Développement du fret ferroviaire
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, relative au développement du fret ferroviaire.
Mme Éliane Assassi, auteure de la proposition de résolution . - L'urgence climatique nous impose de réduire nos émissions de gaz à effet de serre, faute de quoi, les dérèglements climatiques seront à niveau tel qu'ils seront irréversibles. Le temps nous est compté. L'accord de Paris doit se traduire vite. Le secteur des transports est particulièrement émissif. Entre route et rail, le rapport d'émission de dioxyde de carbone est de 1 à 3,7 selon l'Agence européenne de l'environnement. Dès 2009, la loi fixait un objectif de réduire les émissions par le transport en faisant passer de 14 à 25 %, à l'horizon 2022, la part des modes alternatifs à la route. Moins de dix ans plus tard, nos politiques publiques ont tourné le dos à ces objectifs. Entre 2008 et 2014, le tonnage-kilomètre transporté par le rail a baissé de 21 %.
Le recul du trafic s'est accompagné d'une casse de l'outil. Notre pays compte 300 gares de fret et 7 grands sites de triage. Les sites de triage de Miramas, Sotteville-lès-Rouen et Hourcade sont dans une situation difficile.
Au niveau européen, un double discours domine et la contradiction est grande entre l'objectif de 30 % de report des échanges vers le fret et la politique libérale qui organise la privatisation rampante des opérateurs, livrant le service public ferroviaire aux appétits du privé.
En France, les gouvernements successifs, malgré leurs déclarations d'intention, n'ont fait qu'accentuer les déséquilibres menant à une concurrence déloyale fondée sur le dumping social, économique et environnemental, qui réduit l'offre de fret ferroviaire et dégrade notre environnement. Le 3 juillet dernier, la Cour des comptes s'est interrogée sur cette contradiction. La politique favorable dont bénéficie la route se traduit en particulier par l'autorisation des 44 tonnes et par l'abandon regrettable de l'écotaxe : la route, payée par la collectivité, reste donc financièrement plus compétitive.
Si depuis 1980 le réseau autoroutier est passé de 4 900 à 11 000 kilomètres, le réseau ferré a, lui, régressé de 34 000 à 29 000 kilomètres. De plus, les infrastructures sont en mauvais état et jugées peu fiables par les opérateurs économiques. Le mode ferroviaire est sommé de s'autofinancer, ce qui est impossible. La loi de 2014 accentue cette tendance. Si le Gouvernement veut faire une pause dans l'investissement, nous pensons au contraire qu'il faut - sans revenir au tout TGV - créer des investissements utiles, en accord avec les habitants.
Le projet de loi de finances n'inscrit que 18 millions d'euros pour le soutien au fret ferroviaire, alors que l'aide au transport combiné dépassait 90 millions en 2002. La Cour des comptes appelle à plus d'investissement public, nous pensons également qu'il faut réévaluer la subvention au transport combiné dite « coup de pince ».
La part du marché du fret a été réduite de moitié depuis sa libéralisation en 2003 et en 2006. Les conditions de travail ont été aggravées. L'opérateur historique est passé de 500 000 wagons chargés en 2005 à 150 000 en 2014, divisant son personnel par deux.
Les opérateurs privés sont dans une situation difficile. Veolia-Cargo s'est retiré dès 2009 et la filiale de la Deutsche Bahn, ECR, commence un plan social qui menace 300 emplois en France. Le schéma directeur que la SNCF a présenté en 2009, prévoit une baisse de 60 % des wagons isolés, alors que cette branche représentait alors 42 % du volume transporté par le fret ferroviaire et qu'elle avait un potentiel de développement.
Cette politique équivaut à augmenter le trafic routier de 1,2 million de camions par an, soit 300 000 tonnes de CO2 par an ! Le fret ferroviaire a été laissé à l'abandon. Il faut préserver les lignes capillaires, les triages, les gares fret. Il faut préserver du foncier pour les infrastructures dans les zones tendues, le fret dans les ports ; imposer la création d'un ITE dans toute nouvelle zone d'activité économique reliée au réseau ferré et décider d'un moratoire sur l'abandon partiel de l'activité wagon isolé de la SNCF.
