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Table des matières
Organismes extraparlementaires (Nominations)
Commission d'enquête (Nominations)
Groupe de travail (Nominations)
Une crise en quête de fin - Quand l'histoire bégaie
M. Roger Karoutchi, président de la délégation sénatoriale à la prospective
M. Pierre-Yves Collombat, au nom de la délégation sénatoriale à la prospective
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances
Prise en charge des mineurs isolés
Mme Éliane Assassi, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice
Ordre du jour du mardi 23 janvier 2018
Nominations de membres d'organismes extraparlementaires
Composition d'une commission d'enquête
Composition d'un groupe de travail
SÉANCE
du mercredi 17 janvier 2018
44e séance de la session ordinaire 2017-2018
présidence de M. David Assouline, vice-président
Secrétaires : Mme Agnès Canayer, Mme Mireille Jouve.
La séance est ouverte à 14 h 30.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Communications
Avis sur une nomination
M. le président. - En application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique et de la loi du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission de la culture, de l'éducation et de la communication a émis un avis favorable (16 voix pour, aucune voix contre) à la nomination de M. Antoine Petit à la présidence du Centre national de la recherche scientifique.
Organismes extraparlementaires (Nominations)
M. le président. - J'informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de plusieurs organismes extraparlementaires ont été publiées.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n'a pas reçu d'opposition dans le délai d'une heure prévu par notre règlement.
Commission d'enquête (Nominations)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la désignation des 21 membres de la commission d'enquête sur l'état des forces de sécurité intérieure, créée à l'initiative du groupe Les Républicains en application du droit de tirage prévu par l'article 6 bis du Règlement.
En application de l'article 8, alinéas 3 à 11, et de l'article 11 de notre Règlement, la liste des candidats établie par les groupes a été publiée.
Elle sera ratifiée si la présidence ne reçoit pas d'opposition dans le délai d'une heure.
Groupe de travail (Nominations)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la désignation des membres du groupe de travail préfigurant la commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi pour un État au service d'une société de confiance.
En application de l'article 8, alinéas 3 à 11, et de l'article 10 de notre Règlement, la liste des candidats établie par les groupes a été publiée.
Elle sera ratifiée si la présidence ne reçoit pas d'opposition dans le délai d'une heure.
Il appartiendra au Sénat de transformer ce groupe de travail en commission spéciale, après la transmission du projet de loi, conformément à l'article 16 de notre Règlement.
Une crise en quête de fin - Quand l'histoire bégaie
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat sur les conclusions du rapport d'information « Une crise en quête de fin - Quand l'histoire bégaie », à la demande de la délégation sénatoriale à la prospective.
M. Roger Karoutchi, président de la délégation sénatoriale à la prospective . - Je ne fais que passer à la tribune, c'est M. Collombat qui vous présentera son excellent rapport au nom de la délégation à la prospective sur la crise financière de 2007 et ses conséquences. Si ce rapport a fait tant de bruit médiatique mais aussi politique, c'est qu'il est iconoclaste... Je souhaite que la délégation à la prospective en fasse d'autres aussi explosifs ou, tout du moins, qui suscitent le débat - entre autres, sur le pacte intergénérationnel. Le Sénat n'est pas seulement l'assemblée des sages, elle est aussi la chambre de l'avenir et de la réflexion. À ce titre, elle doit interpeller, imaginer, innover.
Ce rapport, qui a des aspects révolutionnaires, a interpellé parce qu'il prépare les esprits à une réforme, à une réflexion sur les institutions financières. Merci à M. Collombat à qui je laisse la parole. (Applaudissements)
M. Pierre-Yves Collombat, au nom de la délégation sénatoriale à la prospective . - Huit minutes pour présenter un rapport de plus de 270 pages, c'est une plaisanterie...
M. Jean-Pierre Sueur. - Le commenter en deux minutes aussi !
M. Pierre-Yves Collombat. - Il s'agissait d'évaluer le risque de réédition d'une crise systémique de l'ampleur de celle de 2007-2008. Son coût a été évalué en 2009 à 55 800 milliards de dollars par l'Insee, soit 103 % du PIB mondial, et à 16 634 milliards de dollars par le FMI rien que pour les interventions publiques du G20.
Le moteur des crises, c'est l'abondance de liquidités, qui stimule bulles spéculatives et prolifération de créances douteuses. Lorsque ces bulles pètent, les circuits financiers coagulent. Et quand domine un oligopole de banques géantes à vocation mondiale, interconnectées à la vitesse de la lumière, c'est le fonctionnement du système tout entier et l'économie avec qui sont bloqués. Pourquoi tant de liquidités ? Parce que, dans des économies financiarisées comme la nôtre, le crédit et l'endettement deviennent le carburant du système.
Dix ans après, et après treize G20, rien n'a changé. L'endettement public et privé a même augmenté : 90 % du PIB en moyenne dans la zone euro pour l'endettement public, 170 % pour l'endettement privé. Entre 2010 et 2016, le bilan de la BCE est passé de 2 600 milliards d'euros à 4 560 milliards d'euros. Aux États-Unis, l'endettement public atteint 100 % du PIB ; l'endettement privé, 105 %. L'endettement public additionné à l'endettement privé en Chine : 250 % du PIB ! D'où la formation de bulles spéculatives sur les obligations, les actions des entreprises américaines et l'immobilier dans les grandes villes.
L'oligopole bancaire, 70 % du PIB mondial en 2012, est toujours « trop gros pour faire faillite ». La France y tient son rang : le bilan de BNP Paribas tangente le PIB national. En Europe, les graves difficultés de HSBC, du Crédit Suisse et, surtout, de la Deutsche Bank inquiètent. Quant aux banques européennes plus modestes, le total des créances douteuses plombant leurs bilans se situerait entre 1 000 et 1 200 milliards d'euros, dont 300 milliards d'euros pour l'Italie.
Quant à la régulation, elle reste ni faite ni à faire. Je vous rappelle la charge violente de Christian Noyer, alors gouverneur de la Banque de France, contre la séparation bancaire prônée par le commissaire européen Michel Barnier.
Dans un sublime effort, la France a imposé la filialisation de 1 à 2 % des activités bancaires. Le renforcement des fonds propres des banques s'est réduit au tour de passe-passe de Bâle III : on a préféré le ratio CET1 au ratio de levier, soit le ratio capitaux propres/actifs, qui était sans doute trop voyant. En 2016, le ratio de levier de BNP-Paribas était de 4,4 %, contre 11,5 % pour le ratio CET1. Certes, c'était mieux que le ratio de levier de 2,6 % de 2008 mais très loin des 10 % recommandés par Alan Greenspan - pas vraiment un ennemi de la finance.
Bref, tous les ingrédients de la crise, parfois sous une forme nouvelle, sont encore réunis. Certes, les hérauts du château claironnent périodiquement la sortie de crise. En 2007, tous les clignotants aussi étaient prétendument au vert ; ils l'étaient tellement qu'aucun expert n'a vu venir la crise. À ce jour, le monde de la finance retient son souffle en surveillant la remontée des taux. Ce qui adviendra, on le sait d'autant moins que, selon la formule d'Henri Sterdyniak, nous connaissons « une instabilité stable qui n'a aucune rationalité. Elle est insoutenable et, paradoxalement, le système tient bon. »
Le système financier peut-être, moins ceux qui pâtissent de ses dégâts et de l'attentisme politique général. Les élections se sont transformées en émeutes électorales : forte poussée de l'extrême-droite partout en Europe, séparatisme nord-italien et catalan, Brexit, élection de Donald Trump et explosion de l'absentéisme - en France, au second tour des législatives, l'abstention a atteint 62,3 %. Comment ne pas voir dans cette dissidence civique un désaveu du système tel qu'il fonctionne ? Or l'histoire l'a montré, aucune démocratie ne survit à la perte de sa légitimité - dans leur patois, les financiers appellent cela le « risque politique ». Mais qui a bien pu dire que gouverner, c'était prévoir ? (Applaudissements)
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances . - Les crises financières systémiques restent un sujet de vigilance. Votre travail a été très apprécié, Monsieur Collombat, même si nous ne partageons pas toujours vos conclusions.
La solidité du système bancaire est une question essentielle qui a toute notre attention. Depuis la crise, nous avons oeuvré, avec nos partenaires, pour renforcer la solvabilité des banques : les exigences de Bâle ont doublé les niveaux de fonds propres minimum requis depuis 2011. Les six plus grandes banques françaises ont désormais un ratio de solvabilité agrégé de 13,2 % fin 2016, contre 5,8 % en 2008. Ce mouvement d'accroissement de la résilience (M. Pierre-Yves Collombat s'esclaffe.), que l'on retrouve dans les systèmes bancaires européens et mondiaux, se double d'un renforcement de la qualité des fonds propres. Au niveau européen, la supervision bancaire a été renforcée avec l'union bancaire et les banques ont dû passer des tests de résistance. Enfin, l'Europe s'est dotée d'un outil très ambitieux de résolution des crises bancaires, dont la philosophie est de garantir que les pertes seront portées par les actionnaires, voire les créanciers.
M. Collombat interroge la capacité de la zone euro à résister aux crises. L'euro, projet économique et politique inédit, a doté l'Europe d'une monnaie stable et crédible, utilisée quotidiennement par près de 340 millions de personnes dans 19 États membres. C'est la deuxième devise la plus importante dans le monde. La crise de la zone euro a toutefois mis en évidence des lacunes, qui ont été pour partie comblées. La zone euro a été consolidée avec la création de mécanismes de gestion des crises des dettes souveraines et bancaires. Pour avancer, la France défend une plus forte intégration financière par l'achèvement de l'union Bancaire et la mise en place d'une véritable union des marchés de capitaux ; l'amélioration de nos instruments de gestion de crise, en renforçant le mécanisme européen de stabilité ; une plus forte intégration économique et, à plus long terme, la création d'une capacité budgétaire propre à la zone euro pour faire face aux chocs économiques.
