Physicien médical et qualifications professionnelles (Nouvelle lecture)
Mme le président. - L'ordre du jour appelle l'examen du projet de loi ratifiant l'ordonnance n°2017-48 du 19 janvier 2017 relative à la profession de physicien médical et l'ordonnance n°2017-50 du 19 janvier 2017 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles dans le domaine de la santé.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé . - Cette ordonnance transpose en droit interne trois dispositions mises en place par la directive européenne du 20 novembre 2013 : la carte professionnelle européenne, le mécanisme d'alerte et l'accès partiel. Elle introduit une procédure qui sécurise la reconnaissance des qualifications de certains métiers de santé. J'ai pu mesurer les inquiétudes que suscitent les dispositions sur l'accès partiel. J'ai réaffirmé mon souci de préserver la qualité des soins apportés. L'échec de la CMP montre combien le sujet reste sensible.
La directive aurait dû être transposée au 18 janvier 2016. La France a, depuis, été exposée à deux avis de la Commission européenne pour défaut de transposition.
Le 17 septembre dernier, le collège de la Commission européenne a décidé d'une saisine de la Cour de justice de l'Union européenne d'un recours contre la France, la Belgique et l'Allemagne, pour défaut de transposition.
Le décret et les sept arrêtés publiés depuis pourraient nous éviter le paiement de l'astreinte qui s'élève à 50 000 euros par jour. Je resterai vigilante sur ce déploiement de l'accès partiel sur notre territoire, afin que la qualité et la sécurité des prises en charge soient maintenues.
Les conditions d'examen des dossiers seront suivies rigoureusement. Trois conditions sont posées : le professionnel doit être pleinement qualifié dans son pays d'origine ; les différences entre l'activité professionnelle initiale et celle exercée en France ne doivent pas être telles que le professionnel doive suivre un cycle complet de formation ; l'activité sollicitée en accès partiel doit pouvoir être séparée d'autres activités relevant de la profession.
Les dossiers seront examinés par chaque commission compétente, ainsi que par l'ordre quand la profession en dispose. Nous avons exigé deux avis pour renforcer ce contrôle.
Je serai attentive à ce que la rédaction du décret soit suffisamment précise pour guider l'examen des dossiers au cas par cas. Elle dispose que les autorisations d'exercice porteront sur des points précis : description de l'intégration des actes dans le processus des soins, lisibilité des actes. Ce décret garantit la qualité des soins comme l'information des usagers.
J'ai sollicité la Commission européenne pour obtenir une cartographie des professions médicales dans l'Union. Elle permettra de délimiter les périmètres d'activités professionnelles susceptibles de solliciter un accès partiel.
Je ne suis donc pas favorable aux suppressions des références à l'accès partiel que votre commission a proposées.
Mme Corinne Imbert, rapporteur de la commission des affaires sociales . - Sur les trois projets de transposition en matière de santé que nous avons examinés le 11 octobre, un texte reste en discussion après l'échec de la CMP. Notre désaccord avec l'Assemblée nationale porte sur le rétablissement de la procédure d'accès partiel.
Cette procédure n'a pas été suffisamment préparée : nous n'avons reçu aucune information sur le nombre de professionnels concernés, ni sur la nature des professions qui pourront y prétendre. On avance à l'aveugle.
Sans faire de procès d'intention aux professionnels des autres pays, nous nous interrogeons sur la compatibilité de notre système de santé avec certaines professions exercées dans d'autres pays. On risque une désorganisation en profondeur de notre système de santé.
Plusieurs difficultés pratiques subsistent : surcoût pour la sécurité sociale puisque les patients consulteront deux professionnels au lieu d'un s'ils n'ont pas confiance, risque d'effet d'aubaine pour les formateurs étrangers, sécurité garantie aux patients.
Ce sont les publics les plus fragiles qui seront touchés en premier. Les inégalités territoriales seront renforcées, car les collectivités territoriales frappées par la désertification médicale auront nécessairement davantage recours à cet accès partiel, au risque de creuser les écarts.
Le décret du 2 novembre ne nous a pas rassurés sur les compétences d'encadrement dévolues aux ordres. Il est intervenu avant même la fin de nos travaux parlementaires : nous aurions aimé plus de respect pour les travaux parlementaires.
Le Sénat ne saurait être taxé d'irresponsabilité face aux obligations européennes de la France. Il ne fait pas pour autant passer le droit avant la santé des patients. Il aurait fallu explorer la possibilité d'une transposition alternative plus respectueuse de la nature de notre système de santé.
La commission des affaires sociales ne peut accepter que l'accès partiel fragilise la qualité des soins et l'information des patients.