Cette proposition de résolution préconise de déclarer le fret ferroviaire d'intérêt général ; Fret SNCF doit donc recevoir les moyens pour accomplir ses missions de service public. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE ; M. Raymond Vall et Mme Josiane Costes applaudissent également.)
Mme Angèle Préville . - Cette proposition de résolution, dont nous partageons l'objectif, pose les bonnes questions. La politique d'État a été tiraillée entre soutien aux frets ferroviaire et routier. Il faut sortir de cette ambiguïté mortifère. Fret SNCF connaissait en 2015 une perte de 253 millions d'euros !
Le décret du 30 mars 2017 est l'exemple de mesure concrète pour permettre aux entités locales de reprendre des lignes en voie de fermeture. Sur 2008-2014, le fret ferroviaire a baissé de 8,2 milliards de tonnes kilomètres, soit 21 %.
La loi de 2014 visait entre autres à maîtriser la dette. Elle a créé les conditions d'un redressement durable du secteur ferroviaire. La dette de la SNCF est pourtant repartie à la hausse, jusqu'à 40,8 milliards cette année pour atteindre 63 milliards en 2026, soit 40 % de plus qu'en 2016.
L'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer) dénonce une dette sous-estimée. Elle pointe l'insuffisance des financeurs, c'est-à-dire l'État. La volonté de l'État a été contradictoire, comme en témoigne l'abandon de l'écotaxe. Le Gouvernement doit prendre des mesures. Le fret ferroviaire ne peut plus être le parent pauvre du secteur des transports.
La différence d'émission est frappante : 2 grammes par tonne kilomètre pour un train à traction électrique, 50 grammes pour un train à traction diesel et 196 grammes par semi-remorque de 32 tonnes.
Le One Planet Summit qu'organisait le président de la République devrait l'inciter à être concret.
Le groupe SOCR soutiendra cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR ; Mme Laurence Cohen applaudit également.)
M. Jérôme Bignon . - Nos collègues ont raison : il y a urgence. L'ouverture progressive à la concurrence a fragilisé le secteur. Fret SNCF n'est plus viable économiquement d'après la Cour des comptes. Le secteur est éclaté en dix-huit entreprises dont trois filiales de l'opérateur historique. En dix ans, l'activité wagon isolé a été divisée par six. La dette du groupe, de 1,8 milliard en 2008, est passée à 4 milliards en 2014 et atteindra 5,1 milliards en 2020.
Restructuration chez ECR, la filiale de la Deutsche Bahn, restructuration prévue aussi chez Fret SNCF. Des efforts ont pourtant déjà été faits avec la réduction par deux du personnel et la rationalisation du matériel. La faute en est plutôt à l'État, au précédent gouvernement, en l'occurrence. Le fret ferroviaire ne représente que 9,3 % du trafic de marchandises. Et il y a une mauvaise utilisation du réseau : 31 % du réseau ne voit passer que 1 % du trafic.
Le groupe Les Indépendants est préoccupé de l'état du fret ferroviaire ; pour autant, il ne partage pas les propositions de cette résolution. La reprise de la dette est une piste, à condition d'être examinée dans un ensemble plus large ; la SNCF devra accepter une réforme de ses statuts et de celui de ses agents s'il veut que sa dette soit reprise. L'État ne peut plus s'endetter davantage. Il faut donc déplacer les engagements financiers en ayant le courage de soutenir les transports du futur.
Si nous partageons l'inquiétude de nos collègues, nous ne pouvons que voter contre ce texte : il faut faire tout autre chose ! À commencer par une refonte totale de l'organisation des acteurs du secteur.