Nous sommes aussi très sensibles à la question des inégalités, le ministère des finances a d'ailleurs organisé les « Rendez-Vous de Bercy » autour de ce sujet. Depuis trente ans, les inégalités ont fortement augmenté dans les pays anglo-saxons, beaucoup moins en France, qui reste au-dessus de la moyenne des pays de l'OCDE. La lutte contre les inégalités et la pauvreté n'en demeure pas moins un objectif politique fort. La loi de finances pour 2018 comporte des mesures fortes : suppression de la taxe d'habitation pour 80 % des ménages, réduction des cotisations sociales pour l'ensemble des salariés du privé et des indépendants, revalorisation de la prime d'activité ; revalorisation exceptionnelle du RSA, de l'AAH et du minimum vieillesse. Je vous invite, sur ces sujets, à vous référer au « livret du pouvoir d'achat » et au « rapport économique, social et financier ».
M. Yannick Vaugrenard. - Quel est le rapport ?
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État. - Le niveau de vie des ménages situés dans les trois premiers déciles augmentera significativement plus que la moyenne à horizon 2022. À l'inverse, le niveau de vie des deux derniers déciles augmentera moins que la moyenne.
Mme Sophie Taillé-Polian. - C'est l'inverse, selon l'OCDE !
M. Olivier Cadic . - Dix ans après, la crise n'en finirait pas de finir, selon M. Collombat. Une drôle d'impression se dégage de ce rapport.
La crise de 2008 était financière avant d'être économique, elle résulte de l'éclatement d'une bulle spéculatrice. Cela se reproduira, nous nous habituerons. (On s'indigne sur les bancs du groupe SOCR.)
M. Yannick Vaugrenard. - Extraordinaire !
M. Olivier Cadic. - Paradoxalement, selon M. Collombat, nous ne devrions pas craindre un nouveau krach financier mais plutôt un embrasement social et politique qui serait le contrecoup de la crise de 2008. Ce « saut quantique » ne peut se comprendre qu'en exhumant le soubassement idéologique du raisonnement : la finance est la superstructure, les rapports de force économiques sont l'infrastructure. Voilà bien une analyse marxiste ! (On se gausse sur le banc de la délégation, les bancs du groupe CRCE et les bancs du groupe SOCR.) La finance en soi n'est ni un bien ni un mal mais un outil pour financer l'économie. Depuis dix ans, les Français se sont détournés de la bourse ce qui réduit les possibilités de financement des entreprises. Que compte faire le Gouvernement pour développer l'actionnariat populaire ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UC)
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État. - Le Gouvernement est attaché à ce que les entreprises françaises soient bien financées. Leur taux d'obtention de crédits est bon ; en revanche, il y a des améliorations à faire pour renforcer les fonds propres des entreprises, en particulier des TPE et des PME. C'est l'objet du plan pour la croissance et la transformation des entreprises, le Pacte, préparé par Bercy pour améliorer le financement des entreprises, en particulier, en capital. Nous proposons une meilleure orientation de l'assurance-vie vers les placements longs, un développement de l'épargne-retraite, des mesures pour faciliter l'actionnariat salarié et la reprise d'entreprise par les salariés.
M. Jean-Pierre Sueur . - Ce débat est ubuesque : huit minutes de temps de parole pour le rapporteur et le ministre, deux minutes par orateur pour évoquer la crise mondiale et les remèdes qu'il faut y apporter ! Quel sens cela a-t-il ? Monsieur le Président, j'espère que vous userez de votre influence pour transmettre ce message.
J'ai lu avec beaucoup d'intérêt le rapport de M. Collombat qui n'est nullement un crypto-marxiste primaire, son travail de réflexion est approfondi. Des propositions sont avancées : séparation des banques de dépôt et d'affaires, limitation stricte du ratio d'endettement des banques et de l'ensemble des acteurs financiers, assèchement des créances douteuses. Le Gouvernement compte-t-il les suivre ? (Rires et applaudissements)
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État. - Certains pays ont retenu la séparation des banques de dépôt et d'affaires. Ce n'est pas le choix fait par la France...
M. François Bonhomme. - Ce n'est pas ce que dit François Hollande !
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État. - La France a choisi la séparation des activités. Un plan d'action européen a été lancé pour traquer les créances douteuses, qui concernent moins la France que ses voisins. Les régimes dits de Bâle ont été renforcés à quatre reprises : le cadre est à présent solide.
M. Alain Fouché . - Les travaux de notre brillant collègue Collombat, qu'on les partage ou non, visent juste : obliger les responsables à anticiper l'avenir. Personne n'avait vu venir la crise. Dix ans plus tard, la probabilité qu'elle se reproduise n'a pas diminué, bien au contraire. En revanche, faut-il s'affranchir de la zone euro ? Ce serait fuir plutôt que réformer. Agir suppose plus d'Europe, et non moins d'Europe. Quelles mesures le Gouvernement entend-il porter au niveau européen et, pourquoi pas, au niveau mondial, pour anticiper une nouvelle crise ?
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État. - La France a joué un rôle majeur dans la régulation du système financier aux niveaux européen et international, au sein de l'Union européenne et du G20 : renforcement des exigences en fonds propres des banques et des assurances, durcissement des règles sur les produits dérivés et sur la titrisation, encadrement du shadow banking. Nous restons vigilants afin que ces règles ne soient pas détricotées. Nous continuons, en outre, à promouvoir l'Union bancaire dans la zone euro.
M. Alain Fouché. - Certes, mais les directives européennes sont surtransposées par les technocrates de l'administration française, aux dépens de notre économie.
M. Charles Revet. - Comme toujours !
M. Stéphane Ravier . - Je remercie M. Collombat de son excellent rapport. Il regarde en face la réalité et écrit ce que ma famille politique dit depuis des années... En ayant raison trop tôt, nous nous sommes attiré des qualificatifs aussi rocambolesques qu'infâmants des mondialistes qui tirent les ficelles. Populistes ? Je revendique ce terme, s'il faut l'opposer à ceux qui nient la démocratie. Nous avons remporté 13 % des voix aux élections législatives pour n'obtenir que 1,21 % de sièges à l'Assemblée. Les extrémistes ne sont pas ceux que l'on croit. Les succès du Brexit, de Trump, des partis de droite nationale en Europe le montrent, il y a un rejet de votre modèle financier.
L'action du président Macron révèle que la classe dirigeante, européiste et mondialiste, reste arc-boutée sur un jusqu'au-boutisme sourd aux aspirations des peuples à choisir leur destin. Nos compatriotes veulent plus de France. Charbonnier doit demeurer maître chez soi et rien n'est plus dangereux, disait Philippe Séguin, qu'une nation trop longtemps frustrée.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État. - Je ne répondrai pas à une question que vous n'avez pas posée... Vous considérez que l'élection de Donald Trump et le Brexit témoignent d'un rejet du monde financier. Pour le Gouvernement, la finance est un outil qui doit être au service de notre économie, de notre pays et de tous les citoyens. À nous d'assurer la réglementation la plus solide, la plus juste et la plus protectrice. (M. Olivier Cadic applaudit.)
M. Jean-Claude Requier . - La théorie des cycles peut faire croire que l'Histoire bégaie, en effet. La croissance en Europe atteindrait 2,3 % en 2018, et les indicateurs économiques mondiaux passent au vert. Pour autant, la vigilance s'impose sur la possible formation de bulles spéculatives et l'utilisation abusive de certains outils financiers.
Depuis 2008, les banques centrales ont mis en oeuvre des politiques exceptionnelles qui se sont traduites par des taux d'intérêt exceptionnellement bas et une liquidité surabondante. Or, selon le Nobel Jean Tirole, une bulle peut émerger quand le taux d'intérêt est inférieur à celui de la croissance. De plus, quand il y a trop de liquidités, les financiers sont en quête d'actifs rentables. Le FMI s'en est inquiété à l'automne, à propos de bitcoins. Les LBO, dont les entreprises françaises sont friandes, sont un autre sujet d'inquiétude. Quel est votre sentiment sur ces LBO, Madame la Ministre ?
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État. - La reprise est là, c'est une bonne nouvelle. L'accélération du cycle financier s'accompagne de risques qu'il faut surveiller, dont l'endettement des entreprises et de réévaluation au niveau mondial des primes de risque.
Le risque de nouvelle bulle spéculative n'est pas le plus prégnant pour l'heure - mais surveillons toutefois l'immobilier dans certains pays.
Le Haut Conseil de stabilité financière, qui a des pouvoirs macro-prudentiels, a dit sa vigilance à la fin de l'an dernier sur l'endettement dynamique des entreprises et pris des mesures pour limiter l'exposition des banques en France.
M. François Bonhomme . - Dix ans après la crise financière mondiale qui s'est transformée en une crise économique planétaire, toutes les leçons ont-elles été tirées ? On peut en douter, le risque semble s'être déplacé sur de nouveaux terrains.
Les grandes banques américaines, touchées de plein fouet par la crise, ont mené les premières de lourdes restructurations qui leur ont permis de renforcer leur domination mondiale. Elles occupent une place plus importante encore qu'en 2007. Si elles sont un peu moins rentables, elles le sont nettement plus que les banques européennes.
L'Europe compte encore beaucoup de banques convalescentes aux bilans fragilisés par des créances douteuses, en particulier en Italie.
Pouvez-vous nous assurer, Madame la Ministre, que les actifs toxiques ont été éradiqués et que leur gestion est sous contrôle ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État. - Les situations - bilan, taille, modèle d'affaires... - sont variées au sein de la zone euro, mais les règles sont communes, de même que la feuille de route destinée à apurer les créances douteuses qui peuvent encore exister ici ou là. Le travail de nettoyage se poursuit, et la France y prend toute sa part.
