Finance mondiale, harmonisation et justice fiscales
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, pour une Conférence des parties (COP) de la finance mondiale, l'harmonisation et la justice fiscales.
M. Éric Bocquet, auteur de la proposition de résolution . - Nous pouvons tous citer les affaires d'évasion fiscale qui scandent l'actualité - HSBC, UBS, Offshore Leaks, LuxLeaks, Footleaks, Panama Papers et autres Paradise Papers...
Ce que chacun peut retenir, c'est l'ampleur des chiffres et le caractère systémique de l'évitement fiscal, qui déstabilise les États et pose de sérieux problèmes démocratiques. Cette proposition de loi, pour instaurer une COP de la finance et de la fiscalité mondiales, est donc constructive.
L'évasion fiscale représente 1 000 milliards d'euros de pertes annuelles pour l'Union européenne, 100 milliards d'euros pour les pays en développement, 60 à 80 milliards pour la France - soit davantage que notre déficit public. Autant de moyens qui échappent à la collectivité, posent des problèmes de consentement à l'impôt. Il y va de l'harmonie de la société.
Selon l'ancien secrétaire d'État au Trésor américain, Henry Morgenthau dans les années 1930, « l'impôt, c'est le prix à payer pour vivre dans une société civilisée ».
À l'heure du shopping fiscal, les États organisent les soldes. Les sommes de l'impôt sur les sociétés chutent. À cela s'ajoutent les paradis fiscaux, véritables lessiveuses qui recyclent l'argent du blanchiment, de la fraude, du commerce des armes, de la prostitution, de la drogue voire ces derniers temps du trafic des migrants vers l'Europe ou encore du terrorisme.
À ce système tout le monde perd, sauf les Gafam - Google, Amazon, Facebook, Appel, Microsoft - et les plus fortunés.
Les paradis fiscaux sont au coeur du capitalisme mondialisé. Cela favorise les pactes sociaux. Selon Oxfam, 82 % des richesses ont profité aux 1 % des plus riches et, en un an, la richesse des milliardaires a augmenté de 762 milliards de dollars.
Trop souvent, le financier a pris le pouvoir. La finance de l'ombre représente 45 000 milliards de dollars. Le dumping fiscal est devenu féroce, la dette s'accumule et l'austérité s'aggrave.
En dépit des progrès de l'OCDE avec le système BEPS, les choses empirent. La France devrait être à l'initiative d'une COP sous l'égide de l'ONU, qui amorcerait une définition universelle des paradis fiscaux, menant à terme à une organisation mondiale de la finance. Pourquoi l'égide de l'ONU ? Les autres organisations s'apparentent à un club de pays riches. Il faut garantir à tous un accès aux décisions. Le G77 n'a-t-il pas déclaré que la lutte contre les paradis fiscaux était sa priorité ?
Notre pays a vocation à être le porte-voix des plus fragiles, notre pays a vocation à porter un message de paix, de justice, de démocratie. Une COP isolerait ceux qui seraient tentés par l'aventure fiscale et financière.
« Vivre sans espoir, c'est cesser de vivre », disait Dostoïevski. Cela prendra plus d'une génération. Mais il faut lancer le mouvement.
Notre démocratie se veut aussi européenne. Si l'Union européenne n'avance pas résolument vers l'harmonisation fiscale, elle disparaîtra sous les coups des populismes les plus noirs. Le Parlement européen, à propos des Panama Papers, a voté une résolution pour l'organisation d'un sommet mondial.
Notre Sénat a montré sa sensibilité à ces sujets : votes unanimes en 2010 et 2012, position contre le verrou de Bercy (Mme Nathalie Goulet approuve.), création d'un groupe de suivi sur la lutte contre l'évasion fiscale à la commission des finances. Le Sénat a l'occasion de se joindre à l'Assemblée nationale sur cette proposition de résolution. Les deux chambres du Parlement sont les deux jambes de la démocratie. Voter cette résolution ce soir, c'est faire oeuvre utile pour l'intérêt général et les générations futures (Applaudissements sur les bancs des groupes CRCE, SOCR, RDSE et UC)
M. Didier Rambaud . - La fraude fiscale est illégale et se distingue, de ce fait, de l'optimisation fiscale, qui vise à alléger la charge fiscale. La fraude se développe, grâce à quatre leviers : la complexité des règles, le travail dissimulé dans une économie de service, l'internationalisation, les évolutions technologiques.