M. Raymond Vall . - Merci au groupe CRCE de nous permettre de débattre de ce sujet crucial.
Le fret ferroviaire a chuté d'un tiers depuis quinze ans. De son côté, l'Europe aura du mal à tenir ses engagements ambitieux. Cela fait dix ans que je me bats pour trouver 7 millions d'euros et sauver les cinquante kilomètres de voie ferrée en milieu rural, qui constituent la seule ligne de chemin de fer du Gers. Or la construction de cette ligne coûterait 80 millions d'euros : c'est ce qu'on perdra en ne rénovant pas cette ligne, qui est pourtant indispensable au fret de la production des fruits et légumes de notre territoire. Toutes les voies ferrées capillaires, pourtant indispensables pour acheminer les productions agricoles vers les ports, vont fermer. Seuls 30 kilomètres de toutes ces voies ferrées de Midi-Pyrénées sont utilisés, sur quelque 220 kilomètres. Difficile en revanche, de soutenir une réintégration de 45 milliards de dette de RFF.
Que pensez-vous de l'abandon de l'écotaxe, Monsieur le Ministre ? Faut-il renforcer la partie de la fiscalité verte au budget de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf) ?
Les régions doivent s'emparer de ce problème et être dotées de fonds supplémentaires. Comment trouver de nouvelles ressources ? Faut-il penser une nouvelle écotaxe ? Les voies ferrées sont les seules voies de maillage aux zones rurales, qui doivent stocker sur place.
Le groupe RDSE ne pourra pas voter cette proposition de résolution, à l'exception de MM. Labbé et Dantec. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE)
M. Gérard Cornu . - Cette proposition de résolution est l'occasion de rappeler notre attachement au système ferroviaire. Il est aujourd'hui incontestablement pénalisé au regard de ses concurrents. Le fret ferroviaire est pertinent pour des transports à longue distance de produits massifiés ou dangereux.
Lors du Grenelle II, la commission des affaires économiques et du développement durable, alors une et indivisible, avait créé un groupe de travail présidé par Francis Grignon, qui avait produit un rapport intitulé «Fret ferroviaire : Comment sortir de l'impasse ? ».
Madame Assassi, nous partageons le même constat, mais pas les mêmes conclusions.
Il est abusif de rendre l'ouverture à la concurrence responsable du déclin du fret ferroviaire : le déclin a commencé bien avant l'ouverture ! Dans son rapport, Francis Grignon rappelait qu'en 1950, les deux tiers des marchandises passaient par le rail.
Aujourd'hui, 87 % passent par les camions. Les raisons ? La désindustrialisation de la France, la faible attractivité des ports français comparativement aux ports étrangers, la faible intermodalité avec les canaux, le mauvais entretien du réseau.
Les entreprises jugent les camions plus fiables, moins coûteux et plus rapides. Nous regrettons tous l'abandon de l'écotaxe.
La proposition de résolution fait abstraction de l'ouverture à la concurrence, présente une stratégie archaïque au lieu d'une stratégie tournée vers les chargeurs et les clients.
Notre groupe votera contre. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. Didier Rambaud . - Je suis heureux d'exprimer, en ce jour de la fin des Assises de la mobilité, le point de vue de mon groupe. Nous connaissons tous les nuisances dues aux poids lourds, qui ne cessent d'augmenter.
Le fret ferroviaire diminue et la dette de SNCF Réseau continue d'augmenter, de trois milliards d'euros chaque année.
Mais je ne partage pas vos propositions. Vous allez à l'encontre de l'ouverture de nombreux secteurs, comme la téléphonie, l'électricité ou les transports, alors que le monopole crée de fait des barrières de marché. Oui, le groupe LaREM est favorable à des services moins chers et plus efficaces.
L'ouverture à la concurrence - commencée en 1999, en 2006 pour le fret, en 2007 pour le train de marchandises et en 2010 pour le train de passagers - ne signifie pas soumission à la loi de la jungle : les contrôles, grâce à l'Arafer, n'ont jamais été aussi importants contre les abus.
Depuis 1993, et la décision Corbeau de la CJCE, concernant La Poste belge, la question de l'intervention de l'État est réglée et elle a été affinée avec l'arrêt de 1997 qui concernait la France : l'État peut toujours restreindre la concurrence, pour des raisons d'aménagement du territoire par exemple.
Comparons le modèle français et le modèle allemand, qui fait la même chose avec deux fois moins de personnels... Les voyageurs coincés en gare Montparnasse auraient peut-être aimé avoir des possibilités de transport alternatives et à moindre coût !
