieux. Soyons réalistes. Le critère d'âge n'est pertinent qu'en moyenne - or on ne peut condamner un agresseur en fonction de comportements moyens, mais de comportements réels.

Troisième exigence, à concilier avec les deux autres : le respect des droits de la défense. Pour apporter la preuve, il faut des éléments matériels et une intention criminelle caractérisée. Prévoir qu'il suffit que la victime ait moins d'un certain âge pour caractériser un viol revient à créer une présomption irréfragable de culpabilité. L'accusé ne pourrait alors démontrer son innocence, ce qui est manifestement inconstitutionnel. Nous ne saurions l'envisager. Le Gouvernement, dans une certaine précipitation, avait mis cette piste sur la table - avant de se ranger à l'avis prévisible du Conseil d'État et d'adopter des dispositions plus modérées, au point qu'elles n'apportent pas grand-chose à la loi actuelle, sinon, entre deux virgules, une interprétation...

Nous ne voulons pas d'une disposition cosmétique, mais réellement protectrice. D'où notre idée d'inverser la charge de la preuve dans deux cas : si l'enfant n'a pas de discernement, quel que soit son âge, ou si l'écart d'âge est important entre l'agresseur et la victime, il y aurait alors présomption de contrainte. Le débat ne porterait pas sur le consentement de la victime : à la défense de prouver qu'il n'y a pas eu contrainte, celle-ci étant présumée. Cette présomption de contrainte est un moyen de rendre plus efficace la répression

J'attends du Gouvernement qu'il entende le Sénat et renforce la prévention et l'accompagnement des victimes. Force est de constater que les crédits du programme 137 « Égalité entre les femmes et les hommes » ne sont pas à la hauteur des ambitions affichées, de nombreuses associations le disent... (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UC, RDSE et Les Indépendants)

Mme Marie Mercier, rapporteur de la commission des lois .  - (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UC, RDSE et Les Indépendants) Le problème des violences sexuelles s'est toujours posé. Dès le code d'Hammurabi, le sixième roi de Babylone posait l'interdit du viol et de l'inceste. En 1832, le code pénal français protégeait spécifiquement les mineurs en créant l'attentat à la pudeur.

En octobre 2017, la commission des lois a créé un groupe de travail qui a refusé les annonces précipitées et voulu prendre de la hauteur, sans idées préconçues. Pendant quatre mois, nous avons travaillé en étroite collaboration avec la délégation aux droits des femmes et avec Laurence Rossignol, multiplié les déplacements et les auditions : victimes, magistrats, enquêteurs, professionnels de santé, psychologues...

Les fragments ignorent leurs coïncidences, dit-on. Nous avons assemblé les pièces du puzzle. Notre rapport de février 2018 dresse un constat accablant. La loi existe mais elle est mal utilisée en raison d'un manque de moyens et de formation.

Notre groupe de travail a préconisé une stratégie globale, avec des ajustements en matière pénale mais surtout des moyens renforcés et une mobilisation de toute la société. Cette stratégie repose sur quatre piliers : prévenir les violences sexuelles, favoriser l'expression et la prise en compte de la parole des victimes, renforcer les peines et disjoindre la prise en charge des victimes du procès pénal.

La prévention en constitue l'axe majeur. Il faut lever les tabous, briser le silence. Chacun doit être sensibilisé à l'interdit des violences sexuelles. Les parents doivent être soutenus dans leur parentalité, via les pôles mères-enfants. Les enfants ont une sexualité qui leur est propre mais chaque enfant doit recevoir une véritable éducation à la sexualité. Une attention particulière doit être portée à la pornographie sur Internet, qui a des conséquences désastreuses sur la représentation de la sexualité et du consentement. Or la moitié des moins de 10 ans ont vu un film pornographique, et l'âge moyen est de 14 ans et 5 mois...

Pour libérer la parole des victimes, il faut des professionnels formés à l'écoute et capables de déceler les violences sexuelles. Les conditions d'accueil des plaignants doivent être améliorées.

Une justice efficace nécessite de renforcer les moyens et les effectifs de la police judiciaire comme des juridictions afin de réduire les délais d'enquête et de jugement, qui atteignent sept ans. Trop souvent, un viol est requalifié en agression ou en atteinte sexuelle en raison de l'encombrement des cours d'assises...

Les moyens consacrés aux frais de justice et à l'aide des victimes sont à renforcer. Il faut désacraliser le procès pénal et accompagner les victimes même en dehors de toute procédure judiciaire. Toute victime doit pouvoir être entendue par la police, à n'importe quel moment. Les mots « je vous crois » sont de ceux qui délivrent.

En matière pénale, notre proposition de loi allonge le délai de prescription pour viol de vingt à trente ans, mesure surtout symbolique. L'essentiel réside à l'article 3 qui instaure une présomption de contrainte : la charge de la preuve sera inversée en cas d'incapacité de discernement ou d'écart d'âge important entre l'auteur et la victime. Nous voulons protéger toutes les victimes, or le discernement n'a pas d'âge.

En inversant la charge de la preuve, l'article 3 facilite la qualification criminelle du viol, sans changer l'interdit pénal existant.

L'article 5 alourdit les peines pour le délit d'atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans en portant la peine d'emprisonnement de cinq à sept ans et l'amende de 75 000 à 100 000 euros.