M. François Bonhomme. - Les subprimes automobiles et les retards de remboursement de prêts étudiants, ou encore les titrisations synthétiques, explosent à nouveau aux États-Unis. En Chine, les banques recourent à des montages de titrisations complexes pour se délester d'actifs toxiques. Tout cela doit nous inciter à plus de prudence, le risque n'est pas derrière nous. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains ; M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.)
M. Didier Rambaud . - Je salue le travail minutieux de la délégation et du rapporteur, bien que je ne partage pas toutes ses conclusions. Je voudrais revenir sur l'investissement public dans un cadre réglementaire contraint. Un cadre qui est, non imposé, mais négocié ; je pense au pacte de stabilité et de croissance, au Six-pack, au Two-pack, au traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance. Les effets sur la croissance de long terme de l'investissement public ne sont plus à démontrer. Comment le concilier avec les contraintes européennes ? Comment, nous, parlementaires, pouvons-nous assurer que cet investissement public est bien fléché et que son bénéfice socio-économique est indiscutable ?
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État. - C'est toute la question, il faut concilier l'assainissement des finances publiques et un bon niveau d'investissement public favorisant la relance de la croissance.
Il est prévu un plan de relance de 57 milliards d'euros à l'horizon 2022. L'accent sera mis sur l'amélioration de la qualité de la dépense publique, l'évaluation de celle-ci et conduira à sanctuariser les dépenses qui contribuent au développement économique durable de notre pays.
M. Éric Bocquet . - Louis XVI écrivait le matin du 14 juillet 1789, dans son journal : « Rien ». Alain Minc, six mois avant la crise, en 2007, déclarait : « Je pense que la crise est derrière nous et que le système économique a bien tenu ». Quand seulement 1,6 % des transactions dans le monde ont un lien avec l'économie réelle, avons-nous vraiment tiré toutes les leçons de la crise de 2008 ?
Mme Couppey-Soubeyran, universitaire, a relevé que si l'économie avait souffert de la crise, cela n'a pas été le cas du secteur bancaire : de 625 000 à 800 000 milliards de dollars - soit dix fois le PIB du monde - : voilà la progression des produits dérivés entre 2007 et 2014... Et que dire de celle des crédits à haute fréquence ?
La loi de séparation bancaire de 2013 ? Frédéric Oudéa lui-même a reconnu, devant des députés médusés, qu'elle ne concernerait que 1 % de son activité. La théorie du ruissellement est-elle soutenable quand il y a abondance de liquidités ? La vigilance ne suffira pas, il faudra des actes forts.
M. le président. - Quelle est votre réponse, Madame la Ministre ?
M. Bruno Sido. - « Rien » !
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État. - Il y a dans le secteur financier de la créativité, comme dans tous les secteurs financiers. Nous évoquons à l'échelle internationale la titrisation, les bitcoins, la finance chinoise. Ce n'est pas parce que nous ne crions pas au loup que ces sujets ne nous occupent et ne nous préoccupent pas. Nous travaillons à la réglementation la plus équilibrée possible.
M. Pierre Médevielle . - Merci à M. Pierre-Yves Collombat pour son rapport. La crise est-elle terminée ? Pas du tout, dit-il. Je serai plus nuancé : la situation s'est améliorée en France et la croissance a repris depuis 2014 pour se stabiliser autour de 1 %. Plus fondamentalement, la finance n'a guère changé. La loi bancaire de François Hollande, dont l'ennemi était pourtant la finance, concernerait 0,75 % seulement des revenus des grandes banques. Une nouvelle crise est inéluctable, tous les experts le disent.
Les solutions sont connues : séparer les activités spéculatives et de financement de l'économie, interdire les activités trop spéculatives. Ces mesures n'ont rien de révolutionnaire, les États-Unis les ont prises avec le Dodd-Frank Act de 2010. Qu'entendez-vous faire, Madame la Ministre ?
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État. - Certes, les États-Unis ont jadis séparé le régime des banques de dépôt de celui des activités d'investissement. Aujourd'hui, ce sont les activités pour compte propre des banques qui sont isolées dans leur bilan. La loi bancaire française de 2013 adopte une approche analogue, en cantonnant les activités spéculatives dans des filiales dédiées.
M. Franck Montaugé . - La crise de 2008 a révélé l'incapacité de la pensée économique à anticiper les crises et à recommander les politiques préventives et curatives nécessaires.
Paul Romer, économiste en chef de la Banque mondiale ou Olivier Blanchard, ancien économiste en chef du FMI, plaident pour un renouveau de la pensée économique, et notamment de la macroéconomie.
En 2009, le rapport de la commission « Stiglitz-Sen-Fitoussi » sur la mesure des performances économiques et du progrès social indiquait les limites des outils de mesures classiques du bien-être, fondés sur le PIB. La France se penche sur de nouveaux indicateurs, mais le rapport sur le sujet pour 2017, qui devait paraître en octobre, n'est toujours pas disponible. Le Gouvernement le publiera-t-il ? S'engage-t-il en faveur d'un cadastre financier mondial, proposé par Gabriel Zucman, professeur français à Berkeley, afin de suivre l'intégralité des mouvements et de localiser tous les dépôts ? Enfin, le Gouvernement ira-t-il plus loin que la loi du 27 juillet 2013 ?
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État. - Nous travaillons sur les nouveaux indicateurs. Je ne peux pas vous répondre sur le rapport de 2017. La Banque des règlements internationaux (BRI) suit avec attention l'ensemble des flux financiers mondiaux et je peux vous assurer qu'ils sont bien suivis.
M. Jean-Marc Gabouty . - L'endettement représente 230 % du PIB mondial. Il concerne les États, les opérateurs publics, mais aussi le secteur privé et les grandes entreprises.
De leur côté, les PME connaissent toujours des difficultés d'accès au crédit, que ce soit pour financer leur fonctionnement ou leur développement. Cela empêche notre économie de développer sa compétitivité et sa montée en puissance, via les start-up et les ETI.
Quels infléchissements à l'échelle européenne envisager pour desserrer l'étau des règles prudentielles ?
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État. - J'entends votre préoccupation sur le niveau de la dette. Mais on ne peut pas se passer de dette. C'est une façon de mettre du carburant dans l'économie, même si la question de sa soutenabilité se pose dans certains cas.
La France souhaite réduire son endettement public, vous le savez.
L'accès à l'endettement est plutôt bon pour les PME. C'est plutôt leur accès aux marchés boursiers qu'il faut améliorer. C'est pourquoi nous oeuvrons à réorienter l'épargne des ménages vers le financement des entreprises.
M. Jean-Marc Gabouty. - Le système de crédits aux PME est perverti : il ne fonctionne que grâce aux garanties et contre-garanties, les banques ne sont que des trésoreries.
M. Serge Babary . - J'adhère à l'alerte de M. Collombat, dont je salue le travail, sur le risque d'explosion du système.
La crise a commencé le 9 août 2007 lorsque BNP Paribas a gelé les retraits de ses clients dans trois fonds d'investissement, dont les actifs n'étaient plus échangeables sur les marchés. La crise des subprimes était donc prévisible et a été prédite dès 2005 par certains experts américains, qui ont même spéculé sur l'effondrement des marchés financiers. Elle a été rendue possible par l'irresponsabilité de certaines banques et agences de notation, mais aussi par une prise de conscience tardive.
La France s'endette à bas coût. Mais inévitablement, les taux vont remonter.
Selon Standard & Poor's, la dette pourrait atteindre plus de 166 % du PIB, contre 97 % aujourd'hui si les taux remontent. Que compte faire le Gouvernement pour prévenir ce risque, signalé par le gouverneur de la Banque de France dès juillet dernier ?
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État. - Les banques centrales sont massivement intervenues pour faciliter le financement de l'économie et limiter l'impact des crises notamment sur les populations. Elles ont pratiqué l'assouplissement quantitatif qui a permis de faire baisser les taux longs. Les banques centrales devront trouver le bon équilibre pour soutenir l'économie. Elles seront attentives aux risques et aux excès porteurs de crises financières futures. Elles travaillent en lien avec les autorités de régulation. Le Gouvernement a déjà anticipé dans le projet de loi de finances une augmentation graduelle de taux d'intérêt, notez-le.
M. Didier Rambaud . - Selon les économistes, relayés par la presse, la réglementation et la supervision du secteur bancaire n'épousent pas totalement les contours des canaux de financement de l'économie. Ainsi, le shadow banking échappe à la réglementation et se développe. Or il a eu un rôle très important dans la crise. Il continue à faire courir des risques à la stabilité financière. La directive européenne de 2010 ne porte pas sur l'ensemble des hedge funds. Le danger du secteur bancaire étant bien réel, comment y répondre ? Comment limiter les risques que fait peser le shadow banking ?
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État. - Depuis la crise, le système bancaire parallèle joue en effet un rôle croissant dans le financement de l'économie réelle. Il apporte de nouveaux outils de financement aux entreprises. Nous oeuvrons à l'échelle internationale. Le G20 et le conseil de stabilité financière s'en sont saisis. Nous participons aux travaux et formulons des suggestions. Nous travaillons à une titrisation simple, transparente et standardisée (STS) qui devrait protéger les investisseurs et prévenir les risques systémiques.
M. Pascal Savoldelli . - Je suis totalement d'accord avec M. Sueur sur les modalités du débat.
Ce rapport alerte sur la titrisation de l'économie. Malgré la politique monétaire bienveillante de la BCE, la France se trouve dans une situation paradoxale. Les taux d'intérêt sont historiquement bas et l'endettement privé des ménages et des entreprises augmente, jusqu'à atteindre désormais 130 % du PIB, soit 6 % de hausse annuelle, avec une évolution marquée des crédits liés à la consommation et à l'habitat : cette situation, si elle a porté une partie de l'activité économique en 2017, me préoccupe car elle est évidemment lourde de risques systémiques. Comment faire face ? Quelles solutions politiques ?