Relisons l'histoire objectivement : les premières lois anti-trust viennent des États-Unis et je ne dis rien des apports conceptuels de l'école de Fribourg pour laquelle l'égalité et le mérite fondent l'accès au marché : valeurs républicaines s'il en est. Il ne faut pas les invoquer sans substance, sans les faire vivre.
La ministre a missionné Jean-Cyril Spinetta pour étudier cette question ; nous connaitrons en janvier prochain les orientations qu'il propose. Ce sera l'occasion d'y revenir dans un cadre plus vaste.
Le groupe LaREM votera contre cette proposition de résolution.
M. Guillaume Gontard . - La diminution drastique du fret ferroviaire est en contradiction totale avec les objectifs de la loi Grenelle I, les préconisations de la Commission européenne et l'Accord de Paris.
Le rapport de la Cour des comptes parle de « contradictions », avec le sens de la litote qu'on lui connaît. C'est le moins que l'on puisse dire : la suppression de l'écotaxe empêche toute internalisation des coûts de la route, obligeant la collectivité à payer les nuisances de la route. L'autorisation des camions de 44 tonnes est un mauvais signal. Même chose pour l'autorisation des camions de 4,5 mètres de haut : cela limite le ferroutage, car le fret ferroviaire est majoritairement calibré pour des camions de 4 mètres.
La France n'a pas pris le virage du commerce en ligne, on le voit à la gare de triage de Miramas entre le port de Fos et le sillon de la vallée du Rhône. Faute de 17 millions d'euros, la SNCF va la fermer. C'est absurde, car cela va lancer 300 000 camions de plus sur les routes.
Dans les Alpes, la part du fret ferroviaire est tombée à 3,5 tonnes de marchandises par an. Le réseau est capable d'en résorber cinq fois plus, moyennant un milliard d'investissement pour rénover les lignes. Soit dit en passant, les 25 milliards du TGV Lyon-Turin ont été justifiés, dans le discours, par l'idée que cette ligne renforcerait le fret ferroviaire... à 60 millions de tonnes - on en est loin !
Cette résolution s'accorde parfaitement avec vos objectifs, Monsieur le Ministre. Une jurisprudence récente sur le cas italien montre qu'on peut investir dans le rail sans remettre en question l'ouverture à la concurrence.
Il faut rénover les infrastructures, en construire d'autres, développer le wagon isolé, créer une taxe sur les poids lourds. La SNCF, avec l'État, doit redevenir un organisateur stratégique et logistique pour rénover les infrastructures, développer de nouvelles ITE, réserver du foncier.
La Suède et la Suisse ont fait le bon choix en investissant massivement pour les infrastructures et en développant une législation protectrice. Le président de la République a dit hier que l'heure était aux actions concrètes : cette résolution en est une ! (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE ; Mme Victoire Jasmin et M. Joël Bigot applaudissent également.)
M. Jean-François Longeot . - Au nom d'Hervé Maurey, je remercie le groupe CRCE pour avoir proposé ce débat.
Les gouvernements successifs ont toujours affiché un engagement fort mais ont pris des décisions qui ont ôté au fret ferroviaire toute chance de succès. Je pense bien sûr à l'abandon de l'écotaxe. Entre 2011 et 2016, le fret ferroviaire a continué de perdre 1 % par an.
Je regrette que les Assises de la mobilité n'aient pas traité davantage du fret ferroviaire.
Le maintien des lignes capillaires est indispensable. Je ne peux que partager quelques propositions de cette proposition de résolution : le fret routier doit assumer ses externalités négatives. C'était l'esprit de l'écotaxe.
De la même façon, supprimer le soutien financier au secteur sans analyse approfondie des conséquences que cela entraînera n'est pas raisonnable.
Enfin, développer les infrastructures facilitant le fret ferroviaire ou le transport combiné, entre autres à partir des ports maritimes, serait pertinent. Les propositions concrètes faites lors de la table ronde que la commission du développement durable a organisée sur le canal Seine-Nord sont à explorer.
