SÉANCE

du jeudi 8 février 2018

53e séance de la session ordinaire 2017-2018

présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires : Mme Françoise Gatel, M. Guy-Dominique Kennel.

La séance est ouverte à 10 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Rapport de la Cour des comptes

M. Gérard Larcher, président du Sénat .  - L'ordre du jour appelle le dépôt du rapport annuel de la Cour des comptes par M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes.

Huissiers, veuillez faire entrer M. le Premier président de la Cour des Comptes. (M. le Premier président de la Cour des comptes, accompagné de M. le Rapporteur général de la Cour, prend place dans l'hémicycle.)

Monsieur le Premier président, Monsieur le Rapporteur général, c'est avec un très grand plaisir que nous vous accueillons au Sénat pour la présentation du rapport public annuel de la Cour des comptes. Je connais l'attention que vous portez au Parlement et je tiens à vous remercier personnellement pour votre présence parmi nous aujourd'hui ainsi que pour vos fréquentes interventions ainsi que celles de vos magistrats devant nos commissions.

La Cour des comptes est souvent sollicitée par les commissions permanentes et délégations du Sénat pour les assister dans leur mission de contrôle de l'action du Gouvernement. Au cours de l'année 2017, elle a ainsi rendu, à la demande de notre commission des finances, une enquête fournie sur les politiques publiques en faveur de l'inclusion bancaire et de la prévention du surendettement. La commission des finances a également demandé plusieurs enquêtes, dont les conclusions devraient être rendues au printemps, sur des sujets aussi variés que les matériels et équipements de la police et de la gendarmerie, le personnel contractuel dans l'Éducation nationale, le programme « Habiter mieux », le soutien aux énergies renouvelables ou encore la chaîne de paiement des aides agricoles versées par l'Agence de services et de paiement.

La commission des affaires sociales a, quant à elle, bénéficié, pour l'exercice de ses fonctions de contrôle, de l'expertise de la Cour des comptes sur le rôle des centres hospitaliers universitaires. Un premier volet, relatif à leurs fonctions d'enseignement et de recherche vient d'être remis, un second volet traitera plus largement de la place des CHU dans notre organisation hospitalière.

Ces nombreuses sollicitations illustrent l'attention que porte le Sénat aux constats et aux recommandations formulés par la Cour, informations précieuses pour l'exercice de notre fonction de contrôle mais aussi de notre fonction législative. Dans nos travaux sur la révision constitutionnelle, la Cour des comptes est fréquemment citée comme un allié indépendant et autonome qui contribue à améliorer l'évaluation ex ante et ex post des textes qui nous sont soumis. Je ne doute pas que votre rôle sera au coeur des débats que nous aurons prochainement.

La remise du rapport public annuel de la Cour des comptes est toujours un moment très attendu pour son analyse d'ensemble de nos finances publiques et le regard porté sur un certain nombre de politiques publiques. Vous l'aurez donc compris, Monsieur le Premier président, c'est avec le plus grand intérêt que nous vous écouterons présenter le rapport annuel de la Cour des comptes, avant d'entendre M. le président de la commission des finances et M. le président de la commission des affaires sociales.

M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes .  - (M. le Premier président remet à M. le président du Sénat un exemplaire du rapport public annuel de la Cour)

Si les juridictions financières, Cour et chambres régionales des comptes, publient de très nombreux rapports tout au long de l'année - 62 en 2017, la présentation du rapport public annuel demeure un point culminant de leur calendrier car il s'agit d'une véritable radiographie annuelle d'une partie de l'action publique. La diversité des exemples cités distingue de façon objective les évolutions, progrès et réussites à l'oeuvre au sein d'un échantillon de politiques et d'organismes tout en cernant les risques à maîtriser et les efforts à poursuivre.

Cette année, nous avons insisté sur le suivi de la mise en oeuvre de nos recommandations. Près de 73 % des 1 647 recommandations émises et suivies au cours des trois dernières années par la Cour ont été mises en oeuvre au moins partiellement. Pour les chambres régionales et territoriales des comptes, cette proportion s'élève à 79 %. Seules 24 % des recommandations de la Cour et 39,5 % de celles des chambres régionales ont été totalement appliquées.