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État. - Il faut que la finance soit un facteur de croissance et de prospérité...
M. Pierre-Yves Collombat. - Incantation !
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État. - Ne diabolisons pas ! Nous avons pris des mesures contre le surendettement et la situation s'est améliorée ces dernières années. Nous restons vigilants.
M. Jean-Marie Janssens . - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) Je salue à mon tour le travail remarquable de Pierre-Yves Collombat. Après la crise exceptionnelle de 2008, voilà un nouvel outil porteur de risques : le bitcoin et les crypto-monnaies qui n'existent que sur le réseau informatique, sans intermédiaire. Cette nouvelle monnaie qui changera peut-être l'histoire doit être prise en compte. S'agit-il d'une bulle spéculative ou d'une nouvelle révolution ? (M. Roger Karoutchi, président de la délégation, en doute.)
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État. - En effet, la valorisation des crypto-actifs est spectaculaire. Leur essor est dû à la technologie de la blockchain. Aujourd'hui, la capitalisation totale de ses actifs est de 700 milliards de dollars contre 20 milliards de dollars début 2017.
Des enjeux de régulation se posent, ainsi que des questions sur la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. La volatilité de ces monnaies étant très forte, les non-professionnels doivent s'en méfier. Nous travaillons en lien avec l'Allemagne et l'Italie. Nous avons commandé un rapport à M. Landau pour travailler sur ces sujets en G20.
M. Yannick Vaugrenard . - La question n'est plus de savoir si un nouveau krach aura lieu mais plutôt quand. Seulement 10 % des échanges financiers ont un rapport avec l'économie réelle. C'est dire la déconnexion ! La technologie financière a pris le pouvoir depuis trop longtemps.
M. Charles Revet. - C'est une certitude !
M. Yannick Vaugrenard. - Il faut s'emparer de ces sujets à l'échelon mondial. Nous ne pouvons pas nous satisfaire, comme le disait le général de Gaulle, d'un « système suivant lequel chacun cuit sa petite soupe, à petit feu, dans son petit coin ». (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR ; M. Roger Karoutchi, président de la délégation, apprécie.)
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État. - Je ne peux certes pas prétendre qu'il n'y aura plus de crise mais nous avons développé des outils pour l'éviter et accroître notre résistance et notre résilience aux crises. La concertation est internationale. Le G20 a mis en place le financial stability board dès 2009. C'est le comité de Bâle qui définit les règles prudentielles. Les paquets bancaires européens traduisent les outils de régulation dans le droit. La conscience que les décisions doivent se prendre à l'échelle internationale est là.
M. Michel Raison . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Je tiens à remercier à mon tour Pierre-Yves Collombat. La remise en cause du crédit immobilier à la française, à taux fixes, avec étude sérieuse du dossier et garanties plutôt qu'hypothèque, est grave. Si ce système avait existé aux États-Unis, la crise des subprimes ne serait pas survenue.
L'accord de Bâle doit être transcrit dans le droit. Or ses règles ont en partie menée l'économie mondiale à l'impasse. Qu'en faire ? Ayez du courage à l'international et pas seulement en France. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État. - La spécificité française consiste en effet en ceci que les banques gardent les risques de taux. L'enjeu est de savoir comment la transposition en droit français des règles de Bâle tiendra compte de cette spécificité. Nous sommes conscients des enjeux et serons vigilants.
Mme Sophie Taillé-Polian . - Merci à Pierre-Yves Collombat pour son rapport qui décrit précisément le fonctionnement du système financier international. Je voudrais revenir sur le financement ou plutôt le non-financement de l'économie réelle par les banques. À quoi servent réellement les marchés financiers ?
L'écart avec l'économie réelle s'accroît tandis que les pratiques risquées se multiplient. Les échanges sur les marchés financiers sont cent fois supérieurs aux besoins de l'économie réelle. Et, en même temps, vous supprimez une grande partie de l'ISF, encourageant cette finance casino alors que cet argent pourrait être beaucoup plus utile à l'investissement public !
Comment garantir que cet argent, qu'il aurait fallu flécher vers l'investissement public, n'alimente pas la spéculation ?
Quel sera le rôle du Pacte du Gouvernement à cet égard ? Ce que vous avez dit n'est guère convaincant à ce sujet. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR, ainsi que sur ceux du groupe CRCE)
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État. - Le Gouvernement veut mobiliser l'épargne en faveur des PME et de l'économie réelle. Des mesures ont été prises en loi de finances à cette fin. D'autres le seront bientôt avec le Pacte.
Une évaluation de ces mesures sera menée à mi-quinquennat.
Mme Nicole Duranton . - L'Histoire peut-elle bégayer indéfiniment ? Je ne le crois pas. Le politique devrait-il jouer le rôle d'orthophoniste ? Je le crois profondément.
En 2007-2008, notre monde a connu la pire crise financière de son histoire depuis celle de 1929. Je crois au libéralisme, à un marché libre, prospère à la croissance. Mais le politique n'a pas pour rôle de limiter la casse après les crises. Au contraire, il doit agir pour mettre la finance au service de l'économie réelle. Seuls 5 % de l'activité des banques financent les entreprises !
Le système semble se liguer contre l'intérêt des citoyens. Résultat : les populismes prospèrent et les citoyens ont l'impression que la classe politique est impuissante et résignée.
Que compte faire le Gouvernement ?
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État. - Au niveau européen, le Gouvernement mène une action politique pour renforcer l'intégration de la zone euro, qui passe par des mesures précises et structurées. Le contexte s'y prête : la croissance forte facilite les réformes. Des discussions sont engagées avec l'Allemagne. Ce n'est que si les deux pays sont d'accord que nous avancerons.
Dès 2018, nous voulons aussi des avancées concrètes sur l'Union bancaire, l'Union des marchés de capitaux, la convergence fiscale...
Le président de la République a fixé un cap lors de son discours de la Sorbonne. Le sommet européen de mars sera crucial.
M. Marc Laménie . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Le 5 janvier, Madame la Ministre, vous visitiez avec le ministre de l'économie la Fonte ardennaise, entreprise des Ardennes et avez rencontré les patrons et les salariés.
Les chefs d'entreprise se heurtent à de nombreux obstacles. Comment retrouver la confiance pour que les banques aident les PME ? Les chefs d'entreprise ont des difficultés à recruter. En matière de formation professionnelle et d'apprentissage, la tâche est immense. (Applaudissements sur les bancs du groupe les Républicains)
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État. - Le Gouvernement a pris des mesures en faveur des PME. La formation professionnelle, l'apprentissage, la réforme des lycées professionnels seront au programme de réforme de cette année. Beaucoup de métiers sont en tension, ce qui limite l'effet de la croissance sur l'emploi. Il y a aussi la fracture numérique. Ce matin, en Conseil des ministres, nous avons fait des annonces pour faciliter la couverture numérique.
M. Marc Laménie. - L'enjeu est de taille. Notre pays compte de nombreux chefs d'entreprise motivés. Les attentes sont fortes. Il faut faciliter la formation et encourager les partenariats financiers avec les banques.
M. Guillaume Chevrollier . - En 1637 a eu lieu le premier krach boursier, celui des tulipes aux Pays-Bas : un bulbe a valu jusque quinze fois le salaire annuel d'un artisan ! Depuis les bulles se sont multipliées.
Le Wall Street Journal, voit dans le bitcoin la bulle de demain. Son cours a augmenté de 1 000 % en un an, avant de rechuter. Sa volatilité, sa dématérialisation, et son opacité en font un actif dangereux, susceptible de financer des activités criminelles. Cette spéculation est révélatrice des difficultés de notre économie. La régulation ne pourra être que mondiale. M. Lemaire a commandé à Jean- Pierre Landau, ancien sous-gouverneur de la Banque de France, un rapport sur le sujet. Quelles sont les pistes envisagées pour les banques ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État. - Les crypto-monnaies ne menacent pas le système financier dans son ensemble car les encours sont faibles. Le problème est l'opacité. La France veut soumettre les opérations aux règles applicables à la lutte contre le terrorisme et le blanchiment.
Nous avons commandé un rapport à M. Landau en vue du G20.
La technologie qui sous-tend les crypto-monnaies est prometteuse. La France a un tissu d'entreprises compétentes en la matière. Il faut donc, au-delà de toute posture de principe, trouver le bon équilibre dans ce domaine comme dans d'autres.
Le débat est clos.
La séance, suspendue à 16 h 20, reprend à 16 h 30.
Prise en charge des mineurs isolés
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat sur la prise en charge des mineurs isolés, à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Mme Éliane Assassi, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste . - Le visage de Moussa est marqué, la panique constante l'empêche de raconter son périple : traversée du Sahara, travaux d'esclave, attente à Gourougou dans la forêt au-dessus de l'enclave de Melilla pendant sept mois à survivre, déjouer la police marocaine et guetter le bon moment pour arriver sur le sol européen. Six fois, il a échoué à escalader la triple barrière de six mètres de haut, subi les matraques, heurté les barbelés qui mordent. Son parcours n'est pas unique ; voilà ce qu'a écrit l'éducatrice Rozenn Le Berre, auteur de « De rêves et de papiers », témoignant du parcours de ces jeunes femmes et hommes pour qui l'on décide d'un statut, un toit ou la rue, une vie ou l'exil.
