Débat sur la COP 23
M. André Gattolin, pour le groupe La République En Marche . - Je remercie mon groupe LaREM d'avoir inscrit ce débat à l'ordre du jour. Pourquoi ce débat ? Car la lutte contre le réchauffement climatique est l'enjeu principal de notre temps, comme l'a rappelé hier le président de la République lors du One Planet Summit à Boulogne.
Ce soir, nous parlerons de l'état de notre planète : celle-ci va mal et de plus en plus mal, quinze mille scientifiques, dans un texte commun paru le 13 novembre, nous l'ont dit : bientôt il sera trop tard ! Nous sommes dans le pire des scénarios prévus par le GIEC. Toutes les activités humaines sont touchées. Déclin de la riziculture dans le delta du Mékong, détachement d'iceberg en Antarctique...
L'Accord de Paris était signé il y a deux ans. Nous achevons la première année de mandat du président des États-Unis, M. Trump, qui a désengagé son pays de l'Accord.
L'heure n'est plus au diagnostic, déjà dressé par M. Chirac qui disait : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs ». Treize ans plus tard, M. Obama affirmait : « Nous n'avons qu'une planète, il n'y a pas de plan B ». M. Macron a reconnu : « Nous sommes en train de perdre la bataille ».
Le but premier de ce sommet est bien de passer à l'action, en mobilisant les partenaires privés français et internationaux - en ceci, ce One Planet Summit est complémentaire aux COP. Les COP ne sont que des accords multilatéraux soumis au bon vouloir des États.
Je salue les avancées réalisées : la mise en place d'une plate-forme sur les savoirs et les connaissances des peuples autochtones pour aider dans la lutte contre le bouleversement du climat ; la création d'un groupe de travail sur la sécurité alimentaire ; le plan d'action pour l'égalité des sexes ; l'accord pour sortir du charbon.
Toutefois en dépit de ces mesures, aucun leadership n'a émergé pour remplacer les États-Unis. Si des conférences sont nécessaires, force est de constater que les avancées sont lentes.
La COP 23 visait à fixer des règles d'application sur les Accords de Paris - ils ne commenceront donc à être mis en oeuvre qu'en 2018 ! Aussi les initiatives privées se multiplient comme le Cities Climate Leadership Group, le C40, présidé par Mme Hidalgo. Ce réseau regroupe 86 agglomérations représentant plus de 600 millions d'habitants, 25 % du PIB mondial et 70 % des émissions de gaz à effet de serre. Trente maires de grandes métropoles comme Los Angeles, Mexico, Auckland, Londres et Paris ont signé un engagement pour lutter contre le réchauffement climatique.
L'engagement des grandes entreprises est crucial.
Le One Planet Summit d'hier est une grande avancée. Certains douteront de ces avancées. Le greenwashing est de mode. Mais l'ampleur du défi est tel que les États ne pourront tout faire. L'enjeu requiert la mobilisation de tous les acteurs sociaux. On note déjà un fort désinvestissement dans les énergies fossiles. Le mouvement 350.org de Bill McKibben est exemplaire, notre beau Sénat, qui a récemment décidé de fixer des critères éthiques à ses placements financiers, pourrait s'en inspirer.
Madame la Ministre, soyez assurée du soutien des sénateurs du groupe LaREM dans ce combat qui est le vôtre et le nôtre ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)
Mme Brune Poirson, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire . - Merci d'avoir organisé ce débat. Le président de la République l'a souligné hier, nous sommes à un moment de bascule pour l'histoire de l'humanité. Nous sommes mal partis pour tenir nos engagements de l'Accord de Paris. J'ose le dire car notre dialogue doit être franc et honnête : la trajectoire est mortifère.
Cette année 2017 a été marquée par la tentative de déstabilisation orchestrée par l'administration Trump. L'accord ayant été signé à Paris, la France se sent investie d'une responsabilité particulière. Le président de la République a réagi sans attendre. Depuis, les cris d'alarme des scientifiques se multiplient.