Parmi elles, certaines ont entraîné des économies substantielles. Il en a été ainsi de celles portant sur le programme budgétaire de l'État destiné au financement des majorations de rentes, c'est-à-dire des remboursements aux compagnies d'assurances et aux mutuelles de coûts liés à leurs obligations en matière d'indexation des rentes sur le coût de la vie. La Cour avait recommandé la suppression de ce dispositif largement obsolète, datant de 1948, dans un référé de 2017. Cette mesure, introduite dans la loi de finances pour 2018, entraînera des économies annuelles de l'ordre de 140 millions d'euros à partir de 2019 et de 1,8 milliard au total.

Les données relatives à l'utilisation de nos travaux révèlent que les juridictions financières participent au quotidien à la transformation de l'action publique. Leurs travaux pourraient être davantage utilisés par le Gouvernement comme par le Parlement, étant entendu que nous ne confondons pas notre rôle avec celui des pouvoirs publics, à qui il revient d'arbitrer entre les chemins d'amélioration que nous leur proposons et de décider de leur mise en oeuvre. Le dernier mot doit toujours revenir aux représentants du suffrage universel.

Souvent, par le passé, nos rapports ont donné lieu à des suites concrètes au Parlement. Je me réjouis de la qualité des relations que nous entretenons avec les commissions des finances et des affaires sociales du Sénat, nous sommes prêts à les approfondir pourvu que nos capacités à mener notre mission générale d'assistance soient préservées.

Trois idées-forces traversent ce rapport. D'abord, l'amélioration de nos finances publiques ne sera durable qu'au prix d'un accroissement de la maîtrise des dépenses ainsi que de l'efficacité et l'efficience des politiques publiques. Ensuite, pour répondre aux grands enjeux actuels, nous appelons à concentrer les efforts, en clarifiant et ciblant parfois les objectifs de certaines politiques. Enfin, nous nous sommes attachés à mettre en lumière les conditions opérationnelles à réunir pour réussir le projet de modernisation et en tirer tout le bénéfice à long terme.

En 2017, le déficit public devrait passer sous le seuil des 3 points de PIB, sous réserve du traitement en comptabilité nationale du coût de l'invalidation de la taxe à 3 % sur les dividendes par le Conseil constitutionnel - il sera connu en mars prochain. Si la prévision du Gouvernement d'un déficit public à 2,9 points de PIB se vérifiait, nous sortirions, après près de dix ans, de la procédure de déficit excessif en 2018.

Ce résultat s'expliquerait en grande partie par l'amélioration de la conjoncture, qui a provoqué un important surcroît de recettes, et, dans une moindre part, par des mesures de freinage de la dépense prises l'été dernier. Le tout aura permis de compenser la sous-estimation des dépenses de l'État mise en évidence par l'audit des finances publiques, que j'ai remis au Premier ministre en juin 2017. L'amélioration est donc réelle, ce dont la Cour des comptes ne peut que s'en réjouir. Pour qu'elle devienne structurelle et durable, aucun relâchement n'est possible.

Même avec un déficit ramené sous la barre des 3 %, la France continue de présenter une situation financière plus dégradée que celle de la quasi-totalité de ses partenaires de la zone euro, avec un budget de l'État continûment déficitaire depuis 1974. Parmi les pays dont la dette dépasse le seuil des 60 points de PIB, la France est celui dont l'endettement a crû le plus en 2017, tandis que la dette publique moyenne de la zone euro rapportée au PIB diminue de 1,8 point sur la même période.

L'amélioration de la conjoncture, même si elle se poursuit, ne doit pas faire l'effet d'un anesthésiant. Trop souvent par le passé, les périodes de conjoncture favorable n'ont pas été mises à profit pour réduire le déficit structurel. La question de l'efficacité de la dépense publique, c'est-à-dire de l'utilité de chaque euro dépensé, n'est pas réglée, comme en témoignent de nombreux exemples relevés dans les travaux des juridictions financières.