Mme Véronique Guillotin . - L'échec de la CMP le 5 décembre dernier nous oblige à réexaminer ce texte. L'article premier a été adopté conforme par les deux assemblées : nous nous en félicitons. L'article 2, où se trouvent les dispositions sur l'accès partiel, concentre tous les débats. Les infirmiers et les kinésithérapeutes s'inquiètent de la confusion risquant de s'installer dans l'esprit du public qui aboutira à une moindre reconnaissance de leurs compétences.
Impréparation, manque de concertation avec les organisations professionnelles, nous ne pouvons que le déplorer.
Les déserts médicaux inquiètent tous les élus. Élue d'un territoire sous-doté, je salue toute mesure renforçant l'attractivité territoriale. Il ne faudrait pas pour autant créer un système à deux vitesses renforçant les inégalités territoriales.
La commission des affaires sociales ne juge pas suffisants les trois critères qui encadrent l'exercice partiel. Nous nous interrogeons sur le champ de compétences concerné.
C'est l'avenir de notre système de santé qui est en jeu ainsi que le dialogue avec les organisations professionnelles.
Le décret sur l'accès partiel a été publié le 2 novembre 2017, alors que la CMP n'avait pas encore été réunie. Nous aurions apprécié plus de respect des débats parlementaires.
La directive aurait dû être transposée il y a plus de deux ans. Pour autant, nous ne sommes pas prêts à nous montrer moins exigeants sur la qualité et la sécurité des soins. Le groupe RDSE souhaite une Europe qui tire vers le haut, qui harmonise et qui protège, suivant les mots du président de la République, y compris dans le domaine de la santé.
Madame la Ministre, je salue l'écoute dont vous avez su faire preuve. Pour défendre l'équité sociale et l'équité territoriale, le groupe RDSE votera le texte de la commission des affaires sociales.
M. Martin Lévrier . - Sur les trois projets de loi de ratification, un seul point de désaccord demeure à l'issue de la CMP. Vos dispositions sur la reconnaissance du métier de physicien médical ont été adoptées conformes par les deux chambres. L'accès partiel aux professionnels de santé continue de diviser.
Des garanties existent pour contenir ces risques : le professionnel doit être qualifié pour exercer dans son État d'origine ; si les distorsions entre l'activité dans le pays d'origine et celle en France sont trop importantes, des formations s'imposeront ; l'activité en exercice partiel sera séparée des autres activités exercées en France. Si l'une de ces conditions n'est pas respectée, aucune autorisation ne sera délivrée.
La commission des affaires sociales a écarté les dispositions sur l'accès partiel. Le groupe LaREM s'abstiendra, car le risque d'exposer la France à une procédure pour défaut de transposition devant la Cour de justice de l'Union européenne est élevé.
Mme Laurence Cohen . - Nous saluons la reconnaissance des physiciens médicaux comme professionnels de santé : c'est une avancée. L'introduction de l'accès partiel aux professions de santé permettrait à des professionnels issus d'autres pays européens d'exercer en France sans disposer d'un diplôme national. Les syndicats s'y étaient opposés.
Depuis le vote en première lecture, le décret qui détaille l'exercice en accès partiel a été publié. Un tel exercice risque de créer un système à deux vitesses et de détériorer la qualité des soins puisque les exigences sont abaissées pour certaines professions de santé. Le groupe CRCE est satisfait du travail accompli par la commission des affaires sociales, qui supprime l'accès partiel : nous voterons le texte de la commission.
Madame la Ministre, prenez en compte le travail constructif du Sénat. C'est essentiel. Nous avons oeuvré ensemble pour améliorer le plus possible notre système de santé. Sans mettre en doute votre bonne foi, je ne cautionne pas cette fuite en avant qui vous fait prendre des décisions en négligeant les avertissements que nous donnons pour relayer les inquiétudes des professionnels de santé.
Mme Jocelyne Guidez . - Beaucoup d'arguments ont déjà été développés. Un seul projet de loi reste en discussion. Force est de regretter que l'Assemblée nationale et le Sénat ne trouveront pas d'accord. Une nouvelle lecture est-elle vraiment nécessaire ?
Le groupe UC défendra la même position que la rapporteure de la commission des affaires sociales. Nous sommes défavorables à la mise en place de l'accès partiel aux professionnels de santé. Les États membres de l'Union européenne ont oeuvré à l'uniformisation des diplômes et conditions requises pour l'accès aux professions de médecins, chirurgiens-dentistes, sages-femmes, pharmaciens, infirmiers de soins généraux : ces professionnels peuvent s'installer dans toute l'Union et cela garantit aux patients d'être pris en charge dans des conditions de sécurité satisfaisantes.
Notre système de santé est solide. Les professionnels veillent à en assurer la cohérence autour d'un parcours de soins. L'arrivée de professionnels étrangers risquerait de briser cet équilibre aux dépens des patients.