Selon le Conseil national des prélèvements obligatoires, le manque à gagner représente 30 à 40 milliards d'euros pour notre pays. La fraude viole l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
Les outils de lutte ne manquent pas : une personne se rendant coupable risque 2 millions d'euros d'amende et sept années d'emprisonnement. Je salue le travail des services de l'État, bien loin des caricatures de ce texte. Le G8 et le G20 ont donné mandat à l'OCDE pour agir en la matière. La réponse passe par l'échange automatique d'informations. Le 30 septembre 2017, un accord a été passé sur un tel échange, il concerne actuellement 51 juridictions, dont les îles de Jersey et de Man. Il faut aller plus loin.
Les échanges d'informations fiscales sont donc une réalité. L'Union européenne a conclu des accords bilatéraux : le 1er janvier 2018 a marqué la fin du secret bancaire suisse pour les non-résidents.
Depuis septembre 2017, la France est à la tête du combat pour que les Gafam paient des impôts. Il y a beaucoup à faire et cette proposition de résolution nous le rappelle. Le cadre utile est multilatéral.
Le groupe LaREM regarde avec réalisme cette complexité. Il y travaillera au Sénat mais ne soutiendra pas cette proposition de résolution qui, peu normative, n'est pas la bonne solution.
M. Pascal Savoldelli . - La liste des mauvais élèves de la fiscalité, des paradis fiscaux, est fort restreinte. Ces paradis sont paradisiaques par les facilités qu'ils offrent à quelques entreprises à vocation transnationale de domicilier sur leur territoire et, le plus souvent, dans des « immeubles boîtes aux lettres » tout ou partie de leurs activités au détriment de leur population.
En 2015, les Bahamas comptaient officiellement 13 % de chômeurs - plus de 35 % chez les jeunes, 12,3 % pour la Barbade, 11,3 % pour le Belize. La même année, la dette d'Antigua et Barbuda atteignait 105,5 % du PIB ; celle de la Barbade 103 % du PIB.
Parmi les vingt premiers pays affichant un excédent commercial, on retrouve seize pays ayant à voir, de près ou de loin, avec le commerce des produits pétroliers bruts ou raffinés ou de matières premières stratégiques, à savoir les pétromonarchies du Golfe, le Sultanat de Brunei, les ex-républiques gazières et pétrolières de l'URSS, les Pays-Bas, ainsi que le Luxembourg, Singapour, les Maldives et l'Irlande, qui ont développé des pratiques d'opportunisme fiscal bien connues dans le secteur des « services financiers ».
L'optimisation fiscale est une forme légale de fraude. Il y a une évidente co-construction entre les milieux d'affaires et politiques. On le voit aux États-Unis avec Trump qui pratique la guerre des taux, en Italie où la coalition victorieuse prône une flat tax de 15 % comme tout impôt ou encore en France où le Gouvernement s'emploie à réduire le taux facial d'un impôt sur les sociétés qui représente moins de 1,5 % du PIB. Et ce serait pour aider les entreprises ? Qui peut le croire ? Les entreprises peuvent se financer par la réaffectation de leurs bénéfices à l'investissement ou le recours au prêt bancaire - qui reste moins coûteux que le versement de dividendes. En France, elles peuvent se développer grâce aux réseaux de transports routiers et ferroviaires mais aussi grâce aux politiques d'éducation qui forment les ouvriers qualifiés et les ingénieurs de demain ; le tout, financé par l'impôt.
Une proposition concrète de lutte contre l'évasion fiscale serait d'aviser les représentants du personnel aux comités d'entreprise du montant des royalties de cessions de brevets ou d'actifs immatériels, des prêts intragroupes ou des prix des transferts. Voilà ce qui serait de l'innovation sociale et politique !
Monsieur Rambaud, souvenez-vous de ce qui disait Victor Hugo qui a siégé dans cet hémicycle : « Rois, la fraude est vilaine et donne un profit nul ; mentir ou se tuer, c'est le même calcul ». (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE ; Mme Sophie Taillé-Polian et M. Joël Labbé applaudissent également.)