Les conditions pour atteindre les objectifs fixés par la loi de programmation sont loin d'être réunies. Pour 2018, est prévu un recul faible du déficit tandis que le poids de la dette publique augmenterait encore légèrement. La loi de programmation concentre l'effort de réduction des déficits sur les années 2020 à 2022. Elle repose sur l'hypothèse, par nature incertaine, du maintien du rythme actuel de croissance sur toute la période et sur des hypothèses d'économies qui doivent se concrétiser.

Pour l'État, il s'agit de réformes dont les contours et les périmètres restent encore à préciser. Pour les collectivités territoriales, les cibles pour les dépenses de fonctionnement et les excédents sont fixées à un niveau jamais observé pendant les cinquante dernières années. Pour la sécurité sociale, enfin, les économies attendues supposent un effort très soutenu de maîtrise des dépenses de santé.

Les ambitions du Gouvernement et du Parlement devront donc tenir toutes leurs promesses et des réformes structurelles être mises en oeuvre sans retard, notamment dans le cadre de la démarche « Action publique 2022 ».

Pour accompagner ces efforts, les juridictions financières ont analysé des cas concrets de politiques et de dispositifs publics. Ce travail aborde les grands enjeux de l'action publique en partant du terrain. Si les gestionnaires publics ne sont pas restés inactifs, des progrès importants restent à accomplir pour relever les défis.

Premier enjeu, la modernisation numérique de l'action publique. Depuis 2011, l'État s'est doté d'une structure de gouvernance de son système d'information, chargée d'appuyer les ministères pour faire profiter le service public des opportunités offertes par les nouvelles technologies. Il a mis en place une stratégie reposant sur une mutualisation des investissements, une optimisation des ressources existantes à travers le partage des méthodes, des codes et des données, et la diffusion des innovations. Des jalons importants ont donc été posés, et la Cour s'en réjouit. Pour l'avenir, elle recommande le déploiement accéléré de la stratégie d'État-plateforme, le renforcement de l'attractivité de l'État comme employeur pour recruter et fidéliser les talents qui lui manquent dans certains domaines précis et la création d'un programme budgétaire supportant les dépenses numériques et informatiques à vocation transversale.

En matière de services publics numériques de santé, des progrès importants ont été enregistrés depuis cinq ans, avec la poursuite du déploiement d'ameli.fr, le portail des services en ligne de l'assurance maladie, et la relance récente du dossier médical partagé. Pour ancrer ces nouveaux services dans les usages et qu'ils contribuent à l'évolution des pratiques médicales, les pouvoirs publics doivent remplir rapidement plusieurs prérequis identifiés par la Cour mais également enrichir et mieux exploiter les données de santé.

Deuxième enjeu, le réchauffement climatique. L'exemple des aides pour l'électrification rurale, créées en 1936 et reposant sur un système de péréquation entre territoires urbains et ruraux, est particulièrement éclairant. Celles-ci doivent évoluer pour s'adapter à des enjeux croissants comme la transition énergétique dans les territoires ruraux et les besoins spécifiques des espaces ultramarins.

Autre exemple, celui de l'installation, d'ici à 2024, de près de 39 millions de compteurs communicants Linky par Enedis, filiale à 100 % d'EDF. Cette opération, évaluée à 5,7 milliards d'euros, permettra de réels progrès dans l'optimisation de notre consommation d'électricité sous certaines conditions seulement.

Troisième enjeu, l'emploi. Les contrats aidés ont été largement mobilisés pour réduire le chômage à court terme et favoriser la cohésion au prix de dérapages financiers importants. La Cour appelle à les recentrer sur les publics pour lesquels il est le mieux adapté, c'est-à-dire pour ceux qu'il n'est pas possible d'orienter vers des dispositifs de formation plus intensifs et qui ne requièrent pas pour autant un accompagnement global. Certaines orientations annoncées par le Gouvernement vont dans le sens de ces propositions. La Cour sera attentive à en analyser les résultats.