Ce texte innovant vise à changer les représentations sociales, les mentalités. De ce que nous avons lu, vu ou entendu, de toutes les atrocités les plus glauques et les plus cauchemardesques, nous devons protéger nos enfants. Nous proposons de faire la lumière avec du noir. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UC, RDSE et sur quelques bancs du groupe SOCR)

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes .  - Le président de la République a décrété grande cause du quinquennat l'égalité entre les femmes et les hommes. Le premier thème porté à ce titre est celui de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Ce choix a été fait dès la campagne, bien avant le mouvement historique de libération de l'écoute qui a touché le monde et la France.

Nous ne pouvons plus fermer les yeux face à l'ampleur des violences sexistes et sexuelles. Je salue l'engagement du Sénat même si je déplore une appréciation quelque peu manichéenne. Je dois vous demander de respecter le travail du Gouvernement au même titre que nous respectons le vôtre. (Huées sur les bancs du groupe Les Républicains)

Pas moins de 25 % des femmes déclarent avoir subi une forme de violence dans l'espace public au cours des douze derniers mois, soit cinq millions de femmes chaque année ; 93 000 femmes de plus de 18 ans ont subi en 2016 un viol ou une tentative de viol ; 40 % des femmes et les deux tiers des victimes ont subi de tels actes avant 15 ans.

Ces violences font obstacle à la construction d'une société égalitaire. Nous devons répondre fermement aux agresseurs. Les récentes affaires judiciaires impliquant de très jeunes mineures ont marqué les esprits. En 2017, 84 % des plaintes enregistrées concernaient des mineurs de moins de 15 ans - et sans doute ces chiffres sont-ils sous-évalués, faute de dénonciation. Les causes en sont multiples : peur, emprise, intimidation, absence de compréhension... D'autant que, dans 87 % des cas, les victimes connaissent leurs agresseurs.

La détection de ces violences étant particulièrement difficile, il est impératif de continuer à former les professionnels en contact avec les mineurs mais aussi les magistrats. Il est intolérable que des faits de viols sur mineurs ne soient pas jugés comme tels. Notre devoir est de protéger les victimes, c'est un enjeu de civilisation.

Ce combat transcende les clivages et appelle une mobilisation générale de la société. Le 25 novembre dernier, le président de la République a présenté un plan d'action, complété par de nouvelles mesures annoncées le 8 mars par le Premier ministre. Elles ont donné lieu au projet de loi que j'ai présenté en conseil des ministres le 21 mars.

Certaines des dispositions de votre texte rejoignent la position du Gouvernement. Comme lui, vous souhaitez étendre de dix ans la prescription, pour prendre en compte le problème de l'amnésie post-traumatique. Le Gouvernement va plus loin en étendant cet allongement du délai à l'ensemble des crimes commis sur les mineurs.

Sur la question de la protection des mineurs de quinze ans contre le viol, nos positions divergent quant au mécanisme à privilégier mais nous poursuivons un objectif commun.

Le Gouvernement présentera en procédure accélérée un projet de loi sur les violences sexistes et sexuelles, fruit d'une large concertation. Nous nous sommes appuyés sur les travaux de nombreux experts, de la mission de consensus Flavie Flament-Calmettes, de la mission pluridisciplinaire installée par le Premier ministre en février, du Haut Conseil à l'égalité hommes-femmes, du groupe de travail de l'Assemblée nationale sur le harcèlement de rue, du Sénat, et sur les 55 000 contributions recueillies lors du Tour de France de l'égalité.

Deux sujets ressortent de ces ateliers : le harcèlement de rue et le cyberharcèlement.

Le projet de loi allonge de dix ans le délai de prescription pour les crimes commis sur mineurs, en le portant à trente ans à compter de la majorité.

Il renforce la pénalisation des abus sexuels sur les mineurs de moins de 15 ans en renforçant la portée symbolique de l'interdit des relations sexuelles entre un adulte et un mineur de 15 ans, et en levant notamment l'ambiguïté sur le consentement. Cette mesure, qui sera applicable dès la promulgation de la loi, y compris aux affaires en cours, n'est nullement cosmétique. Jamais le Gouvernement n'a proposé de peine automatique.

Le projet de loi double les peines encourues pour délit d'atteinte sexuelle. Il élargit la définition du harcèlement pour permettre la répression des « raids numériques » sur les réseaux sociaux. Enfin, il réprime le harcèlement de rue en créant une infraction d'outrage sexiste.

Le budget interministériel pour l'égalité femmes-hommes atteint son plus haut niveau, à 420 millions d'euros.

M. Philippe Bas, président de la commission.  - C'est une plaisanterie !

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État.  - Le sujet est grave ; les regards sont tournés vers cet hémicycle. Soyons ensemble à la hauteur des attentes des Français.

M. Arnaud de Belenet .  - Un bruit courait ces derniers jours : l'enjeu de la proposition de loi serait de recueillir l'unanimité dans notre hémicycle, dans une course contre le projet de loi du Gouvernement, qui figure ab initio sur la feuille de route de la ministre. (Murmures) Oui, on peine à le croire !