Nous sommes au seuil de l'irréversible. Nous ne parviendrons pas à contenir le réchauffement climatique si nous ne transformons pas immédiatement nos façons de vivre, de travailler et même de penser. Nous assistons à l'extinction des espèces, qui mettra à mal notre agriculture et l'humanité tout entière.
Certains parlent d'un bilan de la COP 23 en demi-teinte. C'est oublier le contexte : les États-Unis, l'un des principaux émetteurs de CO2, s'étaient désengagés. Beaucoup d'autres États auraient pu les suivre. Ils s'y sont refusés. Heureusement car il y a urgence pour les petits États insulaires, qu'incarnait la présidence fidjienne, qui vivent la réalité du changement climatique. Le niveau des eaux a progressé de 19 centimètres depuis le début du siècle. De bouts de France sont affectés par cette montée des eaux. Outre les engagements financiers pris, la COP 23, qui se poursuivra par le dialogue Talanoa, a été l'occasion d'avancer sur la question du genre et du développement.
Les actions de la société civile ont été saluées lors de la COP 23 et du One Planet Summit. Nous devons encourager les initiatives sur les territoires ; et vous, sénateurs plus que les autres, parce que vous connaissez les élus locaux, les chefs d'entreprise et les acteurs dans vos départements. C'est ainsi que nous rendrons la transition irréversible.
L'année 2018 sera décisive pour la mise en oeuvre de l'Accord de Paris. À l'échelon national, une action résolue est nécessaire. Elle s'incarne dans le One Planet Summit mais aussi et surtout dans le plan climat, annoncé le 6 juillet 2017 par Nicolas Hulot. Plus ambitieux que l'Accord de Paris, il fixe pour objectifs : la neutralité Carbone d'ici 2050, la fin des véhicules thermiques d'ici 2040, le recyclage total des plastiques et la réduction des mises en décharge d'ici 2025 que j'évoquais ce matin avec Delphine Gény-Stephann. La transition écologique, si elle n'est pas solidaire, ne sera pas, ou sera trop lente ; d'où le paquet solidarité climatique. Nous voulons augmenter la part du renouvelable dans le mix énergétique tout en considérant le nucléaire essentiel pour garantir notre approvisionnement. Les transports sont au coeur du plan Climat, c'est aussi un sujet européen que j'évoquerai vendredi en Bulgarie puis à Bruxelles au Conseil européen des ministres de l'énergie.
Notre ambition : engager une dynamique, à l'échelon national comme à l'échelon européen. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)
Débat interactif
M. Ronan Dantec . - Le One Planet Summit a été un véritable succès. Pour autant, nous ne nous en sortirons pas si nous ne sommes pas exemplaires. Or il y a des trous dans la raquette. La DGAC, pourtant connue pour la qualité de ses analyses, n'est pas capable de fournir des données sur les émissions de gaz à effet de serre du transport aérien, qui est le plus émetteur de CO2 par kilomètre.
Comment comptez-vous faire entrer le transport aérien dans votre stratégie bas carbone ?
Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - Le transport aérien représente 2 % des émissions de gaz à effet de serre, or ni l'aérien ni le maritime ne sont inclus dans l'Accord de Paris.
Notre Gouvernement croit dans le libre-échange mais celui-ci ne doit pas se faire au détriment de la planète. Nous avons travaillé sur le CETA. Hier encore, j'étais avec mon homologue québécoise et le ministre avec son homologue canadien. Nous travaillons également au sein de l'Organisation de l'aviation civile internationale pour trouver des axes de réduction du carbone. Vous connaissez l'accord Corsia d'octobre 2016.
Mme Fabienne Keller . - Des pays sont victimes de la double peine : peu producteurs d'émissions de gaz à effet de serre, ils en sont victimes, parce qu'ils sont insulaires ou que leurs terres se salinisent, comme les rizières le long du fleuve Sénégal.
Le Fonds vert devait être doté de 100 milliards de dollars mais l'argent semble difficile à rassembler... La TTF française est déjà utilisée dans le budget national. Autres pistes intéressantes : l'inclusion carbone aux frontières ou la mise à contribution des émetteurs que sont les transports aériens et maritimes.
Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - Le Fonds vert est régulièrement critiqué. Les pays les moins avancés et les petites îles, qui représentent 40 % des projets et 30 % des fonds, ne sont pas pénalisés. Les processus ont été simplifiés pour les petits projets. Les décaissements sont de 110 millions de dollars et les progrès, réels. Il faut dissocier les dysfonctionnements du fonds de ceux des organismes accrédités. Le fonds, en outre, n'en est qu'à sa deuxième année d'existence. L'année 2018 sera consacrée à la rénovation de sa gouvernance ; la France plaide pour un secrétariat renforcé et une décision à la majorité afin de la dépolitiser.
M. François Patriat . - Madame la Ministre, j'ai apprécié votre propos liminaire. Après le désengagement des États-Unis de l'Accord de Paris, beaucoup étaient inquiets. Le président de la République a rassuré, hier. Il ne suffit pas de dire que la planète brûle ; le président de la République a su redonner de l'élan, du souffle. Nous sommes tous d'accord pour enclencher la transition, mais c'est difficile : dix ans pour construire des éoliennes, des champs solaires... Le ministre d'État a reconnu que les normes étaient contraignantes.
Comment le Gouvernement entend-il mobiliser le secteur privé pour enclencher une vraie transformation ?
Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - La question du financement est absolument essentielle. Le coût de la transition est estimé à 90 000 milliards de dollars, le PIB mondial n'atteint que 75 000 milliards de dollars... Nous avons ainsi besoin de plus de la totalité des richesses de la planète.
La France, elle, a commencé à prendre ses responsabilités, elle est même pionnière en verdissant la finance car tous les financements privés et publics doivent être fléchés vers le bas carbone : je pense aux obligations vertes, à l'article 173 de la loi Transition énergétique sur la transparence des risques climatiques ou à la charte AFD-Caisse des dépôts et consignations qui met fin aux subventions aux énergies fossiles.
Nous devons accélérer notre action pour entraîner l'Europe et le monde dans notre sillage.
M. Guillaume Gontard . - Il y avait quelque chose d'encourageant et de curieux à voir la finance réunie hier à Paris. Encourageant car cette rencontre, même si on ne comprend pas bien pourquoi elle ne pouvait pas se tenir dans le cadre de la COP 23 n'a pas de précédent. Curieux car si rien n'est possible sans la finance, son verdissement est douteux - je vous renvoie au rapport d'Attac. Les obligations vertes ne sont ni contrôlées ni régulées. Seules 25 % de ces obligations sont certifiées. Quelles mesures pour garantir que les obligations vertes ne sont pas une escroquerie, une vaste opération de greenwashing ?
Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - Les négociations de l'ONU et le One Planet Summit sont deux choses distinctes. Avec ce dernier, on entre de plain-pied dans l'action.
La grande finance cherche le profit mais c'est cette recherche qui la fera entrer dans l'économie verte. Quel investisseur prendra des risques financiers quand on lui montrera les dangers pour la planète ?
Les obligations vertes sont appelées à se massifier. Récemment j'ai présidé un groupe de travail sur l'évaluation des standards des obligations vertes, pour créer des standards européens.
Mme Nadia Sollogoub . - Allons droit au but : le retrait des États-Unis de la COP 23 a cassé l'ambiance... La présence de maires de grandes villes, de présidents d'universités ou d'associations américains n'a pas suffi à le masquer. L'Europe a manqué l'occasion de parler d'une seule voix. La France a-t-elle tiré toutes les conséquences du retrait du Gouvernement Trump ? La France est - elle prête à assumer un rôle fédérateur sur ces questions ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UC)
Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - Oui, la France a pris toute la mesure de ce retrait. Quelques heures après l'annonce de Donald Trump, le président de la République s'est exprimé en français et en anglais pour encourager à Make our planet great again.
Moi qui ai vécu aux États-Unis, j'ai été saisie de l'ampleur de la mobilisation américaine pour lutter contre le réchauffement climatique après la décision du président Trump et l'appel d'Emmanuel Macron.
Nous, Européens, ne devons pas nous résigner. Nous travaillons d'arrache-pied ; j'étais encore, avant d'entrer dans cet hémicycle, en contact avec mes homologues européens. C'est pourquoi nous avons besoin de votre soutien.
Mme Angèle Préville . - En prévision de la COP 23, les parlementaires africains se sont réunis à Rabat pour préparer une déclaration commune. Leur participation aux émissions au gaz à effet de serre est inférieure à 4 %, le financement d'un plan stratégique de développement en Afrique est une question de réparation et d'équité. Or ils s'inquiètent des moyens du Fonds vert. Ses financements sont à venir ; la sécheresse dans la Corne de l'Afrique et l'ouragan aux îles Vierges sont là. Ces pays sont las des promesses et des beaux discours ; ils vivent dans l'urgence. Leur quotidien, leur vie, leur histoire sont menacés. Les États insulaires où vivent 300 millions de personnes voient leur quotidien directement bouleversé par le réchauffement climatique. J'ai été émue par l'appel de ces parlementaires africains, ils ne demandent pas l'aumône. La France est le cinquième contributeur à ce Fonds. Pouvez-vous détailler selon quelles modalités ?
Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - La France a pris hier des engagements importants. Elle est moteur dans le développement des énergies renouvelables en Afrique subsaharienne et l'alliance solaire internationale aux côtés de l'Inde. Nous sommes en outre engagés dans l'initiative WACA contre la montée des eaux aux côtés de la Banque mondiale, à l'attention des États insulaires.
Dans les Caraïbes, une climate-smart zone a été lancée avec le Caricom.
M. Joël Guerriau . - La COP 23 n'a pas été que la continuité de la COP 21. L'heure est à présent à la mise en oeuvre des engagements pris. Les entreprises se mobilisent. Elles s'étaient réunies pour la première fois à Paris en mai 2015. Hier, 90 entreprises françaises, représentant 6 millions d'emplois dans le monde, ont annoncé vouloir réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. Il est temps de leur donner un rôle. Comment pouvons-nous convaincre toutes les entreprises françaises de prendre part à l'effort ?
Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - C'est une question essentielle car les besoins financiers sont pharaoniques pour assurer la transition écologique. Si nous ne verdissons pas les actions de nos entreprises et notre système financier, nous ne tiendrons pas nos engagements. La France a été pionnière avec les obligations vertes. Il faut les développer. L'article 173 de la loi Transition écologique vise à faire la transparence sur ces obligations vertes, et il fait école ailleurs dans le monde. Nous travaillons également à faire de la place de Paris la première place verte au monde.
M. Joël Labbé . - Le projet 4 pour 1 000 est crucial : il suffirait d'augmenter la capacité de stockage de CO2 des sols de seulement 4 pour 1 000 par an pour résoudre la question des gaz à effet de serre. L'agriculture, qui représente une part du problème puisqu'elle représente 25 à 30 % des émissions de gaz à effet de serre, deviendrait une partie de la solution ! Elle rémunérerait ainsi les agriculteurs pour les services qu'ils rendent à la biodiversité et au climat. Où en est-on de ce projet ?
Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - L'agriculture est plus qu'essentielle dans la lutte contre le réchauffement climatique. Il faut là aussi changer de paradigme et l'initiative 4 pour 1 000 y concourt. Il s'agit d'accroître la séquestration du carbone dans les sols tout en améliorant leur fertilité pour assurer la sécurité alimentaire et en atténuant le réchauffement climatique.
Des progrès importants ont été réalisés : les organes de gouvernance ont été installés à Marrakech en 2016 ; une feuille de route a été définie pour 2017. Présente en Chine lors de la COP de septembre dernier, cette initiative a remporté le prix du World Future Council. Des réunions lui ont été consacrées à Bonn. Elle reste fondamentale, un modèle pour accélérer la transition énergétique dans le domaine agricole.
M. Joël Labbé. - Votre propos introductif, insistant sur le fait que nous étions mal partis pour respecter nos engagements, était rassurant de sincérité. Comme Nicolas Hulot l'a dit, soyons aussi ambitieux pour sauver la planète que nous l'avons été pour sauver les banques en 2008.
M. Gérard Cornu . - Nous devons le succès de la COP 21 à l'évolution de notre diplomatie écologique, qui est passée de la méthode ex cathedra à celle des contributions volontaires. Mais deux ans et deux COP plus tard, nous ignorons si certains États vont réévaluer leurs engagements, ce que deviendra le Fonds vert et comment seront contrôlés les engagements pris. Le dialogue Talanoa est toutefois un bon signe. La diplomatie française se concentrera-t-elle sur l'application des engagements pris ou cherchera-t-elle un rehaussement des engagements ? Avons-nous franchi le seuil d'irréversibilité ?
Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - Cette dernière question mobilise les scientifiques. Quoi qu'il en soit, une réponse positive ne devrait pas conduire à se résigner. Plus que jamais, la France est mobilisée. Elle portera sa contribution de 3 milliards par an en 2015 à 5 milliards par an en 2020, dont 1 milliard pour les mesures d'adaptation. La contribution de la France au Fonds vert s'élève à 774 millions, dont la moitié de dons, ce qui fait de la France le cinquième contributeur au fonds. Notre contribution au fonds environnemental mondial s'élève à 300 millions de dollars pour la période 2015-2018.
L'AFD est aussi très mobilisée : 24 milliards d'euros ont été engagés depuis 2015. Une contribution de 3 millions d'euros sera mobilisée entre 2016 et 2020 pour développer les énergies renouvelables sur le continent africain. (M. François Patriat applaudit.)
M. Frédéric Marchand . - Le temps n'est plus au débat, c'est vrai. L'engagement du monde économique est une bonne nouvelle. La neutralité carbone est un cadre pour construire un monde sans pollution, un cadre qui n'est pas une contrainte mais une promesse d'émancipation. Le Gouvernement entend faire évoluer l'objet social des entreprises, cela exigera une modification du code civil. Pouvez-vous nous préciser votre projet pour faire advenir un capitalisme raisonné ?
Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - L'économie sociale et solidaire représente déjà 12,5 % de notre économie mais il faut aller plus loin. L'intitulé même de notre ministère témoigne de notre volonté à rendre l'économie plus solidaire.
L'économie circulaire fait l'objet d'un vaste chantier. Il faut éveiller les consciences, changer les comportements car ce secteur représente 800 000 emplois et plus de 25 000 autres, non délocalisables, pourraient être créés. Nous devons transformer notre économie pour l'adapter aux enjeux de demain.
Le Haut-Commissaire à l'économie sociale et solidaire participe à cette réflexion et prépare un projet de loi.
M. Fabien Gay . - Il est nécessaire de mobiliser tous les acteurs, financiers compris, autour de la lutte contre le changement climatique et c'est ce qu'a fait le One Planet Summit. Mais la France porte encore le boulet du CETA. Le plan d'action qui l'accompagne est vide, selon les ONG. Le Figaro a révélé en octobre dernier que 64 % des Français étaient opposés à cet accord qui, comme tout accord commercial, fait passer les profits avant toute autre considération. Il accroîtra les émissions de gaz à effet de serre en développant le transport polluant et encouragera l'exploitation des sables bitumineux, en contradiction flagrante avec l'article 2 de l'Accord de Paris. Êtes-vous d'accord pour donner la parole au peuple par référendum sur le CETA ?
Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - À question directe, réponse directe : non, il n'y aura pas de référendum. Mais la commission Schubert a conclu à une occasion manquée en matière de développement durable. C'est pourquoi le Gouvernement a lancé un plan d'action pour mettre sous surveillance cet accord. C'est seulement ensuite que nous envisagerons de ratifier le CETA.
Nous travaillons en lien avec nos homologues canadiens et québécois, notamment sur la question du veto climatique et pour limiter les émissions de gaz à effet de serre issues du commerce entre l'Union européenne et le Canada. M. Lemoyne s'est rendu au Canada avec des entreprises françaises pour mettre en oeuvre ce plan d'action. N'oublions pas que les accords de libre-échange sont porteurs de développement pour nos PME.
M. Pierre Médevielle . - L'euphorie de la COP 21 a été bien refroidie à la COP 23. La prise de conscience est là mais les prévisions les plus pessimistes sont déjà dépassées. L'un des problèmes est la croissance de la population mondiale. Quelque 15 000 scientifiques de 184 pays ont publié une tribune, « Avertissement à l'humanité », qui recommande des mesures démographiques et une stabilisation de la population mondiale à un niveau soutenable, alors que celle-ci devrait augmenter de 30 % passant de 7,5 milliards actuellement à 10 milliards en 2050.
Comment concilier réduction des gaz à effet de serre et accroissement du nombre de consommateurs, qui augmente l'activité industrielle ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UC)
Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - Question difficile, comment concilier développement économique et lutte contre le changement climatique ? Les deux ne sont pas si antinomiques. Nicolas Hulot entend mobiliser les entreprises en faveur de la transition écologique et flécher les investissements vers les projets bas carbone. Le Premier ministre a inauguré une centrale solaire au Burkina Faso. On voit que développement et transition écologique vont ici de pair. Le projet doit nous inspirer.
M. Pierre Médevielle. - Ma question portait sur la démographie...
M. Joël Bigot . - De la COP 23, on retiendra surtout la chaise vide des États-Unis. Le One Planet Summit est resté pauvre en décisions, sauf par exemple sur le charbon.
Des questions de gouvernance concernent le Fonds vert. Quelle est la position du Gouvernement sur le fléchage de l'aide publique au développement vers l'agrobiologie, pour financer la transition ? La Banque mondiale estime que les investissements dans l'agriculture sont les plus efficaces.
Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - Le One Planet Summit visait à mettre en oeuvre les Accords de Paris. Il a eu le mérite d'exister. Douze chantiers ont été lancés : transports, énergie, prévention des risques, eau, financements, etc. Un plan destiné à limiter la dégradation des sols agricoles a été lancé. La France y consacrera 5 milliards par an en 2020 dont un milliard pour l'adaptation au changement climatique. L'agriculture est un axe d'action majeure de changement car ce sont souvent les agriculteurs qui sont le plus important.
Mme Patricia Morhet-Richaud . - (M. Daniel Gremillet applaudit.) Les grands pays pollueurs ne sont pas venus à la COP 23. Comme le disait déjà Jacques Chirac à Johannesburg : « La maison brûle et nous regardons ailleurs ».
La France veut montrer l'exemple dans le domaine climatique. L'espace montagnard, de 124 kilomètres carrés, représente un cinquième du territoire français. C'est une réserve d'eau et de biodiversité. Ceux qui n'y vivent pas voudraient parfois en faire un sanctuaire. Le tourisme est pourtant une activité essentielle qui requiert des investissements. Nous assurons 55 millions de journées skieurs ! Les habitants, dont l'empreinte carbone est plutôt maîtrisée, sont conscients des enjeux du changement climatique car il les frappe trois fois plus que la moyenne mondiale. C'est pourquoi ils ne veulent pas habiter dans des réserves d'Indiens. Il faut éviter qu'il y ait deux poids, deux mesures en France.
Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - Vous posez la question de la solidarité entre les territoires dans la transition énergétique. Mon ministère y est attaché.
Notre plan Climat suppose de changer nos modes de vie, de transport, notamment dans les zones les plus reculées. Mme Borne travaille sur les Assises du transport. Je suis aussi élue d'un territoire rural. Le Gouvernement cherche des solutions spécifiques pour chaque territoire, pour coller à chaque réalité.
M. Jean-Claude Luche . - La COP 21 a joué un rôle essentiel dans la prise de conscience française. La COP 23 poursuit ces objectifs mais je ne comprends pas pourquoi les transports aériens et maritimes ont été exclus, alors qu'un cargo pollue autant qu'un million de voitures individuelles. Les échanges de marchandises par des modes polluants s'accroissent avec le libre-échange, le CETA et le Mercosur : nous pouvons nous inquiéter !
Il faut privilégier la production locale. Les produits fabriqués en Aveyron sont écologiques et préservent les emplois. Comment le Gouvernement tient-il compte de la pollution due aux échanges ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et sur plusieurs bancs du groupe UC ; M. Joël Labbé applaudit également.)
Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - Les accords passés se limitaient aux droits de douane ; ceux de nouvelle génération tiennent compte des barrières commerciales et tarifaires. Ainsi, nous avons déjà mis le CETA sous surveillance. Nous voulons enrichir les chapitres de développement durable, garantir le respect effectif du principe de précaution, la capacité des États à réguler la prise en compte des Accords de Paris. Nous plaidons pour que les chapitres sur le développement durable soient soumis au mécanisme de résolution des conflits.
Mme Nelly Tocqueville . - Le président de la République a redit qu'il voulait que l'Accord de Paris soit celui des faits et non des mots. Le Sénat a voté récemment une résolution unanime affirmant le rôle des territoires pour obtenir un accord mondial ambitieux sur le climat.
Le groupe socialiste soutient toutes les initiatives encourageant la sobriété énergétique. Il importe de modifier localement nos modes de transport et les services publics doivent montrer l'exemple.
Comment mettre en oeuvre une politique d'aménagement du territoire compatible avec les enjeux du réchauffement climatique ?
Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - Ayant grandi dans un territoire rural, je sais le rôle que la voiture tient dans la vie quotidienne. Les populations en sont tributaires. La prime de conversion sera élargie pour faciliter le remplacement des véhicules. De 1 000 euros, elle a été doublée pour les ménages non-imposables. Les Assises de la mobilité se sont penchées sur le sujet.
Des plans de mobilité existent déjà. Il faut passer à la vitesse supérieure. Avec certains États comme les Pays-Bas ou le Costa Rica, des entreprises comme Alstom ou Michelin, et des villes comme Paris, nous avons lancé une réflexion pour développer les transports décarbonés.
Mme Nelly Tocqueville. - L'aménagement du territoire est partie prenante de la transition énergétique.
M. Benoît Huré . - Il a beaucoup été question d'argent à la COP 23, notamment l'alimentation du Fonds vert. À quand une ITER des énergies renouvelables, une ITER du stockage de l'électricité, ou encore du recyclage des métaux ? Je ne comprends pas les propos du président de la République quand il affirme que nous avons imposé aux pays en développement notre modèle industriel et ne pouvons aujourd'hui leur imposer notre propre tragédie. Cessons cette culpabilisation des pays industrialisés.
Tous les pays sont responsables de l'état de la planète. Si les États-Unis sont sortis de l'Accord de Paris, c'est aussi pour éviter de donner des droits à polluer à leurs partenaires.
Les agriculteurs sont en pointe dans l'agrobiologie, la transition écologique et le développement durable. Comment le Gouvernement les soutiendra-t-il ?
Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - Nous ne croyons pas à une solution miracle, unique, imposée d'en haut. Au contraire, nous soutenons toutes les initiatives. L'agrobiologie en est une. La loi d'avenir pour l'agriculture de 2014 en fixe le cadre. L'agrobiologie vise à s'appuyer sur les écosystèmes tout en les régénérant.
D'autres pistes existent comme les aides à la conversion à l'agriculture biologique, soutenues par les fonds européens.
La réflexion est aussi ouverte dans le cadre des États généraux de l'agriculture. Je ne doute pas que nous pourrons compter sur votre expertise et votre contribution.
M. Jean-Michel Houllegatte . - Les énergies marines sont une chance. Or la France est loin derrière ses voisins. En Europe, 4 000 éoliennes off shore. En France, aucune en fonctionnement, malgré 3 400 kilomètres de façade maritime ! La France possède un potentiel de plusieurs gigawatts. Des démonstrateurs, des fermes pilotes ont vu le jour, mais l'absence d'appel d'offres obère toute possibilité de rationaliser la production et de faire baisser les coûts. Le Gouvernement a promis des permis-enveloppes. Le Parlement sera-t-il saisi sur les changements de procédure ? Quel sera le calendrier de ce nouveau projet ?
Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - La programmation pluriannuelle de l'énergie prévoit 3 000 mégawatts en mer et jusqu'à 6 000 attribués en 2023. Nous voulons revoir à la hausse l'offre à l'horizon 2030.
Nous avons lancé des procédures de simplification pour aller plus loin. Le Gouvernement a annoncé le 27 novembre aux Assises de l'économie de la mer que l'État prendrait à sa charge les études préalables et le débat public. Le projet de loi pour une société de confiance prévoit les autorisations de forage en mer. La concertation doit être améliorée pour lever les méfiances. Et le prochain appel d'offres éolien, sur la zone d'Oléron, sera organisé selon les nouvelles modalités.
M. Guillaume Chevrollier . - L'eau c'est la vie, a affirmé le ministre burkinabé de l'eau et de l'assainissement à la COP 23.
L'eau est le premier élément touché par le changement climatique : 90 % des catastrophes naturelles sont liées à l'eau, et 93 % des contributions nationales ont identifié l'eau comme priorité.
Le problème évoqué à la COP 23 est le financement, qui devrait être triplé pour atteindre 255 milliards d'euros par an. L'eau doit devenir la grande priorité nationale. Nicolas Hulot a dit que le modèle français était unique au monde. Exportons-le. Prenons le leadership international. Qu'en pensez-vous, Madame la Ministre ? (M. Daniel Gremillet applaudit.)
Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - La question de l'eau, essentielle, était au coeur des discussions de la COP 23 présidée pour la première fois par un petit État insulaire, les îles Fidji.
Des messages forts sur la nécessaire prise en compte de l'eau ont été délivrés. Une déclaration a été faite pour contenir les stratégies fondées sur l'inspiration de la nature pour trouver des solutions au changement climatique. Une après-midi technique a été consacrée à des focus sur des thématiques comme l'agriculture ou le développement urbain.
M. Daniel Gremillet . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains ; Mme Michèle Vullien applaudit également.) Ne devrait-on pas avoir un plan stratégique national délimité dans le temps, comme autrefois le Plan ?
Il y a un décalage entre la volonté française et la volonté européenne. On ne peut pas afficher deux tendances si différentes. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - La France a une responsabilité unique. Le président de la République l'a rappelé le 26 septembre 2017 à la Sorbonne. Il est parfois difficile d'être ambitieux à 28. Nous pourrions sans doute faire plus et mieux à l'échelon européen. Néanmoins, il est essentiel de ne pas se résigner. En Allemagne, les négociations sont plus longues que prévu pour former un nouveau Gouvernement mais dès qu'il sera formé, nous travaillerons main dans la main. Nous avancerons avec un groupe plus restreint s'il le faut. Je me rendrai lundi au Conseil des ministres de l'énergie et vendredi en Bulgarie pour exposer notre ambition.
M. Daniel Gremillet. - On parle des États-Unis, du CETA. Mais les pays européens sont les concurrents immédiats. On ne peut pas accepter la distorsion.
Le débat est clos.
Aucune observation sur les conclusions de la Conférence des présidents n'ayant été faite, elles sont adoptées.
Prochaine séance aujourd'hui, jeudi 14 décembre 2017, à 10 h 30.
La séance est levée à 0 h 45.
Jean-Luc Blouet
Direction des comptes rendus