Avant de traiter de ce sujet par les chiffres et la loi, il est plus que nécessaire de se confronter à ces réalités, à ces histoires personnelles qui font notre Histoire commune. La vague de cynisme qui surplombe le sommet de l'État ces dernières semaines n'en est pas digne. Non, la question n'est pas celle d'avoir de bons sentiments, mais des sentiments tout court, de l'humanité, de la fraternité. Il faut aussi penser aux causes des migrations : aujourd'hui les guerres, les crises économiques, dans lesquelles notre responsabilité n'est pas exempte. Demain, ce sont les réfugiés climatiques qu'il faudra prendre en compte. Sur le million de réfugiés identifiés comme très vulnérables par le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR), seuls 200 000 ont été pris en charge. La France est loin d'être la première destination visée par les migrants, plus loin encore de prendre sa part, notamment s'agissant des enfants.
Les circulaires Collomb du 20 novembre et du 8 décembre derniers, qui organisent un tri dans les centres d'hébergements d'urgence, ont suscité la colère des associations ; nous soutenons le recours qu'une vingtaine d'associations ont intenté devant le Conseil d'État.
Le terme de mineurs non accompagnés, repris de la langue européenne, édulcore la réalité. Nous préférerons celui de mineurs isolés. C'est le statut d'enfant qui devrait prévaloir, conformément à nos engagements internationaux. Pourtant, devant les départements de France, Édouard Philippe a annoncé vouloir transférer à l'État la compétence d'accueil des mineurs isolés - et remettre en cause la présomption de minorité et la présomption d'authenticité des actes dans la procédure d'orientation des mineurs vers l'Aide sociale à l'enfance (ASE).
Les mineurs étrangers isolés, 25 000 fin 2017, ne représentent que 18 000 des 325 000 mineurs pris en charge par l'ASE. Ils sont souvent très abîmés physiquement ou psychiquement. Leur mise à l'abri n'est pas systématique. Le premier accueil est souvent dédié à l'évaluation de l'âge ou de l'isolement... évaluation rarement possible.
Nous proposons des pistes pour une prise en charge sérieuse et humaine des mineurs isolés. Il est nécessaire de mettre fin à l'enfermement de tous les mineurs, quels qu'ils soient, aux frontières comme sur le reste du territoire. Il faut au contraire les mettre à l'abri. Nous devons respecter la présomption de minorité.
Il faut, ensuite, mettre fin aux tests osseux et, au lieu de l'ingérence du ministère de l'intérieur, restaurer la tutelle du ministère de la santé sur l'intégralité de l'évaluation médicale. La communauté scientifique le dit : il n'existe aucune méthode fiable pour évaluer la minorité d'une personne ; le doute doit profiter au jeune. Tout examen médico-légal doit être interdit : la santé qui soigne n'a pas vocation à être un outil à expulsions. Comme le suggère le Syndicat de la magistrature, il est temps d'instaurer un dispositif de prise en charge contraignant, et de sanctionner les départements récalcitrants à augmenter le nombre de places d'hébergement en foyer éducatif et en familles d'accueil, avec les postes de travailleurs sociaux afférents. Il faut revenir au droit commun, abroger la loi du 14 mars 2016 pour prendre en compte l'intérêt supérieur de l'enfant. Ce retour au droit commun devrait s'accompagner de financements pour aider les départements, via par exemple le Fonds national de financement de la protection de l'enfance, créé par la loi du 5 mars 2007. Le Défenseur des droits, Jacques Toubon, a alerté sur le respect de la Convention internationale des droits de l'enfant, qui s'impose au Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda). Dans son article 20, elle dispose que tout enfant temporairement ou définitivement privé de son milieu familial a droit à la protection de l'État.
Bref, la protection des mineurs étrangers isolés est insuffisante en France. Il est absolument nécessaire d'abandonner un dispositif dérogatoire au droit commun. Considérons ces enfants... d'abord comme des enfants à protéger ! (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE, sur quelques bancs du groupe SOCR ; Mme Élisabeth Doineau applaudit également.)
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice . - Je vous remercie d'avoir sollicité ce débat et d'en avoir précisé le caractère à la fois douloureux et humain. Je serai plus prosaïque pour présenter la réalité de ces mineurs isolés - je reprendrai toutefois la terminologie plus habituelle, de mineur non accompagné.
En 2013, les mineurs non accompagnés ne dépassaient pas le nombre de quelques milliers. C'est à présent une question majeure, et un enjeu important pour les départements. La loi du 14 mars 2016, très aboutie, est le fondement légal du dispositif de répartition des mineurs non accompagnés sur notre territoire, elle leur garantit les mêmes droits qu'à tout autre enfant : ce statut prime toute autre considération. Reste à établir la minorité : c'est la difficulté.
Le nombre d'arrivées a augmenté sensiblement, notamment depuis juin 2017, ce qui a pénalisé les dispositifs d'évaluation et d'orientation.
Le chiffre de 14 908 arrivées de janvier à juillet 2017, représente 85 % de plus qu'en 2016 où ils étaient 8 054. Ce sont, à 95 %, des garçons. Quelque 13 000 d'entre eux étaient confiés à l'ASE au 31 décembre 2016 contre 10 000 l'année précédente.
En croisant les données avec celles du rapport Doineau-Godefroy et de l'Assemblée nationale, le nombre d'arrivées s'est élevé en 2017 à 25 000 jeunes.
Les arrivées concernent tous les territoires, mais inégalement : le Nord et le Pas-de-Calais, l'Île-de-France, et les départements ayant une zone portuaire comme les Bouches-du-Rhône, ou encore les départements alpins sont davantage concernés.
Un mineur arrivant sur notre territoire est d'abord mis à l'abri...
Mme Éliane Assassi. - C'est faux !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. - ... et évalué. Si la personne est déclarée mineure, elle est prise en charge par l'ASE.
La loi du 14 mars 2016 a conféré une base législative au mécanisme de répartition géographique. Ce système n'est pas sans poser des difficultés, mais on peut s'en féliciter.
La Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) peut formuler des propositions de répartition. Le procureur de la République prend ensuite sa décision dans l'intérêt de l'enfant. La clé de répartition s'appuie sur des données démographiques et le nombre de mineurs non accompagnés accueillis au 31 décembre de l'année précédente.
Cette clé ne fait pas l'unanimité, et devrait en conséquence être revue. Le président du conseil départemental du Pas-de-Calais me l'a expressément demandé hier pour son département.
Le dernier comité de suivi de ce dispositif, que j'ai coprésidé avec Agnès Buzyn le 15 septembre dernier, a révélé la forte hausse du nombre de personnes se déclarant mineures, la saturation des services de l'ASE, l'absence de mise à l'abri pour un nombre croissant de personnes, ainsi que l'absence d'harmonisation des pratiques sur le territoire.
Les enjeux sont donc cruciaux : il faut fiabiliser les procédures et éviter les réévaluations des personnes qui ont été considérées comme majeures.
Le 12 juillet dernier, le président de la République s'est engagé en Conseil des ministres à ce que le système soit revu. En concertation avec l'Assemblée des départements de France, nous avons confié une mission aux corps d'inspection des ministères de la justice et des affaires sanitaires et sociales sur la phase d'évaluation, qui est assurément trop longue et représente une charge excessive pour les départements. Cette mission rendra ses conclusions sous peu, elles seront la base d'un nouveau dispositif. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM, ainsi que sur quelques bancs des groupes Les Indépendants et UC)
Mme Nadine Grelet-Certenais . - L'Assemblée des départements de France (ADF) a exprimé une nouvelle fois son inquiétude sur les mineurs étrangers isolés.
Il est temps que l'État prenne ses responsabilités et adopte une attitude humaniste. L'article 20 de la convention internationale des droits de l'enfant l'impose.
Les mineurs étrangers isolés ne peuvent être abandonnés aux seules collectivités territoriales. Dans la Sarthe, nous accueillons 171 mineurs étrangers isolés, les structures d'accueil sont saturées et le département consacre 4 millions d'euros à cet accueil.
Le rapport Doineau-Godefroy révèle l'enjeu de la formation. Quelles mesures le Gouvernement envisage-t-il pour que l'autorisation provisoire de travail, condition sine qua non à une insertion réussie, soit plus largement délivrée ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. - Le Premier ministre a missionné les corps d'inspection sur la reprise par l'État de la phase d'évaluation et de mise à l'abri - l'État aide les départements pour cinq jours à 250 euros par mineur. Le rapport est imminent.
La circulaire du 25 janvier 2016 met en oeuvre le droit de chaque enfant à l'éducation jusqu'à 16 ans. Elle a débloqué des situations liées à un défaut de documents d'identité. Ces enfants, déclarés mineurs, ont les mêmes droits que les Français.
M. Daniel Chasseing . - Les mineurs non accompagnés relèvent de l'aide sociale à l'enfance. Ils seront 40 000 en 2018. La situation concerne tous les départements.
Quelque 70 % viennent d'Afrique. Ils relèvent d'une migration économique, organisée, ou bien ils fuient des zones de conflits.
Selon l'ADF, l'État ne rembourse aux départements que le dixième des dépenses qu'ils engagent pour l'évaluation initiale des mineurs étrangers isolés. Les structures sont débordées, il faut les aider - en particulier par la création d'unités particulières dans les Maisons de l'enfance à caractère social (MECS) pour y accueillir les mineurs non accompagnés atteints de troubles comportementaux.
Il faut établir des règles juridiques pour déterminer l'état civil des jeunes. Les jeunes doivent finir leurs formations. Les départements ne sont compétents que jusqu'à l'âge de leur majorité. Quand les collectivités territoriales ne peuvent plus payer, l'État doit s'y substituer.
Enfin, ils doivent pouvoir travailler une fois majeurs. Pour cela il faut simplifier l'obtention des titres de séjour pour les mineurs réfugiés.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. - Avec Agnès Buzyn, nous sommes attentives aux troubles psychologiques des enfants qui ont subi des traumatismes sur leur parcours. L'accès aux soins, je le rappelle, est un droit inconditionnel.
Vous évoquez la rupture brutale à 18 ans. Nous travaillons avec les départements à des dispositifs progressifs au-delà de 18 ans, à l'aide à des contrats jeune majeur, déjà mis en oeuvre dans certains départements.