Mme Nathalie Goulet . - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) Je regrette que l'hémicycle se soit vidé. Nous discutions des pensions de retraite des agriculteurs, nous débattons maintenant de l'évasion fiscale. D'un côté, 766 euros par an ; de l'autre, 80 milliards d'euros. Il y a une relation de cause à effet entre ces deux sujets. (Applaudissements sur les bancs des groupes UC, CRCE, et SOCR ; M. Jean-Jacques Panunzi applaudit également.)
Puisque nous sommes entre nous, faisons-nous plaisir en reprenant l'excellent rapport qu'a publié Éric Bocquet en 2012 car si certains pensent que l'on avance, je regrette, pour ma part, que l'on fasse du sur place. La carte du tendre des paradis fiscaux est à géométrie variable... Il y a des paradis fiscaux perdus, qui ne le sont pas pour tout le monde ; des paradis retrouvés où pointe parfois un peu de transparence - si l'on veut bien oublier les milliers de mètres carrés de ports francs en Suisse et au Luxembourg et je ne parle pas d'Andorre et de Monaco et les paradis technologiques - une question sur laquelle le Sénat a eu tort d'avoir raison trop tôt.
La simple signature d'une convention fiscale avec la France suffit à sortir un État de la liste des paradis fiscaux. La radiation ne devrait avoir lieu qu'a posteriori, après constatation de la réalisation des engagements pris par l'État. C'était la proposition n°40 du rapport, elle n'est pas appliquée six ans plus tard.
Nous soutiendrons cette proposition de résolution comme la proposition de loi du député Fabien Roussel en vue d'une liste française des paradis fiscaux car, pour résumer, c'est toujours « un scandale, une annonce ». En 2015, après LuxLeaks, la Commission européenne publie une première liste noire paneuropéenne de paradis fiscaux. Dépourvue de sanctions, laissée à la libre appréciation des États, la liste dans laquelle Gibraltar et Jersey ne figurent pas ne suffit pas à une opinion publique secouée par le nouveau scandale des Paradise Papers. Là encore, une annonce et, deux ans plus tard, en décembre 2017, une liste qui exclue par principe les membres de l'Union européenne. Si l'on suivait les critères d'Oxfam, il y aurait 58 paradis, et non 17. Ce bricolage européen est une insulte réitérée à notre intelligence.
Puisque, selon le Conseil constitutionnel, le Parlement ne peut pas participer à l'élaboration de la liste, je vous propose, Madame la Ministre, en cette saison de révision constitutionnelle, d'ajouter dans la Constitution, après l'alinéa 4 de l'article 34, « les dispositifs de lutte contre l'évasion fiscale. » (Applaudissements sur les bancs des groupes UC et CRCE ; MM. Jean-Marc Gabouty et Joël Labbé applaudissent également.)
Les travaux semblent converger vers une disparition de cette anomalie procédurale que constitue le verrou de Bercy. L'Assemblée nationale, après une remarquable commission d'enquête, recommande sa suppression que le Sénat a déjà votée par trois fois. Dans la maison de Victor Hugo, espérons que les murailles de Jéricho du verrou de Bercy s'écrouleront au septième tour. (Applaudissements sur les bancs des groupes UC, RDSE, SOCR et CRCE)
M. Éric Bocquet. - Bravo !
Mme Sophie Taillé-Polian . - Merci aux auteurs de la proposition de résolution dont je salue le travail. La compétition que se livrent les juridictions fiscales à l'échelle mondiale est désastreuse parce qu'elle tarit les ressources financières des États et freine la coopération entre les pays. Ce sont autant de ressources qui devraient être mobilisées dans l'objectif d'une redistribution plus juste des richesses.
La fraude fiscale et l'optimisation, si elles diffèrent par leur nature, sont toutes deux immorales : elles visent à éviter de payer la part légitime de la contribution de tous aux dépenses publiques. Ces phénomènes, facilités par des progrès technologiques qui rendent possible la création d'une société-écran en trois clics, sont difficiles à maîtriser dans un système bancaire traditionnel, ils le sont plus encore dans la zone grise du shadow banking.