Le groupe de travail, remarquablement animé par Marie Mercier, a été créé en réaction aux décisions de justice de cet automne qui ont suscité l'incompréhension de l'opinion publique ; il s'agissait d'être prêt lors de la présentation du projet de loi. La transcription de ses travaux en proposition de loi, avec une célérité inouïe, conforte la rumeur que j'évoquais... Où est la précipitation, l'improvisation, le cosmétique, l'instrumentalisation ? Peut-être la rumeur est-elle fondée...

Les faits sont accablants : 14 000 agressions sur mineurs commises en 2017 et 8 000 viols. La gravité des faits et l'écoeurement qu'ils suscitent obligent à la sobriété et à l'honnêteté intellectuelle. La lutte contre ces horreurs devrait être le seul objectif.

La nécessité de renforcer la prévention et la formation fait consensus.

L'allongement du délai de prescription aussi : c'est non seulement un symbole mais une exigence. L'amnésie post-traumatique est reconnue comme un obstacle insurmontable.

Le projet de loi est davantage respectueux de la cohérence de l'échelle des prescriptions réorganisée par la loi de février 2017. L'honnêteté intellectuelle et le rejet de l'artifice politicien amènent à reconnaître une convergence d'objectif, sinon de moyens, entre l'article 3 de la proposition de loi et le texte du Gouvernement.

Le groupe de travail n'a pas rejeté la fixation du seuil de consentement à 15 ans mais en a astucieusement contourné les effets pervers : la proposition de loi valide de fait l'âge de 15 ans, fixé par d'autres articles du code pénal.

Le projet de loi n'a pas envisagé de présomption irréfragable et propose la même innovation juridique que le Sénat. Sa version est même plus aboutie, plus solide juridiquement : une présomption de contrainte liée à l'âge, en deçà de 15 ans. Relisez l'avis du Conseil d'État du 21 mars 2018.

L'article 4, en revanche, est une singularité de la proposition de loi qui mériterait d'être intégrée au projet de loi.

L'article 5 rejoint le texte du Gouvernement sur le principe, mais va moins loin.

Reste un problème à regarder en face : celui des abus sexuels sur les mineurs handicapés. Pas moins de 90 % des mineurs autistes filles ou garçons sont victimes de violences sexuelles, et 80 % des petites filles handicapées mentalement. Voilà qui appelle à la dignité. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)

M. Jean-Pierre Sueur.  - Belle défense du Sénat ! Ainsi, nous serions malhonnêtes intellectuellement ?

Mme Esther Benbassa .  - En 2017, 8 790 plaintes pour viol et 14 673 plaintes pour agression sexuelle sur mineurs ont été recensées. Ces chiffres insupportables nous émeuvent tous, hommes et femmes, citoyens et législateurs.

En septembre dernier, le parquet de Pontoise a poursuivi pour atteinte sexuelle, et non pour viol, un homme de 28 ans ayant eu des relations sexuelles avec une fillette de 11 ans. Dans une affaire analogue, la cour d'Assises du Val-de-Marne a quant à elle estimé que la contrainte n'était pas établie et a acquitté l'auteur...

Dans le contexte de l'affaire Weinstein et du mouvement MeToo et BalanceTonPorc, notre commission des lois a décidé de créer un groupe de travail pluraliste auquel j'ai été heureuse de participer. La proposition de loi traduit les préconisations issues de ce travail - pour lequel il faut saluer Marie Mercier.

J'admets la tentation humaine d'apporter sur ces sujets une réponse rapide, ferme et législative. Mais les acteurs de terrain auditionnés demandent surtout des moyens pour se former au recueil de la parole de l'enfant, pour mener les enquêtes plus rapidement, pour que les jugements soient rendus dans des délais raisonnables. Le délai moyen est de six à sept ans pour un viol, de deux ans pour une agression sexuelle. C'est intolérable pour les victimes qui osent parler.

Nous examinons la proposition de loi Mercier-Bas ; nous débattrons dans quelques mois du projet de loi Belloubet-Schiappa. Pendant ce temps, la justice est exsangue. L'objectif est de mettre fin à la légèreté avec laquelle certaines de ces affaires sont traitées.

La proposition de loi apporte une réponse avant tout pénale, mais combien d'infractions ne sont pas dénoncées ? La parole des victimes n'est pas facile à délier, il faut les y aider. Légiférer ne suffira pas. La lutte contre ces violences est avant tout un combat sociétal qui engage nos représentations communes sur les rapports de genres. Suivi à l'école, dans les services médicaux et sociaux, dans les commissariats et devant le juge : voilà ce qu'il faut développer en affinant les textes qui existent déjà.

La lutte contre la récidive est un autre chantier. Il faut soigner les violeurs, pendant la détention et après - d'autant que beaucoup d'agresseurs sont eux-mêmes mineurs. Sans perspective de longue durée, l'alourdissement des peines, dans un contexte de surpopulation carcérale, ne résoudra rien. Nos concitoyens attendent de nous un engagement sans concession à tous les niveaux. Le groupe CRCE s'abstiendra. (Applaudissements sur quelques bancs à gauche)

Mme Françoise Gatel .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) En 2017, deux affaires judiciaires ont connu un large écho médiatique et soulevé une grande indignation. Notre société considère que ces actes sont intolérables et pourraient être éradiqués grâce au couperet de la loi. Cependant, l'affaire d'Outreau a montré que les atteintes sexuelles pouvaient aussi être tragiques pour les personnes accusées à tort. Elles doivent être révélées, sanctionnées et réparées mais le danger s'immisce dès lors que l'opinion s'érige en tribunal.