Les juridictions financières se sont également penchées sur la santé publique. La fragilité de certaines couvertures vaccinales est le résultat d'une hésitation croissante de la part des Français, dans un contexte marqué, depuis vingt ans, par de multiples crises sanitaires et par des controverses, voire des campagnes de désinformation, relayées sur Internet et les réseaux sociaux. Face à cette situation, la mobilisation des pouvoirs publics a été tardive et trop timide pour inverser la tendance. Pour rétablir une confiance durable dans une action publique de santé parmi les plus efficaces tout en étant peu coûteuse, la Cour recommande des actions vigoureuses comme la simplification et la facilitation des parcours de vaccination et le déploiement d'une communication active.

Cinquième enjeu, celui de la sécurité publique. Les activités privées de sécurité contribuent de manière croissante à la sécurité des Français, et leurs effectifs atteignent désormais plus de la moitié des forces de sécurité publique. La Cour a constaté que l'État ne jouait pas encore pleinement le rôle de pilote pour définir clairement les critères de recours aux sociétés privées et leurs modalités de coopération avec les forces de l'ordre. En outre, les résultats du Conseil national des activités privées de sécurité, le Cnaps, ne sont pas à la hauteur. Le contrôle de la moralité des demandeurs de titres est inégal et, de façon générale, trop indulgent. Il conduit à délivrer des cartes et autorisations à des personnes ayant des antécédents judiciaires relatifs à des faits parfois graves et manifestement incompatibles avec l'exercice d'une activité privée de sécurité. En outre, les sanctions prononcées par le Cnaps sont insuffisamment effectives et dissuasives.

Enfin, dernier enjeu, celui de la gestion de la dette des organismes publics. L'État a bien pris la mesure des risques considérables financiers que peut faire peser un pilotage mal avisé de l'endettement public. Le coût global de la sortie des emprunts à risque des collectivités locales, s'élève selon la Cour à environ 3 milliards d'euros, dont 2,6 milliards d'aides distribuées aux collectivités. C'est à ce prix que les risques financiers et juridiques liés aux emprunts les plus toxiques ont été maîtrisés, dans le cadre d'une démarche globale enclenchée par l'État au début de l'année 2013, mise en oeuvre avec rigueur et réussite.

La dette des hôpitaux a été stabilisée ces dernières années, grâce à une meilleure maîtrise des dépenses d'investissement, à la mise en place d'un fonds de soutien destinés aux établissements ayant contracté des emprunts structurés et à la création d'une procédure de validation interministérielle des projets d'investissement les plus importants. Cette procédure comporte encore des limites, la vigilance s'impose au regard de l'érosion de la capacité d'autofinancement des hôpitaux et du financement incertain du nouveau plan d'investissement pour la période 2018 à 2022.

Être à la hauteur des grands défis actuels suppose que les objectifs de certains dispositifs publics spécifiques soient adaptés aux grands enjeux de l'action publique, au prix parfois d'une clarification ou d'un ciblage accru. Cela suppose que soient remis en question certains objectifs historiques, parfois dépassés. C'est la raison pour laquelle nous appelons à resserrer les missions fiscales de la douane en supprimant les taxes obsolètes aux coûts de gestion disproportionnés, comme les taxes sur les farines et les céréales, en simplifiant la collecte de certaines autres taxes et en déchargeant cette administration de la gestion des droits de port et de la totalité de ses activités de recouvrement fiscal. Dans la même logique, la Cour appelle à une révision profonde du régime des aides à la presse écrite.

Enfin, les juridictions financières ont formulé des recommandations précises pour réussir la mise en oeuvre des projets de modernisation et en tirer tout le bénéfice à long terme. Tout d'abord, le rapport met l'accent sur la nécessité d'accorder une attention très étroite à l'organisation institutionnelle d'un projet pour garantir un partage clair des responsabilités et des tâches. Ainsi, la compétence d'alimentation en eau potable du Grand Paris devrait être complètement confiée à la métropole, et non, comme c'est le cas aujourd'hui, aux douze établissements publics territoriaux qui la composent. En cohérence avec le référé que nous avons adressé au Premier ministre en octobre 2017, cela permettrait d'optimiser l'utilisation des installations de production et de gérer de façon coordonnée les ressources.