M. Stéphane Ravier . - La politique est d'abord un combat sémantique. Le politiquement correct parle de MNA, alors qu'il s'agit bien d'EMC, des étrangers mineurs clandestins. (Protestations sur les bancs du groupe CRCE)
Leur nombre explose : 4 000 en 2010, 40 000 en 2018 ! Et encore, ces chiffres sont sous-évalués puisqu'ils ne comptabilisent pas les jeunes dont les démarches sont en cours.
Le vrai scandale, c'est que 70 % des jeunes clandestins sont en réalité des majeurs.
Mme Éliane Assassi. - Prouvez-le !
M. Stéphane Ravier. - Les mineurs, non soumis aux règles de séjour des étrangers, ne sont pas expulsables, une simple déclaration les rend éligibles à l'Aide sociale à l'enfance. Il en coûte un milliard d'euros en 2016, deux en 2017 - 60 000 euros annuels par mineur ! C'est 20 millions pour les Bouches-du-Rhône.
Que le financement passe des collectivités territoriales à l'État, c'est toujours le contribuable qui paie ! Quant au Conseil de l'Europe, il pose la présomption de minorité...
Il faut rétablir les frontières et expulser les clandestins adultes.
Les solutions sont connues. Aurez-vous le courage de les appliquer ?
M. Fabien Gay. - Nous avons bien le courage de vous écouter !
M. Christian Manable. - Deux minutes, c'est parfois long...
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. - Le contrôle aux frontières a été prolongé au 30 avril.
5 600 migrants ont été arrêtés à la frontière italienne. Une partie a été reconduite en Italie - la coopération avec nos voisins italiens est primordiale.
Nous luttons sans relâche contre les passeurs et les trafics d'êtres humains.
Notre arsenal juridique se veut respectueux de la Convention des droits des enfants.
L'accueil des mineurs est inconditionnel. Aucun mineur ne peut être expulsé. Les tests osseux sont encadrés. Nous sommes stricts et vigilants mais très attentifs aux conventions internationales. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)
Mme Josiane Costes . - L'accueil des étrangers en France fera l'objet de débats approfondis. Les solutions à apporter aux mineurs non accompagnés pourraient, me semble-t-il, faire l'objet d'un consensus. L'errance administrative de ces jeunes est contraire aux principes de notre droit - qui reconnaît l'irresponsabilité des mineurs, leur droit à la scolarisation, à un hébergement et à l'accès aux soins. En octobre, le Premier ministre a dit que l'État hébergerait les mineurs, jusqu'à ce que leur minorité soit confirmée. Or le rapport de Doineau et Godefroy montre que l'ASE n'est pas dimensionnée pour faire face. Certains jeunes n'ont pas de solution pendant le traitement de leur dossier de confirmation de minorité. Peut-on imaginer des plateformes interterritoriales pour ce laps de temps ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. - Le Gouvernement s'est engagé à abonder le fonds national de la protection de l'enfance, de 6,5 millions d'euros. La mission d'inspection, je le répète, examine la possibilité de confier à l'État l'évaluation, ou de lui en faire porter la charge. L'État rembourse actuellement aux départements 30 % des frais de prise en charge des mineurs non accompagnés, ce n'est pas assez. Nous réfléchissons à d'autres dispositifs, à de nouveaux critères de répartition dans les départements, à une meilleure prise en charge psychologique. En outre, nous luttons contre les passeurs.
M. Bernard Bonne . - Les modalités d'accueil des mineurs non accompagnés sont très complexes. Dans la Loire, nous en avons accueilli 210 en 2016 et 358 entre janvier et octobre 2017.
Les mineurs non accompagnés déstabilisent les établissements dans lesquels ils sont accueillis, qui ne sont pas adaptés. Comment accueillir durablement ces mineurs ? Comment évaluer la minorité ? Il faut que la clé de répartition entre les départements soit revue, tout comme le mécanisme de prise en charge en cas d'ordonnance de placement provisoire. (Applaudissements sur les bancs du groupe UC et sur quelques bancs du groupe Les Républicains)
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. - La phase initiale de mise à l'abri et d'évaluation serait reprise financièrement et peut-être matériellement par l'État. C'est l'objet de la réflexion confiée aux inspections. Mais le principe demeure : quand la minorité est attestée, la compétence restera départementale. Nous sommes parfois confrontés à une insuffisance de bâtiments pour mettre les mineurs à l'abri. Une réflexion doit être conduite. Le problème actuel est lié aux demandes de réévaluation de la minorité de la part des jeunes : il faut harmoniser la méthode d'évaluation, pour éviter les demandes de réévaluation.
M. Michel Amiel . - Alors que le président de la République a visité Calais hier, j'aborderai l'articulation des responsabilités entre les départements et l'État.
Le département effectue la prise en charge des mineurs non accompagnés alors que l'ASE est déjà en difficulté. Il reste essentiel de travailler sur le parcours de soins des jeunes. Le Premier ministre, lors de sa visite à Marseille, a pris des engagements. Comment mieux répartir la prise en charge des mineurs non accompagnés entre l'État et les départements en matière de protection de l'enfance ? Ceux-ci pourraient garder leur expertise en étant mieux soutenus financièrement par l'État ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. - C'est l'une des hypothèses de la mission des corps d'inspection. Actuellement, l'État rembourse cinq jours à 250 euros pour la phase d'évaluation, soit 1 250 euros. En 2016, les départements auraient dépensé 155 millions, selon l'ADF, et l'État leur a remboursé 65 millions : nous mesurons très bien le décalage entre ces chiffres. De nouvelles règles d'harmonisation des procédures d'évaluation pourraient être imposées pour limiter les difficultés de la réévaluation. Le rapport de la mission est attendu le 22 janvier.
Mme Esther Benbassa . - Le 21 décembre, je me suis rendue au centre de MSF à Pantin. J'y ai observé de jeunes hommes épuisés par leur exil et par leur vie dans la rue.
Je suis révoltée de constater la faillite totale de l'État dans sa prise en charge des mineurs et par la maltraitance administrative qu'ils subissent. Un garçon de 14 ans arrivé ce jour-là dormait depuis plusieurs jours dans la rue. On lui avait dit qu'il était majeur et qu'il n'avait donc droit à rien... À Menton, j'ai vu une jeune fille de 16 ans raccompagnée à la frontière. Les forces de l'ordre, censées l'escorter, s'assuraient en fait qu'elle prendrait bien le train... Que faire pour respecter ce principe fondamental de respect et de protection des enfants ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. - Tout est lié à la reconnaissance de la minorité de la personne.
Nous parlons des mineurs. Le Premier ministre a été extrêmement clair : devant l'ADF, il a dit que c'était le rôle de l'État d'accueillir dignement les étrangers, de les traiter selon leur statut, après avoir vérifié l'authenticité des titres qu'ils présentent et avoir déterminé leur âge.
Nous pouvons trouver l'équilibre entre ces exigences et l'allègement des charges incombant aux départements.
Mme Élisabeth Doineau . - Merci, Madame Assassi, d'avoir demandé ce débat sur un sujet auquel M. Godefroy et moi-même avons consacré un rapport. Nous avons rencontré tous les acteurs, y compris les jeunes. Ce rapport démontre que nous pouvons, ensemble, trouver un chemin pour donner du sens à notre politique d'accueil.
Chaque jour, cinquante jeunes arrivent sur notre territoire. Les services sont saturés, le personnel des conseils départementaux à bout.
Depuis ce rapport, j'ai alerté les pouvoirs publics, interrogé la garde des sceaux, rencontré Mme Gourault et travaillé avec l'Uniopss (Union nationale interfédérale des oeuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux). Il faudrait une formation spécifique, diplômante, pour les agents départementaux, qui ont une expertise...
M. le président. - Veuillez conclure.
Mme Élisabeth Doineau. - Je vous renvoie à mon rapport. Il faut avancer sur ce sujet. (Applaudissements sur les bancs des groupes UC, LaREM et Les Indépendants)
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. - J'aimerais beaucoup que vous veniez me présenter votre rapport, que j'ai lu, afin de parler de vos propositions. (Applaudissements sur les bancs des groupes UC et LaREM)
Mme Laurence Rossignol . - L'accueil des mineurs non accompagnés est un des volets de la politique de protection de l'enfance. Ils doivent être accompagnés dans les mêmes conditions que les autres enfants.
La procédure de détermination de la minorité a été rendue plus juste et plus efficace par la loi du 14 mars 2016. Les tests osseux sont strictement encadrés et le doute profite à l'intéressé.
Ces mineurs profitent de la splendeur et de la misère de notre système : une capacité d'accueil égale pour tous, mais aussi des dysfonctionnements. Les mineurs non accompagnés sont souvent de bons élèves, déterminés, qui s'adaptent facilement. Le couperet de l'interruption brutale de leur scolarité à leur majorité fend le coeur. Pour eux, pas de première ou terminale S, ils sont renvoyés vers l'apprentissage...
Il est temps que l'État assume une politique régalienne. C'est notre choix républicain que d'accueillir tous les enfants : c'est donc à l'État de prendre en charge les mineurs non accompagnés pour que les départements puissent se consacrer à l'accueil des autres mineurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR ainsi que sur certains bancs des groupes UC et CRCE)
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. - Je partage votre point de vue. Splendeur et misère, en effet... Oui, l'entrée sur le territoire est bien une politique régalienne. L'État doit exercer la compétence qui lui revient, c'est-à-dire reprendre la phase d'évaluation.
Mme Laurence Rossignol. - Et la prise en charge !
M. René-Paul Savary. - Justement !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. - L'État est responsable de l'évaluation initiale. La suite relève de la compétence des départements, qui ne souhaitent pas s'en dessaisir. Le système est équilibré.