Depuis les années 1980, la France s'est dotée d'un large arsenal pénal. Que penser de la fixation d'un seuil d'âge ? On risquerait de ne plus prendre en compte la diversité des situations et de tomber dans l'automaticité, sans parler des effets de seuil. Le seuil de 13 ans introduirait une zone grise entre 13 et 15 ans, puisque le mineur de 15 ans bénéficie déjà dans la loi d'une protection particulière. Bref, cette solution qui peut sembler séduisante n'est pas la plus pertinente.

La proposition de loi propose d'instituer une présomption de contrainte simple pour tous les mineurs, qui faciliterait la répression des infractions sexuelles et respecterait la cohérence du droit pénal tout en restant conforme à la Constitution.

Dans le cas d'agression sexuelle, les victimes se vivent souvent en coupables et développent une amnésie post-traumatique. Pour autant, la prescription doit rester dans un cadre raisonnable. Il faut aussi tenir un discours de vérité aux victimes sur la difficulté à préserver des preuves et donc sur la probabilité d'acquittement ou de non-lieu lorsque les délais sont trop longs. La fixation du délai à trente ans est une juste réponse.

Il faut aussi mettre un terme à l'asphyxie de la justice, adapter son organisation et renforcer ses moyens. Trop souvent, les viols sont requalifiés en agression sexuelle.

Pour que la parole se libère, il faut des actions de communication, de sensibilisation, de formation de tous les acteurs.

Marie Mercier a su proposer des solutions qui prennent en compte la reconstruction des victimes. La société tout entière doit se mobiliser pour lutter contre ces violences invisibles et indicibles. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UC et Les Indépendants)

Mme Marie-Pierre de la Gontrie .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) Protéger les enfants, toujours : c'est ce que les gouvernements successifs ont fait depuis quarante ans. Sur ce point, chacun travaille en oubliant les divergences politiques, pour la protection des mineurs.

Je ne voudrais pas qu'un enthousiasme excessif laisse penser que le Gouvernement actuel est le seul à se préoccuper du sujet. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe Les Républicains)

En 2007, il y a eu la loi Bas.

Mme Laurence Rossignol.  - Excellente loi.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie.  - En 2017, la proposition de loi de Michelle Meunier et Muguette Dini.

Mme Laurence Rossignol.  - Excellente.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie.  - Notre législation est toutefois complexe, peu lisible.

Deux affaires judiciaires qui ont ému l'opinion ont présidé à la création de notre groupe de travail. Il a travaillé sans certitudes a priori. Le président de la République semblait savoir dès le 25 novembre qu'il fallait fixer à 15 ans l'âge du consentement sexuel. Bravo ! Sans doute va-t-il plus vite que nous tous...

Nous avons préféré pratiquer la co-construction. Prévenir, accompagner, former : tels sont les objectifs des 34 propositions qui accompagnent cette proposition de loi. Il faut adopter une stratégie globale : détecter, nommer, identifier, parler, punir, accompagner ; éduquer à la sexualité, expliquer aux victimes les décisions judiciaires.

Les sénateurs socialistes conviennent qu'il est nécessaire d'allonger le délai de prescription, y compris pour les délits.

Pour éviter que se reproduisent des affaires comme celles de Pontoise ou Melun, nous avons choisi de définir une présomption de contrainte qui tient compte de la différence d'âge et du discernement de la victime, pour protéger tous les mineurs.

Le groupe socialiste défendra toutefois un amendement prévoyant une infraction de viol dans le cas où un adulte a une relation sexuelle avec un mineur de 13 ans. Nous n'avons pas réussi à convaincre la majorité du Sénat sur ce point, et le Gouvernement a reculé - dommage !

Le groupe socialiste réserve son vote, mais considère que cette proposition de loi marque une avancée forte et témoigne d'un travail parlementaire de qualité. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR, Les Républicains, UC et RDSE)

M. Dany Wattebled .  - La France dispose d'une législation abondante en matière de prévention et de lutte contre les violences sexuelles commises à l'encontre des mineurs, qu'elle a complétée à plusieurs reprises. Ce texte de loi constitue la traduction législative des travaux du groupe de travail que notre commission des lois a mis en place en octobre 2017. Durant près de quatre mois, ce groupe de travail a procédé à de nombreuses auditions, organisé plusieurs déplacements et ouvert un espace participatif sur le site internet du Sénat grâce auquel il a recueilli plus de 400 contributions.

Dans son rapport rendu public en février 2018, notre rapporteur, Marie Mercier, a souligné la nécessité de définir une stratégie globale. Elle repose sur quatre piliers : prévenir les violences sexuelles faites aux mineurs, favoriser la parole des victimes, améliorer la répression pénale et disjoindre la prise en charge des victimes du procès pénal. Il en découle les principales mesures du texte qui ont été rappelées.

Je regrette que l'imprescriptibilité n'ait pas été retenue. La libération de la parole peut se faire à tout âge. On a vu un footballeur anglais dénoncer, à 58 ans, des faits dont il avait été victime adolescent. Les tribunaux seraient engorgés et les preuves manqueraient. Soit, mais c'est déjà le cas avec une prescription fixée à 20 ans. Seuls les crimes contre l'humanité seraient imprescriptibles. Soit, mais s'en prendre à l'innocence d'un enfant, n'est-ce pas porter atteinte à l'humanité tout entière ? M. Buffet a proposé une piste intéressante : reconnaître l'amnésie post-traumatique comme un obstacle insurmontable, cas dans lequel la Cour de cassation a reconnu la possibilité de suspendre la prescription dans sa décision du 7 novembre 2014.