Mieux vaudrait poursuivre la voie de l'uniformisation pour élever le niveau des professionnels de santé au sein de l'Union européenne.
Quant à l'accès aux soins, attendons les résultats du groupe de travail auquel participe Élisabeth Doineau.
La France est avec l'Allemagne en position de rouvrir le débat sur la cohérence de notre système de santé.
Nous voterons le texte issu des travaux de la commission des affaires sociales.
M. Yves Daudigny . - La reconnaissance de la profession de physicien médical a été unanimement saluée. La carte professionnelle européenne facilitera la reconnaissance des qualités professionnelles dans un autre pays européen. Le mécanisme d'alerte facilitera le signalement des professionnels qui n'auraient pas le droit d'exercer dans leur pays d'origine. Ces mesures vont dans le bon sens.
Accorder l'accès partiel aux professions médicales ou paramédicales autoriserait un professionnel étranger à exercer dans un autre pays que le sien.
La cartographie que vous avez demandée est une garantie notable. Je rappelle que la mise en place du dispositif ne concernerait pas les médecins, sages-femmes, pharmaciens ni dentistes qui ont des prérequis : elle ne déstabiliserait donc pas notre système de santé.
La France risque une procédure en défaut de transposition. La finalité de la construction européenne est de permettre la libre-circulation des hommes. L'exercice partiel se ferait bien entendu sous réserve d'un contrôle des compétences et qualifications.
On craint que la délimitation entre ces pratiques soit difficile à analyser. Or, l'un des critères d'application est précisément que les activités soient séparables.
Ces ordonnances peu contraignantes ne doivent pas susciter d'inquiétude d'autant que la directive laisse un large choix d'appréciation à chaque pays. Pourquoi encourir le risque d'une procédure de justice européenne ? Nous ne voterons pas ce texte de la commission des affaires sociales.
M. Joël Guerriau . - L'échec de la CMP a conduit la France à un défaut de transposition d'une directive européenne. La Commission européenne a saisi le 7 décembre 2017 la CJUE d'un recours contre la France, demandant une astreinte de 53 287 euros par jour.
Le groupe Les Indépendants s'interroge sur un dispositif fort complexe et sur ses conséquences. Nos collègues de la commission des affaires sociales ont proposé la suppression sèche du dispositif d'accès partiel qui manque de préparation. Les professionnels de santé étrangers bénéficient déjà d'une reconnaissance de leurs titres. Ce dispositif destiné aux praticiens sans équivalence dans leur pays d'accueil s'inscrira dans une étude au cas par cas. Nous ne pouvons pas nous résoudre à transposer une directive pour des raisons uniquement juridiques : la qualité des soins et de notre système de santé doivent passer en premier ! Aussi, soutiendrons-nous l'avis de la rapporteure. L'Allemagne offre un exemple à suivre qui exclut de l'accès partiel les médecins, les infirmiers responsables de soins généraux, les praticiens de l'art dentaire, les sages-femmes et les pharmaciens. Berlin s'expose à un recours pour discrimination, mais cette position est une réponse intermédiaire et temporaire pour ne pas adopter un dispositif d'accès partiel qui n'a pas été suffisamment concerté avec les professionnels.
Sachons trouver le compromis entre l'écoute des professionnels de santé et le respect de nos obligations européennes ! (M. Michel Canevet applaudit.)
Mme Catherine Deroche . - La reconnaissance des physiciens médicaux comme professionnels de santé est une bonne chose.
L'article 2 relatif à l'accès partiel des professionnels de santé européens aux professions médicales et paramédicales ne nous satisfait pas. De nombreuses questions restent en suspens : combien de professionnels seront concernés ? Dans quels domaines ? On risque d'aller vers la banalisation des soins low cost. Les infirmiers français sont tenus de détenir les compétences inscrites au diplôme, ils peuvent être contrôlés à ce titre. Pourquoi des titulaires étrangers échapperaient-ils à ce contrôle ?
L'accès partiel va à l'encontre du développement de la qualification du personnel médical et paramédical. Pas moins de quatorze pays européens n'ont pas transposé cette directive. Faire vivre le projet européen sur un mode contraint ne peut que faire le jeu des anti-européens. Nos concitoyens auront encore le sentiment de subir l'Europe. Nous voterons le texte de la commission des affaires sociales. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains ; M. Michel Canevet applaudit également.)
La discussion générale est close.
L'article 2 est adopté.
Le projet de loi est adopté.
Prochaine séance, mardi 30 janvier 2018, à 14 h 30.
La séance est levée à 17 h 25.
Jean-Luc Blouet
Direction des comptes rendus