Pour avoir rencontré ces jeunes, notamment à Pessac, je sais que le couperet à 18 ans est brutal. Il faut les accompagner de manière transitoire et progressive.
M. Éric Gold . - La situation est complexe sur le plan humain, juridique, organisationnel, financier. Les structures d'accueil sont saturées et les départements ne peuvent anticiper les dépenses, la prise en charge de ces mineurs pouvant durer des années. Certains départements sont plus concernés que d'autres. Pour garantir un bon accueil, les départements demandent l'aide de l'État. Les juges pour enfants tiennent peu compte des évaluations initiales malgré les compétences, notamment linguistiques, des agents. Au-delà de l'aspect financier, ne faudrait-il pas une formation partagée, cohérente et adaptée de l'ensemble des acteurs, pour que les décisions soient mieux comprises et l'accueil plus serein ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. - Je suis consciente de ces problèmes mais il faut respecter l'indépendance de la justice. Il est cependant possible d'harmoniser les procédures d'évaluation pluridisciplinaires : le juge aurait alors sans doute davantage confiance.
Mme Laure Darcos . - Ces questions redondantes illustrent la gravité de la situation.
La France accueille chaque année toujours plus de mineurs non accompagnés. Nous leur devons protection, dans le respect de la Convention des droits de l'enfant, nous devons faciliter leur intégration future. En revanche, nous devons lutter contre le trafic d'êtres humains et les passeurs.
Dans l'Essonne, qui a accueilli plus de 600 mineurs non accompagnés en 2017, les établissements dédiés sont débordés. Le conseil départemental assume financièrement, à hauteur de 30 millions d'euros. Mais il ne dispose pas du pouvoir de réquisitionner des logements pour la mise à l'abri des mineurs, d'où un risque juridique. Il faut que l'État prenne en charge des évaluations et que le département puisse se recentrer sur les mineurs vulnérables. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UC et Les Indépendants)
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. - Je suis d'accord. L'État doit assurer l'évaluation et laisser les départements prendre le relais une fois la minorité établie. Dans l'Essonne, qui fait face à un afflux considérable, les mineurs non accompagnés sont pris en charge dans des foyers mais un appel à projets est en cours pour une résidence sociale de cent jeunes, gérée par une association. Votre département compte aussi le centre des jeunes détenus de Fleury-Mérogis - ceux-là relèvent bien entendu de l'État.
M. Thani Mohamed Soilihi . - Plus de 25 000 mineurs isolés se concentrent surtout à Paris, dans le Nord-Pas-de-Calais et en Seine-Saint-Denis. Mais n'oublions pas l'outre-mer. À Mayotte et en Guyane, la pression migratoire est telle que le sujet dépasse largement le cadre de l'ASE et rend toute péréquation impossible. Rien qu'à Mayotte, il y a plus de 3 000 mineurs isolés, dont 500 sont livrés à eux-mêmes, parfois à la prostitution ; 87 % ont été abandonnés sur le territoire après la reconduite à la frontière de leurs parents.
Quand les départements d'outre-mer bénéficieront-ils du dispositif national de mise à l'abri, du prolongement de la prise en charge financière au-delà de cinq jours ? Allez-vous rechercher une solution pérenne en engageant une coopération avec les pays voisins ? (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes CRCE, SOCR, LaREM, UC et Les Républicains)
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. - Les départements d'outre-mer ne bénéficient pas du système de répartition des mineurs non accompagnés. Toutefois, la loi du 14 mars 2016 et le décret du 24 juin 2016 garantissent le remboursement des dépenses engagées pendant la phase d'évaluation, avec un montant forfaitaire.
J'ai conscience des difficultés propres à la Guyane et à Mayotte : sécurité sanitaire, traitement éducatif, délinquance pénale... Mais une application stricto sensu de la loi de 2016 serait difficile. Rencontrons-nous pour évoquer ces questions.
M. Dominique Watrin . - J'étais lundi à Calais avec les associations d'aide aux migrants. Les mineurs non accompagnés représentent 40 à 60 % des 700 migrants présents dans le Calaisis. La plupart seraient admissibles au droit d'asile ou au rapprochement familial s'ils avaient accès au sol britannique. Lors de la fermeture de la jungle de Calais, beaucoup d'entre eux avaient été rapidement admis au Royaume-Uni. C'est un démenti à ceux qui instrumentalisent ces problèmes et montrent du doigt les associations.
Que dira le président de la République lors de sa rencontre avec Theresa May ? Quelles mesures sont envisagées pour obtenir l'admission en urgence au Royaume-Uni des mineurs vulnérables et obtenir l'examen rapide des demandes d'asile ?
Les mesures sécuritaires et les grillages sont insuffisants. Il faut renégocier les accords du Touquet, établir un autre partenariat pour mettre fin à une situation inhumaine.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. - Le Calaisis accueille en effet un nombre important de mineurs non accompagnés déterminés à passer en Grande-Bretagne. Le président de la République souhaite inscrire un protocole additionnel aux accords du Touquet, avec un volet spécifique sur les mineurs permettant que même les mineurs n'ayant pas un parent en Grande-Bretagne puissent y être accueillis.
Ces jeunes refusent souvent la mise à l'abri car leur seul objectif est de traverser la Manche. Les maraudes des associations sont utiles pour tenter de les convaincre mais beaucoup de jeunes sont Érythréens, et la langue est un obstacle...
Mme Nassimah Dindar . - Je veux revenir sur la situation de Mayotte. La délégation d'autorité parentale aux proches ne pourrait-elle faciliter le tutorat des enfants en vue de leur scolarisation ?
Les problèmes de santé sont préoccupants, les jeunes doivent payer 10 euros pour être pris en charge à l'hôpital. L'ordonnance de 2015 sur les mineurs et les femmes enceintes est difficile à mettre en oeuvre.
L'État ne pourrait-il accorder un financement exceptionnel au conseil départemental pour une mise en place rapide de l'ASE ? Mayotte n'a pas encore de foyer de l'enfance, car cela prend du temps.
Mayotte, où la moitié de la population a moins de 18 ans, est le département le plus pauvre et le plus inégalitaire de France. Elle compte plus de 40 % d'étrangers, dont la moitié sont mineurs, mais 39 % des étrangers y sont nés. Beaucoup d'enfants sont sans papiers, sans parents, et tout le monde s'en moque.
Toutefois, le président de la République a annoncé qu'il ne voulait pas de confusion entre la politique d'immigration et l'aide aux mineurs isolés.
M. le président. - Il faut conclure.
Mme Nassimah Dindar. - Ne pourrait-on s'inspirer de l'expérimentation territoriale menée dans les régions Pays de la Loire et Bourgogne ? Autre piste : un accord avec les Comores, sur le modèle de l'accord passé en 2003 avec la Roumanie. (Applaudissements sur les bancs des groupes UC, LaREM et Les Indépendants)
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. - Le constat est partagé ; pour vous répondre précisément, il me faudrait étudier ces hypothèses.
Selon l'association Solidarité Mayotte, il y a entre 3 000 et 6 000 mineurs non accompagnés à Mayotte, dont seule une infime partie est prise en charge par l'ASE. Beaucoup de jeunes sont sans référent adulte et les structures d'accueil sont très insuffisantes. Cette question est cruciale en matière sanitaire et de cohésion sociale.
Toutefois, l'application stricte de la loi de 2016 semble difficilement réalisable. Il faut un traitement singulier.
La délinquance pénale est très importante, souvent associée aux mineurs isolés : un centre éducatif renforcé sera ouvert en 2018. Cela ne remplace pas une politique d'accueil des mineurs non accompagnés.
M. Jean-Yves Leconte . - Nous sommes nombreux à avoir eu des enfants de 18 ans : leurs besoins ne changent pas du jour au lendemain, à 18 ans et un jour ! Ce couperet est terrible, pire encore pour les étrangers. L'enjeu est important : 25 % des SDF sont d'anciens enfants pris en charge par l'ASE.
Je salue la volonté de l'État de mieux encadrer et harmoniser l'évaluation de minorité. Il faut en finir avec certaines méthodes inacceptables : certains ont été jugés majeurs au regard de la maturité dont ils avaient fait preuve pour quitter seuls leur pays !
Reconduire à la frontière italienne des personnes notoirement mineures, est-ce digne ? Comment accompagner le passage à la majorité ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. - J'ai répondu sur nos relations avec l'Italie.
Idéalement, il faudrait faire bénéficier les jeunes, à 18 ans, d'un contrat d'accompagnement jeune majeur. On pourrait leur délivrer une carte de séjour portant la mention salarié ou travailleur temporaire quand ils doivent poursuivre une formation.
M. Benoît Huré . - Le périple de ces enfants et adolescents est terrible, les situations sont insupportables et laissent les acteurs institutionnels désemparés. Le phénomène migratoire s'installe dans la durée : on attend 50 000 mineurs, leur nombre a doublé en deux ans. Dans les Ardennes, il a même triplé.
Les départements n'ont plus les moyens - financiers ou humains - de continuer à se substituer à l'État. Il faut rééquilibrer la charge financière et déployer un accompagnement adapté aux situations spécifiques de ces mineurs, qui sont aussi victimes de passeurs sans scrupule. C'est une politique migratoire d'ensemble qu'il faut construire en France et coordonner en Europe. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC)
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. - Je suis d'accord avec vous : il faut une politique d'ensemble pour une situation amenée à durer. L'aide aux pays d'origine est un autre axe de travail, poursuivi avec une vigueur renouvelée par le Gouvernement.
Il a aussi la volonté de mieux accompagner les jeunes et de lutter fermement contre les filières de passeurs. Les juridictions avec lesquelles j'en ai discuté sont pleinement mobilisées.