La présomption de contrainte, une novation juridique, est une solution juridique plus satisfaisante que la présomption irréfragable fondée sur un seuil d'âge qui porterait atteinte à la présomption d'innocence.

Je veux rendre hommage à Marie Mercier pour son travail et son engagement. Parce que le degré de civilisation se mesure à la protection qu'une société accorde aux plus vulnérables, le groupe Les Indépendants votera sans réserve ce texte. (Applaudissements sur le banc de la commission)

Mme Maryse Carrère .  - La protection de l'enfance est un des sujets les plus consensuels qui soient ; il n'en a pas toujours été ainsi. La constitution d'un socle des droits de l'enfant est récente, par rapport aux déclarations des droits de l'homme au XVIIIe siècle. Si Rousseau, dans son traité Emile ou De l'éducation, inscrivait sa réflexion sur la minorité dans la recherche d'émancipation du citoyen, il a fallu attendre le code pénal de 1810 pour voir apparaître l'excuse de minorité. Puis la généralisation de la scolarisation a sorti les enfants du monde du travail en même temps que se multipliaient les propositions législatives relatives à la protection des mineurs au sein de l'industrie. Je pense, entre autres, aux propositions du programme radical du Congrès de Nancy de 1907. Les droits des enfants ont été consacrés bien plus tardivement, par la convention internationale de 1989, qui oblige les États parties à « prendre toute mesure pour protéger l'enfant contre toute forme de violence, d'atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, d'abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d'exploitation. »

Depuis quelques décennies, le débat sur la protection de mineurs s'est déplacé vers la question des violences sexuelles. D'après une enquête de l'INED de 2015, 5 % des femmes et un peu moins de 1 % des hommes de 20 à 69 ans ont été victimes de viol ou de tentative de viol ou d'attouchements dans le cadre familial ou de l'entourage proche.

J'ai cosigné cette proposition de loi qui répond totalement au besoin de légiférer. Je veux saluer le travail des professionnels qui accompagnent les victimes dans leur travail de reconstruction, des forces de l'ordre, des agents du ministère de la justice ainsi que celui accompli par Mme Marie Mercier. Nous sommes parvenus à un texte respectueux des attentes des victimes et de l'équilibre de nos institutions judiciaires. L'allongement du délai de prescription et la fixation d'un âge légal de consentement, qui ne sont pas des sujets anodins, bouleverseraient l'échelle des peines et limiterait la liberté des magistrats. La prescription pénale vient de faire l'objet d'une remise à plat il y a un an. Lors de son adoption, le Sénat s'était montré défavorable à son allongement de 20 à 30 ans, pour des raisons de dépérissement de preuve évidentes. Pour autant, au-delà de cet argument factuel, il faut considérer l'aspect symbolique et thérapeutique du recours au juge. Procès et processus partagent d'ailleurs une étymologie commune : le procès est un processus cathartique pour les victimes et la société. Du reste, on a accepté, pour ces mêmes raisons symboliques, l'inscription de l'inceste dans le code pénal. L'allongement de la prescription est un électrochoc nécessaire pour améliorer la protection des mineurs.

Nos auditions m'ont convaincue de la pertinence de la solution alternative à la fixation d'un seuil d'âge proposée à l'article 3. Après l'affaire d'Outreau, de nombreuses réflexions ont porté sur la place de l'enfant dans le procès pénal, la valeur de son témoignage et les risques d'instrumentalisation. Evitons les solutions qui restreindraient excessivement la marge d'appréciation de nos magistrats.

La lutte contre les infractions sexuelles sur les mineurs ne se limite pas au volet pénal. De nombreuses dispositions sont à prendre sur les plans réglementaire et budgétaire, c'est le sens de l'article premier de la proposition de loi. Alors qu'il est de plus en plus question de traite sexuelle des mineurs étrangers isolés, je veux rappeler le rôle des départements et de leurs missions d'aide sociale à l'enfance. Un plus fort soutien financier de l'Etat permettrait une assistance aux mineurs plus uniforme sur le territoire.

Chaque membre du groupe RDSE votera avec sa sensibilité particulière sur ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE ; Mme Marie Mercier, rapporteur, Mme Annick Billon, présidente de la délégation, et M. Jean-Claude Luche applaudissent aussi.)

Mme Chantal Deseyne .  - En 2016, 21 000 enfants victimes d'abus sexuels ont été recensés. Parmi eux, 16 000 sont âgés de moins de 15 ans, 79 % sont des petites filles. En 2017, 8 788 plaintes ou signalements concernant des mineurs ont été enregistrés par la police et la gendarmerie nationale. Selon les associations, 20 % d'une classe d'âge serait victime d'atteintes sexuelles. Deux affaires récentes très médiatisées ont relancé la question du consentement des mineurs à un acte sexuel.