La création de l'École nationale supérieure maritime visait à concentrer les moyens consacrés à la formation maritime et à en améliorer l'attractivité par une réforme pédagogique et la délivrance du titre d'ingénieur. Elle a pâti d'un manque évident de préparation, notamment en ce qui concerne la stratégie d'implantation immobilière, dispersée aujourd'hui entre quatre villes. La Cour appelle à une révision rapide des modalités de gouvernance de l'école et à la rationalisation de ses implantations territoriales, qui pourraient être concentrées sur un seul site ou sur les deux sites de Marseille et du Havre.

À propos des efforts de rationalisation immobilière, rappelons que l'achèvement des projets ne signifie pas le relâchement des efforts. Un pilotage au long cours doit prendre le relais pour que tous les bénéfices des investissements, souvent massifs, soient retirés. Pour le regroupement de l'administration centrale du ministère des armées à Balard, le choix d'un partenariat public-privé s'est imposé en raison du manque de ressources budgétaires. Il était adapté dans ce cas, du fait de la complexité de la construction d'un bâtiment sécurisé à tous points de vue et de l'exigence des prestations. Le projet, mené à bien dans les temps, constitue une réussite opérationnelle. En revanche, son plan de financement à long terme, qui était gagé sur la réalisation d'économies importantes qui ne se sont pas concrétisées, ne sera sans doute pas atteint. Un renforcement du pilotage s'impose pour éviter un dérapage supplémentaire des coûts et faire respecter ses obligations par le partenaire privé.

La rénovation de 15 % de la surface globale des bâtiments universitaire, engagée en 2007 dans le cadre de l'opération Campus, s'est éloignée progressivement des principes d'origine de l'opération. Son bilan apparaît en demi-teinte : un quart seulement des opérations a été livré dix ans après son lancement. Elle n'a pas été articulée avec une démarche d'accompagnement des universités vers l'autonomie dans la gestion de leur patrimoine. L'urgence est de ne pas perdre le bénéfice des investissements consentis en organisant dans la durée la gestion et l'entretien du nouveau patrimoine immobilier et en prévoyant un plan de stratégie patrimoniale dans tous les contrats pluriannuels conclus entre les universités et l'État.

Enfin, le succès final des démarches de modernisation dépend de la capacité des gestionnaires à prêter attention aux résultats de leur action pour les usagers des services publics. Les politiques publiques n'ont de sens que si elles sont efficaces. C'est pourquoi nous appelons si souvent à mettre en place, dès la création d'un dispositif, les modalités de son contrôle interne et externe et les remontées d'information nécessaires à son évaluation. Une dépense publique peu élevée pour une faible efficacité, c'est un mal bien français.

Il existe des marges de progrès. Créé en 2010, le service civique a fait l'objet d'une montée en charge réussie : environ 35 000 en 2014, les bénéficiaires étaient au nombre de 140 000 à la fin de l'année 2017. Son coût étant entièrement à la charge de l'État, il faut veiller au respect des principes fondateurs du service civique pour éviter que les missions offertes ne s'assimilent à des emplois, des stages ou des fonctions de bénévoles déguisés. Une évaluation globale du dispositif, tant pour les jeunes volontaires que pour les bénéficiaires de leurs actions, pourrait être menée.

Autre exemple, les dispositifs de remise et de transaction en matière fiscale. Ils permettent de procéder à des diminutions, voire à des abandons d'impôt pour tenir compte des situations spécifiques des contribuables, pour un montant de 526 millions d'euros par an en moyenne. Pas moins de 36 % des demandes de remise gracieuse entre 2011 et 2016 concernaient la taxe d'habitation : en raison de disparités particulières en matière d'assiette et de taux, cet impôt peut atteindre des niveaux élevés au regard des capacités des contribuables. La marge d'appréciation laissée à l'administration fiscale suppose des dispositifs de contrôle interne et une restitution sans faille afin d'assurer l'homogénéité des pratiques sur l'ensemble du territoire. Or l'égalité de traitement des contribuables sur tout le territoire national n'est pas suffisamment garantie par les modalités actuelles de suivi des pratiques des différents services des impôts.