Pour les pays en développement, c'est dix fois l'aide au développement. En France, c'est 60 à 80 milliards. Comme Mme Goulet, je pense qu'il y a un lien entre ce débat et celui sur les pensions agricoles. Il n'y a pas d'addiction à la dépense publique mais une addiction à l'évasion fiscale ! (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)
La fraude fiscale est le cancer de la démocratie. Quand le Gouvernement baisse les impôts des plus riches et fait la chasse aux fraudeurs sociaux en stigmatisant les statuts prétendument privilégiés, la moindre des choses serait qu'il se montre intraitable avec les fraudeurs fiscaux.
Des progrès ont été réalisés sous le précédent quinquennat mais ils doivent être largement complétés par la fin du verrou de Bercy, la protection renforcée des lanceurs d'alerte et le reporting pays par pays. On nous promet un projet de loi sur la lutte contre la fraude fiscale. La France ne doit pas attendre la communauté internationale pour agir mais être avant-gardiste.
Les organisations internationales prétendent toutes vouloir lutter contre les paradis fiscaux mais ne s'accordent pas sur une définition. Les listes de paradis fiscaux découlent de tractations diplomatiques, et non de statistiques. Cela rend impossible toute action concrète. Je suis donc très favorable à une Conférence des parties sous l'égide de l'ONU à laquelle serait associée la société civile qui joue un rôle essentiel de garde-fous - il faut saluer le travail des ONG.
Une coopération internationale est indispensable. Nous regrettons le choix du groupe LaREM de ne pas soutenir la proposition de résolution, cela nous fait douter de la volonté du Gouvernement d'agir. Leur nouveau monde n'est pas le nôtre. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR, CRCE et UC ; M. Joël Labbé applaudit également.)
M. Joël Guerriau . - On a beaucoup diabolisé la finance ces dernières années. Soyons prudents dans les mots et dans les actes : ce monde, loin des caricatures, n'est pas monolithique. Sachons préserver le secteur financier français qui fait l'envie des étrangers.
Évitons de l'amalgamer avec la fraude derrière laquelle il y a une galaxie d'acteurs dont les intérêts convergent, mais surtout des particuliers et des entreprises coupables. Comme vous, je la déplore.
Toutefois, nous croyons à l'efficacité des marchés et à l'internationalisation des flux de capitaux, pourvus qu'ils soient régulés. Je salue le français Pascal Saint-Amans de l'OCDE qui a entamé une véritable croisade pour la régulation de la finance. Une norme d'échanges automatiques d'informations bancaires a été récemment adoptée.
L'Union européenne agit aussi contre la concurrence fiscale entre les États membres. Des progrès ont été accomplis, d'autres sont encore possibles. Les listes de paradis fiscaux sont insatisfaisantes de même que les passeports dorés consentis par Malte ou Chypre et les rescrits. Enfin notre système fiscal est inadapté aux Gafam. Poursuivons nos efforts contre la fraude mais dans une logique d'équité, non dans une logique punitive. Je crois en la volonté des institutions et des professionnels d'aboutir, ajouter une institution de plus serait nous éloigner d'une approche pragmatique.
Le groupe Les Indépendants, comme le groupe LaREM, n'approuvera pas cette proposition de résolution.
M. Jean-Marc Gabouty . - L'opacité de la sphère financière à la mathématisation extrême inquiète, le mini krach de février dernier est passé presque inaperçu. Le mathématicien Nicolas Bouleau, dans Le Monde, évoque des « marchés fumigènes », brouillant l'information sur l'état réel de l'économie.
Le bien-fondé de la lutte contre la fraude fiscale ne fait pas de doute. Nous en avons débattu en octobre dernier, l'Assemblée nationale a adopté une résolution sur le même sujet début 2017.
La fraude fiscale mine les ressources des États : elle avoisinerait les 1 000 milliards d'euros en Union européenne ; 60 à 80 milliards en France, ce qui équivaut à notre déficit public. La liste des paradis fiscaux adoptée en décembre dernier se voulait une réponse globale ; malheureusement, les États européens en sont exclus de facto malgré des interrogations sur l'Irlande, le Luxembourg, les Pays-Bas ou Chypre. De grands pays extra-européens qui ne remplissent pas les critères, comme les États-Unis ou la Russie, n'y figurent pas non plus.