La richesse du rapport du groupe de travail démontre la complexité du sujet. Sa première partie renvoie à des dispositions de nature réglementaire : éducation à la sexualité garantie sur l'ensemble du territoire, recensement des victimes ou encore sensibilisation des parents et des hébergeurs aux ravages de l'accès précoce à la pornographie. Approuvées par l'article premier de la proposition de loi, elles mériteraient une mise en oeuvre rapide, Madame la Ministre.

Le renforcement de la protection des mineurs passe également par des évolutions législatives. L'allongement du délai de prescription est rendu nécessaire par le phénomène d'amnésie post-traumatique. La présomption de contrainte, fondée soit sur l'absence de discernement du mineur soit sur l'existence d'une différence d'âge significative entre le mineur et le majeur, protégera l'ensemble des victimes, quel que soit leur âge. C'est une façon de prendre en compte les phénomènes d'emprise et de manipulation qui prévalent, en cette matière, sur la contrainte physique. Cela vaut mieux que d'introduire une forme d'automaticité dans la loi pénale en fixant un seuil d'âge.

Les atteintes sexuelles sur mineurs font des ravages durables : combattons-les en apportant une réponse à la hauteur ! (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC ; Mmes Josiane Costes et Françoise Laborde applaudissent également.)

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) L'émotion était à son comble lors de la création du groupe de travail : le parquet de Pontoise avait requalifié en atteinte sexuelle le viol d'une jeune fille de 11 ans par un homme de 28 ans.

Le projet de loi déposé le 21 mars dernier s'inscrit dans un plan global, il présente l'intérêt d'une démarche plus large. Aussi la délégation n'a-t-elle pas souhaité se prononcer sur cette proposition pour laisser à chacun de ses membres sa liberté d'appréciation. Nos avis peuvent converger sur quelques points, diverger sur d'autres. Oui à l'allongement de la prescription et à l'aggravation des peines ; en revanche, la présomption de contrainte laisserait une trop grande prise à la subjectivité du magistrat - ce qu'il faut éviter, l'affaire de Pontoise nous en a convaincus. Nous préférons un âge minimum en-deçà duquel la contrainte serait caractérisée, tout en étant conscients des réserves des experts sur la présomption irréfragable. Faut-il le fixer à 13 ans ou à 15 ans ? Nous aurons l'occasion d'en débattre lors de l'examen du projet de loi. En tout cas, notre rôle n'est pas de déterminer s'il est bien ou mal d'avoir des relations sexuelles en dessous d'un certain âge. Il peut y avoir des relations consenties et épanouies entre adolescents ou entre adolescents et jeunes adultes. La priorité doit rester de protéger nos enfants. Et je salue la qualité du travail du Sénat. (Applaudissements sur tous les bancs)

Mme Laurence Rossignol .  - Cette proposition de loi, car c'est bien la proposition de loi du Sénat que nous examinons et non le projet de loi du Gouvernement, provient du groupe de travail que la commission des lois a créé en y associant la délégation aux droits des femmes. Ce groupe de travail a procédé à un diagnostic sérieux du droit positif et de ses failles, il a auditionné l'ensemble des acteurs oeuvrant pour la protection des victimes. Madame la Ministre, vous avez fait référence à la mission de consensus Flament-Calmettes. C'est justement cette approche pluridisciplinaire privilégiant le dialogue et les échanges que le groupe de travail du Sénat a adoptée.

Son travail a abouti à quatre propositions de loi, celle de Laurence Cohen, celle d'Alain Houpert, la mienne et celle dont nous discutons aujourd'hui. Je suis un peu frustrée et désappointée de voir que ce travail trouve peu d'écho. Le Gouvernement n'a pas pris la peine de nous contacter (Mme Marlène Schiappa, ministre, se récrie.), si ce n'est moi qui ai été entendue en tant qu'ancienne ministre.

Mme Esther Benbassa.  - Ah, quand même !

Mme Laurence Rossignol.  - Le Sénat n'est pas qu'une contrainte du bicamérisme, Madame la Ministre, c'est une belle maison (Applaudissements sur tous les bancs) où résonnent encore les voix de Lucien Neuwirth, Henri Caillavet ou Robert Badinter.

Cette proposition de loi ne se limite pas à une approche pénale ; elle insiste sur l'éducation et la mobilisation de la police, de la justice, des travailleurs sociaux, de l'Éducation nationale et des familles pour faire sortir de l'ombre ceux qui y restent encore malheureusement trop souvent. Faisons en sorte que les enfants puissent dire ce qu'ils vivent. Faire connaître les droits de l'enfant est essentiel...

M. François Pillet.  - Très bien !

Mme Laurence Rossignol.  - Très souvent, c'est après leur présentation qu'un enfant vient dire à l'intervenant : « Mais alors, on n'a pas le droit de me faire ça ? ». Le droit à l'intégrité physique est un élément-clé pour prévenir les violences sexuelles.

Deux sujets importants. D'abord, l'allongement du délai de prescription favorisera l'accueil des victimes. Ensuite, une présomption de contrainte simple jusqu'à 18 ans. À 15 ans et demi, tous les adolescents ne sont pas plus dégourdis qu'à 14 ans et demi. Je trouve l'article 3 plus précis que ce que propose le Gouvernement car l'écart d'âge suffirait.