Toutefois, il serait difficile de gommer nos divergences d'appréciation. La libéralisation a fait baisser les coûts du fret et l'a rendu plus compétitif face à la route. Les écarts de compétitivité entre SNCF Mobilités et VFLI sont sidérants : d'après la Cour des comptes, ils atteignent 20 % en raison de l'organisation du temps de travail, voire 30 % si l'on y inclut l'absentéisme plus élevé dans l'entreprise publique. Dans ces conditions, je ne vois pas comment on peut souhaiter revenir sur l'ouverture à la concurrence. Le premier concurrent des entreprises de fret ferroviaire, c'est la route !
Un moratoire sur l'abandon de l'activité de wagon isolé ? Mais la Cour des comptes indique dans son référé que cette activité subit des pertes importantes en raison de ses coûts et d'une qualité de service très insuffisante.
Sur la dette du groupe SNCF Réseau, je ne vous rejoins pas non plus ; sa reprise pure et simple par l'État, sans s'assurer d'une évolution de la productivité du gestionnaire du réseau, nous exposerait au risque de revivre la même situation dans quelques années.
Le groupe UC votera contre cette proposition de résolution, même si nous partageons l'objectif de développer le fret ferroviaire.
M. Joël Bigot . - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) Le référé de la Cour des comptes du 14 septembre 2017 pointe la responsabilité de l'État dans le déclin du fret ferroviaire, un État qui a relevé de 38 à 44 tonnes le poids total autorisé des camions en France puis a financé des plans de relance autoroutiers très favorables aux concessionnaires. Certains observateurs n'hésitent pas à le qualifier de Dr. Jekyll et Mr. Hyde tant sa politique est ambiguë, voire schizophrène.
Au début des années deux mille, la part modale du ferroviaire en France se situait encore au-dessus de la moyenne européenne. En quinze ans, nous avons perdu un tiers du trafic. En 2016, le trafic routier représente 88 % du transport de marchandises, sa progression a été encouragée par l'autorisation du cabotage incluse dans le « paquet routier » de 2009. Comment ne pas mettre ces défaillances en regard des engagements pris lors de la COP 21 ?
D'après le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), le transport par la route est responsable d'un tiers de nos émissions de gaz à effet de serre. Un train de fret de 850 m, c'est 48 camions et quatre fois moins de CO2. Cela suffit à plaider pour une internalisation des externalités négatives de la route. Nous ne les connaissons que trop bien : dumping social et économique, embouteillages, incidences sur la santé publique, nuisances sonores, dégradation des chaussées, routes à fort trafic.
Comme en octobre 2010, lorsque nous avons débattu d'une proposition de résolution quasiment identique, nous nous demandons s'il ne faudrait pas ressusciter la taxe poids lourds. La Commission européenne nous en offrira peut-être l'occasion à travers la révision de la directive « Eurovignette ». La mission conduite par Jean-Cyril Spinetta apportera également des perspectives d'avenir pour redynamiser le fret ferroviaire. Dès octobre 2016, le rapport d'information des députés Savary et Pancher avait esquissé des pistes. Cette proposition de résolution s'inscrit dans sa continuité, le groupe SOCR la votera, compte tenu du contexte écologique. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)
M. Christophe Priou . - Saluons l'intention louable des auteurs de ce texte. Pour autant, si une intention peut inspirer une résolution, une résolution n'a pas forcément valeur d'amorce.
Le constat a été fait : le ferroviaire représentait 30 % du trafic de marchandises en 1985, contre 10 % aujourd'hui. Il suffit de sillonner la France en train, lorsqu'ils fonctionnent, pour voir les lignes qui firent les grandes heures de L'Étoile du Nord, de Le Mistral et de L'Oiseau bleu à l'abandon... Mais l'on ne peut pas vivre de nostalgie, fût-elle ferroviaire.
Le développement du fret ferroviaire n'est pas seulement indispensable pour des raisons écologiques ; on met des wagons sur des rails aussi pour proposer des solutions innovantes, utiles et performantes aux acteurs économiques.
Je regrette comme vous le manque de moyens de l'AFITF. Le fret est un enjeu d'aménagement pour les Pays de la Loire. La région demande le raccordement de Saint-Nazaire-Tours au corridor Atlantique. Nous pouvons nous inspirer de la route ferroviaire aménagée aux Pays-Bas en 2007 : la ligne de la Betuwe longue de 160 km, qui relie le port de Rotterdam à son hinterland allemand pour un coût de 5 milliards d'euros.
Une enseigne connue d'articles de sport a récemment testé une nouvelle route de la soie : ce nouvel axe Chine-France est deux fois plus rapide que le bateau.
La France n'a pas un trafic portuaire à la hauteur de sa façade maritime. Le Premier ministre a raison : « les ports ont besoin de la mer. Ils ont aussi besoin de la terre, plus précisément du rail et des fleuves ». La réforme ferroviaire de 2014 n'a pas apporté de réponses, non plus que le projet de loi de finances 2018 qui obligera l'AFITF à échelonner les paiements ou à retarder les projets. Redéfinissons les priorités. Les crédits du transport combiné ne suffiront pas, pas plus que la recapitalisation de 1,4 milliard de Fret SNCF en 2005 sans gains de productivité.
Bref, nous espérons du futur projet de loi sur les mobilités une stratégie du fret ferroviaire clairement tournée vers les besoins des entreprises et repousserons cette proposition de résolution aux contours trop flous. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. Serge Babary . - La situation du fret ferroviaire illustre parfaitement les contradictions dans lesquelles sont prises les politiques publiques : le Grenelle de l'environnement en 2009 avait fixé pour objectif de porter de 14 à 25 % la part du fret ferroviaire dans le transport de marchandises d'ici à 2022 ; elle n'est que de 10 % aujourd'hui.
Le déclin du fret ferroviaire n'est pas une fatalité. En Suisse, pays montagneux et sans industrie lourde, le ferroviaire représente 40 % du fret. Redevance poids lourds, subventions au transport combiné, interdiction aux poids lourds de circuler la nuit et le week-end, restrictions quant au poids et aux dimensions des camions, une politique réglementaire volontariste peut porter ses fruits.
Marie-France Beaufils, maire de Saint-Pierre-des-Corps, important centre de fret ferroviaire, a alerté, à de multiples reprises, les gouvernements successifs sur la situation : on lui a répondu, à chaque fois, que le fret ferroviaire était une priorité gouvernementale, pour abandonner ensuite l'écotaxe et porter à 44 tonnes le tonnage autorisé des camions de plus de quatre essieux par le décret du 6 décembre 2012. Cette augmentation de tonnage a-t-elle créé de l'emploi en France ? Fluidifié la circulation ? Amélioré les conditions de travail des routiers ? Réduit les émissions de gaz à effet de serre ? Non. Elle a surtout justifié un surcoût d'entretien de la voirie d'environ 500 millions d'euros.
Le 30 août dernier, Nicolas Hulot a déclaré qu'il allait falloir s'attaquer au transfert du transport de marchandises de la route vers le rail pour tenir nos engagements climatiques. Le projet de loi de finances 2018 accuse une baisse de 5 milliards pour le fret ferroviaire : où est la cohérence ?
Les effets externes produits par ces modes de transport doivent être pris en compte : l'État doit adopter une vision plus stratégique ; il faut retrouver une véritable offre commerciale et rénover le réseau ; il faut encore réfléchir à un maillage territorial cohérent : désengorger Le Bourget ; desservir l'Atlantique, Nantes, notamment, en passant par les centres de triage de Saint-Pierre-des-Corps, Vierzon, jusqu'à Lyon.
Depuis le début de mon intervention, trente poids lourds sont passés sur l'A10 à proximité du site en déshérence de Saint-Pierre-des-Corps, soit un poids lourd toutes les dix secondes près de ma ville de Tours. Il est urgent de prendre des mesures concrètes ! (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC)
M. Sébastien Lecornu, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire . - Veuillez excuser Mme Borne pour son absence, elle préside les Assises de la mobilité. Je remercie le groupe CRCE pour son initiative qui me donne l'occasion d'exposer les actions que le Gouvernement entend mener pour le fret ferroviaire.