Malheureusement, la France n'est pas en reste. Elle assure des exonérations très avantageuses aux non-résidents de certains États du Golfe via des conventions fiscales qui coûtent plusieurs centaines de millions, voire plusieurs milliards d'euros. M. Jean-Louis Borloo avait proposé de revenir dessus en 2012-2013. Pour investir en France, mieux vaut être Qatari que Canadien. On peut également s'interroger sur la tolérance, sinon la complaisance, à l'égard de sportifs ou d'artistes résidant en Belgique ou ailleurs, érigés en héros nationaux. Comment la France et l'Europe peuvent-elles donner des leçons si elles n'ont pas mis d'ordre dans leur maison ?
Si l'on souscrit à la nécessité de lutter contre les paradis fiscaux, il ne faudrait pas que l'organisation d'une conférence des parties masque les enjeux nationaux ou européens. C'est pourquoi la majorité des membres du groupe RDSE s'est prononcée pour une abstention bienveillante ou un vote positif. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE ; quelques applaudissements sur les bancs des groupes UC et CRCE)
Mme Christine Lavarde . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Cette proposition de résolution a plusieurs mérites : celui de vouloir réguler la finance ; celui de souligner la constance du groupe CRCE et d'Éric Bocquet, en particulier.
Nous partageons avec lui certaines préoccupations : l'évasion fiscale est un phénomène global qui appauvrit les nations. Notre groupe Les Républicains s'interroge toutefois sur la pertinence d'une conférence des parties. Ce serait faire croire que ce sujet n'est pas déjà une préoccupation des décideurs. Or ce n'est pas vrai, le G20 de Londres en 2009 l'a montré, de même que l'accord du 29 octobre 2014 sur l'échange d'informations, obligeant chaque pays à demander à tous les établissements de recueillir les données des non-résidents. Le programme BEPS est un autre progrès de l'OCDE pour faire face à l'érosion de la base d'imposition en mettant fin au treaty shopping qui conduit de nombreuses multinationales à placer leur siège à Maurice, pour profiter d'un traité avec l'Inde.
Nous sommes en désaccord avec le considérant 39 de la proposition de résolution, qui rend obligatoire la publication du reporting par pays. Nous sommes attachés au patrimoine informationnel de nos entreprises, ce qui nous avait conduits à nous opposer aux amendements à la loi Sapin II, qui ont d'ailleurs été censurés à l'article 137 par le Conseil constitutionnel. Il aurait au moins fallu, comme l'a prévu le Parlement européen, prévoir une exemption de publication pour les informations commerciales jugées sensibles.
Le projet BEPS est porté par l'OCDE et les pays du G20 qui n'en sont pas membres, soit 90 % de l'économie mondiale. Le dynamisme de la communauté internationale nous amène à plaider pour une démarche intégrée. En décembre, le Conseil de l'Union européenne a publié une liste noire et une liste grise qui semblent être efficaces puisqu'elles font réagir les pays.
Peu à peu, les lignes bougent, l'amende record infligée à Apple par la Commission européenne en témoigne. Le projet d'assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés, dit ACCIS, ambitionne une plus grande intégration fiscale en Europe en supprimant les disparités entre pays membres. Il a été relancé en octobre 2016, la Commission européenne espère aboutir en 2019.
Enfin, aujourd'hui même, ont été mis au ban sept pays européens dont l'Irlande, le Luxembourg et les Pays-Bas, à cause de leurs pratiques contre-productives - cette actualité semble avoir échappé à certains...
Les avancées au niveau français, européen et mondial ne signifient pas que le combat est gagné mais elles nous éclairent. Les voeux d'Éric Bocquet ont été en partie réalisés. La conférence qu'il propose pourrait être considérée comme superfétatoire.
Enfin, l'exposé des motifs est excessivement idéologique ; le tableau caricatural du capitalisme et les termes provocateurs utilisés nous empêchent d'apporter notre soutien à cette proposition de résolution.
M. Thierry Carcenac . - La lutte contre la fraude et l'évasion fiscales est un combat de tous les instants. Des progrès ont été réalisés. L'appui des médias, des ONG, de l'opinion est précieux pour mettre fin aux abus.
Cette proposition de résolution a le mérite d'ouvrir le débat. La liberté de circulation des capitaux a mené certains pays à se lancer dans la fuite en avant de la concurrence fiscale. Il ne faut pas baisser la garde, la créativité de nouveaux montages est sans limite. L'OCDE a permis des progrès indéniables, mais les failles sont apparues tels les visas pour investissement.