La lutte contre la fraude aux cotisations sociales est une politique à relancer, notamment face au développement des nouvelles formes de travail. Le nombre de contrôles et d'actions de lutte contre cette fraude diminue dans les Urssaf, tandis que le montant total des redressements stagne et que celui des recouvrements recule. Certains prélèvements ou dispositifs sociaux font l'objet de contrôles très limités ou inexistants, bien que des dizaines de milliards d'euros soient en jeu, comme les cotisations aux régimes de retraite complémentaire des salariés du secteur privé, le crédit d'impôt compétitivité emploi ou les cotisations des travailleurs indépendants. La Cour formule plusieurs recommandations pour inverser ces tendances.

S'il ne m'a pas été possible de faire état, de manière exhaustive, des observations de la Cour contenues dans les 1 287 pages de son rapport annuel, vous aurez compris qu'au-delà des critiques, nous saluons les efforts engagés et les réussites obtenues par de nombreux gestionnaires. Il ne faut toutefois pas se voiler la face. Des progrès substantiels restent à réaliser. Il s'agit non seulement de mobiliser des marges importantes pour augmenter la performance des politiques publiques mais également de mener les réformes structurelles qui, seules, permettront à la France de respecter, dans le long terme, sa trajectoire de finances publiques. (Applaudissements)

M. Gérard Larcher, président du Sénat.  - Monsieur le Premier président, le Sénat vous donne acte du dépôt du rapport annuel de la Cour des comptes.

M. Vincent Éblé, président de la commission des finances .  - La présentation du rapport annuel est l'occasion de mesurer la richesse des travaux de la Cour des comptes même si ce moment solennel est loin d'être la seule occasion pour le Parlement de suivre ceux-ci. Toute l'année, nous procédons à de nombreuses auditions du Premier président et des magistrats financiers.

L'édition 2018 de son rapport annuel comprend, outre le suivi des recommandations, de nombreuses insertions appelant l'attention de notre assemblée. Notre commission et son rapporteur général feront le meilleur usage de son relevé de situation des finances publiques, nous auditionnerons prochainement le Gouvernement à ce sujet. La prévision d'exécution à la fin 2017 - nous repasserions sous la barre fatidique des 3 % du PIB, est en nette amélioration par rapport à la prévision de la Cour dans son audit de juin dernier, soit 3,2 % du PIB. Et cela, grâce à la conjoncture et, dans une moindre mesure, au freinage des dépenses publiques. Votre hypothèse d'un net dérapage de nos finances publiques ne s'est heureusement pas vérifiée, des incertitudes demeurent cependant en raison du traitement comptable de la recapitalisation d'Areva et de la taxe de 3 % sur les dividendes.

La Cour émet des réserves sur le respect des objectifs de baisse des déficits publics. Il repose, pour l'État, pour la mise en oeuvre de réformes dont « les contours restent à définir » et pour les collectivités territoriales sur la réalisation « peu vraisemblable » d'excédents de plus en plus élevés liés à la contractualisation. Il est même question d'un « pari » sur les excédents de la sécurité sociale et des collectivités locales, ce que le Sénat avait déjà souligné. La consolidation de nos finances publiques apparaît fragile alors que la reprise donne des marges de manoeuvres au Gouvernement.

Au-delà, la Cour se penche sur bien d'autres thèmes, dont celui des remises et transactions en matière fiscale. Vous demandez la définition d'un cadre légal pour ces outils utiles à la gestion de l'impôt recommandez de compléter l'annexe à la loi de finances qui comporte, selon vous, des lacunes graves. Nous ne pouvons que vous soutenir, cela améliorera l'information du Parlement.

Pour approfondir la modernisation numérique de l'État, il faut effectivement mieux former les agents publics à l'outil et développer les mutualisations. La création d'un programme budgétaire supportant les dépenses de manière transversale en matière numérique est une recommandation que le Gouvernement gagnerait à concrétiser dans le projet de loi de finances pour 2019. Je me félicite que vous mentionniez le partage et l'ouverture des codes sources et des algorithmes comme outil de modernisation de l'État car le Sénat avait adopté à mon initiative, un amendement sur ce sujet, qui n'a malheureusement pas eu les faveurs du Gouvernement.