Nicolas Hulot l'a dit, il est une condition pour respecter nos engagements climatiques. Or il décline : de 16 % de parts de marché en 2000, il est passé à 10 % en 2016. Cette part est toutefois stable depuis 2011, depuis que l'État a fléché en sa direction des projets d'investissement dans le budget de l'AFITF. Cela étant, la situation n'est pas satisfaisante.
Les difficultés du fret ferroviaire s'expliquent par des facteurs externes : la densité industrielle est trois fois moindre en France qu'en Allemagne et la répartition des sites industriels inégale ; les ports ont une compétitivité trop faible et sont mal reliés à leur hinterland ; la crise de 2008 a porté un coup dur au secteur et a accéléré la désindustrialisation.
Parallèlement, le fret ferroviaire peine à s'adapter à la concurrence du routier, qui fixe les standards de prix et de qualité de service, notamment pour les dessertes fines du territoire. Le pavillon français accuse certes, un déficit de compétitivité ; les pavillons étrangers, eux, progressent. Nous travaillons dans le cadre de la négociation du prochain paquet routier à y remédier en promouvant les conditions d'une concurrence saine et équilibrée intégrant les impératifs sociaux, environnementaux et de sécurité routière. La circulation des 44 tonnes sur le territoire a été encadrée : l'abaissement des charges à l'essieu, l'obligation de suspensions pneumatiques ou encore le respect de la norme Euro.
La défense d'une concurrence saine pour le routier s'accompagne d'un plan d'action pour le fret ferroviaire. Les entreprises ferroviaires mettent en oeuvre des offres commerciales plus adaptées aux besoins des chargeurs : l'activité wagon isolé, par exemple, est maintenue, contrairement à ce qui s'est fait ailleurs, parce qu'elle correspond à une demande du secteur de la sidérurgie. Ensuite, la rénovation du cadre social a fait l'objet de négociations en 2016 pour poser les bases d'une concurrence loyale.
Le Gouvernement mène actuellement une réflexion globale sur le fret ferroviaire qui s'appuiera sur les conclusions de la mission Spinetta. Le premier défi à relever sera la disponibilité et la qualité des sillons.
Nous veillerons à l'irrigation ferroviaire de tous les territoires. C'est notre premier objectif. Une approche locale impliquant tous les acteurs est privilégiée. L'État s'est engagé à travers l'AFITF sur 30 millions d'euros, soit 10 millions par an entre 2015 et 2017 pour traiter 800 kilomètres de lignes. Sur 2018-2020, l'État maintient le principe d'une contribution de 10 millions par an pour accompagner les acteurs économiques. La France a également engagé des démarches auprès de la Commission européenne pour obtenir l'autorisation de verser des aides publiques à la création, la remise en état et la modernisation des secondes parties d'installations terminales embranchées.
L'amélioration de la performance du report modal est une priorité absolue. Une mission du Conseil général de l'environnement et du développement durable a confirmé la nécessité de maintenir un soutien. Un dispositif plus performant sera bientôt notifié à Bruxelles.
Parmi les autres objectifs, citons le développement du ferroutage sur les grands axes de trafic, l'intermodalité renforcée pour nos grands ports maritimes, l'accompagnement des innovations technologiques pour réduire les nuisances. La France est à l'avant-garde puisque des trains de 850 mètres, plus longs et plus lourds, peuvent déjà circuler sur les lignes Paris-Marseille-Perpignan, Paris/le Havre, frontière luxembourgeoise-Perpignan alors que le train de 750 mètres demeure la norme en Europe.
Le Gouvernement prend toute sa part dans le soutien au fret ferroviaire et émet un avis défavorable à cette proposition de résolution, tout en vous remerciant de lui avoir donné l'occasion de présenter ses grands axes en la matière. (M. Didier Rambaud applaudit.)
À la demande du groupe CRCE, la proposition de résolution est mise aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°44 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 341 |
Pour l'adoption | 95 |
Contre | 246 |
Le Sénat n'a pas adopté.
La séance est suspendue à 18 h 5.
présidence de M. Philippe Dallier, vice-président
La séance reprend à 21 heures.