La directive prévue par la Commission européenne visant à taxer les Gafa n'est pas acquise. Pourquoi avoir attendu si longtemps ? Dès 2012, le Sénat dénonçait les pratiques du « double irlandais » et du « sandwich hollandais » bien connues des multinationales du numérique.
Le verrou de Bercy laisse supposer que certains pourraient échapper à la sanction, il mérite un réexamen approfondi. Notre arsenal répressif est trop complexe, les agents devraient être mieux formés.
Le groupe SOCR vous invite, Madame la Ministre, à mener ce combat contre la fraude.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances . - Je salue cette proposition de résolution qui, malgré des termes excessifs, suscite un débat de qualité.
D'importantes avancées ont été obtenues ces dernières années. La France est à la pointe du combat contre la fraude fiscale, de même que contre l'optimisation fiscale. Cette dernière s'appuie sur des failles de la loi fiscale quand la fraude est une violation. Il s'agit de faire respecter la justice fiscale, très attendue par nos concitoyens.
Les révélations médiatiques ont illustré l'absolue nécessité de renforcer nos actions. Le Gouvernement est très déterminé sur la transparence fiscale. Au niveau du G20, de l'OCDE et de l'Union européenne, la France agit. Le G20 a demandé la création d'une liste des paradis fiscaux à l'OCDE. Le forum de l'OCDE, qui rassemble 148 membres, a abouti à la création, pour 100 pays, de la convention sur l'assistance administrative mutuelle, qui fixe les règles de l'échange d'informations.
La France a aussi joué un rôle moteur dans le développement mondial de l'échange automatique d'informations sur les comptes bancaires grâce auquel nous avons mis fin au secret bancaire.
L'Union européenne s'est dotée d'un cadre juridique renforcé, en matière d'échanges d'informations. Une proposition de directive obligeant les intermédiaires à déclarer les montages fiscaux qu'ils créent devrait être adoptée très prochainement.
Quelques États, dont la France, travaillent sur le chantier BEPS de l'OCDE. Près de 110 États et territoires y ont adhéré. Progrès important, l'instrument multilatéral BEPS est juridiquement contraignant.
La France a signé le 7 juin 2017 cet accord qui devrait être ratifié prochainement.
L'Union européenne s'est engagée dans une action résolue dans la transparence et l'équité fiscale. Elle a établi une liste des États non coopératifs, qui diminue à raisons des engagements pris par les États, qu'ils devront respecter sous peine de se voir rétrograder. Mais des défis restent à relever : nous devons encore convaincre nos partenaires d'adopter des contre-mesures concrètes. La France transposera dans son droit la liste de l'Union européenne au cours de l'année.
En matière de taxation des entreprises numériques, il faut adapter la législation pour que les entreprises paient l'impôt là où la valeur est créée. Des mesures nationales seraient inadaptées et même contre productives. Nous avons proposé à nos partenaires européens une taxe sur le chiffre d'affaires réalisé dans chaque pays de l'Union, qui compenserait l'impôt sur les sociétés qui aurait dû être payé. Bruno Le Maire a signé le courrier exhortant le G20 à avancer sur la taxation du numérique.
La France agit là où son action est efficace, à Bruxelles et au G20. Ce sont dans ces enceintes que les négociations se mènent. Multiplier les instances ne serait pas efficient. L'Union européenne n'a pas intérêt à s'imposer systématiquement des règles plus dures que d'autres comme les États-Unis.
Je ne partage pas votre volonté de publication des rescrits, ceux de portée générale le sont déjà. Ce serait remettre en cause le secret fiscal. (M. Joël Labbé fait un geste d'impuissance.) Nous continuerons à oeuvrer avec une grande résolution.
Mme Laurence Cohen. - Cela ne se voit pas !
À la demande du groupe LaREM, la proposition de résolution est mise aux voix par scrutin public.
Mme Éliane Assassi. - Non, le groupe Les Républicains l'a demandé au groupe LaREM ! Quelle hypocrisie !
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°68 :
Nombre de votants | 333 |
Nombre de suffrages exprimés | 322 |
Pour l'adoption | 152 |
Contre | 170 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Prochaine séance aujourd'hui, jeudi 8 mars 2018, à 15 heures.
La séance est levée à 00 h 40.
Jean-Luc Blouet
Direction des comptes rendus