Sur la politique immobilière, le recours à des montages juridiques complexes impose un renforcement de la direction de l'immobilier de l'État pour améliorer son rôle de conseil auprès des ministères dans la définition, la conclusion et la sécurisation des contrats. Le recours à des financements privés renchérit le coût des opérations, ce que MM. Bouvard et Carcenac pointaient dans leur rapport.

La Cour appelle à modifier significativement les missions fiscales des douanes. Le directeur général des douanes, que nous avons entendu la semaine dernière, avant de nous rendre sur le terrain, à Roissy, promeut une plus grande collaboration avec la direction générale des finances publiques pour améliorer le recueil d'informations. Sans doute peut-on faire mieux encore en supprimant, comme le Sénat l'avait voté, des petites taxes au coût de recouvrement élevé.

Pour les contrats aidés, « moins de la moitié des bénéficiaires [d'un contrat aidé dans le secteur non marchand] disent avoir suivi au moins une formation pendant leur contrat. Les chiffres sont encore plus faibles dans le secteur marchand » alors qu'il s'agit d'une obligation. La réduction de l'enveloppe des contrats aidés aurait pu, au moins, avoir pour contrepartie un renforcement de l'accompagnement des bénéficiaires.

Aides à la presse écrite, aides à l'électrification des communes rurales, service civique, je ne ferai pas un inventaire à la Prévert des sujets sur lesquels vous avez formulé des remarques dont nous ferons bon usage.

La mission d'assistance de la Cour au Parlement, consacrée par l'article 47-2 de la Constitution, revêt une importance capitale. Chaque année, notre activité de contrôle s'enrichit des résultats d'enquêtes demandées à la Cour en application de l'article 58-2 de la LOLF. Au cours des quatre prochains mois, cinq enquêtes nous seront remises à la commission des finances sur le programme « Habiter mieux », suivi par Philippe Dallier ; le soutien aux énergies renouvelables, suivi par Jean-François Husson ; les personnels contractuels dans l'Éducation nationale, dont le rapporteur sera Gérard Longuet ; la chaîne des aides agricoles et l'Agence de services et de paiement avec Alain Houpert et Yannick Botrel ; et, enfin, les matériels et équipements de la police et de la gendarmerie, un sujet suivi par Philippe Dominati.

Pas moins de quatre enquêtes seront remises à la fin 2018, elles nous seront tout aussi utiles que vos travaux sur l'exécution du budget de l'État et la certification de ses comptes ou encore sur les perspectives des finances publiques à l'été.

Monsieur le Premier président de la Cour des comptes, je me réjouis de vous retrouver la semaine prochaine pour nous rendre compte des travaux du Conseil des prélèvements obligatoires sur la fiscalité du capital des ménages. (Applaudissements)

M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales .  - La présentation du rapport annuel de la Cour des comptes est l'une des illustrations de la mission constitutionnelle que la Cour des comptes exerce auprès du Parlement. Il en est bien d'autres : rapport annuel sur les lois de financement de la sécurité sociale, rapports de certification des comptes, rapports thématiques et enquêtes demandées à la Cour.

La première partie de l'enquête demandée par la commission des affaires sociales sur les centres hospitaliers universitaires, qui porte sur le volet recherche, nous a été remise. Avec son second volet, attendu cette année, notre commission devrait disposer, soixante ans après leur création, d'une précieuse évaluation des missions assignées aux CHU.

Récemment, la commission a également entendu la présentation d'un rapport de la Cour des comptes sur la prise en charge de l'autisme, sujet auquel elle est particulièrement attentive.

Dans la continuité des travaux précédents de la Cour, j'ai souhaité qu'elle se penche sur les conditions de prise en charge de l'insuffisance rénale chronique terminale dont les dysfonctionnements persistent, à La Réunion mais aussi dans d'autres départements.