M. Olivier Cigolotti . - En Haute-Loire, on compte 110 mineurs non accompagnés, dont 86 ont été pris en charge en 2017. Nous répondons à leurs besoins vitaux, mais l'accompagnement social et l'intégration professionnelle restent limités.
Pour avoir dirigé un établissement d'accueil des mineurs isolés, je sais leur motivation et leur souhait d'être rapidement autonomes. Ils ont souvent une réelle capacité d'adaptation dans les secteurs demandeurs de l'industrie, du bâtiment ou de l'hôtellerie. Le dispositif Hébergement, orientation, parcours vers l'emploi (HOPE) de l'Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) enregistre de très bons résultats. L'accompagnement par l'ASE doit faire l'objet d'une réflexion axée sur l'insertion professionnelle. (Applaudissements sur les bancs du groupe UC)
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. - L'école est un droit pour tous les enfants sur le territoire national et les académies prennent en charge ces élèves. Mais la scolarité classique ne répond en effet pas toujours à leurs attentes. Il faut évaluer leur niveau scolaire pour leur proposer un dispositif de formation adapté. Je travaillerai avec Mme Pénicaud, M. Blanquer et l'Assemblée des départements de France pour proposer des formations courtes, professionnalisantes.
M. Didier Marie . - Je remercie le groupe CRCE de son initiative. En Seine-Maritime, 420 mineurs non accompagnés ont été recensés en 2016 ; ils seront plus nombreux en 2017. Leur situation est précaire : ils sont souvent à l'hôtel, livrés à eux-mêmes, sans accès aux soins ; trop peu sont scolarisés - le rectorat manque de moyens - alors que beaucoup sont illettrés.
L'État assurera l'hébergement d'urgence, c'est un geste bienvenu, mais il faut rester vigilant. Le sujet est sensible dans l'opinion. Or les flux ne vont pas se tarir, et il faut protéger davantage ces jeunes qui doivent d'abord être considérés comme des enfants plutôt que comme des étrangers. La situation actuelle n'est pas digne de nos valeurs. Quels moyens le Gouvernement va-t-il mettre en oeuvre pour lui apporter une réponse humaniste et favoriser l'inclusion scolaire ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. - Vous dressez un constat sévère. Le flux a augmenté de 85 % en un an. Selon l'ADF, la procédure d'évaluation durait 40 jours en moyenne, avec des pics à 180 jours, alors que 5 jours seulement sont remboursés aux départements. La reprise par l'État est bien plus qu'un geste !
L'État ne confond pas accueil des enfants et politique migratoire : leur situation est singulière, ils ont des droits spécifiques.
L'État devra choisir entre assumer le coût financier de l'hébergement, pris en charge par les associations, et l'assurer lui-même, via une structure propre. Le plus simple me semble, à ce stade, de laisser les associations continuer leur travail.
Mme Corinne Imbert . - En 2013, 21 jeunes ont demandé à être reconnus mineurs non accompagnés en Charente-Maritime et 17 ont obtenu gain de cause. En 2016, ils étaient 525, dont 106 déclarés mineurs. À ce jour, 250 mineurs non accompagnés sont confiés au département.
On assiste aussi à un phénomène de nomadisme, puisque les jeunes tentent leur chance dans différents départements, parfois sous plusieurs identités. Cela mobilise les services des départements et la police aux frontières... La Charente-Maritime, qui n'est pourtant pas dans le peloton de tête, a dépensé 5 millions d'euros en 2017 et prévoit 6 millions en 2018.
Bien sûr, l'humanité, la Convention internationale des droits de l'enfant comptent. Mais le contexte a changé, et la politique migratoire doit être fixée au niveau européen. Le Gouvernement continue-t-il à envisager un fichier biométrique pour contrer les tentatives de fraude et assurer le suivi ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. - La mission d'inspection commandée par le Premier ministre réfléchit à ces questions.
Trois outils sont envisagés : le recensement biométrique, souhaité par les départements et le parquet mais auquel le Défenseur des droits et un certain nombre d'associations sont opposés ; l'harmonisation des critères d'évaluation ; l'éventualité de rendre la première évaluation opposable.
Mme Brigitte Lherbier . - Tout enfant en souffrance a besoin de bienveillance - c'est ce qui a motivé mon entrée en politique. L'enfant est vulnérable, il faut le protéger, le soigner.
Dans le Nord, des jeunes migrants, hommes seuls pour la plupart, saturent la prise en charge, entraînant une explosion des coûts d'accueil d'urgence : 166 euros par jour, soit 60 000 euros par mineur par an. Les services du département évaluent le nombre de jeunes adultes à 30 %, mais les juges se rangent à la présomption de minorité et condamnent les départements à des astreintes, obligeant à les loger dans des maisons d'enfants.
Pendant ce temps, des enfants sont en danger au sein de leur famille : 200 mineurs ne sont pas pris en charge par l'ASE en centre d'accueil, faute de place ! Ce chiffre est aussi dramatique que les autres. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. - Il ne s'agit pas de donner la préférence aux uns ou aux autres mais de construire une politique équilibrée permettant aux départements de prendre en charge tous les enfants en difficulté.
M. René-Paul Savary . - Les situations varient d'un département à l'autre : dans la Marne, 240 mineurs non accompagnés pour un budget de 4,5 millions d'euros en 2017, et une aide de l'État de 300 000 euros... Dans les Hautes-Alpes, département de 140 000 habitants, 1 238 jeunes sont à évaluer, pour un coût de 2 millions d'euros.
Nous attendons avec impatience les mesures évoquées par le Premier ministre devant l'ADF. Pouvez-vous nous donner une esquisse de la décision attendue ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. - Je sais le travail que vous avez fait en tant que président du conseil départemental. Je ne vais pas répéter ce que j'ai déjà dit. Le rééquilibrage que souhaite le Gouvernement repose sur la prise en charge par l'État de l'évaluation et de la mise à l'abri, avec un État qui assure ou assume, c'est à préciser. Les départements resteraient en charge de l'ASE. C'est le sens du rapport d'inspection, qui n'est pas définitif à ce stade et qui, comme tout rapport, devra être suivi de décisions.
M. René-Paul Savary. - L'équilibre est loin d'être atteint : l'évaluation coûte 155 millions, la prise en charge : 1,5 milliard d'euros ! Et les départements seront soumis à la double peine lorsque Bercy épinglera la hausse de leurs dépenses de fonctionnement ! C'est un problème interministériel qui aura des conséquences dramatiques. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC, ainsi que sur certains bancs du groupe CRCE)
Le débat est clos.
Prochaine séance, mardi 23 janvier 2018, à 14 h 30.
La séance est levée à 18 h 30.
Jean-Luc Blouet
Direction des comptes rendus
Annexes
Ordre du jour du mardi 23 janvier 2018
Séance publique
À 14 h 30
1. Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de la loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017 d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social (n° 119 rectifié, 2017-2018).
Rapport de M. Alain Milon, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 194, 2017-2018).
Texte de la commission (n° 195, 2017-2018).
À 16 h 45
2. Questions d'actualité au Gouvernement.
À 17 h 45 et le soir
3. Suite de l'ordre du jour du matin.
Nominations de membres d'organismes extraparlementaires
M. François Bonhomme est membre titulaire et M. Didier Marie membre suppléant du Comité des finances locales.
Mme Nathalie Delattre et M. Jacques Bigot sont membres titulaires de la Commission nationale chargée de la vidéoprotection.
M. Thani Mohamed Soilihi est membre titulaire et MM. Patrick Kanner et Pierre Frogier membres suppléants de la Commission nationale d'évaluation des politiques de l'État outre-mer.
Mme Éliane Assassi est membre titulaire du conseil d'administration de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides.
M. Jean-Luc Fichet est membre suppléant du conseil d'administration du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres.
Mme Françoise Gatel est membre titulaire et M. Arnaud de Belenet membre suppléant du Conseil national d'évaluation des normes.
Mme Laurence Harribey est membre titulaire et Mme Sophie Joissains membre suppléant du Conseil national de la mer et des littoraux.
M. Loïc Hervé est membre titulaire du Conseil supérieur des archives.
M. Sébastien Leroux est membre titulaire du Conseil national de l'aménagement et du développement du territoire.
Composition d'une commission d'enquête
État des forces de sécurité intérieure
Mme Éliane Assassi, MM. Arnaud de Belenet, Michel Boutant, Vincent Capo-Canellas, Alain Cazabonne, Philippe Dallier, Mme Nathalie Delattre, MM. Gilbert-Luc Devinaz, Philippe Dominati, Jordi Ginesta, Mme Samia Ghali, M. François Grosdidier, Mme Gisèle Jourda, MM. Patrick Kanner, Henri Leroy, Mmes Brigitte Lherbier, Anne-Catherine Loisier, M. Alain Marc, Mme Isabelle Raimond-Pavero, MM. André Reichardt, Jean Sol.
Composition d'un groupe de travail
Groupe de travail préfigurant la commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi pour un État au service d'une société de confiance.
MM. Serge Babary, Julien Bargeton, Éric Bocquet, François Bonhomme, Henri Cabanel, Emmanuel Capus, Pierre-Yves Collombat, Mmes Josiane Costes, Nathalie Delattre, Jacky Deromedi, MM. Yves Détraigne, Jérôme Durain, Mmes Frédérique Espagnac, Dominique Estrosi-Sassone, M. Michel Forissier, Mme Pascale Gruny, MM. Jean-Raymond Hugonet, Jean-François Husson, Mmes Élisabeth Lamure, Christine Lavarde, MM. Pierre Louault, Jean-Claude Luche, Victorin Lurel, Didier Mandelli, Rachel Mazuir, Mme Michelle Meunier, MM. Philippe Mouiller, Olivier Paccaud, Stéphane Piednoir, Mme Angèle Préville, M. Alain Richard, Mme Sophie Taillé-Polian, M. Michel Vaspart, Mmes Dominique Vérien, Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel.