Débat sur le thème : « Le retour des djihadistes en France »
M. le président. - L'ordre du jour appelle un débat sur « Le retour des djihadistes en France ».
M. Frédéric Marchand, pour le groupe La République En Marche . - Déradicalisation, réponses judiciaire et carcérale, il n'y a pas de solution simple pour faire face au retour des djihadistes.
La mouvance djihadiste n'est pas nouvelle, elle remonte à l'invasion russe en Afghanistan en 1979. Les combattants étrangers et les vétérans afghans ont joué un grand rôle dans sa diffusion, à la fin de la guerre en 1989 ; ils ont créé des groupuscules dans les pays arabes, en Asie, en Europe.
Dans les années 1990, la Bosnie, l'Algérie ont été de nouveaux terrains, et des Européens partis dans les Balkans ont fondé à leur retour des cellules djihadistes. Ce furent les premiers attentats islamistes en France.
À la fin des années 1990, et au début des années 2000, la montée en puissance d'Al-Qaïda a culminé avec l'attentat du World Trade Center ; puis Daech a suscité un bouleversement majeur en instaurant en 2014 un califat islamiste sur un territoire donné en Syrie et en Irak. Daech a aussi proclamé des provinces en Libye, Yémen, Afghanistan, Pakistan, réaffirmant sa vocation expansionniste. Les allégeances se sont multipliées. La menace s'est intensifiée avec la propagande sur internet et les réseaux sociaux, et avec le phénomène nouveau des loups solitaires.
Les jeunes radicalisés ont souvent un passé de délinquant, de trafiquant, ils sont souvent passés par la prison, et la très grande majorité n'a pas eu de pratique religieuse auparavant. Le voyage initiatique en Irak, en Syrie ou au Pakistan, la figure fascinante du chevalier djihadiste, les vidéos, les tweet s'accompagnent d'une pauvreté des références religieuses. Quel est le statut de la religion dans le djihadisme ?
On estime à 5 000 le nombre de jeunes partis en Syrie. Aujourd'hui, ils reviennent. Mme Benbassa, dans le rapport qu'elle a co-écrit sur le désendoctrinement et le désembrigadement, dénonce le retard pris par la France et parle même de fiasco : on a donné les clés de la déradicalisation à des associations bancales attirées par ce marché. Un ex-responsable a même été condamné à quatre mois de prison pour détournement de fonds.
Au Danemark, ou à Vilvorde en Belgique, l'accompagnement personnalisé sur le lieu de vie avec la collaboration des services publics a donné de bons résultats. C'est le modèle allemand du suivi individuel, appliqué d'abord aux groupuscules d'extrême-droite.
On estime actuellement à 400 hommes, 300 femmes et 500 mineurs le nombre de Français présents dans la zone de combats irako-syrienne et susceptibles de revenir ; 278 sont morts, 302 sont déjà revenus. La plupart sont entre les mains de la justice, en prison ou suivis par la DGSI. Les enfants de moins de 12 ans sont suivis avec attention par le ministère de l'intérieur et de la justice.
Le Premier ministre a précisé que la présence de ressortissants français sur des zones de combat était répréhensible et que notre pays n'organiserait pas le rapatriement de Français ayant combattu la coalition. Le procureur de la République de Paris retient désormais une qualification criminelle pour tous les individus de retour de zones de combat : ils sont placés en garde à vue et encourent vingt à trente ans de réclusion lorsqu'ils ont rejoint les rangs de Daech.
Les femmes bénéficiaient naguère d'un traitement compréhensif car on considérait qu'elles avaient été embrigadées par des recruteurs masculins. Pourtant leur radicalisation n'a rien à envier à celle des hommes. Elles sont aujourd'hui comme les hommes emprisonnées ou soumises à un suivi judiciaire ou administratif, éventuellement à un sursis avec mise à l'épreuve, avec suivi individualisé. Enfin, les mineurs non combattants sont placés par les services de l'aide à l'enfance (ASE) des conseils départementaux. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice . - Vous avez raison, l'émergence du djihadisme a eu des conséquences individuelles mais aussi sociétales importantes.
Les revenants majeurs font l'objet d'une judiciarisation systématique et d'un suivi individualisé. La judiciarisation intervient dès le retour, si des éléments suffisants montrent que les individus se sont rendus sur un théâtre de conflit pour rejoindre un groupe combattant.
En pratique, cela signifie qu'ils sont mis en examen, placés en détention ou sous contrôle judiciaire. Jusqu'en 2015, le parquet réclamait le renvoi au titre de l'association de malfaiteurs terroristes, délit passible d'une peine de dix ans de prison.
Cette pratique a évolué de façon pragmatique, et l'association de malfaiteurs terroristes est à présent un crime et non plus un délit ; il est passible de vingt ou trente ans de prison. Il faut démontrer la participation effective au fonctionnement - à quelque fonction que ce soit - à un groupe responsable d'exactions sur la population locale.
Les services de renseignement ont récemment recensé 244 majeurs ayant combattu en Syrie ou en Irak et rentrés en France, dont 178 hommes et 66 femmes ; la plupart sont judiciarisés, les autres sont suivis administrativement par la DGSI.
Parmi eux, une quarantaine ont vu leur situation classée sans suite faute de preuves, mais le suivi administratif se poursuit. Il s'agit surtout de femmes.
Les autres n'ont pas encore été soumis à la justice, car ils sont partis et revenus il y a longtemps : des enquêtes sont nécessaires. Deux d'entre eux seront prochainement interpellés dans le cadre d'une procédure judiciaire.
Tous font l'objet d'un suivi personnalisé. Pour les 175 personnes placées en détention, il y a d'abord une procédure d'évaluation dans les quartiers d'évaluation de la radicalisation. Après quatre mois, l'administration pénitentiaire choisit la solution de détention la plus adaptée, au sein des 78 établissements de détention concernés. Les services du Bureau central du renseignement pénitentiaire (BCRP) ont vu leurs effectifs renforcés, avec 35 créations de postes en 2018 et des actions de formation spécifique. Le renseignement pénitentiaire dispose aussi d'une autonomie technique.
Il ne faut pas non plus négliger le suivi après la détention. Une note de signalement très détaillée sur le détenu est diffusée à sa sortie à tous les services de renseignement, à la police et à la gendarmerie. Ils sont suivis par deux juges d'application des peines spécialisées en terrorisme, les Japat.
Un mot sur les mineurs. Leur prise en charge varie selon leur âge. Souvent ils ont moins de 10 ans. Les poursuites judiciaires n'ont pas lieu d'être, bien sûr... Des mesures éducatives sont prises par la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) et de l'ASE. Ils sont 56 dans ce cas. Huit aujourd'hui sont poursuivis pénalement. Tous sont suivis sur le plan psychologique. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM ; applaudissements sur quelques bancs des groupes SOCR, UC et Les Républicains)
Débat interactif
M. Roger Karoutchi . - Le procureur de Paris considère que ceux qui reviennent sont plutôt des déçus de la défaite que des repentis. Le ministre des affaires étrangères souhaite qu'ils soient jugés en Irak tandis que Mme Parly souhaite des solutions plus radicales sur place....
La réponse judiciaire s'est durcie fin 2015. Notre droit est-il suffisant pour protéger les Français face au défi djihadiste ? Beaucoup sortent déjà de prison...
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. - Nous ne pouvons pas obliger les autorités irakiennes à extrader les djihadistes français. Pour ceux qui arrivent sur le territoire français, vous me demandez si le droit est suffisant. Bien sûr, certains vont sortir de prison : c'est cela, l'État de droit !
Depuis 2016, le procureur de Paris a renforcé les sanctions en criminalisant ce qui relevait auparavant du délit. Les condamnations peuvent désormais aller jusqu'à trente ans.
M. Roger Karoutchi. - Je ne doute pas de votre volonté ni de celle des magistrats. Mais entre le droit et la sécurité, l'équilibre est difficile. Les Français vous font confiance mais j'espère qu'il n'y aura pas d'incidents.
M. Bernard Cazeau . - Que faire des revenants ? Depuis la prise de Raqqa, la question prend de l'ampleur. Les revenants menacent de se diluer dans la population pour exporter le conflit, notamment en France ; ce sont des bombes à retardement. Quelque 398 ont été mis en examen ; mais 600 djihadistes français sont encore en Syrie, avec 295 femmes et 400 enfants.
Le 13 novembre 2017, le président de la République a appelé à une gestion au cas par cas. Les enfants, cet héritage empoisonné de Daech, ne peuvent pas être traités comme des criminels de guerre ! Que faire pour qu'ils ne deviennent pas une menace à terme ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. - Toute personne qui revient fait l'objet d'une judiciarisation systématique. Depuis la loi de juillet 2016, la peine maximum encourue est de trente ans, elle est prononcée par la cour d'assises spéciale.
Les demandes de rapatriement émanant des personnes encore sur zone seront traitées par le Quai d'Orsay, au cas par cas ; la judiciarisation sera systématique, je le redis, à l'arrivée en France. Toutefois, il y a peu de demandes.
Mme Esther Benbassa . - Dans votre lettre du 12 décembre, Madame la Ministre, vous ne donnez pas le feu vert à la création d'une commission d'enquête au Sénat sur le retour des djihadistes en raison de procédures en cours. Pourtant, cela s'est déjà fait !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. - Je suis étonnée par votre question. Dès lors qu'il y a une enquête en cours, je réponds systématiquement que la constitution d'une commission d'enquête est délicate.
Mme Esther Benbassa. - La chose s'est déjà produite !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. - Je vais le vérifier.
M. Yves Détraigne . - Le retour des djihadistes est notre plus grand défi de sécurité. Que font-ils ? Quand rentreront-ils ? Cette question ne se pose pas seulement pour les ressortissants français mais pour tous ceux qui se mêlent aux flux de l'immigration, notamment les demandeurs d'asile. Il ne s'agit pas de faire un amalgame, mais ne soyons pas naïfs. Comment, sur les 80 000 demandes enregistrées par l'Ofpra chaque année, n'y aurait-il pas des djihadistes ?
Quels moyens déployez-vous pour détecter les profils à risque ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UC ; Mmes Christine Bonfanti-Dossat et Nicole Duranton, M. Sébastien Meurant applaudissent également.)
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. - La justice a la volonté extrêmement forte de lutter contre les filières d'immigration irrégulière. Ces personnes peuvent être des mineurs non accompagnés. Là aussi, ils font l'objet d'une évaluation homogène, étroitement menée entre la police de l'air et des frontières et la justice, qui mènent ensemble un travail d'harmonisation des procédures. Enfin, la collaboration est extrêmement étroite entre la section C1 du Parquet de Paris et la DGSI.
Mme Laurence Rossignol . - Parmi les atrocités commises par l'État islamique, il y a le sort réservé aux Yezidis, dont les hommes ont été massacrés et les femmes et les jeunes filles réduites en esclavage sexuel et domestique. L'on pourrait, à l'encontre des coupables de ces sévices, retenir le chef de traite d'êtres humains. En faisant raconter aux victimes leur vie dans l'État islamique, nous pourrions détecter les revenants concernés.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. - Cette question humaine est extrêmement douloureuse. Nous partons, par pragmatisme, parce que l'établissement de la preuve est plus simple, d'une qualification terroriste, qui permet de punir le simple fait d'avoir rejoint une organisation terroriste. Si, au cours de l'enquête, il apparaît que d'autres incriminations pourraient être retenues, elles le sont, au cas par cas, selon les éléments recueillis.
Mme Laurence Rossignol. - Je comprends le choix de l'efficacité. Pour autant, je m'inquiète de savoir si les juges recherchent les faits de traite des êtres humains.
En attendant de savoir si l'État islamique sera traduit devant la Cour pénale internationale, la France doit agir en reconnaissant ce crime.
Mme Catherine Troendlé . - Mme Benbassa et moi-même avons travaillé sur la déradicalisation, notamment de femmes revenues de Syrie. Nous n'avons pas anticipé la situation. Des jeunes femmes en quête du mari idéal, d'une vie romanesque, se sont vues transformées en ventres à produire des soldats. Combien sont-elles ? À Pontourny, la déradicalisation peine à produire ses effets. Ces femmes sont séparées de leurs enfants. Comment les prendre en charge, elles et leurs enfants ? Quid des enfants-soldats ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. - Mesdames Troendlé et Benbassa, je vous avais rencontrées pour une présentation de votre rapport, fort intéressant. Ces femmes sont parties pour trouver le mari idéal - qui, comme nous le savons toutes, n'existe pas. (Rires ; Mmes Nadia Sollagoub, Christine Bonfanti-Dossat et Sylvie Goy-Chavent applaudissent.) À leur retour, elles sont judiciarisées comme les autres revenants.
L'évaluation est pluridisciplinaire. La prise en charge mère-enfant existe. Si les mères sont en prison, la protection judiciaire de la jeunesse organise des visites.
Mme Catherine Troendlé. - Mais les enfants-soldats, qu'en fera-t-on ?
M. Martin Lévrier . - Quelques centaines de mineurs sont encore sur le sol irako-syrien. Lionceaux du califat, enfants de familles parties là-bas ou nés sur place, ils reviendront sous peu sur le sol français. Ils sont de véritables bombes à retardement.
Ils ne sont pas responsables des choix de leurs parents. Comment favoriser leur insertion dans la société ? Le programme Recherche et intervention sur les violences extrémistes (RIVE) est un programme obligatoire suivi par 14 adultes. Quels sont les résultats de cette expérimentation. Est-elle transposable aux enfants ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. - Ces enfants n'ont pas demandé à aller en Syrie. Nous ne pouvons cependant ignorer ce qu'ils ont vu, ni leur embrigadement. Tout mineur est pris en charge par un juge. Ceux qui ont agi peuvent être sanctionnés pénalement. Les plus jeunes sont suivis par la PJJ qui met en place des programmes spécialisés.
Les jeunes radicalisés sont pris en charge spécifiquement 24 heures sur 24 par des éducateurs, ce qui est d'ailleurs assez onéreux.
Le dispositif RIVE a été conçu uniquement pour les adultes, mais la prise en charge par des associations spécialisées pour les mineurs s'en inspire fortement.
M. Olivier Cigolotti . - L'organisation terroriste ne contrôle plus de territoires importants. Une partie des combattants se sont enfuis. Nos services de renseignement les suivent-ils ?
Or sur le territoire de l'État islamique vivaient 460 mineurs français, dont un tiers né sur place. Ils ont majoritairement moins de 15 ans et pourraient se glisser parmi les mineurs non accompagnés.
Avons-nous suffisamment d'éducateurs spécialement formés ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UC)
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. - Vous avez raison sur l'analyse : beaucoup de Français ont été sur les zones de combat ; la DGSE estime qu'ils évoluent vers d'autres filières et d'autres pays, en Asie ou au Sahel.
Les préfets réunissent tous les services, DGSI, DGSE, PJJ, procureurs, susceptibles de faire remonter des informations sur les mineurs en cause et qui peuvent faire partie des mineurs non accompagnés. S'agissant de ces derniers, nous souhaitons que leur évaluation soit prise en charge par l'État et que les évaluations soient harmonisées ; je souhaite également que ces évaluations alimentent un fichier, même si je n'aime pas ce terme, afin de limiter la dispersion de ces enfants de département en département. Il ne faut pas qu'une personne déclarée majeure dans un département puisse être reconnue mineure ailleurs.
M. Michel Dagbert . - Avant même les attentats de 2015, les gouvernements ont eu à coeur de cerner le phénomène. Lors du Conseil justice et affaires intérieures de juin 2013, votre prédécesseur Mme Christiane Taubira, et M. Manuel Valls, ministre de l'Intérieur, ont demandé au coordinateur européen de la lutte contre le terrorisme, Gilles de Kerchove, de recenser les mesures qui pourraient être prises. La Commission européenne, en 2015, a précisé les mesures à prendre. Contrôles systématiques aux frontières, lutte contre la fraude aux documents d'identité, fichier aérien, lutte contre la propagande terroriste sur internet sont à présent une réalité, mais des failles subsistent et l'approche européenne doit être renforcée. Le réseau européen Radicalisation Awareness Network (RAN) évalue à trois mille le nombre de revenants potentiels sur le sol européen.
Dans le cadre du Conseil justice et affaires intérieures, que pourrait proposer la France ? Quel mandat a été confié au groupe d'experts de haut niveau sur la radicalisation (HLEG-R), pour quelles actions concrètes ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. - Vous citez à juste raison le RAN, qui joue un rôle important. Des échanges informels ont eu lieu avec Eurojust, Europol, ou encore le coordinateur européen contre le terrorisme, Gilles de Kerchove - en particulier sur ce qui relève de « bonnes pratiques » en la matière.
Une nouvelle directive de lutte contre le terrorisme, du 15 mars 2017, pénalise le fait de participer ou soutenir le départ vers une zone de combat terroriste. Les pays à la législation plus permissive ne sont donc plus susceptibles de servir de refuge aux terroristes de retour. Le commissaire européen en charge de la sécurité m'a consultée sur nos pratiques et m'a fait comprendre que nous avions une longueur d'avance, c'est une indication.
M. Henri Leroy . - Les Français partis faire le djihad sont des djihadistes. De retour en France, faut-il les regarder comme des repentis ? Des revenants ? Quel sort leur réserver, sachant qu'ils ont été endoctrinés et en rupture totale avec nos valeurs républicaines, démocratiques, intellectuelles, culturelles et identitaires ?
Les chefs d'inculpation sont nombreux : crime de guerre, crime contre l'humanité, association de malfaiteurs avec une entreprise terroriste... Ils encourent trente ans de réclusion criminelle, il faut leur ôter toute capacité de nuire. Le livre IV du code pénal est largement consacré à ces infractions. Le retrait de la nationalité est même possible. La répression est le seul rempart à la menace qui pèse sur notre sécurité. En êtes-vous convaincue ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. - Oui, je suis convaincue que la répression est une arme. Mais nous sommes dans un État de droit : toute personne qui a purgé sa peine... l'a purgée.
Ces personnes sont en rupture totale avec nos principes républicains, je vous rejoins ; elles doivent donc avoir affaire à un juge. Je l'ai dit tout à l'heure. Nous appliquons des sanctions puissantes, puis un suivi administratif très serré, je puis vous l'assurer, conformément à nos principes républicains.
Je ne souhaite pas rouvrir le débat de la déchéance de nationalité, elle existe, mais ne peut concerner que les détenteurs d'une double nationalité.
M. Henri Leroy. - Les revenants sont coupables a minima d'intelligence avec l'ennemi ou d'avoir rejoint une armée étrangère. Ce sont donc des traitres à la Nation, qui doivent faire l'objet de mesures drastiques. La déchéance ne doit pas être écartée. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
Mme Sylvie Goy-Chavent . - Nous avons tous en mémoire les terribles attentats de Paris et de Nice et celles des atrocités commises par les membres de l'État islamique dans la zone irako-syrienne. Au sein de Daech, les combattants dits « étrangers » sont les plus déterminés et, souvent, les plus sadiques. Aussi leur retour nous interroge-t-il sur notre capacité, dans un État de droit, à les empêcher de nuire.
Florence Parly a récemment parlé sans détour : s'ils périssent au combat, c'est tant mieux - ces termes me conviennent bien. Mais que fait-on de tous les autres, en particulier les mineurs qui sont rendus à leur famille où l'on cultive souvent la haine de la France, des juifs et des mécréants ? L'État de droit restera-t-il impuissant face à ce qui menace son existence même ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UC et sur quelques bancs du groupe Les Républicains)
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. - Votre question a le mérite de synthétiser les choses qui ont été dites jusqu'à présent...
Comment empêcher des familles de nuire ? Il me semble que, - j'espère ne pas me leurrer - que notre dispositif est un filet aux mailles assez serrées : tous ceux qui reviennent sont placés en détention ou sous contrôle judiciaire. Les enfants font l'objet, a minima, d'une prise en charge éducative, voire d'une détention s'ils sont adolescents. Nos services sont d'une grande efficacité et ils sont très déterminés. Autre chose est l'hypothèse du retour en France d'une personne qui n'aurait pas été repérée auparavant - mais c'est de plus en plus difficile. Je ne peux vous révéler le contenu des conseils de défense, mais je vous assure que chaque semaine, nous savons qui est où et qui fait quoi. Nous sommes déterminés à protéger nos concitoyens.
Mme Sylvie Goy-Chavent. - Depuis Charlie, rien n'a changé sur le fond...
Mme Laurence Rossignol. - C'est n'est pas vrai !
Mme Sylvie Goy-Chavent. - Ne faut-il pas mettre en place, dans notre État de droit, de nouveaux outils de détection et de déradicalisation ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UC)
M. Yves Daudigny . - Les personnes revenant de Syrie ou d'Irak relèvent d'une réponse pénale, dans la mesure où elles ont coopéré, directement ou indirectement, à des actions terroristes. Reste la question de savoir si elles ont agi librement ou sous la contrainte, ce qui nous demande de disposer d'informations fiables et de preuves. Quels sont les moyens mis en oeuvre à cet effet ?
Certains revenants se présentent comme repentis, ou disent être revenus de leur période de radicalisation - leur expérience est précieuse ; d'autres encore feignent de n'être plus radicalisés, restant des terroristes « dormants ». De plus, la notion même de déradicalisation est contestable, dès lors que la radicalité se définit comme une intention immuable.
Qu'attendre des éducateurs, psychiatres et pédopsychiatres pour la déradicalisation de ces personnes. Aucune approche ne semble porter ses fruits. Merci de nous tenir informés, Madame la Ministre, de la manière dont votre ministère appréhende le phénomène des « repentis ».
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. - Le Gouvernement a fait clairement le choix de ne pas mener de politique active de rapatriement. Nous ne prenons de décisions qu'au cas par cas. Les autorités irakiennes ont dit ne pas vouloir extrader les djihadistes français capturés pour les juger sur place. Nous en prenons acte.
Quant aux autres, la plupart sont remis aux autorités turques ; en vertu du protocole français-turc dit Cazeneuve, ces personnes sont placées en détention, puis transférées vers la France et judiciarisées.
La déradicalisation est un mot sans doute mal adapté à ce phénomène, comme l'ont fait remarquer Mmes Troendle et Benbassa. Je préfère parler de désengagement d'un phénomène de violence. L'efficacité de ces processus de désengagement est réelle sur des personnes modérément engagées dans un processus de violence. Tel est le constat que nous pouvons faire à ce stade.
Mme Christine Bonfanti-Dossat . - Plus de 300 personnes sont déjà revenues de zones djihadistes, dont 66 femmes et 56 mineurs ; plus de 400 seraient encore sur place. La loi de 2016 a permis de renforcer la judiciarisation des femmes. Leurs enfants sont traités comme des orphelins classiques mais, comme le souligne le procureur de la République, ils peuvent être des bombes à retardement.
Dans les foyers, quels liens auront-ils avec les autres enfants ? Dans la famille d'accueil, quelles seront les conséquences de l'arrivée d'enfants ayant connu des traumatismes ? Chez un proche, comment les éloigner de l'islam politique ?
En septembre, le président de la République avait annoncé des propositions d'ici la fin de l'année pour la prise en charge des enfants ; où en est-on ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. - Effectivement, les mineurs sont des risques pour eux-mêmes et pour la société. Ils sont pour la plupart très jeunes : moins de 10 ans pour les trois quarts. Arrivés en France, ils font l'objet d'une ordonnance de placement provisoire, d'un bilan psychologique, et le juge des enfants sollicite une évaluation de leur situation par la PJJ pendant six mois.
Puis une évaluation renforcée associe la PJJ et les services départementaux. Ils bénéficient ainsi d'un double suivi - aide sociale à l'enfance et assistance éducative en milieu ouvert. Une circulaire de mars 2017 précise que leur scolarisation est systématique et que la cellule départementale de suivi du risque de radicalisation informe l'Éducation nationale afin de choisir au mieux l'établissement scolaire où ils peuvent être accueillis.
Vous le voyez, le suivi est très poussé.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie . - Plusieurs centaines de Français sont déjà rentrés, le procureur Molins parle de quelques centaines susceptibles de revenir encore. Quelle vision le Gouvernement a-t-il sur la suite des évènements ? La plupart des personnes recouvreront leur liberté dans quelques années conformément aux règles de notre droit. D'autres pays ont fait d'autres choix. Des exemples étrangers au Danemark, en Allemagne, en Belgique pourraient nous inspirer. Quelle est votre conviction profonde ? Que faire pour que ceux qui reviennent demain se réinsèrent dans la société ? Quoi d'autre qu'un fichage et qu'un suivi administratif ? Qu'entendez-vous faire pour les personnes et pour la société ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. - Je me pose souvent cette question. Je ne suis pas sûre que toutes les personnes seront réinsérées dans la société. Mais que ferons-nous de celles qui ne se réinsèrent pas ? Malgré tout, c'est le devoir de la société de toutes les réinsérer. Plusieurs centaines de Français sont partis sur les zones de combat, mais on ne constate pas d'afflux massif au retour.
La période de préparation à la sortie de prison est essentielle. Les juges d'application des peines, les services pénaux d'insertion et de probation (SPIP) dont nous renforçons les moyens, et les associations travaillent déjà à la réinsertion - nous ne laissons pas les revenants entre les seules mains des services de renseignement.
Mme Nicole Duranton . - La France a connu de nombreux attentats. J'ai une pensée pour le père Hamel assassiné à Saint-Étienne-du-Rouvray. La menace ne faiblit pas, malgré le renforcement des lois antiterroristes.
Les centaines de Français partis en Syrie ont pris les armes contre le peuple français, pourquoi la France devrait-elle accepter de les rapatrier en prenant un risque supplémentaire ? La vie est une suite de choix, ceux qui sont partis en Syrie doivent assumer les leurs.
Restent les enfants. Ce serait l'honneur de la France d'organiser leur retour. Quant aux femmes, si certaines sont des victimes, beaucoup ont fait le choix de l'idéologie djihadiste. Elles sont même souvent le moteur de la radicalisation dans le couple quand l'homme préfère le combat. Faut-il rapatrier ces femmes ? Nos prisons sont déjà des foyers de radicalisation. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. - Non, la menace ne faiblit pas, elle est surtout diffuse et ne provient pas uniquement de ceux qui reviennent de Syrie. Je le redis : la France n'a aucune politique de rapatriement actif. Nous prenons acte de la volonté de l'Irak de juger ces djihadistes sur place. Un accord a été conclu avec la Turquie. Une Française jugée en Irak avec ses quatre enfants demande le rapatriement de ces derniers. Chaque situation fait l'objet d'une étude au cas par cas - le quai d'Orsay examine celui de cette femme.
Enfin, aucun statut de repenti n'a été accordé à ces combattants. Aucun.
M. Sébastien Meurant . - Vous héritez d'un contexte géopolitique terrible, qui n'est pas nouveau. Certains ont évoqué l'Afghanistan comme première cause du djihadisme. Pour moi, c'est la révolution iranienne, puis le wahhabisme en Arabie saoudite, puis encore le financement des djihadistes par les pétromonarchies.
Nous sommes confrontés à des personnes qui sont prêtes à mourir pour leur foi. Que faire ? Les frontières sont poreuses. Les fermerez-vous ? Fermerez-vous aussi les mosquées salafistes où l'on professe la haine de ce que nous sommes ? Enfin, informerez-vous les maires, dernière colonne vertébrale de la citoyenneté, qui souhaitent pouvoir protéger leur population - les informerez-vous de la présence sur leur territoire, de personnes fichées « S » ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains ; Mme Michèle Vullien applaudit également.)
Mme Laurence Rossignol. - Ben voyons !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. - Je n'hérite pas de ce contexte, c'est collectivement que nous sommes confrontés à ce problème. Vous opposez l'État de droit, que nous défendons tous et qui est fondé sur la règle, à des personnes poussées à l'action par des principes qu'elles pensent religieux et mues par un idéal, une fragilité, ou quelque autre cause socio-économique ou sociologique.
Sur les frontières, le ministre de l'intérieur a pris de nombreuses dispositions pour renforcer les contrôles aux frontières grâce à des dérogations au processus Schengen. La loi de lutte contre le terrorisme permet de fermer des mosquées salafistes.
Enfin, la liste des fichés S est réservée aux services de l'État.
Mme Laurence Rossignol et plusieurs autres sénateurs socialistes. - Heureusement !
M. Joël Guerriau . - En février dernier, un rapport sénatorial soulignait l'inefficacité des politiques de déradicalisation, suggérant que les centres spécialisés étaient inutiles. De nombreuses interrogations pèsent sur certains dispositifs comme le centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l'islam, de Mme Dounia Bouzar. La radicalisation n'est pas une maladie qu'il faudrait traiter, mais bien un fait social à combattre - et l'on ne traite le social que par le social, comme disait Pierre Bourdieu. D'autres pays l'ont bien compris : des expériences réussies en Norvège, Allemagne et Pays-Bas pourraient nous inspirer. Ces pays fondent leur action sur la volonté politique d'intégrer les communautés musulmanes locales et des acteurs sociaux variés, sans stigmatisation ni mise au ban de la société. Leur approche est englobante, elle prend en compte l'environnement familial, social, scolaire, culturel et géographique pour se rapprocher d'un traitement au cas par cas.
Face à la menace, l'Union européenne doit être unie. Comment défendrez-vous une approche commune ? Les moyens seront-ils au rendez-vous ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. - Le réseau européen de sensibilisation à la radicalisation, le RAN, mentionne l'expérience française de déradicalisation comme une bonne pratique. Au Conseil Justice et affaires intérieures, chacun est très volontariste sur ce sujet.
Ce qui fonctionne bien est un suivi au cas par cas, avec des solutions adaptées. Cette approche n'exclut pas une réflexion globale sur l'intégration économique et sociale des personnes. Cela dépasse le cadre des politiques de déradicalisation et mobilise l'ensemble des politiques de la ville et des politiques sociales.
Le débat est clos.