Enfin, manque, dans ce texte, un point essentiel pour le groupe socialiste, un point qui exclura dorénavant que l'on discute dans les tribunaux du consentement d'un enfant de 12 ans ; toute relation avec un mineur de moins de treize ans doit être tenue pour un viol. C'est indispensable si nous voulons que ces relations ne soient plus possibles et acceptables dans notre société. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR et sur quelques bancs des groupes UC et Les Républicains)

M. Christophe Priou .  - Ce texte est le prix d'un travail approfondi de la commission des lois, sur un sujet de société essentiel. Je salue Philippe Bas et Marie Mercier, ils ont raison d'insister sur la prévention, la répression des auteurs et l'accompagnement des victimes.

L'allongement de la prescription pose un problème évident de recueil de preuves ; les victimes accepteront-elles, à 48 ans, que leur action en justice se conclut par un classement sans suite, un non-lieu ou un acquittement, faute d'éléments factuels ? Le législateur doit garder un esprit critique sur des situations plus complexes qu'on l'imagine. Seule la présomption de contrainte a du sens ; la fixation d'un seuil manquerait de subtilité.

Toute la chaîne éducative, parentale, médicale et judiciaire doit être mobilisée ; la réponse pénale n'est qu'une étape. La prise en compte de la parole de l'enfant est essentielle pour la reconstruction. Il convient effectivement d'encourager le recours à la justice restaurative et de faciliter la réparation des préjudices subis. Nous attendons les préconisations de la Haute autorité de santé sur la cartographie de l'offre de prise en charge spécialisée des victimes de violences sexuelles.

Même si certains articles méritent des modifications, ce texte propose des avancées. Il s'agit non pas d'oublier, non pas d'effacer, mais de réparer. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

Mme Catherine Deroche .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Les violences sexuelles représentent un véritable fléau, les conséquences sont terribles pour les victimes.

Dès 2014, Mme Muguette Dini proposait l'allongement du délai de prescription. En reportant le point de départ du délai de prescription au moment où la victime est en mesure de révéler l'infraction, elle donnait aux victimes le temps de conscientiser leur traumatisme, le courage de révéler les faits et la maturité pour en assumer les conséquences.

Des affaires récentes ont fait polémiques. D'où la proposition de loi que j'ai déposée avec Alain Houpert instaurant une présomption irréfragable de viol en cas de pénétration. Je salue l'intelligence fine et le sens de l'écoute dont Marie Mercier a fait montre au sein du groupe de travail.

La stratégie globale du rapport annexé à l'article premier correspond à des mesures non législatives mais nécessaires pour créer autour des victimes un climat cohérent et sécurisant. L'allongement de la prescription représente un progrès indéniable et je vous remercie d'avoir tenu en dépit des réserves de l'association des magistrats instructeurs. À titre personnel, je soutiendrai les amendements de nos collègues Buffet et Houpert. La violence sexuelle est une forme de violence tellement destructrice, les études scientifiques sur l'amnésie traumatique justifient à mes yeux cette imprescriptibilité.

La solution de la présomption de contrainte est mesurée et plus pertinente que l'instauration d'un seuil d'âge dont on connaît les effets pervers. Le Conseil d'État a validé l'analyse juridique sur laquelle elle repose. (M. Philippe Bas, président de la commission, le confirme.)

Je voterai ce texte. Notre société doit protéger ses enfants : un pas en ce sens est franchi avec ce texte. Il démontre le rôle incomparable que joue notre Haute assemblée dans la fabrication de la loi, un rôle qu'il convient de ne pas oublier en ces temps houleux. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC)

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État .  - Je me réjouis de voir cet hémicycle rempli, qui démontre le vif intérêt du Sénat pour ce sujet.

Le Gouvernement a fait de la prévention des violences sexuelles et de l'éducation à la sexualité une priorité. Pour la rentrée prochaine, M. Jean-Michel Blanquer a annoncé la création de référents Égalité dans tous les établissements et la distribution de « mallettes des parents » ; il a mobilisé les recteurs pour que les modules prévus d'éducation à la sexualité soient effectivement dispensés. C'est dans cet esprit que le président de la République a annoncé ce matin que l'école serait obligatoire dès 3 ans.

Mme Laurence Rossignol.  - L'instruction ! Ce n'est pas la même chose...

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État.  - Je vous remercie pour cette utile correction...

J'ai reçu Mmes Rossignol et Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, j'ai été auditionnée par le groupe LaREM. (Protestations) Je regrette de ne pas avoir reçu d'invitation du groupe de travail... (Mme Marie Mercier, rapporteur, le nie.)

M. François-Noël Buffet.  - C'est petit bras !

La discussion générale est close.

Discussion des articles

ARTICLE PREMIER

Mme Christine Bonfanti-Dossat .  - Le rapport annexé à cet article apaisera un débat difficile, relancé par des affaires récentes. Les violences sexuelles sont traumatisantes ; un enfant sur cinq en serait victime en Europe, selon certaines associations.

Le travail de Mme Mercier est remarquable, et j'en partage les grandes orientations. Je veux insister sur le rôle des départements. Ils ont un rôle à jouer dans la prévention des violences sexuelles sur les mineurs. Déjà, ils mènent des actions de lutte contre l'obésité par une alimentation saine et la pratique du sport. Capitalisons sur ces pratiques pour diffuser, en lien avec les associations qui font de la protection de l'enfance leur combat, l'éducation à la sexualité. Selon le Haut conseil pour l'égalité, elle serait totalement absente dans 25 % des établissements.