Dans le rapport public annuel, la Cour revient à juste titre sur la politique vaccinale. Nous partageons ses constats : la confiance dans notre système de santé a été mise à mal. La vaccination contre la grippe saisonnière des personnels soignants est impérative. Or l'obligation de vaccination prévue par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2006 et réaffirmée dans la loi santé de janvier 2016 a fait l'objet d'une suspension par voie réglementaire qui n'a pas été rapportée. Le scandale de la salmonelle dans les boîtes de lait, qui a entraîné l'hospitalisation d'une trentaine d'enfants, fort heureusement, sans conséquences graves, a fait l'objet d'un acharnement médiatique qui tranche avec le silence fait sur les morts de la grippe - 15 000 en 2016, 3 000 déjà pour cette saison - et de la rougeole - la mort d'une adolescente était à déplorer l'an dernier que l'on aurait pu éviter grâce à la vaccination.

Les services publics numériques de santé représentent un enjeu majeur pour l'évolution de notre système de santé. Nous n'avons que peu de recul sur la relance du dossier médical partagé, puisque le transfert de sa gestion à la CNAM n'est effectif que depuis le 1er janvier 2017. Les premiers résultats sont néanmoins encourageants. L'évolution des pratiques est parfois plus difficile que celle des techniques, il faudra faire d'importants efforts d'information et de pédagogie.

Notre commission partage votre analyse des contrats aidés : il convient de renforcer les actions de formation pour éviter les effets d'aubaine. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous avons diminué les crédits alloués à l'expérimentation des emplois francs, dont le coût total s'élèverait à 450 millions d'euros.

Sur les missions fiscales de la douane, le Sénat a supprimé, en première lecture de la loi de financement, à la fois la taxe sur les farines et celle sur les eaux de boisson. Le financement par l'impôt des régimes agricoles doit être repensé et modernisé, il n'est pas cohérent de taxer les sodas tout en maintenant les taxes sur l'eau.

La dette hospitalière représente encore en 2016 près de 30 milliards d'euros. L'information du Parlement sur le financement de l'hôpital, le déficit et la dette hospitalière pourrait être renforcée lors de la discussion de la loi de financement et l'examen de son application.

Ce qui m'amène à aborder la situation des finances publiques, premier point du rapport annuel. La Cour met surtout en relief une situation toujours singulière de notre pays en Europe pour le caractère dégradé de ses finances publiques. Pour les finances sociales, il nous faudra attendre le mois de mars pour connaître les résultats du régime général et la publication des comptes nationaux par l'Insee. Soyons lucides : les marges de manoeuvre sont très faibles.

Le respect de l'Ondam n'est pas plus acquis qu'hier. La crise de l'hôpital montre les limites du recours aux mesures de régulation sur l'Ondam hospitalier. L'an dernier, je dénonçais déjà des mesures de régulation aveugle qui mettent à mal le service public sans apporter de solutions. Pas plus qu'hier, les économies annoncées ne sont structurelles quand elles n'ont pas un caractère purement artificiel.

Le Gouvernement prévoit un redressement des comptes en fin de période qui suppose une contribution des excédents des comptes sociaux à la réduction du déficit de l'État. Or les excédents des comptes sociaux risquent fort de ne pas se matérialiser et la résorption de la dette sociale qui atteint 220 milliards d'euros doit être envisagée avant de procéder à un transfert d'excédents éventuels. La notion même de cotisations sociales est mise à mal par la dernière loi de financement. Les cotisations, parce qu'elles financent une assurance contre un risque donné, préfigurent des prestations à venir. La confusion s'aggraverait avec un transfert entre la sécurité sociale et l'État qui ne serait motivé que par une amélioration faciale des comptes de ce dernier.

Pour conclure, je veux de nouveau saluer, au nom de la commission des affaires sociales, la contribution que la Cour des comptes nous apporte dans le nécessaire contrôle de l'action du Gouvernement. (Applaudissements)

M. Gérard Larcher, président du Sénat.  - Monsieur le Premier président, nous en avons terminé avec la présentation de ce rapport. MM. les présidents ont rappelé la qualité des relations entre nos commissions et la Cour ; vous savez que nous souhaitons les étendre. (Applaudissements)

Huissiers, veuillez reconduire M. le Premier président et M. le Rapporteur général de la Cour des comptes.

La séance est suspendue à 11 h 25.

présidence de M. Jean-Marc Gabouty, vice-président

La séance reprend à 11 h 35.