M. Maurice Antiste .  - L'Observatoire national de la protection de l'enfance, dans sa première enquête de 1992, a révélé l'ampleur des violences sexuelles : 20,40 % des femmes et 6,8 % des hommes entre 18 et 69 ans disent avoir été victimes d'une forme de violence sexuelle. Près de 70 % des femmes et des hommes déclarent les avoir subis avant 18 ans. C'est souvent le fait du père ou du beau-père. Les violences sexuelles intrafamiliales sont peu susceptibles de s'interrompre sans intervention extérieure. Je m'étonne que l'on ne distingue pas, dans les appareils statistiques, les faits selon l'âge de la victime et les conditions dans lesquels ils se sont produits.

Le viol est un crime ; en tant que tel, il doit être jugé aux assises. Le Haut conseil pour l'égalité a dénoncé sa correctionnalisation dans un avis du 5 octobre 2016.

Enfin, la mission de consensus a donné suite à la demande récurrente d'allonger les délais de prescription relatifs aux délits et crimes sexuels sur mineurs. C'est, pour moi, une nécessité.

Mme Laurence Rossignol .  - Au-delà d'une réforme du code pénal, c'est d'une loi d'orientation et de programmation que nous avons besoin parce que ces violences, comme les violences faites aux femmes, s'exercent souvent dans le cadre familial.

Notre société a fait un pas supplémentaire ces derniers mois, il faut à présent aller plus loin. Qu'une éducation à la sexualité soit dispensée à l'école ne fait plus débat. C'est heureux, encore faut-il que les référents « violences sur mineurs » qui devaient être mis en place dans tous les services d'urgence au 31 décembre 2017 l'aient été. J'espère que le Gouvernement a tenu cette promesse du plan national de protection de l'enfance.

M. le président.  - Amendement n°11 rectifié quinquies, présenté par MM. Buffet et Allizard, Mme Berthet, M. Bizet, Mme Bonfanti-Dossat, MM. Brisson, Chaize, Chatillon, Dallier et Daubresse, Mmes de Cidrac, Deroche, Deromedi, Di Folco, Dumas, Estrosi Sassone et Eustache-Brinio, MM. Forissier, Gremillet et Grosdidier, Mme Gruny, M. Houpert, Mme Imbert, M. Laménie, Mme Lanfranchi Dorgal, MM. D. Laurent et Lefèvre, Mme Lherbier, MM. Milon et Piednoir, Mme Puissat, MM. Rapin et Savin, Mme Troendlé et MM. Vial et Wattebled.

Après l'alinéa 8

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

Les recherches scientifiques sur les psycho-traumatismes et les mécanismes mémoriels consécutifs à un fait traumatique doivent être encouragées : à cette fin, les connaissances scientifiques doivent être largement diffusées afin de favoriser un consensus médical facilitant leur prise en compte.

M. François-Noël Buffet.  - Il s'agit d'encourager la diffusion des connaissances scientifiques sur les psycho-traumatismes et les mécanismes mémoriels consécutifs à un fait traumatique. Cela facilitera l'établissement d'un consensus médical mais également la formation des experts qui seront appelés à témoigner dans les procédures judiciaires.

Mme Marie Mercier, rapporteur.  - Beaucoup a déjà été écrit sur la question mais le consensus médical fait défaut : avis extrêmement favorable.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État.  - Sagesse sur cet amendement utile mais sans portée normative.

Mme Laurence Cohen.  - Cet amendement est intéressant pour mieux évaluer les traumatismes subis par les enfants mais aussi par les femmes. A ce propos, le Gouvernement entend créer des centres d'accompagnement pour les femmes victimes de violences. Or le budget de la sécurité sociale, que la majorité sénatoriale a voté, asphyxie les hôpitaux. Les paroles ne suffisent pas, nous attendons des actes concrets. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)

Mme Marie-Pierre de la Gontrie.  - L'amnésie traumatique a été l'objet de nombreuses discussions dans le cadre du groupe de travail. C'est un enjeu important, mais encore difficile à cerner. Nous voterons l'amendement.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes.  - Moi aussi. Mme Cohen a raison : ces questions nécessitent de gros investissements, qui n'apparaissent pour l'heure nulle part. La délégation aux droits des femmes sera heureuse de recevoir Mme la ministre à l'approche du budget pour 2018... (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)

Mme Françoise Gatel.  - L'amnésie post-traumatique est un vrai sujet de recherche, qui fera progresser la prise en charge des victimes. Or ce doit être aussi l'ambition du législateur, que d'aider les victimes à se reconstruire.

L'amendement n°11 rectifié quinquies est adopté.

Mme Laurence Cohen.  - Je salue à mon tour le travail d'écoute de Marie Mercier. Nous sommes favorables à un meilleur recensement des violences, à une éducation à la sexualité obligatoire ou encore à un accompagnement renforcé des victimes. En revanche, nous ne partageons pas l'idée d'aggraver les peines : il faut respecter la cohérence de l'échelle des peines. Nous pensons qu'ouvrir la voie à l'imprescriptibilité de tels faits n'est pas une bonne idée.

Le groupe CRCE s'abstiendra sur cet article.

L'article premier est adopté.

La séance est suspendue à 16 h 30.

présidence de M. Gérard Larcher

La séance reprend à 16 h 45.